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PLINE L'ANCIEN
HISTOIRE NATURELLE
LIVRE DOUZE
livre 11
livre
13
Texte français
Paris : Dubochet,
1848-1850.
édition d'Émile Littré
LIVRE XII,
TRAITANT DES ARBRES.
I et II. Rang honorable des arbres dans la
nature. - III. Des arbres exotiques. Quand le platane est-il venu pour la
première fois en Italie, et d'où ? - IV. Nature des platanes. - V. Choses
merveilleuses qui s'y rapportent. - VI. Chameplatanes. Qui le premier a commencé
à tailler les bosquets. - VII. Comment sème-t-on le citronnier? - VIII.
Arbres de l'Inde. - IX. Quand a-t-on vu pour la première fois à Rome l'ébène?
Diverses espèces d'ébène. - X. Épine indienne. - XI. Figuier indien. - XII.
L'arbre pala. Le fruit ariana. - XIII. Description d'arbres indiens sans nom.
Arbres de l'Inde qui portent du lin. - XIV. Poivriers. Des diverses espèces de
poivres : brecma. Ziugibéri ou zimpibéri. - XV. Caryophylle; lycium ou
pyxachante chironien. - XVI. Macir. - XVII. Sucre. - XVIII. Arbres de l'Ariane,
de la Gédrosie, de l'Hyrcanie. - XIX. Arbres de la Bactriane. Bdellium ou
brochon, autrement malacham ou maldacum. Scordacti. On y énumère, pour tous les
parfums et toutes les épices, les sophistications, les épreuves de vérification
, et le prix. - XX. Arbres de la Perse. - XXI. Arbres des îles du golfe
Persique. Cotonniers. - XXII. L'arbre chynas. De quels arbres fait-on du lin
dans l'Orient? - XXIII. Lieu où les arbres ne perdent rien de leur feuillage. -
XXIV. De quelles façons les arbres donnent des produits. - XXV. Du costus. -
XXVI. Du nard; douze espèces de nard. - XXVII. L'asarum. - XXVIII. L'amome, l'amomide.
- XXIX. Le cardamome. - XXX. Du pays de l'encens. - XXXI. Arbres qui portent
l'encens. - XXXII. Quelle est la nature de l'encens, quelles en sont les
espèces. - XXXIII. De la myrrhe. - XXXIV. Des arbres qui la portent. - XXXV.
Nature et espèces de la myrrhe. - XXXVI. Du mastic. - XXXVII. Du ladanum et du
stobule. - XXXVIII. Enhème. - XXXIX. Le bratus. - XL. Le stobre. - XLI. De
l'Arabie heureuse. - XLII. Du cinname; du xylocinname. - XLIII. La cannelle. -
XLIV. Cancame. Taron. - XLV. Serichatum. Gabalium.
XLVI. Myrobalan. - XLVII. Phoenicobalan. - XLVIII. Du calamus odorant, du jonc
odorant. - XLIX. Gomme ammoniaque. - L. Sphagnos. - LI. Cypros. - LII.
Aspalathe ou érysisceptrum. - LIII. Marum. - LIV. Baume, opobalsamum,
xylobalsamum - LV. Styrax. - LVI. Galbanum. - LVII. Opoponax. - LVIII.
Spondylium. - LIX. Malobnthrum. - LX. Omphacium. - LXI. Bryon, oenanthe,
massaris. - LXII. Elate ou spathe. - LXIII. Cinname, comaque.
Résumé : Faits, histoires et observations,
974.
Auteurs :
M. Varron, Mucien, Virgile, Fabianus, Sebosus, Pomponius Méla, Alfius Flavius,
Procilius, Trogne Pompée, Hygin, l'empereur Claude, Cornelius Nepos, Sextius
Niger qui a écrit en grec sur la médecine, Cassius Hémina, L. Pison, Tuditanus,
Valérius Antias.
Auteurs étrangers :
Théophraste, Hérodote, Callisthène, Isigone,
Clitarque , Anaximène, Duris, Néarque, Onésicrite, Polycrite, Olympiodore,
Diognète , Nicobule, Anticlide, Charès de Mitylene, Ménechme, Dorothée
d'Athènes, Lycus, Antée, Ephippe, Chaeréas, Démoclès, Ptolémée fils de Lagus,
Marsyas le Macédonien, Zoïle le Macédonien, Démocrite, Amphiloque, Aristomaque,
Alexandre Polyhistor, Juba, Apollodore qui a écrit sur les odeurs, le médecin
Héraclide, le médecin Archidème, le médecin Denys, le médecin Démocède, le
médecin Euphronius, le médecin Mnésis, le médecin Diagoras, le médecin lollas,
Héraclide de Tarente, Xénocrate d'Ephèse, Ératosthène.
I.
[1] Telle est l'histoire, par espèces et par organes, de tous les animaux qui
ont pu être connus. Reste à parler d'êtres qui ne sont pas non plus dépourvus
d'âme, puisque rien ne vit sans âme, des productions végétales de la terre;
après quoi nous traiterons des minéraux extraits de son sein, de sorte que nous
n'aurons passé sous silence aucune oeuvre de la nature. Longtemps les dons
qu'elle recèle demeurèrent cachés, et l'on regardait les arbres et les forêts
comme le plus beau présent fait à l'homme.
[2] Ce sont les arbres qui fournirent les premiers
aliments, dont le feuillage rendit la caverne plus moelleuse, dont l'écorce
servit de vêtement : encore aujourd'hui des nations vivent ainsi. C'est à
s'étonner de plus en plus que de tels commencements l'homme en soit venu à
percer les montagnes pour en arracher le marbre, à demander des étoffes au pays
des Sères (VI, 20; XI, 26), à chercher la perle dans les profondeurs de la mer
Rouge (IX, 54), et l'émeraude dans les entrailles de la terre. C'est pour ces
pierres précieuses qu'on a imaginé de blesser les oreilles; sans doute ce
n'était pas assez de les porter autour du cou et dans les cheveux, il fallait
encore les incruster dans la chair. Suivons donc l'ordre des inventions
humaines; parlons d'abord des arbres, et rappelons à nos moeurs leurs
commencements.
II.
(I.) [1] Les arbres ont été les temples des divinités; et encore aujourd'hui les
campagnes, conservant dans leur simplicité les rites anciens, consacrent le plus
bel arbre à un dieu. Et, dans le fait, les images resplendissantes d'or et
d'ivoire ne nous inspirent pas plus d'adoration que les bois sacrés et leur
profond silence. Chaque espèce d'arbre demeure toujours dédiée à une même
divinité, le chêne à Jupiter, le laurier à Apollon, l'olivier à Minerve, le
myrte à Vénus, le peuplier à Hercule. Bien plus, les Sylvains, les Faunes, des
déesses, des divinités spéciales sont, dans nos croyances, chargés du soin des
forêts, comme d'autres divinités président au ciel.
[2] Dans la suite les arbres, par leurs sucs, plus
flatteurs que les céréales, ont donné de la douceur à l'homme. Ce sont eux qui
fournissent la liqueur de l'olive assouplissant les membres, et le vin ranimant
les forces ; c'est d'eux que proviennent spontanément, tous les ans, tant de
fruits savoureux qui, encore aujourd'hui, composent le second service de nos
tables, bien que pour les couvrir on livre des combats aux bêtes sauvages, et
qu'on aille chercher des poissons repus du corps des naufragés. En outre, les
arbres servent à mille usages indispensables à la vie. C'est avec l'arbre que
nous sillonnons les mers et que nous rapprochons les pays éloignés; c'est avec
l'arbre que nous construisons nos édifices ; c'est avec l'arbre que l'on faisait
les statues des dieux avant qu'on eût attaché du prix aux dépouilles d'un animal
mort, avant que, le luxe s'autorisant pour ainsi dire du culte des dieux, on ne
vit resplendir du même ivoire la tête des divinités et le pied de nos tables. On
raconte que les Gaulois, séparés de nous par les Alpes, boulevard insurmontable
alors, eurent, pour premier motif d'inonder l'Italie, la vue de figues sèches,
de raisins, d'huile et de vin de choix rapportés par Hélicon, citoyen helvétien,
qui avait séjourné à Rome en qualité d'artisan. On peut les excuser d'avoir
cherché même par la guerre ces productions.
III.
[1] Mais qui ne s'étonnera à juste titre qu'on fasse venir d'un Inonde étranger
un arbre, uniquement pour son ombrage? Je parle du platane (platanus
orientalis, L.), qui, apporté d'abord à travers la mer Ionienne (III, 14)
dans l'île de Diomède (III, 30; X, 61 ) pour le tombeau de ce héros, passa de là
en Sicile : c'est un des premiers arbres exotiques qui ait été donné à l'Italie;
déjà il est arrivé jusque chez les Morins (Artois); (IV.) et le sol qu'il occupe
est même sujet à tribut, de sorte que les nations payent pour avoir de l'ombre.
Denys l'ancien, tyran de Sicile, transporta le platane dans sa capitale; ce fut
la merveille de son palais, transformé depuis en gymnase; ces arbres ne purent
prendre une grande croissance. Au reste, des auteurs disent qu'il y avait alors
d'autres individus de cette espèce en Italie, et nommément en Espagne.
IV.
[1] Cela se passait vers l'époque de la prise de Rome (an de Rome 364). Depuis,
cet arbre est devenu dans une telle estime, qu'on le nourrit en l'arrosant de
vin pur. On a reconnu que cet armement faisait beaucoup de bien aux racines.
Ainsi, nous avons appris même à des arbres à boire du vin.
V.
[1] On vanta d'abord les platanes de la promenade de l'Académie (XXXI, 3) à
Athènes: un de ces arbres avait une racine, de trente-trois coudées, plus longue
que les branches. Il existe aujourd'hui en Lycie un platane célèbre associé aux
agréments d'une fraîche fontaine. Placé près du chemin, il présente en forme de
maison une cavité de 81 pieds; le sommet est une forêt; entouré de vastes
branches comme d'autant d'arbres, il prolonge son ombrage sur les champs
avoisinants. Pour qu'il ne manque rien à la ressemblance d'une grotte,
l'intérieur est garni d'un rang de pierres ponces couvertes de mousses. La chose
est si merveilleuse, que Licinius Mucianus trois fois consul, et qui a été
récemment légat de cette province, a cru devoir transmettre à la postérité qu'il
y avait dîné lui dix-huitième, et qu'il y coucha sur un lit fourni abondamment
par le feuillage de l'arbre, à l'abri de tous les vents, désirant entendre le
pétillement de la pluie sur les feuilles, plus content qu'au milieu de l'éclat
des marbres, de la variété des peintures et de l'or des lambris.
[2] La campagne de Véliterne offrit à l'empereur
Caligula une merveille analogue : un seul platane présentait dans ses branches
un plancher et de larges bancs; l'empereur y dîna, lui-même donnant sa part
d'ombre ; il y eut place pour quinze convives et les gens de service : il appela
ce triclinium un nid. A Gortyne, dans l'île de Crète,. il est près d'une
fontaine un platane célébré en grec et en latin; il ne perd jamais ses feuilles;
les fables grecques n'ont pas manqué de s'y attacher : c'est sous cet arbre,
dit-on, que Jupiter eut commerce avec Europe, comme si l'île de Chypre ne
possédait pas aussi un platane qui ne perd pas ses feuilles.
[3] On propagea d'abord dans l'île de Crète
(l'homme est avide de nouveauté) le platane de Gortyne, et les plants
reproduisirent ce défaut; car le platane n'a pas de plus grand mérite que
d'écarter le soleil en été et de le laisser pénétrer pendant l'hiver. Puis, sous
le règne de l'empereur Claude, un affranchi de Marcellus Aeserninus, mais qui
par ambition se fit mettre au nombre des affranchis de l'empereur, eunuque
thessalien très riche, transporta cette espèce de platane de Crète en Italie et
dans sa maison de campagne ; de sorte qu'il pourrait être appelé un autre Denys.
On voit encore aujourd'hui en Italie ces monstruosités exotiques,
in¬dépendamment de celles que l'Italie elle-même a imaginées.
VI.
(II.) Tel est le platane nain, qui doit ce ce nom à sa petitesse forcée; car
nous avons trouvé l'art de faire avorter même des arbres. Ainsi donc, parmi les
végétaux aussi, il sera question de la disgrâce des nains. Ce résultat s'obtient
et par la manière de planter et par celle de tailler. C. Martius, de l'ordre
équestre, ami du dieu Auguste, inventa, il y a moins de quatre-vingts ans, l'art
de tondre les bosquets.
VII.
(III.) [1] Les cerisiers (XV, 30), les pêchers (XV, 13) et tous les arbres à
noms grecs ou étrangers sont exotiques. Je parlerai, à propos des arbres à
fruit, de ceux qui ont commencé à se naturaliser chez nous. Pour le moment, nous
ferons l'histoire des arbres exotiques, commençant par celui qui est lé plus
salutaire. Le pommier d'Assyrie, nommé aussi médique (citronnier), est un remède
contre les poisons (XXIII, 56 ). La feuille en est celle de l'arbousier (XV,
28). Des piquants sont parsemés. Le fruit , du reste, ne se mange pas; l'odeur
en est excellente, ainsi que celle des feuilles; elle pénètre les étoffes avec
lesquelles on l'enferme, et éloigne les insectes nuisibles. L'arbre lui-même est
couvert de fruits en toute saisons les uns tombent, les autres mûrissent,
d'autres commencent à se nouer.
[2] Des nations ont essayé de le transporter chez
elles, à cause de son efficacité médicinale, en le plaçant dans des vases de
terre et en donnant de l'air aux racines par des trous; car (remarque que je
fais une fois pour toutes ) on se souviendra que tout ce qui doit être
transporté au loin a besoin d'être planté très à l'étroit et dépoté. Mais il
s'est refusé à croître ailleurs qu'en Médie et en Perse. C'est cet arbre dont
les graines, avons nous dit (XI, 115), sont employées par les grands des Parthes
à l'assaisonnement des ragoûts, dans l'intention d'améliorer l'haleine. On ne
cite aucun autre arbre de la Médie.
VIII.
[1] En parlant du pays des Sères (VI, 20), nous avons parlé des arbres à laine
qu'il produit. (IV.) De même, à propos de l'Inde, il a été question de la
grandeur de ses arbres (VII, 2, 13). De ceux qui sont particuliers à cette
dernière contrée, Virgile (Géorg., II, 116) n'a célébré que l'ébénier,
qui, dit-il, ne vient nulle part ailleurs. Hérodote (Hist., III, 97) l'a
implicitement attribué à l'Éthiopie, en rapportant que les Éthiopiens
fournissaient tous les trois ans aux rois de Perse, en forme de tribut, cent
bûches de ce bois, avec de l'or et de l'ivoire. Il ne faut pas non plus omettre,
puisqu'il a spécifié la chose, que le tribut d'ivoire auquel les Éthiopiens
étaient assujettis consistait en vingt grandes dents d'éléphant.
[2] Telle était la faveur dont jouissait l'ivoire
l'an de Rome 310: c'est en effet à cette époque qu'Hérodote composa son histoire
à Thurium en Italie; circonstance qui est étrange la confiance que nous
accordons à ses paroles quand il prétend (Hist., III, 115) que jusqu'à
son temps aucun Grec ou Asiatique, à sa connaissance du moins, n'avait vu le
fleuve du Pô. La carte de l'Éthiopie, qui, avons-nous dit (VI, 35), fut mise
dernièrement sous les yeux de Néron, a appris que l'ébénier est rare depuis
Syène, limite de l'empire, jusqu'à Méroé dans un espace de 896,000 pas, et qu'il
n'y existe aucun autre arbre que des arbres du genre des palmiers. C'est
peut-être pour cette raison que l'ébène était au troisième rang dans le tribut
imposé.
IX.
[1] Le grand Pompée montra l'ébène à Rome, dans son triomphe sur Mithridate.
Suivant Fabianus, ce bois ne donne pas de flamme; cependant il brûle, et l'odeur
en est agréable. Il yen a deux espèces : l'ébénier, le meilleur et le plus rare,
est arborescent, et a un tronc sans noeuds. Le bois aune couleur noire
brillante, agréable immédiatement même sans l'intervention de l'art; l'autre est
un arbrisseau ressemblant au cytise, et se trouve dans toute l'Inde.
X.
(v.) Le même pays produit un arbrisseau épineux, semblable à l'ébène; pour l'en
distinguer il suffit d'une lumière : le bois de cette épine indienne la laisse
passer. Maintenant parlons des arbres qui firent l'admiration d'Alexandre
victorieux, quand ce monde nouveau eut été ouvert par ses armes.
XI.
[1] Là le figuier (ficus indica, L.) a des fruits exigus : se plantant
toujours lui-même, il étend au loin ses rameaux. Les extrémités des branches se
recourbent tellement vers la terre qu'elles s'y implantent dans l'espace d'un an
, et forment autour de leur parent une nouvelle plantation circulaire, qu'on
dirait disposée par la main d'un jardinier. Les bergers passent l'été au dedans
de cette haie, ombragée à la fois et fortifiée par l'arbre même, et offrant à
celui qui regarde par-dessous ou de loin, une vue charmante, à cause des arcades
de son pourtour.
[2] Les branches supérieures s'élancent en
hauteur, et par leur multitude forment une espèce de forêt, tandis que le vaste
corps de leur mère atteint ordinairement une grosseur de soixante pas de tour,
et couvre deux stades de son ombrage. Les feuilles, larges, ont la forme d'un
bouclier d'amazone; de la sorte, couvrant le fruit, elles l'empêchent de
croître. Le fruit est peu abondant, et il dépasse à peine la grosseur d'une
fève; mais, mûri à travers les feuilles par le soleil, il acquiert une saveur
douce, et est digne de cet arbre merveilleux. On le trouve surtout aux bords du
fleuve Acesines (VI, 23).
XII.
(VI.) [1] Un autre figuier, plus grand, l'emporte par la grosseur et la saveur
de son fruit, dont les sages de l'Inde se nourrissent. La feuille a la forme
d'une aile d'oiseau ; elle est longue de trois coudées, et large de deux. Le
fruit sort de l'écorce; il est admirable par la douceur de son suc; un seul
suffit pour rassasier quatre personnes. L'arbre se nomme pala ; le fruit,
ariens. Il abonde surtout dans le pays des Sydraques (VI, 25), terme de
l'expédition d'Alexandre. Il y en a aussi un autre dont le fruit est plus doux ,
mais provoque des dérangements intestinaux. Alexandre avait défendu qu'aucun
soldat ne toucha à ce fruit.
XIII.
[1] Les Macédoniens ont parlé d'espèces d'arbres sans en dire le nom la plupart
du temps. Il en existe un semblable en tout au térébinthinier, excepté pour le
fruit, qui, ressemblant à l'amande, est seulement un peu plus petit; la douceur
en est remarquable. Toujours est-il qu'à Bactres quelques-uns le regardèrent
plutôt comme un térébinthinier d'une espèce particulière, que comme un arbre
semblable au térébinthinier. Quant à celui dont on fait des étoffes de lin
(cotonnier?), la feuille en est semblable à celle du mûrier; et la couronne du
fruit à l'églantier. On le plante dans les plaines, et il n'est pas de culture
qui ait un aspect plus agréable.
XIV.
[1] L'olivier de l'Inde est stérile, ou du moins ne donne qu'un fruit d'olivier
sauvage. (VII.) Les végétaux produisant le poivre sont semblables à nos
genévriers et répandus partout, bien que des auteurs aient dit que le versant du
Caucase ex-posé au soleil les produit seul. Les graines diffèrent du genévrier
par leurs petites gousses, semblables à celles des faséoles. La gousse, cueillie
avant de s'ouvrir, et grillée au soleil, fait ce qu'on appelle le poivre long;
peu à peu, s'entrouvrant par l'effet de la maturité, elle met à découvert le
poivre blanc, qui, grillé ensuite par le soleil, se ride, et change de couleur.
[2] Mais ces fruits sont sujets à des
détériorations particulières : ils se charbonnent par l'intempérie de l'air, et
deviennent des semences creuses et vides, nommées brechma; ce mot, dans la
langue indienne, signifie avortement. De toutes les espèces de poivre c'est la
plus âcre , la plus légère ; elle est d'une couleur pâle. Le poivre noir est
plus agréable; le poivre blanc est moins piquant que l'un et l'autre. Le
poivrier n'a pas pour racine, comme quelques-uns l'ont pensé, ce qui est nommé
zimpiberi et par d'autres zingiberi, bien que la saveur en soit semblable. En
effet, le gingembre croit en Arabie et en Troglodytie dans les champs cultivés;
c'est une petite plante herbacée, dont la racine est blanche.
[3] Cette racine se moisit promptement,
quoiqu'elle soit très amère. Le prix en est de six deniers (5 fr. 04) la livre.
On falsifie très aisément le poivre long avec le sénevé d'Alexandrie. Il se vend
quinze deniers (12 fr. 60) la livre; le blanc, sept deniers (5 fr. 88); le noir,
quatre deniers (3 fr. 36). Il est étonnant que l'usage de cette substance ait
pris tant de faveur. En effet, dans les substances dont on use, c'est tantôt la
suavité, tantôt l'apparence qui séduisent. Le poivre n'a rien de ce qui
recommande un fruit ni une baie; Il ne plaît que par son amertume, et par une
amertume qu'on va chercher dans l'Inde. Qui le premier en essaya dans ses
aliments? ou quel fut celui qui ne se contenta pas de la faim pour
assaisonnement?
[4] Le poivre et le gingembre sont sauvages dans
les contrées où ils croissent, et cependant nous les achetons au poids, comme
l'or ou l'argent. L'Italie produit aussi une espèce de poivrier (XVI, 59) plus
grand que le myrte, et qui n'en est pas très différent; l'amertume de la graine
est la même que celle qu'on suppose au poivre nouvellement cueilli; le poivre
d'Italie, n'ayant pas cette maturité cuite du poivre indien, ne se ride pas et
ne change pas de couleur. On falsifie le poivre avec des baies de genévrier qui
en contractent merveilleusement l'âcreté. On le falsifie aussi, pour le poids,
de plusieurs manières.
XV.
[1] Il y a encore dans l'Inde une graine semblable au poivre; on l'appelle
garyophyllon ; elle est plus grosse et plus fragile. On dit qu'elle provient
d'une forêt sacrée de l'Inde; c'est l'odeur qui la fait importer chez nous. Ce
pays produit encore un végétal épineux qui donne une graine semblable au poivre,
et d'une amertume extraordinaire. Les feuilles de ce végétal sont petites, et
serrées comme celles du cypre (XII, 52) ; les branches ont trois coudées de long
; l'écorce est pâle, la racine large, ligneuse, et d'une couleur de buis. En
mettant cette racine avec la semence dans un vase d'airain rempli d'eau, on
prépare le médicament nommé lycion.
[2] Ce végétal (acacia catechu, Willd.)
vient aussi sur le mont Pélion, et sert à falsifier le médicament. On emploie
aussi pour cette sophistication la racine d'asphodèle ou labile de boeuf, ou
l'absinthe, ou le sumac, ou le marc d'huile. Le lycion le meilleur pour l'emploi
médical est écumeux (XXIV, 77). Les Indiens l'envoient dans des outres de peaux
de chameau ou de rhinocéros. Le végétal lui-même est appelé en Grèce, par
quelques-uns, pyxacanthe chironien (XXIV, 77).
XVI.
[1] Le macir est aussi apporté de l'Inde: c'est l'écorce rougeâtre d'une grosse
racine portant le même nom que l'arbre même; je n'ai pu découvrir quel est cet
arbre. L'écorce en dé¬coction dans le miel est surtout employée en médecine
contre la dysenterie.
XVII.
[1] L'Arabie produit du sucre ; mais celui de l'Inde est plus estimé. C'est un
miel recueilli sur les roseaux , blanc comme les gommes, cas-. saut sous la
dent; les plus gros morceaux sont comme une aveline, on ne s'en sert qu'en
médecine.
XVIII.
[1] Sur les frontières de l'Inde est le pays des Ariens, qui produit un végétal
épineux; il est précieux par les larmes qui en découlent; il ressemble à !a
myrrhe, mais les aiguillons qui le garnissent en rendent l'approche difficile.
Là est aussi un arbrisseau vénéneux, de la grandeur du raifort ; la feuille
ressemble à celle du laurier ; l'odeur attire les chevaux, et cette plante priva
presque Alexandre de sa cavalerie à son entrée en cette province; il en arriva
autant dans la Gédrosie. On a parlé d'une épine (excoecaria agallochum,
L.) du même pays, dont la feuille ressemble à celle du laurier, et dont le suc
instillé dans les yeux cause la cécité à tous les animaux. On cite encore une
herbe d'une odeur très forte, et remplie de petits serpents dont la morsure
cause une mort immédiate. Onésicrite rapporte que dans les vallées de l'Hyrcanie
on trouve des arbres semblables à des figuiers, qui sont nommés occhi (hedisarum
alhagi, L.), et desquels du miel s'écoule pendant deux heures du matin.
XIX.
(IX.) [1] Dans la Bactriane, qui est voisine, est le bdellium, très renommé.
C'est un arbre noir, ayant la grandeur de l'olivier, la feuille du chêne, le
fruit et la disposition du figuier sauvage. La gomme qu'il produit est appelée
par les uns brochon, par les autres malacha, par d'autres maldocon; noire et
roulée en masses, elle s'appelle hadrobolon. Elle doit être transparente,
couleur de cire, odorante, onctueuse quand on la frotte, amère au goût, mais
sans acidité; dans les sacrifices, arrosée de vin , elle est plus odorante. Elle
vient en Arabie, en Inde, dans la Médie et à Babylone. Quelques-uns appellent
pératique celle qu'on apporte de la Médie; celle-ci est plus maniable, plus
écailleuse, plus amère; celle de l'Inde est plus humide et gommeuse; on la
falsifie avec des amandes.
[2] Les autres espèces sont falsifiées avec
l'écorce du scordaste, c'est le nom qu'on donne à un arbre dont la gomme
ressemble à celle du bdellium. Ou reconnaît la sophistication (il suffit de le
dire ici une fois pour tous les parfums) à l'odeur, à la couleur, au poids, au
goût, au feu. Le bdellium de la Bactriane est brillant, sec, et a plusieurs
taches blanches comme des ongles; en outre il a un certain poids, et il doit
n'être ni au-dessus ni au-dessous. Le prix du bdellium pur est de trois deniers
(2 fr. 52) la livre.
XX.
[1] Aux contrées dont nous venons de parler touche la Perse, placée le long de
la mer Rouge, que là nous avons appelée mer Persique (vs, 28), et dont les
marées s'avancent loin dans les terres. Les arbres y sont d'une nature
merveilleuse (rhizophora mangle, L.) : corrodés par le sel, semblables à
des végétaux qui auraient été apportés et délaissés par le flot, on les voit,
sur le rivage à sec, embrasser, de leurs racines nues comme des polypes, les
sables arides. Quand la mer monte, battus par les flots, ils résistent
immobiles; bien plus, à la mer haute ils sont complètement couverts , et le fait
prouve que ces eaux salées leur servent d'aliments. La grandeur en est
étonnante; ils ressemblent à l'arbousier; le fruit, en dehors, est semblable à
l'amande; en dedans, le noyau est contourné.
XXI.
(X.) Dans le même golfe est l'île de Tylos (VI, 32, 6), remplie de forêts du
côté qui regarde l'orient, et où elle est arrosée aussi par la marée. Les arbres
y ont la grosseur du figuier; la fleur a une odeur d'une suavité indicible; le
fruit est semblable au lupin (XVIII, 36), et tellement amer qu'aucun animal n'y
touche. Dans la même île, sur un gradin plus élevé, sont des arbres qui
produisent une laine (gossypium arboreum, L.) d'une autre façon que les
arbres du pays des Sères (VI, 20). Les feuilles, en effet, ne produisent rien;
et on pourrait les confondre avec celles de la vigne, si elles n'étaient pas
plus petites; mais l'arbre porte des courges de la grosseur d'un coing,
lesquelles, se rompant au moment de la maturité, mettent à nu des pelotes de
duvet avec lesquelles on fabrique des étoffes précieuses. (XI.) On nomme cet
arbre gossympinus; il est plus abondant encore dans la petite île de Tylos, qui
est à dix mille pas de la grande.
XXII.
[1] Juba rapporte que sur un certain arbrisseau (gossypium herbaceum, L.)
se trouve un duvet qui fournit des toiles préférables à celles de l'Inde; que
les arbres d'Arabie (XIX, 1) avec lesquels on fait les toiles se nomment cynes,
et ont la feuille semblable à celle du palmier. Ainsi les Indiens tirent de
leurs arbres de quoi s'habiller. Dans les deux îles de Tylos est un autre arbre
dont la fleur ressemble à celle de la violette blanche (matthiola incana),
mais quatre fois plus grande; elle est inodore, chose singulière dans ces
contrées.
XXIII.
[1] On y trouve encore un autre arbre semblable, plus feuillé cependant, et dont
la fleur est celle du rosier; il la ferme pendant la nuit, il commence à
l'ouvrir au lever du soleil, il la déploie à midi; les indigènes disent qu'il
est sujet au sommeil. La même île produit des palmiers, des oliviers, des vignes
et des figuiers, ainsi que toute espèce d'arbres à fruit. Aucun arbre n'y perd
ses feuilles; elle est arrosée par de fraîches fontaines et par des pluies.
XXIV.
[1] L'Arabie, qui est voisine, demande qu'on fasse des distinctions entre ses
produits; car on en retire des racines, des branches, des écorces, des sues, des
larmes, des bois, des rejetons, des fleurs, des feuilles, des fruits.
XXV.
(XII.) [1] Une racine et une feuille sont à un haut prix dans l'Inde. La racine
(c'est le costus) (costus arabicus, L.) a un goût brûlant, une odeur
exquise; les branches sont inutiles. A l'embouchure du fleuve Indus, dans l'île
de Patale, on en trouve deux espèces : une poire et une blanche, qui est
meilleure. Le prix en est de six deniers (4 fr. 92) la livre.
XXVI.
[1] Quant à la feuille, c'est celle du nard; et il convient d'en traiter plus en
détail, attendu qu'elle est le principal ingrédient dans les parfums. Le nard
est un arbrisseau (valeriana spica, Boem.) dont la racine est pesante et
épaisse, mais courte et noire, fragile, bien que grasse, ayant une odeur de
moisissure, comme le souchet (XXI, 70), un goût âcre; la feuille est petite et
touffue. Les sommets s'éparpillent en épis ; aussi vante-t-on, dans le nard, les
épis et les feuilles. Une autre espèce qui croit auprès du Gange est condamnée,
d'une manière absolue, sous le nom d'ozenitis; l'odeur en est fétide.
[2] On falsifie le nard avec l'herbe appelée
pseudo-nard (allium victorialis, L.), qui vient partout, dont la feuille
est plus épaisse, plus large, et d'une cou-leur peu prononcée, tirant sur le
blanc; on le falsifie encore avec sa racine, que l'on mêle, pour augmenter le
poids, avec la gomme, avec l'écume d'argent (litharge) , avec l'antimoine (XXXIII,
33), avec le souchet ou l'écorce de souchet. Le nard non sophistiqué se
reconnaît à la légèreté, à la couleur rousse, à l'odeur suave, à la saveur, qui,
tout en donnant de la sécheresse à la bouche, est agréable. Le prix des épis de
nard est de 100 deniers (82 fr.) la livre. Celui des feuilles varie : le nard à
grandes feuilles, appelé pour cette raison hadrosphaerum, se vend 50 deniers (41
fr. ); le nard à feuille moindre , appelé mésosphaerum, se vend 60 deniers (49
fr. 20); le plus estimé est le nard à petites feuilles, microsphaerum : il se
vend 75 deniers (61 fr. 50 ).
[3] Tous les nards ont une odeur agréable; elle
l'est le plus dans les nards récents. Le nard qui a vieilli est d'autant
meilleur qu'il est plus noir. Des nards qui croissent dans l'empire romain,
celui qu'on estime le plus après celui-ci est le nard de Syrie, puis celui des
Gaules (valeriana celtica) ; en troisième lieu celui de Crète (valeriana
italica, Lam.), que quelques-uns appellent sauvage, d'autres phu. Ce dernier
a la feuille de l'olusatrum (XIX, 48), la tige d'une coudée, garnie de noeuds,
d'une couleur pourpre pâle, la racine oblique, velue et ressemblant à une patte
d'oiseau. On nomme baccharis le nard des champs, dont nous parlerons à propos
des fleurs (XXI, 16). Tous ces nards sont des herbes , excepté celui des Indes.
[4] Le nard des Gaules s'arrache avec la racine
même, et on le lave avec du vin; on le sèche à l'ombre, on le lie en bottes dans
du papier; il diffère peu de celui des Iodes, mais il est un peu plus léger que
celui de Syrie. Le prix en est de trois deniers (2 fr. 46). Le seul caractère à
consulter, c'est que les feuilles, sans être ni friables ni desséchées, soient
sèches seulement. A côté du nard des Gaules croît toujours une herbe nommée
hirculus à cause de son odeur forte, et semblable à celle du bouc; on s'en sert
surtout pour le falsifier; elle en diffère, parce qu'elle n'a pas de tige, que
les feuilles en sont plus petites, et que la racine n'est ni amère ni odorante (variété
de la V. celtica ).
XXVII.
(XIII.) [1] L'asarum (asarum curopaeum, L.) a les propriétés du nard, et
quelques-uns l'appellent nard sauvage. Il a les feuilles du lierre, plus rondes
seulement et plus mol-les, la fleur pourprée, la racine du nard des Gaules, la
graine aciniforme, d'une saveur chaude et vineuse. Il fleurit deux fois par an
dans les montagnes ombragées. Le meilleur est celui du Pont, ensuite celui de
Phrygie, en troisième lieu celui d'Illyrie. On l'arrache quand il commence à
avoir des feuilles, on le sèche au soleil. II se moisit rapidement, et il perd
sa vertu. On a trouvé récemment en Thrace une herbe dont les feuilles ne
diffèrent en rien du nard de l'Inde.
XXVIII.
[1] La grappe d'amomum (cissus vitiginea, L.) est employée, c'est le
produit d'une vigne indienne sauvage; d'autres ont pensé qu'elle provenait d'un
arbrisseau semblable au myrte, de la hauteur d'un palme. On l'arrache avec la
racine, on en forme des bottes avec pré-caution; car il est fragile tout
d'abord. On estime surtout celui qui a les feuilles semblables à celles du
grenadier, sans rides, et d'une couleur rousse. Au second rang est celui qui est
pâle. L'amomum qui ressemble à de l'herbe vaut moins, et le moins bon de tous
est le blanc , couleur qu'il prend aussi en vieillissant. Le prix de la grappe
est de 60 deniers (49 fr. 20) la livre; égrené, l'amomum vaut 48 deniers (39 fr.
36).
[2] Il naît aussi dans la partie de l'Arménie
qu'on nomme Otène, dans la Médie, et dans le Pont. On le falsifie avec des
feuilles de grenadier et une solution de gomme; il se colle à ces feuilles , et
on le roule en forme de grappe. Il y a encore ce qu'on appelle l'amomis ,
offrant moins de veines, plus dure et moins odorante; ce qui montre que ce n'est
pas de l'amomum, ou que c'est de l'amomum cueilli avant la maturité.
XXIX.
[1] A ces substances ressemble le cardamome (amomum cardamomum, L.) et
par le nom et par l'arbrisseau dont il provient; la graine en est oblongue. On
le récolte de la même manière dans l'Arabie que dans l'Inde. Il y en a quatre
espèces celui qui est très vert, onctueux, à angles aigus, difficile à casser,
est le plus estimé; vient ensuite celui qui est d'un blanc tirant sur le roux;
en troisième lieu est celui qui est plus court et plus noir. Le plus mauvais est
celui qui est de couleur variée, friable et de petite odeur. Le cardamome non
falsifié doit se rapprocher du costus. II vient aussi dans la Mé¬die. Le prix du
meilleur est de 12 deniers (9 fr. 84) la livre.
XXX.
[1] L'analogie exigerait que je parlasse du cinnamome (XII, 42 ), s'il ne
convenait pas d'indiquer auparavant les richesses de l'Arabie, et les causes qui
lui ont fait donner le nom d'heureuse et de fortunée. Les principaux produits de
cette contrée sont l'encens et la myrrhe. La myrrhe lui est commune avec le pays
des Troglodytes; (XIV.) mais l'encens ne se trouve pas ailleurs qu'en Arabie, et
même il ne se trouve pas dans toute l'Arabie. Au milieu environ de ce pays sont
les Atramites, district des Sabéens (VI , 32 , 12), et dont la capitale est
Sabota, située sur une montagne élevée, à huit stations de la région thurifère
appelée Saba, mot que les Grecs disent signifier mystère. Cette région regarde
le levant d'été, fermée de tous côtés par des rochers, et à droite par une mer
dont la côte est inabordable à cause des écueils. On dit que le sol y est d'un
rouge tirant sur le blanc laiteux.
[2] Les forêts d'encens s'étendent dans une
longueur de 20 schènes, et dans une largeur de dix. Le schène, d'après
l'évaluation d'Ératosthène, vaut 40 stades, c'est-à-dire 5,000 pas ;
quelques-uns ont estimé le schène à 32 stades. De hautes collines s'y élèvent,
et les arbres qui y naissent spontanément descendent jusque dans les plaines. On
s'accorde pour dire que la terre est argileuse, avec des sources rares et
nitreuses. Ce pays est limitrophe de celui des Minéens, autre district à travers
lequel on porte l'encens par un seul sentier étroit. Les Minéens, les premiers,
ont fait le commerce de l'encens, et ils en sont encore les agents les plus
actifs; de là vient que l'encens a été appelé minéen. Ce sont les seuls Arabes
qui voient l'arbre de l'encens, et encore ne le voient-ils pas tous;
[3] on dit que c'est le privilège de trois mille
familles seulement, qui le possèdent par droit héréditaire; que pour cela ces
individus sont sacrés; que lorsqu'ils taillent ces arbres ou font la récolte ils
ne se souillent ni par le commerce avec les femmes ni en assistant à des
funérailles, et que ces observances religieuses augmentent la quantité de la
marchandise. Quelques-uns prétendent que le droit de faire la récolte dans les
forêts appartient en commun à ces peuples ; d'autres disent qu'il se répartit
par un roulement annuel.
XXXI.
[1] On n'est pas même d'accord sur la forme de l'arbre. Nous avons fait des
expéditions dans l'Arabie, les armes romaines ont -pénétré dans une grande
partie de ce pays, et même Caïus César (VI, 31 et 32), fils d'Auguste, lui a
demandé du renom : cependant aucun Latin, que je sache, n'a décrit l'apparence
de cet arbre. Quant aux Grecs, leurs descriptions varient : les uns ont dit
qu'il a la feuille du poirier, plus petite seulement et d'une couleur herbacée;
les autres, qu'il ressemble à un lentisque, dont la feuille serait un peu
rousse. Quelques-uns ont dit que c'est un térébintbinier, et que le roi
Antigone, à qui on en apporta un arbrisseau, en jugea ainsi.
[2] Le roi Juba (VI, 31), dans est ouvrage
adressé au fils d'Auguste, Caïus César, qu'enflammait la renommée de l'Arabie,
rapporte que le tronc est tordu, que les branches sont très semblables à celles
de l'érable du Pont, et qu'il jette un suc comme l'amandier; qu'on le voit avec
ces caractères dans la Carmanie et en Égypte, contrée où il a été planté par le
zèle des Ptolémées. Il est certain qu'il e l'écorce du laurier ; quelques-uns
ont dit que la feuille aussi est semblable à celle de cet arbre. Toujours est-il
que tels étaient les arbres d'encens à Sardes (XVI, 59) ; car les rois d'Asie
prirent aussi le soin d'en faire planter. Les ambassadeurs qui de mon temps sont
venus d'Arabie ont augmenté nos incertitudes; ce qui doit nous étonner à juste
titre, car on nous apporte des branches de l'arbre d'encens, d'après lesquelles
on peut croire que le végétal qui les porte e un tronc uni et sans noeuds.
XXXII.
[1] On avait la coutume de faire la récolte une fois par an, les occasions de
vendre étant moins fréquentes. Aujourd'hui le profit amène à demander une
seconde vendange. La première vendange, celle qui est naturelle, se prépare vers
le lever de la Canicule, au moment des chaleurs les plus ardentes ; on pratique
des incisions là où l'écorce parait le plus gorgée, là où elle est le plus mince
et le plus tendue. On dilate la plaie, mais sans rien enlever. il en jaillit une
écume onctueuse, qui s'épaissit et se coagule; on la reçoit sur des nattes de
palmier quand la nature du lieu l'exige, autrement sur une aire battue alentour.
L'encens est plus pur de la première façon, plus pesant de la seconde. On fait
tomber avec un instrument de fer ce qui est resté attaché à l'arbre; aussi cette
portion est-elle mélangée de fragments d'écorce. La forêt, divisée en lots
déterminés, est à l'abri des déprédations, grâce à la probité mutuelle ;
personne ne garde les arbres incisés, personne ne vole son voisin.
[2] Mais certes à Alexandrie , où l'on sophistique
l'encens, les laboratoires ne sont jamais suffisamment gardés; on appose un
cachet sur le caleçon des ouvriers; on leur met un masque sur la tète, ou un
réseau à mailles serrées ; on ne les laisse sortir que nus. Tant il est vrai que
chez nous les châtiments donnent moins de sûreté qu'on n'en trouve dans ces
forêts ! On recueille en automne ce que l'été a produit ; c'est l'encens le plus
pur, il est blanc. La seconde vendange se fait au printemps; les écorces ont été
incisées en hiver; l'encens sort roux, il n'est pas comparable au premier. Le
premier se nomme carphéote, le second dathiate. On croit aussi que celui d'un
arbre jeune est plus blanc, et celui d'un arbre vieux plus odorant. Quelques-uns
pensent qu'il en vient dans les îles, et qu'il y est meilleur ; Juba nie que les
îles en produisent.
[3] L'encens qui est resté suspendu en forme de
goutte arrondie, nous l'appelons mâle, bien qu'ordinairement on ne se serve pas
de la dénomination de mâle là où il n'y a pas de femelle. On a voulu, par
principe religieux, bannir une dénomination empruntée à l'autre sexe.
Quelques-uns pensent qu'il est appelé mâle parce qu'il a l'apparence de
testicules. On estime le plus mamelonné, forme qu'il prend quand une larme
venant à s'arrêter est suivie d'une autre qui s'y mêle. Je lis dans les auteurs
que chaque motte d'encens remplissait la main, quand, ayant moins d'avidité, on
se pressait moins de récolter. Les Grecs donnent à ces mottes le nom de
stagonies (gouttes) et d'atomes, et d'orobies (en forme d'ers) à celles d'un
moindre volume.
[4] Nous appelons manne les miettes détachées par
le frottement. Cependant, encore aujourd'hui, on trouve des mottes qui pèsent le
tiers d'une mine, c'est-à-dire, 28 deniers (101 gr. 996). Alexandre le Grand,
dans son enfance, chargeant d'encens les autels avec prodigalité, son précepteur
Léonides lui avait dit d'attendre, pour implorer les dieux de cette manière,
qu'il eût subjugué les pays produisant l'encens : ce prince, s'étant emparé de
l'Arabie, lui envoya 'un navire chargé d'encens, et l'exhorta à implorer les
dieux sans parcimonie.
[5] L'encens récolté est apporté a dos de chameau
à Sabota (VI, 32,12 ), où une seule porte est ouverte pour cet usage. S'écarter
de la route est un crime puni de mort par les lois. Là les prêtres prélèvent, à
la mesure , non au poids, la dîme en l'honneur du dieu, qu'ils nomment Subis; il
n'est pas permis d'en vendre auparavant ; c'est avec cette dîme qu'on fait face
aux dépenses publiques, car le dieu défraye généreusement les voyageurs pendant
un certain nombre de journées de marche. L'encens ne peut être exporté que par
le pays des Gébanites (VI, 32, 11); aussi paye-t-il un droit à leur roi. Thomma,
leur capitale, est éloignée de Gaza, ville de Judée, située sur notre mer
(Méditerranée), de 4,436,000 pas, trajet divisé en 65 stations de chameaux. Il y
a encore des portions fixes à donner aux prêtres et aux scribes des rois ; en
outre, les gardiens, les soldats, les portiers, les employés, se font leur part.
Partout où l'on passe il faut payer, ici pour l'eau, là pour le fourrage, pour
les stations, pour les divers péages, de sorte que la dépense pour chaque
chameau jusqu'à la côte de notre mer monte à 688 deniers (564 fr. 16); là il
faut encore payer aux fermiers de notre empire. Aussi la livre du meilleur
encens est de 5 deniers (4 fr. 92) ; la seconde qualité, 5 deniers (4 fr. 10);
la troisième qualité, 3 deniers (2 f. 46). Chez nous on le falsifie avec des
larmes de résine blanche, qui ressemblent beaucoup à l'encens; mais on découvre
cette sophistication par les moyens indiqués (XI, 19). On le reconnaît à la
blancheur, à la grosseur, à la fragilité, à ce que, mis sur un charbon, il brûle
aussitôt, et encore à ce que, loin de se laisser mâcher, il s'émiette.
XXXIII.
(XV.) [1] La myrrhe est le produit d'un arbre qui croît dans, les mêmes forêts
que l'arbre d'encens suivant quelques-uns, à part suivant le plus grand nombre :
le fait est qu'elle vient dans plusieurs endroits de l'Arabie, comme on le verra
quand nous parlerons des espèces. Une myrrhe estimée est apportée des îles (VI,
32), et les Sabéens même traversent la mer pour en aller chercher dans le pays
des Troglodytes. La myrrhe vient aussi par culture, et alors on la préfère de
beaucoup; elle aime le hoyau et le déchaussement, meilleure quand la racine est
rafraîchie (amyris kafal , Forsk. ).
XXXIV.
[1] L'arbre a cinq coudées de haut, et n'est pas sans épines. Le tronc est dur,
contourné, plus gros que celui de l'encens, et plus du côté de la racine que
dans le reste. L'écorce est unie, et semblable à celle de l'arbousier (XV, 27);
d'autres ont dit qu'elle était rugueuse et garnie d'épines. La feuille est celle
de l'olivier , mais plus crépue, et garnie d'un aiguillon; Juba dit qu'elle
ressemble à celle de l'olusatrum (XIX, 48). Quelques-uns assurent que l'arbre à
myrrhe est semblable au genévrier, plus raboteux seulement, et hérissé d'épines,
avec une feuille plus ronde, mais qui a le même goût. Il y a même eu des auteurs
qui ont prétendu mensongèrement que la myrrhe et l'encens provenaient du même
arbre.
XXXV.
[1] L'arbre à myrrhe, lui aussi , s'incise deux fois par an et aux mêmes
époques, mais depuis la racine jusqu'aux dernières branches ayant de la force.
Il transsude d'abord spontanément avant l'incision une myrrhe appelée stacté,
que l'on préfère à toutes les autres; au second rang est la myrrhe que l'on
cultive; parmi les myrrhes sauvages la meilleure est celle qui se récolte en
été. On ne donne point au dieu une part de la myrrhe, parce qu'il en vient aussi
ailleurs. Mais on en paye en tribut le quart au roi des Gébanites. Du reste,
achetée sans choix par les marchands, on l'entasse dans des sacs, et nos
parfumeurs la séparent aisément, à l'aide des caractères fournis par l'odeur et
l'onctuosité.
[2] (XVI.) Il yen a plusieurs espèces : la
première des myrrhes sauvages est celle des Troglodytes; la seconde, la myrrhe
Minéenne, qui comprend l'Atramitique et l'Ausarite dans le royaume des Gébanites;
la troisième, la Dianite; la quatrième, la myrrhe de toute sorte (XII, 33); la
cinquième, la Sembracène, ainsi nommée d'une ville maritime du royaume des
Sabéens: la sixième, celle qu'on appelle Dusarite. Il y a aussi une myrrhe
blanche qu'on trouve en un seul endroit; on la porte dans la ville de Messalum.
On reconnaît la myrrhe Troglodytique à son onctuosité, à son aspect plus aride,
à son apparence sale et grossière; néanmoins elle a plus de vertu que les
autres. La Sembracène n'a pas ces mauvaises apparences; c'est même celle qui a
l'aspect le plus agréable, mais la force en est petite.
[3] En général, la bonne myrrhe est en petites
masses non arrondies, formées par la concrétion d'un suc blanchâtre qui se
dessèche peu à peu; cassée, elle offre des taches blanches comme des ongles;
elle a un goût légèrement amer. Celle qui est de seconde qualité présente des
nuances à l'intérieur. La plus mauvaise est celle qui est noire en dedans; elle
vaut encore moins si elle est noire même en dehors. Les prix varient suivant la
concurrence des acheteurs. La myrrhe stacté vaut de 13 deniers (10 fr. 86) à 40
(32 fr. 80) la livre. La myrrhe cultivée vaut au plus 11 deniers (9 fr. 02);
l'Érythréenne va jusqu'à 16 (13 fr. 12) ; c'est la myrrhe qu'on prétend être
celle d'Arabie.
[4] La Troglodytique en grains coûte 16 deniers;
celle qu'on nomme odoraria,14 (11 fr. 48). On falsifie la myrrhe avec le suc
concrété du lentisque, avec la gomme; pour l'amertume, avec le suc de concombre
sauvage; pour le poids, avec l'écume d'argent (litharge). On reconnaît les
autres falsifications au goût; la gomme, à ce qu'elle s'amollit sous la dent.
Mais la sophistication la plus perfide se pratique avec la myrrhe de l'Inde;
celle-ci se recueille sur un végétal épineux. C'est la seule substance do l'Inde
qui soit pire que les substances congénères; la distinction en est facile, tant
elle est inférieure.
XXXVI.
(XVIII.) [1] Cette myrrhe de l'Inde est donc plutôt un mastic. Le mastic
provient aussi d'un autre végétal épineux de l'Inde et de l'Arabie; ce végétal
s'appelle lama. Mais il y a aussi deux espèces de mastics : en effet, on trouve
en Asie et eu Grèce une herbe dont les feuilles naissent de la racine (XXI, 56),
et qui porte un chardon semblable à une pomme, et rempli de graines ; une
incision faite à la partie supérieure donne issue à un liquide en larmes qu'on
peut à peine distinguer du vrai mastic (atractylis gammifera). Une
troisième espèce existe encore dans le Pont (XIV, 25); elle ressemble davantage
au bitume. Le plus estimé est le mastic blanc de Chios ; le prix en est de 20
deniers la livre (16 fr. 40); le noir se vend douze deniers (9 fr. 84). On dit
que le mastic de Chios vient, en forme de gomme, du lentisque (pistacia
lentiscus, L.); on le falsifie, comme l'encens, avec de la résine.
XXXVII.
[1] L'Arabie se glorifie encore du ladanum. Plusieurs auteurs ont rapporté que
cette substance est le produit d'un hasard et d'un mal fait à l'arbre odorant (cistus
ladaniferus, L.) : ils ont dit que les chèvres, animal qui , toujours
nuisible au feuillage, est encore plus friand des feuillages odorants, comme si
elles en connaissaient la valeur, font tomber avec le poil malfaisant de leur
barbe les bourgeons gonflés d'une liqueur douce; que le suc qui en découle
s'attache aux poils par une adhérence fortuite, s'agglomère par la poussière et
se cuit par le soleil; que pour cette raison on trouve des poils de chèvre dans
le ladanum; on ajoute que le pays des Nabatéens (VI, 32), qui sont les Arabes
limitrophes de la Syrie, produit seul cette substance.
[2] Les auteurs modernes l'appellent strobon, et
disent qu'en Arabie les chèvres en broutant font du dégât dans les forêts, et
qu'ainsi le suc s'attache à leur poil; mais que le vrai ladanum provient de
l'île de Chypre (j'en fais mention pour parler de toutes les espèces de parfums
et sans suivre l'ordre des pays) ; que ce ladanum de Chypre se forme, il est
vrai, de la même manière; que c'est une espèce de suint qui s'attache aux barbes
et aux genoux velus des boucs; mais qu'il provient de la fleur du lierre broutée
par ces animaux le matin , au moment où l'île de Chypre est couverte de rosée;
qu'ensuite, le brouillard ayant été dissipé par le soleil, la poussière adhère
aux poils humides, ce qui forme le ladanum, qu'on enlève à l'aide d'un peigne.
[3] Des auteurs appellent Léda le végétal de l'île
de Chypre qui produit cette substance (aussi écrivent-ils ledanum); ils disent
qu'une substance visqueuse s'y dépose, et qu'à l'aide de ficelles roulées autour
de la plante et tirées on recueille cette substance, dont on fait aussi des
pains. De la sorte, eu Chypre comme en Arabie, deux espèces de ladanum, l'un
terreux et l'autre artificiel ; le terreux est friable, l'artificiel est gluant.
On dit encore que le ladanum est le produit d'un
arbrisseau de la Carmanie transplanté par les Ptolémées au delà de l'Égypte.
Selon d'autres, l'arbre à encens donne aussi le ladanum; on le récolte comme la
gomme, en incisant l'écorce, et on le reçoit sur des peaux de chèvres. Le plus
estimé se vend 40 as (2 fr.) la livre. On le falsifie avec des baies de myrte et
des saletés prises sur d'autres animaux que la chèvre. Le ladanum pur doit avoir
une odeur sauvage, et sentant pour ainsi dire le désert; sec à la vue, il
s'amollit dès qu'on le touche; allumé, il brille, et répand une odeur agréable.
Les baies de myrte s'y reconnaissent, le feu les faisant éclater. En outre, le
ladanum pur contient plutôt de petits cailloux que do la poussière.
XXXVIII.
[1] En Arabie, l'olivier fournit un suc en larmes qui entre dans le médicament
appelé par les Grecs enhaemon, et doué de propriétés singulières pour la
cicatrisation des plaies. Ces arbres sont, sur le bord de la mer, couverts par
l'eau au temps de la marée, sans que les olives en souffrent, bien qu'il reste
du sel sur les feuilles. Ce sont là les arbres propres à l'Arabie ; elle en a
quelques autres qui lui sont communs avec d'autres pays; j'en parlerai ailleurs,
parce que ceux de l'Arabie sont inférieurs. Les Arabes eux-mêmes ont une
merveilleuse passion pour les parfums exotiques, et ils vont les chercher dans
des contrées lointaines. Tant l'homme se dégoûte des choses indigènes, et est
avide des choses étrangères !
XXXIX.
[1] Ils demandent donc à l'Élymaïde l'arbre appelé bratus : il ressemble à un
cyprès plus large que haut ; les branches en sont blanchâtres ; il répand une
odeur agréable en brûlant, et dans ses Histoires l'empereur Claude en dit des
merveilles : il rapporte que les Parthes en mettent les feuilles dans leur
boisson, que l'odeur en approche beaucoup de celle du cèdre, et que la fumée de
ce bois est un remède contre la fumée des autres bois. Cet arbre naît au delà du
Pasitigris, dans le territoire de la ville de Sit¬tace, sur le mont Zagrus (VI,
31).
XL.
[1] Ils vont aussi chercher dans la Carmanie l'arbre appelé strobus, qu'ils
emploient à des fumigations, le brûlant après l'avoir arrosé de vin de palmier.
L'odeur qui s'en exhale monte au plafond et redescend vers le sol, agréable,
mais causant de la pesanteur de tête, sans douleur cependant; on s'en sert pour
procurer du sommeil aux malades. A ces diverses branches de commerce ils ont
ouvert la ville de Carrhes (V, 21), leur servant de marché; delà ils avaient
coutume de gagner Gabba (V, 16), trajet de vingt journées, et la Palestine de
Syrie (V, 14). Plus tard, suivant Juba, ils se mirent, pour la même raison, en
rapport avec Charax (VI, 31) et le royaume des Parthes. Pour moi, il me paraît
qu'ils ont même porté ces marchandises en Perse avant de les porter en Syrie ou
en Égypte, du moins au témoignage d'Hérodote (Hist., III, 94), qui dit
que les Arabes fournissaient en tribut annuel aux rois de Perse mille talents
d'encens (1940 kil.).
[2] De Syrie ils rapportent le styrax (XII, 56),
qui, brûlé dans le foyer, chasse par son odeur forte le dégoût de leurs propres
parfums. On n'emploie pas en Arabie d'autres bois que des bois odorants; les
Sabéens cuisent leurs aliments avec du bois d'encens, d'autres avec du bois de
myrrhe; et la fumée et les odeurs qui s'élèvent des villes et des bourgs sont
celles de nos autels. Aussi pour s'en préserver ils brûlent du styrax dans des
peaux de bouc, et ils en font des fumigations dans leurs maisons; tant il est
vrai qu'il n'est aucun plaisir dont la continuité ne cause du dégoût! Ils le
brûlent aussi pour mettre en fuite les serpents, très multipliés dans les forêts
odoriférantes.
XLI.
(XVIII.) [1] Le cinnamome et la casia (laurus casia, L.) n'appartiennent
pas à l'Arabie, qu'on nomme cependant Heureuse. Trompée et ingrate, elle croit
tenir du ciel son surnom, et elle le doit bien plus aux enfers. Ce qui l'a faite
Heureuse, c'est le luxe déployé par les hommes môme dans la mort, et employant à
brûler les défunts ce que l'Arabie pensait avoir été produit pour honorer lés
dieux. Les gens du métier assurent que ce pays ne donne pas en une année autant
de parfums que Néron en brûla lors de la mort de son épouse Poppée. Qu'on fasse
maintenant le calcul de toutes les funérailles, par an, dans l'univers entier,
et des masses d'encens consacrées à honorer des cadavres, d'un encens qu'on
n'accorde aux dieux que par miettes.
[2] Certes les dieux n'étaient pas moins propices
quand on les suppliait en leur offrant un gâteau salé; et ils l'étaient bien
davantage, les faits le prouvent. Mais la mer de l'Arabie est encore plus
Heureuse; c'est elle, en effet, qui fournit les perles; 100 millions de
sesterces (21,000,000 f.), au calcul le plus bas, sont annuellement enlevés à
notre empire par l'Inde, la Sérique, et cette presqu'île Arabique; tant nous
coûtent cher le luxe et les femmes ! Quelle portion, je vous le demande, en
revient aux dieux du ciel et de l'enfer?
XLII
(XIX.) [1] L'antiquité ou Hérodote le premier (Hist., III) ont fait sur
le cinnamome et la casia un récit fabuleux, que voici : Ces substances sont dans
des nids d'oiseaux, et particulièrement dans les nids du phénix, aux lieux où
Bacchus a été élevé; et on les fait tomber du haut de roches et d'arbres
inaccessibles, soit par des morceaux de viande pesants qu'on donne à ces oiseaux
et qu'ils y portent, soit par des flèches de plomb. On dit encore que la casia
vient autour de marais défendus par une espèce de chauve-souris aux griffes
redoutables et des serpents ailés. C'est par ces contes qu'on augmente le prix
des marchandises. Une autre fable marche de compagnie : c'est que sous les
rayons du soleil de midi la péninsule entière exhale un parfum indicible composé
de tous les arômes; que la brise en est embaumée, et qu'elle annonça l'Arabie en
haute mer à la flotte d'Alexandre avant qu'on l'aperçût.
[2] Tout cela est faux, car le cinnamome ou
cinname naît dans le pays des Éthiopiens (VI, 31), unis par des mariages aux
Troglodytes. Les Troglodytes, l'achetant des Éthiopiens leurs voisins, le
transportent à travers de vastes mers sur des radeaux, sans gouvernail pour la
direction, sans rames pour la traction ou l'impulsion, sans voile ni rien qui
aide ; l'homme et l'audace tiennent lieu de tout. En outre, ils traversent une
mer orageuse vers le solstice d'hiver, époque à laquelle règnent les Eurus
(vents sud-est).
[3] Ces vents les conduisent directement de golfe
en golfe; et, après leur avoir fait doubler le promontoire [d'Arabie] (VI,
32,11), le vent Argeste (II, 46) (du couchant solstitial) les conduit dans le
port des Gébanites, appelé Ocila. Aussi est-ce le port où ils se rendent de
préférence. On raconte que les marchands reviennent à peine au bout de cinq ans,
et que beaucoup périssent. En échange, ils rapportent des objets en verre, des
vases de cuivre, des étoffes, des agrafes, des bracelets et des colliers. Ainsi
ce commerce dépend principalement de la constance des goûts chez les femmes.
[4] L'arbrisseau même a deux coudées de hauteur au
plus, et un palme au moins; il est épais de quatre doigts; à peine à six doigts
du sol, il pousse des jets; il semble desséché. Vert, il n'a pas d'odeur. La
feuille est celle de l'origan (XX, 67). Il aime la sécheresse, produit moins par
un temps pluvieux, et veut être taillé. Il vient dans des terrains plats, Il est
vrai, mais au milieu des ronces et des épines les plus fourrées; aussi la
récolte en est-elle difficile. On ne la fait qu'avec la permission du dieu
(quelques-uns pensent que ce dieu est Jupiter, les indigènes le nomment
Assabinus). On obtient la permission de pratiquer la taille en Offrant les
entrailles de quarante-quatre boeufs, chèvres et béliers; encore cela n'est-il
permis ni avant le lever ni après le coucher du soleil. Le prêtre divise les
sarments avec une pique, et fait la part du dieu : le reste est mis par le
marchand en masses. D'après une autre version, le Soleil participe au partage :
on fait trois parts; on tire deux fois au sort; ce qui échoit au Soleil est
abandonné, et s'embrase spontanément.
[5] La partie la plus mince des branches dans la
longueur d'un palme est le meilleur cinnamome; la seconde qualité comprend les
parties situées au-dessous, mais dans une moindre étendue, et ainsi de suite. Ce
qui est le moins estimé, c'est ce qui est le plus près des racines, parce que là
il y a le moins d'écorce; et l'écorce est la partie recherchée. Pour cette
raison on préfère les sommités, qui ont le plus d'écorce. Quant au bois
lui-même, on n'en fait pas de cas, à cause du goût âcre d'origan qu'il a ; on le
nomme xylocinnamome. Le prix en est de 10 deniers (8 fr. 20) la livre.
Quelques-uns ont parlé de deux espèces de cinname, l'une blanche, l'autre noire.
Jadis on préférait la blanche; maintenant la noire est vantée, et même on estime
plus l'espèce à couleurs variées que la blanche. Le plus sûr caractère de la
bonté du cinnamome, c'est qu'il ne soit pas raboteux, et que les morceaux
frettés entre eux ne s'émiettent que lentement. On rejette surtout celui qui est
mou, ou dont l'écorce ne tient pas.
[6] Cette denrée est entièrement entre les mains
du roi des Gébanites, qui ouvre le marché et fait la vente. Le prix en a été
jadis de 1000 deniers (820 fr.) la livre. Il a été augmenté de moitié en sus,
les forêts ayant été, dit-on, incendiées par les barbares irrités (16). Cet
incendie a-t-il été provoqué par l'injustice des hommes puissants, ou est-il dû
au hasard? c'est ce qui n'est pas éclairci. Nous lisons dans les auteurs que là
soufflent des vents du midi tellement brûlants, qu'en été ils occasionnent
l'embrasement des forêts. L'empereur Vespasien Auguste a le premier consacré,
dans les temples du Capitole et de la Paix, des couronnes de cinname renfermées
dans de l'or ciselé. Nous en avons vu une racine très pesante dans le temple du
mont Palatin qu'Augusta (Livie) avait érigé en l'honneur de son mari le dieu
Auguste : elle était posée sur une patère d'or; il en sortait tous les ans des
gouttes qui se durcissaient en grains : cela a duré jusqu'à la destruction du
temple par un incendie.
XLIII.
[1] La casia (laurus casia, L.) , aussi un arbrisseau, vient près des
champs qui produisent le cinnamome, mais dans les montagnes; les rameaux en sont
plus gros. Elle est revêtue plutôt d'une peau mince que d'une écorce, et,
contrairement à ce qui est pour le cinname, on ne l'estime qu'autant que
l'écorce est détachée et creuse La hauteur de l'arbrisseau est de trois coudées.
La couleur est triple : commençant à pousser, il est blanc dans la longueur d'un
pied; puis, croissant d'un demi-pied, il rougit ; croissant davantage, il est
noirâtre. C'est cette partie qu'on prise le plus ; au second rang est la partie
qui en est la plus voisine; on rebute la partie blanche. On coupe des bouts de
branches de la longueur de deux doigts, puis on les coud dans des peaux fraîches
de quadrupèdes tués pour cet objet, afin que, ces peaux se putréfiant, les vers
rongent le bois et vident l'écorce, défendue par son amertume.
[2] On estime surtout la cannelle fraîche, d'une
odeur très suave, d'une saveur qui brûle plutôt qu'elle n'échauffe, avec douceur
et continuité, d'une couleur purpurine, pesant peu sous un volume considérable,
à tuyaux courts et non fragiles. Les barbares donnent le nom de lacta à cette
cannelle. Une autre espèce est appelée balsamode, à cause de son odeur; mais
elle est amère : aussi est-elle préférable pour les compositions
médicamenteuses, comme la noire pour les parfums. Aucune substance n'a des prix
plus disproportionnés : la meilleure vaut 50 deniers (41 fr.) la livre; les
autres, 5 deniers (4 fr. 10).
[3] (XX.) On trouve encore dans le commerce
l'écorce appelée daphnoïde (laurus casia), et surnommée isocinnamome
(égale au cinnamome); le prix en est de 300 deniers ( 246 fr.). On la falsifie
avec du styrax, et, à cause de la ressemblance des écorces, avec de très petites
branches de laurier. Bien plus, on plante la casia (daphne gnidium, L.)
dans notre monde et à l'extrémité de l'empire, le long du Rhin; là, ce végétal
(XVI, 59) vit dans les terrains où sont des ruches d'abeilles; mais il n'a pas
cette couleur brûlée due à un soleil ardent, ni, non plus, la même odeur.
XLIV.
[1] Sur les confins du pays de la cannelle et du cinnamome croissent le cancame
(amyris kalaf, Forsk.) et le tarum (bols d'aloès), apportés en Arabie à
travers le pays des Nabatéens Troglodytes, colonie des Nabatéens.
XLV.
(XXI.) [1] On y apporte aussi le serichatum et le gabalium, productions que les
Arabes consomment chez eux, et que l'on ne connaît que de nom dans l'empire
romain. Ces substances croissent avec le cinname et la cannelle. Cependant
quelquefois le serichatum parvient jusqu'à nous, et quelques-uns l'ajoutent aux
parfums; il se vend 6 deniers (4 fr. 12 ) la livre.
XLVI.
[1] Le myrobolan (noix de ben; moringa oleifera, Lam.) est commun au pays
des Troglodytes, à la Thébaïde, et à cette portion de l'Arabie qui sépare la
Judée de l'Égypte; il est fait pour les parfums, comme l'indique le nom, lequel
montre aussi que c'est le gland d'un arbre. Cet arbre est semblable pour sa
feuille à l'héliotrope, dont nous parlerons parmi les herbes (XXII, 29) ; le
fruit est de la grosseur d'une aveline. Celui qui croît en Arabie est appelé
syriaque, et est blanc; celui que produit la Thébaïde est noir. On préfère le
premier, à cause de la bonté de l'huile qu'on en exprime; mais celui de la
Thébaïde en fournit davantage.
[2] Le myrobolan de la Troglodytique est le moins
estimé. Quelques-uns préfèrent le myrobolan d'Éthiopie, gland noir, sans
onctuosité, à noyau petit, mais rendant une liqueur plus parfumée, et venant
dans des plaines; ils ajoutent que le myrobolan d'Égypte est plus gras; l'écorce
en est plus épaisse, rouge, et, quoiqu'il naisse dans des terrains marécageux,
il est plus court et plus sec; qu'au contraire le myrobolan d'Arabie est vert,
plus menu et plus compact, vu qu'il croît sur des montagnes; mais que le
meilleur, à beaucoup près, est celui de Pétra, ville dont nous avons parlé (VI,
32,3), à écorce noire, à noyau blanc. Les parfumeurs ne font qu'exprimer les
écorces; les médecins expriment les noyaux, qu'ils pilent, et arrosent peu à peu
avec de l'eau chaude.
XLVII.
(XXII.) [1] Le fruit du palmier d'Égypte appelé adipsos (calmant la soif) est
employé dans la parfumerie comme le myrobolan, et vient, pour l'usage,
immédiatement après. Il est vert , d'une odeur de coing, sans bois à
l'intérieur. On le récolte un peu avant qu'il commence a mûrir; si on le laisse
mûrir, on le nomme phoenicobalan (gland phénicien) ; il devient noir, et enivre
ceux qui en mangent. Le prix du myrobolan est de 2 deniers (1 fr. 64) la livre.
Les marchands appellent aussi myrobolan la lie du parfum où entre cette
substance.
XLVIII.
[1] Le calamus odorant, qui croît dans l'Arabie, est commun à l'Inde et à la
Syrie. Celui de Syrie, à 150 stades (27 kil.) de notre mer (Méditerranée),
l'emporte sur tous les autres. Entre le mont Liban et une autre montagne sans
nom, mais qui n'est pas, comme quelques-uns l'ont pensé, l'Anti-Liban en une
vallée médio¬cre, près d'un lac dont les marécages se dessèchent l'été,
croissent dans un espace de 30 stades (5,500 mètres) à partir de ce lac, le
calamus et le jonc odorant (andropogon schænanthus) (XXI,72). Nous ne voulons
pas, quoiqu'un autre livre soit consacré aux herbes, laisser de côté le jonc,
nous occupant ici des matériaux de la parfumerie.
[2] Ces deux végétaux ne diffèrent en rien, pour
l'aspect, des autres de ce genre; mais le calamus a une odeur agréable, attire
aussitôt de loin, et est plus mou au toucher. Le meilleur est le moins fragile,
celui qui se rompt plutôt en éclats qu'en rave. Dans le tuyau est un réseau
semblable à une toile d'araignée, qu'on appelle la fleur; celui qui en contient
le plus est le meilleur.. Le dernier caractère de bonté, c'est la couleur noire;
ailleurs cette couleur le fait rebuter. Il est d'autant meilleur qu'il est plus
court, plus gros, et pliant quand on veut le rompre. Le prix du calamus est de
11 deniers (8 fr. 02) la livre; du jonc, de 15 (12 fr. 30). On dit que le jonc
odorant se trouve aussi dans la Campanie.
XLIX.
[1] Nous sommes sortis des terres qui regardent l'Océan, pour entrer dans celles
qui sont tournées vers nos mers. (XXIII.) L'Afrique, placée au-dessous de
l'Éthiopie, distille dans ses sables la gomme ammoniaque (XXIV, 14); le nom en a
même passé à l'oracle d'Ammon, auprès duquel croit l'arbre qui la produit. Cette
substance, qu'on nomme métopion, ressemble à de la résine ou à de la gomme. On
en distingue deux espèces : le thrauston ( concassé), il a de la ressemblance
avec l'encens mâle, c'est le plus estimé; le phyrama (mélange), il est gras et
résineux. On falsifie la gomme ammoniaque avec dessables, qui semblent s'y être
incrustés au moment de la formation; aussi préfère-t-on celle dont les morceaux
sont le plus petits et le plus purs. Le prix de la meilleure est de 40 as (2 fr.)
la livre,
L.
[1] Au-dessous de ces contrées, dans la province Cyrénaïque, est le meilleur
sphagnos, que d'autres nomment bryon; au second rang est celui de Chypre; au
troisième, celui de Phénicie. On dit qu'il naît aussi dans l'Égypte et même dans
la Gaule ; je n'en doute pas : en effet, on donne ce nom à des flocons blancs
attachés aux arbres, tels que ceux que nous voyons sur le chêne surtout; mais
ceux dont il s'agit ici ont une, odeur excellente. Les plus estimés sont les
plus blancs et les plus hauts sur les arbres (XVI 13) ; la seconde qualité est
rouge, les noirs sont sans. valeur.. Le sphagnos né dans les lies et les roches.
est rebuté, ainsi que toutes les espèces qui ont I'o,. deur de palmier, et non
leur odeur propre.
LI.
(XXIV.) [1] Le cyprus ( henné, lawsonia inermis, L.) est un arbre d'Égypte, à
feuilles de jujubier (XV, 14), à graine de coriandre (XX, 82), blanche et
odorante ; on le cuit dans l'huile, on l'exprime ensuite, ce qui donne le parfum
appelé cyprus; le prix en est de 5 deniers (4 fr. 10) la livre. Le meilleur
vient du cyprus de Canope sur la rive du Nil; la seconde qualité, d'Ascalon en
Judée; le troisième, de l'île de Chypre; elle a une odeur suave. Quelques-uns
disent que c'est l'arbre appelé en Italie ligustrum (troène).
LII.
[1] Dans la même contrée vient l'aspalathos (XXIX, 69) (convolvulus scoparius,
L), à épines blanches, de la grandeur d'un arbre de taille médiocre, à fleurs de
rosier. La racine est recherchée pour la parfumerie. On dit que (XXVII, 30, 1)
tout arbrisseau sur lequel se recourbe l'arc-en-ciel exhale une odeur aussi
douce que l'aspalathos, mais que dans ce cas l'aspalathos exhale une odeur d'une
suavité indicible. Quelques-uns l'appellent erysisceptrum; d'autres, sceptrum.
On estime celui qui est roux ou couleur de feu, compacte au toucher, et d'une
odeur decastoréum; on le vend 5 deniers (4 fr. 10) la livre.
LIII.
[1] L'Égypte produit aussi le marum (teurium marum, L. ), qui vaut moins
que celui de Lydie; ce dernier a les feuilles plus grandes et de diverses
couleurs; l'autre les a courtes, petites et odorantes.
LIV.
(XXV.) [1] Mais à toutes les odeurs on préfère le baume (balsamodendrum
opobalsamum, L. ), accordé à la seule terre de Judée. Jadis il ne croissait
que dans deux jardins, tous deux royaux, l'un de 20 jugères juste (5 hect. ),
l'autre un peu moins étendu. Les empereurs Vespasien et Titus ont montré cet
arbrisseau à Rome : chose glorieuse à dire, depuis Pompée le Grand nous avons
porté aussi des arbres dans nos triomphes (XII, 9 ). Maintenant cet arbre est
esclave, et il paye tribut avec sa nation; il est tout différent de ce qu'en
avaient dit nos auteurs et les auteurs étrangers.
[2] En effet, il ressemble plus à la vigne qu'au
myrte. On dit qu'on le plante par marcottes, comme la vigne tout à l'heure
nommée. Il couvre des coteaux à la façon de vignobles cultivés sans tuteurs. Il
se taille semblablement quand il est en branches; il prend de la force par le
bi¬nage, et il pousse rapidement. En trois ans il donne des fruits. La feuille
se rapproche beaucoup de celle de la rue, et ne tombe jamais. Les Juifs ne
ménagèrent pas plus le baumier que leur propre vie; mais les Romains le
défendirent, et l'on se battit pour un arbrisseau. Aujourd'hui le fisc le
cultive pour son compte, et jamais cet arbuste n'a été plus multiplié et plus
grand. La hauteur en est toujours au-dessous de deux coudées.
[3] Il y en a trois espèces : l'une, à feuillage
mince et chevelu, se nomme euthéristos (aisé à moissonner) ; l'autre, d'un
aspect rugueux, Incurvée, rameuse, et plus odorante, est appelée trachy (rude) ;
la troisième, eumèces, parce qu'elle est plus grande que les autres; l'écorce en
est lisse; elle est la seconde en bonté; l'euthéristos, la dernière. La graine a
une saveur vineuse; elle est rousse, et n'est pas sans onctuosité; celle qui est
légère et verte vaut moins. Les branches sont plus grosses que celles du myrte.
On incise l'arbre avec du verre, une pierre ou des couteaux d'os; les parties
vivantes ne doivent pas être lésées avec le fer; autrement il meurt aussitôt, et
cependant il supporte qu'on l'émonde. La main qui pratique l'Incision doit la
conduire avec assez de ménagement pour ne rien blesser au delà de l'écorce.
[4] La plaie laisse couler un suc nommé
opobalsamum, d'une suavité exquise, mais seulement goutte à goutte; on le reçoit
sur des laines, et on l'exprime dans de petites cornes. De là on le met dans un
vase de terre neuf; il ressemble à une huile épaisse, et frais il est blanc;
puis il rougit, durcit, et perd de sa transparence. Pendant qu'Alexandre le
Grand faisait la guerre en Judée, c'était tout juste si on remplissait d'encens
une coquille dans tout un jour d'été. Le produit entier du grand jardin n'était
quo de six conges (litres 19, 44) et celui du petit d'un seul conge (litres 3,
24). On payait le baume le double de son poids en argent. Maintenant tin seul
arbre produit davantage. On incise le baumier trois fois chaque été, puis on le
taille.
[5] Les sarments se vendent aussi; l'émondage et
les rejetons se sont vendus, cinq ans après la conquête, 700,000 sesterces
(147,000 fr.). C'est ce qu'on appelle le xylobalsamum; il sert à la fabrication
des parfums; les laboratoires l'ont substitué au suc. L'écorce même est estimée
pour les préparations médicamenteuses. On prise le plus le baume en larmes, puis
la graine, en troisième lieu l'écorce, en dernier lieu le bois. Le meilleur bois
est celui qui est de couleur de buis, c'est aussi le plus odorant; la meilleure
graine, celle qui est la plus grosse, la plus pesante, d'une saveur mordante et
brûlante. On la falsifie avec l'hypéricum (XXVI, 53 et 54) de Pétra,
falsification qui se reconnaît à ce que la graine d'hypéricum est grosse, vide,
longue, sans odeur, et d'un goût de poivre.
[6] La larme, pour être bonne , doit être grasse,
petite, médiocrement rousse, et devenir odorante par le frottement. La blanche
est de seconde qualité; la verte et grosse vaut moins; la noire est la pire, car
elle rancit, comme l'huile, en vieillissant. De tous les baumes en larmes, on
estime le plus celui qui a coulé avant la formation de la graine. Au reste, on
le falsifie avec le suc de la graine, et c'est à peine si on découvre la fraude
à un peu d'amertume : en effet, le goût du baume doit être doux, sans mélange
d'acidité; seulement l'odeur en est forte. On l'altère aussi avec l'huile de
rose, de cyprus (XII, 5, ), de lentisque, de balan, de térébinthe, de myrte;
avec la résine, le galbanum, le cérat du cypre, avec tout ce qui se trouve sous
la main.
[7] La sophistication la plus trompeuse est celle
qui se fait avec la gomme, parce que la substance ainsi préparée tient à la main
qu'on retourne, et va au fond de l'eau; or, ce sont là les deux caractères du
baume. Le baume pur tient, il est vrai, à la main; mais, mélangé avec la gomme,
il s'y forme une pellicule fragile (20). On reconnaît aussi cette falsification
au goût. Mis sur un charbon, le baume altéré avec de la cire et de la résine
brûle avec une flamme plus noire; mélangé de miel, il attire aussitôt les
mouches sur la main. En outre, le baume pur mis dans de l'eau tiède forme un
grumeau épais qui va au fond du vase; sophistiqué, il surnage comme de l'huile;
et s'il est altéré avec du métopion (XII, 49), il se forme autour un cercle
blanc. Le caractère le meilleur, c'est qu'il coagule le lait et qu'il ne laisse
pas de tache sur les étoffes. Pour aucune autre substance 8 la fraude n'est plus
manifeste ; car un setier (litre 0,54) de baume, vendu par le fisc trois cents
deniers (246 fr.), produit 1,000 deniers (820 fr.); tant il y a profit à
augmenter la quantité du liquide ! Le prix du xylobalsamum est de 5 deniers (4
fr. 10) la livre.
LV.
[1] La portion de la Syrie limitrophe de la Judée, et située au-dessus de la
Phénicie, produit le styrax (styrax officinale, L.) autour de Gabala, de
Marathus et de Casius, montagne de la Séleucie. L'arbre porte le même nom ; il
ressemble au cognassier. Il donne un suc âpre, mais laissant un goût agréable. A
l'intérieur il est semblable à un roseau, et rempli de jus. Vers le lever de la
Canicule, des vermisseaux ailés y volent et le rongent, vermoulure qui en salit
le sue. Après le styrax de Syrie on vante celui de Pisidie, de Sidon, de Chypre,
de Cilicie; celui de Crète n'est pas estimé. Celui du mont Aman en Syrie est
employé par les médecins, et encore plus par les parfumeurs.
[2] De quelque pays qu'il provienne, on préfère
celui qui est roux, tenace et onctueux ; celui qui est furfuracé et couvert
d'une moisissure blanche est plus mauvais. On le falsifie avec de la résine de
cèdre ou de la gomme; d'autres fois, avec du miel ou des amandes amères; tout
cela se reconnaît au goût. Le meilleur se vend 8 deniers (6 fr. 56). Il vient
aussi en Pamphylie, mais il est plus âcre et moins juteux.
LVI.
[1] Le même mont Aman en Syrie produit le galbanum (bubon galbanum, L.),
d'une férule nommée stagonitis (qui dégoutte), comme la résine produite. On
prise surtout le cartilagineux, pur comme la gomme ammoniaque et nullement
ligneux. On le falsifie avec des fèves ou du sacopenium (XX, 75). Brûlé pur, il
met en fuite les serpents par son odeur. On le vend 5 deniers (4 fr. 10) la
livre; il n'est employé qu'en médecine.
LVII.
(XXVI.) [1] La Syrie fournit encore à la parfumerie le panax (pastinaca
opopanax, L.), qui croît aussi dans la Psophide, contrée de l'Arcadie,
autour des sources de l'Érymanthe, en Afrique et dans la Macédoine. C'est une
férule particulière, haute de cinq coudées; elle jette d'abord quatre feuilles,
puis six, couchées à terre, très grandes et arrondies, semblables dans le haut à
des feuilles d'olivier; la graine est suspendue à des bouquets, comme dans les
férules. On obtient le suc en incisant la tige dans le temps de la moisson, et
la racine en automne. On estime celui qui, coagulé, est blanc; on estime moins
le pale; on re¬bute le noir. Le meilleur se vend 2 deniers (1 fr. 64) la livre.
LVIII.
[1] La férule appelée spondylion (heracleum sphondylium , L.) ne diffère
de la précédente que par les feuilles, qui sont plus petites, et découpées comme
celles du platane; elle ne croit que dans les lieux ombragés. La graine qui
porte le même nom a l'apparence de celle du silis (XX, 18), (seseli tortuosum,
L.); on ne l'emploie qu'en médecine (XXIV, 16).
LIX.
[1] La Syrie donne encore le malobathron, arbre à feuilles roulées et d'une
apparence desséchée; on en exprime une huile pour les parfums. L'Égypte fournit
davantage de cette huile; cependant la plus estimée vient de l'Inde. Là, dit-on,
le malobathron croit dans les marais, comme la lentille. Il est plus odorant que
le safran; il est noirâtre, rugueux, et a une sorte de goût de sel. Le
malobathron blanc est moins estimé; il se moisit promptement en vieillissant. Le
goût en doit être semblable à celui du nard; chauffé dans du vin, il exhale une
odeur supérieure à toutes les autres. Les variations du prix sont quelque chose
de prodigieux : d'un denier (0 fr. 82) la livre, il va à 300 (246 fr.) ; quant à
l'huile, elle se vend 60 deniers (49 fr. 20) la livre.
LX.
(XXVII.) [1] L'omphacium est aussi une huile ; on l'obtient de deux arbres,
l'olivier et la vigne, et de deux façons pour chaque arbre. On prépare l'omphacium
d'olive en exprimant l'olive encore blanche. Celui qui se fait avec le drupe
(XV, 2) (on appelle ainsi l'olive qui change de couleur, sans être cependant
assez mûre pour être mangée) est plus mauvais; ce qui les distingue, c'est que
ce dernier est vert et l'autre blanc. L'omphacium de vigne se fait avec la vigne
psythienne (XIV, 11) ou amminéenne (XIX, 6, 2), quand les grains sont de la
grosseur d'un pois, avant le lever de la Canicule. On cueille le raisin dans sa
première fleur (XXIII, 4), et on en exprime le jus; le résidu se cuit au soleil,
et on évite de le laisser exposé aux rosées nocturnes. Le jus se recueille dans
un vase de terre; puis on le conserve dans un vase de cuivre de Chypre. Le
meilleur omphacium est roux, âcre et sec. Le prix en est de 6 deniers (4 fr. 92)
la livre. On le prépare encore d'une autre façon : on pile le raisin non mûr
dans des mortiers, on le sèche au soleil, et on en fait des pastilles.
LXI.
(XXVIII.) [1] Il faut rapprocher de ces substances le bryon, chaton du peuplier
blanc (XXIV, 32 ). Le meilleur vient aux environs de Cnide ou en Carie, dans des
lieux dépourvus d'eau, ou secs et âpres. La seconde qualité est le bryon du
cèdre de Lycie. A cette catégorie appartient encore l'oenanthe, c'est la grappe
de la vigne sauvage; on la recueille quand elle est en fleur, c'est-à-dire quand
l'odeur en est la meilleure; on la sèche sur un linge étendu à l'ombre, et on la
serre dans des tonneaux. La meilleure vient de la Parapotamie; la seconde en
qualité, d'Antioche et de Laodicée de Syrie; la troisième, des montagnes de la
Médie : cette dernière est préférable pour les usages médicaux. Quelques-uns
donnent la prééminence sur toutes à celle de l'île de Chypre. Quant à celle
d'Afrique, elle n'est que pour les médecins; on la nomme massaris. Quel qu'en
soit le pays, la vigne sauvage blanche donne une meilleure oenanthe que la
noire.
LXII.
[1] La parfumerie emploie encore un arbre nommé par les uns élate (l'élate est
dans notre langue le sapin ), par les autres palmier, par d'autres spathe (phoenix
dactylifera, L.). Ou estime le plus celui du désert d'Ammon, puis celui
d'Égypte, en troisième lieu celui de Syrie; il n'est odorant que dans les lieux
dépourvus d'eau; la larme en est grasse, on la mêle aux parfums pour dompter
l'huile.
LXIII.
[1] La Syrie est aussi le pays du cinname nommé camaque. C'est le suc exprimé
d'une noix; il diffère beaucoup du suc du vrai cinname (XII, 61), mais il en
approche par son odeur agréable. Le prix en est de 40 as (2 fr.) la livre.
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