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PLINE L'ANCIEN

HISTOIRE NATURELLE

LIVRE TREIZE

livre 12            livre 14

Texte français

Paris : Dubochet, 1848-1850.

édition d'Émile Littré

LIVRE Xlll,

TRAITANT DE L'HISTOIRE DES ARBRES EXOTIQUES ET DES PARFUMS.

I. Des parfums; quand ils ont commencé à être en usage. - II. Espèces de parfums, et douze compositions. - III. Diapasma, magma, et moyens de vérifier les parfums. - IV. Luxe excessif en fait de parfums.- V. Quand a-t-on commencé à en faire usage à Rome? - VI. Des palmiers. - VII. Nature des palmiers. - VIII. Comment on multiplie les palmiers. - IX. Des espèces de palmiers et de leurs caractères distinctifs. - X. Arbres de la Syrie, pistachier, cottana, damascène, myxa.  - XI. Cèdre. Arbres qui portent en même temps des fruits de trois années. - XII. Térébinthinier. - XIII. Sumac. - XIV. Arbres d'Égypte : figuier d'Égypte. - XV. Figuier de Chypre. - XVI. Silique ceraunia. - XVII. Du persica. Sur quels arbres les fruits se succèdent. - XVIII. Cuci. - XIX. Épine égyptienne. - XX. Neuf espèces de gommes. Sareocolle. - XXI. Du papyrus; de l'usage du papier; quand il a commencé. - XXII. Comment on fabrique le papier. - XXIII. Neuf espèces de papier.  - XXIV. Comment on éprouve le papier. - XXV. Défauts du papier. - XXVI. De la colle du papier. - XXVII. Des livres de Numa. - XXVIII. Arbres de l'Éthiopie. - XXIX. Arbre atlantique. Du citre, et des tables faites de ce bois. - XXX. Des beautés et des défauts que l'on trouve dans ce bois. - XXXI. Du citron. - XXXII. Du lotos. - XXXIII. Arbres de la Cyrénaïque. Le paliure. - XXXIV. Neuf espèces de grenadiers. Du balauste. - XXXV. Arbres de l'Asie et de la Grèce : l'épipactide, l'érice, le grain de Cnide ou thymelée, ou chamelée, ou pyrosachne , ou enestre, ou eneorum. - XXXVI. Tragion, tragacanthe.  - XXXVII. Tragos ou scorpion , myrice ou brye, ostrys. - XXXVIII. Evonymos. - XXXIX. L'arbre éon. - XL. Andrachie. - XLI. La coccygie, l'apharce. -  XLII. La férule. - XLIII. La thapsie.   -XLIV. Le caprier ou cynosbate , ou ophiostaphylon. - XLV. La sariphe. - XLVI. L'épine royale. - XLVII. Le cytise. - XLVIII. Arbres et arbustes de la Méditerranée : phycus ou prason, ou zoster. - XLIX. Bryon marin.  - L. Productions végétales de la mer Rouge. - LI. Productions végétales de la mer des Indes. - LII. Productions végétales de la mer Troglodytique : chevelure d'Isis, charitoblépharon.

Résumé : Faits, histoires et observations, 468

Auteurs :

M. Varron , Mucien, Virgile, Fabianus, Sebosus, Pomponius Mela, Fabius Pictor, Hygin, Trogue Pompée, Procilius, l'empereur Claude, Cornelius Nepos, Sextius Niger qui a écrit en grec sur la médecine, Cassius Hémina; L. Pison, Tuditanus, Valérius Antias.

Auteurs étrangers :

Théophraste, Hérodote, Callisthène, Isigone, Clitarque, Anaximène, Duris, Néarque, Onésicrite, Polycrite, Olympiodore, Diognète, Cléobule, Anticlide, Charès de Mitylène, Ménechme, Dorothée d'Athènes, Lycus, Antée, Éphippe, Dion , Adimante , Ptolémée fils de Lagus, Marsyas le Macédonien, Zoïle le Macédonien, Démocrite, Amphiloque, Alexandre Polyhistor, Aristomaque, le roi Juba, Apollodore qui a écrit sur les odeurs, le médecin Héraclide, le médecin Botrys, le médecin Archidème, le médecin Denys, le médecin Démocède, le médecin Euphronius, le médecin Mnésis, le médecin Diagoras, le médecin lollas, Héraclide de Tarente, Xénocrate d'Éphèse.

 

I. [1] Jusqu'à présent nous avons parlé des arbres dont les odeurs sont précieuses. Chacune était en soi merveilleuse; le luxe s'est plu à les mélanger, et à faire de toutes une seule odeur : c'est ainsi qu'ont été inventés les parfums. Quel en est l'inventeur? on ne le dit pas. Il n'y en avait point au temps de la guerre de Troie; on n'employait pas alors l'encens dans les sacrifices; les cèdres (XIII, 30) seuls et les citres (thuya articulata, L.) envoyaient la fumée de leurs branches se répandre en nuages au dessus des victimes : cependant déjà le suc de rose était trouvé, il est nommé en effet (Il., XXIII, 186) dans Homère, comme donnant du prix à l'huile.

[2]  Les parfums vont de droit aux Perses : ils en sont toujours pénétrés, et par ce moyen ils masquent la mauvaise haleine que leur donne leur gourmandise (XI, 115). Le premier exemple de l'usage des parfums que je trouve et la boîte à parfums (VII, 30 ) dont Alexandre s'empara, au milieu des autres dépouilles, lors de la prise du camp de Darius. Plus tard, ce genre de luxe a été admis par les Romains au nombre des jouissances de la vie les plus prisées et les plus distinguées. On a commencé aussi à les employer en l'honneur des morts : en conséquence, nous nous étendrons davantage sur ce sujet. Les parfums qui ne sont pas le produit d'arbrisseaux ne seront, pour le moment, indiqués que par leur nom; nous en exposerons les caractères en lieu et place.

II. [1] Les noms des parfums sont dus les uns aux lieux de leur origine, les antres aux sucs, les autres aux arbres, les autres à des circonstances particulières. D'abord, il faut savoir qu'a leur égard souvent la mode et la faveur ont changé. Dans l'antiquité, le plus estimé était le parfum de l'île de Délos; plus tard ce fut celui de Mendès (Égypte) : ces variations ne sont pas dues seulement aux mélanges et aux proportions; mais les mêmes sucs sont en faveur ou défaveur suivant les lieux, et suivant l'amélioration ou la dégénération des substances. Le parfum d'iris (XXI, 19) de Corinthe a longtemps eu la vogue, puis celui de Cyzique. Il en a été de même pour le parfum de roses de Phasélis (V, 26), prééminence qui fut enlevée par Naples, Capoue, Préneste.

[2] On prisa longtemps par-dessus tout le parfum de safran do Soles en Cilicie, puis celui de Rhodes; le parfum d'oenanthe (XII, 62) de Chypre, puis celui d'Adramytte; le parfum de marjolaine (XXI, 35) de Cos a eu la vogue, puis le parfum de coing (XXIII, 54) de la même île a été préféré. Quant au parfum de cypre (XII, 5 ), on prisa d'abord celui de l'île de Chypre, puis celui d'Égypte, où tout à coup le parfum de Mendès et le métopion obtinrent la préférence; puis la Phénicie s'empara de ces deux derniers parfums, et laissa à l'Égypte la prééminence pour le parfum de cypre. Athènes a conservé avec persévérance son panathénaïcon. II y avait jadis un pardalium dans la ville de Tarse, mais on n'en connaît plus la composition et le mélange. On a cessé encore de faire du parfum de narcisse (XXI, 75) avec la fleur de cette plante.

[3] Deux éléments entrent dans la confection des parfums, la partie liquide et la partie solide : la première n'est guère composée que d'huiles, la seconde l'est de substances odorantes; celle-ci se nomme stymma (épaississant), celle-la hédysma (douceur). Un troisième élément est la couleur, que beaucoup négligent. Pour la coloration on ajoute le cinabre (XXXIII, 30) et l'anchuse (XXII, 23). On sale l'huile pour la conserver. Quand on a ajouté l'anchuse. on n'ajoute pas de sel. On ajoute de la résine ou de la gomme pour fixer l'odeur dans le parfum solide, laquelle, sans cette addition, se perd et s'évanouit rapidement.

[4] Le plus prompt à préparer, et vraisemblablement le premier qu'on ait fabriqué, est celui qui se fait avec le bryon (XII, 61) et l'huile de balan (XII, 46). La composition du parfum de Mendès se compliqua par l'addition de résine à l'huile de balan ; aujourd'hui on y ajoute de préférence du métopion : c'est une huile extraite des amendes amères en Égypte, et à laquelle on ajoute de l'omphacium (XII, 60), du cardamome, du jonc (XII, 48), du calamus, du miel, du vin, de la myrrhe, de la graine de baumier, du galbanum et de la térébenthine.

[5] Parmi les parfums les plus communs aujourd'hui, et, selon l'opinion commune, les plus anciens, est celui qui est composé d'huile de myrte, de calamus (XII, 48), de cyprès, de cypre (henné, Lawsonia inermis), de lentisque et d'écorce de grenade. Pour moi, je pense que les parfums composés avec la rose, qui vient partout, ont été les plus répandus. La composition du parfum de rose fut longtemps très simple : omphacium, fleur de rose, fleur de safran, cinabre, calamus, miel, jonc, fleur de sel ou anchuse, vin. Même procédé pour le parfum de safran : on ajoute du cinabre, de l'anchuse et du vin. Même procédé pour le parfum de marjolaine (XXI, 35) : on ajoute l'omphacium (XII, 60) et le calamus;

[6] ce dernier parfum est excellent dans l'île de Chypre et à Mitylène, où abonde la marjolaine. On mêle encore des huiles à plus bas prix, celles de myrte et de laurier, auxquelles on ajoute l'huile de marjolaine, le lis, le fenugrec, la myrrhe, la cannelle, le nard, le jonc, le cinnamome. Avec les coings ordinaires et ceux qui sont appelés struthies on prépare, comme nous le dirons (XXIII, 54), le melinum, qui passe dans les parfums avec l'addition de l'omphacium, de l'huile de cypre, de celle de sésame, du baume, du jonc, de la cannelle et de l'aurone. Le parfum de lis est le plus fluide : il est composé de lis, d'huile de balan, de calamus, de miel, de cinnamome, de safran, de myrrhe.

[7] Le parfum de cypre est fait avec du cypre; de l'omphacium, du cardamome, du calamus, de l'aspalathe (XII, 52) et de l'aurone; quelques-uns y ajoutent de la myrrhe et du panax (XII, 57) ; le meilleur est celui de Sidon, puis celui d'Égypte, si on n'y ajoute pas de l'huile de sésame; il se conserve pendant quatre ans ; le cinnamome lui donne de la force. Le parfum de fenugrec (XXIV, 120) se fait avec l'huile récente, le souchet (XXI, 70), le calamus, le mélilot, le fenugrec, le miel, le marum (XII, 63) et la marjolaine; c'était le parfum le plus en vogue au temps du poète comique Ménandre. Longtemps après, le premier rang passa au mégalium, ainsi appelé à cause de sa renommée, et fait avec de l'huile de balan, du baume, du calamus, du jonc, du xylobalsamum (XII, 54), de la cannelle et de la résine; il doit être ventilé pendant la cuisson jusqu'à ce qu'il cesse d'être odorant; l'odeur revient parle refroidissement.

[8] Des essences isolées constituent aussi des parfums célèbres : au premier rang le malobathrum (XII, 59), puis l'iris d'Illyrie et la marjolaine de Cyzique : ces deux derniers végétaux sont des herbes; on y ajoute peu d'ingrédients, variables suivant les parfumeurs; ceux qui en ajoutent le plus mettent du miel, de la fleur de sel, de l'omphacium , des feuilles d'agnus (XXIV, 38 ), du panax, toutes substances étrangères. Le parfum de cinnamome monte à des prix prodigieux. Au cinname on ajoute de l'huile de balan, du xylobalsamum, du calamus, du jonc, des graines de baumier, de la myrrhe, du miel odorant; c'est le plus épais des parfums. Le prix en est de 25 deniers (20 fr. 50) à 300 (246 fr.). Le parfum de nard ou foliatum (XI, 27) est composé d'ompltacium, d'huile de balan, de jonc, de costus (XII, 25 ), de nard, d'amome (XII, 28), de myrrhe, de baume. A ce propos on se rappellera que les herbes qui, avons-nous dit, simulent le nard indien, sont au nombre de neuf (XII, 26 et 27) : que de moyens de falsification!

[9] Tous les parfums deviennent plus pénétrants par le costus et l'amome, qui portent surtout à l'odorat; la myrrhe leur donne plus de consistance et de suavité ; le safran les rend plus propres aux emplois médicaux ; ils sont très pénétrants même avec l'amome seul, qui va jusqu'à causer des maux de tête. Quelques-uns se contentent d'arroser les substances les plus précieuses avec la décoction des autres, épargnant la dépense; mais la force du parfum n'est pas aussi grande que quand tous les ingrédients ont bouilli ensemble. La myrrhe, à elle seule, sans huile, constitue un parfum; pour cela on n'emploie que la myrrhe stacté, autrement elle donne trop d'amertume. Le parfum de cypre rend les parfums verts, celui de lis les rend onctueux, celui de Mendès noirs, celui de roses blancs; la myrrhe les rend pâles. Telles sont les inventions anciennes, auxquelles se sont ajoutées plus tard les falsifications des fabriques. Maintenant parlons du parfum qui est le comble du raffinement et le plus estimé
de tous :

[10] (II.) il est nommé le parfum royal, parce qu'il est ainsi composé pour les rois des Parthes : myrobolan (XII, 46), costus, amome, cinname-comaque (XII, 63 ), cardamome, épi de nard, marum, myrrhe, cannelle, styrax, ladanum, baume, calamus (XII, 48), jonc (XII, 48), oenanthe, malobathrum (XII, 59), serichatum (XII, 45), cypre , aspalathe, panax, safran, souchet, marjolaine, lotus, miel, vin. Ni l'Italie, conquérante de toutes les nations, ni même l'Europe entière, ne fournissent aucune des productions qui entrent dans la fabrication des parfums, excepté l'iris d'Illyrie et le nard des Gaules; car le vin, la rose, les feuilles de myrte, et l'huile, sont à peu près de tous les pays.

III. [1] Ce qu'on appelle diapasma est fait avec des odeurs sèches : quant à la lie de parfum, on la nomme magma. Dans toutes ces préparations, l'odeur la plus puissante est toujours ajoutée la dernière. Les parfums se conservent le mieux dans les vases d'albâtre (XXXVI, 12 ), les odeurs dans de l'huile, laquelle les garde d'autant mieux qu'elle est plus grasse, comme l'huile d'amandes. Les parfums eux-mêmes s'améliorent en vieillissant; le soleil les gâte : aussi les fait-on cuire à l'ombre dans des vases de plomb. On les éprouve en en versant sur le dos de la main, de peur que la chaleur de la partie charnue ne les altère.

IV. (III.) [1] Les parfums sont l'objet d'un luxe le plus inutile de tous. En effet, les perles et les pierres précieuses passent à l'héritier, les étoffes durent un certain temps; mais les parfums exhalent immédiatement l'odeur; et l'heure où on les porte les a dissipés. Ils sont parfaits, quand, une femme passant, l'odeur qu'elle répand attire même ceux qui sont occupés à autre chose. Ils se vendent plus de 40 deniers (32 fr. 50) la livre. Voilà ce que coûte le plaisir d'autrui ; car celui qui porte une odeur ne la sent pas lui-même.

[2] Mais il faut faire ici quelque distinction. Nous lisons dans Cicéron (XVII, 3, 11) que les parfums qui sentent la terre sont plus agréables que ceux qui sentent le safran : c'est que même dans cet objet, où la corruption éclate le plus, on aime à tempérer le mal par un peu de sévérité. Quelques-uns recherchent surtout la consistance dans les parfums, c'est ce qu'ils appel lent parfum épais; ils aiment à être non pas humectés, mais enduits de parfum. Nous avons vu oindre la plante des pieds, raffinement enseigné, disait-on, à Néron par M. Othon.

[3] Comment, je le demande, l'odeur mise à cette partie du corps pouvait-elle être sentie et faire plaisir? Nous avons entendu aussi un simple particulier ordonner que les murs des bains fussent aspergés de parfum ; l'empereur Caligula en faisait mettre dans ses bains de siège. Et qu'on ne regarde pas cela comme un privilège de prince :un esclave de Néron en a fait ensuite autant. Toutefois, ce qui est étonnant, c'est que ce genre de luxe ait pénétré même dans les camps: les aigles et les étendards, poudreux et gardés par des mains vaillantes, sont parfumés les jours de fêtes. Plût au ciel que nous pussions dire quel est l'auteur de cet usage! Sans doute c'est mues par ce prix corrupteur que les aigles ont fait la conquête du monde. Grâce à ces patronages que nous cherchons à nos vices, on s'autorise à user de parfums sous le casque.

V. [1] Je serais embarrassé de dire quand les Romains ont commencé à s'en servir. il est certain que, le roi Antiochus et l'Asie ayant été vaincus l'an 505 de Rome, P. Licinius Crassus et L. Julius César, censeurs, rendirent un édit pour défendre la vente des parfums exotiques : ce fut le terme dont ils se servirent. Mais aujourd'hui quelques-uns les ajoutent aux boissons, et l'amertume est tellement prisée, qu'on prodigue les odeurs pour la jouissance de deux sens. Le frère de L. Plancus deux fois consul et censeur, L. Plotius, ayant été proscrit par les triumvirs, fut trahi dans sa cachette de Salerne par l'odeur des parfums qu'il portait, cela est certain ; mollesse honteuse qui absout la proscription. Qui, en effet, ne trouverait pas juste la mort de telles gens?

VI. [1] Au reste, l'Égypte est de tous les pays le plus exploité par la parfumerie; puis la Campanie, à cause de l'abondance des roses. (IV.) Quant à la Judée, célèbre par les parfums, elle l'est encore plus par ses palmiers (phoenix dactylifera. L.), dont nous allons maintenant traiter. On en trouve même en Europe; ils sont communs en Italie, mais stériles. Sur les plages maritimes de l'Espagne ils donnent des fruits, mais d'un goût âpre; en Afrique, le fruit est doux, mais la saveur s'en perd aussitôt. IlI en est autrement dans l'Orient : là ils fournissent du vin:, servent de pain à certaines nations, et sont même un aliment pour plusieurs quadrupèdes. Le palmier mérite donc le nom d'exotique; aucun n'est venu spontanément en Italie, ni dans aucune autre partie du monde , excepté dans les contrées chaudes ; et il n'est productif que dans les contrées brûlantes.

VII. [1] Il vient dans une terre légère et sablonneuse, le plus souvent nitreuse ; il aime les irrigations, et, se plaisant à être arrosé toute l'année, une année sèche lui convient. On pense aussi que le fumier lui est nuisible; c'est l'avis de certains Assyriens, à moins que le fumier ne soit mêlé à de l'eau vive. Il y a plusieurs espèces de palmiers La première ne dépasse pas la taille d'un arbrisseau ; ordinairement stérile, elle donne quelquefois des fruits; les branches courtes et garnies de feuilles sont en couronne : cet arbre sert, dans beaucoup de pays, à défendre en guise de crépi les murailles contre les eaux.

[2] Les grands palmiers forment des forêts; le tronc même est muni tout autour de feuilles pointues, disposées en forme de peigne; ce sont les palmiers sauvages : toutefois, par une débauche vagabonde, ils ont commerce avec les palmiers cultivés. Ceux-ci, ronds et élevés, sont garnis circulairement de tubérosités épaisses formées par l'écorce et arrangées en gradins, ce qui offre de la facilité aux Orientaux pour grimper sur l'arbre. L'homme s'entoure, lui et l'arbre, d'un cercle d'osier; et de cette façon il parvient au haut avec une rapidité merveilleuse. Tout le feuillage est au sommet, ainsi que le fruit. Le fruit n'est pas entre les feuilles comme dans les autres arbres, mais au milieu des branches : il pend en grappes à des pédicules qui lui sont propres, participant à la fois de la grappe et de la pomme. Les feuilles sont terminées par une pointe en forme de couteau ; les côtés en sont canaliculés, et elles ont donné la première idée d'une armée faisant face de deux côtés : aujourd'hui on les fend (XVI, 37) pour faire des cordes, des nattes et des parasols légers.

[3] Les naturalistes les plus exacts ont dit que les arbres, et, à vrai dire, tous les végétaux que la terre produit, même les herbes, ont les deux sexes. Pour le moment il suffit d'avoir rappelé cette observation, qui n'est manifeste dans aucun arbre plus que dans le palmier. Le mâle fleurit; la femelle ne fleurit pas, et a seulement un bourgeon en forme d'épi. Dans l'un et l'autre la chair du fruit se forme d'abord, puis le noyau, c'est-à-dire la graine; ce qui le prouve, c'est que sur la même tige on trouve de jeunes fruits sans noyau. Ce noyau est oblong, et non arrondi comme celui des olives; en outre il est fendu, sur le dos, d'une fente à bords renflés; et en avant, au milieu, est sur la plupart un ombilic, d'où la racine commence à sortir.

[4] En le semant on le place sur la face antérieure, et on en juxtapose deux, au-dessus desquels on en met deux autres, parce qu'un seul ne donne qu'une plante faible ; mais les quatre se réunissent. Ce noyau est séparé de la chair du fruit par plusieurs enveloppes blanches, et par d'autres qui adhèrent au fruit même; jouant librement dans l'intérieur, il ne tient qu'au sommet par un fil. La chair du fruit mûrit en un an. Cependant en certains lieux, par exemple en Chypre, sans mûrir il a déjà une saveur douce et agréable; la feuille y est plus large, et le fruit plus arrondi qu'ailleurs; on ne l'avale pas, on se contente de le mâcher et d'en exprimer le suc.

[5] En Arabie aussi on dit que les palmiers ont un goût d'une douceur fade; toutefois Juba met au-dessus de toutes la datte des Arabes Scénites, nommée dablan. On assure que dans une forêt naturelle les palmiers femelles privés de mâles n'engendrent pas; que plusieurs femelles autour d'un seul mâle inclinent de son côté leur feuillage, qui semble le flatter; que lui, hérissant sa chevelure, féconde les autres par sou souffle, par la vue, et par la poussière même; que, l'arbre mâle étant coupé, les femelles, veuves, deviennent stériles. Leurs amours sont si bien connues, que l'homme a imaginé de produire la fécondation en secouant les fleurs et le duvet des mâles, ou même seulement leur poussière, sur les femelles.

VIII. [1] On multiplie aussi les palmiers de bouture avec la tige coupée à deux coudées de la cervelle (XIII, 9, 1) de l'arbre, fendue, et enfoncée en terre. Un rejeton arraché à la racine donne aussi une bouture, ainsi que les branches les plus tendres. En Assyrie, on couche l'arbre dans un terrain humide; il donne tout entier naissance à des racines, mais il produit des arbrisseaux et non des arbres. En conséquence on établit des pépinières, et on transplante les palmiers au bout d'un an, et de nouveau au bout de deux. Ils aiment, en effet, à être transplantés vers le lever de la Canicule en Assyrie, pendant le printemps ailleurs. On n'y taille pas les jeunes palmiers, mais on en lie la tête, afin qu'ils croissent en hauteur.

[2] Devenus grands, on les émonde pour les faire grossir, mais on laisse les branches de la longueur d'un demi-pied, opération ailleurs mortelle pour l'arbre. Nous avons dit (XIII, 7) qu'ils se plaisent dans un terrain salé (XVII, 3) ; là où le sol n'est pas salé , on jette du sel, non sur les racines, mais à une certaine distance. Quelques palmiers, dans la Syrie et l'Égypte, se divisent en deux troncs, dans la Crète en trois et même en cinq. Les palmiers portent dès l'âge de trois ans ; mais dans l'île de Chypre, la Syrie et l'Égypte, à l'âge de quatre ans; quelques-uns ne portent qu'à l'âge de cinq : l'arbre a la hauteur d'un homme; le fruit n'a pas de noyau tant que l'arbre est jeune, ce qui lui a fait donner le nom d'eunuque.

IX. [1] On connaît plusieurs espèces de palmiers. L'Assyrie et toute la Perse emploient les stériles pour la charpente et les ouvrages de luxe. Il y a même des forêts de palmiers mises en coupes; ils repoussent par la racine. La moelle en est douce au sommet, c'est ce qu'on appelle cervelle; on peut l'extraire satisfaire mourir l'arbre, ce qui n'a pas lieu pour les autres espèces. On nomme chamaerepes (latanier, chamaereps humilis, L.) ceux qui ont la feuille plus large et molle; on s'en sert beaucoup pour les ouvrages de vannerie : ils abondent dans la Crète, et surtout dans la Sicile. Le charbon de palmier s'éteint difficilement, et la com¬bustion en est lente.

[2] Les palmiers à fruit ont un noyau les uns plus court , les autres plus long, ceux-ci plus mou, ceux-la plus dur, quelques-uns osseux et en forme de croissant : la superstition veut qu'on les polisse avec la dent, et l'on s'en sert contre les charmes. Ce noyau est dans des enveloppes plus ou moins nombreuses, plus ou moins épaisses. De la sorte on trouve quarante-neuf espèces, si l'on veut énumérer tous les noms même barbares et les vins différents tirés de ces arbres. Les plus célèbres sont ceux qu'on nommait royaux, parce qu'ils étaient uniquement réservés aux rois de Perse; il n'y en avait qu'à Babylone, dans le seul jardin de Bagoas. Bagoas est le nom que les Perses donnent aux eunuques, dont quelques-uns ont régné sur ce pays. Ce jardin s'est toujours trouvé dans l'enceinte du palais du souverain.

[3] Mais dans les contrées méridionales les dattes les plus renommées sont les syagres (dattes de sanglier), et ensuite les margarides. Ces dernières sont courtes, blanches, rondes, plus semblables à des grains de raisin qu'à des dattes; d'où le nom, qui est tiré de celui des perles( margarita). On dit que l'arbre qui les porte est unique dans la Chora [d'Alexandrie] (VI, 39), ainsi que celui qui porte les syagres. Chose singulière! on nous a dit que ce dernier arbre meurt et renaît de lui-même avec le phénix, qui , pense-t-on, a emprunté son nom à ce palmier à cause de cette particularité ; au moment où j'écris, cet arbre donne des fruits. Le fruit lui-même est gros, dur, raboteux, et différent des autres dattes par un goût sauvage qui a quelque ressemblance avec celui de la chair de sanglier; c'est évidemment ce qui lui a fait donner le nom de syagre. Au quatrième rang sont les sandalides, appelées ainsi de leur ressemblance avec les sandales. On assure que sur les confins de l'Éthiopie se trouvent cinq de ces arbres, et pas davantage, non moins admirables par la douceur de leur fruit que par leur rareté.

[4] Au cinquième rang sont les caryotes, non seulement très nourrissantes, mais encore pleines de jus : c'est avec elles qu'on fait en Orient les principaux vins (VI, 32,18; XIV, 19); lis portent à la tête ; del à vient le nom donné au fruit (κάρος, sommeil). Si là est l'abondance et la quantité, c'est en Judée qu'est le renom; non pas toute la Judée, mais principalement le territoire de Jéricho. Toutefois on estime aussi celles d'Archélaïs, de Phasélis et de Livias, vallées du même pays. La grande qualité de ces dattes est d'avoir un jus onctueux et lactescent, et une sorte de saveur vineuse jointe à un goût de miel très doux. Les caryotes de Nicolaüs sont plus sèches, mais très grosses : quatre mises bout à bout font une coudée. Moins belles, mais soeurs des caryotes pour le goût, les adelphides, ainsi nommées à cause de cela, out une douceur qui s'en rapproche, sans être la même. La troisième espèce de caryotes se nomme patète; elle a un excès de jus; le fruit, ivre de liquide, crève sur sa mère même, et semble avoir été foulé.

[5] Parmi les dattes sèches sont les dattes semblables à des joncs, qui sont très longues, très minces, et courbées vers la terre. Quant à celles de cette espèce que nous consacrons au culte des dieux, elles sont appelées chydées (communes) par les Juifs, nation remarquable pour son mépris des divinités. Celles surtout de la Thébaïde et de l'Arabie sont desséchées, minces, allongées; brûlées par une chaleur perpétuelle , elles se couvrent d'une croûte plutôt que d'une peau. Dans l'Éthiopie même la datte est friable, tant elle est sèche, et on en fabrique du pain comme avec la farine; elle vient sur un arbrisseau à branches d'une coudée de long, à feuille large, à fruit rond et plus gros qu'une pomme ; on nomme cette datte coïx (cycas oircinalis, L.); elle mûrit en trois ans :

[6] c'est un arbrisseau toujours couvert de fruits, à tous les degrés de maturité. La datte de la Thébaïde est aussitôt serrée dans des tonneaux, avec sa chaleur et son esprit; autrement, cet esprit ne tarde pas à se perdre : on la sèche au four; sans cette précaution, elle se flétrirait. Les dattes des autres espèces sont peu estimées; les Syriens et Juba les nomment tragemata (dragées); dans le reste de la Phénicie et dans la Cilicie elles portent le nom de balans (glands) , nom vulgaire même pour nous Latins. Il y a aussi plusieurs espèces de ces dernières dattes; elles diffèrent par la rondeur et par la longueur; elles diffèrent aussi par la couleur, les unes étant noires, les autres rouges : on dit qu'elles n'offrent pas moins de variétés de couleur que la figue. Ce sont les blanches qui plaisent le plus. Elles diffèrent de même par la dimension, selon le nombre qu'il en faut pour faire une coudée. Quelques-unes ne sont pas plus grosses qu'une fève.

[7] On ne conserve que celles qui viennent dans des lieux salés et sablonneux, comme dans la Judée et la Cyrénaïque. Celles d'Égypte, de Chypre, de Syrie et de Séleucie Assyrienne ne se conservent pas; elles servent à l'engraissement des pourceaux et autres animaux. On reconnaît que ce fruit est gâté ou vieux quand il a perdu une verrue blanche par où il tient à la grappe. Des soldats d'Alexandre furent étouffés par des dattes vertes; accident dû dans le pays des Gédrosiens à la qualité du fruit (XII, 12 ), ailleurs à la quantité. En effet, les dattes fraîches ont une telle douceur, qu'on ne cesse d'en manger que par la crainte du danger.

X. (V.) [1] Outre le palmier, la Syrie possède des arbres particuliers. Parmi les arbres à noix elle a le pistachier (pistacia vera, L.). On prétend que la pistache est bonne contre les morsures de serpent, soit en aliment, soit en breuvage. Dans le genre figuier sont les figues cariques et les figues plus petites de la même espèce, qu'on appelle cottanes. Sur la montagne de Damas on trouve le prunier et le myxa (sébestier, cordia myxa, L.) (XV, 12 ); ces deux arbres sont maintenant naturalisés en Italie. Avec le myxa on fait même du vin en Égypte.

XI. [1] La Phénicie produit le petit cèdre semblable au genévrier (juniperus communis, L.) ; il y en a deux espèces, le lycien et le phénicien : elles diffèrent par la feuille; celle qui a la feuille dure, aiguë, épineuse, se nomme oxycedros (juniperus oxycedrus, L.), rameuse et hérissée de noeuds. L'autre espèce l'emporte par l'odeur. Le petit cèdre produit un fruit de la grosseur d'un grain de myrte et d'une saveur douce. Le grand cèdre (pinus cedrus, L.) est aussi divisé en deux espèces : celui qui a des fleurs n'a pas de fruits; celui qui a des fruits n'a pas de fleurs; et le fruit qui tombe y est incessamment remplacé par un nouveau. La graine est semblable à celle du cyprès. Quelques-uns le nomment cédrelate. Cet arbre fournit la résine la plus estimée. Le bois en dure éternellement; aussi l'a-t-on employé à faire des statues de dieux. Il y a à Rome, dans un temple, un Apollon Sosianus (XXXVI, 4, n. 16) en cèdre; il e été apporté de Séleucie. On trouve en Arcadie un arbre semblable au cèdre; on le nomme en Phrygie Frutex (l'Arbrisseau).

XII. (VI.) [1] La Syrie possède encore le térébinthe (pistacia terebinthus, L.). L'arbre mâle n'a pas de fruits. L'arbre femelle se divise en deux espèces : l'une a un fruit rouge, de la grosseur d'une lentille; l'autre a un fruit pâle, mûrissant avec le raisin, pas plus gros qu'une fève, d'une odeur plus agréable, et résineux au toucher. Vers le mont Ida de la Troade et en Macédoine, cet arbre est peu élevé, et en forme de buisson; il est grand à Damas de Syrie. Le bois en est extrêmement flexible, dure beaucoup, et est d'un noir luisant. La fleur est en grappe comme celle de l'olivier, mais rouge; les feuilles sont serrées. Il produit aussi des follicules donnant issue à des animalcules semblables à des moucherons, et à un liquide résineux qui s'échappe même par l'écorce.

XIII. [1] Le sumac mâle (rhus coriaria, L.) de t Syrie porte une graine; le sumac femelle est stérile; la feuille ressemble à celle de l'ormeau, un peu plus longue, velue; les pétioles en sont toujours opposés; les branches sont minces et courtes. On emploie cet arbre à préparer les peaux en blanc. La graine est semblable à une lentille, elle rougit avec le raisin; on la nomme rhus; elle est nécessaire dans les médicaments(XXIV, 79).

XIV. (VII.) [1] L'Égypte produit plusieurs espèces d'arbres qu'on ne trouve pas ailleurs. Au premier rang est le figuier surnommé égyptien (sycomore, ficus sycomorus, L.); il est semblable au mûrier pour la feuille, la grandeur et le port. Le fruit est non sur les branches, mais sur la tige même; c'est une figue très douce, sans graines à l'intérieur, d'un produit très abondant; on la gratte avec des ongles de fer, autrement elle ne mûrit pas ; quatre jours après cette opération on la cueille, et une autre commence à pousser.

[2] On fait ainsi sept récoltes, et en été le fruit est plein de lait. Quatre fois dans l'été, un fruit nouveau pousse sous l'ancien, même quand on ne gratte pas ce dernier, et le fait tomber avant la maturité. Le bois, d'une nature toute particulière, est au nombre des plus utiles; on le plonge dans des étangs, immédiatement après l'avoir coupé; c'est le moyeu de le sécher : d'abord il va au fond, puis il surnage; et l'eau, qui pénètre tout autre bois, pompe l'humidité qui est dans celui-ci. Il est à point quand il commence à surnager.

XV. [1] Le figuier appelé en Crète figuier de Chypre a quelque ressemblance avec le précédent; il porte en effet le fruit sur la tige , et sur les branches quand elles ont pris de la force; mais il jette des bourgeons dépourvus de feuilles, et ressemblant à une racine. Le tronc est celui du peuplier ; la feuille, celle de l'ormeau. Il donne quatre récoltes, et se couvre autant de fois de bourgeons; mais le fruit vert ne mûrit qu'autant qu'on eu fait sortir le lait par une incision. Le goût et le dedans sont comme la figue; la grosseur est celle de la sorbe.

XVI. (VIII.) [1] Il faut encore rapprocher des précédents le figuier appelé par les Ioniens céroula (caroubier, ceratonia siliqua, L.) ; c'est aussi sur la tige qu'il porte le fruit, mais ce fruit est une gousse (XV, 26 ). Pour cette raison quelques-uns l'ont nommé figuier égyptien, erreur manifeste : il naît en effet, non en Égypte, mais dans la Syrie, l'Ionie, autour de Guide et dans file de Rhodes. Il est toujours couronné de feuilles. La fleur en est blanche, et exhale une odeur forte. Garni de rejetons au pied, il est jaunâtre à l'extérieur, ces rejetons retenant le suc. Le fruit de l'année précédente étant cueilli vers le lever de la Canicule, l'arbre en produit aussitôt un autre ; puis il fleurit pendant que la constellation d'Arcturus (XVIII, 74) est sur l'horizon : l'hiver nourrit le fruit.

XVII. (IX.) [1] L'Égypte a encore un arbre particulier, le persica (balanites aegyptiaca, Delile), semblable au poirier et conservant ses feuilles. Il produit continuellement : on cueille un fruit, et le lendemain un autre pousse; le bon moment de la maturité est pendant le souffle des vents étésiens (XVIII, 68). Le fruit, plus long qu'une poire, est dans une coquille et une peau couleur d'herbe, comme le fruit de l'amandier (XV, 34); mais l'intérieur, au lieu d'être une amande, est une prune, seulement plus petite et plus molle. Ce fruit, quoique attrayant par sa douceur exquise, n'incommode pas. Le bois, par la bonté, la solidité et la couleur noire, ne diffère en rien du lotus (XIII, 32) ; on en a fait des statues. On n'estime pas autant, quoique le bois en soit durable, l'arbre que nous avons appelé balan (XII, 46); il est tordu dans la plus grande partie ; aussi ne s'en sert-on que pour les constructions navales.

XVIII. [1] Au contraire, le bois du cucus (douma, cucifera thebaica, Delile ) est très estimé. Le cucus ressemble au palmier, puisqu'on se sert de ses feuilles pour en faire des tissus; il en diffère parce qu'il s'étend en rameaux. Le fruit , de grosseur à remplir la main, est d'une couleur fauve, et recommandable par un suc âpre, mais laissant une saveur douce. Le noyau dans l'intérieur est gros, très-dur; les tourneurs en font des anneaux pour les rideaux. Dans ce noyau est une amande douce tant qu'elle est fraîche; séchée, elle durcit infiniment, au point de n'être plus mangeable qu'après une macération de plusieurs jours. Le bois a des veines contournées avec élégance; aussi est-il très recherché des Perses.

XIX. [1] On n'estime pas moins dans le même pays un arbre épineux (XXIV, 67), mais seulement le noir (acacia nilotica, Delile ), parce qu'il est incorruptible, même dans l'eau ; aussi est-il très utile pour faire les flancs des navires. Le blanc se gâte facilement. Les feuilles même sont garnies d'épines. La graine est dans des gousses; on l'emploie à la préparation des cuirs en guise de noix de galle. La fleur est agréable dans les guirlandes, et elle entre dans des compositions médicamenteuses. Il s'écoule aussi une gomme de cet arbre. Mais le principal mérite qu'il possède, c'est de repousser en trois ans après avoir été coupé. Il se trouve dans les environs de Thèbes, où sont aussi le chêne, le persica (XIII 17) et l'olivier :

[2] c'est un canton à 300 stades (5 kil. et demi) du Nil, boisé et arrosé par des sources particulières. (X.) Là est aussi le prunier égyptien; il ressemble assez à l'épine susdite, le fruit à la nèfle; il mûrit au solstice d'hiver. L'arbre ne perd pas ses feuilles. Le fruit renferme un gros noyau, mais la chair même tient lieu, par sa nature et par son abondance, d'une moisson aux habitants; on le nettoie, on l'écrase, et on en fait des gâteaux que l'on conserve. Il y a aussi aux environs de Memphis une région boisée où les arbres sont si gros, que trois hommes ne pourraient les embrasser. Un de ces arbres est merveilleux, non par son fruit ou par un usage quelconque, mais par le phénomène qu'il présente: ressemblant à une épine (mimosa polyacantha, L. ), il a des feuilles en forme d'ailes, qui tombent dès qu'un homme touche les branches , et qui ensuite renaissent.

XX. (XI.) [1] Il est reconnu que la meilleure gomme vient de l'épine d'Égypte (acacia nilotica) : elle est vermicellée, d'une couleur glauque, pure, sans écorce, et s'attachant aux dents; le prix en est de trois deniers (2 fr. 46) la livre. Celle qui provient de l'amandier amer et du cerisier est moins bonne; la plus mauvaise est celle du prunier. La vigne en donne aussi une, excellente pour les ulcères des enfants; et quelquefois il sort de l'olivier une gomme bonne pour les maux de dents. L'ormeau sur le Corycus, montagne de la Cilicie, et le genévrier eu produisent; mais celle-là n'est bonne à rien : la gomme de l'ormeau du même endroit donne aussi naissance à des moucherons. Du sarcocolle (penaea sarcocolla, L.) (c'est le nom de l'arbre) provient une gomme très utile aux peintres et aux médecins (XXIV, 78), semblable à de la poudre d'encens; aussi on préfère la blanche à la rousse. Le prix est le même que celui de la précédente.

XXI. [1] Nous n'avons pas encore parlé des plantes de marais ni des arbrisseaux de rivières. Cependant, avant de quitter l'Égypte, nous ferons l'histoire du papyrus (cyperus papyrus, L.), attendu que la civilisation et le souvenir des choses sont attachés à l'usage du papier. M. Varron dit que le papier fut découvert lors des victoires d'Alexandre le Grand et de la fondation d'Alexandrie d'Égypte; qu'auparavant on ne l'employait pas; qu'on écrivit d'abord sur des feuilles de palmier, puis sur le liber de certains arbres. Ensuite les documents publics furent écrits sur des feuilles de plomb, et les documents privés sur des étoffes de lin, ou sur des tablettes enduites de cire. Nous trouvons dans Homère (Il., VI, 168) qu'on se servait de tablettes même avant la guerre de Troie (XIII, 27; XXXIII, 4).

[2] La terre que le poète appelle Égypte n'est pas même celle que nous entendons, et qui, dans son nome Sebennytique du moins, ne produit guère que du papyrus; cette dernière est un produit de l'alluvion du Nil, car Homère (Od., IV, 355) rapporte que de l'île de Pharos (II, 87), aujourd'hui réunie par un pont à Alexandrie, il y a jusqu'au continent un jour et une nuit de navigation à la voile. Dans la suite, le roi Ptolémée ayant défendu l'exportation du papier, à cause de la rivalité entre lui et le roi Eumène au sujet des bibliothèques (XXXV, 2), le parchemin fut, au rapport du même Varron, inventé à Pergame. Enfin cet objet, dont l'immortalité des hommes dépend, devint d'un usage commun.

XXII. [1] Le papyrus naît dans les marécages de l'Égypte ou dans les eaux dormantes du Nil, lorsque, débordées, elles demeurent stagnantes des creux dont la profondeur n'excède pas deux coudées. La racine est oblique, grosse comme le bras; la tige triangulaire, et, n'ayant pas plus de dix coudées de haut, va en diminuant jusqu'à l'extrémité, qui renferme un bouquet en forme de thyrse, sans graine, et sans autre usage que de servir à couronner les statues des dieux. Les habitants emploient les racines en guise de bois, pour faire non seulement du feu, mais encore divers ustensiles de ménage. Avec la tige ils construisent des barques, et avec l'écorce ils fabriquent des voiles, des nattes, des vêtements, des couvertures et des cordes; ils mâchent même le papyrus cru ou bouilli, se contentant d'en avaler le jus. Le papyrus naît encore dans la Syrie, autour de ce lac dont les bords produisent le calamus odorant (XII, 48). Le roi Antigone n'employait pas dans sa marine d'autres cordages que ceux que lui fournissait le papyrus de cette contrée; car alors le spart n'était pas répandu. Récemment on a reconnu que sur les bords de l'Euphrate, aux environs de Babylone, poussait un papyrus qui pouvait servir à fabriquer du papier; néanmoins, encore aujourd'hui les Parthes aiment mieux écrire sur des étoffes.

XXIII. [1] On prépare le papier en divisant le papyrus en bandes très minces, mais aussi larges que possible. (XII) La bande la meilleure est celle du centre de l'arbre, et ainsi de suite dans l'ordre de la division. On appelait jadis hiératique, attendu qu'il était réservé aux livres sacrés, le papier fait avec les bandes intérieures. Lavé, il a reçu le nom d'Auguste, de même que celui de seconde qualité porte celui de Livie, sa femme. De la sorte, l'hiératique devint papier de troisième qualité. Le quatrième rang avait été donné à l'amphithéâtrique, nom tiré du lieu de la fabrique. L'habile fabricant Fannius s'en empara, le rendit fin par une interpolation soigneuse , d'un papier commun fit un papier de première qualité, et lui donna son nom. Le papier qui n'avait pas reçu cette préparation garda le nom d'amphithéâtrique qu'il portait auparavant.

[2] Vient ensuite le Saitique (V, 9), ainsi nominé de la ville de Saïs, qui en fabrique beaucoup ; on le fait avec des rognures de basse qualité. Le Ténéotique, ainsi nommé d'une localité voisine de Saïs, est fait avec des matériaux plus rapprochés de l'écorce; il ne se vend plus à la qualité, il se vend au poids. Quant à l'emporétique, il ne peut servir à écrire; on ne l'emploie que pour envelopper les autres papiers et emballer les marchandises; de là lui vient le nom qu'il porte (papier des marchands). Au delà est l'écorce du papyrus, dont l'extérieur ressemble au jonc; elle n'est bonne qu'a faire des cordes qui vont dans l'eau.

[3] On fait toutes les sortes sur une table humectée avec l'eau du Nil; ce liquide trouble tient lieu de colle. D'abord sur cette table inclinée on colle les bandes dans toute la longueur du papyrus; seulement ou les rogne à chaque extrémité; puis on pose transversalement d'autres bandes en forme de treillage. On les soumet à la presse; cela fait une feuille, que l'on sèche au soleil. On joint entre elles ces feuilles, mettant d'abord les meilleures, et ainsi de suite jusqu'aux plus mauvaises. La réunion de ces feuilles forme un scapus (main), qui n'en a jamais plus de vingt.

XXIV. [1] La largeur est très différente : les meilleures ont treize doigts; l'hiératique, deux de moins; le papier de Fannius, dix, et l'amphithéâtrique, neuf. Le Saïtique en a moins, il n'est pas aussi large que le maillet; et l'emporétique n'a pas plus de six doigts. On estime encore dans le papier la finesse, le corps, la blancheur, le poli. L'empereur Claude changea la première qualité : le papier Auguste était trop fin, et ne résistait pas à la pression du calame;

[2] en outre il laissait passer les lettres, et quand on écrivait sur le verso on craignait d'effacer le recto : dans tous les cas, la transparence en était désagréable à l'oeil. On lit donc la chaîne du papier avec des bandes de seconde qualité, et la trame avec des bandes de première. Claude augmenta aussi la largeur : la dimension fut d'un pied [pour le papier ordinaire], et d'une coudée pour le grand ; mais l'usage fit reconnaître un inconvénient : une bande, si elle venait à se détacher, gâtait plusieurs pages. Ces avantages ont fait préférer le papier de Claude à tous les autres; mais la vogue est restée au papier Auguste pour la correspondance épistolaire. Le papier Livie, qui n'avait rien de la première qualité mais tout de la seconde, resta à son rang.

XXV. [1] Les inégalités du papier sont polies avec une dent ou un coquillage, mais les caractères sont sujets à s'effacer; poli, le papier est plus luisant, mais ne prend pas l'encre aussi bien. Souvent l'eau du Nil donnée d'abord avec peu de soin rend le papier rebelle à l'écriture : cela se reconnaît par le maillet, ou même par l'odorat, quand le défaut est trop considérable. Les taches se reconnaissent à l'oeil. Mais les petites bandes insérées au milieu des feuilles collées, rendant le papier fongueux et le faisant boire, ne se découvrent guère que lorsque écrivant les lettres s'étalent; tant il y a de fraude ! Il faut donc avoir recours à une autre préparation.

XXVI. [1] La colle ordinaire se fait avec la fleur 1 de farine, de l'eau bouillante, et quelques gouttes de vinaigre; la colle de menuisier et la gomme rendent le papier cassant. Un meilleur procédé, c'est de faire bouillir de la mie de pain levé dans de l'eau , et de la passer; c'est de cette façon qu'on ale moins de colle interposée, et le papier est plus doux que la toile de lin même. La colle ne doit avoir ni plus ni moins d'un jour. Puis on amincit le papier avec le maillet, on met une nouvelle couche de colle; on efface les plis qui se sont formés, et on le bat de nouveau avec le maillet. C'est sur ce papier que sont d'anciens monuments de la main de Tiberius et de Caïus Gracchus; monuments que j'ai vus chez Pomponius Secundus, poète et citoyen très illustre (VII, 18; XIV, 6), et qui ont près de deux cents ans. On voit souvent aussi, sur ce papier, des autographes de Cicéron, du dieu Auguste et de Virgile.

XXVII. (XIII. ) [1] On a des faits considérables contre l'opinion de Varron touchant le papier (XIII, 21). Cassius Hemina, auteur très ancien, a écrit, dans le quatrième livre de ses Annales, que Cn. Terentius, greffier, faisant défoncer son champ sur le Janicule, trouva un cercueil qui avait renfermé le corps de Numa, roi de Rome; que ce cercueil contenait les livres de ce prince; que cette trouvaille se fit sous le consulat de P. Cornélius Céthégus fils de Lucius, et M. Bæbius Tamphilus, fils de Quintus, 535 ans après le règne de Numa; et que ces livres étaient en papier. Ce qui rend la chose encore plus étonnante, c'est que, enfouis, ils aient duré tant d'années; en conséquence, pour un fait aussi important, je citerai les propres paroles d'Hemina :

[2]  « On s'étonnait que ces livres eussent pu durer : Térentius en donnait cette explication : Au milieu du cercueil, disait-il, était une pierre carrée, attachée en tous sens par des branchages cirés (XVI, 70) ; les livres avaient été mis sur cette pierre; il pensait que c'était cela qui les avait empêchés de pourrir. Il ajoutait que ces livres avaient été garnis de feuilles de citronnier (XIII, 31 ; XII, 7 ), ce qui devait les avoir défendus contre l'attaque des teignes. Ces livres renfermaient des écrits relatifs à la philosophie de Pythagore; ils furent brûlés par le préteur Q. Petilius, parce que c'étaient des écrits philosophiques. " L. Pison, qui avait été censeur, rapporte la même histoire dans le premier livre de ses Commentaires; mais il dit que ces volumes renfermaient sept livres du droit pontifical et sept livres de philosophie pythagoricienne. Tuditanus, dans son treizième livre, rapporte qu'ils renfermaient les décrets de Numa. Varron, dans le sixième livre des Antiquités humaines, Valerius Antias, dans son deuxième livre, ont écrit qu'ils renfermaient deux livres latins sur les choses pontificales, et deux livres grecs sur les préceptes de la philosophie.

[3] Ce dernier auteur expose, dans son troisième livre, les raisons qui firent qu'on les brûla. C'est un fait reconnu de tous que la Sibylle apporta (XXXIV, 11) à Tarquin le Superbe trois livres, dont deux furent brûlés par elle-même, et le troisième avec le Capitole, au temps de Sylla (XXXIII, 5 ). En outre, Mutianus, trois fois consul, a rapporté récemment avoir lu, étant gouverneur de la Lycie, dans un certain temple, une lettre écrite de Troie, sur papier, par Sarpédon. Cela me paraît d'autant plus étonnant, que le delta d'Égypte n'existait pas au temps d'Ho¬mère (XIII, 21); ou si on se servait déjà du papier, pourquoi Homère (Il., VI, 168) dit-il que, dans la Lycie même , on remit à Bellérophon des tablettes, et non une lettre ? Le papyrus est sujet aussi à manquer. Il y eut sous le règne de Tibère une disette de papier, au point qu'il fallut nommer des sénateurs pour en régler la distribution; autrement les relations de la vie auraient été troublées.

XXVIII. (XIV.) [1] L'Éthiopie, limitrophe de l'Égypte, n'a guère d'arbres remarquables, excepté les arbres à laine, dont nous avons parlé dans la description de l'Inde et de l'Arabie (III, 21 et 22). Cependant le produit de l'arbre d'Éthiopie se rapproche plus de la laine ; le follicule en est plus gros, il est comme une grenade : du reste, l'arbre est le même dans les deux pays. Outre cet arbre, il y a les palmiers tels que nous les avons décrits (XXX, 9). En parlant des îles qui sont le long de la côte d'Éthiopie, nous avons indiqué (VI, 36 et 31) les arbres qu'elles produisent et leurs forêts odorantes.

XXIX. (XV.) [1] Le mont Atlas renferme, dit-on, une forêt particulière dont il a été question (V, 1). Dans le voisinage de cette montagne est la Mauritanie, où le citre (thuya articulata, Desfont. ) se trouve en abondance. Les tables de ce bois ont donné lieu à l'extravagante manie que les femmes reprochent aux hommes, quand les hommes leur reprochent les perles. On conserve encore aujourd'hui la table de Cicéron, payée, malgré sa fortune médiocre, et, ce qui est encore plus étonnant, à cette époque, un million de sesterces (210,000 fr.). On cite aussi celle d'Asinius Gallus, qui coûta 1,100,000 sesterces (231,000 fr.). On a vendu à l'encan deux tables qui provenaient du roi Juba : l'une fut payée 1,200,000 sesterces ( 252,000 fr.), l'autre un peu moins. Un incendie a consumé récemment une table qui venait des Céthégus, et qui fut vendue 1,400,000 sesterces (294,000 fr.) : c'est le prix d'un grand domaine, si tant est qu'on préférât au même prix un fonds de terre.

[2] La plus grande table qu'on eût encore vue est celle de Ptolémée, roi de Mauritanie; elle était faite de deux demi-circonférences réunies ensemble; elle avait quatre pieds et demi de diamètre, et trois pouces d'épaisseur; et l'art, en cachant la jointure, avait rendu cette pièce plus belle que si elle avait été naturellement d'une seule pièce. La plus grande, d'une seule pièce, est la table qui porte le nom de Nomius, affranchi de l'empereur Tibère : elle a quatre pieds moins trois quarts de pouce, et elle est épaisse de six pouces, moins la même fraction.

[3] A ce sujet n'omettons pas de remarquer qu'une table de l'empereur Tibère, d'un diamètre de quatre pieds deux pouces et un quart, et d'une épaisseur d'un pouce et demi, était plaquée d'une lame de citre, tandis que la table de son affranchi était si riche. Ce qui sert à faire les tables est un noeud de la racine; on estime surtout les noeuds qui ont été tout entiers sous la terre; ils sont plus recherchés que ceux qui viennent au-dessus du sol et que ceux qui sont dans les branches. Ainsi, à proprement parler, ce qu'on achète si cher est un défaut de l'arbre. On peut se faire une idée de la grosseur du citre et de ses racines en considérant les tables rondes qu'il fournit. Il ressemble au cyprès femelle sauvage (cupressus sempervirens, L.) par le feuillage, l'odeur et la tige. Le mont Ancorarius, de la Mauritanie citérieure, a donné le citre le plus estimé; il est déjà épuisé.

XXX. [1] Le principal mérite de ces tables, c'est d'avoir des veines disposées en cheveux crêpés, ou en petits tourbillons. Dans la première disposition les veines courent en long : table tigrées; dans la seconde, elles reviennent sur elles-mêmes : tables panthérines. II yen a encore à ondulations crêpées, recherchées surtout si elles imitent les yeux de la queue du paon. Après ces dernières, et aussi après les précédentes, on place, bien qu'avec beaucoup d'estime encore, celles dont les veines ressemblent à des grains entassés et serrés; on les nomme apiates (semblables à la graine d'ache ). Pour toutes la qualité prééminente est la nuance : la nuance de vin miellé, avec des vei¬nes brillantes, est au premier rang. Après la cou-leur, c'est la grandeur qu'on prise : on veut des troncs entiers et plus d'un dans une seule table.

[2] Défauts de la table : 1° le bois; on appelle bois l'absence d'éclat, un fond uni et sans dessin, ou ayant des dessins semblables à la feuille de platane; 2° la ressemblance avec les veines ou la couleur de l'yeuse; 3° des fentes ou des gerçures semblables à des fentes, détériorations auxquelles les exposent surtout la chaleur et les vents; 4° une bande noire semblable à une murène, une cou-leur ponctuée comme l'écorce de pavot, ou en somme se rapprochant du noir, ou des taches de mauvaise couleur.

[3] Les barbares enfouissent dans la terre le citre encore vert, et l'enduisent de cire. Les ouvriers le mettent pendant sept jours sur des tas de blé, et attendent ensuite sept autres jours; il est étonnant combien cette pratique lui ôte de son poids. Les naufrages ont enseigné récemment que ce bois aussi se dessèche par l'action de la mer, et prend alors une dureté et une densité qui le rendent inaltérable; aucun autre moyen ne lui donne à ce point ces qualités. On l'entretient le mieux dans son lustre en le frottant avec la main sèche, surtout quand on revient du bain. Comme s'il était né pour les vins, il n'en est point taché.

[4] Cet arbre étant parmi les quelques éléments d'une vie élégante, je m'y arrêterai encore un peu. (XVI.) Il a été connu d'Homère; il se nomme en grec thyon ou thya. Ce poète rapporte (Od., V, 60) que Circé, dont il fait une déesse, le brûlait, pour son agrément, avec d'autres bois odoriférants; ce qui prouve combien est grande l'erreur de ceux qui par le mot de thyon entendent tous les parfums : en effet, dans le même vers Homère nomme le cèdre et le mélèse; on voit par là qu'il n'a parlé que d'arbres.

[5] Théophraste (cet auteur, immédiatement postérieur à l'époque d'Alexandre le Grand, est le premier qui ait écrit les événements de notre histoire vers l'an 440 de Rome), Théophraste, disons-nous, y parle déjà de la grande estime où est le citre, écrivant qu'on cite des charpentes de temples anciens faites de ce bois; qu'employé dans les toitures il dure, pour ainsi dire, éternellement , et qu'il est inattaquable; que rien n'est plus veiné que sa racine, et ne fournit des ouvrages plus précieux ; que le plus beau citre vient dans les environs du temple de Jupiter Hammon; qu'il en naît aussi dans la partie inférieure de la Cyrénaïque. Mais il n'a pas parlé des tables; du reste, on n'en commit pas de plus ancienne que celle de Cicéron, ce qui prouve qu'elles sont récentes.

XXXI. [1] Il est un autre arbre de même nom (citrus medica, L.) (XII, 7), portant un fruit dont l'odeur et l'amertume sont en exécration à certaines personnes; d'autres les recherchent; on décore les maisons avec cet arbre, dont il ne faut pas parler plus longuement.

XXXII. (XVII.) [1] L'Afrique, dans la partie qui nous regarde, produit un arbre remarquable, le lotus, qu'on nomme celtis (micocoulier, celtis australes, L. ) ; il est naturalisé dans l'Italie, mais le terrain l'y a modifié. Les plus beaux lotus sont chez tes Syrtes et chez les Nasamons. Il est de la taille du poirier, quoique Cornélius Népos le dise petit. La feuille a de nombreuses découpures, comme celle de l'yeuse. Il y a plusieurs espèces de lotus, et ce sont surtout les fruits qui les caractérisent. Le fruit a la grosseur d'une fève, la couleur du safran ; mais avant la maturité cette couleur varie incessamment, comme fait le raisin ;

[2]  il vient très serré sur les branches, comme les baies de myrte, et non , ce qui a lieu en Italie, comme les cerises; dans la patrie de l'arbre, c'est un aliment tellement doux, qu'une nation (Lotophages) (rhamnus lotus, L.) et une contrée en ont pris leur nom (V, 7), et que les étrangers, séduits par cette hospitalité, oublient leur pays. On dit que ceux qui en mangent n'éprouvent pas de maladies du ventre. Le fruit qui n'a pas de noyau intérieur est meilleur que celui qui en a. On en extrait aussi un vin semblable au vin miellé, qui, dit Cornélius Népos, ne se garde pas au delà de dix jours : le même auteur ajoute que les baies hachées avec l'alica (XXII, 61 ), mises dans des tonneaux, sont conservées pour la table. Nous lisons même que les armées qui traversaient l'Afrique, dans un sens ou dans l'autre, s'en sont nourries. Le bois est de couleur noire; on le recherche pour les flûtes.

[3] Avec la racine on fait des manches de couteaux et d'autres petits ustensiles. Tel est le lotus, arbre; mais on donne aussi le nom de lotus à une herbe ( mélilot, melilotus officinalis, L.), et, en Égypte, à une tige du genre des plantes marécageuses (nymphaea nelumbo, L.). Cette dernière plante pousse quand les eaux du Nil qui ont arrosé le pays se retirent; la tige en est semblable à celle de la lève ; les feuilles, plus courtes et plus minces, sont nombreuses et entassées; le fruit est au sommet, et semblable à celui du pavot pour les dentelures et pour tout le reste : à l'intérieur sont des graines comme le millet (XXII, 28). Les indigènes mettent ces têtes en tas, et les laissent pourrir; puis ils séparent la graine par le lavage, la sèchent, la pilent, et en font du pain. Ce qu'on ajoute est singulier : ces têtes, semblables au pavot, se ferment au soleil couchant, et sont recouvertes par les feuilles; au soleil levant, elles s'ouvrent, alternatives qui durent jusqu'à la maturité du fruit et la chute de la fleur, qui est blanche. (XVIII.)

[2] On dit de plus pour le lotus de l'Euphrate, que la tête même et la fleur rentrent le soir dans l'eau, y restent jusqu'au milieu de la nuit, et s'enfoncent si profondément, qu'en plongeant même la main on ne peut les trouver; qu'ensuite elles se retournent, se redressent peu à peu, sortent hors de l'eau au lever du soleil, s'épanouissent, et continuent à s'élever au point d'être beaucoup au-dessus du niveau de l'eau. Ce lotus a la racine de la grosseur d'un cognassier ; elle est couverte d'une écorce noire, semblable à celle des châtaignes. Le dedans de la racine est blanc, agréable à manger; mais crue elle l'est moins que cuite, soit dans l'eau, soit sur la braise. Rien n'engraisse mieux les cochons que les pelures de cette racine.

XXXIII. (XIX.) [1] La Cyrénaïque préfère au lotus son paliure (rhamnus spina Christi, Willd.) : c'est un végétal plus fourni; le fruit en est plus rouge; le noyau se mange à part; il est agréable par lui-même; le vin le rend meilleur, et, à son tour, le suc que donne ce noyau ajoute à la bonté du vin. L'Afrique intérieure, jusqu'aux Garamantes et aux déserts, est pleine de palmiers remarquables par leur grandeur et l'excellence de leurs fruits. Les plus célèbres sont aux environs du temple d'Ammon.

XXXIV. [1] A l'Afrique, dans les environs de Carthage, appartient par son nom même la pomme punique, que quelques-uns appellent grenade. Là aussi on a distingué des espèces, nommant apyrène (XXIII, 57) celle qui n'a pas le noyau ligneux; et elle est plus blanche, et à grains plus agréables, et séparés par des membranes moins amères. Pour le reste les grenades ont une certaine structure commune, comme les rayons de miel. Les grenades à noyaux se divisent en cinq espèces : les douces, les âcres, les mixtes, les acides, et les vineuses. Les grenades de Samos et celles d'Égypte se distinguent par le feuillage rouge et le feuillage blanc (XXllI, 57) ; l'écorce encore verte est d'un grand usage pour le tannage des cuirs. La fleur se nomme balauste; on s'en sert dans la médecine (XXIII, 60) et dans la teinture. La couleur des étoffes ainsi teintes porte le nom de cette fleur.

XXXV. (XX.) [1] L'Asie et la Grèce produisent des arbrisseaux: l'épipactis (XXVII, 52), que d'autres appellent elléborine; les feuilles en sont petites, bonnes en boisson contre les poisons, de même que celles de l'érice (bruyère, erica arborea, L.) (XXIV, 39) le sont contre les serpents; (XXI.) un autre arbrisseau (daphne gnidium, L.) sur lequel vient le grain gnidien, que quelques-uns appellent lin; l'arbrisseau même se nomme thymélée, chamelée, pyros achné, cnestron , cneoron : il est semblable à l'olivier sauvage. Les feuilles plus étroites sont gommeuses sous la dent, et grandes comme la feuille du myrte; la graine a la couleur et l'apparence du blé : on ne s'en sert qu'en médecine.

XXXVI. [1] L'arbrisseau appelé tragion (XXVII, 115 ) ne pousse que dans l'île de Crète; il est semblable au térébinthe , même par la graine, que l'on dit très efficace contre les blessures faites par les flèches. La même île produit la tragacanthe (astragalus creticus, L. ), dont la racine est semblable à celle de l'épine blanche; on la préfère de beaucoup à celle qui vient en Médie ou en Achaïe : le prix en est de 3 deniers (2 fr. 46) la livre.

XXXVII. [1] L'Asie produit aussi le tragon (XXVII, 116) ou scorpion (salsola tragus, L.), ronce sans feuilles, aux grappes rouges employées en médecine; l'Italie, la myrice, que d'autres appellent tamarix (tamarix gallica, L.); l'Achaïe, la brye sauvage (tamarix orientalis, Forsk.) : celle-ci a cela de remarquable, que la brye cultivée donne seule un fruit semblable à la noix de galle. Elle abonde en Syrie et en Égypte. Nous donnons aux bois de ce dernier pays le nom de malheureux; la Grèce en a de plus malheureux encore : elle produit en effet l'arbre ostrys (ostryer, carpinus ostrya, L.), que d'autres nomment ostrya : c'est un arbre solitaire , qui pousse autour des rochers baignés par l'eau; il ressemble par l'écorce et les branches au frêne, au poirier par les feuilles, qui sont cependant un peu plus longues, un peu plus épaisses, et qui ont des nervures rugueuses; ces nervures s'étendent dans toute la longueur de la feuille; la graine est semblable à l'orge pour la forme et la couleur; le bois est dur et solide quand on le porte dans une maison, on dit qu'il rend l'accouchement difficile et qu'il cause des morts misérables.

XXXVIII. (XXII.) [1] L'arbre de l'île de Lesbos  qu'on appelle évonymos (evonymus europarus, L.), n'est pas d'un meilleur présage ; il n'est pas sans ressemblance avec le grenadier; la feuille, pour la grandeur, tient le milieu entre le grenadier et le laurier, mais elle a la forme et la mollesse de celle du grenadier; la fleur est plus blanche, annonçant aussitôt des propriétés funestes. Il porte des gousses semblables au sésame; à l'intérieur est une graine quadrangulaire, épaisse, mortelle aux animaux; la feuille a la même action délétère; quelquefois des évacuations alvines répétées y remédient.

XXXIX. [1] Alexander Cornélius a nommé éon 1 l'arbre avec lequel le navire Argo fut construit : cet arbre, dit-il, porte un gui semblable à celui du chêne; il est, comme sou gui, inattaquable à l'eau et au feu ; aucun autre auteur ne le connaît, que je sache.

XL. [1] Presque tous les Grecs nomment adrachné le pourpier, qui est une herbe et qui s'appelle andrachné n'y a qu'une lettre de différence. L'adrachné (arbutus integrifolia, Lam.) est un arbre sauvage, qui ne vient pas dans les plaines; il ressemble â l'arbousier, seulement la feuille est plus petite, et ne tombe jamais. L'écorce n'est pas raboteuse, mais elle semble gercée par le froid , tant l'aspect de l'arbre est triste.

XLI. [1] La coccygie (fustet, rhus cotinus, L.) ressemble à l'arbre précédent par la feuille, mais elle est plus petite; elle a ceci de particulier que le fruit se perd en un duvet, qui s'appelle pappus ; cela n'arrive à aucun autre arbre. L'apharce (phyllirea angustifolia, L.) ressemble aussi à l'adrachné, et porte deux fois comme cet arbre : le premier fruit mûrit quand le raisin commence à être en fleur, l'autre mûrit au commencement de l'hiver; on ne dit pas comment sont ces fruits.

XLII. [1] La férule (ferula communis, L.) doit aussi être placée parmi les végétaux exotiques et parmi les arbres. En effet, nous distinguons différentes espèces d'arbres : quelques-uns ont tout le bois en place d'écorce , c'est-à-dire au dehors; l'intérieur, au lieu de bois, a une moelle spongieuse, comme le sureau; quelques-uns sont creux, comme les roseaux. La férule croît dans des contrées chaudes et au delà des mers; la tige est partagée par des noeuds. On en distingue deux espèces : les Grecs nomment narthex celle qui croit en hauteur, et narthécya (F. nodiflora, L.) celle qui ne s'élève jamais. Les feuilles sortent des noeuds, d'autant plus grandes qu'elles sont plus voisines du sol. Du reste, la férule a les mêmes propriétés que l'aneth, auquel elle ressemble par son fruit. Aucun bois n'est plus léger; aussi on en fait pour les vieillards des bêlons faciles à porter.

XLIII. [1] La graine de la férule a été appelée par quelques-uns thapsie : ce qui les a trompés , c'est que la thapsie (thapsia garganica, L.) est sans aucun doute une férule, mais une férule particulière, à feuilles de fenouil, à tige creuse, qui ne dépasse pas la longueur d'une canne. La graine est semblable à celle de la férule; la racine, blanche. Incisée, la thapsie donne du lait; et pilée, elle donne un suc : l'écorce même n'est pas rejetée. Toutes les parties de la plante sont vénéneuses; elle nuit même à ceux qui l'arrachent; si le moindre vent leur souffle au visage, le corps enfle, des érysipèles attaquent la face; aussi l'enduit-on auparavant de cérat.

[2] Cependant les médecins disent que, mêlée à d'autres substances, elle est utile contre certaines maladies; on l'emploie dans l'alopécie, les sugillations et les meurtrissures, comme si on manquait de remèdes, sans recourir à des plantes criminelles! Mais ils se servent de prétextes pour introduire des agents nuisibles; et leur impudence est si grande, qu'ils font croire qu'un poison appartient à l'art médical. La thapsie d'Afrique est la plus énergique. Quelques-uns font une incision à la tige lors de la moisson, et ils pratiquent dans la racine même un creux où le suc afflue; ils l'enlèvent quand il est desséché. D'autres pilent les feuilles, la tige, la racine dans un mortier, coagulent le suc par l'action du soleil, et le divisent en pastilles.

[3] L'empereur Néron, au commencement de son règne, donna du renom à cette plante : dans ses tapages nocturnes, il lui arrivait de recevoir des contusions sur la face; il faisait des onctions avec la thapsie, l'encens et la cire; et le lendemain, contre le bruit qui courait, il montrait sa figure sans contusions. Il est certain que l'on conserve très bien le feu dans les férules : celles d'Égypte sont les meilleures.

XLIV. (XXIII.) [1] Là aussi est le câprier, arbrisseau d'un bois plus solide : la graine est un aliment vulgaire,, et la plupart du temps on cueille en même temps la tige. Il faut s'abstenir des espèces étrangères : le câprier d'Arabie a des propriétés délétères; celui d'Afrique est nuisible aux gencives; celui de la Marmarique est nuisible à la matrice et cause des gonflements; celui d'Apulie fait vomir : il trouble l'estomac et les intestins. Quelques-uns le nomment cynosbatons, d'autres ophéostaphyle.

XLV. [1] Le sari (cyperus fastigiatus, Forsk.) est aussi du genre des arbrisseaux; il vient sur les bords du Nil; il est -haut d'environ deux coudées, épais d'un pouce; il a le bouquet du papyrus, et se mange de la même façon. La racine, a cause de sa dureté, donne un charbon excellent pour les forges de fer.

XLVI. (XXIV.) [1] Il ne faut pas oublier la plante qu'à Babylone on sème sur des végétaux épineux (XVI, 92) , attendu qu'elle ne vient pas ailleurs, comme le gui ne vient que sur les arbres; mais elle ne pousse que sur l'épine appelée royale. Chose singulière, elle germe le jour même où elle a été semée. On la sème au lever même de la Canicule, et très promptement elle s'empare du végétal sur lequel elle est. On s'en sert pour assaisonner le vin; c'est pour cela qu'on la sème (cassyta filiformis?). Cette épine vient aussi à Athènes sur les Longs-murs (IV, Il).

XLVII. [1] Le cytise (medicago arborea, L.) est aussi un arbrisseau. Comme nourriture des moutons, et même sec comme nourriture des pourceaux, Aristomaque d'Athènes en a fait un merveilleux éloge : cet auteur promet qu'un jugère (25 ares), même d'un terrain médiocre, planté en cytise, rapportera par an mille sesterces (210 fr.). Il est aussi bon que l'ers, mais rassasie plus vite; il en faut très peu pour engraisser les animaux, à tel point que les bêtes de somme dédaignent l'orge.

[2] Aucun autre fourrage ne rend le lait meilleur ou plus abondant; et par-dessus tout, dans la médecine vétérinaire, cette substance, de quelque ma¬nière qu'on l'emploie, guérit les maladies. Bien plus, Aristomaque recommande de la donner, sèche et bouillie dans de l'eau, à boire avec du vin aux nourrices manquant de lait; et il dit que les enfants seront plus robustes et plus grands: verte, ou, si elle est sèche, humectée, il la fait prendre à la volaille. Démocrite et Aristomaque promettent aussi que les abeilles ne manqueront pas là où il y aura du cytise. Aucun fourrage ne coûte moins cher. On le sème en même temps que l'orge; ou bien, au printemps, en graine, comme le poireau; ou, en tige, l'automne avant le solstice d'hiver. Semé en graine, il doit être mouillé; a s'il ne vient pas de pluie, on l'arrose après l'ensemencement. A une coudée de haut, on le replante dans des trous d'un pied de profondeur; on le transplante aux équinoxes, quand l'arbrisseau est tendre. En trois ans il est arrivé à tout son développement. On le récolte à l'équinoxe du printemps, quand la fleura passé; un enfant, une vieille femme, dont la main-d'oeuvre est peu chère, y suffisent. Il est blanc; et , pour en exprimer brièvement la ressemblance, c'est un arbrisseau à feuilles de trèfle, mais plus étroites. On le donne aux animaux de deux en deux jours ; en hiver on l'humecte, car il est desséché.

[3] Dix livres rassasient un cheval; il faut pour les animaux plus petits une quantité proportionnée. Pour le dire en passant, il est avantageux de semer de l'ail et de l'oignon entre les rangées du cytise. Cet arbrisseau a été trouvé dans l'île de Cythnos, et delà transplanté dans toutes les Cyclades, puis dans les villes grecques; ce quia beaucoup augmenté la production du fromage. En conséquence, je suis étonné qu'il soit rare en Italie. Il ne craint ni la chaleur, ni le froid , ni la grêle, ni la neige. Hygin ajoute qu'il ne craint pas même les rava¬ges des ennemis, car le bois n'en sert à rien.

XLVIII. (XXV.) [1] Il naît aussi dans la mer des arbrisseaux et des arbres; ils sont moindres dans notre mer (la Méditerranée). La mer Rouge et tout l'océan Oriental sont remplis de forêts. Aucune autre langue n'a de nom pour le phycos des Grecs; par le mot d'algue on entend plutôt une herbe, au lieu que le phycos est un arbrisseau. Le phycos portant des feuilles larges, d'une couleur verte, est nommé par quelques-uns prason (poireau), et par d'autres zoster (ceinture). Une autre espèce a un feuillage chevelu, semblable au fenouil; elle vient sur les roches. La précédente vient dans des hauts-fonds, non loin du rivage. Toutes deux poussent au printemps, et meurent en automne.

[2] Le phycos qui naît sur les rochers autour de la Crète sert à teindre en pourpre; le meilleur vient à l'aquilon de l'île, ainsi que les meilleures éponges. Une troisième espèce est semblable au gramen; la racine et la tige ont des noeuds comme les roseaux.

XLIX. [1] Une autre espèce d'arbrisseau marin (ulva lactuca) porte le nom de bryon; il a la feuille de la laitue, seulement elle est plus ru-gueuse; il ne vient que près de la côte. Mais dans M haute mer on trouve le sapin (fucus ericoides, L.) et le chêne marin (fucus vesiculosus, L. ), d'une coudée de haut; à leurs rameaux sont attachés des coquillages. On dit que le chêne marin sert à teindre la laine; on ajoute que quelques-uns de ces arbres portent des glands dans la haute mer, et que ce fait a été reconnu par des naufragés et des plongeurs. On parle encore de grands arbres marins dans les environs de Sicyone. La vigne marine (fucus uvarius, L.) vient partout. Le figuier de mer est sans feuilles, et a l'écorce rouge. Il y a aussi un palmier marin du genre des arbrisseaux. Au delà des colonnes d'Hercule naît un arbrisseau à feuillage de poireau, un autre à feuillage de laurier et de thym ; rejetés sur le rivage, tous deux se transforment en pierre ponce.

L. [1] Dans l'Orient, chose singulière, à partir de Coptos, dans les déserts, il ne croit qu'une épine (acacia seyal, Delile ) qu'on nomme altérée, et encore y est-elle très rare. Dans la mer Rouge vivent des forêts de lauriers surtout et d'oliviers, portant des fruits; il vient aussi, quand il pleut, des champignons, qui touchés par le soleil se changent en pierre ponce. Ces arbrisseaux. ont trois coudées de haut; ils sont remplis de chiens de mer, au point qu'il est à peine sûr de les considérer du bord d'un navire; car ces animaux saisissent les rames mêmes.

LI. [1] Les soldats d'Alexandre qui tirent la navigation de l'Inde ont rapporté que le feuillage des arbres marins est vert dans l'eau; que hors de l'eau le soleil le dessèche aussitôt en sel; que des joncs de pierre, très semblables aux véritables joncs, sont répandus sur la côte; que dans la haute mer on trouve des arbustes de la couleur de la corne de boeuf, rameux et rouges à la pointe; qu'ils se brisaient comme du verre quand on les touchait; que dans le feu ils devenaient rouges comme le fer, reprenant leur couleur par le refroidissement; que dans la même contrée la marée recouvre des forêts insulaires, bien que plus hautes que les platanes et les peupliers les plus élevés. Les feuilles de ces arbres ressemblent à celles du laurier, les fleurs à celles de la violette pour l'odeur et la couleur. Les baies sont comme des olives, elles ont aussi une odeur agréable; elles viennent en automne; les feuilles ne tombent jamais. Les plus petits de ces arbres sont recouverts complètement par la mer montante; les plus grands ont hors des flots le sommet, auquel on attache les navires; on les attache aux racines à mer basse. Les mêmes témoins ont parlé d'autres arbres vus par eux au large dans la même mer, dont les feuilles ne tombent jamais, et dont le fruit ressemble au lupin.

LII. [1] Juba rapporte qu'autour des îles des Troglodytes on trouve dans la haute mer un arbrisseau nommé chevelure d'Isis, semblable au corail, et sans feuilles (corail noir, Gorgonia antipathes L. ) ; coupé, il change de couleur, devient noir et durcit; quand on le laisse tomber, il se casse. Il dit qu'il y en a un autre nommé charitoblepharon, efficace dans les philtres d'amour; que les femmes en font des bracelets et des colliers; qu'il sent qu'on veut le prendre, qu'alors il se durcit comme de la corne, et émousse le tranchant du fer; mais que s'il est coupé avant d'avoir senti le danger il se transforme en pierre.