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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

PLAIDOYERS CIVILS

 

XXII


SOSITHÉE CONTRE MACARTATOS

 

Une autre traduction française de ce discours

 

 

 XXI.  Callistrate contre Olympiodore TOME II XXIII.   Le fils d'Aristodème contre Léocharès

 

 

 

 

 

texte grec

 

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XXII

 

SOSITHÉE CONTRE MACARTATOS

 

ARGUMENT

Hagnias, fils de Polémon, du dème d'Oeon, faisait partie d'une ambassade envoyée par les Athéniens. Il tomba entre les mains des Lacédémoniens qui le mirent à mort. Il ne laissait qu'une fille adoptive, qui mourut elle-même avant d'avoir été mariée, or, la fille adoptive n'était pas héritière : elle recevait seulement les biens à titre de dot, pour les transmettre à ses enfants, qui étaient les vrais héritiers. La succession de Hagnias, qui s'élevait à plus de deux talents, se trouva ainsi dévolue à ses collatéraux. Phylomaché, fille d'Eubulide, fils de Philagros, cousin germain de Polémon, père de Hagnias, demanda et obtint l'envoi en possession.

Glaucon et Glaucos, frères utérins de Hagnias, se présentèrent alors et revendiquèrent la succession, aux termes d'un testament fait en leur faveur par Hagnias, pour le cas où la fille adoptive de Hagnias viendrait à mourir avant d'avoir été mariée. Mais le testament fut déclaré faux, et Phylomaché maintenue en possession de l'hérédité.

Ce premier procès terminé, un second commence. Théopompe, fils de Charidème, cousin germain de Polémon, père de Hagnias, revendique la succession, comme étant d'un degré plus proche que Phylomaché ; Glaucon et Glaucos la revendiquent également, non plus comme héritiers testamentaires, mais comme héritiers du sang. La mère de Hagnias se présente aussi pour recueillir la succession. Une sorte de concours s'ouvre ainsi entre tous ces prétendants et Phylomaché, et c'est Théopompe qui l'emporte. Théopompe avait soutenu, nous le savons par Isée, que Phylomaché était â un degré plus éloigné que lui, et n'était même pas au degré successible, car la dévolution s'arrêtait en ligne collatérale aux enfants de cousins, faute desquels elle passait aux parents par la mère : frères, soeurs, cousins et enfants de cousins. Quant à la mère de Hagnias, elle était soeur de Stratios, et par conséquent parente de Hagnias au degré d'enfant de cousin, mais Théopompe, qui était au même degré, l'excluait, en vertu de cette règle générale qu'au même degré les hommes passaient avant les femmes. Elle se présenta donc non comme enfant de cousin, mais comme mère, prétention remarquable, car, dit avec raison Isée, la loi athénienne n'accorde â la mère aucun droit sur la succession de ses enfants. Ce droit, que la loi ne lui donnait pas, en cherchait à le lui faire reconnaître par la jurisprudence, et on paraît y avoir réussi plus tard; mais au temps d'Isée on n'y était pas encore parvenu. Théopompe gagna donc encore ce procès contre la mère de Hagnias.

Après cela, Théopompe eut encore â lutter contre son neveu, le fils de son frère Stratoclès. C'était un enfant en bas âge. En pareil cas, le tuteur pouvait agir par la voie criminelle, et c'est ce qui eut lieu, en effet, sous la forme d'une εἰσαγγελία, c'est-à-dire d'une accusation précédée d'une dénonciation solennelle à l'assemblée du peuple. Mais Théopompe n'eut pas de peine à se justifier : il prouva que son neveu était à un degré plus éloigné que lui, et ne se trouvait pas même au degré successible, car ce neveu était exactement dans la même position que Phylomaché. Il montra que pour obtenir la succession il n'avait eu besoin de faire aucun pacte, ni avec Stratoclès son frère, appelé au même degré que lui, ni avec le fils de Stratoclès, qui n'était pas au degré successible. Il fut donc maintenu en possession de l'hérédité.

Cependant, Phylomaché et la mère de Hagnias avaient intenté des actions de faux témoignage contre les témoins produits par Théopompe, et le succès de ces actions aurait entraîné l'annulation des jugements qui avaient conféré la succession â Théopompe. Ces actions furent-elles abandonnées? Cela parait probable; car, si elles avaient été suivies jusqu'au bout, Démosthène en aurait sans doute parlé.

C'est alors que Phylomaché et son mari Sosithée imaginèrent un moyen de recommencer la lutte. Deux fils étaient issus de leur union. Ils prirent le plus jeune et, au moyen d'une adoption posthume, ils le firent entrer dans la maison de son aïeul maternel Eubulide, père de Phylomaché. L'adoption posthume était valable dans les idées religieuses des Athéniens. Elle servait â empêcher que les maisons ne devinssent désertes. La grosse affaire était d'assurer la perpétuité de la famille. Il fallait entretenir le culte des morts, et comme le dit Racine :

... de David éteint rallumer le flambeau.

Le nouveau procès s'engage donc entre le jeune Eubulide, représenté par son père Sosithée, et Théopompe.

Mais quel droit le jeune Eubulide peut-il faire valoir contre Théopompe? L'adoption lui donne bien un degré, mais elle est encore insuffisante pour le faire arriver à la succession, car le père adoptif était déjà au degré d'enfant de cousin, c'est-à-dire au dernier degré des successibles. Quelle pouvait donc être la prétention du jeune Eubulide? Le voici: c'est qu'Eubulide II, s'il n'était qu'enfant de cousin par son père, était cousin par sa mère, qui s'appelait aussi Phylomaché, et qui était soeur de Polémon, père de Hagnias. Or, la loi appelait les collatéraux dans l'ordre suivant :

La première classe comprenait les parents de la ligne paternelle, c'est-à-dire tous ceux qui se rattachaient, soit par les hommes, soit par les femmes, au père du défunt, à savoir d'abord : les frères et soeurs et leurs enfants, puis les cousins et cousines et leurs enfants. La dévolution s'arrêtait aux enfants de cousins, et par conséquent aux petits-enfants de frères et soeurs. A égalité de degré, les mâles étaient préférés.

La seconde classe comprenait les parents de la ligne maternelle dans le même ordre.

Le jeune Eubulide appartenait donc ainsi au second ordre d'héritiers comme descendant de l'aïeul de Hagnias, tandis que Théopompe descendait seulement du bisaïeul de Hagnias. D'ailleurs, il n'était pas au delà du degré successible puisque par son père, c'est-à-dire du côté où il était le plus éloigné, il était encore enfant de cousin. Il passait donc avant Théopompe. Mais pour qu'il en fût ainsi, il fallait que Phylomaché, mère d'Eubulide II, eût été soeur de Polémon des deux côtés, paternel et maternel, car les parents de la ligne maternelle n'arrivaient qu'après ceux de la ligne paternelle. Or, c'était là le point contesté par Théopompe. Aussi, c'est le point que Sosithée s'efforce d'établir par des témoignages.

La solution du procès dépendait de ce point de fait. Sosithée y rattache une considération d'équité : c'est que les gens de la maison doivent passer avant les autres. Sans doute la loi civile ne parle pas de la maison, lorsqu'il s'agit de régler la dévolution des successions, mais l'ordre des successions n'est institué que pour assurer la perpétuité des maisons, et pour prévenir l'extinction des foyers domestiques. Or, la maison se compose de tous ceux qui vivent sous le même toit, père, mère, enfants, domestiques, et aussi les collatéraux, lorsqu'ils partagent l'habitation commune. Quand un fils de famille se mariait, il pouvait rester dans la maison de son père, ou aller dans la maison des parents de sa femme ; il pouvait aussi fonder une maison distincte et un ménage séparé, χωρὶς οἰκεῖν. C'est pourquoi Sosithée a soin de rappeler que les cinq fils de Bousélos fondèrent autant de maisons distinctes. Eubulide II appartenait par son père â la seconde, mais par sa mère il faisait partie de la première, celle de Hagnias, et probablement son père et sa mère étaient restés dans cette maison de Hagnias, de sorte qu'en devenant fils d'Eubulide II, Eubulide III entrait, par le fait, dans la maison de Hagnias. Quoique l'argument ne fût pas juridique, Théopompe en avait senti la force. Aussi prétendait-il appartenir lui-même, on ne sait comment, à la maison de Hagnias. Mais son fils Macartatos n'est ni de la même maison, ni du même dème. C'est ce que Sosithée s'attache à démontrer, et en même temps il parcourt les lois constitutives de la famille. Il montre que le droit de succéder est corrélatif â des obligations rigoureuses, que ces obligations consistent à poursuivre la vengeance, en cas de meurtre, à épouser et à doter l'épicière pauvre, à rendre les devoirs funèbres, enfin à célébrer la mémoire des morts aux jours anniversaires. Toutes ces obligations, c'est Sosithée et les siens qui les ont remplies. Macartatos y est resté étranger. Il ne peut donc prétendre â la succession, et il le sait bien, car au lieu de posséder les biens en bon père de famille, il a fait arracher plus de mille pieds d'olivier et les a vendus, quand il a vu qu'un nouvel adversaire se présentait contre lui.

Enfin, Macartatos ne peut pas contester l'adoption du jeune Eubulide, car cette adoption a eu lieu en sa présence, ainsi que la présentation de l'enfant â la phratrie, et il n'a formé aucune opposition.

L'attribution de ce discours à Démosthène est contestée par plusieurs critiques, et notamment par A. Schoefer. Tout le monde admet qu'il a été réellement prononcé. Quant aux lois et aux témoignages qui s'y trouvent rapportés, l'authenticité en a été fort attaquée, mais il n'est guère possible de la révoquer en doute aujourd'hui: En effet, une de ces lois a été récemment retrouvée sur une dalle de marbre, près de l'église métropolitaine d'Athènes. C'est la loi de Dracon; qui charge les plus proches parents de poursuivre l'auteur d'un meurtre involontaire. Le texte a été publié par Pittakis, Ἐφημέρις ἀρχαιολογικὴ n° 888; par Rangabé, Antiquités helléniques n° 259, et en dernier lieu par Koehler dans l'Hermes, Berlin 1867, p. 27. Kirchhoff, Inscriptiones atticae, t. I, p. 37, Berlin 1873, n'a fait que reproduire le travail de Koehler. Après cette découverte la question se trouve évidemment tranchée pour les lois, ce qui rend au moins probable l'authenticité des témoignages.

Quant à la date, il est plus difficile de la fixer avec certitude. Un des témoignages cités nous apprend que l'envoi en possession de Phylomaché a eu lieu sous l'archontat de Nicophème, en 364. Le procès du jeune Eubulide a du être intenté quelques années plus tard.

PLAIDOYER

[1] Ce n'est pas la première fois, juges, que nous plaidons contre les mêmes adversaires au sujet de la succession de Hagnias (01), et rien n'arrête ni leur mépris des lois, ni leurs actes de violence ; tout leur est bon pour obtenir ce qui ne leur appartient pas. C'est donc, en quelque sorte, une nécessité pour moi de vous rappeler les faits depuis le commencement. [2] Par là, juges, il vous sera plus facile de suivre tout ce que j'ai à dire, et on saura quels hommes sont mes adversaires, on verra qu'ils ont commencé depuis longtemps, qu'ils persistent sans relâche à pratiquer de mauvaises manoeuvres, à se croire en droit d'arriver à leurs fins quoi qu'ils puissent vouloir. Je vous prie donc, juges, d'écouter avec bienveillance ce que je vais dire, et de me suivre avec attention. De mon côté, je ferai tous mes efforts pour vous exposer clairement les faits.

[3] La mère de l'enfant que voici, juges, était la plus proche parente de Hagnias d'Oeon (02). Elle réclama en justice (03) la succession de Hagnias, d'après vos lois. De ceux qui lui contestèrent (04) alors cette succession, pas un seul n'osa se présenter (05) comme étant plus proche qu'elle en degré (tous reconnaissaient que la succession appartenait à cette femme selon l'ordre de dévolution) (06), [4] lorsque Glaucos d'Oeon et Glaucon son frère, vinrent avec un faux testament fabriqué par eux. Théopompe, le père de Macartatos que voici, leur prêta son concours pour commettre ce faux et, plus que personne, leur servit de témoin. Mais le testament qu'ils produisirent alors fut reconnu faux, ils perdirent leur procès, et de plus ils se virent éconduits par le tribunal, avec la réputation de fripons. Lorsque le héraut demanda si quelque prétendant à la succession de Hagnias, soit comme héritier du sang, soit comme héritier testamentaire, voulait contester ou revendiquer (07). [5] Théopompe, le père de Macartatos que voici, quoique présent, n'osa pas revendiquer, et se rendit ainsi justice à lui-même comme n'ayant aucun droit sur la succession de Hagnias. [6] La mère de cet enfant possédait donc la succession, après avoir triomphé en justice de toutes les contestations élevées contre elle, mais ces hommes ne respectent rien. Ils ne se croient pas tenus d'obéir à vos lois, ni aux jugements de vos tribunaux ; tous les moyens leur sont bons pour enlever à cette femme la succession que vous lui avez adjugée. [7] Ils se lient donc les uns envers les autres par un serment et par une convention écrite, et déposent l'acte chez Médeios de Hagnonte (08), après quoi Théopompe, le père de Macartatos que voici, Glaucon et Glaucos, qui avaient déjà succombé dans. le premier procès, un quatrième parent qu'ils s'adjoignent (son nom était Eupolémos), tous associés pour mal faire, appelèrent cette femme devant l'archonte, pour voir remettre en question la succession de Hagnias (09), disant qu'aux termes de la loi toute contestation devait être dirigée contre l'héritier proclamé en justice et détenteur de la succession. [8] Lorsque l'archonte introduisit l'affaire devant le tribunal et qu'il fallut plaider, nos adversaires se présentèrent au combat armés de toutes pièces, et la mesure de l'eau qui sert à régler la durée des plaidoiries leur fut donnée quatre fois plus forte qu'à nous. En effet, juges, l'archonte ne pouvait faire autrement que d'accorder une mesure pleine à chacune des parties, et un quart pour les répliques (10). [9] De la sorte, moi qui plaidais pour ma femme, non seulement je ne pus expliquer comme je le voulais la question de parenté ni les autres points que j'avais à établir, mais je ne pus même réfuter la moindre partie des mensonges qu'ils débitèrent contre nous, car je n'avais qu'un cinquième du temps qui nous était accordé à tous. Leur manoeuvre consistait à se prêter un mutuel appui, et à se concéder tout, de l'un à l'autre, tout en affirmant contre nous des faits faux. [10] Ils plaidèrent donc ainsi contre nous, jouant des rôles convenus à l'avance, puis quatre urnes (11) furent apportées conformément à la loi. A ce moment, les juges induits en erreur, et je ne m'en étonne pas, se partagèrent; déconcertés par la manoeuvre de nos adversaires, chacun d'eux vota au hasard, et il se trouva dans l'urne de Théopompe environ trois ou quatre voix de plus que dans celle de ma femme.

[11] Voilà, juges, ce qui s'est passé alors. Depuis, cet enfant vint au monde, et je crus devoir mettre l'occasion à profit, non par ressentiment de ma défaite, mais je pensais n'avoir pas de ménagements à garder envers ceux qui avaient plaidé contre moi. Je présentai donc cet enfant à la phratrie de Hagnias et je le donnai en adoption à Eubulide, son aïeul maternel, polir que la maison ne devint pas déserte (12). [12] En effet, juges, cet Eubulide, qui était le plus proche parent de Hagnias, demandait ardemment aux dieux qu'il lui naquît un fils, de même qu'il lui était né une fille, la mère de cet enfant que voici ; mais, déçu dans cet espoir, et voyant qu'il n'avait pas un seul enfant mâle, il songea à prendre un enfant de sa fille pour le faire entrer comme fils adoptif dans sa maison et dans celle de Hagnias, et le présenter â la phratrie de ce dernier ; il pensait, juges, qu'aucune autre personne ne pouvait lui tenir de plus près et qu'il n'y avait pas de meilleur parti à prendre pour perpétuer sa maison et empêcher qu'elle ne devint déserte. [13] Je me conformai â ces intentions lorsque j'eus épousé la fille d'Eubulide, après m'être fait reconnaître en justice comme son plus proche parent (13). Je présentai cet enfant à la phratrie de Hagnias et d'Eubulide, dans laquelle étaient entre autres Théopompe, le père de Macartatos que voici, alors vivant, et Macartatos lui-même. [14] Les membres de cette phratrie, à laquelle appartenait Macartatos, juges, mieux instruits que personne de la filiation, virent que Macartatos ne voulait pas s'aventurer de sa personne dans une contestation, qu'il n'enlevait pas l'offrande de l'autel, comme il aurait dû le faire si l'introduction de l'enfant n'eût pas été légitime, et qu'il se contentait de les pousser à oublier leur serment (14). Ils commencèrent à voter pendant que le feu consumait les offrandes, et, donnant leurs suffrages du haut de l'autel de Jupiter, protecteur de la phratrie, ils déclarèrent conformément au droit, juges, que cet enfant entrait bien et dûment, comme fils adoptif d'Eubulide, dans la maison de Hagnias. [15] Depuis ce vote de la phratrie de Macartatos, cet enfant, devenu le fils d'Eubulide, assigna Macartatos en revendication de l'héritage de Hagnias. Il se fit donner l'action par l'archonte, et désigna son frère comme agissant en son nom (15). En effet, je ne pouvais plus, juges, prendre cette qualité depuis que j'avais donné l'enfant en adoption dans la maison d'Eubulide. Et cet enfant fit son assignation, suivant la loi, de même que ceux-ci avaient assigné sa mère qui s'était auparavant fait reconnaître héritière en justice et qui possédait l'héritage de Hagnias. [16] Lis-moi la loi, aux termes de laquelle l'assignation doit être donnée â celui qui possède la succession.

LOI.

Celui qui voudra revendiquer un héritage ou une fille héritière contre la personne dont les droits ont été reconnus en justice, doit assigner cette personne devant l'archonte, comme pour toute autre action. Le revendiquant consignera la peine du plaideur téméraire. S'il se fait déclarer héritier sans avoir assigné, la déclaration qu'il aura obtenue sera nulle. Si la personne dont les droits ont été reconnus en justice est décédée, son héritier sera assigné, tant que la prescription ne sera pas acquise (16). La revendication sera dirigée contre le possesseur, à l'effet d'examiner comment il a fait reconnaître son droit à la succession qu'il détient.

Vous avez entendu la loi. J'ai maintenant, juges, une juste prière à vous adresser. [17] Si je vous prouve qu'Eubulide, cet enfant que voici, et Phylomaché, la mère de cet enfant, et la fille d'Eubulide, sont plus proches parents de Hagnias que Théopompe, le père de Macartatos; si je vous prouve qu'ils ne sont pas seulement plus proches, mais qu'il n'y a plus absolument personne dans la maison de Hagnias, si ce n'est la mère de cet enfant et cet enfant lui-même, si je fais cette preuve, je vous en prie, juges, prêtez-nous votre appui.

[18] J'avais d'abord eu la pensée, juges, d'écrire sur un tableau tous les parents de Hagnias, et de vous les montrer ainsi tous, l'un après l'autre. Mais ce tableau n'aurait pu être également aperçu par tous les juges, et il aurait échappé aux regards des plus éloignés ; il me paraît donc indispensable d'employer la parole pour vous instruire, car la parole peut arriver â tous. De notre côté, nous ferons tous les efforts possibles pour mettre la plus grande brièveté dans notre exposition de la parenté de Hagnias.

[19] Bousélos, juges, était du dème d'Oeon. Il eut cinq fils, Hagnias, Eubulide, Stratios, Habron et Cléocrite. Tous ces fils de Bousélos parvinrent à l'âge d'hommes, et leur père Bousélos partagea entre eux tous ses biens loyalement et équitablement, comme de raison. Après ce partage, chacun d'eux prit une femme, d'après vos lois, et ils eurent tous des enfants et des petits-enfants. Il y eut ainsi cinq maisons sorties de l'unique maison de Bousélos. Chacun des fils de celui-ci habita séparément dans la sienne et y procréa des descendants. [20] En ce qui concerne trois des cinq frères, fils de Bousélos, et les descendants qu'ils ont eus, à quoi bon, juges, nous donner, à vous et à moi, l'embarras d'établir la parenté de chacun? Parents au même degré que Théopompe, et tenant d'aussi près à Hagnias, de la succession duquel il s'agit, aucun d'eux ne nous a jamais troublés, ni auparavant, ni aujourd'hui; aucun d'eux n'a jamais, revendiqué contre nous ni l'héritage de Hagnias, ni l'héritière dont je suis l'époux, après l'avoir obtenue en justice. Ils savaient bien qu'ils n'avaient aucun droit à la succession de Hagnias. [21] Il me paraît donc tout à fait inutile de parler d'eux, autrement que pour mémoire. Mais pour ce qui regarde Théopompe, le père de Macartatos, et Macartatos lui-même, je suis obligé d'en parler. Au surplus, juges, ce que j'ai à dire n'est pas long. Vous avez entendu tout à l'heure que Bousélos eut cinq fils : l'un d'eux fut Stratios, bisaïeul de Macartatos, un autre fut Hagnias, bisaïeul de l'enfant que voici. [22] Hagnias eut un fils, Polémon, et une fille, Phylomaché, née du même père et de la même mère que Polémon. De Stratios, le frère de Hagnias, naquirent Phanostraté et Charidème, aïeul de Macartatos. Je vous le demande, juges, lequel est plus proche parent et tient de plus près à Hagnias? Son fils Polémon et sa fille Phylomaché, ou Charidème, fils de Stratios et neveu de Hagnias? Pour moi, je pense qu'un fils et une fille tiennent de plus près à chacun de nous qu'un neveu. Et ce n'est pas seulement parmi nous qu'on suit cette loi, c'est chez tous les peuples, Grecs ou barbares. [23] Ce point étant accordé, vous me suivrez facilement, juges, dans ce qui me reste à dire, et vous allez voir que nos adversaires sont des hommes violents et ne respectant rien. Polémon, le fils de Hagnias, eut lui-même un fils appelé Hagnias, du nom de son aïeul. Ce second Hagnias mourut sans enfants. [24] Mais de Phylomaché, soeur de Polémon, et de Philagros, à qui elle fut donnée en mariage par son frère Polémon - Philagros était cousin de Polémon, comme fils d'Eubulide, le frère de Hagnias, - de Philagros, dis-je, cousin de Polémon, et de Phylomaché, soeur de Polémon, naquit un fils, Eubulide, père de la mère de cet enfant. Tels furent les enfants de Polémon et de Phylomaché, soeur de Polémon. Quant à Charidème, fils de Stratios, il eut pour fils Théopompe, père de Macartatos que voici. [25] Eh bien, juges, je le demande encore, lequel est le plus proche parent, lequel tient de plus près à Hagnias, le premier du nom ? Est-ce Hagnias, fils de Polémon, et Eubulide, fils de Phylomaché et de Philagros ? ou Théopompe, fils de Charidème et petit-fils de Stratios? Pour moi, juges, si le fils et la fille sont au degré le plus proche, il me semble que le fils du fils et celui de la fille sont plus rapprochés que le fils du neveu et que l'enfant qui est d'une autre maison. [26] Maintenant Théopompe eut pour fils Macartatos que voici. Eubulide, fils de Phylomaché et cousin de Hagnias par son père, eut cet enfant (17), qui est à Hagnias fils de cousin par son père, puisque Phylomaché, mère d'Eubulide, et Polémon, père de Hagnias, étaient frère et soeur, issus du même père et de la même mère. Pour Macartatos que voici, le fils de Théopompe, il ne lui est né aucun enfant qui continue se maison et celle de Stratios. [27] Les choses étant ainsi, l'enfant que vous voyez est de ceux auxquels la loi donne un nom (18), et jusqu'auxquels, elle veut qu'il y ait dévolution. Il est le fils du cousin de Hagnias, car son père Eubulide était le cousin de Hagnias, de la succession duquel il s'agit. Au contraire, Théopompe, père de Macartaios que voici, aurait été bien embarrassé de dire sous quel nom Macartatos est désigné par la loi, puisqu'il était d'une autre maison, celle de Stratios.  [28] Or, juges, la succession de Hagnias ne peut pas revenir à une personne d'une autre maison, tant qu'il reste un rejeton vivant dans la maison de Hagnias ; elle ne peut pas nous être violemment arrachée comme nos adversaires s'efforcent de le faire, quoique plus éloignés en degré et ne faisant pas partie de la même maison. - C'est en effet sur ce point, juges, que Théopompe, père de Macartatos que voici, a usé d'imposture contre nous. - [29] Quels sont donc ces derniers rejetons? Ceux qui sont maintenant dans la maison de Hagnias, Phylomaché, ma femme, fille d'Eubulide, le cousin de Hagnias, et cet enfant introduit par adoption dans la maison d'Eubulide et de Hagnias. Théopompe, père de Macartatos que voici, et d'une autre maison que celle de Hagnias, a dit aux juges un mensonge énorme. Il a dit de Phylomaché, soeur de Polémon et tante de Hagnias, qu'elle n'était pas à Polémon, fils de Hagnias, une soeur née du même père et de la même mère, et de plus, il s'est donné lui-même comme étant de la même maison que Hagnias, tandis qu'il n'en a jamais été. [30] Théopompe avait beau jeu pour dire toutes ces choses. Il ne produisait aucun témoin que nous pussions discuter, et, pour appuyer ses affirmations, il avait ses complices, qui se prêtaient un mutuel secours et agissaient de concert, pour enlever à la mère de cet enfant la succession que vos suffrages lui avaient adjugée. [31] Je veux donc, juges, vous produire les témoignages établissant les faits que je viens d'exposer, d'abord celui-ci, que Phylomaché, fille d'Eubulide, a obtenu la succession contre tous, comme étant la plus proche en degré, et ensuite tout le reste. Lis la déposition.

TÉMOIGNAGE.

Tels et tels déclarent avoir été présents devant l'arbitre, sous l'archontat de Nicophème, lorsque Phylomaché, fille d'Eubulide, obtint la succession de Hagnias, contre tous ses compétiteurs.

Vous venez d'entendre, juges, que la fille d'Eubulide a obtenu, de préférence à tous les autres, la succession de Hagnias. Cette victoire n'est due ni à d'injustes manœuvres, ni à un complot. Jamais, au contraire, il n'y en eut de plus juste, car nous montrâmes que cette femme était au degré le plus proche de Hagnias, de la succession duquel il s'agit, étant fille de cousin par son père, et de la maison de Hagnias. [33] Si donc Macartatos vient vous dire que son père Théopompe a obtenu cette succession, répondez-lui, juges, que cette femme l'a elle-même obtenue et à bon droit, étant de la maison de Hagnias, et la fille d'Eubulide, cousin de Hagnias; que Théopompe n'a pas, à vrai dire, remporté de victoire, qu'il a seulement réussi par imposture, n'étant d'aucune façon de la maison de Hagnias. [34] Répondez-lui cela, juges, et ajoutez que l'enfant que voici, Eubulide, fils d'Eubulide, étant par son père fils de cousin à Hagnias, de la succession duquel il s'agit, n'a été vaincu ni par Théopompe, père de Macartatos, ni par qui que ce soit au monde. Aujourd'hui, la lutte et la contestation judiciaire sont engagées sur la succession de Hagnias entre ce fils d'Eubulide et Macartatos, fils de Théopompe. Celui des deux dont la cause vous paraîtra la plus juste et la plus conforme aux lois, celui-là, juges, obtiendra évidemment vos suffrages. [35] Lis les témoignages qui restent et qui prouvent d'abord que Phylomaché, tante de Hagnias, était à Polémon, père de Hagnias, soeur née du même père et de la même, mère. On vous lira ensuite tous les autres témoignages relatifs à la parenté.

TÉMOIGNAGE.

Tels et tels témoignent être du même dème que Philagros, père d'Eubulide, et que Polémon, père de Hagnias. Ils savent que Phylomaché, mère d'Eubulide, passait pour être soeur de père et de mère à Polémon, père de Hagnias, et ils n'ont jamais entendu parler d'un frère de Polémon, père de Hagnias.

[36] AUTRE.

Tels et tels témoignent qu'Œnanthé, la mère de leur aïeul Stratonide, était cousine issue de frère consanguin à Polémon, père de Hagnias, et ils ont entendu dire à leur père que Polémon, père de Hagnias, n'avait jamais eu de frère, qu'il avait au contraire une soeur, Phylomaché, née du même père et de la même mère, mère d'Eubulide père de Phylomaché, femme de Sosithée.

AUTRE.

Un tel témoigne être parent d'Eubulide, de la même phratrie et du même dème. Il a entendu dire à son père et aux autres parents que Polémon, père de Hagnias, n'a jamais eu aucun frère, mais bien une soeur de père et de mère, Phylomaché, mère d'Eubulide, père de Phylomaché, femme de Sosithée.

[37] AUTRE.

Un tel témoigne qu'il a pour aïeul Archimaque, qu'il a été adopté par ce dernier, et qu'il est parent de Polémon, père de Hagnias. Il a entendu dire à Archimaque et aux autres parents que Polémon, père de Hagnias, n'a jamais eu de frère, mais bien une soeur de père et de mère, Phylomaché, mère d'Eubulide, père de Phylomaché, femme de Sosithée.

AUTRE.

Un tel témoigne que Callistrate, père de sa femme, était cousin issu de frère consanguin à Polémon, père de Hagnias, et à Charidème, père de Théopompe, et que sa mère à lui était fille de cousin à Polémon: Leur mère leur a dit souvent que Phylomaché, mère d'Eubulide, était soeur de père et de mère à Polémon, père de Hagnias, et que Polémon, père de Hagnias, n'a jamais eu de frère.

[38] Lors du premier procès, juges, lorsque nos adversaires conjurés et réunis ensemble luttèrent à plusieurs contre une femme, nous négligeâmes, soit de nous procurer des témoignages écrits sur les faits qui n'étaient pas déniés, soit d'appeler des témoins, tant nous étions convaincus que nous n'avions rien à craindre de ce côté. Mais eux avaient tout mis en oeuvre, et sans scrupule, pour se préparer à cette lutte, et ils ne s'appliquèrent qu'à tromper à ce moment les juges. [39] Ils soutinrent, en effet, que Polémon, père de Hagnias, n'avait jamais eu de soeur née du môme père et de la même mère. Ils eurent assez d'impudence et de mauvaise foi pour en imposer aux juges sur un fait si considérable et si notoire, c'est sur ce point qu'ils concentrèrent tous leurs efforts, toute la lutte. Mais, aujourd'hui, nous vous produisons des témoins en nombre égal touchant la tante de Polémon et la tante de Hagnias. [40] Vienne qui voudra témoigner en faveur de Macartatos, et dire : « Polémon et Phylomaché n'étaient pas frère et soeur de père et de mère, » ou « Polémon n'était pas fils, ni Phylomaché fille de Hagnias, fils de Bousélos, » ou « Polémon n'était pas père de Hagnias, de la succession duquel il s'agit, » ou « Phylomaché, soeur de Polémon, n'était pas tante de ce même Hagnias, » [41] ou « Eubulide n'était pas fils de Phylomaché ni de Philagros, cousin de Hagnias (19), » ou « Phylomaché, qui est encore vivante, n'est pas la fille d'Eubulide, cousin de Hagnias, » ou « cet enfant n'est pas le fils de ce même Eubulide et n'est pas entré par adoption, suivant vos lois, dans la maison d'Eubulide, » ou enfin « Théopompe, père de Macartatos que voici, était de la maison de Hagnias. » Permis à qui voudra de venir déclarer telle ou telle de ces choses en faveur de Macartatos. Je sais bien qu'il ne se trouvera personne d'assez audacieux, d'assez insensé pour le faire. [42] Pour vous démontrer, juges, qu'ils n'ont dû leur premier succès qu'à leur impudence, et que leur cause n'était pas juste, greffer, lis les témoignages qui restent encore.

TÉMOIGNAGES.

Un tel témoigne qu'il est parent de Polémon, père de Hagnias. Il a entendu dire à son père que Polémon avait pour cousins issus de frères de père, Philagros, père d'Eubulide, Phanostraté, fille de Stratios, Callistrate, père de la femme de Sosias, Euctémon, qui a été archonte roi, et Charidème, père de Théopompe et de Stratoclès, qu'en outre, Eubulide, par son père Philagros, était au même degré que les enfants de Charidéme et que Hagnias, qu'enfin ce même Eubulide par sa mère Phylomaché passait pour être cousin de Hagnias, du côté paternel, étant né de la tante paternelle de Hagnias.

[43] AUTRE.

Tels et tels témoignent être parents de Polémon père de Hagnias, de Philagros père d'Eubulide, et d'Euctémon qui a été archonte roi; ils savent qu'Euctémon était frère de père à Philagros, père d'Eubulide, et qu'au moment du procès engagé sur la succession de Hagnias entre Eubulide et Glaucon, Euctémon vivait encore, qu'il était cousin issu de frère de père à Polémon, père de Hagnias, et que ni lui, ni aucun autre parent à aucun degré, ne conteste à Eubulide la succession de Hagnias.

[44] AUTRE.

Tels et tels témoignent que leur père Straton était parent de Polémon père de Hagnias, de Charidème père de Théopompe, et de Philagros père d'Eubulide. Il a entendu dire à son père que Philagros a eu pour première femme Phylomaché soeur de père et de mère à Polémon père de Hagnias, et que Philagros a eu de Phylomaché un fils Eubulide, qu'après la mort de Phylomaché Philagros a eu pour seconde femme Télésippé, que Ménesthée se trouvait ainsi être le frère d'Eubulide par son père et non par sa mère, et qu'au moment où Eubulide revendiqua la succession de Hagnias, comme plus proche en degré, aucune prétention contraire ne fut élevée sur cette succession ni par Ménesthée, ni par Euctémon frère de Philagros, ni par aucun autre parent à aucun degré.

[45] AUTRE.

Un tel témoigne que son père Archimaque était parent de Polémon père de Hagnias, de Charidème père de Théopompe, et de Philagros père d'Eubulide. Il a entendu dire à son père que Philagros a eu pour première femme Phylomaché soeur de père et de mère à Polémon père de Hagnias, et qu'il a eu de Phylomaché un fils Eubulide, qu'après la mort de Phylomaché Philagros a pris pour seconde femme Télésippé, et que Philagros a eu de Télésippé Ménesthée frère de père, mais non de mère, à Eubulide, et qu'au moment où Eubulide réclama la succession de Hagnias comme plus proche en degré, aucune prétention contraire ne fut élevée sur cette succession ni par Ménesthée, ni par Euctémon frère de Philagros, ni par aucun autre parent à aucun degré.

[46] AUTRE.

Un tel témoigne que Callistrate, père de sa mère, était frère d'Euctémon qui fut archonte roi, et de Philagros père d'Eubulide, que ceux-ci étaient cousins à Polémon père de Hagnias et à Charidème père de Théopompe. Il a entendu dire à sa mère que Polémon père de Hagnias n'avait pas eu de frère, mais qu'il avait en une soeur, Phylomaché, née du même père et de la même mère, que cette Phylomaché avait épousé Philagros, et que de leur union était né Eubulide père de Phylomaché femme de Sosithée.

[47] C'était une nécessité pour nous de vous lire ces témoignages, juges, si nous ne voulions avoir le même sort que la première fois, lorsque étant désarmés nous fûmes surpris par nos adversaires. Mais un témoignage bien plus décisif est celui que Macartatos rendra contre lui-même, lorsqu'il reconnaîtra qu'aucune part de la succession de Hagnias ne doit revenir ni à son père Théopompe, ni à lui-même, puisque Théopompe est d'un degré plus éloigné et n'appartient pas à la même maison. [48] Si on lui demandait, juges, qui est celui qui conteste à cet enfant la succession de Hagnias, il répondrait assurément Macartatos. Quel est son père ? Théopompe. Sa mère? Apolexis, fiIle de Prospaltios, sœur de Macartatos Prospaltios (20). Et quel était le père de Théopompe? Charidème. Et celui de Charidème? Stratios. Et celui de Stratios? Bousélos. Cette maison, juges, est la maison de Stratios, l'un des fils de Bousélos, et les noms que vous venez d'entendre sont ceux des descendants de Stratios. Pas un seul de ces noms ne se retrouve dans la maison de Hagnias; il n'y a même pas de ressemblance. [49] Maintenant j'interroge cet enfant, et je lui demande â quel titre il se présente pour contester à Macartatos la succession de Hagnias. La seule réponse qu'il pourrait faire, juges, c'est qu'il s'appelle Eubulide. Quel est son père? Eubulide, cousin de Hagnias. Sa mère? Phylomaché, qui était à Hagnias fille de cousin du côté paternel. Et Eubulide, qui était son père? Philagros, cousin de Hagnias (21). Sa mère? Phylomaché, tante de Hagnias. Hagnias lui-même de qui était-il fils? De Polémon. Et Polémon ? De Hagnias. Et Hagnias ? De Bousélos. [50] Cette seconde maison est celle de Hagnias, l'un des fils de Bousélos, et dans cette maison on ne trouve pas une seule fois le nom d'un des descendants de Stratios, ni même un nom qui s'en rapproche. La série se poursuit sans interruption dans la maison de Hagnias, et les noms se transmettent de génération en génération. Ainsi, partout et de toutes les manières nous trouvons la preuve que nos adversaires sont d'une autre maison, et d'un degré plus éloigné, et qu'ils n'ont aucun droit à recueillir la succession de Hagnias. Voici, en effet, à quelles personnes le législateur donne la dévolution et le droit de recueillir la succession. On va vous lire les lois.

[51] LOI (22).

Lorsque le défunt n'aura pas fait de testament, s'il laisse des filles la succession sera recueillie avec celles-ci (23); s'il n'en laisse point les biens passeront aux personnes ci-après désignées. D'abord viennent les frères issus du même père, et les enfants légitimes de frères, par représentation de leur père. A défaut de frères ou d'enfants de frères, leurs descendants héritent d'après la même règle, mais la préférence appartient aux mâles et aux descendants par les mâles, soit au même degré, soit même à un degré plus éloigné. A défaut de parents du côté du père, en deçà du degré d'enfants de cousins, les parents du défunt du côté de la mère hériteront d'après la même règle. A défaut de parents à ce degré, de l'un et de l'autre côté, le plus proche parent du côté du père recueillera la succession. Quant aux bâtards des deux sexes, il n'y a pas de dévolution en leur faveur, et ils n'ont part ni aux choses sacrées, ni aux choses saintes (24), depuis l'archontat d'Euclide (25).

[52] La loi explique tout au long, juges, dans quel ordre la succession est déférée. Ce n'est certes pas à Théopompe ni à Macartatos, fils de Théopompe, qui ne sont même pas de la maison de Hagnias. A qui donc la loi donne-t-elle la succession ? Aux descendants de Hagnias, à ceux qui sont dans sa maison. Voilà ce que dit la loi, voilà le droit.

[53] Maintenant, juges, il ne faut pas croire que le législateur, en donnant la succession aux parents, ne leur ait pas imposé des charges. Elle exige au contraire beaucoup de choses des héritiers, et ne leur permet pas de se soustraire, sous aucun prétexte, à ces obligations rigoureuses. Mais lis-leur plutôt la loi elle-même, la première.

[54] LOI (26).

Pour les filles héritières qui payent le cens de la quatrième classe (27), si le plus proche en degré refuse d'épouser celle qui lui échoit, il sera tenu de la marier avec une dot de cinq cents drachmes s'il est de la première classe, de trois cents drachmes s'il est de la seconde, de cent cinquante s'il est de la troisième, en ce non compris les biens personnels de la fille. S'il y a plusieurs parents au même degré, chacun d'eux contribuera à la dot pour sa part; s'il y a plusieurs filles, la famille ne sera pas obligée d'en marier plus d'une, le plus proche parent sera tenu de la marier ou de l'épouser. Si le plus proche parent ne l'épouse pas ou ne la marie pas, l'archonte le contraindra soit à l'épouser soit à la marier. Faute de l'y avoir contraint l'archonte devra payer mille drachmes au profit du temple de Héra. Tout citoyen pourra dénoncer (28) à l'archonte celui qui ne se conformera pas à cette loi.

[55] Vous entendez, juges, ce que dit la loi. Lorsqu'il s'agissait de savoir à qui devait être assignée, comme fille héritière, Phylomaché, mère de cet enfant, et fille de cousin à Hagnias du côté paternel, je me présentai, obéissant à la loi, et je fis valoir mes droits comme étant le plus proche parent, mais Théopompe, père de Macartatos, ne s'est même pas montré; il n'a pas contesté, sachant bien qu'il n'avait aucun droit, et cela quoiqu'il fût du même âge que moi. [56] Ne voyez-vous pas, juges, tout ce qu'il y a d'insensé dans la prétention de Théopompe, qui, sans avoir jamais élevé aucune contestation au sujet de cette fille héritière, fille de cousin à Hagnias du côté paternel, veut obtenir, contrairement aux lois, la succession de Hagnias? A-t-on jamais vu des gens plus impudents et plus infâmes? Lis les autres lois.

[57] LOIS (29).

Le droit de prononcer l'interdiction contre le meurtrier appartiendra au parent le plus rapproché en deçà du degré de cousin. Les cousins et enfants de cousins, les gendres, les beaux-frères, les membres de la phratrie se joindront à lui pour exercer la poursuite. Pour transiger, le père, le frère, les enfants, s'ils existent, doivent tous intervenir, et le refus d'un seul est un obstacle insurmontable. S'il n'existe ni père, ni frères, ni enfants, et qu'il s'agisse d'un meurtre involontaire, jugé tel par les Cinquante et un, les membres de la phratrie pourront transiger s'ils le veulent, au nombre de dix. Le choix de ces dix appartiendra aux Cinquante et un. Ils seront pris parmi les plus dignes. Cette loi s'applique même aux meurtres commis antérieurement.

S'il survient un décès dans un dème, et que personne ne fasse enlever le corps, le démarque donnera ordre aux parents d'enlever le corps, de faire les funérailles et de purifier le dème, le jour même du décès (30). [58] S'il s'agit d'un esclave, l'ordre sera donné au maître; s'il s'agit de personnes libres, à ceux qui recueillent les biens. Si le défunt ne laisse aucuns biens, l'ordre sera donné aux parents. Si les parents n'enlèvent pas le corps sur l'ordre du démarque, celui-ci devra passer marché, le jour mime, au plus bas prix possible, pour l'enlèvement du corps, les funérailles et la purification du dème. S'il néglige de passer ce marché, il devra mille drachmes d'amende au trésor public. La dépense qu'il aura faite lui sera remboursée au double par ceux qui en sont tenus. S'il n'exerce pas son recours, il sera tenu lui-même à l'égard du dème.

Ceux qui seront en retard de payer les fermages des bois sacrés de la déesse, des autres dieux, et des héros éponymes seront frappés d'atimie, eux, leurs enfants et leurs héritiers, jusqu'à parfait payement (31).

[59] Toutes ces obligations que les lois imposent aux parents c'est à nous, juges, qu'elles les imposent et qu'elles en demandent l'accomplissement. Elles ne s'adressent pas à Macartatos, ni â son père Théopompe, qui ne sont pas de la maison de Hagnias. A quel titre, dès lors, pourraient-ils être obligés?

[60] A ces lois, juges, à ces témoignages que nous produisons, Macartatos n'a rien de sérieux à opposer, mais il se plaint et crie à la persécution, parce qu'on le force à plaider alors que son père n'est plus. Il oublie, juges, que son père était mortel et qu'il a eu le sort de beaucoup d'autres, jeunes et vieux. Mais si son père Théopompe est mort, les lois ne sont pas mortes, le droit n'est pas mort, ni les juges, dont le vote décide tout. [61] Si nous plaidons aujourd'hui, si nous contestons, ce n'est pas sur le point de savoir laquelle de deux personnes est morte la première. Il s'agit de savoir s'il convient que les parents de Hagnias, cousins et enfants de cousins à Hagnias du côté paternel, soient chassés de la maison de ce même Hagnias par ceux de la maison de Stratios, qui ne sont pas parents de Hagnias au degré successible, et ne viennent qu'à un rang plus éloigné. Telle est la question qui s'agite aujourd'hui.

[62] Voici une autre loi, juges, qui va vous montrer plus clairement encore que Solon, le législateur, s'occupe longuement de la parenté, et qu'en donnant la succession aux parents, il leur impose en même temps toutes les obligations pénibles. Lis la loi.

LOI (32).

Le corps du défunt sera exposé dans l'intérieur de la maison, peu importe de quelle manière (33). Il sera enlevé le lendemain du jour de l'exposition, avant le lever du soleil (34). Lors de l'enlèvement, les hommes marcheront les premiers, et les femmes derrière. Les femmes ne pourront entrer dans la maison mortuaire ni suivre le convoi du défunt lorsque le corps sera conduit au lieu de sépulture, si elles ont moins de soixante ans, à l'exception des parentes jusqu'au degré d'enfants de cousins. Même après l'enlèvement du corps, aucune femme ne pourra entrer dans la maison mortuaire, à l'exception des parentes jusqu'au degré d'enfants de cousins.

[63] La loi ne permet à aucune femme d'entrer dans l'endroit où se trouve le défunt, si ce n'est aux parents jusqu'au degré d'enfants de cousins. Elle ne permet qu'à celles-ci de suivre le convoi jusqu'au monument funéraire. Eh bien Phylotnaché, la soeur de Polémon, père de Hagnias, était tante et non cousine de Hagnias, car elle était soeur de Polémon, père de Hagnias. Eubulide, fils de cette femme, était cousin du côté paternel à Hagnias de la succession duquel il s'agit. La mère de cet enfant que voici était la fille d'Eubulide. [64] C'est à ces parents que la loi prescrit d'assister à l'exposition du corps et de suivre le convoi, ce n'est ni à la mère de Macartatos, ni à la femme de Théopompe. Celles-ci, en effet, n'étaient pas parentes de Hagnias, elles étaient d'une autre tribu, de la tribu Acamantide, et d'un autre dème, celui de Prospalta, en sorte qu'elles n'ont même pas connu le décès de Hagnias. [65] En vérité, la prétention de nos adversaires est intolérable. Nous et nos femmes nous aurions hérité du corps de Hagnias lorsqu'il est mort, nous aurions été tenus de lui rendre les derniers devoirs, comme étant de la famille et les plus proches en degré, mais l'héritage de Hagnias défunt passerait à Macartatos, qui est de la maison de Stratios, issu d'Apolexis, fille de Prospaltios et soeur de Macartatos. Cela, juges, est contraire à toutes les lois divines et humaines.

[66] Lis-moi maintenant l'extrait de l'oracle rapporté de Delphes. Vous verrez que le dieu s'exprime, au sujet des parents, dans les mêmes termes que les lois de Solon.

ORACLE.

Que la fortune nous favorise! Le peuple athénien consulte au sujet du signe qui a été vu dans le ciel. Il demande ce que doivent faire les Athéniens, à quel dieu ils doivent offrir des sacrifices ou des prières, pour que les suites de ce signe soient heureuses. - Les Athéniens feront bien, à l'occasion du signe qui s'est montré dans le ciel, d'offrir des sacrifices à Jupiter souverain, à Athéné souveraine, à Héraclès, à Apollon sauveur, et d'offrir aux dieux leur part pour se les rendre favorables. Ils demanderont une heureuse fortune à Apollon dieu des places publiques, à Latone, à Artémis; ils feront brûler la graisse sur les places publiques, ils y placeront des cratères et y conduiront des chœurs. Ils porteront des couronnes, suivant l'usage de leurs pères, à tous les dieux, à toutes les déesses de l'Olympe, et levant les mains au ciel, la droite et la gauche, ils déposeront ces gages de reconnaissance, suivant l'usage de leurs pères. Vous offrirez des sacrifices et des dons, suivant l'usage de vos pères, au héros protecteur dont vous portez le nom. Ceux qui viendront à mourir recevront de leurs parents les derniers devoirs au jour déterminé, selon qu'il est prescrit.

[67] Vous l'entendez, juges. Les lois de Solon et l'oracle du Dieu tiennent le même langage. Il est enjoint aux parents de rendre les derniers devoirs aux enfants au jour déterminé. Mais ni Théopompe ni Macartatos n'ont pris ce soin. Ils se sont mis en possession de ce qui ne leur appartenait pas, et ils se plaignent qu'après une si longue possession (35) on leur conteste aujourd'hui l'héritage. Pour moi, juges, je pense que celui qui possède injustement le bien d'autrui n'a pas à se plaindre d'avoir possédé si longtemps, qu'il doit au contraire, savoir gré, non pas à nous, mais à la fortune, des empêchements nombreux, insurmontables, qui se sont élevés, dans l'intervalle, et qui ont retardé le procès jusqu'à ce jour.

[68] Voilà, juges, à quels hommes nous avons affaire ; ils n'ont aucun souci ni de la maison de Hagnias qui reste déserte, ni des lois qu'ils méconnaissent. Qui pourrait, par Jupiter et tous les dieux : dire toutes les infractions qu'ils commettent? On n'en finirait pas. Mais voici un fait, le plus illégal et le plus odieux de tous, qui montre bien que leur seule pensée est de s'enrichir. [69] A peine Théopompe s'était fait adjuger la succession de Hagnias, par les moyens que vous savez, et déjà il montrait qu'il était convaincu du vice de sa possession. La plus grande valeur des propriétés de Hagnias, celle qui était le plus admirée des voisins et de tout le monde, consistait dans les oliviers. Ils en ont arraché et déraciné plus de mille pieds qui rapportaient une grande quantité d'huile. Ils ont ensuite vendu le bois ainsi abattu et en ont retiré une somme d'argent considérable. Et ils ont fait cela alors que la succession de Hagnias pouvait encore être adjugée à d'autres en vertu de la même loi qui leur avait permis d'assigner la mère de cet enfant. [70] Pour preuve de ce fait qu'ils ont arraché les oliviers sur toutes les terres laissées par Hagnias, nous vous produirons les témoignages des voisins et des autres personnes appelées par nous, au moment où nous fîmes constater ces choses. Lis le témoignage.

TÉMOIGNAGE.

Tels et tels déposent qu'ils se sont rendus à Araphène (36), sur la réquisition de Sosithée, aux domaines de Hagnias, lorsque Théopompe se fut fait adjuger la succession de Hagnias, et que Sosithée leur montra les oliviers arrachés sur le domaine de Hagnias.

[71] Si en commettant ces actes, juges, ils n'avaient outragé que le défunt, ce serait déjà grave, mais il y a plus, c'est contre la ville tout entière qu'ils ont commis cet outrage et cette infraction aux lois. Vous le reconnaîtrez quand vous aurez entendu la loi. Lis la loi.

LOI.

Si quelqu'un arrache un olivier à Athènes, à moins que ce ne soit pour un temple du peuple athénien ou d'un dème, ou pour son usage personnel jusqu'à concurrence de deux pieds d'olivier par an, ou pour le service d'un défunt, il devra au trésor public cent drachmes par chaque pied d'olivier, et en outre, le dixième de cette somme à la déesse. Il devra en outre cent drachmes par chaque pied d'olivier au particulier qui intentera la poursuite. Les actions seront portées devant les archontes suivant leur compétence. Le poursuivant consignera les frais pour la part qui lui revient (37). Après la condamnation prononcée contre l'une ou l'autre des parties, les archontes devant lesquels l'affaire aura été portée feront aux agents du trésor la déclaration de ce qui revient à l'État. Ce qui revient à la déesse sera déclaré aux receveurs des biens de la déesse. Si les archontes ne font pas la déclaration, ils seront tenus de payer eux-mêmes.

[72] Vous voyez combien la loi est rigoureuse. Et maintenant, juges, faites cette réflexion en vous-mêmes, que n'avons-nous pas dû souffrir autrefois de ces gens et de leur insolence, lorsqu'au mépris de vous, tout grands que vous êtes, et de vos lois, et en violation formelle de la défense portée par les lois, ils ont commis ces dévastations sur les terres laissées par Hagnias? La loi interdit d'enlever aucun produit de ce genre, même sur un fonds transmis de père en fils. Mais en vérité il s'agit bien pour eux d'obéir à vos lois ou de veiller à ce que la maison de Hagnias ne soit pas déserte ! [73] Quant à moi, juges, je veux vous dire quelques mots de moi-même, et vous montrer que je me suis occupé tout autrement de veiller à ce que la maison de Hagnias ne soit pas déserte. Moi aussi, je suis de la race de Bousélos. Habron, fils de Bousélos, eut une fille dont la fille épousa Callistrate, fils d'Eubulide et petit-fils de Bousélos. De la petite-fille de Habron, et de Callistrate neveu de Habron, est issue notre mère. [74] Après avoir obtenu en justice la mère de cet enfant, devenu père de quatre fils et d'une fille, voici, juges, les noms que je leur ai donnés. L'allié reçut, suivant l'usage, le nom de mon père Sosias. Tel est le nom que reçut l'aîné. Celui qui vient ensuite fut appelé Eubulide, du nom du père de la mère de cet enfant. Celui qui vient après fut nominé Ménesthée. Il y avait en effet un Ménesthée parmi les parents de ma femme. Le plus jeune, enfin, s'appela Callistrate, du nom du père de ma mère. Ce n'est pas tout. Je n'ai pas voulu donner ma fille à d'autres qu'au fils de mon frère, afin que leurs enfants, s'ils en ont, soient aussi de la race de. Hagnias. [75] J'ai pris tous ces arrangements pour conserver, autant que possible, les maisons issues de Bousélos. Énumérons-les de nouveau, mais avant tout lis cette loi.

LOI.

L'archonte (38) veillera sur les orphelins, les filles héritières, les maisons devenues désertes, et les femmes qui se disant enceintes resteront dans les maisons de leurs maris décédés. Il en prendra soin et ne permettra pas qu'on leur fasse injure. Si quelqu'un leur fait injure ou commet à leur égard quelque acte défendu par la loi, l'archonte pourra le frapper d'une amende (39) proportionnée à sa fortune. Si le coupable parait mériter une peine plus forte, il l'assignera à cinq jours, en requérant une condamnation pécuniaire dont il fixera le chiffre suivant les circonstances, et introduira l'affaire devant les juges. En cas de condamnation les juges décideront quelle sommé le condamné devra payer, ou à défaut quelle peine il devra subir.

[76] Eh bien, quel plus sûr moyen de rendre une maison déserte que d'expulser les plus proches parents de Hagnias, et cela quand on est soi-même d'une autre maison, celle de Stratios? que de prétendre obtenir la succession de Hagnias à titre de parent, quand on porte un nom qui ne se trouve ni dans la maison de Hagnias, ni même dans celle de Stratios ou des autres descendants de Bousélos, si nombreux pourtant? Le nom qu'il porte ne se trouve ni dans la maison de son ancêtre, ni dans les autres. [77] D'où vient donc ce nom de Macartatos? Du côté maternel. Cet homme est entré par adoption dans la maison de Macartatos de Prospalta, frère de sa mère, et il possède aujourd'hui cette maison avec la sienne. Voyez maintenant combien il est oublieux de toute règle. Lorsqu'un fils lui est né, il n'a pas songé à le faire entrer dans la maison de Hagnias, lui, possesseur de la succession de Hagnias, et se prétendant parent de ce dernier par les mâles. [78] Cet enfant, Macartatos le donna en adoption dans la ligne de sa mère, à ceux de Prospalta, et il a contribué, autant qu'il était en lui, à laisser déserte la maison de Hagnias. Après cela il vient dire que son père Théopompe était parent de Hagnias. Mais la loi de Solon donne la préférence aux mâles et aux parents par les mâles. Lui, il n'a eu, comme vous le voyez, nul souci ni des lois ni de Hagnias, et il a fait entrer par adoption son fils dans la maison de sa mère. Peut-on pousser plus loin le mépris des lois et la violence?

[79] Ce n'est pas tout, juges. Il y a un monument funèbre commun à tous les descendants de Bousélos. On l'appelle le monument des Bousélides, c'est un vaste emplacement entouré d'une clôture, suivant l'usage antique (40). Dans ce monument reposent tous les autres descendants de Bousélos : Hagnias, Eubulide, Polémon, tous les autres membres de cette nombreuse famille issue de Bousélos. Tous ont leur part dans ce monument; [80] mais le père et l'aïeul de Macartatos que voici n'y ont aucune part. Ils se sont fait un monument séparé, loin de celui des Bousélides. Dès lors, juges, par quel lien tiennent-ils à la maison de Hagnias, si ce n'est pour s'être injustement emparés de ce qui ne leur appartient pas? Que la maison de Hagnias, que celle d'Eubulide, cousin de Hagnias demeurent désertes, que les noms mêmes s'éteignent, c'est ce dont ils n'ont jamais eu souci.

[81] C'est moi, juges, qui, dans la mesure de mes forces, prends en main l'intérêt de ces morts. Mais contre une brigue aussi forte, la lutte n'est pas facile. Je remets donc, juges, cet enfant entre vos mains. Vous ferez pour lui ce qui vous paraîtra le plus juste. Il a été introduit par adoption dans la maison d'Eubulide, il a été présenté aux membres de la phratrie, non pas de la mienne, mais de celle d'Eubulide, de Hagnias et de Macartatos que voici. [82] Au moment où il fut présenté, les autres membres de la phratrie allaient voter au scrutin secret, mais lui, Macartatos, donna ouvertement son suffrage et reconnut que cet enfant entrait régulièrement dans la maison d'Eubulide. On ne l'a vu ni saisir la victime ni l'enlever de dessus l'autel. C'eût été s'exposer à un procès, et il ne le voulait pas. Il s'est retiré, comme les autres membres de la phratrie, emportant le morceau de chair qu'il avait reçu de cet enfant. [83] Figurez-vous, juges, que cet enfant se présente devant vous pour vous supplier, au nom des morts, Hagnias, Eubulide et tous les descendants de Hagnias, que tous vous conjurent de ne pas laisser périr leur maison, en proie à ces loups dévorants qui sont de la maison de Stratios, et n'ont jamais appartenu à celle de Hagnias. Ne leur permettez pas de retenir ce qui ne leur appartient pas, forcez-les de rendre les biens à la maison de Hagnias, aux parents de Hagnias. [84] Pour moi, je défends la cause de ces morts, et des lois qui ont été faites pour eux. Je vous en prie, juges, je vous supplie et vous conjure, ne fermez pas les yeux au spectacle de cet enfant, indignement traité par ces hommes, ni de ses ancêtres qui ont déjà souffert une injure, mais qui en souffriront une bien plus cruelle encore si ces hommes obtiennent ce qu'ils veulent. Venez donc en aide aux lois, veillez sur les morts, pour que leur maison ne demeure pas déserte. Si vous faites cela vous ferez ce que demandent la justice, votre serment, votre intérêt.
 

 

(01) Nous avons encore la plus grande partie du plaidoyer d'Isée pour Théopompe, éd. Didot, XI. Lysias avait écrit un plaidoyer au sujet de la succession de Macartatos de Prospalta, éd. Didot, fragment LXXXVI.

(02)  Il y avait deux dèmes d'Oeon, l'un de la tribu Léontide, l'autre de la tribu Hippothoontide.

(03) Ἐπιδικασία τοῦ κλήρου est la demande d'envoi en possession ainsi que l'action en pétition d'hérédité.

(04)  Ἀμφισβήτησις se dit de toute action en revendication de propriété ou de succession.

(05) Ἀντωμοσία désigne le serment du défendeur. Celui du demandeur s'appelait προωμοσία.

(06)  Ἀγχισταία est la vocation légale à recueillir l'hérédité. Nous traduisons toujours ce mot par dévolution. Συγγενεία signifie la parenté, et οἰκειότης, la proximité, soit par la parenté soit par l'alliance. Il n'y a pas de termes techniques pour désigner l'agnation et la cognation. Le droit attique distingue bien entre la ligne paternelle et la ligne maternelle, mais du reste peu importe que le lien de parenté soit transmis par les hommes ou par les femmes.

(07) Παρακαταβολή, cautionnement que le demandeur est tenu de consigner pour que son action soit recevable. Les actions pour lesquelles cette formalité était exigée étaient les actions en revendication de biens confisqués par l'État, ou en revendication de successions. Dans le premier cas la consignation était du cinquième, et dans le second cas du dixième de la valeur du litige. Selon l'issue du procès, le cautionnement était rendu au demandeur ou adjugé au défendeur. Voy. Meier et Schoemann, p. 616. Par suite, παρακαταβάλλειν se prend dans le sens d'intenter l'action en revendication d'hérédité.

(08) Hagnonte, dème de la tribu Acamantide.

(09) Διαδικασία est la procédure qui doit se terminer par un jugement d'adjudication au profit d'une des parties.

(10) Le texte porte une amphore pour chacune des parties, et trois chous pour la réplique. L'amphore valait en litres 39,3. Le chous était la douzième partie de l'amphore. Voy. Hermann, t. 3, § 46, n° 11. - D'autres supposent que l'amphore était seulement de six chous, et formait la moitié du métrète. Voy. Meier et Schoemann, p. 715, et la table jointe au dictionnaire d'Alexandre. Il est en effet probable que le temps accordé était d'une heure pour la plaidoirie et de moitié pour la réplique. Voy. les discours contre Aphobos, Onétor et Stéphanos.

(11) Isée nous apprend (de Hagniae hereditate) qu'il y avait une urne pour chaque demande, en ne comptant que pour une seule demande toutes celles qui ne s'excluaient pas. Il y avait donc quatre urnes, à savoir une pour Glaucos et Glaucon, une pour Théopompe, une pour Phylomaché, et enfin une pour la mère de Hagnias. Quant à Eupolémos, il ne figurait sans doute au procès que pour appuyer la demande de Théopompe ou celle de Glaucos et de Glaucon, mais non en son nom personnel. Voy. Schœmann, ad Isaeum, p. 467.

(12) L'adoption à Athènes était fondée sur une idée religieuse. Elle avait pour objet de perpétuer les maisons et d'assurer ainsi le culte des morts.

(13) Ainsi, non seulement l'adoption n'a pas eu lieu du vivant d'Eubulide, mais à cette époque Phylomaché n'était pas encore mariée, puisque c'est à titre d'épiclère et par autorité de justice qu'elle a épousé Sosithée. L'adoption posthume était permise à Athènes ; nous en retrouvons un exemple dans le plaidoyer contre Léocharès.

(14) Les membres de la phratrie avaient un décret à rendre. Ils prêtaient serment de prononcer selon la loi. Macartatos les engageait à violer leur serment en repoussant le jeune Eubulide, mais ses conseils ne furent pas écoutés.

(15) Le jeune Eubulide était mineur. Il ne pouvait agir en justice que par le fait de son κύριος. Cette qualité appartenait d'ordinaire au père, mais précisément Sosithée avait cessé d'être père, puisqu'il avait donné son fils en adoption dans une autre famille. Il faut donc désigner une autre personne. En conséquence, l'enfant désigne son frère. Il suit de là que le jeune Eubulide avait un frère majeur, mais il n'est pas nécessaire de supposer que ce frère fût fils de Phylomaché, autrement il faudrait admettre un intervalle de dix-huit ans au moins entre le décès d'Eubulide II et l'action intentée par Eubulide III contre Macartatos, ce qui parait bien long.

(16) En droit athénien, toutes les actions se prescrivaient par cinq ans, et quelquefois même par un délai plus court. La prescription était-elle suspendue au profit des mineurs? Nous ne savons Seulement, il paraît résulter de ce passage, comme d'un texte d'Isée, De Pyrrhi hered., § 58, que la prescription de cinq ans commençait à courir seulement du jour du décès de l'héritier en possession.

(17) Eubulide II n'était père d'Eubullde III que par adoption, et encore par une adoption posthume.

(18) La parenté ne confère de droit de succession qu'autant que la loi lui donne un nom. Il faut être par exemple frère, ou cousin, ou fils de cousin.

(19) Philagros était cousin germain de Polémon père de Hagnias. Je ne crois cependant pas qu'il soit nécessaire de corriger le texte, Le mot de cousin peut très bien s'appliquer à deux générations.

(20) Il y a sans doute ici quelque confusion dans le texte. Prospalta était un dème de la tribu Acamantide. Prospaltos n'est donc pas un nom propre, c'est un surnom.

(21) Voy. la note 19.

(22) Cette loi de Solon sur les successions collatérales a donné lieu à un grand nombre d'explications contradictoires. On n'en finirait pas s'il fallait exposer et discuter toutes les opinions qui se sont produites. Nous nous bornons à rappeler qu'Il faut rapprocher de ce texte la paraphrase d'Isée, De Hagniae hered., § 1. La plupart des anciens commentateurs se sont fourvoyés ; quant aux nouveaux, leurs explications sont bien résumées dans Schelling, De Solonis legibus apud oratores atticos, Berlin, 1842, p. 104-127. Mals celui-ci a encore commis des erreurs qui sont relevées par Hermann, t. 3, § 64, et par Caillemer, le Droit de succession à Athènes. (Revue de législalion, 1874.)

(23) Σὺν ταυτῃσί. La succession passe en effet non pas à la fille, mais avec la fille, au mari de celle-ci, pour être rendre aux fils qui naîtront d'elle. C'est pourquoi, en l'absence de fils, la fille s'appelait ἐπίκληρος. Voy. Hermann, § 64, note 11.

(24) La véritable explication de cette phrase a été donnée pur M. Van den Es, De jure familiarum apud Athenienses, Leyde, 1804. La parenté un confère pas seulement un droit de succession, elle assure encore la participation aux sacrifices de famille et à certaines pratiques religieuses, τὰ ἱερά sont plus particulièrement celles qui s'adressent aux dieux, τὰ ὁσία celles qui ont les morts pour objet, comme chez les Romains sacra et religiosa. Voy, le discours contre Boeotos τῶν πᾳτρῳων ἔχεις μέρος... ἱέρων ὁσίων μετέχεις, et Isée, De Astyphil, hered, § 18.

(25) L'archontat d'Euclide correspond à l'année 427. Périclès avait fait voter une loi qui excluait du droit de cité tous ceux qui n'étaient pas nés d'un père athénien et d'une mère athénienne. Cette loi tomba presque aussitôt en désuétude. En 403 elle fut reprise par Aristophon, mais avec réserve expresse des droits acquis avant cette date. Voy. Hermann, t. I, § 118. On voit que l'orateur ne cite pas complètement le texte, car la loi d'Aristophon ne créait pas l'incapacité des enfants nés hors légitime mariage, elle l'étendait seulement.

(26) L'authenticité de cette loi est énergiquement contestée par Francke, lenische Zeitung, 1844, p. 742, par Van den Es, De jure familiarum, p. 41, et par Caillemer, le Droit de succession à Athènes, Revue de législation, 1874, p. 171. La principale objection est tirée de ce que tous les autres textes fixent uniformément le chiffre de la dot à 500 drachmes, sans distinction de classe. Mais ne pourrait-on pas répondre que la distinction des classes qui fut abolie sous l'archontat de Nausinique, en 377, était tombée en désuétude bien avant cette époque, par le seul effet du progrès de la richesse publique?

(27) On sait que Solon avait divisé le peuple en quatre classes, à savoir : 1° les pentacosiomédimnes, c'est-à-dire ceux qui récoltaient sur leur fonds 500 médimnes de grain ou 500 métrètes de vin; 2° les chevaliers, qui en récoltaient 300; 3° les Zeugites, qui en récoltaient 150, enfin 4° les thètes, ceux dont le revenu était inférieur à 150 médimnes. L'obligation d'épouser ou de doter l'épiclère n'avait lieu que lorsque l'épiclère était de la quatrième classe. La loi ne parle pas du cas où le parent était lui-même de la quatrième classe. Il est probable qu'en ce cas le parent était tenu d'épouser et n'avait pas la faculté de s'en dispenser en donnant une dot. Mais ici encore il semble que les distinctions faites par Solon durent promptement s'effacer. Voy. Térence, Phormlon, I, 2, 75 et II, 1, 65. Cette coutume rappelle le lévirat de la loi mosaïque (Deutéron., XXV, 5-10).

(28) Ἀπογραφή. C'était une forme particulière d'action publique, employée par exemple contre les débiteurs de l'État, ou contre les tuteurs suspects. Le mot signifie à proprement parler inventaire. Il est probable que la dénonciation faite à l'archonte devait être appuyée d'une sorte d'inventaire, soit des biens dissimulés, soit de la fortune du mineur, soit de la fortune de l'épiclère. La peine était une amende. Voy. Meier et Schoemann, p. 255, et Hermann, t. I, § 136. L'action intentée était l'action de mauvais traitements, γραφὴ κακώσεως.

(29) Cette loi est celle qui a été retrouvée sur un marbre, en 1843. Elle est de Dracon. Voici la traduction du texte tel qu'il a été restitué par le dernier éditeur :

 « Diognète de Phréarrhe étant greffier, Dioclès archonte (La date répond à l'année 409-408.), le conseil et le peuple ont décidé. La tribu Acamantide exerçant la prytanie; Diognète étant greffier et Euthydikos président, Athénophanès a dit : La loi de Dracon sur le meurtre sera gravée de nouveau par les graveurs des lois sur une stèle de pierre. La loi leur sera fournie par le secrétaire de la prytanie qui siégera au Conseil. Elle sera placée au-devant du portique royal. Les questeurs régleront leur salaire, selon la loi, et les trésoriers de la caisse hellénique fourniront l'argent.

Première table :

 « En cas de meurtre commis sans préméditation, la peine sera l'exil. Les archontes rois jugeront les causes de meurtre ou d'intention, chacun pendant la durée de ses fonctions. Les éphètes décideront. Pour transiger, s'il y a un père, ou un frère, ou des enfants, il faudra le consentement de tous. Le refus d'un seul prévaudra ...

 « S'il n'y a aucun de ces parents, et que le meurtre soit involontaire, et que les Cinquante et un, c'est-à-dire les éphètes, aient décidé que le meurtre a été involontaire, la permission de rentrer pourra lui être donnée par les membres de la phratrie, s'ils le veulent, au nombre de dix. Ces dix seront choisis parmi les plus dignes par les Cinquante et un. Ces dispositions s'appliquent à ceux qui ont commis des meurtres antérieurement à la présente loi. L'interdiction contre le meurtrier sera prononcée dans l'agora, par les parents en deçà du degré de cousin. Les cousins, les fils de cousins, les gendres, les beaux-frères, les membres de la phratrie concourront à la poursuite »

(Le reste de l'inscription répond aux lois citées par Démosthène contre Leptine, § 158, et contre Aristocrate, § 37.)

Aux termes de cette loi de Dracon, une des obligations de la parenté consistait à poursuivre la vengeance du meurtre. La loi impose ce devoir au plus proche parent. La transaction dont il s'agit ici n'est autre chose que le prix du sang, le wergeld des anciens Germains, la dîa des Arabes. Cette institution qui se fondait sur d'anciennes idées religieuses fut maintenue par Solon. Voy. Hermann, t. I, § 104, et Schelling, p. 69.

Προείπειν indique la défense par laquelle le poursuivant interdit au meurtrier l'accès des lieux sacrés ou publics.

(30)  Sur les funérailles et les purifications voy. Hermann, t. 3, § 39.

(31) Il semble au premier abord que cette dernière disposition ne se rattache par aucun lien à la précédente; mais, comme le fait très bien remarquer G. Schaefer, c'est au moyen des fonds provenant de la location des bois sacrés que l'archonte pourvoyait aux frais des inhumations, sauf son recours contre les familles. La disposition dont il s'agit est donc bien à sa place.

(32) Voy. Hermann, t. 3, § 39, notes 17 et 27.

(33) C'est le sens donné par Reiske. D'autres traduisent  « comme le défunt aura voulu  ». Mais la loi n'a pas à s'occuper ici de la volonté du défunt; c'est une loi de police. C'est à l'héritier qu'elle adresse ses prescriptions.

(34) Voy. les textes cités par Hermann, t. III, § 39, note 18. C'était une idée religieuse. On prévenait le lever du soleil

de peur que ses rayons, aux vivants destinés,
par des yeux sans regard ne fussent profanés.

(35) Voici encore un exemple de la longue possession invoquée comme moyen de défense. Ce n'est pas à proprement parler un moyen de droit. Les Athéniens ne connaissaient pas l'usucapion ou prescription à l'effet d'acquérir, c'était une considération livrée à l'appréciation souveraine des juges. C'est de là qu'est sortie la longi temporis possessio du droit romain. Voy. notre Essai sur le traité des lois de Théophraste, p. 31.

(36) Araphène, un des dèmes de la tribu Aegéide.

(37) L'action était à la fois publique et privée, puisque la condamnation se partageait entre le trésor public et le poursuivant. C'est pourquoi ce dernier était tenu de consigner les frais, πρυτανεῖα, comme en matière civile, tandis que pour les actions publiques il suffisait de consigner la παράστασις une drachme. Meier et Schœmann, p. 613. Les prytanies étaient ainsi fixées : de 100 à 1,000 drachmes, 3 drachmes; de 1,000 à 10,000 drachmes, 30 drachmes, et ainsi de suite. La consignation était restituée au gagnant par le perdant, et le tout profitait aux juges. Voy. Hermann, t. I, § 140, et Bœckh, t. I, p. 369.

(38) L'archonte par excellence, c'est-à-dire l'archonte éponyme. Voy. Meier et Schœmann, p. 42.

(39) Ἐπιβολή est l'amende de police que les magistrats ont le droit d'infliger, sans jugement. Voy. Hermann, § 137, note 10.

(40) Sur les sépultures de famille des Athéniens voy. Hermann, t. III, § 40, note 13.