DION CASSIUS
TOME PREMIER
FRAGMENTS DES LIVRES I - XXXVI
FRAGMENTS DU LIVRE II
Les règnes de Tullus Hostilius, Ancus Marcius, Tarquinius Priscus, Servius Tullius, et Tarquin le Superbe. Brutus, le viol de Lucrèce, et l'expulsion de Tarquin.
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XIX. Différend entre Albe et Rome An de Rome 84 XIX. Tullus et Mettius ne consentirent ni l’un ni l’autre à quitter leur patrie et soutenaient leurs droits avec opiniâtreté. Tullus s’appuyait sur la célébrité de Romulus et sur sa puissance présente ; Fuffetius sur l’antiquité d’Albe, métropole de nombreuses colonies et de Rome même : tous deux, pleins de fierté, affichaient de hautes prétentions. Ils renoncèrent donc à ce point du débat et la discussion s’engagea sur la suprématie : ils voyaient bien que les deux peuple vivaient l’un auprès de l’autre, sans danger et sans trouble, par la jouissance des mêmes droits. Des deux côtés, on mit en avant des considérations tirées des sentiments que la nature inspire aux hommes pour leurs semblables et de leur désir de dominer ; on fit valoir tour à tour de nombreux arguments, en apparence fondés sur la justice, pour s’amener mutuellement à céder ; mais le début n’aboutit à rien, et il fut convenu que la suprématie serait disputée les armes à la main.
XX. Tullus Hostilius; son caractère XX. Tullus était regardé comme plein de courage dans les combats ; mais il professait un souverain mépris pour les dieux et négligea leur culte, jusqu’au moment où survint une peste dont il fut atteint lui-même. Alors il se montra fort religieux et créa de nouveaux prêtres, appelés Saliens Collins. XXI. Ancus Marcius se résout à faire la guerre aux Latins An de Rome 115 XXI. Il ne suffit pas à ceux qui veulent conserver la paix de ne pas causer de dommage aux autres, et le repos qui ne s’appuie point sur une grande aptitude pour agir, ne saurait sauver un peuple ; plus on désire, plus on est exposés à toutes les attaques : Marcius le comprit et changea de conduite. Il reconnut que l’amour de la paix n’est pas une puissante sauvegarde, sans toutes les ressources nécessaires pour la guerre ; il sentit aussi que les douceurs du repos sont bientôt et facilement perdues pour ceux qui les recherchent à contre-temps. La guerre lui parut donc un moyen plus honorable et plus sûr de préparer la paix, de s’en occuper efficacement ; il se mit en campagne et il recouvra, malgré les Latins, ce qu’ils avaient refusé de lui rendre, avant qu’il leur eût fait aucun mal. XXII. Tarquin l'Ancien; son caractère; il devient roi An de Rome 138
XXII. Tarquin
fit toujours à propos usage de ses richesses, de sa prudence, de son esprit fin
et enjoué : il se concilia si bien la faveur de Marcius, que celui-ci l’éleva
au rang de patricien et de sénateur, le nomma souvent chef de son armée et lui
confia la tutelle de ses enfants et de son royaume. Les citoyens ne lui
témoignaient pas moins d’affection que le Roi : c’est ainsi qu’il parvint
au premier rang avec l’assentiment de tous. XXIII. Tarquin le Superbe; son caractère; sa politique; sa cruauté An de Rome 220
XXIII. Tarquin,
aussitôt qu’il fût en mesure d’imposer le joug aux Romains, même malgré
eux, fit arrêter d’abord les membres les plus considérables du sénat, puis
ceux des autres ordres. Il ordonna ouvertement la mort de ceux qui pouvaient
être l’objet d’une accusation spécieuse, et ils étaient en grand nombre :
d’autres furent massacrés en secret, quelques-uns envoyés en exil Ce n’était
point, parce que plusieurs avaient montré plus d’affection pour Tullius que
pour lui ; parce qu’ils se distinguaient par la naissance, les richesses, l’élévation
des sentiments, ou bien par un courage éclatant et une sagesse remarquable, que
Tarquin les fit périr, pour se venger ou pour prévenir leurs attaques ; soit
par envie, soit à cause de la haine qu’il croyait leur inspirer, par cela
même que leurs moeurs étaient différentes des siennes. Il n’épargna pas
davantage ses plus fidèles amis, ceux dont le dévouement lui avait frayé le
chemin du trône ; persuadé que leur audace et leur désir d’innover qui lui
avaient donné l’empire pourraient le faire passer dans d’autres mains. XXIV. Lucius Junius feint d'être insensé; il est surnommé Brutus An de Rome 221 XXIV.
Lucius Junius, fils de la soeur de Tarquin, en proie à de vives craintes après
que son oncle, peu content d’avoir mis son père à mort, l’eût dépouillé
lui-même de ses biens, feignit d’être fou pour conserver la vie : il savait
bien que les hommes d’une raison élevée, alors surtout qu’ils ont une
illustre origine, font ombrage aux tyrans. Cette résolution une fois prise, il
joua parfaitement son rôle et fut appelé Brutus, nom que les Latins donnaient
aux insensés. Envoyé à Delphes avec Titus et Aruns, pour leur servir de
jouet, il disait qu’il offrirait aux dieux un bâton, qui semblait ne
signifier rien d’important. XXV. Le mont Tarpéien reçoit le nom de Capitole; borne milliaire An de Rome 242 XXV.
En creusant à Rome les fondements d’un temple, on trouva la tête d’un
homme tué recemment, toute souillée de sang et de poussière. Un devin de
Toscane, consulté à ce sujet, fit que cette ville deviendrait la capitale
d’un grand nombre de nations ; mais que ce serait par le sang et les
massacres. Le nom de Capitole fut donné, à cette occasion, au mont tarpéien. XXVI. Les Tarquins sont détrônés; histoire de Lucrèce An de Rome 244
XXVI. Voici à quelle occasion
Brutus détrôna les Tarquins : un jour, pendant le siège d’Ardée, les fils
de Tarquin soupaient avec Collatin et Brutus, qui étaient de leur âge et leurs
parents. La conversation tomba sur la vertu de leurs femmes, et chacun donnant
la palme à la sienne, une disputé éclata. Elles étaient toutes loin du camp
: il fut donc convenu qu’ils monteraient à cheval pour se rendre incontinent
auprès d’elles, cette nuit même, avant qu’elles fussent informées de leur
visite. Ils partent sur-le-champ et trouvent leurs femmes occupées à discourir
: Lucrèce seule, épouse de Collatin, travaillait à la laine. XXVII. Réflexions morales et politiques
XXVII. Le vulgaire juge
toujours des choses d’après ceux qui les font : tels il les a reconnus, tels
il estime leurs actes. ÉCLAIRCISSEMENTS. Par ses actions comme par ses paroles (p. 45). Denys d'Hal. A. R. III, 48 : βασιλέως τε φίλος ἐν ὀλίγῳ πάνυ χρόνῳ γίνεται δῶρα διδούς, ὧν αὐτὸν ἐν χρείᾳ μάλιστα γινόμενον ᾐσθάνετο καὶ χρήματα παρέχων εἰς τὰς πολεμικὰς χρείας ὅσων ἐδεῖτο, ἐν δὲ ταῖς στρατείαις ἁπάντων κράτιστα πεζῶν τε καὶ ἱππέων ἀγωνιζόμενος γνώμης τε ὅπου δεήσειεν ἀγαθῆς ἐν τοῖς πάνυ φρονίμοις τῶν συμβούλων ἀριθμούμενος. γενόμενος δὲ παρὰ τῷ βασιλεῖ τίμιος οὐδὲ τῆς ἄλλων Ῥωμαίων εὐνοίας διήμαρτεν, ἀλλὰ καὶ τῶν πατρικίων πολλοὺς ταῖς εὐεργεσίαις ὑπηγάγετο καὶ τὸ δημοτικὸν πλῆθος οἰκείως ἔχειν ἑαυτῷ παρεσκεύασεν εὐπροσηγόροις τε ἀσπασμοῖς καὶ κεχαρισμέναις ὁμιλίαις καὶ χρημάτων μεταδόσει καὶ ταῖς ἄλλαις φιλοφροσύναις. XXIII. Tarquin, etc. (p. 47). Dion semble avoir emprunté plusieurs traits à Tite-Live, I, 49 : Primores patrum, quos Servil rebus favisse credebat, interfecit: conscius deinde, male quaerendi regni ab se ipso adversus se exemplum capi posse, armatii corpus circumsepsit.... Eo accedebat, ut in caritate civium nihil spei reponenti metu regnum tutandum esset; quem ut pluribus incuteret, cognitiones capitalium regum sine consiliis per se solus exercebat; perque eam causam occidere, in exsilium agere, bonis multare poterat non suspectos modo aut invisos, sed unde nihil aliud quam praedam sperare posset. lta patrum praecipue numero imminuto, statuit nullos in patres legere ; quo contemtior paucitate ipsa ordo esset, minusque per se nihil agi indignarentur. Hic enim regum primus traditum a majoribus morem de omnibus senatum consulendi solvit : domesticis consiliis rempublicam administravit etc. Cf. Denys d'Hal. A. R. IV, 41 ; Zonaras, VII. 10. p. 329, M. Du C. Ses propres satellites (p. 49). Denys d'Hal., l. l.: Καὶ πρῶτον μὲν φυλακὴν κατεστήσατο περὶ ἑαυτὸν θρασυτάτων, ξίφη τε καὶ λόγχας φερόντων,ἐπιχωρίον καὶ ἀλλοδαπῶν κτλ,. Cf. Zonaras, l. l. Le surnom de Superbe (p. 51). Le même, I. I.: Διὰ ταῦτα έπωνυμίαν τίθενται οἱ Ῥωμαῖοι τὸν Σούπερβον· τοῦτο δὲ δηλοῦν βούλεται κατὰ τὴν ἡμετέραν γλῶτταν τὸν ὑπερήφανον. XXIV. Un bâton (p. 53). Tite-Live, 1, 56 : Aureum baculum inclusum corneo cavato ad id baculo tulisse donum Apollini dicitur, per ambages effigiem ingenii sui. Ce passage est traduit presque littéralement dans Zonaras (cf. p. 52 note 3) : il l'avait sans doute copié tel qu'il se trouvait dans Dion, avant d'avoir été abrégé par le Compilateur. XXV.
Un devin de Toscane
(p. 53). La science augurale était le trait caractéristique
de la religion des Étrusques. Dès la plus haute antiquité, leurs devins
furent en grand renom à Rome. Cicéron, De Divinat., I, 2 Nihil publice sine
auspiciis nec domi, nec militiae gerehatur. Quumque magna vis videretur esse et
in impetrandis consulendisque rebus, et in monstris interpretandis ac
procurandis, in aruspicum disciplina; omnem hanc ex Etruria scientiam
adhibebant, ne genus esset ullum divinationis, quod neglectum ab iis videretur. XXVI. Et se tue (p. 511). il ne sera pas sans intérêt de comparer Dion avec ses devanciers, Denys d'Hal. A. R. IV, 64 et suiv., Tite-Live, 1, 57 et suiv.; Diodore de Sicile, X, 20-21. XXVII.
Soumis à leurs lois
(p. 61). Cicéron, De Rep. II, 25, éd. J. V. Le
Clerc : « Hic Ille jam vertetur orbis, cujus naturalem motum atque circuitum a
primo discite agnoscere. Id enim est caput civilis prudentiae, in qua omnis haec
nostra versatur oratio, videre itinera flexusgne rerum publicarum, ut quum
sciatis, quo quaeque res inclinet, retinere, aut ante possitis occurrere. Nam
rex ille, de quo loquor, primum optimi regis caede maculatus, integra mente non
erat; et quum metueret ipse poenam sui sceleris summam, metui se volebat. Deinde
victoriis divitiisque subnixus exsultabat insolentia, neque suos mores regere
poterat, neque suorum libidines. » Et, ch. XXVI « Simul atque enim se inflexit
hic rex indominatum injustiorem, fit continuo tyrannus, quo neque tetrius, neque
foedius, nec Dis hominibusque invisius animal ullum cogitari potest: qui,
quanquam figura est hominis, morum tamen immanitate vastissimas vincit belluas.
Quis enim hune hominem rite dixerit, qui sibi cum suis civibus, qui denique cum
omni hominun genere nullam juris communionem, nullam humanitatis socielatem
velit? » |