Cicéron, Fragments

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE; INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - TOME QUATRIÈME - PARIS - CHEZ FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie. LIBRAIRES - IMPRIMERIE DE L'INSTITUT DE FRANCE - RUE JACOB, 56 - M DCCC LXIX

Fragments Des Ouvrages En Prose Et En Vers.

1ère partie : FRAGMENTS DES DISCOURS PERDUS

DISCOURS PRONONCÉS PAR CICÉRON AVANT SON CONSULAT.

DISCOURS POUR SA CANDIDATURE. -  PLAIDOYER POUR Q. GALLIUS.

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ŒUVRES

COMPLÈTES



DE CICÉRON,


AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,

PUBLIÉES

SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,

DE L'ACADÉMIE

INSPECTEUR GÉNÉRAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR.
 

TOME QUATRIEME






PARIS,


CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, FILS ET Cie, LIBRAIRES,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE

RUE JACOB,  .

M DCCC LXIV

FRAGMENTS DES DISCOURS PERDUS.

DISCOURS PRONONCÉS PAR CICÉRON AVANT SON CONSULAT.

PLAIDOYER POUR M. TULLIUS.
 

DISCOURS POUR SA CANDIDATURE.

(Fragments tirés d'Asconius.)

Asconius intitule ce discours In loga candida; et Quintilien, Liv. iii, ch. 7, In Competitores. Il fut prononcé en 690, c. a. d. un an après le plaidoyer pour Cornélius.

Cicéron avait six compétiteurs au consulat : P. Sulpicius Galba, L. Sergius Catilina, C. Antonius, fils de l'orateur M. Antoine, L. Cassius Longinus, Q. Cornificius et C. Licinius Sacerdos. Mais Catilina et C. Antonius étaient ses rivaux les plus dangereux. Ils avaient, bien qu'à peu près déshonorés, une faction puissante, et pour principaux appuis M. Crassus et C. César. Tous deux réunirent leurs forces pour écraser Cicéron. Aussi ce discours est-il exclusivement dirigé contre Antoine et Catilina. Ils avaient d'ailleurs, dit Asconius, si ouvertement employé la brigue et la corruption, que le sénat se crut obligé d'arrêter ce scandale par une loi plus sévère que toutes les précédentes. Mais, au moment de la publication, L. Mucius Orestinus, tribun du peuple, défendu autrefois par Cicéron dans une accusation de pillage et de vol, entreprit de s'y opposer. Cicéron, indigné de cette opposition en plein sénat, se leva et prononça une véliémenle motion contre la collision de Catilina et d'Antoine, peu de jours avant la tenue des comices.

Les fragments de ce discours conservés par Asconius ne suffisent pas pour en faire deviner l'ordre et le plan. Ils offrent toutefois assez d'intérêt pour qu'il nous ait paru convenable de n'en omettre aucun.

 

 

IN TOGA CANDIDA.

OMNIA EX ASCONIO.

1. Dico, P. C, superiore nocte cujusdam hominis nobilis, et valde in hoc largitionis quaestu noti et cogniti, domum Catilinam et Antonium cum sequestribus suis convenisse. Quem enim aut amicuin habere potest is, qui tot cives trucidavit; aut clientem, qui in sua civitate cum peregrino negavit se judicio aequo certare posse?...

2. Nec se jam tum respexit, quum gravissimis vestris decretis absens notatus est. In judiciis quanta vis esset, didicit, quum est absolutus : si, aut illud judicium, aut  illa absolutio nominanda est. Populum vero, quum inspectante populo collum secuit hominis maxime popularis, quanti faceret, ostendit.

3. Me, qua amentia inductus est, ut contemneret, constituere non possum. Utrum aequo animo laturum putavit ? an in suo familiarissimo non viderat, me ne aliorum quidem injurias mediocriter posse ferre?

4. Alter, pecore omni vendito, et saltibus prope addictis, pastores retinet, ex quibus, ait, se, quum velit, subito fugitivorum bellum excitaturum.

5. Alter induxit cum, quem potuit, ut repente gladiatores, populo non debitos, polliceretur; quos ipse consularis candidatus perspexit, et legit, et emit : presente populo Romano facturo est.

6. Quamobrem augere etiam mercedes si vultis, Q. Mucium conantem legem impedire, ut coepit senatus, consules prohibete; sed ego ea lege contentus sum, qua duos consules designatos uno tempore damnari vidimus.

7. Te tamen, Q. Muci, tarn male de republica existimare moleste fero, qui hesterno die me esse dignum consulatu negabas. Quid ? populus Romanus minus diligenter scit sibi constituere defensorem, qnam tu tibi ? qui, quum te furti L. Calenus ageret, me potissimum fortunarum tuarum patronum esse voluisti. Et cujus tu consilium in tua turpissima causa delegisti, hunc honestissimarum rerum defensorem populus Romanus, auctore te, repudiare potest? Nisi forte hoc dicturus es, quo tempore a L. Caleno furti delatus sis, eo tempore in me tibi parum auxilii vidisse.

8. Atque ut istum omittam, in exercitu Sullano praedonem, in introitu gladiatorem, in victoria quadrigarium....

9. Te vero, Calilina, consulatum sperare, aut cogitare, non prodigium atque portentum est? A quibus enim pete? a principibus civitatis? qui tibi, quum L. Volcatius consul in consilio fuisset, ne petendi quidem potestatem esse voluerunt. A senatoribus? qui te auctoritate sua, spoliatum оrnamentis omnibus, vinctum paene Africanis oratoribus tradiderunt. Ab equestri ordine? quem trucidasti. A plebe ? cui spectaculum ejusmodi tua crudelitas praebuit, ut nemo sine luctu adspicere, sine gemitu recordari posset!

10. ... Quod caput, etiam tum plenum animae et spiritus, ad Sullam, usque ab Janiculo ad œdem Apollinis, manibus ipse suis detulit.

11. Quid tu potes in defensione tua dicere? quod illine dixerunt? quae tibi dicere non licebit.

12. Et paullo post, Denique illi negare potuerunt, et negaverunt : tu tibí ne infitiandi quidem impudenliae locura reliquistí. Quare prœclara dicentur judicia tulisse, si, qui infitiantem Luscium condemnarunt, Catilinam absolverint confitentem.

13. Is ergo negat, se iguarum esse : quum etiam illi, imperitos se homines esse, et, si quem etiam interfecissent, imperatori ac dictatori paruisse dicerent. Ac negare quoque posse ; Catilinam vero infitiari non posse.

14. Hanc tu habes dignitatem, qua fretus me contemnis ac despicis? An earn, quam reliqua vita es consecutus? quum ita vixisti, ut non esset locus tarn sanctus, quo non adventus tuus, etiam quum culpa milla subesset, crimen afferret ; quum deprebendebare in adulteriis, quum deprehendebas adulteros ipse; quum ex codem stupro libi et uxorem, et filiam invenisti.

15. ... Stupris se omnibus ac flagitiis contaminavit, caede nefaria cruentavit, diripuit socios; leges, quœstiones, judicia violavit.

16. Quid ego, ut violaveris provinciam, praedicem, cuncto populo Romano clamante ас resistente? Nam, ut te illic gesseris, non audeo dicere, quoniam absolutus es. Mentitos esse equités romanos, falsas fuisse tabulas honestissimae civitatis existimo; mentitum Q. Metellum Pium, mentitam Africam ; vidisse puto nescio quid illos judices, qui te innocentem judicarunt. O miser ! qui non sentias, illo judicio te non absolutum, verum ad aliquod severius judicium ac majus supplicium reservatum.

17. Praetereo illum nefarium conatum tuum, et рaепе acerbum et luctuosum populo Romano diem, quum, Cn. Pisone socio, neque alio nemine, caedem optimatum facere voluisti.

18. An oblitus es, te ex me, quum praeturam peteremus, petisse. ut tibi primum locum concederem? quod quum saepius ageres, et impudentius a me contenderes ; meministl, me tibi respondere, impudenter te facere, qui id a me peteres, quod avunculus nunquam impetrasset? Nescis, me praetorem primum esse factum ; te concessiooe competitorum, et collatione centuriarum, et meo maxime beneficio, e postremo in tertium locum esse sublectum?

19. Dicit de malis civibus. Qui posteaquam illo, ut conati erant, Hispaniensi pugiunculo nervos incidere civium romanorum non potuerunt, duas uno tempore соnantur in rempublicam sicas destringere.

20. Hunc vos scitote Licinium gladiatorem jam immisisse cupidum Catilinae, judices, Q. Curium, hominem quaestorium.
 

l. Oui, Pères Conscrits, j'affirme qu'Antoine et Catilina, escortés de leurs dépositaires, se sont réunis la nuit dans la maison d'un noble déjà connu, et célèbre même par le gain qu'il fait, en favorisant de semblables largesses. Eh ! qui peut être l'ami de celui qui a égorgé tant de citoyens, ou le client d'un homme qui, dans sa propre cité, a déclaré ne pouvoir plaider à crédit égal contre un étranger?

2. Il n'est pas encore rentré en lui-même, lorsque vous l'avez flétri, absent, par les plus sévères décrets. Il a connu, depuis son absolution, quelle est la puissance d'un jugement, si toutefois il y eût alors quelque chose qu'on pût appeler jugement et absolution. Et lorsqu'aux yeux du peuple, Catilina trancha la tête de l'homme le plus populaire, il a bien montré quel cas il faisait du peuple.

3. Je ne puis m'expliquer quelle démence le porte à me mépriser. Croit-il que je le souffre patiemment? L'exemple d'un de ses amis les plus Intimes ne lui a-t-il pas appris que les injustices, même faites à d'autres, trouvent en moi un vengeur?

4. L'un, dont tous les troupeaux sont vendus et les domaines près d'être adjugés judiciairement, retient une troupe nombreuse de pâtres, avec lesquels il pourra, dit-il, dès qu'il le voudra, renouveler la guerre des esclaves.

5. L'autre, abusant de son pouvoir sur un 602 homme faible, obtient tout à coup de lui la promesse d'un spectacle de gladiateurs que rien ne l'obligeait à donner : candidat consulaire, il examine lui-même, choisit et achète les gladiateurs ; et cela, à la face du peuple Romain.

6. Si donc vous ne voulez, consuls, augmenter encore le prix d'achat des suffrages, réprimez , comme le sénat a commencé de le faire, l'opposition de Q. Mucius à la loi. Quant à moi, je me contente de celle qui vient de faire condamner à la fois deux consuls désignés.

7. Toutefois, Mucius, je m'afflige de vous voir, vous qui niâtes hier que je fusse digne du consulat, penser si mal de la république. Quoi ! le peuple Romain sait-il moins bien que vous faire choix d'un défenseur? Lorsque L. Calénus vous accusa de vol, vous me confiâtes, de préférence à tout autre, le soin de défendre vos intérêts : et celui dont vous avez sollicité les conseils dans une si honteuse conjoncture, le peuple Romain, selon vous, ne peut pas l'accepter pour défenseur de sa gloire, à moins que vous ne dépréciiez la valeur de mes services, dans cette accusation de vol que vous intenta Calénus.

8. Et pour ne rien dire de ce pillard de l'armée de Sylla, gladiateur à son entrée dans Rome, et cocher pour célébrer son triomphe

9. Mais toi, Catilina, que tu brigues le consulat, que tu oses y penser, n'est-ce pas un prodige monstrueux? A qui le demandes-tu? Aux principaux citoyens, qui, assemblés par le consul L. Volcatius, n'ont pas même voulu te permettre la candidature? Aux sénateurs, dont un décret, après t'avoir dépouillé de tous tes honneurs, t'a, pour ainsi dire, livré captif aux députés de l'Afrique? A l'ordre équestre, dont tu fus l'assassin ? Au peuple, à qui ta cruauté a donné un spectacle que nul n'a pu voir sans désolation, ni se rappeler sana gémir?

10 ...Cette tête, pleine encore de chaleur et de vie, il la porta dans ses propres mains à Sylla, depuis le Janicule jusqu'au temple d'Apollon.

11. Qu'allégueras-tu pour ta défense? la même excuse que les autres? Non, tu ne le peux faire.

12. Un peu plus bas. Enfin, ils ont pu nier, et ils ont nié : toi, tu n'as pas même laissé à ton impudence la ressource d'une dénégation. О combien on doit louer l'équité des juges qui condamnent Luscius malgré ses dénégations, et absolvent Catilina malgré son aveu !

13. Il convient donc qu'il n'a pu être induit en erreur, et cela quand les autres sicaires allèguent que s'ils ont commis quelque meurtre, ils ont été trompés, et n'ont fait d'ailleurs qu'obéir à leur général, au dictateur? Ils pouvaient même nier leurs crimes; Catilina ne le peut pas.

14. Est-ce là l'illustration qui t'enhardit à me dédaigner, à me mépriser ? Est-ce la gloire dont tu couvres le reste de ta vie? toi qui as toujours vécu de telle sorte qu'il n'est point de lien si sacré où ta présence ne motivât une accusation, même quand tu n'y commettais pas de crime ; toi qu'on a surpris en adultère, et qui cherchais aussi à y surprendre les autres; toi qui, dans le fruit d'un adultère, as trouvé à la fois ta fille et ton épouse!

15.....  Il s'est déshonoré par toutes les infamies et tous les opprobres; il a lavé ses mains dans le sang de ses concitoyens; il a pillé les peuples alliés; il a foulé aux pieds les lois, les tribunaux, les jugements.

16. Faut-il rappeler comment tu as envahi le gouvernement d'une province, malgré les cris et la résistance du peuple Romain? Quant à la façon dont tu l'as administrée, je n'ose eu parler, puisque tu as été absous. Non, je ne veux en croire ni les chevaliers romains, ni les registres de la plus honorable cité; je donne un démenti à Q. Métellus, un démenti à l'Afrique entière; je crois que tes juges ont eu je ne sais quelle raison pour te déclarer innocent. Malheureux ! qui ne vois pas que leur sentence ne t'a pas absous, mais qu'elle t'a réservé à un jugement plus sévère, à un plus terrible supplice.

17. Je passe sous silence cette entreprise exécrable, et ce jour qui faillit être pour la république si amer et si désastreux, alors qu'avec Cn. Pison ton complice, et quelque autre encore, tu 603 tentas de massacrer nos principaux citoyens.

18. As-tu oublié, Antoine, que, lorsque nous demandions ensemble la préture, tu m'osas solliciter de te céder le premier rang; et comme tu me pressais, que tu insistais effrontément, je te répondis qu'il y avait, de ta part, de l'impudence à me demander ce que ton oncle même n'eut jamais obtenu? Ignores-tu que je fus nommé préteur le premier ? Toi, par la condescendance de tes compétiteurs, par la collation des centuries, et surtout grâce à mes bons offices, du dernier rang tu passas au troisième.

19. Il parle des mauvais citoyens. N'ayant pu alors, comme ils le tentaient, porter au peuple Romain un coup mortel avec ce stylet espagnol, ils s'efforcent aujourd'hui de tourner contre la république deux poignards à la fois.

20. Sachez donc qui déjà a dépêché le gladiateur Licinius, si avide de servir Catilina : c'est un ancien questeur, c'est Q. Curius !






 

PLAIDOYER POUR Q. GALLIUS.

En 689, M. Calidius accusa de brigue Q. Gallius, lequel avait accusé lui-même de concussion Q. Calidius, père de cet orateur. On voit par le Brutus, ch. 80, qu'il prétendait aussi que Gallius avait voulu l'empoisonner. Ciceron plaida pour Gallius et gagna sa cause.

Il reste de ce plaidoyer sept fragments : deux qu'on trouvera dans Quintilien, vii, 3 ; xi, 3 ; un dans Ciceron, Brutus, ch. 80; un d'une ligne dans Nonius, i, n° 318; un d'un seul mot dans Charisius, i, p. 114 ; un d'une ligne dans Eugraphius, Ad Terent. Eunuch., ii, 4 ; et un enfin dans saint Jérôme, Lettre à Népotien, sur la vie des Clercs. Ce dernier est le plus important ; mais il est fort vraisemblable que ce morceau, d'un style peu cicéronien et d'une douzaine de lignes seulement, n'est pas de Ciceron. Si l'idée principale lui appartient, saint Jérôme en a certainement changé l'expression. Nous nous sommes donc abstenu de le traduire.