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table des matières de l'œuvre DE DÉMOSTHÈNE

 

DÉMOSTHÈNE

 

XXII

 

POUR LA SUCCESSION D’HAGNIAS.

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

texte grec

autre traduction de ce discours

 

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Puisque nous avons déjà eu plusieurs procès à soutenir contre les mêmes adversaires pour la succession d’Hagnias; puisque, toujours violents, toujours méprisant les lois,[1] ils prétendent, à tout prix, garder une fortune usurpée, je me vois contraint, ô juges! à remonter à l’origine de ces débats. Par là, vous suivrez sans peine tout mon discours, et je démasquerai des fourbes qui, par des intrigues anciennes, persévérantes, veulent assouvir toutes leurs cupides fantaisies. Je vous prie donc, ô juges! de me prêter une attention bienveillante et soutenue. Je vais réunir tous mes efforts pour répandre sur l’exposé des faits la plus grande clarté.

La mère de l’enfant que vous voyez a réclamé l’héritage d’Hagnias dont elle était la plus proche parente. Elle eut des concurrents; aucun ne se prétendit uni au défunt par des liens plus étroits; aucun ne lui disputa la succession à titre de proximité. Mais Glaucos, du dême d’Oïon, Glaucon son frère, et Théopompe, père de Macartatos, ici présent, Théopompe, instigateur de toutes ces cabales, et auteur de la plupart des dépositions, présentaient un testament fabriqué par eux-mêmes. La fausseté de cette pièce fut reconnue; ils perdirent leur cause; ils perdirent plus, l’estime publique. Théopompe était là lorsque le héraut demandait à haute voix si quelqu’un voulait, sur consignation,[2] disputer l’héritage d’Hagnias à titre de parenté ou en vertu de volontés dernières: mais il n’osa le faire et prononça ainsi sa propre déshérence.

La mère de cet enfant était donc saisie de la succession qui lui était juridiquement dévolue contre plusieurs prétendants. Trop téméraires pour fléchir sous les lois et sous vos arrêts, ceux-ci reviennent à la charge: tous les moyens seront bons pourvu qu’ils arrachent cet héritage des mains d’une faible femme. Le père de notre adversaire, Glaucon, Glaucos, vaincus, mais non intimidés, forment une ligue nouvelle, rédigent un traité qu’ils déposent chez Médéos d’Agnonte; et, renforcés d’un de leurs amis, appelé Eupolème, ils attaquent, de concert, Phylomaqué, et la citent devant l’archonte aux fins de restituer la succession. Quel droit alléguaient-ils? un simple prétexte la loi, disaient-ils, permet à tout plaideur d’assigner celui qui a recueilli une succession, même par jugement. Action donnée par le magistrat, les plaidoiries commencèrent; les fourbes avaient sur nous deux avantages, l’intrigue et le temps. Par devoir, ô juges! l’archonte accorda à chacun des demandeurs autant de temps qu’au défendeur qui était seul. Parlant pour la femme, je ne pouvais comparer à loisir, devant le tribunal, les degrés de parenté des parties, développer mes moyens, réfuter un seul des mensonges dont on nous accablait: c’était la lutte de quatre contre un véritable guet-apens, où une bande d’agresseurs, armée de calomnies, nous frappait à coup sûr. Grace à cet habile et coupable manège, les juges égarés, comme l’on peut penser, étaient divisés d’opinion. Une majorité se forma sous l’influence de tant de déceptions; et l’on vit sortir de l’urne trois ou quatre bulletins de plus en faveur de Théopompe.

Voilà, ô juges? comment les choses se passèrent alors. La naissance de cet enfant était une occasion de réparation. Indigné de la sentence extorquée par nos adversaires, et convaincu que la religion des magistrats avait été surprise, je fis entrer dans la section d’Hagnias le jeune Eubulide, arrière-petit-fils de sa fille, pour perpétuer sa descendance. Le plus proche parent, nommé aussi Eubulide, déjà père d’une fille, qui est la mère de mon jeune client, demandait aux dieux un fils. Son désir ne fut pas accompli: il souhaita du moins que son petit-fils fût adopté par la branche des Hagnias, et qu’il entrât dans sa section; car il voyait dans cet enfant son plus proche héritier, celui qui, mieux que nul autre, pouvait prévenir l’extinction de sa race. Epoux de sa fille, qui était ma cousine, je me conformai à ses vœux. Je présentai l’enfant à la section d’Eubulide et d’Hagnias, qui comptait parmi ses membres Théopompe, et qui compte encore Macartatos. Les chefs de la section connaissaient le petit Eubulide dont la filiation était notoire; ils voyaient Macartatos, peu disposé à courir les chances d’une opposition, laisser la victime à l’autel, et consentir, par son silence, à l’adoption demandée: ils repoussèrent donc les sollicitations parjures que celui-ci leur avait adressées; et, devant les entrailles fumantes de la victime, prenant les bulletins sur l’autel de Jupiter, protecteur de nos sections, ils prononcèrent la juste et légale admission du candidat dans la branche d’Hagnias, à titre d’enfant adoptif d’Eubulide. Cette décision prise dans la section de Macartatos, le nouveau fils d’Eubulide essaya de réclamer les biens laissés par Hagnias. Victorieuse après les premiers débats, sa mère s’était fait adjuger cet héritage; Théopompe et ses amis l’en avaient ensuite dépouillée. C’est au nom de la loi invoquée par ces derniers que le jeune Eubulide se présente à son tour. Il a fait assigner Macartatos devant l’archonte. Inadmissible sous le nom de celui qui avait donné une nouvelle famille au demandeur, l’action a été intentée au nom de mon frère.

Lis-nous la loi qui permet d’assigner celui qui a recueilli un héritage.

Loi.

Celui qui dispute une succession ou une héritière après l’adjudication qui en a été faite, devra signifier une citation par devant l’archonte, comme pour toutes les réclamations judiciaires. Le demandeur déposera une somme en garantie. Faute de remplir ces formalités, sa revendication sera nulle et non avenue. Si le possesseur de la succession est mort, son héritier pourra être poursuivi de la même manière tant que la prescription ne sera pas acquise.[3] Le demandeur montrera ses titres au magistrat, comme a fait le défunt, dont son adversaire a recueilli les biens.

Vous avez entendu la loi : voici maintenant ma juste prière, ô juges! toute ma cause se réduit à prouver que le jeune Eubulide et Phylomaqué sa mère, fille d’Eubulide, sont plus proches parents d’Hagnias que Théoponipe, père de Macartatos. Cependant je ferai plus, je démontrerai qu’il ne reste, de la branche d’Hagnias, que l’enfant et sa mère. Cela fait, je vous demande, ô juges! de nous venir en aide. J’avais d’abord pensé à rédiger un tableau de cette grande famille pour la suivre dans le développement de toutes ses branches; mais j’ai réfléchi que le tribunal entier n’aurait pu le voir nettement, que ses membres les plus éloignés n’auraient rien distingué; et je me suis borné à la parole qui frappe à la fois toutes les oreilles. J’essaierai donc de vous exposer, avec une grande précision, toute cette généalogie.

Busélos, ô juges! était du dême d’Oïon; il eut cinq fils, Hagnias, Eubulide, Stratios, Habron, Cléocrite; tous atteignirent l’âge mûr; et leur père distribua entre eux ses biens avec toute l’équité convenable. Ce partage fait, chacun d’eux contracte un mariage légitime, et eut enfants et petits-enfants. De Busélos, comme d’une souche unique, sortirent cinq branches qui, distinguées et séparées, produisirent chacune leur race particulière.

Je ne surchargerai pas votre attention et la mienne de la descendance de trois fils de Busélos. Là, aucun membre, placé au même degré que Théopompe, ne nous a, jusqu’à ce jour, inquiétés sur nos droits à l’héritage d’Hagnias, ni sur mon mariage.[4] Ils savent toua qu’ils n’ont rien à démêler ici. Voilà donc trois branches que je laisse de côté pour le moment; je n’en parlerai que quand ma cause l’exigera. Quant à Théopompe, père de notre adversaire, quant à Macartatos lui-même, force est d’en parler. Juges, je serai court.

Busélos, je l’ai dit, eut cinq fils; nous en distinguerons deux : Stratios, bisaïeul de Macartatos, et un premier Hagnias, trisaïeul maternel de ce jeune enfant. D’Hagnias et d’une même mère, naquirent Polémon et Phylomaqué. Stratios eut une fille, Phanostrate, et un fils, Charidème, aïeul de Macartatos.

Or, je vous le demande, ô juges! lequel touche de plus près à Hagnias, de Polémon, son fils, et de Phylomaqué, sœur de Polémon; ou de Charidème, fils de Stratios, neveu d’Hagnias? Nos propres enfants ne nous sont-ils pas unis par des liens plus étroits que les enfants d’un frère? N’est-ce pas une règle reconnue et de tous les Hellènes et de tous les Barbares?

Cela posé, notre route devient facile: vous allez sentir, dans toute leur étendue, la violence et l’audace de nos adversaires.

Polémon eut un fils en qui revivait le nom de son aïeul. Ce second Hagnias mourut sans enfants. Philagros, fils du premier Eubulide, neveu du premier Hagnias, reçut eu mariage, des mains de son cousin Polémon, Phylomaqué sa sœur. De là naquit Eubulide, aïeul maternel de mon client. Telles furent les descendances de Polémon et de la première Phylomaqué. Macartatos remonte à Stratios par Théopompe et par Charidème.

Je vous le demande encore ô juges! entre Hagnias, fils de Polémon, Eubulide, fils de Phylomaqué, et Théopompe, descendant de Charidème au premier degré, de Stratios au second, quels sont les plus proches parents de l’ancien Hagnias? ne sont-ce pas les premiers? Cela demeurera incontestable, tant qu’un fils et une fille seront notre propre sang; tant que l’enfant d’un fils ou d’une fille seront plus rapprochés de nous que l’enfant d’un neveu, qui appartient presque à une autre famille.

Macartatos, que vous voyez, est donc né de Théopompe son jeune antagoniste est l’enfant adoptif d’Eubulide, fils de Phylomaqué, et cousin d’Hagnias par sa mère. Par son nouveau père, il est petit-cousin d’Hagnias, puisque sa mère était sœur germaine de Polémon. Le fils de Théopompe ne prétend pas, sans doute, appartenir et aux Hagnias et aux Stratios.

Les choses étant ainsi, cet enfant possède un titre légal, et il est à un degré où, d’après la loi, il y a successibilité. Ce titre est celui de fils d’un cousin germain d’Hagnias, dont la succession est débattue. Le père de Macartatos n’a pu rendre son fils habile à hériter, car il appartient à une autre branche, celle des Stratios. Une autre branche! la succession est, pour elle, chose étrangère. Tant qu’il restera un Hagnias, tous les Stratios en sont exclus; aucun d’eux ne doit, à l’exemple de nos adversaires, se prévaloir d’un titre éloigné pour chasser violemment les héritiers légitimes. Sur cette question, Théopompe a fait trébucher la justice.

Quels sont donc les membres vivants de la branche d’Hagnias? Phylomaqué, mon épouse, fille d’Eubulide, cousin germain du deuxième Hagnias; et cet enfant, admis dans cette branche comme étant un Eubulide. Étranger à cette branche, le père de Macartatos a surpris les juges par une grossière imposture; il a dit: La tante du second Hagnias n’était pas sœur germaine de Polémon, fils du premier Athénien de ce nom; et moi, je suis un rameau de la branche d’Hagnias. Mensonges, ô juges! mensonges que cet homme lançait avec pleine sécurité, sans présenter un seul témoin responsable, et soutenu par la cabale qui, voulant emporter d’assaut ce procès, travaillait ardemment à dépouiller la mère du jeune Eubulide, d’un héritage qui lui était dévolu par sentence.

Je veux, ô juges! Vous soumettre les dépositions à l’appui de ce que je viens de dire. On attestera d’abord que Phylomaqué, fille d’Eubulide, a obtenu juridiquement la succession contestée, à raison de son degré de parenté: toutes mes autres allégations seront successivement confirmées. — Lis les dépositions.

Première Déposition.

[5]……………………………Attestent qu’ils étalent présents devant l’arbitre, sous l’archonte Nicophème, lorsque Phylomaqué, fille d’Eubulide, gagna son procès contre tous les prétendants à la succession d’Hagnias.

Vous l’avez entendu, ô juges! la fille d’Eubulide a obtenu juridiquement cet héritage. L’intrigue n’a été pour rien dans ce résultat; la justice a tout fait; son titre a prévalu, celui de plus proche parente d’Hagnias; celui de fille d’un cousin d’Hagnias; celui de membre de la branche d’Hagnias. Macartatos ne manquera pas de dire: Un jugement a fait passer dans les mains de mon père l’héritage qu’on me dispute. Vous lui répondrez, vous: Il est vrai; mais, avant Théopompe, Phylomaqué avait aussi été envoyée en possession; et le droit de cette femme était solidement établi. N’était-elle pas fille d’Eubulide, d’un cousin germain du défunt? Pour Théopompe, que sa naissance a placé dans une branche différente, c’était un intrus, un fripon. A-t-il obtenu, dis-nous, un arrêt contre le jeune fils d’Eubulide, petit-cousin d’Hagnias par son père? quelque autre en a-t-il obtenu? Dans cette arène, nous ne voyons aujourd’hui que deux combattants, le fils d’Eubulide et le fils de Théopompe. Le bon droit, la raison feront seuls incliner notre balance.

On va lire le reste des attestations concernant le degré de parenté; on commencera par celles qui établissent que Phylomaqué, tante du second Hagnias, était sœur germaine de Polémon, père du même Hagnias.

Dépositions.

………………………Attestent ce qui suit:

Nous sommes du même dême que Philagros, père d’Eubulide, et que Polémon, père d’Hagnias. Il est notoire pour nous que Phylomaqué, mère d’Eubulide, passait pour sœur germaine de Polémon, père d’Hagnias.

Nous n’avons jamais ouï dire que Polémon, fils du premier Hagnias, ait eu un frère.

………………………Déposent qu’OEnanthé, mère de leur aïeul Stratonide, était cousine germaine de Polémon, père d’Hagnias; qu’ils ont appris de leur propre père que Polémon, père d’Hagnias, n’avait jamais eu de frère, mais bien une sœur germaine, Phylomaqué, mère d’Eubulide, de qui est née la seconde Phylomaqué, mariée à Sosithée.

………………………Déposent en ces termes:

Je suis parent d’Hagnias et d’Eubulide j’appartiens à leur dême et à leur section. Mon père et d’autres membres de la famille m’ont dit que Polémon, père d’Hagnias, n’avait point eu de frère; mais qu’il avait pour sœur, dans les deux lignes, Phylomaqué, mère d’Eubulide, père de l’autre Phylomaqué, épouse de Sosithée.

                                …Atteste ce qui suit :

Archiloque, mon aïeul, qui m’a adopté, était parent de Polémon, père d’Hagnias. Je lui ai entendu dire que ce Polémon avait eu, non un frère, mais une sœur germaine, Phylomaqué, mère d’Eubulide, de qui est née l’autre Phylomaqué, que Sosithée a épousée.

……………………….Certifie que Callistrate, son beau-père, était cousin germain de Polémon, père d’Hagnias, et de Charidème, père de Théopompe; que sa mère était petite-cousine de Polémon, et qu’elle lui a dit souvent: La mère d’Eubulide, Phylomaqué, a, pour frère germain, Polémon, père d’Hagnias; et jamais on n’a connu de frère à ce même Polémon.

Dans les premiers débats, ô juges! lorsque nos nombreux antagonistes conspirèrent la ruine d’une femme, nous ne fîmes rédiger aucune preuve testimoniale, nous ne produisîmes aucun témoin pour constater ce qui était authentique. L’ennemi, au contraire, avait préparé toutes ses armes: l’habile mensonge, l’audacieuse calomnie trompèrent le tribunal. On alla jusqu’à soutenir que Polémon, père d’Hagnias, n’avait pas eu de sœur germaine. Etait-il possible d’altérer plus effrontément un fait aussi grave et aussi notoire? C’est là que les fourbes concentraient presque tous leurs efforts. Aujourd’hui, notre marche est différente: pour certifier l’état de la sœur de Polémon, de la tante d’Hagnias, nous présentons des témoins. Le défenseur de Macartatos n’a donc que le choix entre toutes ces propositions également mensongères:

Polémon, Phylomaqué n’égaient pas frère et sœur germains;

Polémon, Phylomaqué n’avaient pas, pour père, Hagnias; pour aïeul, Busélos;

L’autre Hagnias, dont nous revendiquons l’héritage, ne descendait pas, au premier degré, de Polémon;

Phylomaqué n’était pas tante du même Hagnias;

Eubulide ne naquit point du mariage de Phylomaqué avec Philagros, cousin d’Hagnias;

La seconde Phylomaqué n’est pas fille du second Eubulide, encore cousin d’Hagnias; et la maison d’Eubulide n’a pas adopté son jeune fils, en se conformant aux lois;

Enfin, la branche d’Hagnias comptait parmi ses membres Théopompe, père de Macartatos.

Je défie le plus intrépide imposteur d’oser appuyer de son témoignage une seule de ces étranges assertions. On allègue un premier succès! il fut, je le répète, l’œuvre de l’audace et de la calomnie; achevons de le prouver par la lecture de nos dernières dépositions.

Dépositions.

………………………..Déclare être parent de Polémon, père d’Hagnias; et tenir de son propre père que Philagros, père d’Eubulide; Phanostrate, fille de Stratios; Callistrate, aïeul maternel de Sosithée; Euctémon, ancien archonte-roi; et Charidème, père de Théopompe et de Stratoclès, étaient cousins et cousines de Polémon, du côté des mâles; que, par Philagros, Eubulide était parent, au même degré, avec les fils de Charidème et avec Hagnias; que, per Phylomaqué, sa mère, le même Eubulide passait peur être cousin du même Hagnias, vu qu’il était fils d’une tante paternelle de ce dernier.

…………………………Attestent ce qui suit:

Nous appartenons à la famille de Polémon, père d’Hagnias; de Philagros, père d’Eubulide; d’Euctémon, ancien archonte-roi. Il est à notre parfaite connaissance qu’Euctémon était frère consanguin de Philagros; que, lors de la demande d’Eubulide pour la succession d’Hagnias, le cousin de Polémon, père de ce dernier, Euctémon vivait encore; et que cet héritage ne fut alors disputé au réclamant, à titre de proximité plus grande, ni par Euctémon, ni par personne.

……………………….Déposent qu’ils sont fils de Straton, parent de Polémon, de Charidème et de Philagros, qui étaient père, le premier d’Hagnias, le second de Théopompe, le troisième d’Eubulide; et qu’ils ont recueilli de la bouche de leur propre père ce qui suit :

Philagros avait épousé en première noces Phylomaqué, sœur germaine de Polémon, père d’Hagnias; de cette union naquit Eubulide. Après la mort de Phylomaqué, Philagros prit une autre femme, nommée Télésippe, qui lui donna un fils Ménesthée, frère consanguin du même Eubulide. Lorsque celui-ci revendiqua, à titre de parenté, les biens laissés par Hagnias, il n’eut personne pour concurrent, pas même Ménesthée ni Euctémon.

……………………….Affirme que son père Archimaque était uni par le sang à Polémon, père d’Hagnias; à Charidème, père de Théopompe; à Philagros, père d’Eubulide. Il certifie avoir ouï dire à Archimaque que Philagros avait d’abord épousé Phylomaqué, sœur germaine de Polémon, père d’Hagnias; que, de sa première femme, il a eu Eubulide; que, celle-ci morte, il s’est remarié à Télésippe; que, de ce second lit, naquit Ménesthée, frère d’Eubulide, du côté paternel seulement; qu’enfin, pendant l’instance d’Eubulide pour être envoyé en possession de l’héritage d’Hagnias, dont il était le plus proche parent, Ménesthée, Euctémon, frère de Philagros, et tous les membres de la famille ont respecté en silence les droits du demandeur.

………………………..Constate que Callistrate, son aïeul maternel, était frère d’Euctémon, ancien archonte-roi, et de Philagros, père d’Eubulide; qu’Euctémon et Philagros étaient cousins de Polémon, père d’Hagnias, et de Charidème, père de Théopompe; que sa mère lui a dit souvent: Polémon n’a jamais eu de frère, mais une sœur germaine, que nous appelions Phylomaqué. Cette sœur, mariée à Philagros, est devenue mère d’Eubulide, qui eut aussi, une fille du nom de Phylomaqué, maintenant femme de Sosithée.[6]

La lecture de toutes ces dépositions devenait indispensable. Il importait d’éviter l’écueil où nous sommes une fois tombés, et de ne pas être pris au dépourvu par nos adversaires; mais le témoin dont la déposition sera la plus manifeste, la plus décisive, n’a pas encore été entendu: c’est Macartatos; il avouera lui-même que Théopompe, son père, n’a aucun droit à la succession d’Hagnias, que, plus éloigné que nous, il n’appartient même pas à cette branche.

Je suppose, ô juges! qu’on vous adresse ces questions:

Quel est le concurrent du jeune Eubulide à l’héritage d’Hagnias ? — C’est Macartatos, répondrez-vous. — De qui Macartatos est-il fils? — de Théopompe. —. Quelle est sa mère? — Apolexis, fille de Prospaltios, sœur consanguine d’un Macartatos. — Le père de Théopompe ? — Charidème. — Le père de Charidème? —Stratios. — Le père de Stratios? — Busélos.

Ainsi se résume la famille de Stratios, un des fils de l’ancêtre commun, telle est toute sa descendance. Ici, vous n’entendez aucun des noms qui appartiennent à la branche d’Hagnias.

Maintenant j’interroge mon jeune client: Qui dispute à Macartatos la fortune d’Hagnias? — Moi-même, Eubulide. —Quel est ton père? —Un cousin d’Hagnias, qui m’a donné son nom. — Ta mère? — Phylomaqué, petite-cousine d’Hagnias du côté paternel. — De qui Eubulide était-il fils? — De Philagros, cousin d’Hagnias. — Quelle était sa mère? — Phylomaqué, tante d’Hagnias. — Le père d’Hagnias? — Polémon. — Le père de Polémon? — Un premier Hagnias. — Le père de celui-ci? — Busélos.[7]

Telle est la branche aînée sortie de cette grande souche. Hagnias, toujours Hagnias? Pas un des noms portés par l’autre branche !

Sur tous les points, de toutes manières, voilà nos adversaires réduits à l’impossibilité d’établir leur droit. Leur branche n’est pas la nôtre; leur degré est inférieur au nôtre. Rien, absolument rien, dans les biens d’Hagnias, ne doit leur appartenir.

Qu’on lise la loi sur les successions collatérales.

Loi.

« L’héritage du citoyen mort sans avoir testé, et laissant des filles, ne sera recueilli qu’à la charge de prendre les filles elles-mêmes. S’il n’en laisse pas, voici quels sont les héritiers:

« S’il y a des frères germains, ils héritent par égales portions. S’il y a des enfants légitimes de frères, ils partagent entre eux la portion paternelle.

« A défaut de frères et de neveux, les sœurs germaines sont appelées à partager également la succession. Les enfants légitimes de sœurs se divisent la part de leur mère.

« A défaut des collatéraux ci-dessus désignés, les cousins et cousines, les petits-cousins et petites-cousines, dans la branche paternelle, héritent de la même manière ; à degré égal, même à un degré plus éloigné, les mâles et les enfants des mâles ont la préférence.

« Si l’on ne peut descendre, du côté du père, jusqu’aux petits-cousins, la succession est déférée aux collatéraux maternels, dans l’ordre qui vient d’être prescrit.

« Lorsque, dans l’une et l’autre ligne, il n’existe point de collatéral au degré susdit, le plus proche du côté du père est l’héritier légitime.

« Depuis l’archontat d’Euclide, les enfants naturels des deux sexes ne sont point héritiers; ils n’ont part à aucun des objets sacrés ou civils de la succession.

Cette loi désigne nettement, ô juges? ceux qui ont droit à l’héritage. Y a-t-elle appelé Théopompe ou Macartatos? pas plus l’un que l’autre! ils ne sont point de la branche successible. A qui accorde-t-elle les biens d’Hagnias? aux descendants d’Hagnias, à la branche du premier Hagnias. Tel est le langage de la loi; tel est le droit en vigueur.

Voilà, ô juges! de brillants avantages déférés aux plus proches parents. Sont-ils dégagés de tonte obligation? Loin de là, ils en ont beaucoup à remplir; nul motif, nul prétexte ne peut les en dispenser. On va vous lire une première loi sur cette matière.

Loi.

« Si le collatéral le plus proche ne veut pas épouser une des pupilles, payant le cens des thètes,[8] qu’il la marie; et, s’il est pentacosiomédimne, qu’il lui assigne, en dot, outre son bien propre, cinq cents drachmes; s’il est chevalier, trois cents; s’il est zeugite, cent cinquante.

« Si la pupille a plusieurs parents au même degré, chacun deux doit contribuer à son établissement.

« S’il y a plusieurs pupilles, le plus proche collatéral ne sera tenu d’en établir qu’une: il la mariera, ou il l’épousera lui-même.

« En cas de contravention, l’archonte veillera à faire exécuter la disposition précédente. L’archonte qui manquera à ce devoir paiera mille drachmes au profit du trésor du temple de Junon. Tout citoyen pourra traduire le délinquant devant ce magistrat.

Vous entendez, ô juges! ce que dit la loi; il fallait réclamer Phylomaqué, petite-cousine d’Hagnias par son père: je me suis présenté; j’ai montré mon titre de plus proche parent; j’ai reçu la main de cette femme; enfin, j’ai obéi à la loi. Le père de Macartatos, du même âge que moi, n’a point paru; il n’a pas recherché un mariage auquel sa naissance ne l’appelait point. Ainsi, par un absurde partage, les bénéfices de la succession ont été pour lui, les charges pour moi; il a recueilli l’héritage, et moi la pupille. Sa conduite n’est-elle pas une insulte à la loi? Peut-on pousser plus loin l’impudence et l’audace? — Lis d’autres lois.

Lois.

« Le meurtrier sera accusé par les pères, frères, fils, oncles du mort, auxquels se joindront ses gendres, beaux-pères, cousins, enfants de cousins, et les citoyens de sa section.

« Si un accommodement est proposé, il devra être consenti à la fois par le père du mort, par ses frères et enfants: un seul opposant suffira pour rendre la transaction impossible.

« En cas de prédécès des père, frères et enfants du défunt, dix citoyens de sa section pourront conclure l’accommodement, pourvu qu’il n’y ait pas eu guet-apens, et que le tribunal des Cinquante-un[9] l’ait décidé. Ces dix citoyens seront choisis par ce même tribunal, parmi les premiers de leur dême.

« Ces mesures sont applicables même aux meurtres commis avant la promulgation de la présente loi.

« Si un homme est trouvé mort dans un dême de l’Attique, et que personne n’enlève le cadavre, le démarque donnera ordre à ses parents de l’enlever, de l’ensevelir, et de purifier le dême. Cet ordre émanera du jour même où le cadavre aura été trouvé.

« Si le cadavre est celui d’un esclave, l’ordre sera notifié à son maître; d’un homme libre, à l’intendant de ses biens d’un citoyen indigent, à sa famille.[10]

« Dans ce dernier cas, si la levée du cadavre n’est pas faite par les parents, le démarque paiera quelqu’un pour la sépulture ; la purification du dême se fera au plus bas prix. En cas de contravention de la part de ce magistrat, il sera condamné à mille drachmes au profit du Trésor.

« Le démarque fera rembourser par qui de droit le double de ses frais: sinon, c’est lui qui deviendra débiteur envers son dême.

« Quiconque ne satisfera pas aux obligations pécuniaires ci-dessus prescrites, ou ne contribuera point à la location des bois consacrés à Minerve, aux autres dieux, aux héros protecteurs d’Athènes, encourra la mort civile, qui se transmettra à sa race, jusqu’à ce qu’il y ait eu paiement.

Toutes ces prescriptions légales adressées aux parents, c’est à nous qu’elles s’adressent; elles ne contiennent absolument rien pour Théopompe, rien pour Macartatos. Comment, en effet, pourraient-elles concerner des citoyens étrangers à la branche d’Hagnias?

Muet devant les lois, muet devant les dépositions que je lui oppose, Macartatos fera éclater son indignation sur un autre point. Quoi! dira-t-il, c’est après la mort de mon père qu’on me poursuit ! Pourquoi pas ? ton père était mortel; il a fini ses jours comme tant d’autres, plus jeunes ou plus âgés. Mais les lois, mais la justice, mais les tribunaux ont-ils aussi cessé de vivre? Non, sans doute; la question à débattre n’est donc pas de savoir si tel homme est mort avant ou après tel autre. Cette question, la voici:

Les proches parents d’Hagnias, les collatéraux d’Hagnias, du c6té paternel, doivent-ils être retranchés de la branche d’Hagnias par les Stratios, parents éloignés que la loi ne reconnaît pas héritiers? Je le répète, toute la question est là.

Plus clairement encore, ô juges! vous reconnaîtrez par la loi suivante combien Solon, son auteur, s’occupe des parents du défunt; et que si, d’une part, il leur défère sa succession, il leur impose aussi des charges onéreuses. — Lis la loi.

« Le mort sera exposé dans son logis, de la manière qu’on voudra. Le lendemain de l’exposition, il sera transporté, avant le coucher du soleil. Les hommes marcheront en tête du cortège; les femmes le suivront. Nulle femme n’entrera dans la maison mortuaire, et ne suivra le collège, si elle n’a au moins soixante ans. Sont exceptées les petites-cousines et les plus proches parentes.

Le législateur ferme donc la maison du défunt à beaucoup de femmes; il l’ouvre à ses cousines: celles-ci peuvent suivre leur parent jusqu’à la sépulture. La sœur du père d’Hagnias n’était-elle que cousine du défunt? Elle était sa tante. Le fils de cette même sœur, Eubulide, était, par les mâles, cousin d’Hagnias; et ce jeune enfant remonte à Eubulide par sa mère. Voilà les parentes que la loi appelle au deuil, au convoi; elle en exclut la mère d’un Macartatos, l’épouse d’un Théopompe,[11] étrangères à Hagnias par le sang, le dême, la tribu, et qui ont à peine dû apprendre la nouvelle de sa mort. Il y a donc excès d’impudeur à faire deux parts de ce qui reste d’Hagnias, à distinguer son corps de sa fortune, à nous jeter le premier comme notre legs, à recueillir les biens pour les faire passer à des Stratios, à un Macartatos, fils d’Apolexis, dont l’origine était éloignée.

Je dis plus, ô juges! cela est criminel devant la religion comme devant la loi civile. Qu’on lise l’oracle de l’Apollon de Delphes: vous verrez qu’il impose aux parents les mêmes obligations que le législateur.

Oracle.

« A la Fortune prospère. Le peuple d’Athènes demande ce qu’il pourra faire, à quelle divinité il pourra offrir des prières et des sacrifices, afin de rendre favorable le signe qui est apparu dans le ciel.

« Pour atteindre ce but, il importe aux enfants d’Athénée d’immoler les plus belles victimes au Dieu-Suprême, à la puissante Minerve, à Hercule, à Apollon-Sauveur. Qu’ils envoient consulter les Amphions[12] sur leur honneur public. Qu’ils sacrifient encore, devant les autels dressés sur les places à Phoebus, à Latone, à Diane. La fumée des victimes doit remplir les carrefours; la coupe circulaire, les danses s’entrelaceront, des couronnes ceindront les têtes, suivant l’antique usage, pour honorer tout l’Olympe. Des mains élevées vers le ciel présenteront, selon les rites héréditaires, les dons de la reconnaissance aux héros fondateurs qui vous ont transmis leurs noms. A Jour fixe, la famille d’un mort apaisera ses mânes par ses offrandes.[13]

Vous avez entendu, ô juges ! et le Dieu et notre législateur tenir même langage: au nom de ces deux autorités, de pieux devoirs sont rendus au mort par ses parents. Mais, pour Théopompe, pour Macartatos, c’est bien d’oracles et de lois qu’il s’agit! Mettre la main sur le bien d’autrui, voilà leur premier soin; le second, c’est de jeter les hauts cris lorsque nous venons, par un procès, troubler une possession illégitime. Usurpateur, ta sottise est extrême. Après une longue jouissance tu te plains! eh! rends plutôt grâce à la fortune. C’est elle qui, prolongeant tant de délais nécessaires, a retardé jusqu’à ce jour une attaque depuis longtemps préparée.

Tels sont nos adversaires, ô juges! Que la branche d’Hagnias s’éteigne, que toutes les lois soient violées, peu leur importe. Combien d’autres procédés iniques je pourrais citer! mais passons; arrivons à la démarche, qui, par Jupiter! est la plus criminelle, la plus empreinte de cette rapacité qui les caractérise. Grace aux intrigues que j’ai dévoilées, Théopompe venait d’envahir juridiquement l’héritage que nous lui avions disputé. Il se hâta de faire connaître qu’il se croyait possesseur imperturbable du bien d’autrui. Les terres d’Hagnias étaient plantées d’oliviers, qui produisaient une grande quantité d’huile: c’était une véritable fleur d’héritage, l’admiration des voisins et des passants. L’usurpateur en arracha plus de mille pieds, les vendit et en tira beaucoup d’argent. Audace inconcevable ! la loi, au nom de laquelle il avait expulsé la mère du réclamant, le menaçait lui-même, le menaçait chaque jour; et dans une sécurité parfaite, il dilapidait la succession !

Prouvons le fait allégué: oui, nos adversaires ont arraché les oliviers des champs qu’Hagnias avait possédés. Les voisins et quelques particuliers fournirent, à ce sujet, leur témoignage, lorsque je portai ma plainte en revendication. Qu’on le lise.

Déposition.

……………….Attestent qu’après l’adjudication de l’héritage d’Hagnias en faveur de Théopompe, Sosithée les a conduits à Araphène,[14] dans le domaine rural d’Hagnias, et leur a montré les oliviers qu’on en arrachait.

C’est là, ô juges! un grave délit, qui insultait à la mémoire de notre parent mort; c’est encore là un crime énorme contre l’État. La lecture d’une de nos lois va vous en convaincre.

Loi.

« Si un particulier arrache des oliviers sur le territoire d’Athènes, il paiera au Trésor cent drachmes par pied d’arbre. Néanmoins, pour la construction d’un temple dans la ville ou dans un dême, ou pour des usages domestiques, on peut arracher deux oliviers par an du même domaine. Cette tolérance s’étend au service des sépultures.

« Le dixième de l’amende sera dévolu au temple de Minerve. Le coupable paiera, en sus, cent drachmes par pied d’arbre à son accusateur. La cause sera portée devant les juges qui connaissent de ces délits. L’accusateur déposera une consignation. En cas de condamnation, le tribunal fera inscrire le délinquant parmi les débiteurs de l’Etat ou de la Déesse, pour les parties respectives de l’amende. Si le tribunal y manque, c’est lui qui deviendra débiteur.

Telle est la loi. Comparez maintenant avec cette règle inflexible la conduite de nos adversaires. Que n’avons- nous pas souffert de ‘leur audace, nous, simples citoyens, puisque les tribunaux, les lois d’une puissante république étaient, par eux, insultés, foulés aux pieds! puisque, au mépris d’une défense formelle, ils ont porté le ravage dans les terres laissées par Hagnias! Hélas! ils n’ont pas eu plus à cœur la perpétuité de la race du défunt.

C’est ici, ô juges! le moment de vous parler de moi, en peu de mots. Je veux vous montrer que, bien différent de nos adversaires, j’ai prévenu l’extinction de la branche d’Hagnias; car moi aussi, je descends de Busélos. Callistrate, fils d’Eubulide, petit-fils de cet aïeul commun, a épousé une petite-fille d’Habron, fils de Busélos. De la petite-fille d’Habron et de Callistrate, son neveu, est née ma mère. J’ai réclamé et épousé la mère du jeune Eubulide; elle m’a donné quatre fils et une fille. Voulant faire revivre mon père dans mon fils aîné, je l’ai nommé Sosias.[15] Eubulide était le nom de l’aïeul maternel: il est devenu celui de mon second fils. J’ai appelé le troisième Ménesthée, en souvenir d’un parent de ma femme. J’ai donné au dernier le nom de Callistrate, que portait mon aïeul maternel. Pour ma fille, je n’ai eu garde de la marier à un étranger: elle a épousé le fils de mon propre frère, afin que, grâce à eux et à leurs enfants, la branche d’Hagnias pût refleurir. Telles sont les mesures conservatrices que j’ai prises en faveur de plusieurs familles, qui se rattachent à une même souche. A cette affectueuse prudence, opposons les extravagances de nos adversaires, mais qu’on lise, auparavant, la loi qui les condamne.

Loi.

« L’archonte veillera sur le sort des orphelins, des héritières, des familles qui s’épuisent. Des soins s’étendront sur les veuves qui, à la mort de leurs maris, se déclarent enceintes, et continuent d’habiter le domicile conjugal. Il ne tolérera aucune insulte faite à ces personnes. A la moindre injustice, commise à leur égard, il pourra imposer au coupable une amende proportionnée à sa fortune. Si la peine lui semble devoir être plus sévère, il l’assignera aux fins de comparaître après le cinquième jour; il poursuivra l’accusation devant le tribunal compétent, et prendra telles conclusions qu’il jugera convenable. S’il y a condamnation, la peine, d’ailleurs illimitée, sera fiscale ou afflictive.

Or, où est le meilleur moyen de laisser épuiser une race? n’est-ce pas, dans l’espèce actuelle, d’écarter, d’expulser les plus proches parents d’Hagnias, pour faire place à des intrus? Pour légitimer sa possession, Macartatos cite les liens du sang! qu’il montre donc son nom dans les ligues des Hagnias et des Stratios; qu’il désigne, dans l’immense famille de Busélos, un seul citoyen qui l’ait porté! Ce nom, où l’est-il allé chercher? bien loin, parmi les parents de sa mère. Un oncle maternel, Macartatos, l’a adopté et lui a transmis ses biens. Ainsi, le même homme néglige de faire adopter son fils par la branche de cet Hagnias, dont il possède l’héritage, dont il se dit parent par les mâles; il fait passer ce même enfant dans la liguée des Prospaltios; il emprunte, pour lui, un nom au frère de sa femme; il efface, autant qu’il est en lui, le nom d’Hagnias, et il ose dire : Mon père tenait à Hagnias par d’étroits liens! La loi de Solon admet exclusivement les collatéraux de la ligne paternelle et leurs descendants: mais, aussi peu soucieux de nos lois que du sang d’Hagnias, Théopompe met son fils dans les mains d’un parent de sa mère. Le contraste de sa conduite avec ses prétentions n’offre-t-il pas la plus audacieuse injustice?

Ce n’est pas tout, ô juges! une sépulture commune est ouverte à tous les Busélides, vaste enceinte, entourée de clôtures, comme au temps de nos aïeux. Là reposent, chacun à sa place, Hagnias, Eubulide, Polémon, et toute la nombreuse postérité de Busélos. Cherchez-y l’aïeul de Macartatos; cherchez-y son père: vous ne les trouverez pas. Ils ont un monument à part, loin, bien loin de là. Et ces hommes tiennent à la branche d’Hagnias? Ne voyez-vous pas, Athéniens, que le seul lien qui les y attache, c’est le vol, l’usurpation?

Pour moi, de tous mes efforts, je défends une cause qui était chère à mes parents morts. Il me sera difficile, je le sais, de triompher d’une intrigue puissante. Je remets donc, ô juges! cet enfant dans vos mains: soyez ses appuis, ses tuteurs, les libres protecteurs de se droits. La maison d’Eubulide l’a adopté; la section d’Hagnias et de Macartatos est devenue la sienne. Lorsqu’on l’y présenta, il recueillit d’unanimes suffrages; Macartatos lui-même reconnut, par sa conduite, la légitimité de cette adoption: loin de retirer la victime de l’autel, il n’osa même y porter la main; comme les autres membres de la section, il reçut de l’enfant une portion de chairs consacrées. Cet enfant, le voici: au nom des Hagnias, des Eubulides, de tous ses parents descendus au tombeau, il embrasse vos genoux. Par ma voix, ces morts eux-mêmes vous conjurent de ne pas laisser étouffer leur lignée, sous le lâche et brutal effort des descendants de Stratios. Arrachez au spoliateur sa proie: que la maison, que la fortune d’Hagnias soient enfin dévolues à un rejeton d’Hagnias! Puisse mon dévouement à nos lois, à des parents qui m’étaient chers, ne pas demeurer stérile! Puisse cet appel à la justice, à la pitié, en faveur d’un enfant opprimé, être entendu de vous tous! Puissent-ils être désormais préservés de nouveaux outrages, ces aïeux que menace un injurieux oubli, si l’accapareur de notre héritage garde le fruit de ses rapines! Maintenir les lois, entretenir le respect dû aux morts, empêcher que leur race ne s’éteigne, voilà ce que peut produire aujourd’hui votre arrêt, voilà ce que demandent la justice, votre serment, l’intérêt de vos familles.


 

[1] Eubulide III.

[2] On appelait παρακαταβολὴ, une somme déposée par ceux qui réclamaient de l’Etat des biens confisqués ou des restitutions du Trésor, et par les particuliers qui se prétendaient des droits à une succession. Les premiers étaient tenus de consigner le cinquième, et les derniers le dixième de la valeur de l’objet en litige. (V. Harpocr.; Poll. VIII, 6.)

[3] Une loi tirée d’Isée (Succ. de Pyrrh.), explique ceci : « Si l’action n’est pas intentée pendant les cinq ans qui suivent la mort du successeur immédiat, la succession sera acquise aux héritiers du défunt, sans qu’on puisse les en déposséder. »

[4] Ceci s’explique par les premiers mots de la loi qui est citée un peu plus haut.

[5] Cette déposition et les suivantes commencent, dans le texte, d’une manière tout à fait insolite. Les noms des témoins ne s’y trouvant pas, il est évident qu’elles ne nous sont point parvenues dans leur entier. Il en manque même plusieurs totalement dans un des meilleurs manuscrits consultés par Reiske.

[6] Cette masse de dépositions offre un exemple assez remarquable d’un état civil constaté par témoins. Ce genre de preuve, en cette matière, n’est reçu que rarement dans nos tribunaux. (V. Code Civil, 46.)

[7] Remarquez l’adroite et vive simplicité de toute celte récapitulation.

[8] Solon forma quatre classes de citoyens (τιμήματα, τέλυ); plus tard, Platon fit de même en théorie. La destination en était fort diverse. Dans la première classe se trouvaient les pentacosiomédimnes, c’est-à-dire ceux qui possédaient assez de terres pour en tirer cinq cents mesures (médimnes et métrètes) de produits secs ou liquides. La deuxième renfermait ceux qui récoltaient trois seuls mesures, et nourrissaient un cheval, c’est-à-dire un cheval pour la guerre (ἵππος πολεμιστήριος qui en suppose un second pour un valet; tous deux sans doute formaient un attelage pour la culture, ceux qui étalant compris dans compris dans cette classe portaient le nom de chevaliers (ἱππῆς, ἱππάσα τελοῦντες). Les zeugites (ζευγῖται) formaient la troisième classe; on nomme leur cens le cens des zeugites (ζευγίσιον τελεῖν). Par là il ne faut pas entendre, avec Pollux, quelque taxe sur le bétail ; leur nom indique qu’ils avaient un attelage (ζεῦγος) de mulets, de chevaux de trait, ou de bœufs; Ils devaient récolter deux cents mesures. Ceux qui possédaient moins que ce dernier cens composaient la classe des thètes. (V. Bockh., l. iv, c. 5)

[9] Les Cinquante-un, ou les Éphètes, tribunal criminel à Athènes.

[10] La contradiction que renferme ce mot, comparé avec l’alinéa précédent, montre assez que plusieurs lois sont citées dans ce passage.

[11] Dans l’espèce, c’est une seule et même femme. C’est pour généraliser sa pensée, dit Schaefer, que l’orateur s’exprime ainsi.

[12] Les éditeurs hésitent entre Ἀμφιόνεσσι, Ἀμμφικτυόνεσσι, Ἀμφισσεῦσι. (V. Apparatus de Schaefer, t. v, p. 124.)

[13] Comment cette partie de l’oracle se rattache-t-elle à l’objet désigné dans les précédentes? et que pouvons-nous conclure de toute celte pièce relativement au procès actuel ?

[14] Dême, ou bourg, de l’Attique.

[15] Cet usage se pratiquait communément dans les familles athéniennes.

Pour l’examen comparatif de toutes les dispositions légales citées dans ce plaidoyer, on peut voir surtout la section v du troisième chapitre, titre I, livre iii du Code Civil.