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HISTOIRE NATURELLE
LIVRE ONZE
Texte français Paris : Dubochet,
1848-1850.
LIVRE XI, TRAITANT DES INSECTES. I. Extrême ténuité que la nature présente en ces choses. - II. Les insectes respirent-ils? ont-ils du sang? - III. De leur corps. - IV. Des abeilles. - V. Quel est l'ordre observé dans leurs travaux. - VI. Que sont, dans leurs produits, la commosis, la pissocéros, la propolis.- VII. Ce qu'est l'érithace , ou sandarace , ou cerinthe. - VIII. Avec quelles fleurs se font les travaux des abeilles. - IX. Hommes épris de l'étude des abeilles.- X. Marche de leur travail. - XI. Des bourdons. - XII. Nature du miel. - XIII. Quels sont les meilleurs miels. - XIV. Quelles sont les variétés du miel suivant les lieux. - XV. Manière d'éprouver le miel. L'érice, tétradice , ou sisyre. - XVI. Reproduction des abeilles. - XVII. Mode de leur gouvernement. - XVIII. Que les essaims fournissent parfois d'heureux présages. - XIX. Des espèces d'abeilles. - XX. Des maladies des abeilles. - XXI. Ce qui leur est contraire. - XXII. Du Moyen de les retenir. - XXIII. Moyen d'en réparer la perte. - XXIV. Des guêpes et des frelons. Animaux qui s'emparent du travail d'autrui. - XXV. Du bombyx d'Assyrie. - XXVI. Des chrysalides bombyliennes. Quel est l'inventeur des étoffes bombycines. - XXVII. Du bombyx de Cos. Comment se font les tissus de Cos. - XXVIII. Des araignées. Quelles sont parmi elles celles qui font de la toile. Nature des matériaux dont elles composent leur toile. - XXIX. Reproduction des araignées. - XXX. Des scorpions. - XXXI. Des stellions. - XXXII. Des cigales : qu'elles n'ont ni bouche ni anus. - XXXIII. Des ailes des insectes. - XXXIV. Des scarabées. Lampyrides. Autres espèces de scarabées. - XXXV. Des sauterelles.- XXXVI. Des fourmis. - XXXVII. Chrysalides. - XXXVIII. Des animaux qui naissent du bois ou dans le bois. - XXXIX. Animaux parasites de l'homme. Quel est l'animal le plus petit. Qu'il y a des animaux même dans la cire. - XL. Animal sans conduit excréteur pour les aliments. - XLI. Teignes, cantharides, culex. L'animal de la neige. - XLII. L'animal du feu : pyralis ou pyraustes. - XLIII. L'éphémère. - XLIV.I Caractères et histoire de tous les animaux, comparés membre à membre. Quels sont ceux qui ont des aigrettes , qui ont des crêtes. - XLV Des espèces de cornes. Cornes mobiles. - XLVI. Des têtes , et de ceux qui n'en ont pas. - XLVII. Des cheveux. - XLVIII. Des os de la tête. - XLIX. Du cerveau. - L. Des oreilles. Quels sont ceux qui entendent sans oreilles et sans conduit auditif. - LI. De la face , du front et des sourcils. - LII. Des yeux. Animaux sans yeux ; animaux n'ayant qu'un œil. - LIII. De la diversité des yeux. - LIV. Mode de la vision. Animaux voyant la nuit. - LV. De la nature de la pupille. Animaux qui ne clignent pas. - LVI. Des cils. Animaux qui n'en ont pas. Animaux qui n'en ont qu'à une des paupières. - LVII. Animaux qui n'ont pas de paupières. - LVIII. Des joues. - LIX.I Des narines. - LX. De la bouche, des lèvres, du menton, des mâchoires. - LXI. Des dents. Espèces des dents. Animaux qui n'en ont pas en haut et en bas. Animaux qui les ont creuses. - LXII. Des dents des serpents; de leur venin. Quel est le volatile qui a des dents. - LXIII. Merveilles concernant les dents. - LXIV. Moyen de reconnaître l'âge des animaux par les dents. - LXV. De la langue. Animaux qui en sont dépourvus. Du son que font entendre les grenouilles. Du palais. - LXVI. Amygdales. Luette , épiglotte , trachée-artère, pharynx. - LXVII. Nuque , col , épine dorsale. - LXVIII. Gosier, œsophage, estomac. - LXIX. Du cœur, du sang , de l'âme. - LXX. Quels sont les animaux qui ont le cœur le plus gros , le plus petit? quels sont ceux qui en ont deux? - LXXI. Quand a-t-on commencé à examiner le cœur dans l'inspection des entrailles? - LXXII. Du poumon. Chez quels animaux il est le plus gros , le plus petit. Chez quels animaux il n'y a que du poumon à l'intérieur. Quelle est la cause de la vélocité des animaux. - LXXIII. Du foie. Chez quels animaux, et en quels lieux trouve-t-on deux foies ? - LXXIV. De la vésicule biliaire. Où et chez quels animaux est-elle double? quels animaux en sont dépourvus? chez quels animaux est-elle située ailleurs qu'au foie? - LXXV. Vertu du fiel. - LXXVI. Chez quels animaux le foie croît et décroît avec la lune. Observations des aruspices touchant ce viscère; et choses merveilleuses. - LXXVII. Région précordiale ; nature du rire. - LXXVIII. Du ventre. Des animaux qui n'en ont pas. Quels sont les seuls animaux qui vomissent - LXXIX. Lactes , billes, bas-ventre , colon. Pourquoi certains animaux sont-ils insatiables ? - LXXX. De l'épiploon , de la rate ; des animaux qui n'ont pas de rate. - LXXXI. Des reins. Où l'on voit des animaux en avoir quatre. Animaux qui n'en ont point. - LXXXII. Poitrine ; côtes. - LXXXIII. Vessie. Animaux qui n'en ont pas. - LXXXIV. Des vulves. De la vulve de truie; du sumen. - LXXXV. Des animaux qui ont du suif. De ceux qui n'engraissent pas. - LXXXVI. De la moelle ; des animaux qui n'en ont pas. - LXXXVII. Des os et de la colonne vertébrale. Des animaux qui n'ont ni os ni colonne vertébrale. Cartilages. - LXXXVIII. Des nerfs. Animaux sans nerfs. - LXXXIX. Artères, veines. Animaux sans veines et sans artères. Du sang et de la sueur. - XC. Animaux dont le sang se coagule avec le plus de rapidité ; animaux chez qui il ne se coagule pas; animaux qui l'ont le plus épais , le plus ténu , qui n'en ont pas. - XCI. Animaux qui n'ont pas de sang à certaines époques de l'année. - XCII. Le sang est-il l'agent essentiel de la vitalité? - XCIII.Du cuir. - XCIV. Des poils, et de ce qui recouvre le cuir. - XCV. Des mamelles. Volatiles qui ont des mamelles. Choses remarquables chez les animaux, touchant les mamelles. - XCVI. Du lait , du colostrum , du fromage ; laits qui n'en fournissent pas. De la présure. Genres d'aliments que fournit le lait. - XCII. Des espèces de fromages. - XCVIII. Différences que présentent les membres de l'homme avec ceux des autres animaux. - XCIX. Des doigts , des bras. - C. De la ressemblance des singes avec l'homme. - CI. Des ongles. - CII. Du genou et du jarret. - CIII. Quelles sont les parties du corps humain auxquelles s'attachent des idées religieuses. - CIV. Varices. - CV. De la marche : des pieds et des jambes. - CVI. Des sabots des quadrupèdes. - CVII. Pieds des oiseaux. - CVIII. Pieds des animaux, de deux à cent. Des nains.- CIX. Des organes génitaux ; des hermaphrodites. - CX. Des testicules. Eunuques de trois espèces.- CXI. Des queues. - CXII. De la voix des animaux. - CXIII. Des membres surnuméraires. - CXIV. Signes de vitalité et indices du moral des hommes, d'après la conformation de leurs membres. - CXV. De l'haleine et de la nourriture. - CXVI. Animaux qui , nourris de poison , ne périssent pas, et qui , mangés , donnent la mort. - CXVII. Causes des mauvaises digestions. Remèdes des indigestions. - CXVIII. De quelle manière vient l'embonpoint; de quelle manière on le diminue. - CXIX. Quelles choses il suffit de goûter pour apaiser la faim et la soif. Résumé . Faits, histoires et observations, 2370. Auteurs : M. Varron, Hygin, Scropha, Saserna, Celse, Aemilius Macer, Virgile, Columelle, Julius Aquila qui a écrit sur la doctrine des Étrusques, Tarquitius qui a traité le même sujet, Umbricius qui a traité le même sujet , Caton le Censeur, Domitius Calvinus, Trogue Pompée, Melissus, Fabianus, Mucien, Nigidius, Mamilius, Oppius. Auteurs étrangers : Aristote, Démocrite, Néoptolème qui a écrit sur la fabrication du miel , Aristomaque qui a traité le même sujet, Philistus qui a traité le même sujet, Micandre, Ménécrate, Denys qui a traduit Magon , Empédocle, Callimaque, le roi Attale, Apollodore qui a écrit sur les animaux venimeux, Hippocrate, Hérophile, Erasistrate, Asclépiade , Thémison , Posidonius le Stoïcien , Ménandre de Priène, Ménandre d'Héraclée , Euphronius d'Athènes, Théophraste, Hésiode, le roi Philométor.
LIVRE XI.
[2] Chez quelques insectes la division n'est pas complète ; un repli l'enveloppe, et les commissures s'imbriquent soit à l'abdomen, soit à la partie supérieure du corps. Nulle part la nature n'a déployé plus d'habileté. (II.) Dans les grands animaux, ou du moins dans les animaux plus grands, le travail fut facile et la matière obéissante ; mais dans ces animaux si petits, si voisins du néant, quelle sagesse, quelle puissance, quelle perfection ineffable ! Où a-t-elle pu mettre un aussi grand nombre de sens dans le cousin? et il y a des animaux encore plus petits! [3] Où a-t-elle placé la vue en sentinelle? où a-t-elle appliqué le goût? où a-t-elle inséré l'odorat? où a-t-elle disposé l'organe de cette voix farouche et relativement si forte? avec quelle subtilité n'a-t-elle pas agencé les ailes, prolongé les pattes, disposé une cavité affamée, espèce de ventre, et allumé une soif avide de sang, et surtout de sang humain? avec quelle adresse n'a-t-elle pas aiguisé l'arme propre à percer la peau, et, comme si elle était au large dans cet appareil si ténu qu'on peut à peine l'apercevoir, n'y a-t-elle pas créé un double mécanisme qui le rend pointu pour perforer, et creux pour pomper? [4] Quelles dents a-t-elle données au taret (teredo navalis, L.) pour percer les planches de chêne avec un bruit attestant son action destructive, et trouver sa principale nourriture dans le bois ? Nous admirons les épaules des éléphants chargées de tours, le cou des taureaux, leur forai lancer en l'air ce qu'ils saisissent, les déprédations des tigres, les crinières des lions, tandis que la nature n'est tout entière nulle part plus que dans les êtres les plus petits. En conséquence, je prie les lecteurs, malgré le mépris qu'on a pour beaucoup de ces insectes, de ne pas condamner et dédaigner ce qui est rapporté ici : dans l'observation de la nature rien ne peut paraître superflu.
[2] De là sort une série de nombreuses questions. En effet, les mêmes auteurs disent que les insectes n'ont pas de voix, malgré le bourdonnement bruyant des abeilles, le chant des cigales, et les sons de plusieurs autres dont il sera question eu lieu et place. En contemplant la nature je me suis habitué à penser qu'en elle rien n'est incroyable; et je ne vois pas pourquoi on comprendrait mieux la vie de ces animaux sans respiration, que leur respiration sans poumon ; doctrine que j'ai soutenue (IX, 6) pour les animaux marins, malgré la densité et la profondeur de l'eau, qui met obstacle à la respiration. [3] Quoi donc ! la respiration ne sera pas dévolue aux insectes ; et ces animaux volent, vivent au milieu de l'élément respirable, ont les instincts de la nourriture, de la génération, du travail, et même le soin de l'avenir, jouissent, bien que dépourvus des organes qui sont en quelque sorte le support des sens, de l'ouïe, de l'odorat, du goût, et ont reçu en outre de la nature des dons précieux, l'adresse, le courage, l'habileté! Ils n'ont pas de sang, je l'avoue, liquide qui ne se trouve pas même chez tous les animaux terrestres ; mais ils ont quelque chose d'équivalent. [4] De même que, dans la mer, les sèches ont une liqueur noire au lieu de sang (IX, 46), et les pourpres ce suc colorant qui teint les étoffes (IX, 60), de même chez les insectes le liquide qui entretient la vie, quel qu'il soit, sera le sang. Mais laissons à chacun l'opinion qu'il se fait; il nous suffit, pour atteindre notre but, d'indiquer les conditions manifestes des choses, sans juger les questions douteuses.
[2] Quel le que soit la source de leur vie, elle n'est pas attachée à certains membres, mais elle est dispersée dans le corps entier, toutefois dans la tête moins que partout ailleurs; la tête, séparée, ne se meut pas, à moins qu'elle ne soit arrachée avec le corselet. Aucune espèce n'a plus de pieds que les insectes. Ceux qui en ont le plus vivent le plus longtemps coupés en morceaux, comme on le voit dans les scolopendres. Ils ont des yeux, et en outre, parmi les sens, le tact et le goût; quelques-uns ont l'odorat; peu ont l'ouïe.
[2] De plus, sans qu'elles soient ni apprivoisées ni sauvages (VIII, 82), la nature est si puissante, que d'un avorton, que de l'ombre d'un animal elle a fait une merveille incomparable. Quelle puissance musculaire, quelle force mettre de pair avec tant d'habileté et d'industrie? et même quels génies humains comparer à leur intelligence? Elles ont au moins cet avantage de ne rien posséder qu'en commun. Ne parlons pas de l'âme, admettons seulement qu'elles aient du sang; la quantité en sera bien petite en un si petit corps. Faites maintenant la proportion entre si peu de sang et tant d'instinct.
[2] D'abord elles construisent les rayons, pétrissent la cire, c'est-à-dire bâtissent leurs cellules et leurs maisons; puis elles font leurs petits, enfin le miel ; la cire avec les fleurs, le melligo avec les larmes des arbres qui produisent une glu, avec le suc, la gomme, la résine du saule, de l'orme et du roseau. Avec ces substances et d'autres sucs plus amers, elles font d'abord un enduit dont elles revêtent tout l'intérieur de la ruche, sorte de défense contre l'avidité d'autres petites bêtes; car elles savent bien qu'elles vont fabriquer ce qui peut être un objet de convoitise. Puis avec la même matière elles rétrécissent les portes trop larges.
[2] La jeunesse travaille ainsi au dehors, et rapporte ces provisions; les abeilles plus âgées s'occupent à l'intérieur. Celles qui portent les fleurs chargent avec leurs pattes de devant leurs pattes de derrière, qui à cette fin sont rugueuses, et leurs pattes de devant avec leur trompe; puis, toutes chargées, reviennent pliant sous le faix. Elles sont reçues par trois ou quatre abeilles, qui les déchargent. Car, à l'intérieur aussi, les emplois sont divisés : les unes construisent, les autres polissent; d'autres passent les matériaux, d'autres préparent des aliments avec ce qui a été apporté. [3] En effet, elles ne mangent pas à part, pour qu'il n'y ait aucune inégalité ni dans le travail, ni dans la nourriture, ni dans la distribution du temps. Elles commencent leurs constructions à la voûte de la ruche, et, comme dans le tissage de la toile, elles conduisent la contexture de leurs cellules de haut en bas, laissant deux sentiers autour de chaque construction, pour l'entrée des unes et la sortie des autres. Les rayons, fixés par le haut et aussi un peu par le côté, tiennent ensemble et sont également suspendus ; ils ne touchent pas le plancher ; ils sont anguleux ou ronds, suivant que l'exige la forme de la ruche ; quelquefois anguleux et ronds, lorsque deux essaims qui vivent dans la concorde ont des procédés différents. Elles soutiennent les rayons qui s'affaissent, à l'aide de piliers partant du sol et disposés en arcades, pour que le passage ne soit pas fermé aux réparations. [4] Elles laissent vides les trois premières rangées environ, pour ne pas exposer à la vue ce qui pourrait tenter les voleurs. Les dernières rangées sont les plus remplies de miel ; aussi est-ce par le derrière de la ruche qu'on retire les rayons. Les abeilles chargées recherchent les vents favorables; s'il s'élève un orage, elles prennent une petite pierre dont le poids leur sert de lest ; quelques auteurs prétendent qu'elles la mettent sur leur épaule. Quand le vent est contraire, elles volent à ras-terre, en évitant les ronces. Le travail est merveilleusement surveillé. Les paresseuses sont remarquées, puis châtiées, enfin punies de mort. Leur propreté est extraordinaire : elles enlèvent tout delà ruche, et ne laissent aucune immondice au milieu de leurs travaux. Les excréments des ouvrières sont accumulés en un seul endroit dans l'intérieur, afin qu'elles ne s'écartent pas trop loin ; et, dans les journées de mauvais temps, quand on ne travaille pas, elles les transportent au dehors.
[5] Sur le soir le bourdonnement va diminuant dans
la ruche, jusqu'à ce qu'une abeille volant autour, et faisant entendre un
bourdonnement semblable à celui du réveil, donne, pour ainsi dire, le signal du
repos. C'est encore une habitude militaire. Alors soudainement toutes gardent le
silence. (XI.) Elles construisent d'abord des maisons pour la multitude, puis
pour les rois : si on attend une année abondante, elles ajoutent des logements
pour les bourdons; ce
[2] Aussi trouve-t-on alors, à la première aurore, les feuilles des arbres humectées de miel ; et ceux qui le matin sont en plein air sentent que leurs vêtements et leurs cheveux sont enduits d'une liqueur onctueuse. Sueur du ciel, ou espèce de salive des astres, ou suc de l'air qui se purifie, plût aux dieux que le miel fût pur, limpide, et tel qu'il a coulé d'abord! mais, tombant d'une aussi grande hauteur, il se salit beaucoup dans son trajet vers nous, et il se corrompt par les exhalaisons terrestres qu'il rencontre ; en outre, il est pompé sur le feuillage et les herbages, accumulé dans les petites poches des abeilles (car elles dégorgent par leurs trompes), altéré par le suc des fleurs, macéré dans les ruches, et modifié mille fois; néanmoins il fait éprouver un grand plaisir, effet de son origine céleste.
[2] Toutefois, en quelque contrée que ce soit, on distingue trois espèces de miels. La première est le miel du printemps : le rayon a été formé avec les fleurs; on l'appelle anthinum (ἄνθος, fleur). Quelques-uns défendent d'y toucher, afin qu'une nourriture abondante produise une génération vigoureuse ; pour d'autres, c'est le miel dont il faut laisser le moins aux abeilles, parce que les produits abonderont au lever des grandes constellations. Du reste, le solstice d'été, quand le thym (XXI, 81) et la vigne commencent à fleurir, est le moment principal de l'approvisionnement des cellules. [3] Il est une juste mesure à garder en taillant les ruches : la disette désespère les abeilles, elles meurent ou elles s'enfuient ; au contraire, l'abondance les rend paresseuses, et alors elles se nourrissent de miel et non d'érithace. Aussi les bons éleveurs laissent aux abeilles un douzième. Le jour fixé pour commencer la récolte est déterminé par une sorte de loi naturelle : je dirai, pour ceux qui veulent savoir ou pratiquer, que c'est le trentième jour après la sortie de l'essaim ; cette récolte se fait presque toujours dans le mois de mai. [4] La seconde espèce est le miel d'été ; on l'appelle ὡραῖον, parce qu'il est produit dans la saison (ὥρα, saison) la plus favorable, quand Sirius est dans tout son éclat, trente jours environ après le solstice. La nature a révélé dans cette substance aux mortels des propriétés merveilleuses; mais la fraude de l'homme falsifie et perd toutes choses. Après le lever de chaque constellation, mais surtout des constellations de premier rang, ou l'apparition de l'arc-en-ciel, s'il ne survient pas de la pluie et que la rosée s'échauffe par les rayons du soleil, ce ne sont plus des miels, ce sont des médicaments qui se produisent ; dons célestes pour les yeux, les plaies et les viscères intérieurs. Si on recueille ce miel au lever de Sirius, et que le lever de Vénus, ou de Jupiter, ou de Mercure, tombe le même jour, ce qui arrive souvent, la douceur de cette substance, et la vertu qu'elle possède pour rappeler les mortels à la vie, ne sont pas moindres que celles du divin nectar.
[2] Quand il se détache aussitôt et rejaillit en gouttes, c'est la preuve qu'il ne vaut rien. Les autres conditions, c'est qu'il soit parfumé, d'un doux tirant sur l'acre, gluant et transparent. Cassius Dionysius pense qu'on doit laisser aux abeilles le dixième de la récolte d'été, si les ruches sont pleines; si elles ne le sont pas, une part proportionnée ; et si elles sont vides, il ne faut pas y toucher du tout. Les habitants de l'Attique ont fixé l'époque de cette récolte au commencement de la capriflcation; d'autres, au jour consacré à Vulcain (en août). [3] (XVI.) La troisième espèce de miel, la moins estimée, est le miel sauvage; on l'appelle miel de bruyère. Les abeilles le recueillent après les premières pluies d'automne, lorsque la bruyère seule fleurit dans les forêts ; aussi a-t-il l'aspect sablonneux. Il se produit principalement après le lever d'Arcturus, à partir de la veille des ides de septembre (19 septembre). Quelques-uns retardent la récolte d'été jusqu'au lever d'Arcturus, parce que de là jusqu'à î'équinoxe d'automne il reste quatorze jours, et que de l'équinoxe au coucher des Pléiades, pendant quarante-huit jours, la bruyère est le plus abondante. [4] Les Athéniens appellent cette plante tétralix, les Eubéens sisare ; ils la regardent comme très agréable aux abeilles : elle ne l'est peut-être que parce qu'alors il n'y a pas d'autres fleurs. Cette récolte se termine donc avec les vendanges et le coucher des Pléiades, vers les ides de novembre (18 novembre). L'expérience enseigne, qu'il faut laisser aux abeilles deux tiers de cette récolte, indépendamment de la partie des rayons qui contient l'érithace. Depuis le solstice d'hiver jusqu'au lever d'Arcturus, pendant soixante jours, elles sont plongées dam un sommeil qui leur tient lieu de toute nourriture. Depuis le lever d'Arcturus jusqu'à l'équinoxe du printemps, dans les climats plus chauds, elles sont éveillées, mais elles se tiennent renfermées dans leur ruche, et ont recours aux provisions qu'elles ont mises en réserve pour cette époque; mais en Italie elles y ont recours après le lever des Pléiades; elles dorment jusqu'à cette époque. [5] Quelques-uns en retirant le miel le pèsent, et en prennent autant qu'ils en laissent : l'équité doit être observée même à leur égard, et on assure qu'elles meurent si le partage est frauduleux. On recommande avant tout que la personne chargée de retirer le miel soit lavée et propre. Elles haïssent les voleurs (XIX, 37), et les femmes pendant la menstruation. Quand on retire le miel, il est très avantageux de les chasser par la fumée, de peur qu'elles ne s'irritent, et qu'elles ne dévorent avidement le miel. On emploie souvent la fumée pour les réveiller de leur paresse au travail, car si elles ne restent pas sur les gâteaux, ils deviennent livides. D'un autre côté, en les enfumant trop souvent, on les infecte; le miel, qui s'aigrit au moindre contact de la rosée, se ressent très promptement du mal quelles éprouvent : aussi, parmi les diverses espèces de miels, on en a une qu'on appelle acapnos (sans fumée).
[2] Un fait certain, c'est qu'elles couvent à la manière des poules : ce qui éclôt présente d'abord l'apparence d'un vermisseau blanc, couché en travers, et tellement adhérent à la cire, qu'il en paraît être une partie intégrante. Le roi est, dès le premier temps, de la couleur du miel, comme étant formé du choix de toutes les fleurs ; ce n'est pas un vermisseau, et tout d'abord il a des ailes. Les autres abeilles, quand elles commencent à prendre une forme, s'appellent nymphes, comme les bourdons se nomment sirènes ou céphènes. Si on ôte la tête à l'une ou à l'autre espèce avant qu'elles aient des ailes, le reste du corps est le mets le plus agréable pour les mères. Au bout de quelque temps elles leur instillent de la nourriture, et elles les couvent en bourdonnant très fort, pour produire, pense-t-on, la chaleur qui est nécessaire à l'éclosion des petits. Enfin, les membranes qui les enveloppent, comme l'œuf enveloppe le poussin, se rompent, et toute l'armée paraît à la lumière. [3] Cela a été vu aux environs de Rome, à la campagne d'un consulaire qui avait fait des ruches avec la corne transparente des lanternes. Les petits ont pris tout leur développement en quarante-cinq jours. Dans certains rayons il se forme ce qu'on appelle le clou; c'est une cire dure et amère qu'on rencontre quand elles n'ont pas mené à bien leur couvain, soit par maladie, soit par paresse, soit par une stérilité naturelle ; c'est l'avortement des abeilles. Les petits, aussitôt après leur éclosion, travaillent avec les mères comme pour se former; leur jeune roi est accompagné d'un essaim de son âge. [4] Les abeilles, dans la crainte de manquer de rois, en élèvent plusieurs; puis, quand la progéniture royale commence à grandir, elles s'accordent unanimement pour mettre à mon lès plus mauvais, de peur qu'ils ne soient une cause de discorde. Il y en a de deux sortes; le meilleur est noir et tacheté. Tous ces rois ont toujours une forme distinguée; ils sont deux fois plus gros que les autres, leurs ailes sont plus courtes, leurs pattes sont droites, leur démarche est plus fière, et sur le front ils ont une tache blanche en forme de diadème : ils diffèrent beaucoup aussi du vulgaire par leur éclat.
[2] Il a autour de lui des espèces de satellites et de licteurs, gardes assidus de son autorité. Il ne sort de la ruche que quand l'essaim doit émigrer. Cette émigration se connaît longtemps d'avance à un bourdonnement qui, entendu pendant quelques jours dans 1'intérienr, indique que les abeilles, attendant une journée favorable, font leurs apprêts. Si on coupe une aile au roi, l'essaim ne part pas. Quand elles sont en route, chacune ambitionne de s'approcher de lui, et se réjouit d'être remarquée, remplissant son devoir; fatigué, elles le soulèvent sur leurs épaules ; plus fatigué encore, elles le portent tout à fait. Si une d'elles reste en arrière par lassitude, ou s'égare, elle suit le reste à l'odeur. Le camp est toujours là où il s'arrête.
[2] Jamais elles ne peuvent être sans roi. Elles les tuent à regret, quand il y en a plusieurs ; et elles préfèrent détruire les cellules de ceux qui naissent, quand elles désespèrent de la récolte; alors elles chassent aussi les bourdons. A l'égard de ces derniers il y a des doutes ; et quelques auteurs pensent qu'ils forment une espèce à part, comme cette abeille très grande parmi les autres, appelée larronnesse, parce qu'elle dévore furtivement le miel, mais noire et à large ventre. Il est certain que les abeilles mettent à mort les bourdons ; ces derniers n'ont pas de roi. Mais comment naissent-ils sans aiguillon, c'est ce qu'on n'explique pas. [3] Avec un printemps humide, les essaims multiplient davantage; avec un printemps sec, le miel est plus abondant. Si une ruche vient à manquer de nourriture, l'essaim dirige une attaque contre la ruche voisine, dans le dessein de la piller; les autres se rangent en bataille pour résister; et si un gardien est présent, celui des deux essaims qui se sent soutenu par lui ne l'attaque pas. Elles se livrent souvent aussi des combats pour d'autres causes, et les deux généraux rangent l'une contre l'autre les armées ennemies. C'est surtout dans la récolte des fleurs que surgissent les querelles; chacune appelle ses compagnes à son secours. Un peu de poussière ou de fumée sépare les combattants. Les deux partis se réconcilient, si on les mouille avec du lait ou de l'eau miellée.
[2] La nature a donné aux abeilles un aiguillon attaché au ventre. Quelques-uns pensent qu'au premier coup il reste fixé dans la piqûre, et que l'abeille meurt aussitôt ; suivant d'autres, ce n'est qu'autant qu'il a été enfoncé assez avant pour entraîner une portion de l'intestin ; ils ajoutent qu'après avoir perdu leur aiguillon elles deviennent des bourdons ; qu'elles ne font plus de miel, châtrées pour ainsi dire, et incapables également de nuire et d'être utiles. On cite des exemples de chevaux tués par elles. [3] Elles haïssent les mauvaises odeurs, les fuient au loin, et même les parfums artificiels; aussi attaquent-elles ceux qui sont parfumés. Elles-mêmes sont exposées aux attaques de plusieurs animaux : les guêpes et les frelons, de la même race, mais abâtardis, leur font la guerre, et même une espèce de cousins qu'on nomme mulions leur est nuisible. Les hirondelles et d'autres oiseaux les détruisent. La grenouille les guette quand elles vont chercher de l'eau, ce qui est leur grande occupation pendant le temps où elles élèvent leur progéniture. Et ce ne sont pas seulement les grenouilles qui occupent les étangs et les ruisseaux, mais la grenouille buissonnière vient même les chercher, et, se traînant jusqu'à la porte de la ruche, elle souffle par cette ouverture : au bruit les abeilles arrivent, et sont aussi tôt enlevées. On dit que les grenouilles ne sentent pas les piqûres des abeilles. Les moutons encore sont dangereux pour elles; elles s'embarrassent dans la toison. L'odeur des écrevisses que l'on fait cuire dans le voisinage leur cause la mort.
[2] L'huile tue les abeilles comme tous les autres insectes, surtout si on les met au soleil après leur en avoir enduit la tête. Quelquefois aussi elles s'occasionnent la mort à elles-mêmes lorsque, voyant qu'on se dispose à enlever leur miel, elles se mettent à le dévorer. Du reste, elles sont très économes; et, dans les autres circonstances, elles chassent les abeilles prodigues et gourmandes, non moins que les paresseuses et les lâches. Leur miel même leur nuit : enduites par-devant avec cette substance, elles meurent. Tels sont les ennemis, tels sont les accidents (et je n'en ai rappelé que la moindre partie) auxquels un animal aussi bienfaisant est exposé; nous dirons en lieu et place les remèdes (XXI, 42) ; maintenant il s'agit de leur histoire.
[3] Les guêpes appelées ichneumons (elles sont plus petites que les autres) tuent une espèce d'araignée qu'on nomme phalange; elles portent le corps dans leur nid, le couvrent d'un enduit, et en font naître par l'incubation leur progéniture. Toutes les guêpes se nourrissent de chair tandis que les abeilles ne touchent à aucune substance animale. Les guêpes pourchassent les grosses mouches; elles leur coupent la tête, et emportent le reste du corps. Les frelons des bois vivent dans les trous des arbres; en hiver, ils se tiennent cachés comme les autres insectes; leur vie ne passe pas deux ans. [4] Leur piqûre ne manque guère de causer la fièvre. Des auteurs disent que trois fois neuf piqûres suffisent pour tuer un homme. D'autres frelons qui paraissent moins malfaisants, sont divisés en deux espèces : les ouvriers, plus petits de corps, qui meurent en hiver; les mères, qui durent deux ans; ces dernières sont inoffensives. Ils font au printemps des nids qui d'ordinaire ont quatre ouvertures, et dans lesquels les ouvriers sont engendrés; ils construisent (ceux-ci venus à bien) d'autres nids plus grands pour élever la mères qui doivent naître; des ce moment les ouvriers commencent à s'acquitter de leurs fonctions, et ils les nourrissent. Les mères sont plus larges; et on ne sait si elles ont un aiguillon, attendu qu'elles ne le font jamais voir. Les frelons ont aussi leurs bourdons; des auteurs pensent que lues ces insectes perdent leurs aiguillons à l'hiver. Les frelons et les guêpes n'ont pas de rois et ne forment pas d'essaims; la multitude se renouvelle successivement par des procréations.
[2] C'est dans cet état qu'on les prend ; on les met dans des vases de terre, on les y tient chauds, les nourrissant avec du son : alors il leur naît des plumes d'une espèce particulière ; et quand ils en sont revêtus, on les renvoie travailler à une nouvelle tâche. Leurs coques jetées dans l'eau s'amollissent, puis on les dévide sur un fuseau de jonc. Les hommes n'ont pas eu honte de se servir de ces étoffes, parce qu'elles sont légères en été. Les mœurs ont tellement dégénéré, que, loin de porter la cuirasse, on trouve trop lourd même un vêtement. Toutefois, nous laissons jusqu'à présent aux femmes le bombyx d'Assyrie.
[2] Une autre espèce de phalange est noire, et a
les pattes de devant très longues. Toutes ont trois articulations [3] Elle commence par le milieu son tissu, qu'elle étend par des anneaux comme tracés au compas; les mailles, d'étroites qu'elles sont, vont s'élargissant graduellement, à des intervalles toujours égaux, et elle les assujettit par un nœud indissoluble. Avec quel art elle cache ses filets disposés en réseau ! Qu'il y a loin, ce semble, d'un piège à cette toile moelleuse et peluchée, à cette trame tenace et qu'on dirait polie par l'art? Que le fond en est lâche pour céder aux vents, et ne pas repousser ce qui arrive ! Vous croiriez que l'araignée fatiguée a laissé au haut de sa toile les fils qui y sont tendus ; mais ces fils se voient difficilement, et, comme les cordons de nos filets qu'on vient à heurter, ils précipitent la proie au fond de la toile. [4] La caverne même, avec quelle habileté d'architecture elle est voûtée ! Combien elle est plus rembourrée que le reste contre le froid ! Comme l'araignée se tient à l'écart, et paraît occupée de tout autre chose ! tellement renfermée qu'on ne peut voir s'il y a ou non quelqu'un dans l'intérieur. Ajoutez la solidité : quels vents peu vent rompre cette toile? quel amas de poussière peut la faire tomber? la largeur : c'est souvent l'espace entre deux arbres, quand l'insecte s'exerce et apprend à tisser; la longueur : l'araignée étend son fil du haut de l'arbre au sol, et du sol remonte rapidement le long de ce fil ; et en remontant elle en fait un autre. [5] Quand une proie s'est prise, quelle vigilance, et quelle promptitude à accourir! Quand même la proie serait à l'extrémité de la toile, elle court toujours au milieu, parce que c'est de cette façon qu'elle secoue le plus sa toile, et enlace le captif. Sa toile déchirée, elle la répare aussitôt, et la reprise ne se voit pas. Elle fait même la chasse aux petits des lézards : elle leur enveloppe d'abord la tête avec sa toile, et alors elle leur mord les lèvres; spectacle digne de l'amphithéâtre pour celui qu'un hasard heureux en rend témoin. L'araignée fournit aussi des présages : quand les rivières doivent croître, elle place sa toile plus haut. Ces insectes ne tissent pas par un temps serein, ils tissent par un temps nuageux ; aussi le grand nombre de toiles d'araignées est une annonce de pluie. Ou pense que celle qui tisse est la femelle, et celle qui va à la chasse, le mâle : ainsi dans ce ménage les services sont égaux.
[2] Sa queue est toujours en action; elle menace incessamment, pour ne jamais faillir à l'occasion. Il frappe de biais, et en repliant sa queue. Apollodore assure que le venin des scorpions est blanc : il les a divisés en neuf espèces, principalement d'après la couleur ; mais à quoi bon ? car on ne sait quels sont ceux qu'il regarde comme moins dangereux. Il ajoute que quelques-uns ont deux aiguillons, et que les mâles, car il leur attribue l'accouplement, sont les plus funestes (on les reconnaît à leur corps mince et allongé) ; [3] que tous ont du venin au milieu de la journée, quand les ardeurs du soleil les ont échauffés, et aussi lorsqu'ils ont soif; or, ils sont toujours altérés. Il est certain que ceux qui ont sept articulations à la queue sont plus redoutables; la plupart n'en ont que six. Ce fléau de l'Afrique, les vents du midi lui donnent des ailes, l'insecte étendant ses bras et s'en servant comme de rames. Le même Apollodore dit expressément que quelques-uns ont vraiment des ailes (panorpes ou mouches-scorpions?). Souvent les Psylles, qui, colportant les venins des autres contrées pour gagner de l'argent, ont rempli l'Italie de fléaux étrangers ; les Psylles, dis-je, ont aussi essayé d'y importer les scorpions volants ; mais ces insectes n'ont pu vivre au delà du climat de la Sicile. [4] On en voit quelquefois en Italie, mais ils sont inoffensifs, ainsi qu'en beaucoup d'autres lieux, par exemple près de Pharos en Égypte. Dans la Scythie, ils tuent même les porcs, qui ailleurs résistent mieux que d'autres animaux à de pareils venins ; et les noirs plus vite que les autres, s'ils se plongent dans l'eau. On pense qu'un bomme piqué se guérit en buvant de la cendre de scorpion dans du vin (XXIX, 29). On croit que rien n'est plus contraire aux scorpions que l'huile, ainsi qu'aux stellions : ces derniers ne sont inoffensifs que pour les animaux dépourvus aussi de sang ; ils ressemblent aux lézards. En général, les scorpions ne font pas de mal aux animaux qui n'ont pas de sang. [5] Quelques auteurs pensent qu'ils dévorent leurs petits; que le plus adroit échappe seul, se plaçant sur le derrière de sa mère, et par là se trouvant à l'abri de la morsure et de la queue; qu'il est le vengeur des autres, et que, de cette position élevée, il finit par mettre à mort ses parents. La portée est de onze petits.
[2] On préfère les mâles avant l'accouplement, les femelles après, lorsqu'elles ont conçu leurs œufs, qui sont blancs. Elles s'accouplent renversées. Elles ont au dos une pointe dure et très aiguë, avec laquelle elles creusent une loge en terre pour leurs petits. C'est d'abord un vermisseau, devenant ensuite ce qu'on appelle tettigomètre (mère des cigales); la coque se rompt vers le solstice d'été et laisse s'envoler les petits, toujours pendant la nuit. Les cigales sont d'abord noires et dures. De tous les animaux c'est le seul qui n'ait pas de bouche ; en place, elles ont quelque chose de semblable à la langue des insectes pourvus d'un aiguillon : cet organe est situé à la poitrine, et leur sert à sucer la rosée. [3] Leur poitrine elle-même est fistuleuse; c'est par là que chantent les achètes, comme nous avons dit. Du reste, elles n'ont dans le ventre aucun viscère. Quand on les fait lever, elles rendent une humeur, qui est la seule preuve qu'elles se nourrissent de rosée. La cigale est aussi le seul animal qui n'ait aucun pertuis pour l'évacuation des excréments. Leur vue est tellement mauvaise, que si on approche d'elles un doigt qu'on fléchit et qu'on étend-, elles y vont comme sur une feuille. Quelques auteurs en distinguent deux autres espèces : la surculaire, qui est la plus grande, et la fromentaire, que d'autres nomment avenière ; elle paraît en effet au moment où les céréales jaunissent, (XXVII.) [4] Les cigales ne naissent pas là où les arbres sont rares; c'est pour cette raison qu'il n'y en a pas dans les environs de Cyrène . ni dans les plaines; il n'y en a pas non plus dans les forêts froides et fourrées. Elles font aussi des différences entre les localités. Dans le pays de Milet, on n'en trouve qu'en certains endroits; à Céphalénie, une certaine rivière sépare le pays où elles sont abondantes du pays où il n'y en a pas; dans le territoire de Rhégium, toutes sont muettes ; de l'autre côté du fleuve, dans le territoire de Locres, elles chantent. Leurs ailes sont conformées comme celles des abeilles, mais plus grandes, en raison de leur taille.
[2] D'autres voltigent avec un grand bourdonnement et mugissement; d'autres creusent des trous nombreux dans les foyers (grillons domestiques) et dans les prés (taupes-grillons), et la nuit font entendre un cri aigre. Les larapyrides (XVIII, 66) (lampyris noctiluca, L.) brillent la nuit comme des feux, par la couleur de leurs flancs et de leur croupe, tantôt resplendissant quand leurs ailes s'entr'ouvrent, tantôt éclipsées quand elles les ferment ; on ne les voit pas avant que les fourrages soient mûrs, on ne les voit plus quand ils ont été fauchés (XVIII, 66). Au contraire, la vie des blattes (XXIX, 39) se passe dans les ténèbres ; elles fuient la lumière, et naissent surtout dans la chaleur humide des bains. Des scarabées dorés et très grands, appartenante la même espèce, creusent la terre aride, construisent des rayons semblables à une éponge ; petite et poreuse, et y déposent un miel empoisonné. Dans la Thrace, auprès d'Olynthe, est une petite localité qui tue cet animal, et qui ne tue que lui ; on l'appelle, pour cette raison, Cantharolethrus (mort des scarabées). [3] Tous les insectes ont les ailes sans division. Aucun n'a de queue, si ce n'est le scorpion ; il est aussi le seul qui ait à la fois des pinces et un aiguillon à la queue. Parmi les autres, quelques-uns ont un aiguillon à la bouche, comme l'asile ou tabanus (taon), quelque nom qu'on veuille lui donner. Il en est de même du cousin et de quelques mouches. Tous ces insectes ont l'aiguillon dans la bouche, et il leur tient lieu de langue. Chez d'autres, l'aiguillon n'est pas acéré; il sert non pas à piquer, mais à pomper, par exemple chez les mouches, où la langue est évidemment un canal (XI, 65). Ces insectes n'ont pas non plus de dents. D'autres ont devant les yeux de petites cornes sans force, par exemple les papillons. Quelques insectes sont dépourvus d'ailes, par exemple les scolopendres (XXIX, 39).
[2] Aussi les pluies du printemps font-elles périr leurs œufs, et leur multiplication est plus grande avec un printemps sec. Des auteurs prétendent qu'elles produisent deux fois et qu'elles périssent deux fois; qu'elles pondent au lever des Pléiades (le 7 mai), puis qu'elles meurent au lever de la Canicule (18 juillet), et que d'autres renaissent; suivant quelques-uns, c'est au coucher d'Arcturus (le 11 mai) que se fait cette seconde production. Il est certain que les mères meurent après avoir pondu; il leur naît aussitôt dans la gorge un petit ver qui les étrangle; les mâles périssent dans le même temps. Cet insecte, qui succombe par une cause si petite, tue quand il lui plaît, seul à seul, un serpent en le mordant à la gorge. Les sauterelles ne naissent que dans les lieux crevassés. [3] On rapporte qu'en Inde il y a des sauterelles de trois pieds de long : leurs pattes desséchées servent de scie. Elles périssent aussi d'une autre manière : le vent les soulève; par troupes, et les précipite dans les mer»ou dans les étangs, ce qui arrive par des circonstances fortuites, et non, comme les anciens l'avaient pensé, parce que leurs ailes ont été détrempées par l'humidité de la nuit. Les mêmes auteurs ont rapporté qu'elles ne volaient pas non plus pendant la nuit, à cause du froid ; ils ignoraient qu'elles traversent même de vastes mers, supportant, chose très merveilleuse ! pendant plusieurs jours, la faim, qui leur apprend à chercher de lointains pâturages. [4] On les regarde comme un fléau de la colère céleste : en effet, elles apparaissent plus grandes, et volent avec un tel bourdonnement d'ailes, qu'on les prendrait pour des oiseaux ; elles obscurcissent le soleil, et les peuples, effrayés, les suivent de l'œil pour savoir si elles s'abattront sur le pays. Elles ont en effet des forces de reste : comme si c'était peu d'avoir franchi les mers, elles traversent d'immenses espaces, et les couvrent d'un nuage funeste aux moissons; brûlant par leur contact beaucoup de choses, elles rongent tout, même les portes des maisons. C'est surtout de l'Afrique qu'elles se lèvent pour venir infester l'Italie; et plus d'une fois le peuple romain a été obligé de recourir aux remèdes sibyllins, de peur de la famine. [5] Dans la Cyrénaïque, une loi oblige de leur faire la guerre trois fois par an, en écrasant d'abord les œufs, puis les petits, puis les grandes ; celui qui y manque est puni de la peine des déserteurs. Dans l'île de Lemnos, ou a fixé une certaine mesure que chaque individu doit apporter aux magistrats, pleine de sauterelles tuées ; pour cette raison on y respecte le choucas, qui accourt à leur rencontre pour les détruire. En Syrie, les troupes sont employées à les tuer. [6] Tant ce fléau est répandu sur de vastes contrées! Les Parthes regardent la sauterelle, ainsi que la cigale (XI, 32), comme un mets agréable. La voix des sauterelles parait sortir de l'occiput ; on croit qu'en ce lieu, à la réunion des épaules, elles ont des espèces de dents, et qu'en les frottant l'une contre l'autre elles produisent un bruit : c'est surtout vers les deux équinoxes qu'on les entend, tandis qu'on entend les cigales vers le solstice d'été. L'accouplement des sauterelles est celui de tous les insectes qui s'accouplent; la femelle porte le mâle; l'extrémité de la queue de la femelle est retournée vers lui; les deux individus ne se séparent qu'au bout d'un long temps. Dans toute cette espèce les mâles sont plus petits que les femelles.
[2] Elles travaillent même de nuit pendant la pleine lune; elles se reposent quand il n'y a pas de lune. Dans le travail quelle ardeur, quelle exactitude! Et comme elles font leurs provisions en divers lieux sans se voir l'une l'autre, certains jours sont fixés, espèces de foires où l'on passe mutuellement en revue ce qui a été apporté. Alors quel concours! avec quelle sollicitude elles s'entretiennent pour ainsi dire ensemble, et semblent s'interroger ! Nous voyons les cailloux usés par leur passage, des sentiers frayés par leurs travaux : tant il est vrai qu'en toute chose il n'est rien que ne puisse faire la continuité du plus petit effort! Seules de tous les êtres vivants, avec l'homme, elles donnent la sépulture aux morts. En Sicile il n'y a pas de fourmis ailées. [3] (XXXI.) Les cornes d'une fourmi indienne, attachées dans le temple d'Hercule à Érythres (V, 31), ont excité l'étonnement. Cette fourmi tire l'or des cavernes, dans le pays des Indiens septentrionaux appelés Dardes. Elle a la couleur du chat, la taille du loup d'Égypte. Cet or, qu'elle extrait durant l'hiver, est dérobé par les Indiens pendant les chaleurs de l'été, dont l'ardeur fait cacher les fourmis dans des terriers. Cependant, mises en émoi par l'odeur, elles accourent, et souvent déchirent les voleurs, bien qu'ils s'enfuient sur des chameaux très rapides ; tant sont grandes leur agilité et leur férocité, jointes à la passion de l'or!
[2] les petits vers du figuier, du poirier, du pin, de l'églantier, du rosier (XXIX, 30) produisent les cantharides. Les cantharides portent avec elles leur contre-poison : les ailes en sont le remède (XXIX, 30) ; quand on les ôte, cet insecte cause la mort. Les substances qui aigrissent engendrent, à leur tour, d'autres espèces de moucherons. On trouve des vermisseaux blancs jusque dans la neige ancienne; à une profondeur moyenne ils sont rouges, couleur que prend la neige elle-même en vieillissant : ces vers sont velus, grands, et presque immobiles.
[2] Un petit oiseau (cochevis), appelé jadis galerita à cause de sa huppe, a reçu depuis le nom gaulois d'alaude, nom qui a été donné même à une légion. Nous avons parlé de l'oiseau auquel la nature a accordé une crête qui se replie à volonté (X, 44) ; les foulques ont reçu d'elle one crête qui s'étend sur le milieu de la tête, à partir du bec; le pic de Mars et la grue des Baléares (X, 69) (grue demoiselle, ardea virgo, L.) ont une huppe. Mais ce qu'il y a de plus remarquable en ce genre, c'est, chez les gallinacées, cette crête consistante et dentelée ; ce n'est ni une chair ni un cartilage, ni une callosité ; c'est quelque chose de particulier. Quant aux crêtes des dragons, on ne trouve personne qui en ait vu.
[2] Chez les béliers, elles sont contournées, comme si la nature leur donnait des cestes. Elles sont menaçantes chez le taureau; dans cette espèce la femelle en a aussi ; dans beaucoup d'espèces les mâles seuls en sont pourvus (VIII, 50). Celles des chamois sont recourbées en arrière ; celles du dama (antilope redunca, L. ?), en avant. Le strepsicéros, que l'Afrique appelle addax (quelque gazelle), aies siennes droites, parcourues par des cannelures qui forment un léger relief, de sorte qu'on dirait dessillons. Elles sont mobiles comme des oreilles, chez les bœufs de Phrygie ; ceux des Troglodytes les ont dirigées vers la terre ; aussi paissent-ils le cou tourné de côté. D'autres n'ont qu'une corne (VIII, 29 et 31), située au milieu de la tête ou sur le nez. [3] Elles sont fortes chez les uns pour un choc, chez les autres pour un coup ; chez ceux-ci la pointe est recourbée en dedans, chez ceux-là en dehors; chez d'autres, elles sont propres à lancer en l'air, de diverses manières : couchées en arrière, convexes, concaves, toutes terminées en pointe. Dans une espèce elles servent, en place de mains, à gratter le corps. Les escargots tes emploient pour sonder leur chemin; les leurs sont charnues comme celles des cérastes (coluber cerastes, L.) ; mais les reptiles quelquefois n'en ont qu'une; lès escargots en ont toujours deux, tellement disposées qu'elles peuvent s'allonger et rentrer. [4] Les barbares du Nord boivent dans les cornes des ures, dont chaque paire contient une urne; d'autres en font des pointes à leurs traits. Chez nous on les coupe en lames, elles sont alors transparentes, et elles rendent même visible à une plus grande distance la lumière qu'on y renferme. On les emploie encore à plusieurs autres usages de luxe, soit qu'on les colore, soit qu'on les vernisse, soit qu'on s'en serve pour le genre de peinture appelé cestrote (XXV, 41). Chez tous les animaux les cornes sont creuses, et ce n'est qu'à la pointe qu'elles sont massives, excepté chez les cerfs, où elles sont complètement solides, et qui les perdent tous les ans. Quand les ongles des bœufs sont usés, les cultivateurs y remédient en leur graissant les cornes. La substance des cornes est tellement ductile, que, même sur le vivant, on les rend flexibles avec de la cire bouillante, et que, fendues sur un animal naissant, on les tourne en sens opposés, de sorte que la tête en porte quatre. [5] Les femelles ont généralement les cornes plus minces, de même que les individus châtrés parmi les bêtes à laine. Il n'y a de cornes ni chez les brebis ni chez les biches (VIII, 50), ni chez les digités, ni chez les solipèdes, excepté l'âne indien, qui est armé d'une seule corne (rhinocéros). La nature en a accordé deux aux pieds fourchus; elle n'en a accordé à aucun de ceux qui ont les dents de devant à la mâchoire supérieure. Ceux qui pensent que la matière de ces dents est employée à la formation des cornes sont facilement réfutés par l'observation des biches, qui n'ont pas plus de dents que les mâles, et qui cependant n'ont pas de cornes. Les cornes sont adhérentes aux os, excepté chez les cerfs, qui les ont implantées seulement dans la peau.
[2] Il est rare que la femme perde ses cheveux ; les eunuques ne les perdent jamais, et aucun homme ne les perd avant l'usage des plaisirs vénériens. Les cheveux ne tombent pas des parties inférieures de la tête, ni autour des tempes et des oreilles. La calvitie ne se voit que chez l'homme : nous exceptons les animaux qui sont naturellement chauves. L'homme aussi et le cheval sont les seuls qui blanchissent ; chez l'homme les cheveux commencent toujours à blanchir par devant, puis ils blanchissent par derrière.
[2] L'homme est le seul chez lequel, pendant l'enfance, cet organe présente des battements (VII, 1, 4), et il ne se raffermit qu'après les premiers essais de la parole. C'est le plus élevé des viscères, le plus voisin de la voûte de la tête ; dépourvu de chair, dépourvu de sang, sans souillures. C'est la citadelle où' les sens résident, c'est là que se rendent toutes les veines parties du cœur, c'est là qu'elles aboutissent ; c'est le point culminant, c'est le régulateur de l'entendement. Chez tous les animaux il est avancé sur la partie antérieure, parce que les sens se dirigent en avant. Du cerveau part le sommeil ; c'est pour cela que la tête tombe. Les êtres qui n'ont pas de cerveau ne dorment pas. On dit que les cerfs ont à la tête des vers (larves d'oestre), au nombre de vingt, qui sont au-dessous de la langue, et autour de l'articulation qui joint la tête au cou.
[2] ces animaux ont des trous au lieu d'oreilles, excepté les poissons cartilagineux et le dauphin. Cependant il est certain que le dauphin entend, car il est charmé par le chant, et, étonné par le bruit, il se laisse prendre : mais comment entend-Il? c'est ce qu'on ne comprend pas. Il n'a pas non plus de traces de l'organe de l'olfaction ; cependant ce sens est très subtil chez lui. Parmi les oiseaux, le hibou et l'otus (strix otus, L.) ont des plumes en façon d'oreilles, les autres n'ont que des conduits auditifs; il en est de même des animaux couverts d'écailles et des serpents. Chez les chevaux et chez toutes les bêtes de somme, les oreilles indiquent la disposition morale : flasques dans la fatigue, tressaillantes dans la peur, dressées dans la colère, pendantes dans la maladie.
[2] On raconte que l'empereur Tibère, seul entre tous les mortels, avait, réveillé au milieu de la nuit, la faculté d'apercevoir pendant quelques instants tous les objets, aussi bien que s'il était en plein jour; puis, peu à peu, tout rentrait pour lui dans l'obscurité. Le dieu Auguste avait les yeux glauques comme les chevaux, et le blanc en était plus grand que chez les autres hommes : [3] aussi se fâchait-il quand on les regardait attentivement. L'empereur Claude avait à l'angle des yeux une carnosité blanche qui se remplissait de temps en temps de veines sanguines. Chez l'empereur Caligula les yeux étaient fixes. Néron ne voyait rien a moins qu'il ne clignât et que l'objet ne fût près. L'empereur Caligula avait vingt couples de gladiateurs : sur ce nombre, deux gladiateurs seulement, tant cela est difficile à l'homme, ne clignaient pas des yeux, quelque geste menaçant que l'on fit; aussi étaient-ils invincibles. Chez la plupart il est naturel de toujours cligner, ce qu'on regarde comme un signe de timidité. [4] Chez personne l'œil n'est d'une seule couleur ; celle de la partie moyenne tranche toujours avecle blanc du reste. Aucune partie n'indique mieuxl'état de l'âme chez tous les animaux, mais surtout chez l'homme, où ils expriment la modération, la bonté, la compassion, la haine, l'amour, la tristesse, la joie. Le regard en varie le caractère : farouche, menaçant, étincelant, grave, oblique, de travers, soumis, caressant. Certes c'est dans les yeux que l'âme habite : ils deviennent ardents, fixes, humides, voilés. Des yeux coulent les larmes de la pitié. Quand nous les baisons nous semblons atteindre l'âme même. [5] Des yeux viennent les pleurs et ces ruisseaux qui arrosent le visage. Quel est donc ce liquide si abondant et toujours prêt dans la douleur ? et où est-il en réserve le reste du temps? Mais c'est par l'âme que nous voyons, par l'âme que nous discernons : les yeux, comme des espèces de canaux, reçoivent sa faculté visuelle,. et la transmettent. Ainsi une méditation profonde rend aveugle, la vue étant tournée à l'intérieur. Dans l'épilepsie, les yeux ouverts ne voient rien, l'âme étant couverte d'un brouillard. Bien plus, les lièvres dorment les yeux ouverts, et beaucoup d'hommes en font autant; les Grecs appellent cela κορυβαντιᾷν. La nature les a composés de membranes multiples et minces; elle a mis à l'extérieur, contre le froid et la chaleur, des tuniques épaisses qui sont de temps en temps purifiées par l'humeur lacrymale; et, pour garantir les yeux des chocs, elle les a faits glissants et mobiles.
[2] Quelques bêtes de somme seulement éprouvent des maux d'yeux vers les accroissements de la lune. L'homme seul est délivre de la cécité par l'évacuation de l'humeur qui l'a causée (abaissement du cristallin). Beaucoup ont recouvré la vue au bout de vingt ans. Chez quelques-uns la cécité est congénitale, sans qu'il y ait aucun vice dans les yeux. Beaucoup ont perdu subitement la vue, l'œil restant également intact, et sans aucune lésion antécédente. Les auteurs les plus savants rapportent que des veines se rendent des yeux au cerveau; je serais porté à croire qu'il s'en rend aussi des yeux à l'estomac ; [3] du moins l'œil n'est jamais arraché sans vomissements. C'est une coutume sacrée parmi les Romains de fermer les yeux des mourants et de les rouvrir sur le bûcher, l'usage ne permettant pas qu'ils soient vus par un homme aux derniers moments, et défendant de les cacher au ciel. L'homme est le seul des animaux chez qui les yeux soient sujets à des difformités; de là viennent les surnoms de Strabon (louche) et de Pœtus (qui n'a pas le regard certain). Les anciens nommaient Codes celui qui naissait borgne ; Ocella, celui qui avait les yeux petits; Luscinus, celui qui avait perdu un œil par accident. [4] Les animaux nocturnes, tels que les chats, ont les yeux brillants et rayonnants dans les ténèbres, au point qu'on ne peut les regarder. Les yeux des chèvres (VIII, 76) et des loups resplendissent et jettent de la lumière. Ceux des veaux marins et des hyènes (VIII, 44) passent successivement par mille couleurs. Les yeux desséchés de plusieurs poissons brillent dans les ténèbres, de même que de grosses souches pourries de vétusté. Nous avons dit (VIII, 45) que les animaux qui pour regarder tournaient non pas les yeux, mais la tête, ne clignaient pas. On prétend que le caméléon fait exécuter à ses yeux une révolution tout entière (VIII, 51). Les écrevisses regardent de coté. Les yeux des animaux qui ont un test fragile sont fixes. Les langoustes et les squilles, qui sont revêtues dans la plus grande partie de leur corps d'une semblable cuirasse, ont les yeux très durs et saillants. [5] Les animaux dont les yeux sont durs voient moins bien que ceux dont les yeux sont composés d'humeurs. On dit que si on arrache les yeux aux petits des serpents et des hirondelles, il leur en renaît d'autres. Les yeux de tous les insectes et de tous les animaux qui ont une enveloppe testacée se meuvent comme les oreilles des quadrupèdes. Les animaux qui ont des enveloppes fragiles ont les yeux durs. Tous les animaux de cette catégorie, ainsi que les poissons et les insectes, sont dépourvus de paupières, et leurs yeux ne se ferment pas. Chez tous, une membrane transparente comme le verre les recouvre.
[2] La chèvre n'a à la mâchoire supérieure que les deux dents de devant. Aucun de ceux qui ont les dents en scie ne les a saillantes. Parmi les animaux à dents saillantes les femelles en ont rarement, et encore ces dents ne leur sont d'aucun usage ; aussi, tandis que les sangliers frappent, les laies mordent. Aucun animal cornu n'a de dents saillantes. Toutes les dents saillantes sont creuses; les autres sont pleines. Tous les poissons ont les dents en scie excepté le scare (IX, 29) ; seul des animaux aquatiques, il les a planes. Au reste, plusieurs d'entre eux en ont à la langue et dans toute la bouche; ils amollissent ainsi par une multitude de blessures ce qu'ils ne peuvent broyer. Plusieurs en ont au palais, et même à la queue. De plus, elles sont inclinées vers le fond de la bouche, afin que les aliments, que ces animaux n'ont aucun moyen de retenir, ne tombent pas.
[2] La dent de la vipère est cachée par les gencives; toujours pleine de venin, elle le répand dans la morsure par l'effet de la pression. Aucun volatile n'a de dents, excepté la chauve-souris. Le chameau, seul des animaux sans cornes, n'a pas les dents de devant à la mâchoire supérieure. Aucun des animaux à cornes n'a les dents en scie. Les escargots ont aussi des dents : cela se voit par la feuille de vigne que rongent les plus petits d'entre eux. Quant à dire que parmi les animaux marins les crustacés et les cartilagineux ont les dents de devant, et que les oursins en ont cinq, je ne sais où on a pu prendre cette idée. L'aiguillon tient lieu de dents aux insectes. [3] Le singe a les dents comme l'homme. L'éléphant, dans l'intérieur de la bouche, a quatre dents pour manger, outre les dents qui sont au dehors, et qui, recourbées chez le mâle, sont droites et inclinées en avant chez la femelle. Le rat marin (IX, 88), qui précède la baleine, n'en a point; en place, des soies hérissent sa bouche, et même sa langue et son palais. Chez les petits quadrupèdes terrestres, les deux dents de devant en haut et en bas sont les plus longues.
[2] Mucianus prétend avoir vu Zancies de Samothrace, à qui elles avaient repoussé à plus de cent quatre ans. Au reste, les mâles (VII, 15) ont plus de dents que les femelles dans l'espèce humaine, chez le mouton, la chèvre et le porc. Timarchus, fils de Nicoclès de Paphos, avait une double rangée de molaires; les dents de devant ne changèrent pas chez son frère, qui, pour cette raison, se les lima. On a l'exemple d'un homme à qui une dent poussa au palais. Les canines perdues par quelque accident ne reviennent jamais. Tandis que chez tous les animaux elles jaunissent par l'effet de la vieillesse, elles blanchissent chez le cheval seul.
[2] Chez les porcs, elles ne tombent jamais. Quand ces indications de l'âge sont épuisées, on reconnaît la vieillesse chez les chevaux et les autres bêtes de somme au déchaussement des dents, à la blancheur des sourcils et à l'enfoncement des salières ; l'animal est alors réputé avoir environ seize ans. Les dents de l'homme ont un certain venin : mises à découvert devant un miroir, elles en ternissent le poli, et elles font périr les pigeonneaux sans plumes. Le reste de ce qui concerne les dents a été exposé (VII, 15) dans l'histoire de la génération de l'homme. La dentition est une époque de maladies pour les enfants. Les animaux qui ont les dents en scie font les morsures les plus cruelles.
[2] Nous avons parlé des langues des pourpres (IX, 60). Chez les grenouilles, le bout delà langue est adhérent; la portion intérieure est libre du côté du gosier ; là se forment les sons que font entendre les mâles à l'époque où on les appelle ololygons (hurleurs). Cette époque est fixe; c'est celle où ils appellent les femelles à l'accouplement. Alors la lèvre inférieure étant abaissée au niveau d'un peu d'eau reçue dans le gosier, et la langue battant dans cette eau, une sorte de hurlement se produit; dans cet effort, les plis de leur bouche, distendus, sont transparents, les yeux sortent de la tête, et flamboient. Les insectes qui ont un aiguillon à la partie postérieure ont aussi des dents et une langue : chez les abeilles, elle est même très longue, et chez les cigales saillante. Ceux qui ont à la bouche un aiguillon fistuleux n'ont ni langue ni dents. Quelques-uns ont une langue dans l'intérieur, par exemple les fourmis. Elle est particulièrement large chez l'éléphant. [3] Tandis que chez les autres, chacun en son espèce, elle est toujours parfaite, chez l'homme seul elle est souvent liée de telle sorte par des veines, qu'il est nécessaire de les couper. On rapporte que le pontife Métellus (VII, 45) avait la langue tellement embarrassée qu'il se mit à la torture pendant plusieurs mois, en travaillant à prononcer distinctement pour la dédicace du temple d'Ops. Chez la plupart la langue articule nettement vers la septième année. Plusieurs savent s'en servir avec tant d'art, qu'ils imitent, à s'y méprendre, la voix des oiseaux et des animaux. Les animaux ont le sens du goût dans la partie antérieure de la langue; l'homme l'a en outre dans le palais.
[2] Il offre en dedans de lui le premier domicile à l'âme et au sang dans une cavité sinueuse, triple chez les grands animaux, double chez tous les autres. Là réside l'intelligence. De cette source sortent deux grandes veines qui se dirigent l'une en avant, l'autre en arrière, et qui, se ramifiant successivement, portent, par des veines plus petites, le sang vivifiant dans toutes les parties. Seul de tous les viscères il n'est pas affecté de maladies, et ne prolonge pas le supplice de la vie; blessé, il cause aussitôt la mort. Tous les autres viscères étant lésés, la vitalité persiste encore dans le cœur.
[2] On dit que certains hommes naissent avec an cœur velu, et que chez aucun le courage n'est aussi industrieux : tel fut Aristomène de Messène, qui tua trois cents Lacédémoniens. Couvert de blessures et pris, il s'échappa une fois par un trou de la carrière où on l'avait emprisonné, et passa par l'issue étroite qui servait à un renard. Pris une seconde fois, il s'approcha du feu pendant que les gardiens dormaient, et en se brûlant lui-même il brûla ses liens. Pris une troisième fois, les Lacédémoniens lui ouvrirent la poitrine tout vivant, et lui trouvèrent le cœur hérissé de poils.
[2] De là, grande question parmi ceux qui argumentent sur la divination : La victime a-t-elle pu vivre sans cœur, ou l'a-t-elle perdu au moment même? On assure que le cœur de ceux qui ont succombé à la maladie cardiaque ne peut se brûler ; même assertion pour ceux qui sont morts par le poison. Toujours est-il que nous avons un discours de Vitellius, on il accuse Pison d'empoisonnement, en s'appuyant sur cet argument; et il attesta publiquement que le cœur de Germanicus ne put être consumé par le feu, à cause du poison. La nature de la maladie fut alléguée pour la défense de Pison.
[2] Le dieu Auguste, faisant un sacrifice dans la ville de Spolète le premier jour de sa puissance, trouva chez six victimes le foie roulé sur lui-même d'un lobe à l'autre; il lui fut répondu qu'il doublerait dans l'année son pouvoir. La tête des entrailles, incisée, est aussi d'un funeste augure, excepté dans l'inquiétude et la crainte; car alors c'est la fin des soucis. Les lièvres des environs du Briletum, de Tharne, et dans la Chersonèse sur la Propontide, ont deux foies ; et, chose singulière, quand on les transporte ailleurs, un des foies se perd.
[2] Qu'on ne s'étonne donc pas que le fiel des serpents soit leur venin (XI, 62). Les animaux qui dans le Pont se nourrissent d'absinthe en sont dépourvus. La vésicule du fiel est unie à la région rénale, et par un côté seulement à l'intestin, dans les corbeaux, les cailles, les faisans ; à l'intestin seulement, dans quelques-uns, les pigeons, l'épervier, les murènes. Peu d'oiseaux l'ont dans le foie. Chez les serpents ei les poissons elle est très grande, proportion gardée. Chez la plupart des oiseaux elle s'étend tout le long de l'intestin, par exemple dans l'épervier, le milan. Elle est dans le foie chez tous les cétacés; le fiel du veau marin est renommé pour plusieurs usages. Du fiel des taureaux on fait une couleur d'or. Les aruspices l'ont consacré a Neptune et à la puissance de l'eau. L'empereur Auguste en trouva deux le jour où il gagna la bataille d'Actium.
[2] Les autres oiseaux sont généralement dépourvus de jabot, mais l'œsophage est plus large; tels sont les choucas, les corbeaux, les corneilles. Quelques-uns ne sont constitués ni de l'une ni de l'autre façon ; mais ils ont l'estomac très près, ce sont ceux dont le cou est très long et étroit, par exemple le porphyrion. L'estomac des solipèdes est raboteux et dur. Chez d'autres animaux terrestres il est pourvu d'aspérités en forme de dents; chez d'autres, en forme de lime (XI, 68). Les animaux qui n'ont de dents qu'à une mâchoire, et qui ne ruminent pas, digèrent la nourriture dans l'estomac, d'où elle passe dans le ventre. Le ventre est chez tous annexé par le milieu à l'ombilic; chez l'homme, par sa partie inférieure, il ressemble à celui du pourceau; les Grecs l'appellent colon, et c'est une grande source de douleurs; [3] il est très étroit chez les chiens, aussi ne peuvent-ils le vider sans de grands efforts et même de la souffrance. Les animaux chez qui les aliments passent immédiatement de l'estomac dans un intestin non replié sont insatiables, par exemple le loup-cervier, et, parmi les oiseaux, les plongeons. L'éléphant a quatre estomacs; le reste des intestins est semblable à ceux du porc ; son poumon est quatre fois plus gros que celui du bœuf. Le gésier des oiseaux est charnu et calleux ; dans le gésier des jeunes hirondelles on trouve de petits cailloux blancs ou rougeâtres, appelés chélidoniens, et vantés dans les sortilèges. Dans le second estomac des génisses est un tuf noirâtre (XXVIII, 77,2), arrondi en forme de pelote, et fort léger : c'est, pense-t-on, un remède singulièrement efficace dans les accouchements laborieux, pourvu qu'il n'ait pas touché la terre.
[2] Elle est quelquefois une gène toute particulière dans la course ; aussi brûle-t-on la région splénique aux coureurs qui en souffrent (XXVI, 83). On assure que des animaux à qui elle a été extraite par une incision vivent néanmoins. Il en est qui pensent que la perte de la rate amène, chez l'homme, la perte du rire, et que l'intempérance du rire dépend de la grosseur de ce viscère. Dans une contrée de l'Asie appelée Scepsis, le menu bétail a, dit-on, une très petite rate; c'est là qu'on a découvert les remèdes pour les affections de ce viscère.
[2] Partout où il y a des nerfs, les intérieurs produisent la flexion des membres, les extérieurs l'extension. Entre eux sont cachées les artères, c'est-à-dire les canaux de l'air; parmi elles sont les veines, c'est-à-dire les ruisseaux du sang. Le pouls des artères est surtout sensible à la superficie des membres : indicateur de presque toutes les maladies, suivant les âges régulier, ou accéléré, ou retardé, d'après des rythmes certains et des lois numériques qu'a exposées Hérophiie, oracle de la médecine (XXIX, 5) art merveilleux, abandonné à cause de sa subtilité excessive : néanmoins l'observation de la fréquence ou de la lenteur du pouls règle la conduite de la santé.
[2] Le sang des sangliers, des cerfs, des chevreuils et des bubales ne se coagule pas. Il est le plus épais chez l'âne, le plus ténu chez l'homme. Les animaux qui ont plus de quatre pieds n'ont point de sang. Il est moins abondant dans l'embonpoint, parce qu'il est consommé par la graisse. L'homme est le seul chez qui il y ait des hémorragies par le nez ; quelques-uns en ont par une seule narine ; d'autres, par les voies inférieures. Beaucoup rejettent du sang par la bouche a une époque réglée, par exemple, dans ces derniers temps, Macrinus Viscus, qui avait été préteur. Tous les ans Volusius Saturninus (VII, 12), préfet de Rome, en rejetait par la bouche : cependant il dépassa quatre-vingt-dix ans. Le sang est la seule substance qui, dans le corps, reçoive un accroissement temporaire : les victimes en répandent plus quand elles ont bu avant d'être immolées.
[2] Le plus velu des animaux est le lièvre. Chez l'homme seul le pubis se garnit de poils ; si cela n'arrive pas, l'individu est stérile, soit homme, soit femme. Il y a des poils que l'homme apporte en naissant, d'autres qui poussent plus tard. Les poils de naissance ne tombent guère chez les eunuques, ni même chez les femmes: cependant on en a vu quelques-unes qui avaient perdu leurs cheveux, de même qu'on en a vu à qui il était venu du duvet aux lèvres, les règles s'étant arrêtées. Chez quelques hommes, les poils d'après la naissance ne poussent pas. [3] Les quadrupèdes muent tous les ans. Chez les hommes, les poils qui s'allongent le plus sont les cheveux, puis la barbe; coupés, ils repoussent, non comme les herbes, par le bout, mais par la racine. Ils croissent aussi dans certaines maladies, surtout la phtisie ; ils croissent dans la vieillesse, et même après la mort. Chez les hommes livrés aux plaisirs de l'amour, les poils de naissance tombent plus tôt; ceux d'après la naissance croissent plus rapidement. Chez les quadrupèdes, dans la vieillesse, le poil et la laine deviennent plus gros, mais la laine devient moins serrée. Ils ont le dos velu, le ventre glabre. Avec le cuir du bœuf, et surtout avec celui du taureau, par la cuisson on fait de la colle.
[2] Chez les ânesses les mamelles sont douloureuses après la mise bas; pour cela elles éloignent l'ânon au bout de six mois, tandis que les juments allaitent pendant une année presque entière. Les solipèdes et les animaux qui n'ont pas plus de deux petits ont tous deux mamelles, toujours placées entre les cuisses. Les animaux à pied fourchu et les animaux cornus les ont placées au même endroit, les vaches, quatre ; les brebis et les chèvres, deux. Les animaux qui font beaucoup de petits, et ceux qui ont des doigts aux pieds, en ont un plus grand nombre, distribuées dans tout le ventre sur un double rang, comme les truies; les bonnes en ont douze; les truies communes, deux de moins. Il en est de même pour les chiennes. [3] D'autres ont quatre mamelles au milieu du ventre, comme les panthères; d'autres, deux, comme les lionnes. L'éléphant n'en a que deux, qui sont au-dessous des épaules, non pas à la poitrine, mais en deçà, et cachées sous les aisselles. Aucun animal à pieds digités ne lésa entre les cuisses. Les premiers-nés dans chaque portée de la truie s'attachent aux premières mamelle! (les premières sont les plus voisines de la gorge); chaque petit de la portée connaît la sienne dans l'ordre où il est venu au monde; il tette celle-là, et non une autre. Si on ôte à la mamelle le petit qui la tette, elle se dessèche aussitôt et se rétracte ; s'il ne reste qu'un seul petit de toute la portée, la mamelle seule qui lui était dévolue dans l'ordre de la naissance s'allonge pour l'alimenter. Les ourses ont quatre mamelles; les dauphins en ont seulement deux au bas du ventre ; elles ne sont pas visibles, et sont dirigées un peu obliquement : c'est le seul animal qui donne à téter en allant. Les baleines et les veaux marins sont aussi mammifères.
[2] On ne fait pas de fromage avec le lait des animaux qui ont des dents aux deux mâchoires, attendu que ce lait ne se coagule pas. Le lait le plus clair est celui des chamelles, puis celui des juments; le plus épais est celui de l'ânesse, au point qu'on s'en sert au lieu de coagulum. On pense aussi qu'il contribue à la blancheur de la peau des femmes. Toujours est-il que Poppée, femme de Néron, menait toujours avec elle cinq cents ânesses nourrices (XXVIII, 50), et prenait des bains de corps avec ce lait, croyant qu'il donnait de la souplesse à la peau. Tout lait s'épaissit par le feu, et devient séreux par le froid. Le lait de vache rend plus de fromage que le lait de chèvre : à mesure égale, il en fournit à peu près le double. Le lait d'animaux qui ont plus de quatre mamelles ne fait pas de fromage; le meilleur est celui d'animaux ayant deux mamelles. [3] On vante la présure du faon, du lièvre et du chevreau; mais la meilleure est celle du dasypode, qui est aussi un remède pour la diarrhée ; c'est le seul des animaux ayant une rangée de dents à chaque mâchoire, dont la présure ait cette propriété. Il est singulier que les nations barbares qui vivent de lait ignorent ou méprisent depuis tant de siècles le mérite du fromage; et cependant elles savent transformer le lait en un liquide d'une acidité agréable, et en un beurre gras. Le beurre est l'écume du lait, plus épaisse que ce qu'on appelle sérum. Il ne faut pas omettre qu'il a une vertu huileuse, et qu'il est employé en onctions chez tous les barbares, et, parmi nous, pour les enfants.
[2] Les chèvres donnent aussi un fromage estimé, surtout à Agrigente, où on en augmente le mérite en le fumant ; tel qu'on le fait à Rome, il est préférable à tous les autres : le procédé qu'on suit dans les Gaules donne au fromage un goût de médicament. Au delà des mers, le plus renommé est généralement celui de la Bithynie. Ce qui prouve surtout que tous les pâturages ont un sel, c'est que, sans même avoir été salé, tout fromage prend un goût de sel en vieillissant. Macéré dans le vinaigre et le thym, il est certain qu'il reprend le goût qu'il avait étant frais. On rapporte que Zoroastre vécut dans la solitude, pendant vingt ans, avec du fromage tellement préparé qu'il ne vieillissait pas.
[2] Les quadrupèdes qui vivent de proie ont cinq doigts aux pieds de devant, quatre aux autres. Les lions, les loups, les chiens, et quelques autres encore, ont cinq ongles aux pieds de derrière ; un de ces ongles est placé à l'articulation de la jambe. Les animaux plus petits ont aussi cinq doigts. Chez tous les hommes les deux bras ne sont pas égaux : parmi les gladiateurs que l'empereur Caligula entretenait, on sait que le Thrace Studiosus avait le bras droit plus long. Quelques animaux font faire à leurs pattes de devant l'office de mains, et, assis, ils s'en servent pour porter les aliments à leur bouche, par exemple les écureuils.
[2] Les anciens Grecs avaient l'habitude de toucher le menton dans les supplications. Au bas de I'oreille est le lieu delà mémoire: en invoquant le témoignage de quelqu'un, nous lui touchons le bout de l'oreille. C'est derrière l'oreille droite qu'est le lieu de Némésis, déesse qui n'a pas trouvé un nom latin, même dans le Capitole (XXVIII, 5); nous y portons le doigt annulaire après l'avoir touché de la bouche, quand nous demandons pardon aux dieux d'une parole indiscrète.
[2] Ceux qui n'ont pas de cornes ont l'ongle du pied solide ; le sabot est leur arme : les mêmes sont dépourvus de talus. Les pieds fourchus en ont; les digités n'en ont pas. Il n'y en a pas dans les pieds de devant. Les talus des chameaux sont semblables à ceux des bœufs, mais, un peu plus petits ; le chameau a en effet le pied fourchu, mais peu: la plantées! charnue, comme chez l'ours ; aussi se fatigue-t-il dans les longues routes, si on ne lui met des chaussures.
[2] Chez les autres insectes, deux pieds règlent la marche ; quatre pieds, dans les cancres seulement. Les animaux terrestres qui ont un plus grand nombre de pieds, comme la plupart des vers, n'en ont pas moins da douze; quelques-uns en ont jusqu'à cent (XXIX, 39). Le nombre des pieds n'est impair chez aucun animal. Chez les solipèdes, les jambes ont dès la naissance la longueur qu'elles doivent avoir; dans la suite elles grossissent plutôt qu'elles ne croissent: aussi dans l'enfance se grattent- ils les oreilles avec les pieds de derrière, ce qu'ils ne peuvent plus faire dans l'âge adulte, parce que l'accroissement en hauteur ne porte que sur le corps. [3] Pour cette raison ils ne peuvent paître au commencement qu'en fléchissant les jambes, jusqu'à ce que le cou soit arrivé à son entière croissance. (XLIX.). Des nains se trouvent parmi tous les animaux, même parmi les oiseaux.
[2] Quelques femmes offrent une ressemblance monstrueuse avec les hommes, et les hermaphrodites (VII, 3) avec les deux sexes. Cet hermaphrodisme s'est vu même chez les quadrupèdes, et, je pense, pour la première fois, sous le règne de Néron. Toujours est-il que ce prince montrait pompeusement, attelées à son char, des juments hermaphrodites qu'on avait trouvées dans le territoire de Trêves; comme si c'était un beau spectacle que de voir le maître du monde traîné par des monstres.
[2] On croit généralement que les sauterelles résonnent par le frottement de leurs ailes et de leurs jambes, que, parmi les animaux aquatiques, les pétoncles ne font du bruit que quand ils volent ; que les mollusques et les crustacés ne produisent ni voix ni son d'aucune espèce. Quant aux autres poissons, bien que privés de poumons et de trachée-artère, ils ne sont pas absolument dépourvus de la faculté de rendre quelques sons ; c'ot une plaisanterie que de dire que le bruit qu'ils font entendre provient du frottement de leurs dents. Le poisson qu'on nomme caper (XXXII, 9) dans l'Acbéloûs, et d'autres dont nous avons parlé (IX, 7), ont un grognement. Les ovipares sifflent; ce sifflement, prolongé chez les serpents, est saccadé chez les tortues. Les grenouilles ont un cri spécial, comme nous l'avons dit (XI, 65), qui, à moins qu'il ne faille aussi douter de ce fait, se forme dans la bouche et non dans le thorax. À cet égard la nature des lieux exerce une grande influence : on dit que les grenouilles sont muettes (VIII, 83) dans la Macédoine, et même les sangliers. [3] Les oiseaux les plus petits sont ceux qui babillent le plus, surtout à l'époque de l'accouplement. Les uns font entendre leur voix dans le combat, comme les cailles; les autres, avant le combat, comme les perdrix ; d'autres après la victoire, comme les coqs. Dans ces espèces les mâles ont une voix qui leur est propre ; dans d'autres espèces, par exemple le rossignol, la même voix que les femelles. Quelques-uns chantent toute l'année, d'autres à des époques fixes, comme nous l'avons dit en parlant de chacune en particulier (X). L'éléphant produit un son semblable à un éternuement, par la bouche et indépendamment des narines; par les narines, un son rauque comme celui d'une trompette. Dans l'espèce bovine seulement, les femelles ont la voix plus grave; dans toutes les autres espèces, la femelle a la voix plus grêle que le mâle ; dans l'espèce humaine elle est aussi plus grêle chez les individus châtrés. [4] L'enfant en naissant ne fait entendre aucun cri avant qu'il soit sorti tout entier de l'utérus; il commence à parler à un an. Le fils de Crésus parla à six mois dans son berceau ; prodige qui amena la chute de l'empire de son père. Ceux qui commencent à parler de meilleure heure marchent plus tard. La voix prend plus de force à quatorze ans, elle redevient plus grêle dans la vieillesse ; chez aucun animal elle n'est sujette à plus de changements. Il y a encore des observations singulières à faire sur la voix : dans les théâtres elle est absorbée ou par de la limaille ou par du sable répandu sur le sol, ou par une enceinte de parois raboteuses, ou même par des tonneaux vides; au contraire, elle court le long de parois concaves ou droites, et des paroles prononcées même à voix basse sont portées d'un bout à l'autre (XVI, 73), si aucune inégalité ne l'arrête. [5] La voix, chez l'homme, contribue beaucoup à constituer la physionomie individuelle : avant de voir une personne, nous la reconnaissons à la voix aussi bien qu'en la voyant. Il y a autant de voix que d'individus; et chacun a la sienne, comme sa physionomie. De là provient cette diversité des nations dans l'univers entier, et tant de langues différentes ; de là tant de chants, de modulations et d'inflexions. Mais, par-dessus tout, la faculté d'exprimer nos sentiments, faculté qui nous distingue des bêtes, établit entre les hommes eux-mêmes une nouvelle distinction, aussi grande que celle qui nous sépare des animaux.
[2] Au contraire, les signes d'une longue vie sont : des épaules voûtées, dans une des mains deux longues lignes, plus de trente-deux dents et de grandes oreilles. Il attache le pronostic en bien ou en mal, non pas, je pense, à la réunion de tous ces signes, mais à chaque signe pris isolément. Ce sont dans tous les cas, à mon avis, des remarques frivoles, mais qui ont un cours général. Chez nous, Trogue Pompée, auteur qui est aussi très grave, a indiqué semblablement le rapport entre la physionomie et le moral ; je citerai ses propres paroles : « Un grand front annonce un esprit paresseux ; un front petit, un esprit mobile ; un front arrondi, un esprit irascible, comme si l'intumescence de la colère laissait une trace. Les sourcils étendus en ligne droite dénotent la mollesse ; [3] descendant vers le nez, l'austérité ; descendant vers les tempes, un esprit moqueur; abaissés complètement, la malveillance et l'envie. Des yeux très fendus indiquent un caractère malfaisant; des yeux dont l'angle du côté du nez est charnu, la méchanceté. Le blanc de l'œil, étendu, est un signe d'impudence; le clignotement fréquent, un signe d'inconstance. La grandeur des oreilles annonce la loquacité et la sottise. " Voilà ce que dit Trogue-Pompée.
[2] Mais les grands de la nation parthe y remédient avec les graines du citron (XII, 7), qui communiquent aux aliments où on les mêle un arôme agréable. L'haleine des éléphants arrache les serpents de leurs trous ; celle des cerfs les brûle (VIII, 50). Nous avons parlé (VII, 2, 5) des hommes qui ont la propriété d'extraire du corps, par la succion, le venin des serpents. Les pourceaux mangent les serpents, qui pour d'autres animaux sont un poison. Tous ceux que nous avons appelés insectes sont tués (XI, 21) par une aspersion d'huile. Les vautours, qui fuient les parfums, aiment d'autres odeurs; les scarabées fuient l'odeur de la rose. Le scorpion tue certains serpents. Les Scythes trempent leurs flèches dans le venin de la vipère et le sang humain : contre cette affreuse composition point de remède; elle cause une mort prompte à ceux qui sont seulement effleurés.
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