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PLINE L'ANCIEN
HISTOIRE NATURELLE
LIVRE DIX
livre 9
livre 11
Texte français
Paris : Dubochet,
1848-1850.
édition d'Émile Littré
CONTENANT L'HISTOIRE DES OISEAUX.
I. De l'autruche. -
II. Du phénix. -
III. Des espèces d'aigles. -
IV. De leurs caractères distinctifs. -
V. Quand ils ont commencé a figurer sur les étendards des légions.-
VI. D'un aigle qui se jeta sur le bûcher d'une jeune fille. -
VII. Du vautour. -
VIII. Le sanqualis et l'immussule. -
IX. Les éperviers; le buteo. -
X. En quels lieux les éperviers et les hommes chassent de société. -
XI. Quel est l'oiseau qui seul est mis a mort par sa propre race: quel est
l'oiseau qui ne pond qu'un oeuf. -
XII. Les milans. -
XIII. Distribution des oiseaux par espèces. -
XIV. Des corneilles; des oiseaux de mauvais augure. -
XV. Des corbeaux. -
XVI. Du hibou. -
XVII. Oiseaux dont la race est éteinte, ou la connaissance perdue. -
XVIII. Quels oiseaux naissent la queue la première. -
XIX. Des chouettes. -
XX. Du pivert. -
XXI. Des oiseaux munis de serres. -
XXII. Des paons. -
XXIII. Quel est le premier qui a tué des paons pour les manger; quel est le
premier qui les a engraissés. -
XXIV. Des coqs.-
XXV. Comment ou les châtre. D'un coq parlant. -
XXVI. De l'oie. -
XXVII. Quel est le premier qui a mis en usage les foies d'oie. -
XXVIII. Du commagène. -
XXIX. Des chénalopex, des chérénotes, des tétraons, des otides. -
XXX. Des grues. -
XXXI. Des clgognes. -
XXXII. Dix cygnes. -
XXXIII. Des oiseaux étrangers qui arrivent : cailles, glotlides, crychrames,
oies. -
XXXIV. Des hirondelles. -
XXXV. De ceux de nos oiseaux qui émigrent, et du lieu ou ils vont : grives,
merles, étourneaux. Des oiseaux qui muent dans la retraite. Tourterelles,
palombes. Vol des étourneaux et des hirondelles. -
XXXVI. Oiseaux qui restent toute l'année dans nos climats; oiseaux qui n'y
restent que six mois, que trois mois. Galgues. huppes. -
XXXVII. Memnonides. -
XXXVIII. Méléagrides. -
XXXIX. Séleucides. -
XL. Ibis. -
XLI. Quels sont les oiseaux qui manquent en certains lieux, et quels sont ces
lieux. -
XLII. Des espèces d'oscines; des oiseaux qui changent de couleur et de voix.
-
XLIII. Des rossignols. -
XLIV. Des metancoryphes, des érithaques, des phoenicures. -
XLV. L'oenanthe; le chlorion; le merle, l'ibis. -
XLVI. Époque de la reproduction des oiseaux; -
XLVII. Alcyons : jours alcyoniens favorables à la navigation. -
XLVIII. Des autres oiseaux d'eau. -
XLIX. De l'habileté des oiseaux dans la construction de leurs nids.
Constructions merveilleuses des hirondelles. De l'hirondelle de rivage. -
L. Acanthyllis, etc. -
LI. Mésange. Des perdrix. -
LII. Des pigeons. -
LIII. Services merveilleux qu'ils rendent, et prix auxquels ils s'élèvent.
-
LIV. Différences dans le vol et dans la marche. -
LV. Apodes ou cypsèles. -
LVI. De la nourriture des oiseaux. Caprimulge; platée. -
LVII. Des instincts des oiseaux. Le canluclis, le taure, l'anthe. -
LVIII. Des oiseaux parleurs. Perroquet. -
LIX. Pies glandaires. -
LX. Sédition du peuple romain causée pour un corbeau qui parlait. -
LXI. Oiseaux de Diomède. -
LXII. Quels animaux n'apprennent rien. -
LXIII. Du boire des oiseaux. Le porphyrion. -
LXIV. Haematopode. -
LXV. De la nourriture des oiseaux. -
LXVI. Onocrotates. -
LXVII. Dse oiseaux étrangers. Phalérides, faisans, numidiques. -
LXVIII. Phoenicoptères; attagènes; phalacro; corax; pyrrhororax; lagopodes. -
LXIX. Oiseaux nouveaux. Bibions. -
LXX. Des oiseaux fabuleux. -
LXXI. Qui le premier s'est mis à engraisser les poules; et quels sont les
censeurs qui l'ont défendu. -
LXXII. Quel est le premier qui a établi des volières. Plat d'Ésope.-
LXXIII. Reproduction des oiseaux. Quels animaux, outre les oiseaux, sont
ovipares.-
LXXIV. Des espèces d'oeufs, et de leur nature. -
LXXV. Défauts des couveuses, et remèdes. -
LXXVI. Augures tirés des oeufs par l'impératrice Livie. -
LXXVII. Quelles sont les meilleures poules. -
LXXVIII. De leurs maladies, et des remèdes. -
LXXIX. Époque de la ponte, et nombre des oeufs. -
LXXX. Œufs clairs ; oeufs appelés cynosures. Du meilleur moyen de conserver les
oeufs. -
LXXXI. Quel est le seul volatile qui soit vivipare, et qui allaite son petit. -
LXXXII. Quels animaux terrestres sont ovipares. Des espèces de serpents. -
LXXXIII Reproduction de tous les animaux terrestres. -
LXXXIV. Quels sont les animaux qui sont étendus dans l'utérus. -
LXXXV. De quels animaux l'origine est-elle encore incertaine? -
LXXXVI. Des salamandres. -
LXXXVII. Quels animaux naissent d'êtres non engendrés. Quels animaux engendrés
n'engendrent rien à leur tour. Quels sont les animaux dépourvus de sexe. -
LXXXVIII. Des sens des animaux. Quels sont ceux qui ont la meilleure vue, le
meilleur -
odorat, la meilleure ouïe. Des taupes. Les huîtres entendent-elles? -
LXXXIX. Quels sont les poissons qui entendent le mieux. -
XC. Quels sont les poissons qui ont le meilleur odorat. -
XCI. Diversité des animaux pour le choix des aliments. -
XCII. Quels sont ceux qui vivent de poisons. -
XCIII. Quels sont ceux qui vivent de terre. Quels sont ceux que la faim ou la
soif ne tue pas. -
XCIV. Diversité des animaux relativement aux boissons. -
XCV. Quels sont les animaux qui ont des antipathies. Que les animaux sont
susceptibles d'amitié et d'affection. -
XCVI. Exemples d'affection chez les serpents. -
XCVII. Du sommeil chez les animaux. -
XCVIII. Quels sont les animaux qui ont des rêves. -
Résumé: Faits, histoires et observations, 794.
Auteurs :
Manillus, Cornelius Valerianus, les Actes,. Umbricius Melior, Massurius Sabinus,
Antistius Labéon, Trogne Pompée, Cremutius, M. Varron, Aemilius Macer, Melissus,
Mucien, Cornelius Nepos, Fabius Pictor, Lucrèce, Celse, Horace, D. Eculéon,
Hygin, les Saserna, Nigidius, Mamilius Sura.
Auteurs étrangers.
Homère, Phémonoé, Philémon, Boeus qui a écrit l'Ornithogonie, Hylas qui a écrit
sur les augures, Aristote, Théophraste, Callimaque, Eschyle, le roi Hiéron, le
roi Philométor, Archytas de Tarente, Amphiloque d'Athènes, Anaxipolis de Thasos,
Apollodore de Lemnos, Aristophane de Milet, Antigone de Cumes, Agathocle de
Chios, Apollonios de Pergame, Aristandre d'Athènes, Bacchius de Milet, Bion de
Soles, Chaeréas d'Athènes, Diodore de Priène, Dion de Colophon, Démocrite,
Diophane de Nicée, Epigène de Rhodes, Evagon de Thasos, Euphrorius d'Athènes,
Juba, Androtion, auteur d'un traité d'agriculture, Aeschrion, auteur d'un livre
sur le même sujet, Lysimaque, qui a aussi écrit sur cet objet, Denys, traducteur
de Magon, Diaphane, abréviateur de Denys, Nicandre, Onésicrite, Phylarque.
Hésiode.
I. [1]
L'histoire des oiseaux doit suivre. Les plus grands, et qui se rapprochent de la
classe des quadrupèdes, sont les autruches d'Afrique ou d'Éthiopie : elles
dépassent en hauteur un homme à cheval, elles le devancent à la course; des
ailes ne leur sont données que pour leur aider à courir; du reste, ce ne sont
pas des oiseaux, et elles ne s'élèvent point de terre. Leurs pieds sont
semblables à ceux du cerf, fourchus; elles s'en servent pour combattre,
saisissant des pierres, qu'elles lancent envoyant contre ceux qui les
poursuivent. Dévorant tout indistinctement, elles ont la singulière faculté de
tout digérer; mais leur stupidité n'est pas moins singulière : elles
s'imaginent, avec un corps si grand, que lorsqu'elles ont caché leur tête dans
les broussailles on ne les voit plus. On estime leurs oeufs à cause de la
grosseur, on s'en sert au lieu de vases; et leurs plumes servent à orner les
cimiers et les casques.
II.
(I.) [1] L'Inde et l'Éthiopie produisent surtout
des oiseaux de couleurs très diverses, et tels qu'on ne saurait les décrire. Le
plus célèbre de tous naît dans l'Arabie : c'est le phénix, si toutefois son
existence n'est pas une fable (XIII, 9); il est unique dans l'univers entier, et
on ne l'a pas vu souvent. On lui donne la taille de l'aigle, un plumage éclatant
comme l'or autour du cou; du reste, pourpre, une queue d'azur entremêle de
plumes roses, des crêtes sous la gorge, et une huppe qui pare sa tête. Le
premier parmi les Romains qui en ait parlé, et le plus exact, est Manilius, ce
sénateur si célèbre par les connaissances qu'il ne devait qu'a lui seul : il dit
que personne ne l'a vu mangeant; qu'en Arabie il est consacré au Soleil; qu'Il
vit cinq cent neuf ans ; que vieillissant il se construit un nid avec des
branches de cannelle et d'encens; qu'Il le remplit de parfums, et qu'il meurt
dessus; que de ses os et de sa moelle il naît d'abord une sorte de vermisseau
qui devient un jeune oiseau; que d'abord il rend les honneurs funèbres à son
prédécesseur; qu'il porte le nid tout entier près de la Panchaïe (VII, 57), dans
la ville du Soleil, et qu'il le dépose sur un autel. Le même Manilius expose que
la révolution de la grande année s'accomplit avec la vie de cet oiseau; qu'alors
une nouvelle période, avec les mêmes caractères, s'ouvre pour les saisons et les
astres, et qu'elle commence à midi le jour ou le soleil entre dans le signe du
Bélier.
[2] Il ajoute que cette période
était à sa deux cent quinzième année sous le consulat de P. Licinius et de Cn.
Cornelius ( XXX, 3) (an de Rome 657), moment ou il écrivait. Cornéiius
Valérianus a rapporté que le phénix passa en Égypte, sous le consulat; de Q.
Plautius et de Sex. Papinius (an de Rome 789). Cet oiseau fut apporté à Rome
pendant la censure de l'empereur Claude, l'an 800 de Rome, et on l'exposa dans
les comices, ce qui est attesté par les Actes; mais personne ne doute que ce ne
fût un faux phénix.
III.
(III) [1] De tous les oiseaux que nous connaissons,
l'aigle est le plus noble et le plus fort. On en distingue six espèces celui
qu'on nomme en grec melanaetos, et en latin Valéria (probablement le petit
aigle), c'est le plus petit, mais par la force le premier : il est d'une
couleur noirâtre: seul parmi les aigles il nourrit ses petits; les autres, comme
nous le dirons (X, 4), chassent; seul, il n'a ni cri éclatant ni murmure; il vit
dans les montagnes. La seconde espèce est le pygargue (l'aigle commun);
il préfère le voisinage des villes et des plaines ; sa queue est blanchâtre. La
troisième espèce est le morphnos, qu'Homère (Il., XXIV, 315); appelle aussi
percnos, d'autres plancus, anataria (probablement le balbazar, falco
haliaeetus) ; Il est le second pour la taille et la force; il habite autour
des lacs.
[2] Phémanae, dite fille d'Apollon,
a rapporté que cet aigle a des dents ; que d'ailleurs il est muet et dépourvu de
langue; que c'est le plus noir des aigles, et que sa queue est plus longue que
celle des Autres. Boeus est du même avis. Cet aigle a l'instinct de briser
l'écaille des tortues qu'il enlève, en les laissant tomber de haut: ce qui causa
la mort du poète Eschyle : l'oracle lui avait, dit-on, prédit pour ce jour-là la
chute d'une maison, et lui s'en venait en se mettant avec sécurité sous la voûte
des cieux.
[3] La quatrième espèce est le
percnoptère, ou oripélarge (le grand aigle à la tête blanche d'après Cuvier);
il
a l'apparence du vautour, les ailes très petites : du reste il l'emporte sur les
autres par la taille, mais il est lâche et abâtardi, tellement qu'il se laisse
battre par un corbeau. Avide et toujours affamé, il fait entendre un murmure
plaintif; seul des aigles, il enlève des charognes; les autres se posent à terre
quand ils ont tué leur proie. Par opposition on appelle la cinquième espèce
gnestos, c'est-à-dire légitime, et seule de race pure (l'aigle royal,
falco imperialis. Tem.) : elle est d'une taille moyenne, d'une couleur
tirant sur le fauve; on la voit rarement.
[4] Reste l'haliaeète (le grand
aigle de mer); son oeil est des plus perçants; il plane au haut des airs, et,
apercevant un poisson dans la mer, il se laisse tomber dessus, entrouvre l'eau
avec sa poitrine, et enlève sa proie. L'aigle de la troisième espèce poursuit
autour des étangs les oiseaux aquatiques : pour lui échapper ils se plongent de
temps en temps dans l'eau; mais la lassitude et le sommeil les gagnent, et il
s'en empare. C'est un combat curieux à voir: l'oiseau cherche un refuge sur la
rive, surtout si elle offre des roseaux serrés; l'aigle l'en chasse à coups
d'aile, et tombe dans l'eau en voulant le saisir; son ombre, qui se projette,
est aperçue par l'oiseau, qui nage sous l'eau, et qui va sortir dans un endroit
éloigné, là ou il pense que son ennemi l'attend le moins.
[5] Aussi les oiseaux aquatiques
nagent-Ils en troupes; leur nombre les met à l'abri de l'attaque : ils aveuglent
l'ennemi en l'aspergeant avec leurs ailes. Souvent même les aigles, hors d'état
d'enlever l'animai qu'ils ont saisi, sont entraînés avec lui au fond de l'eau.
L'haliaeète, frappant ses petits encore dépourvus de plumes, les force de temps
en temps à regarder le soleil en face : sil en voit un cligner ou larmoyer, il
le précipite en bas de son nid, comme adultérin et dégénéré; il élève celui dont
l'oeil reste fixe.
[6] L'haliaeètee n'est pas une
espère à part; il provient du mélange des diverses espèces d'aigles; les petits
auxquels les haliaeètes donnent naissance sont de l'espèce des ossifrages,
desquels viennent les petits vautours: et de ces petits vautours viennent les
grands, qui sont absolument stériles. Quelques-uns font une septième espèce
d'aigle, qu'ils nomment barbus; c'est l'ossifrage des Étrusques (le gypaète)
IV. [1] Les
trois premières espèces d'aigles et la cinquième font entrer dans la
construction de leurs aires la pierre aétite, que d'autres ont appelée gangite;
elle est bonne pour plusieurs remèdes (XXXVI, 39), et ne perd rien par le feu.
Cette pierre offre une sorte de grossesse: quand on la secoue, on entend
résonner dans l'intérieur une autre pierre, comme dans un utérus. Mais elle n'a
de vertu médicamenteuse qu'autant qu'elle a été enlevée dans l'aire même. Les
aigles font leur aire dans les rochers et les arbres; Ils pondent trois oeufs,
dont deux seulement éclossent; on a vu aussi quelquefois trois petits.
[2] Sur les deux petits, ils en
chassent un, ennuyés de le nourrir; car à cette époque la nourriture leur
manque, par une prévoyance de la nature, qui n'a pas voulu que les petits de
tous les autres animaux pussent devenir leur proie. A cette époque aussi leurs
ongles se renversent, leurs plumes blanchissent par l'abstinence qu'ils
éprouvent, et il n'est pas étonnant qu'ils prennent en haine leurs petits. Les ossifrages, espèce alliée, accueillent les petits qui ont été chassés et les
élèvent avec les leurs. Les parents pourchassent les petits, même quand ils sont
devenus grands, et les éloignent; car ce serait autant de rivaux pour la chasse.
[3] Au reste, un couple d'aigles a
besoin d'un grand espace pour trouver de quoi se nourrir. Ils règlent donc leurs
limites respectives, et n'exercent point de déprédations sur le territoire
limitrophe. Ils n'emportent pas aussitôt leur proie, mais ils la déposent
d'abord, et ce n'est qu'après en avoir éprouvé le poids qu'ils prennent leur
essor. Ils meurent non de vieillesse, non de maladie, mais de faim; la partie
supérieure de leur bec prend de la croissance et il devient tellement recourbé
qu'ils ne peuvent plus l'ouvrir. Ils se mettent en chasse et volent au milieu du
jour. Ils restent oisifs dans les heures du matin, et jusqu'au moment où les
places publiques se remplissent de monde. Les plumes des aigles mêlées aux
plumes des autres oiseaux les consument. On dit que cet oiseau est le seul que
la foudre ne tue pas; c'est pour cela qu'on lui fait: porter la foudre de
Jupiter.
V.
(IV) [1] C. Marius. dans son second consulat
assigna exclusivement l'aigle aux légions romaines Jusqu'alors l'aigle n'avait
été que la première : et quatre autres animaux, le loup, le minotaure, le cheval
et le sanglier, précédaient chacun un rang. Peu d'années avant Marius. on ne
portait que l'aigle sur le champ de bataille; les autres étaient laissés dans le
camp : Marius les supprima complètement. Depuis on a remarqué que presque jamais
légion n'a eu son camp d'hiver dans un endroit où il ne se trouvât pas une
couple d'aigle.
[2] La première et la seconde espèce
d'aigles, non seulement fait la chasse aux petits quadrupèdes, mais encore livre
des combats aux cerfs. L'aigle se roule dans la poussière et s'en couvre puis,
se perchant sur le bois du cerf, il lui jette la poussière dans les yeux, et de
ses ailes lui frappe la face, jusqu'à ce qu'il le précipite dans les rochers. Et
ce n'est pas assez pour lui de cet ennemi : il livre au dragon un combat plus
acharné et dont l'issue est beaucoup plus Incertaine. quoique dans l'air. Le
dragon recherche les oeufs de l'aigle avec avidité, et les détruit; aussi
l'aigle l'enlève-t-il partout où il l'aperçoit : l'autre lui enlace les ailes
dans ses replis multipliés, et tous deux tombent à terre.
VI.
(V) [1] Il y a dans la ville de Sestos une histoire
très célèbre sur un aigle : il avait été élevé par une jeune fille, et il lui en
témoigna sa reconnaissance en lui apportant d'abord des oiseaux, ensuite du
gibier. Elle mourut : l'aigle se jeta dans son bûcher enflammé, et fut brûlé
avec elle. En mémoire de cet événement, les habitants élevèrent sur la place un
heroum dédié à Jupiter et à la jeune fille, parce que l'aigle est
l'oiseau de de ce dieu.
VII.
(VI) [1] Parmi les vautours les plus forts sont les
noirs. Personne n'a atteint leur nid ; aussi des auteurs ont pensé que ces
oiseaux arrivaient d'un autre hémisphère : c'est une erreur. Le fait est qu'ils
font leur nid sur des rochers excessivement élevés; on aperçoit souvent leurs
petits, au nombre de deux presque toujours. Umbricius, le plus habile des
aruspices de notre temps, prétend qu'ils pondent trois oeufs, que l'un de ces
oeufs leur sert à purifier les autres et le nid même, et est ensuite rejeté par
eux. Il ajoute qu'ils arrivent trois jours d'avance dans les lieux où il doit y
avoir des cadavres.
VIII
(VII) [1] L'oiseau sanqualls et
l'oiseau immussule sont l'objet d'un grand débat parmi les auteurs romains :
quelques-uns pensent que l'immussule est le petit du vautour, et le sanqualls de
l'ossifrage. Massurius dit que le sanqualis est l'ossifrage, et l'immussule,
l'aiglon dont la queue n'a pas encore blanchi. Quelques-uns ont prétendu que ces
oiseaux n'ont pas été vus à Rome depuis l'augure Mucius. Pour moi, je pense, ce
qui est plus vraisemblable, que l'insouciance sur toutes choses où nous vivons a
empêché qu'on ne les reconnût.
IX. (VIII) [1] Nous
trouvons seize espèces d'éperviers ; dans le nombre sont : l'aegithus, qui est
boiteux, du plus favorable augure pour les mariages et les bestiaux; le
triorchis (la buse, falco buteo, L.), appelé ainsi du nombre des
testicules, auquel Phemonoé a donné la prééminence dans les augures : les
Romains rappellent buteo et même une famille romaine en a pris son surnom, parce
qu'un de ces oiseaux vint se poser sur le navire du chef, ce qui fut d'un
heureux présage. Les Grecs appellent épiléus le seul qu'on voie en tout temps de
l'année; les autres s'en vont pendant l'hiver.
[2] On distingue les espèces par la
manière de saisir leur proie : les uns n'enlèvent l'oiseau qu'à terre, les
autres que lorsqu'il voltige autour des arbres, d'autres que lorsqu'il est
perché sur un lieu élevé, d'autres enfin que lorsqu'il vole dans un espace
ouvert. Les pigeons connaissent ces particularités et les dangers qui les
menacent; à la vue d'un épervier, ils se posent ou s'envolent, tirant parti de
son naturel pour échapper. Les éperviers de toute la Masaesylie font leur nid à
terre dans l'île africaine de Cerné, située dans l'Océan; aucun de ceux qu'on
trouve dans ce pays ne naît ailleurs.
X.
[1] Dans une partie de la Thrace, au-dessus
d'Amphipolis, les hommes et les éperviers chassent en quelque sorte de compagnie
: les hommes font lever les oiseaux du milieu des bois et des roseaux; les
éperviers rabattent les oiseaux qui s'envolent, puis les oiseleurs partagent le
butin avec eux : on dit qu'ils saisissent en l'air la part qu'on leur envoie, et
que lorsque vient le moment de la chasse ils invitent à profiter de l'occasion
par leurs cris et une manière particulière de voler. Les loups de mer (le bar,
porca labrax, L.) font quelque chose de semblable dans le Palus-Méotide:
si les pêcheurs ne leur donnent pas leur part, ils déchirent les filets qui sont
tendus. Les éperviers ne mangent pas le coeur des oiseaux. L'épervier de nuit
s'appelle cymindis; (la grande chouette épervier, strix uralensis, Pall.);
il est rare, même dans les forêts; pendant le jour il voit moins bien; il fait à
l'aigle une guerre implacable, et souvent on les prend accrochés l'un à l'autre.
XI. (IX) [1] Le
coucou parait être un épervier qui change de figure à une époque de l'année: ce
qui porte à le croire, c'est qu'à cette époque on ne voit pas les autres
éperviers, si ce n'est pendant très peu de jours, et que le coucou lui-même, qui
se montre une partie de l'été, disparaît le reste du temps. Seul des éperviers,
il n'a pas les ongles crochus; il ne leur ressemble pas non plus par la tête, il
n 'en a que la couleur; et par le bec il ressemble davantage au pigeon. Bien
plus, l'épervier le mange quand il le rencontre : c'est le seul oiseau qui soit
mangé par un oiseau de son espèce.
[2] Il change aussi de voix; il
paraît au printemps, et disparaît au lever de la Canicule. Il pond toujours dans
le nid d'autrui, et surtout dans le nid des ramiers, un seul oeuf la plupart du
temps, ce que ne fait aucun autre oiseau; rarement deux oeufs. On croit qu'il
substitue ses petits, parce qu'il se sait haï de tous les autres oiseaux : les
oisillons même l'attaquent, et il pense que sa race ne sera pas en sûreté s'il
n'use pas de supercherie; il ne fait donc pas de nid : c'est du reste un animal
timide. Cependant la couveuse nourrit l'étranger qu'une fraude a mis dans son
nid.
[3] Celui-ci, naturellement avide,
enlève la nourriture aux autres petits. Aussi devient-t-il gras; son embonpoint
captive la mère ; elle se réjouit de sa beauté, et s'admire pour avoir mis au
monde une telle progéniture. La comparaison lui fait condamner les siens comme
étrangers; elle souffre même qu'il s'en repaisse à ses yeux; puis il finit par
la saisir elle-même, quand il est en état de voler. Alors il n'est pas d'oiseau
dont la chair soit plus délicate.
XII.
(X) [1] Les milans, qui appartiennent au même genre
que les éperviers, en différent par la taille. On a noté que cet oiseau, très
rapace et toujours affamé, n'enlève jamais aucune viande parmi les oblations
funéraires ni sur l'autel d'Olympie. Il ne se jette même pas sur les viandes
consacrées qu'on porte à la main, ou, s'il le fait, c'est un funeste présage
pour les villes qui offrent le sacrifice. Les milans paraissent avoir enseigné
par les Inflexions de leur queue l'art de manier le gouvernail, la nature
indiquant dans l'air ce qu'il fallait faire dans le sein de la mer. Les milans
disparaissent aussi pendant les mois d'hiver : cependant ils ne s'en vont pas
avant la hirondelles. On dit en outre qu'ils sont affectés de la goutte après le
solstice d'été.
Xlll.
(XII) [1] Le premier caractère distinctif
entre les oiseaux est fourni par les pieds. En effet, ils ont ou des ongles
crochus ou des doigts, ou ils sont palmipèdes comme les oies et presque tous les
aquatiques. Les oiseaux à ongles crochus ne se nourrissent pour la plupart que
de chair.
XIV. (XII) [1] Les
corneilles ont aussi un autre aliment : la noix est trop dure pour leur bec et
en conséquence elles s'élèvent haut, et la laissent tomber sur les rochers ou
sur les toits à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'elles puissent casser la
coquille disjointe. La corneille a un croassement babillard, qui est de mauvais
augure; quelques-uns cependant le regardent comme favorable. On observe que
depuis le lever d'Arcturus (XVIII, 34) jusqu'à l'arrivée des hirondelles on ne
la voit que rarement dans les bols sacrés et les temples de Minerve, et pas du
tout en certains lieux, par exemple à Athènes. C'est le seul oiseau qui donne à
manger à ses petits pendant quelque temps après qu'ils ont commencé à voler. La
corneille est le plus défavorable pour les auspices au temps de la couvaison,
c'est-à-dire après le solstice d'été.
XV. [1] Tous
les autres oiseaux de cette espèce expulsent du nid leurs petits et les forcent
à voler, même les corbeaux, qui, bien que ne se nourrissant pas exclusivement de
chair, n'en exilent pas moins d'un rayon étendu leurs petits, devenus adultes.
Aussi dans les cantons peu spacieux il n'y en a pas plus de deux couples. Aux
environs de Cranon dams la Thessalie il n'y en a jamais qu'un couple; le père et
la mère cèdent la place à leurs enfants. On observe quelques différences entre
le corbeau et la corneille. Les corbeaux engendrent avant le solstice d'été; ils
sont malades soixante jours, surtout de la soif (XXIX, 12). avant la maturité
des figues d'automne. A cette époque, la corneille tombe malade. Les corbeaux
ont au plus cinq petits; le vulgaire pense qu'ils s'accouplent et pondent par le
bec ; qu'aussi une femme enceinte qui vient à manger un oeuf à corbeau rend son
fruit par la bouche, et qu'il suffit qu'on en porte dans la maison pour que
l'accouchement soit laborieux. Aristote dit (de Gen. III, 6) que cela n'est pas
plus vrai que pour les ibis d'Egypte; mais que les baisers qu'on les voit
souvent se donner sont comme ceux que se donnent les pigeons. Les corbeaux, dans
les auspices, paraissent seuls comprendre ce qu'ils annoncent. Lorsque les hôtes
de Médias furent mis à mort, les corbeaux s'envolèrent tous du Péloponnèse et de
l'Attique. Ils sont du plus mauvais augure quand ils gloussent comme si on les
étranglait (XVIII, 87).
XVI. [1] Les
oiseaux de nuit ont aussi les ongles crochus : la noctua (chevêche, ou duc à
oreilles courte, strix brachyotos, Gmel. ), le bubo (grand-duc, strix
bubo, L.), la hulotte (strix aluco, L.). Leur vue est faible pendant
le jour. Le bubo est funèbre, et abhorré surtout dans les auspices publics; il
habite les déserts, et non seulement les solitudes, mais encore les lieux
affreux et inaccessibles : monstre de la nuit, il fait entendre non un chant,
mais un gémissement: aussi est-ce un funeste présage que de le voir dans les
villes, ou seulement de jour. Pour mon compte, je l'ai vu maintes fois se poser
sur des maisons particulières, sans y être l'annonce de catastrophes. Il ne vole
jamais en droite ligne, mais il est emporté par un mouvement oblique. Un bubo
entra dans le sanctuaire même du Capitole, sous le consulat de Sex. Palpélius
Hister et de L. Pédanius; et à cause de cela Rome fut purifiée, cette année-là,
aux nones de mars (7 mars).
XVII.
(XIII) [1] L'oiseau appelé incendiaire est aussi de
mauvais meure, et nous lisons dans les Annales que souvent on a purifié Rome à
cause de lui; par exemple, sous le consulat de L. Cassius et de C. Marius (an de
Rome 647), année où on la purifia aussi, un hibou ayant été vu. Quel est cet
oiseau? ni livres ni tradition ne le disent. Quelques-uns expliquent ainsi la
chose: L'incendiaire est tout oiseau qui apparaît portant un charbon enlevé aux
feux des autels.
[2] D'autres l'appellent spinturnix
; mais Je n'al trouvé personne qui dit savoir quel était cet oiseau. (XIV.) Je
remarque qu'on ignore aussi ce qu'est l'oiseau que les anciens appelaient clivie.
Quelques-uns le nomment clamatoire; Labéon le nomme prohibitoire,
et Nigidius fait mention d'un oiseau appelé subis, qui brise les oeufs de
l'aigle. (XV) Il y en a en outre beaucoup d'espèces décrites dans le rituel
étrusque, mais personne ne les a vues; il est surprenant qu'elles n'existent
plus, quand on voit abonder encore celles que décime la gourmandise de l'homme.
XVIII. (XVI) [1] Hylas est celui d'entre les étrangers qu'on regarde comme ayant écrit le plus
savamment sur les augures : il rapporte que la noctua (chevêche) le bubo
(grand-duc), le pic qui creuse les arbres, le trygon et la corneille, sortent de
l'oeuf la queue la première, attendu que les oeufs, se renversant par le poids
de la tête, présentent la partie postérieure du corps à couver.
XIX. (XVII) [1]
Les noctua (chevêches) soutiennent avec adresse les attaques des oiseaux :
entourées par une foule trop nombreuse, elles se couchent sur le dos, se
défendent avec leurs pattes, et, se ramassant, protègent toutes les parties de
leur corps, avec le bec et les ongles; l'épervier, par une affinité naturelle,
vient à leur secours, et prend part au combat. Nigidius rapporte que les
chevêches restent couchées pendant soixante jours en hiver, et qu'elles ont neuf
voix.
XX. (XVIII) [1]
De petits oiseaux sont aussi pourvus d'ongles crochus, par exemple, le pic,
distingué par le surnom de martial, et qui est important dans les auspices. Dans
ce genre sont les oiseaux qui creusent les arbres, et y montent à la manière des
chats; ils grimpent même le corps renversé; ils frappent l'écorce, et
reconnaissent au son s'il y a de la pâture au-dessous. Seuls des oiseaux, ils
élèvent leurs petits dans des trous d'arbres. On croit vulgairement (XXV, 5) que
si un berger en bouche l'entrée avec un coin, ils le font tomber en y appliquant
une certaine herbe. Trébius rapporte qu'un clou ou un coin, enfoncé avec autant
de force qu'on voudra dans l'arbre où ils ont leur nid, est chassé de l'arbre,
qui éclate dès que l'oiseau se pose sur le clou ou le coin.
[2] Les pics tiennent le premier
rang dans le Latium pour les augures, depuis le roi qui a donné son nom à cet
oiseau. Je ne puis passer sous silence un de leurs présages : Sur la tête d'Aelius
Tubéron, préteur urbain, rendant la justice en son tribunal dans le forum, un
pic vint se poser si familièrement, qu'on le prit à la main : les augures
répondirent que si on le lâchait, l'empire, et si on le tuait, le préteur,
étaient menacés de perte. Le préteur mit aussitôt l'oiseau en pièces, et peu
après l'oracle s'accomplit.
XXI. (XIX) [1]
Plusieurs oiseaux du genre à ongles crochus, du moins ceux qui ne sont pas
exclusivement carnivores, mangent des glands et des fruits; il faut cependant
excepter le milan; ou quand il en mange c'est un funeste augure. Les oiseaux à
ongles crochus ne vivent jamais en troupe; chaque individu chasse pour son
compte. Presque tous, excepté les nocturnes, sont à grand vol, et d'autant plus
qu'ils sont plus gros. Tous ont les ailes grandes, le corps petit; ils marchent
difficilement; ils se posent rarement sur des pierres, la courbure de leurs
ongles les en empêche.
XXII. [1]
Parlons maintenant de la seconde classe (X, 13), qui se divise en deux genres :
ceux dont on consulte le chant, et ceux dont on consulte le vol. Le chant chez
les premiers, la grosseur chez les seconds, constituent la différence: aussi les
seconds auront le pas, (XX.) et le paon précédera tous les autres, tant pour sa
beauté qu'en raison de la connaissance qu'il en a et de la vanité qu'il en tire.
[2] Loué, le paon étale ses couleurs
éblouissantes, surtout en face du soleil, parce qu'ainsi elles sont plus
radieuses. En même temps il cherche, en formant la roue, à faire jouer des
ombres sur les autres nuances, qui prennent plus d'éclat par le contraste: il
réunit en un seul faisceau tous les yeux de ses plumes, qu'il se plaît à offrir
aux regards. Le paon perd annuellement la queue, à la chute des feuilles; elle
repousse avec les fleurs : pendant ce temps, il se cache honteux et triste. Il
vit vingt-cinq ans. Il commence à se parer de ses couleurs vers trois ans. Des
auteurs prétendent que cet animal est non seulement glorieux, mais malveillant
aussi, de même qu'ils disent l'oie pudibonde; supposition que je rappelle parce
qu'elle a été faite par certains écrivains, mais qui me paraît gratuite.
XXIII. [1] Le
premier qui à Rome aît tué un paon par sa table est l'orateur Hortensius, à son
repas de réception dans le collège des prêtres. Le premier qui se soit mis à les
engraisser est M. Aufidius Lurcon, au temps de la dernière guerre des pirates;
il se procurait par ce moyen un revenu de 60,000 sesterces ( 12,600 fr.).
XXIV. (XXI) [1] Les plus sensibles à la
gloire après les paons sont ces sentinelles nocturnes que la nature a créées
pour dissiper le sommeil et ramener l'omme au travail. Les coqs connaissent les
astres, et de trois heures en trois heures ils coupent la journée par des
chants. Ils vont se coucher avec le soleil et à la quatrième veille militaire
(trois heures avant le jour) ils nous rappellent aux soins et au labeur. Ils ne
souffrent pas non plus que le lever de cet astre nous surprenne: ils annoncent
par le chant le jour qui approche, et ce chant lui-même en battant des ailes.
Ils rognent sur les volatiles du même genre, et commandent dans toute basse-cour
où ils se trouvent.
[2] Entre eux aussi est une
suprématie qui se conquiert par un combat: ils semblent comprendre la
destination de l'arme qu'ils ont au pied; et souvent la lutte n'a point de
résultat, les rivaux succombant ensemble. Si l'un d'eux obtient la victoire, il
se met aussitôt à chanter, et il se proclame lui-même souverain; le vaincu se
cache en silence, et souffre avec peine l'esclavage. Non moins superbe, le
peuple gallinacé marche la tête haute, la crête droite; seuls de tous les
oiseaux ils regardent souvent le ciel et ils tiennent élevée leur queue
recourbée en faucille : aussi sont-ils la terreur même du lion (VIII, 19), le
plus courageux des animaux. Quelques-uns d'eux ne naissent que pour la guerre et
de perpétuels combats, et par la ils ont illustré leurs lieux d'origine, Rhodes
et Tanagra.
[3] Le second rang est attribué aux
coqs de Mélos et de Chalcis. C'est donc un oiseau bien digne de tous les
honneurs que lui rend la pourpre romaine : leurs mouvements quand ils prennent
de la nourriture sont des présages; ce sont eux qui régissent quotidiennement
nos magistrats, et qui leur ouvrent ou leur ferment leur propre maison; ce sont
eux qui lancent ou retiennent les faisceaux romains, qui ordonnent ou défendent
les batailles, ayant fourni les auspices à toutes les victoires remportées dans
la terre entière : en un mot, ce sont les principaux maîtres des maîtres du
monde, aussi agréables aux dieux par leurs entrailles et leur foie que les
victimes opimes. Leurs chants entendus à des heures indues et le soir sont des
présages : ayant chanté pendant des nuits entières, ils présagèrent aux Béotiens
la célèbre victoire remportée sur les Lacédémoniens; ce fut du moins le
pronostic qu'on en tira, attendu que vaincu cet oiseau ne chante pas.
XXV.
[1] Châtré, il cesse de chanter. La castration
s'opère de deux manières : ou leur brûle avec un fer rouge les lombes, ou le bas
des jambes, puis on enduit la plaie avec de la terre à potier; de cette façon
ils engraissent plus facilement. A Pergame, tous les ans, on donne au public le
spectacle d'un combat de coqs, comme ici de gladiateurs. On trouve dans les
Annales que sur le territoire d'Ariminum, sous le consulat de M. Lepidus et de
Q. Catulus (an de Rome 676), dans la maison de campagne de Galérius, un coq
parla : c'est la seule fois à ma connaissance.
XXVI. (XXII) [1]
Les oies aussi ont de la vigilance, vigilance attestée par la défense du
Capitole, dans un moment où le silence des chiens trahissait la chose publique.
Pour cette raison, les censeurs commencent toujours par passer le bail pour la
nourriture des oies. On dit même que cet animal s'éprend d'amour : à Aegium, une
oie se passionna pour la beauté d'un enfant de la ville d'Olénos, et une autre
pour celle de Glaucé, musicienne, qui jouait de la lyre pour le roi Ptolémée, et
qui dans le même temps fut, dit-on, aimée aussi par un bélier. On pourrait
croire encore que les oies ont la connaissance de la sagesse : ainsi on dit
qu'une oie se fit la compagne constante du philosophe Lacydès, ne le quittant
jamais, ni en public, ni au bain, ni la nuit, ni le jour.
XXVII. [1] Nos
Romains sont plus sages; ils ne connaissent les oies que par la bonté du foie.
Le foie devient très gros dans les oies qu'on engraisse, et, tiré du corps de
l'animal, on l'augmente encore en le trempant dans du lait miellé. Et ce n'est
pas sans raison qu'on débat la question de savoir qui, le premier, a trouvé une
aussi bonne chose; si c'est Scipion Métellus personnage consulaire, ou M. Séius,
chevalier romain du même temps. Du moins on ne conteste pas a Messalinus Cotta,
fils de l'orateur Messala, d'avoir imaginé le premier le secret de rôtir les
pattes d'oie et d'en composer un ragoût avec les crêtes de coq.
[2] J'assigne loyalement à chacun la
palme culinaire qui lui appartient. Ce qu'il y a d'étonnant pour l'oie, c'est
qu'elle vient à pied de la Morinie (Artois) à Rome. Les oies lasses sont mises
au premiers rangs; les autres les font marcher, par cet instinct qui les pousse
à se serrer. Les oies blanches fournissent par leur plume un autre tribut. Dans
certains lieux on les plume deux fois l'an, ce qui ne les empêche pas de se
couvrir de nouvelles plumes. La plume qui est la plus voisine du corps est la
plus molle. La plume de Germanie est la plus estimée;
[3] dans ce pays, des oies blanches
mais petites sont appelées gantas : leur plume se vend cinq deniers (4 fr. 10)
la livre. Là est une source très fréquente d'accusations contre les commandants
des auxiliaires, qui envoient des cohortes entières à la chasse des oies, au
lieu de les tenir à leur poste. La mollesse est arrivée à ce point,
qu'aujourd'hui les hommes ne peuvent reposer leur tête que sur le duvet.
XXVIII. [1]
La partie de la Syrie qu'on nomme Commagène a fait une autre invention (XXIII,
13) : la graisse d'oie est mise dans au vase d'airain avec du cinname; on la
couvre d'une couche épaisse de neige; on la laisse macérer sous l'influence du
froid : ce qui donne cette préparation célèbre appelée commagène, du nom du
pays.
XXIX. [1] Au
genre des oies appartiennent les chenalopex (anser armatus Aegyptiacus,
Gm.) et les chénéros (souchet, anas clypeata, L. ), un peu plus petits
que l'oie, et au-dessus desquels la Bretagne ne connaît rien pour la table. Les
tétraons (le coq de bruyère, tetrao tetrix, L.) sont remarquables par le
lustre et le noir parfait de leur plumage, et la couleur écarlate de leurs
sourcils. Une autre espèce de tétraons (tetrao urogallus L.) dépasse la
taille des vautours, et en a la couleur. Aucun oiseau, excepté l'autruche, n'est
pas pesant; il devient si gras, qu'Il se laisse prendre immobile à terre. On
trouve ces oiseaux dans les Alpes et dans les contrées septentrionales. Mais
dans les volières ils perdent leur saveur. Ils se font mourir de dépit, en
retenant leur respiration. Les plus gros après eux sont les oiseaux que que
l'Espagne appelle lents, et la Grèce otides (outardes); on les exile des tables.
La moelle s'échappant des os, ils exhalent immédiatement une odeur repoussante.
XXX. (XXIII) [1]
La nation des Pygmées a une trêve par le départ des grues, qui, comme nous
l'avons dit (IV, 18; VII, 2, 19), leur font la guerre. Leur traversée est
immense, si l'on songe qu'elles viennent de la mer d'Orient. Elles conviennent
de l'époque du départ, s'élevait haut pour découvrir au loin, choisissent un
chef pour les garder, et a l'arrière-garde placent des surveillants qui se
relèvent, poussent des cris, et de la voix contiennent la troupe.
[2] Pendant la nuit elles posent des
sentinelles qui tiennent un caillou dans la patte; si la sentinelle s'endort, le
caillou tombe, et trahit la négligence ; les autres dorment la tête cachée sous
l'aile, et se tenant tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre. Le chef, le cou
tendu, prévoit et avertit.. Apprivoisées, les grues sont folâtres, et, même
seules, elles décrivent des espèces de cercle en courant d'une manière
grotesque. Il est certain que, se disposant à traverser le Pont-Euxin, elles se
rendent d'abord sur le détroit compris entre les promontoires Criumetopon et
Carambis, où elles se lestent avec du sable.
[3] Arrivées au milieu du trajet,
elles laissent tomber les petites pierres tenues dans leurs pattes, et, arrivées
sur la terre ferme, elles rejettent le sable qu'elles avaient pris dans leur
gorge. Cornelius Nepos, qui mourut sous le règne du dieu Auguste, ayant dit
qu'on avait commencé depuis peu à engraisser les grives, a ajouté que les
cigognes plaisaient plus que les grues. Aujourd'hui, au contraire, la grue est
des plus recherchées, tandis que personne ne voudrait goûter de la cigogne.
XXXI. [1]
On Ignore jusqu'à présent de quel lieu viennent les cigognes, ou dans quel lieu
elles se retirent. Il n'est pas douteux que, comme les grues, elles viennent de
loin : elles sont les hôtes de l'été; les grues, les hôtes de l'hiver. Près de
partir, elles se rassemblent en un lieu fixe, ne laissant derrière elles aucun
individu de leur espèce, si ce n'est celles qui sont captives et domestiques :
elles partent au jour dit, comme si une loi l'avait déterminé. Personne ne les
voit partir, et cependant on les voit faire leurs préparatifs de départ; de même
on les voit arrivées, sans les avoir vues arriver : le départ et l'arrivée se
font de nuit.
[2] Et quoiqu'elles volent de çà et
de là, on pense qu'elles n'arrivent nulle part que pendant la nuit. On nomme
Pythonoscome de vastes plaines de l'Asie, où, réunies, elles murmurent entre
elles, et, déchirant celle qui arrive la dernière, elles partent après cette
exécution. On a observé qu'on ne les voyait guère en ces lieux après les ides
d'août (13 août). Des auteurs assurent que les cigognes n'ont pas de langue.
Leur mérite est tel pour l'extermination des serpents, qu'en Thessalie on a
porté la peine de mort contre celui qui les tuerait; les lois ont prononcé, dans
ce cas, la même peine que contre les homicides.
XXXII. [1] Les
oies et les cygnes voyagent aussi; mais on les voit voler: ils vont comme des
galères liburniques. en formant une pointe; ils fendent de la sorte l'air plus
facilement que s'ils formaient un front. L'ordre de bataille est cunéiforme,
c'est-à-dire qu'il va en s'élargissant peu à peu en arrière, et présente ainsi
une large surface au vent qui les pousse. Chacun met le cou sur celui qui le
précède; les guides fatigués vont se placer à l'arrière-garde. Les cigognes
reviennent au même nid ; les jeunes, à leur tour, nourrissent leurs parents
devenus vieux. On dit qu'au moment de mourir les cygnes fout entendre un chant
lamentable; erreur, je pense : c'est du moins ce qui résulte pour moi de
quelques expériences. Ces mêmes oiseaux se mangent entre eux.
XXXIII. [1]
Ayant parlé des émigrations que ces oiseaux exécutent à travers les terres et
les mers, je ne puis différer de parler aussi des oiseaux plus petits qui ont le
même instinct; car on pourrait croire que les gros oiseaux sont invités à ces
voyages par leur taille et leur force. La caille, qui arrive même avant les
grues, est un petit oiseau, et qui, une fois qu'Il est parmi nous, se tient
plutôt à terre qu'il ne vole. Elles n'en viennent pas moins de la même façon,
sur leurs ailes, non sans danger pour les navigateurs quand elle approchent de
la terre; car il arrive à la volée entière de s'abattre sur les voiles (et cela,
toujours de nuit) et de submerger le bâtiment. Le voyage des cailles a des
étapes fixées.
[2] Elles ne volent point par le
vent du midi, qui est humide et pesant; or, elles veulent être soutenues par le
vent, car elles sont lourdes et peu fortes : de là, pendant le vol, cette
plainte que la fatigue leur arrache. C'est donc avec l'aquilon surtout qu'en
volent, ayant pour chef l'ortygomètre (mère des cailles). La première qui
approche de terre est enlevée par l'épervier. Quand elles s'en retournent, elles
sollicitent toujours de la compagnie; à leur persuasion, la glottide, l'otus (moyen-duc,
stryx otus, L) et le cychrame partent avec elles.
[3] La glottide tire une langue très
longue; c'est de la que lui vient son nom. D'abord le voyage lui plait et elle
part avec ardeur ; mais elle se fatigue en volant, et le regret la saisit: elle
ne veut ni revenir seule ni suivre; son voyage ne dure pas plus d'un jour; au
premier gîte elle déserte, mais il s'y trouve d'autres glottides, restées là de
l'année précédente, et ainsi de suite de relais en relais. Le cychrame, plus
persévérant, est même pressé d'arriver aux contrées qu'il désire : il éveille
les cailles la nuit, et les avertit de se mettre en route.
[4] L'otus (stryx otus, L.)
est plus petit que le bubo (grand-duc), plus gros que la noctua (chevêche) ; ses
oreilles ont des plumes relevées, c'est de là que lui vient son nom;
quelques-uns l'appellent en latin asion : du reste c'est un oiseau imitateur,
parasite, et pour ainsi dire danseur. On te prend sans peine comme le chevêche :
un chasseur occupe son attention, un autre le saisit par derrière. Si le vent
contrarie la marche de la troupe, ces oiseaux lestent leur vol en prenant des
pierres un peu pesantes, ou en se remplissant le gosier de sable. Les cailles se
plaisent surtout à manger la graine d'une plante vénéneuse ; aussi les a-t-on
bannies des tables. Ce qui excite aussi contre elles de la répugnance, c'est
l'épilepsie à laquelle elles sont seules, avec I'homme, sujettes parmi les
animaux.
XXXIV. (XXIV) [1]
L'hirondelle, le seul oiseau se nourrissant de chair parmi ceux qui n'ont pas
les ongles crochus, émigre aussi pendant les mois d'hiver; mais elle va dans des
contrées voisines, recherchant dans les montagnes les retraites exposées au
soleil; et plus d'une fois on y a trouvé des hirondelles nues et déplumées. On
dit qu'elles n'entrent pas dans Thèbes, parce que cette ville a été prise
plusieurs fois, ni dans Bizya (IV, 18) en Thrace, à cause des crimes de Térée.
Cécina de Volaterre, de l'ordre équestre, qui avait des quadriges pour la
course, emportait chez lui à Rome des hirondelles, puis les lâchait pour
annoncer le résultat à ses amis : elles revenaient à leur nid, teintes de la
couleur du parti qui avait remporté la victoire. Fabius Pictor rappelle aussi,
dans ses Annales, qu'une garnison romaine assiégée par les Liguriens lui envoya
une hirondelle enlevée à ses petits, afin qu'attachant un fil a sa patte, il
indiquât par le nombre de noeuds le jour où le secours arriverait, et ou il
faudrait faire une sortie.
XXXV. [1] Les
merles, les grives et les étourneaux s'en vont aussi dans les contrées voisines;
mais ils ne perdent pas leurs plumes, et ils ne se cachent pas. On les a vus
souvent dans la lieux où ils vont chercher leur nourriture pendant l'hiver;
aussi est-ce surtout en hiver que les grives abondent dans la Germanie. On peut
assurer que les tourterelles se cachent et perdent leurs plumes. Les pigeons
ramiers émigrent aussi; mais où ? c'est ce qu'on ignore. Les étourneaux ont une
manière de voler en troupe qui leur est propre, et de former une sorte de
peloton arrondi, chacun cherchant toujours à se rapprocher du centre. Les
hirondelles seules ont un vol flexueux et rapide, ce qui les empêche de devenir
la proie des autres oiseaux : enfin ce sont aussi les seules qui ne prennent
leur nourriture qu'en volant.
XXXVI. (XXV) [1]
Le temps pendant lequel les oiseaux se montrent est très différent pour chacun :
les uns se montrent toute l'année, comme. les pigeons; les autres, six mois,
comme les hirondelles; d'autres, trois mois, comme les grives et les
tourterelles; d'autres s'en vont après avoir élevé leurs petits, comme les galgules et les huppes (upupa epops, L.).
XXXVII. (XXVI) [1]
Des auteurs disent que tous les ans il vient d'Éthiopie à Ilion des oiseaux qui
se livrent combat sur le tombeau de Memnon; ce qui leur a valu le nom de
memnonides. Crémutius rapporte comme un fait vérifié par lui que ces mêmes
oiseaux en font autant tous les cinq ans en Éthiopie, autour du palais de
Memnon.
XXXVIII. [1]
Les méléagrides (pintades) combattent de la même manière en Béotie. C'est une
espèce de poule africaine, bossue et d'un plumage varié; parmi les oiseaux
étrangers c'est le dernier qu'on ait reçu sur les tables, à cause de son fumet
désagréable ; mais le tombeau de Méléagre les a rendue. célèbres.
XXXIX. (XXVII) [1]
On appelle séleucides des ciseaux qu'envoie Jupiter à la prière des habitants du
mont Casius (V, 22), au moment où les sauterelles dévastent leurs moissons. On
ne sait pas non plus d'où ils viennent et ou ils vont; on ne les voit jamais que
quand on a besoin de leur secours (merle rose? turdus roseus, L. ).
XL. (XXVIII) [1]
Les Égyptiens invoquent aussi leurs ibis (ibis religiosa, Cuv.) contre
l'incursion des serpents, et les Éléens le dieu Myagros (chasse-mouche) ( XXIX,
34) contre les mouches, qui par leur multitude amènent des pestes, et qui
meurent dès qu'on a sacrifié à ce dieu.
XLI. (XXIX) [1]
Mais, à propos de la retraite des oiseaux, ou dit que les chevêches se tiennent
cachées aussi pendant quelques jours. Les chevêches ne se trouvent pas dans
l'île de Crête; celles même qu'on y transporte meurent. C'est encore une
bizarrerie singulière de la nature : elle refuse à certains lieux certaines
productions. Il est tout simple que des espèces d'animaux, comme des espèces de
grains et de végétaux, ne naissent pas dans certaines localités ; mais il est
singulier que transplantées elles y meurent. Où est la cause ennemie du salut
d'une seule espèce? quelle est cette intolérance de la nature ? ou quelles sont
les limites marquées aux oiseaux sur la terre?
[2] Rhodes n'a pas d'aigles. Prèss
des Alpes, dans l'Italie transpadane, est le lac Larius (lac de Côme), bordé de
champs d'arbres : les cigognes n'y viennent pas. Autour de ce lac, et dans un
rayon de huit milles, on ne volt ni graccules (choucas rouge), ni monédules
(choucas, corvus monedula, L.) (seul oiseau qui ait le singulier instinct
de dérober l'or et l'argent), tandis qu'ils sont en nombre immense dans le pays
des Insubriens, qui est limitrophe. On dit que le pic ne se trouve pas dans le
territoire de Tarente. Il n'y a pas longtemps que l'on commence à voir, depuis
l'Apennin jusqu'à Rome (et cet oiseau y est encore rare), la pie, qui est
remarquable par une longue queue, et qu'on appelle variée.
[3] Une particularité qui le lui est
propre, c'est de devenir chante tous les ans, lorsqu'on sème les raves (XVIII,
35). Les perdrix, dans l'Attique, ne passent pas les frontières de la Béotie; et
aucun oiseau dans le Pont ne passe le temple consacré à Achille dans l'île (IV,
27), où est le tombeau de ce héros. Au territoire de Fidène, les cigognes ne
font ni des nids ni des petits. Une multitude de ramiers arrive, tous les ans,
de la mer dans le territoire de Volaterre.. A Rome, ni mouche ni chien n'entrent
dans le temple d'Hercule, sur le marché aux boeufs.
[4] Il y a beaucoup d'observations
pareilles sur chaque espèce. Je les omets sciemment de temps en temps, pour ne
pas ennuyer le lecteur. Théophraste, par exemple rapporte que les pigeons, les
paons et le corbeaux ont été introduits en Asie, et les grenouilles coassantes,
dans la Cyrénaïque (VIII, 87).
XLII. [1]
Les oiseaux chanteurs offrent un teint objet d'admiration; ils changent presque
entièrement de couleur et de voix à une certaine époque de l'année, et ils
deviennent tout à coup différents d'eux-mêmes. Parmi les grands oiseau, les
grues sont les seules qui présentent ce phénomène: elles noircissent pendant la
vieillesse. Le merle de noir devient roussâtre ; Il chante en été, bégaye en
hiver, et est muet vers le solstice d'été: à un an le bec prend l'apparence de
l'ivoire, mais chez les mâles seulement. Les grives ont en été un collier
moucheté; en hiver elles sont d'une couleur uniforme.
XLIII. [1]
Le rossignol, pendant quinze jours et quinze nuits consécutives, au moment où le
feuillage des arbres s'épaissit, fait entendre sans repos son ramage: cet oiseau
n'a pas le moins de droits à notre admiration. D'abord, quelle voix dans un si
petit corps ! quelle haleine infatigable l Puis c'est le seul dont le chant soit
modulé suivant une science parfaite de la musique : tantôt il le prolonge d'une
haleine soutenue, tantôt il le varie en inflexion, tantôt il le coupe de
batteries, tantôt il enchaîne en roulades, tantôt il le soutient en reprenant
haleine , tantôt il le voile à l'improviste, tantôt encore il gazouille avec
lui-même : plein, grave, aigu, précipitant les sons, les filant, les saccadant a
son gré, et prenant le dessus, le milieu et la basse;
[2] bref, en un si petit gosier se
trouve tout ce que l'art humain a su tirer des flûtes les plus parfaites. Aussi
ce fut le présage infaillible d'une poésie suave, que d'en voir un chantant sur
la bouche de Stésichore enfant. Et ne doutez pas qu'il n'y ait de l'art: chaque
rossignol a plusieurs airs, et ces airs ne sont pas les mêmes pour tous; chacun
a les siens. Ils luttent entre eux, et leur courageuse obstination est
manifeste; le vaincu meurt souvent dans le combat, osant plutôt de respirer que
de chanter. D'autres rossignols plus jeunes étudient, et reçoivent la leçon
qu'ils doivent apprendre; l'élève écoute avec une grande attention , et il
répète le maître et l'élève se taisent chacun à son tour tour. On reconnaît que
l'élève blâmé se corrige, et que le maître le reprend pour ainsi dire.
[3] Aussi des rossignols se
vendent-ils aussi cher que les esclaves, et même plus cher jadis que des écuyers
ne se payaient. Je sais qu'on a acheté six mille sesterce (1,260 f.) un
rossignol, qui était blanc, il est vrai (ce qui est très rare). pour en faire
cadeau à Agrippine, femme de l'empereur Gaude. On en a vu souvent qui chantaient
au commandement, et qui alternaient avec la symphonie: de même qu'il s'est
trouvé des hommes qui, soufflant dans un chalumeau rempli d'eau et muni d'une
languette, imitaient le rossignol à s'y méprendre.
[4] Ces modulations si étendues et
si savantes cessent peu à peu au bout de quinze jours, sans qu'on puisse dire
que l'oiseau soit fatigué ou ennuyé. Puis, la chaleur croissant, sa voix devient
tout autre; elle n'a plus ni modulation ni variété; la couleur change aussi :
enfin pendant l'hiver on ne le voit pas. La langue du rossignol n'est pas
pointue comme celle des autres oiseaux. La femelle pond, des le commencement du
printemps, au plus six oeufs.
XLIV. [1]
Il n'en est pas de même des ficedules (muscicapa atricapilla, L.) : elles
changent et de couleur et de forme C'est leur nom en automne; elles ne l'ont
plus ensuite, et s'appellent mélancoryphes. C'est ainsi que l'érithacus d'hiver
est le phénicure d'été. La huppe, d'après le poète Eschyle, change aussi de
forme; oiseau qui se nourrit des aliments les plus sales, et qui se fait
remarquer par une aigrette mobile qu'il peut resserrer et déployer le long de sa
tête.
XLV. [1]
L'oeanthe (XVIII, 69) a des jours fixe de retraite: elle se cache au lever de
Sirius et se montre au coucher de cette constellation, et, chose singulière, aux
jours précis du lever et du coucher. Le loriot (orioleus luteus, L.), qui
est entièrement jaune, se cache en hiver, et paraît vers le solstice d'été. (XXX.)
Les merles sont blancs dans les environs de Cyllène en Arcadie, et nulle part
ailleurs. L'Ibis n'est noir (scolopax falcinellus, L. ) qu'aux environs
de Pelusium; partout ailleurs il est blanc.
XLVI.
(XXXI) [1] Les oiseaux
chanteurs, excepté le rossignol, ne font guère leur ponte avant l'équinoxe du
printemps ou après l'équinoxe d'automne. Avant le solstice d'été les couvées
sont hasardées après le solstice elles réussissent.
XLVII. (XXXII) [1]
A cet égard surtout l'alcyon (martin pécheur, alcedo hispida, L) est
remarquable : les mers et les navigateurs connaissent les jours où il couve.
L'alcyon est un peu plus gros qu'un moineau, presque entièrement bleu, avec
quelques plumes pourpres et blanches entremêlées; son cou est grêle et long. Il
y a une autre espèce d'alcyons, qui diffère par la taille, par le chant ; c'est
la petite espèce : elle chante dans les roseaux. Il est très rare de voir les
alcyons : ils ne se montrent qu'au coucher des Pléiades, et vers le solstice
d'été ou d'hiver; on les voit voltiger quelques jours autour des navires; puis
tout à coup ils rentrent dans leurs retraites.
[2] Ils ont leurs petits au solstice
d'hiver, pendant les jours qu'on appelle alcyoniens; et alors la mer est
tranquille et navigable , particulièrement la mer de Sicile. Ils font leur nid
pendant les sept jours qui précédent le solstice d'hiver, et ils pondent pendant
les sept jours qui suivent. Leurs nids sont admirables : ils ont la figure d'une
boule un peu allongée; l'ouverture en est très étroite: ils ressemblent aux
grandes éponges; on ne peut les couper avec le fer, un coup violent les brise
comme l'écume sèche de la mer. On ne connaît pas les matériaux qu'ils y
emploient; on pense qu'ils les construisent avec des arêtes aiguës : c'est en
effet de poissons qu'ils vivent, ils viennent aussi dans les rivières ; ils
pondent cinq oeufs.
XLVIII. [1]
Les mouettes font leur nid dans les rochers; les plongeons, dans les rochers et
aussi dans les arbres. Ces oiseaux pondent le plus ordinairement trois oeufs,
les mouettes en été, les plongeons au commencement du printemps.
XLIX. (XXXIII) [1]
La forme du nid des alcyons, me rappelle l'industrie des autres oiseaux; nulle
part l'habileté ingénieuse de ces animaux n'en plus admirable. Les hirondelles
construisent leur nid avec de la boue, et le consolident avec des pailles; si la
boue leur manque, elle se mouillent complètement, et jettent avec leurs ailes de
l'eau sur la poussière; elles tapissent l'atrium du nid avec des plumes et des
flocons légers pour tenir chauds les oeufs et aussi pour que le nid ne soit pas
dur aux petits.
[2] Elles donnent alternativement a
manger à leurs petits avec une grande équité. Par une propreté très remarquable,
elles rejettent les ordures, et elles instruisent les petits devenus plus grands
à se tourner et à se vider hors du nid. IlI y a une autre espèce d'hirondelles
rustiques et agrestes; elles font rarement leurs nids dans l'intérieur des
maisons: ces nids, d'une forme différente, sont construits avec les mêmes
matériaux; ils sont renversés, l'ouverture en est allongée et étroite ;
l'intérieur spacieux. C'est une chose admirable que l'adresse avec laquelle ils
sont disposés pour cacher les petits et être moelleux. En Égypte, sur
l'embouchure Héracléotique. elle opposent aux débordements du fleuve une digue
inexpugnable dans l'espace d'environ un stade, par leurs nids serrés les uns
coutre les autres; travail qui n'aurait pu être exécuté de main d'homme.
[3] Dans la même Égypte il est, près
de la ville de Coptos, une île consacrée a Isis: aux premiers jours du
printemps, pour empêcher que le fleuve ne l'emporte, elles la défendent par des
travaux, et elles en consolident la pointe avec de la paille et du chaume. Elles
continuent leur oeuvre pendant trois jours et trois nuits avec tant d'assiduité,
qu'il est certain que plusieurs meurent à la peine. Tous les ans elles
recommencent ces corvée. Une troisième espèce d'hirondelle fait sur les rivages
des trous qui lui lui servent de nids. Leurs petits réduits en cendres (XXX, 12)
sont utiles contre les maux de gorge les plus dangereux, et contre plusieurs
autres maladies du corps humain. Ces hirondelles ne font pas de nids, et si la
crue du fleuve doit les atteindre, elles s'en vont plusieurs jours auparavant.
L. [1] Parmi
les oiseaux vitiparra, il en est un (remix, parus pendulinus, L., ou
moustache, parus biarmicus, L) qui donne à son nid de mousse sèche la
forme d'une boule si bien close, qu'on n'en peut trouver l'entrée. L'oiseau
appelé aranthyllis fait son nid de la même forme avec du lin. Une espèce de pic
suspend, par un scion, au bout des branches, son nid en forme de coupe, de sorte
qu'aucun quadrupède ne peut y arriver. On assure que les galgules (X, 36)
dorment suspendus par les pieds, se croyant de la sorte davantage en sûreté.
[2] Ce qui est connu de tous, c'est
qu'ils choisissent avec prévoyance des rameaux larges pour soutenir leur nid,
qu'ils le voûtent contre la pluie, ou qu'ils le protègent par son épais
feuillage. Il est en Arabie un oiseau appelé cinnamologos; il construit son nid
avec des menus de cinname : les indigènes font tomber ce nid avec des flèches
plombées, pour le vendre. En Scythie, un oiseau de la grandeur de l'outarde pond
deux œufs dans une peau de lièvre toujours suspendue au faite des branches. Les
pies, quand elles s'aperçoivent qu'un homme a observé leur nid attentivement,
transportent leurs oeufs dans un autre endroit. Ces oiseaux, dont les doigts ne
sont pas conformés pour embrasser et transporter des oeufs, mettent, dit-on, en
oeuvre un artifice admirable : ils posent une branche sur les deux oeufs, l'y
collent avec une glu tirée de leur corps, passent leur cou dans le milieu, et,
l'équilibre étant établi, les portent ailleurs.
LI. [1]
Ceux qui font leurs nids à terre parce qu'ils sont trop lourds pour s'élever ne
déploient pas moins d'industrie. Le guêpier (merops apiaster, L.), qui
nourrit ses père et mère dans leur retraite, a le plumage pâle en dessous, bleu
en dessus, et rougeâtre à l'extrémité des ailes; il fait son nid dans un trou
creusé à une profondeur de six pieds.
[2] Les perdrix fortifient leur
retraites si bien avec des épines et des broussailles, que cela est une défense
suffisante contre les animaux de proie: elles forment un lit de poussière pour y
déposer mollement leurs oeufs; elles ne les couvent pas dans les lieux où elles
les ont pondus; de peur de faire naître le soupçon en séjournant trop dans le
même lieu, elles les transportent ailleurs. Elles se cachent aussi de leurs
villes, parce que ceux-ci, dans l'excès de leurs désirs, cassent les oeufs pour
empêcher l'incubation, qui les prive. Alors les mâles, manquant de femelles, se
battent entre eux ; et l'on dit que le vaincu sert de femelle au vainqueur.
[3] Trogne Pompée rapporte que les
cailles en font autant, et quelquefois aussi les coqs; il ajoute que les perdrix
mâles sauvages, nouvellement amenées ou vaincues, sont cochées indifféremment
par les mâles apprivoisés. L'humeur guerrière que cette ardeur leur inspire les
fait prendre : le chef de la compagnie s'avance pour combattre contre le mâle de
l'oiseleur, et il est pris; un autre succède, et tous ainsi de suite les uns
après les autres. Les femelles à leur tour se font prendre vers le temps de
l'amour, en venant vers la chanterelle de l'oiseleur, pour lui chercher querelle
et la forcer à quitter la place. Dans aucun autre animal l'oeuvre de la
génération n'est pareille.
[4] Si la femelles sont en face des
mâles et sous le vent, elles conçoivent par l'action de cet air ; pendant ce
temps, le bec ouvert, la langue tirée, elles sont tout enflammées. Elles
conçoivent encore par le souffle des mâles qui volent par-dessus; il leur suffit
souvent d'entendre la voix du mâle. L'ardeur amoureuse l'emporte tellement sur
la tendresse pour les petits, que cette même femelle, qui s'est cachée pour
couver en secret, rappelle de la voix le mâle, si elle entend la chanterelle
s'approcher de lui, et se livre volontairement à sa passion. C'est chez elles
une rage telle, que souvent elles se perchent sans aucune crainte sur la tête de
l'oiseleur.
[5] S'il se dirige du côte du nid,
la mère se présente à ses pieds; elle feint d'être lourde ou estropiée: prenant
un moment sa course ou son vol, elle tombe comme si elle avait une patte ou une
aile cassée, puis se remets fuir, lui échappant quand il va la saisir, et
trompant son espérance jusqu'à ce quelle l'ait emmené loin de sa couvée. Quand
elle est délivré de sa crainte et que son inquiétude maternelle est dissipée,
elle se couche sur le dos dans un sillon, prend une motte de terre dans ses
pattes, et se tient cachée. On pense que la vie des perdrix va jusqu'à seize
ans.
LII. (XXXIV) [1] Après les perdrix, c'est dans les pigeons qu'on remarque surtout l'ardeur
amoureuse : mais la chasteté est la première de leurs qualités. L'adultère est
inconnu chez eux. Fidèle à la foi conjugale, chaque couple demeure dans le
domicile commun. Nul ne déserte le nid que veuf ou veuve. Les femelles
supportent le caractère impérieux et parfois les injustices des mâles; car ils
les suspectent d'adultère, et elles en sont incapables. Alors ils ont le cou
gonflé par la menace, et ils donnent de cruels coups de bec: puis, s'apaisant,
ils réparent leurs torts par des baisers; et pour obtenir les faveurs de la
femelle. Ils la flattent en tournant plusieurs fois autour d'elle.
[2] Le mâle et la femelle ont un
égal amour pour leur progéniture ; et c'est souvent à cause de correction, la
femelle se rendant trop lentement auprès de ses petits. Pendant qu'elle pond le
mâle lui donne des consolations et lui rend les services. Ils crachent dans le
bec de leurs petits de la terre un peu salée qu'ils ont amassée dans leur gorge,
les préparant ainsi à recevoir de la nourriture. Une particularité des pigeons
et des tourterelles, c'est de ne pas renverser le cou en buvant, et d'avaler de
suite, comme les bêtes à somme.
[3]
(XXXV) Nous lisons dans des auteurs quel les ramiers vivent trente ans, et
quelquefois quarante, sans autre incommodité que l'éloignement de leurs ongles,
qui sont ainsi l'indice de leur vieillesse, et qu'on peut couper sans danger. Le
chant de tous ces oiseaux est semblable et uniforme; il est composé de trois
notes, et en outre, a la fin, d'un gémissement : muets en hiver, ils reprennent
de la voix au printemps. Nigidius pense qu'un ramier qui couve déserte son nid
si on le nomme sous le toit où il est logé. Ils pondent après le solstice d'été.
[4] La pigeons et
les tourterelles vivent huit ans. (XXXVI). Le moineau, qui n'a pas moins de
salacité, à la vue la plus courte. On dit que les mâles ne durent pas plus d'un
an : on se fonde sur ce qu'aux premiers jours du printemps le bec ne présente
pas la tache noire qui commence à paraître en été. Les femelles vivent un peu
plus de temps.
[5] Les pigeons ont un certain
sentiment même de la gloire; ils semblent connaître les couleurs de leur plumage
et les nuances variées qu'il offre, et même dans leur vol, ils cherchent à
s'applaudir au haut des airs, et à y diversifier leurs sillons. Cette
ostentation les paralyse pour ainsi dire, et les livre à l'épervier; car ce
bruit qu'ils font, n'étant produit que par le battement des ailes, met leurs
plumes en désordre ; autrement quand ils voient librement, ils sont bien pas
rapides que l'épervier. Le brigand, caché dans le feuillage, les guette, et il
les saisit au moment où ils se complaisent dans leur gloire.
[6] (XXXVIII) Pour cette raison, il
faut tenir avec eux l'oiseau nommé crécerelle (Falco tinnunculus, L.) :
il les défend en effet ; et par sa supériorité naturelle il effraye les
éperviers, tellement qu'ils fuient à la vue et au son de sa voix. Aussi les
pigeons ont-ils pour cet oiseau un attachement particulier; et l'on dit que si
on enterre aux quatre coins du colombier des crécerelles dans des pots neufs
bien lutés, les pigeons ne changent pas de lieu: résultat que quelques-uns ont
obtenu en leur coupant les articulations des ailes avec un instrument d'or;
autrement l'opération serait dangereuse. Les pigeons sont, en effet, très portés
au changement; ils ont entre eux l'art de se gagner et de se séduire, et on les
voit revenir avec des compagnons qu'ils ont débauchés.
LIII. [1] Ils
ont servi de messagers dans des affaires importantes: Décimus Brutus, assiégé
dans Modène, fit parvenir dans le camp des consuls des lettres attachées aux
pattes de ces oiseaux. A quoi servirent a Antoine ses retranchements, la
vigilance de l'armée assiégeante, et même les filets tendus dans le fleuve,
puisque le courrier traversait les airs? Beaucoup de gens ont une passion pour
les pigeons; ils leur bâtissent des tours au-dessus des toits, ils racontent la
généalogie et la noblesse de chaque individu. Au reste, l'exemple de cette
passion est déjà ancien : L. Axius, chevalier romain, avant la guerre civile de
Pompée, vendit ses pigeons quatre cents deniers (338 fr.) la paire; c'est ce que
rapporte M. Varron (De re rust, III, 7). Des contrées même sont renommées
pour ces oiseaux: les plus gros passent pour venir de Campanie.
LIV. (XXXVIII) [1]
Le vol des pigeons me fait songer à parler aussi du vol des autres oiseaux. Le
reste des animaux a une démarche déterminée, qui est toujours la même pour
chaque espèce : les oiseaux seuls ont deux manières de se mouvoir, une sur la
terre, et l'autre dans l'air. Quelques-uns marchent, comme les corneilles;
d'autres sautent, comme les moineaux et les merles; courent, comme les perdrix
et les bécasses; jettent un pied en avant, comme les cigognes et les grues. Dans
le vol, les uns étendent les ailes, et, planant, ne les meuvent qu'a de rares
intervalles; les autres les meuvent plus souvent, mais ils n'en font aller que
l'extrémité; d'autres déploient toute leur envergure; quelques-uns volent en
serrant en grande partie leurs ailes: après avoir frappé l'air une fois, et
d'autres deux fois, ils s'enlèvent comme pour comprimer l'air renfermé sous
leurs ailes, et s'élancent dans une direction verticale, horizontale ou oblique.
Il y en a qui semblent être lancés; d'autres paraissent tomber du haut des airs,
d'autres bondir.
[2] Les canards et les oiseaux de
même espace s'enlèvent seuls immédiatement en haut, et gagnent aussitôt le ciel,
et cela même en partant de la surface de l'eau; aussi sont-ils les seuls qui
s'échappent des fosses dans lesquelles on prend les bêtes fauves. Le vautour et
les oiseaux pesants ne peuvent prendre leur vol qu'en se donnant de l'élan par
la course, ou en s'élançant du haut d'un tertre. La queue sert de gouvernail (X,
12).
[3] Il en est qui voient tout autour
d'eux, d'autres qui tournent le cou pour regarder; quelques-uns mangent en l'air
la proie saisie avec les pattes; beaucoup ne voient pas sans crier, ou, au
contraire, sont toujours silencieux pendant le vol. Ils volent droits, penchés,
de travers, sur le côté, la tête en bas, quelques-uns même sur le dos;
[4] à tel point que, si on en voit
plusieurs espèces ensemble, elles ne paraissent pas cheminer dans le même
élément.
LV. (XXXIX) [1]
Les oiseaux appelés apodes (le martinet, hirundo apus), parce qu'ils ne
se servent pas de leurs pieds, voient le plus; d'autres les appellent cypselles
: c'est une espèce d'hirondelles. Ils nichent dans les rochers; ce sont eux
qu'on voit partout en mer : quelles que soient la longueur et la continuité de
la navigation, Jamais vaisseau ne s'éloigne assez de la terre pour qu'on ne les
voie pas voltiger alentour. Les autres oiseaux se perchent et s'arrêtent; pour
ceux-la point de repos, si ce n'est dans le nid: ils sont toujours ou volant ou
couchés.
LVI. (XL) [1]
Les instincts des oiseaux ne sont pas moins variés, surtout pour chercher leur
nourriture. On appelle caprimulgae (l'engoulevent, caprimulgus europaeus,
L.) un oiseau qui ressemble à un gros merle; c'est un voleur nocturne, car il
est privé de la vue pendant le jour. Il entre dans les étables des pasteurs, et
va saisir les mamelles des chèvres pour sucer leur lait. Son attouchement
dessèche la mamelle, et la chèvre qu'il a ainsi traite devient aveugle. Celui
qu'on nomme platée (la spatule, platulea leucorodia) poursuit les oiseaux
qui plongent dans la mer, il leur mord la tête Jusqu'a et qu'il leur extorque
leur butin. Le même oiseau se remplit de coquillages, la chaleur de son ventre
les amollit; il les revomit, et alors il choisit ce qui est bon à manger,
rejetant les coquilles.
LVII. (XLI) [1]
Les poules de basse-cour ont même des pratiques religieuses : elles se hérisse
après avoir pondu, elles se secouent, et, en tournant alentour, se purifient,
elles et leurs oeufs, avec un fétu de paille. (XLII) Les plus petits des
oiseaux, les chardonnerets, exécutent les commandements non seulement avec leur
voix, mais encore avec leur pied et leur bec, qui leur servent de mains. Dans le
territoire d'Arles il est un oiseau qui imite les mugissements des boeufs; on
l'appelle taureau (le butor) ; du reste, il n'est pas gros. Un oiseau nommé anthus (le bruant) imite le hennissement du cheval; chassé des pâturages par
l'arrivée de chevaux, il les contrefait et c'est ainsi qu'il se venge.
LVIll. [1]
Ceux qui imitent le mieux la voix humaine sont les perroquets, qui suivent même
une conversation. L'Inde nous envoie cet oison, qu'elle appelle sittacé; il a
tout le corps vert, et seulement un collier rouge (la perruche verte à collier).
Il salue les empereurs, et prononce les paroles qu'on lui a apprises. Le vin
surtout le met en gaieté. Sa tête est aussi dure que son bec. Quand on lui
apprend à parler, on lui frappe le bec avec une baguette de fer; autrement il ne
sent pas les coups. Lorsqu'il s'abat, il se remit sur son bec, il s'appuie
dessus, et se rend ainsi plus léger pour ses pieds, qui sont faibles.
LIX. [1]
Les pies sont moins renommées, parce qu'elles ne viennent pas de loin; mais elles parlent plus et mieux. Elles
aiment à prononcer des paroles: non seulement elles apprennent, mais elles se
plaisent à apprendre ; elles étudient intérieurement; elles montrent, par leur soin
et leur application, tout l'intérêt qu'elles y portent. Il, est certain que des pies
sont mortes des efforts que leur coûtait un mot difficile. La mémoire leur fait
défaut, si de temps en temps elles n'entendent pas les mêmes paroles; et pendant
qu'elles cherchent elles témoignent une joie extraordinaire si le mot qui leur manque
vient à frapper leur oreille. Leur forme, sans être remarquable, n'est pas
non plus vulgaire.
[2] La faculté d'imiter le langage humain leur donne assez de beauté.
On prétend que l'espèce seule qui se nourrit de gland (geai, corvus glaudarius. L.) peut apprendre à
parler ; que dans cette dernière espèce celles qui ont cinq doigts aux pieds
apprennent avec plus de facilité, et que celles-la même ne s'instruisent que
les deux
premières années de leur vie. Les pies ont une langue large, ainsi que dans chaque
espèce tous ceux qui imitent le langage humain. Au reste, presque tous les oiseaux
sont en état de le faire. Agrippine, femme de l'empereur Claude, avait (ce qui ne
s'était jamais vu) une grive qui imitait le langage humain, au moment où
j'écrivais
ceci.
[3] Les jeunes Césars Britannicus et
Néron avaient un étourneau et des rossignols apprenant à parler grec et latin, de
plus étudiant chaque jour, et prononçant incessamment de nouvelles paroles, et même
des phrases assez longues. On instruit les oiseaux dans un lieu retiré, et où aucune
autre voix ne se fait entendre; le maître, assis à côté, répète fréquemment ce
qu'il veut graver dans leur mémoire,
et leur donne des aliments qui les flattent.
LX. (XLIII) [1] Rendons aussi justice aux corbeaux, dont le mérite a été attesté non seulement par
le sentiment du peuple romain, mais aussi par son indignation.
Sous le règne de Tibère, un petit, né dans un nid placé sur le temple des Dioscures,
tomba dans une boutique de cordonnier située vis-à-vis : la religion même le
recommandait au maître de la boutique. L'oiseau, habitué de bonne heure à
parler, s'envolait tous les matins sur la tribune, et, tourné vers le forum,
il saluait nominativement Tibère, puis les Césars Germanicus et Drusus, puis le
peuple qui passait sur la place; après, il retournait dans la boutique. Son
assiduité fit pendant plusieurs années l'admiration générale.
[2] Un cordonnier
voisin le tua, soit par jalousie, soit par un accès soudain de colère, comme il
voulut le faire croire, parce que l'oiseau lui avait sali des chaussures par ses
excréments. La multitude en conçut tant de fureur, que d'abord elle chassa de ce
quartier, puis tua le coupable. Une foule innombrable assista aux funérailles
solennelles de l'oiseau; le lit funéraire fut porté sur les épaules de deux
Éthiopiens précédés d'un joueur de flûte, avec des couronnes de toute espèce,
jusqu'au bûcher, qui était élevé à la droite de la voie Appienne, à deux milles
de Rome, dans le champ appela Rediculus.
[3] Ainsi le talent d'un oiseau parut au
peuple romain une juste cause de faire des funérailles solennelles, ou de punir
de mort un citoyen, dans une ville où aucun cortège n'avait suivi le convoi de
tant d'hommes remarquables, et où personne n'avait vengé la mort de
Scipio Émilien, destructeur de Carthage et de Numance. Ce fait se passa sous te consulat
de M. Servilius et de C. Cestius, le 5 avant les kalendes d'avril (28 mars).
Aujourd'hui même, au moment où j'écris, il y a dans Rome une corneille qui
appartient à un chevalier romain : elle vient de le Bétique. Remarquable par sa
couleur absolument noire, elle prononce en outre des phrases entières, et chaque
jour elle en apprend de nouvelles.
[4] Récemment on a parlé de Craterus,
surnommé Monoceros, qui, dans l'Erizène, contrée d'Asie, chassait à l'aide de
corbeaux. Il les portait dans les forêts, perchés sur les aigrettes de son
casque et sur ses épaules; les corbeaux cherchaient le gibier, et le faisaient
lever; l'habitude en était tellement prise, que dans ses parties de chasse il
était accompagné même par les corbeaux sauvages. Des auteurs ont cru digne de
mémoire le fait suivant : Un corbeau altéré fut aperçu jetant des pierres dans
une urne funéraire, où de l'eau de pluies était amassée; l'oiseau n'y pouvait
pas atteindre, et il craignait de descendre au fond du vase. Par cet amas de
pierres il fit monter assez l'eau pour boire.
LXI. (XLIV) [1]
Je ne passerai pas non plus sous silence les oiseaux de Diomède. Juba les
appelle cataractes; il dit qu'ils ont des dents, les yeux d'une couleur de feu,
le plumage blanc; qu'ils ont toujours deux chefs, l'un pour guider la troupe,
l'autre pour rester à l'arrière-garde; qu'ils creusent des trous avec leur bec,
qu'ils les couvrent d'une claie, par-dessus laquelle ils jettent la terre tirée
de l'excavation ; que c'est là qu'ils font leurs petits; que tous les trous ont
deux portes, l'une regardant l'orient, par laquelle ils vont chercher leur
nourriture, et l'autre regardant l'occident, par laquelle ils rentrent; que pour
se vider ils prennent toujours leur vol et vont contre le vent. Ces oiseaux ne
se voient que dans un seul lieu de l'univers entier :
[2] c'est une île que nous avons dit
(III, 29) être célèbre par le tombeau et le temple de Diomède; elle est située
en face de la côte de l'Apulie. Ces oiseaux sont semblables aux foulques; ils
poursuivent de leurs clameurs les barbares étrangers; ils ne flattent que les
Grecs, paraissant attribuer, par.une merveilleuse distinction, cet hommage aux
compatriotes de Diomède. Chaque jour, remplissant leur gosier d'eau et
s'imbibant les plumes, ils vont laver et purifier le temple. De la vient la
fable de la métamorphose des compagnons de Diomède en oiseaux.
LXII. (XLV) [1]
Nous ne devons pas omettre, puisque nous parlons des instincts, que les
hirondelles parmi les oiseaux, et les rats parmi les animaux terrestres, sont
indociles, tandis qui les éléphants obéissent aux ordres qu'ils reçoivent, que
les lions subissent le joug, et que les veaux marins (IX, 15); et tant d'espèces
de poissons s'apprivoisent.
LXIII. (XLVI) [1]
Les oiseaux boivent en humant; ceux qui ont un long cou se reprennent,
renversant la tête comme s'ils versaient l'eau dans leur corps. Le porphyrion
(la poule sultane, fulica porphyrio, L.) seul boit en mordant; le même
oiseau est dans l'habitude de tremper de temps en temps dans l'eau ses aliments,
et de les porters à son bec avec sa patte comme avec une main: les plus renommés
sont dans la Commagène; leur bec et leurs jambes, très longues, sont rouges.
LXIV. (XLVII) [1]
Les jambes sont rouges aussi chez l'haematopode, beaucoup moins gros, quoiqu'il
soit aussi haut sur pattes : il naît en Égypte, il a trois doigts aux pieds; il
se nourrit principalement de mouches. Transporté en Italie, il y meurt en peu de
jours.
LXV. [1] Les
oiseaux pesants sont tous frugivores : les oiseaux de haut vol ne se nourrissent
que de chair. Parmi les oiseaux aquatiques, les plongeons mangent ce que les
autres rendent.
LXVI. [1] Les onocrotales
(le pélican, pelicanus onocrotalus, L.) ressemblent aux cygnes; et on n'y
trouverai aucune différence s'ils n'avaient pas à la gorge même une espèce de
premier ventre. C'est là que cet animal insatiable entasse tout, et la capacité
de cette poche est étonnante; puis ayant achevé sa provision, il la ramène peu à
peu dans son bec, et la fait descendre, par une sorte de rumination dans le
ventre véritable. La partie de la Gaule le plus voisine de l'océan septentrional
produit cet oiseau.
LXVII. [1] Dans la foret
Hercynienne de la Germanie nous avons ouï parler d'espèces singulières d'oiseaux
(le jaseur? ampelis garrulus, L); leurs plumes brillent pendant la nuit
comme du feu. Les autres oiseaux de Cette contrée n'ont rien de remarquable que
le renom que leur donne l'éloignement. (XLVIII) Dans Séleucie des Parthes et en
Asie sont les phalérides, les plus renommés des oiseaux aquatiques. Dans la
Colchide sont les faisans, qui ont aux oreilles une touffe de plumes qu'ils
abaissent et relèvent. Dans la Numidie, partie de l'Afrique, sont les poules de
Numidie, (espèce de pintade, numida meleagris, L.). Tous ces oiseaux sont
déjà en Italie.
LXVIII. [1]
Apicius, le plus prodigue de tous les gourmands, a enseigné que la langue du
phénicoptère (le flamand) était d'un goût exquis. On vante surtout l'attagen
d'Ionie (gelinotte commune, tetrao bonasia, L.) : cet oiseau, qui a de la
voix, devient muet en captivité. On le comptait jadis parmi les oiseaux rares;
maintenant on le prend dans la Gaule, en Espagne, et même dans les Alpes. Dans
ces contrées se trouvent aussi le phalacrocorax (le cormoran, pelicanus
carbo, L. ), particulier aux îles Baléares, comme l'est aux Alpes le
pyrrhocorax (chocard des Alpes, corvus pyrrhocorax, L. ), noir avec le bec
jaune; le lagopède (perdrix de neige; tetrao lagopus, L.), qui a une
saveur excellente: les pattes de cet oiseau, couvertes d'un poil de lièvre, lui
ont fait donner ce nom ; du reste il est blanc, et de la grosseur des pigeons;
[2] il n'est pas facile d'en manger
hors du pays, car il ne s'apprivoise pas, et tué il se gâte aussitôt. Il y a un
autre oiseau qui porte le même nom, qui ne diffère de la caille que par sa
taille; il est de couleur safranée (le lagopède en été); c'est un excellent
manger. Egnatius Calvinus, préfet des Alpes, prétend avoir vu dans ces montagnes
l'ibis (ibis noir des anciens, scolopax falcinellus, L. ), particulier à l'Égypte.
LXIX. (XLIX) [1]
Lors des guerres civiles de Bébriac vinrent en Italie au delà du Pô les nouveaux
oiseaux (perdrix grises); on leur donne ce nom encore aujourd'hui; ils ont
l'apparence de grives, presque aussi gros que des pigeons, et d'un goût
agréable. Les îles Baléares produisent un porphyrion (poule sultane) encore plus
renommé que celui dont il a été question (X, 63). Dans ce pays le butéon (la
buse), de l'espèce des éperviers, est recherché aussi sur les tables; il en est
de même des vipions (la grue demoiselle, ardea virgo, L ): c'est le nom
qu'on donne à une petite grue (XI, 14 ).
LXX. [1] Je regarde comme
fabuleux les pégases, oiseaux à tête de cheval, et les griffons au bec crochu,
aux longues oreilles, attribués les uns à la Scythie, les autres à l'Éthiopie.
J'en dis autant du tragopan, que plusieurs assurent être plus grand qu'un aigle,
avec des cornes recourbées sur les tempes, un plumage couleur de fer, excepté la
tête, qui est pourpre. Les sirènes non plus n'obtiendront pas grâce, bien que Dinon, père d'un auteur célèbre, de Clitarque, affirme qu'il y en a dans l'Inde,
et qu'elles charment et endorment par leur chant les hommes, pour les déchirer
pendant leur sommeil.
[2] Celui qui croira ces contes ne
refusera pas non plus de croire que les dragons, en léchant les oreilles de Mélampus, lui communiquèrent l'intelligence du langage des oiseaux; il ajoutera
foi au dire de Démocrite nommant les oiseaux dont le sang mélangé donne
naissance à un serpent, et ajoutant que celui qui mangera ce serpent comprendra
les conversations des oiseaux; il donnera croyance à tout ce que cet auteur
rapporte, de l'alouette huppée en particulier. La doctrine augurale n'est déjà
que trop embarrassée, sans toutes ces rêveries. Homère (Od., V, 66) nomme
les scopés (petit duc, strix scops, L.), espèce d'oiseaux : je ne me
figure pas facilement leurs mouvements moqueurs quand l'oiseleur les pourchasse,
mouvements dont plusieurs font mention. Au surplus, ces oiseaux mêmes ne sont
plus connus, et il vaut mieux parler de ceux dont l'existence n'est pas
contestée.
LXXI.
(L) [1] Les habitants de Délos
ont les premiers engraissé les poules; c'est d'eux que vient cette fureur de
manger des volailles grasses et arrosées de leur propre graisse. Je trouve dans
les anciens règlements somptuaires relatifs aux tables, qu'une loi du consul C. Fannius défendit pour la première fois, onze ans avant la troisième guerre
punique (an de Rome 593), de servir, en fait de volaille, plus d'une poule, et
encore une poule non engraissée; article qui depuis s'est promené dans toutes
tes lois.
[2] Pour éluder la défense, on a
imaginé d'engraisser de jeunes coqs avec des aliments détrempés dans du lait; de
cette façon on les trouve plus délicats. Toutes les poules ne sont pas également
bonnes pour être engraissées; on ne prend que celles dont la peau est grasse au
cou. Ensuite s'exerce l'art du cuisinier pour que les cuisses aient une belle
apparence, que la tête soit fendue le long du dos, et qu'en la tirant par une
patte on lui fasse occuper tout le plat. Les Parthes ont donné aussi leurs modes
aux cuisiniers. Et cependant, malgré tant de savoir-faire, nulle pièce ne plaît
tout entière : ici c'est la cuisse, la c'est l'estomac que l'on vante.
LXXII. [1]
Le premier qui ait établi des volières avec des oiseaux de toute espèce est M. Laenius Strabon, de l'ordre équestre; il les établit à Brindes. Depuis lui, nous
nous sommes mis à resserrer dans une prison des animaux à qui la nature avait
assigné le ciel. (LI) L'histoire la plus fameuse en ce genre est celle du plat
de Clodius Aesopus, l'acteur tragique; on évalua ce plat (XXXV, 46) à 100,000
sesterces (21, 000 fr.).
Il ne l'avait composé que d'oiseaux chanteurs et imitant la voix humaine,
achetés chacun au prix de 6,000 sesterces (1,260 fr.) sans autre attrait que
celui de manger en eux une imitation de l'homme, et sans égard pour cette
fortune splendide que sa voix lui avait gagnée, digne père du fils qui,
avons-nous dit (IX, 59), avala des perles. A dire vrai, il ne serait pas facile
de juger a qui des deux revient le prix de la honte, à moins cependant qu'on ne
pense qu'il y en a moins à dîner avec les joyaux les plus précieux du monde,
qu'avec des langues parlant le langage humain.
LXXIII.
(LII) [1] La génération des oiseaux paraît simple,
tout en ayant aussi des merveilles Au reste, il y a aussi des quadrupèdes qui
pondent des œufs, les caméléons; les lézards, et ceux dont nous avons parlé
(VIII, 37) parmi les serpents. Des oiseaux, ceux qui ont les ongles cet soit peu
féconds; la crécerelle (falco tinnunculus, L.), seule de ce genre, pond
plus de quatre oeufs. La nature a voulu que les oiseaux fuyards fussent plus
féconds que les oiseaux courageux. Les autruches, les poules, les perdrix,
pondent beaucoup d'oeufs. Les oiseaux n'ont que deux modes d'accouplement : ou
la femelle s'accroupit comme la poule, ou elle se tient debout comme la grue.
LXXIV.
[1] Des œufs, les uns sont
blancs, comme chez les pigeons et les perdrix; les autres sont pâles, comme ceux
des oiseaux aquatiques; d'autres tachetés, comme chez les méléagrides
(pintades); d'autres rouges, comme chez les faisans et la crécerelle. Dans
l'intérieur, tout œuf d'oiseau est de deux couleurs; ceux des oiseaux aquatiques
ont plus de jaune que de blanc, et le jaune est plus pâle. Les œufs des poissons
sont d'une seule couleur, n'ayant point de blanc. Les oeufs des oiseaux sont
fragiles, à cause de la chaleur de animaux; ceux des serpents, dont la nature
est froide, sont souples; ceux des poissons, à cause de l'humidité, sont mous.
[2] Les œufs des oiseaux aquatiques
sont ronds; les autres sont généralement allongés par le sommet. Ils sortent par
le gros bout; au moment de la ponte, la coquille en est molle; elle se durcit
aussitôt, à mesure que l'oeuf sort. Horace (II, Sat. IV, 12) pense que
les oeufs oblongs sont d'un goût plus agréable. Les œufs arrondis produisent des
femelles; les autres, des mâles. Au sommet des œufs est l'ombilic; sous la forme
d'une goutte qui surnage dans la coquille.
(LIII) Quelques oiseaux s'accouplent et pondent, comme les poules, en tout
temps, excepté les deux mois du solstice d'hiver.
[3] Les jeunes poules, pondent des
œufs plus nombreux mais plus petits que les vieilles; dans une même ponte les
plus petits sont les premiers et les derniers. Au reste, leur fécondité est
telle, que quelques-unes pondent jusqu'à soixante œufs; quelques-unes en donnent
tous les jours, quelques-unes deux ; quelques-unes en si grand nombre, qu'elles
meurent épuisées. Les poules d'Adria sont les plus renommées.
[4] Les pigeons font dix
pontes par an; quelques-uns en font onze; en Égypte, ils pondent même pendant le
mois du solstice d'hiver. Les hirondelles, les merles, les ramiers et les
tourterelles, pondent deux fois par an; les autres oiseaux ne pondent guère
qu'une fois par an. Les grives, qui font au sommet des arbres, avec de la boue,
leurs nids presque contigus, engendrent dans la retraite.
[5] Dix jours après l'accouplement,
les œufs mûrissent dans l'ovaire; mais quand on tourmente les poules et les
pigeons en leur arrachant les plumes, ou d'une autre façon, cette maturation est
retardée. Au milieu du jaune de tous les œufs est comme une gouttelette de sang,
qu'on croit être le coeur des oiseaux, organe qu'on regarde comme formé le
premier chez tous les animaux : toujours est-il que dans l'oeuf cette goutte
saute et palpite. Le corps même de l'animal se constitue aux dépens du blanc de
l'oeuf; il a son aliment dans le jaune. Tous dans la coquille ont la tête plus
grosse que le reste du corps, les yeux fermés, et plus gros que la tête. A
mesure que le petit croît, le blanc passe au milieu, et le jaune se répand à la
circonférence. Au vingtième jour, si on remue l'oeuf, on entend dans la coquille
la voix de l'oiseau, qui est déjà vivant. A partir de cette époque, les plumes
lui poussent: il est placé de telle façon qu'il a la tête sur la patte droite,
et l'aile droite sur la tête.
[6] Le jaune tarit peu à peu. Tous
les oiseaux naissent par les pattes; contrairement à ce qui est pour les autres
animaux. Quelques poules pondent toujours des oeufs à deux jaunes, et parfois
deux petits éclosent à la fois, l'un plus grand que l'autre, d'après Celse;
d'autres auteurs nient la naissance de ces poussins jumeaux. On défend de donner
à une poule plus de vingt-cinq oeufs à couver. Elles commencent à pondre après
le solstice d'hiver. La meilleure couvée est avant l'équinoxe du printemps. Les
petits nés après le solstice d'été n'atteignent pas leur grandeur naturelle, et
il s'en faut d'autant plus qu'ils sont venus plus tard.
LXXV. (LIV) [1]
Les oeufs les meilleurs à faire couver sont ceux qui ont dix jours; vieux ou
trop frais; ils sent inféconds. Il faut les mettre en nombre impair. Le
quatrième jour après le commencement de l'incubation, si, tenant d'une main un
oeuf par les deux bouts, on l'examine à contre-jour, et qu'on le trouve clair et
d'une seule couleur, il faut regarder cet oeuf comme stérile, et en substituer
un autre. On fait aussi l'expérience dans l'eau: l'oeuf clair surnage; c'est
donc ceux qui vont au fond, c'est-à-dire qui sont pleins, qu'il faut donner à la
poule. On défend de les secouer pour les éprouver; car alors ils ne produisent
plus, les veines nécessaires à la vie ayant été confondues. L'incubation doit
commencer après la nouvelle lune; usant, les oeufs n'éclosent pas.
[2] L'échelon est plus rapide
pendant les jours chauds: en été, le petit sort au dix-neuvième jour; en hiver,
au vingt-cinquième. S'il vient à tonner pendant l'incubation, les oeufs
périssent; ils se gâtent aussi par le cri de l'épervier. Le remède contre
l'action du tonnerre est de mettre sous la paille où sont les oeufs un clou de
fer, ou de la terre provenant d'une charrue. Des oeufs peuvent même sans
incubation, par l'action spontanée de le nature, comme en Égypte dans les
fumiers On connaît l'histoire d'un certain Syracusain qui avait coutume de boire
jusqu'à ce que les oeufs couverts de terre fussent éclos.
LXXVI. [1]
Bien plus, lis peuvent être couvés par l'homme. (LV) Livie, dans sa première
jeunesse, étant grosse de Tibère, du fait de Néron, et désirant extrêmement
mettre au made un garçon, usa de cet augure usité parmi les jeunes ferme; elle
porta un oeuf dans son sein, et, lorsqu'ils était obligée de le quitter, elle le
donna à sa nourrice, pour qu'il n'y eût pas d'interruption dans la chaleur. On
dit que cet augure ne la trompa pas.. C'est de là peut-être qu'est venue cette
invention récente de chauffer par un feu modéré des oeufs mis sur de la paille,
dans un lieu naturellement chaud. Un homme les retourne, et ils éclosent tous à
la fois à jour fixe.
[2] On cite l'habileté d'un certain
nourrisseur de poules qui, à la vue d'un oeuf, disait de quelle poule il
provenait. On raconte aussi qu'une poule étant morte les coqs prirent
successivement sa place et remplirent tous le rôle d'une couveuse, s'abstenant:
même de chanter. Ce qu'il y a de plus curieux à voir, c'est une poule à laquelle
on a fait couver des oeufs de canne. D'abord elle ne connaît pas ses poussins,
puis elle appelle avec inquiétude cette couvée dont elle n'est pas sûre; enfin
elle se lamente autour de l'étang, où, guidés par la nature, ils vont se
plonger.
LXXVII. (LVI) [1]
Les bonnes poules se reconnaissent à leur crête droite, parfois double; à leur
bout d'aile noir, à leur bec rouge, à leurs doigts inégaux, et parfois à un
doigt placé transversalement sur les quatre autres. Pour les cérémonies
religieuses, celles qui ont les pattes et le bec jaunes ne sont pas regardées
comme pures; on choisit des poules noires pour les sacrifices de la Bonne
Déesse. Il y a aussi une espèce naine qui n'est pas stérile, ce qu'on en voit
chez aucun autre oiseau; mais rarement ces naines pondent à époque fixe, et leur
incubation est nuisible aux oeufs.
LXXVIII. (LVII) [1]
La pépie est très funeste à toute l'espèce, surtout entre le temps de la moisson
et celui de vendange: le remède, c'est de les mettre à la diète et de les
exposer aux fumigations, surtout aux fumigations de laurier et de sabine (XXIV,
61); de leur passer une plume transversalement dans les narines, et de la
mouvoir tous les jours; de les nourrir avec de l'ail mêlé à du blé (IX, 22, 6),
ou d'aliments détrempés avec de l'eau dans laquelle on aura plongé une chouette,
ou mis avec de la semence de vigne blanche. Il y encore quelques autres
recettes.
LXXIX. [1] Les
pigeons offrent la particularité de préluder par des baisers à l'accouplement.
Ils pondent ordinairement deux oeufs, la nature voulant que parmi les oiseaux la
ponte soit plus fréquente chez les uns, plus nombreuse chez les autres. Les
ramiers et les tourterelles pondent généralement trois oeufs. Ils ne font que
deux pontes au printemps, et encore n'est-ce qu'autant que la première aura été
perdue; et quoiqu'ils pondent trois oeufs, ils n'ont cependant jamais plus de
deux petits. Le troisième oeuf, qui est stérile est appelé urinum. Le
ramier femelle couve depuis midi jusqu'au matin, le mâle pendant le reste du
temps.
[2] Les pigeons produisent toujours
un mâle et une femelle; le mâle vient le premier, la femelle vient le lendemain.
Dans cette espèce, les deux individus couvent, le mâle pendant le jour, la
femelle pendant la nuit. Les oeufs éclosent le vingtième jour; la femelle pond
cinq jours après l'accouplement. En été, ces oiseaux élèvent quelquefois trois
couples en deux mois; car leurs oeufs éclosent au dix-huitième jour, et la
conception se fait aussitôt après : aussi trouve-t-on souvent des oeufs parmi
les petits; les uns s'envolent, les autres éclosent. A leur tour les petits
produisent à cinq mois; et même les femelles, si elles n'ont pas de mâle, se
cochent entre elles, et pondent des oeufs clairs qui ne produisent rien : les
Grecs appellent ces oeufs hypénémiens (oeufs de vent).
[3] (LIX) Le paon produit à trois
ans; la première année il pond un ou deux oeufs; la seconde, quatre ou cinq; les
autres, douze: il ne dépasse pas ce nombre. Il pond ses oeufs à deux ou trois
jours d'intervalle, et trois fois par an, si on les donne à couver à des poules.
Les mâles brisent les oeufs, pour jouir des couveuses; aussi c'est la nuit et
dans des cachettes qu'elles pondent, perchées sur des juchoirs élevés; et les
oeufs se brisent, si on ne les reçoit sur quelque chose de mou. Un mâle suffit à
cinq femelles. Quand il n'en a qu'une ou deux, l'oeuvre de la génération est
empêchée par la salacité. Les oeufs éclosent le vingt-septième jour, ou au plus
tard le trentième.
[4] Les oies s'accouplent dans l'eau
; elles pondent au printemps, ou, quand elles s'accouplent en hiver, quarante
jours environ après le solstice; deux fois par an si on fait couver par des
poules la première ponte. Le plus grand nombre d'oeufs est de seize; le plus
petit, de sept. Si on leur enlève leurs oeufs, elles pondent jusqu'à crever.
Elles ne couvent pas des oeufs étrangers. Ce qu'il y a de mieux, c'est de leur
donner à couver neuf ou onze oeufs. Les femelles couvent seules, et pendant
trente jours; vingt-cinq, si c'est dans la chaleur.
[5] Le contact de l'ortie est mortel
pour leurs petits, et leur propre avidité ne leur est pas moins funeste, tantôt
par l'excès de nourriture qu'Ils prennent, tantôt par leur propre violence; car
il arrive que, saisissant une racine et s'efforçant de l'arracher, ils se
brisent le cou. Le remède contre l'ortie est de mettre la racine de cette plante
sous la paille de leur nid.
[6] (XL) Il y a trois espèces de
hérons: le blanc, l'astérias, le pellos (foncé). Ces oiseaux éprouvent de vives
douleurs dans l'accouplement. Les mâles jettent du sang par les yeux en poussant
des cris, et les femelles ne pondent pas avec moins de souffrance. L'aigle couve
pendant trente jours, ainsi que la plupart des gras oiseaux ; ceux qui sont
moins gros couvent pendant vingt jours, tels que le milan et l'épervier. L'aigle
ne pond guère qu'un oeuf, jamais plus de trois. L'oiseau appelé aegolios
(l'effraye, strix flammea, L.) en pond quatre ; le corbeau en pond
quelquefois jusqu'à cinq ; il couve autant de jours que le milan.
[7] Pendant que la corneille couve
le mâle la nourrit. La pie en pond neuf, le mélancoryphe (X, 44)en pond plus de
vingt, toujours en nombre impair; aucun autre oiseau n'en pond davantage, tant
la fécondité est plus grande dans les petites espèces. Les petits de
l'hirondelle sont d'abord aveugles, ainsi que ceux de presque tous les oiseaux.
dont la progéniture est nombreuse.
LXXX. [1] Les
oeufs clairs, que nous nommons hypènémiens (X, 79), proviennent de femelles qui
s'excitent entre elles par un semblant d'accouplement, ou en se roulant dans la
poussière; ce ne sont pas les pigeons seulement, mais encore les poules, les
perdrix, les paons, les oies et les chénalopex (X, 29): ces oeufs sont stériles,
plus petits, d'un goût moins agréable, et plus humides. Quelques-uns pensent
qu'ils sont engendrés par le vent; c'est pour cela qu'on les appelle encore
zéphyriens. Ces oeufs, que d'autres ont appelés cynosures, ne se produisent
qu'au printemps, et quand la couvaison a été abandonnée. Les oeufs macérés dans
le vinaigre se ramollissent tellement qu'on peut les faire passer par une bague.
La farine de fèves, la paille en hiver, le son en été, sont les meilleurs moyens
de les conserver. On croit que dans le sel ils deviennent vides.
LXXXI. (LXI) [1]
Parmi les volailles, la chauve- souris est le seul qui soit vivipare; elle est
aussi le seul qui ait les ailes membraneuses; seule aussi elle allaite ses
petits en leur donnant la mamelle. La mère vole tenant ses deux petits
embrassés, et les porte avec elle. On dit que la chauve-souris n'a qu'une
articulation aux membres inférieurs, et qu'elle est très friande de moucherons.
LXXXII. (LXII) [1]
Parmi les animaux terrestres, les serpents, de la génération desquels il n'a pas
encore été parlé, sont ovipares. Ils s'accouplent en s'embrassant, et ils
s'entrelacent tellement, qu'on pourrait les prendre pour un animal unique
bicéphale. La vipère mâle enfonce sa tête dans la gueule de la femelle, et
celle-ci la ronge dans le transport du plaisir. Des animaux terrestres, la
vipère est le seul qui produise dans son intérieur des oeufs d'une seule
couleur, et mous comme ceux des poissons.
[2] Le troisième jours les petits
éclosent dans l'utérus; puis elle en enfante un chaque jour, jusqu'au nombre de
vingt environ : les demlers, impatients de ces lenteurs, déchirent ses flancs et
la tuent. Les autres serpents pondent des oeufs attachés les uns aux autres, et
les couvent dans la terre. Les petits éclosent l'année suivante. Le crocodile
mâle et la femelle couvent alternativement. Mais faisons connaître aussi la
génération des autres animaux terrestres.
LXXXIII. (LXIII) [1]
Le seul des bipèdes qui soit vivipare est l'homme; seul aussi il se repent du
premier coït : tel est donc le présage de la vie, un repentir. Les autres
animaux ne font l'amour qu' à des époques déterminées de l'année; l'homme,
avons-nous dit (VII, 4), à toutes les heures du jour et de la nuit; les autres
s'en rassasient, l'homme en est presque insatiable. Messaline, mère de
l'empereur Claude, jugeant cette peine digne d'une impératrice, choisit pour ce
combat une prostituée des plus renommées parmi celles qui trafiquent de leur
corps, et elle la vainquit en soutenant pendant un jour et une nuit vingt cinq
assauts. Dans l'espèce humaine, les hommes ont des moyens de tromper la passion,
moyens qui tous outragent la nature; et les femmes se font avorter. Combien en
cela nous sommes plus coupables que les bêtes ! Hésiode (Op. et Dies, 584) a
rapporté que les hommes sont plus ardents en hiver, et les femmes en été.
[2] L'accouplement se fait croupe a
croupe chez les éléphants, les chameaux, les tigres, les lynx, les rhinocéros,
les lions, les dasypodes, les lapins, animaux dont les parties génitales
regardent en arrière. Les chameaux recherchent les solitudes, ou du moins les
lieux secrets, et on ne les trouble point sans courir des dangers:
l'accouplement dure un jour entier, ce qui n'arrive qu'à eux parmi tous les
solipèdes. Chez les quadrupèdes, l'odorat excite l'ardeur des mâles. Au milieu
de l'accouplement les chiens, les phoques, les loups, se retournent, et ils
restent attachés malgré eux. Dans la plupart des espèces que j'ai nommées, les
femelles les premières viennent sur le mâle; dans les autres, ce sont les mâles.
[3] Les ours, ainsi que je l'ai dit
(VIII, 54) s'accouplent, couchés comme les hommes; les hérissons, debout tous
deux et s'embrassant; les chats, le mâle debout, et la femelle étendue sous lui;
les renards, couchés sur le côté, et la femelle embrassant le mâle. Les vaches
et les biches, ne supportant pas l'impétuosité du mâle, marchent pendant
l'accouplement. Les cerfs passent successivement à différentes femelles; et
reviennent aux premières. Les lézards s'accouplent en s'entrelaçant comme les
animaux qui n'ont pas de pieds.
[4] Tous les animaux sont d'autant
moins féconds qu'ils sont plus gros. Les éléphants, les chameaux, les chevaux,
ne produisent qu'un petit; le chardonneret, très petit oiseau, en produit douze.
Ceux qui multiplient le plus enfantent le plus vite: plus un animal est gros,
plus il met de temps à se former dans l'utérus. La gestation est d'autant plus
longue que la vie dure plus de temps. Le temps de la croissance n'est pas propre
à la génération. Les solipèdes ne font qu'un petit; ceux dont le pied est fendu
en font deux. Ceux dont les pieds sont divisés en doigts ont une progéniture
plus nombreuse:
[5] ces derniers, tandis que les
autres engendrent des petits bien conformés, n'engendrent que des petits
ébauchés; de ce nombre sont les lionnes (VIII, 17) et les ourses (VIII, 54). Le
renard produit des petits encore plus informes que les précédents, et il est
rare de surprendre la femelle mettant bas. Par la suite, tous ces animaux
échauffent les petits en les léchant, et leur donnent leur configuration; ils
produisent généralement quatre petits.
[6] Les chiens, les loups, les
panthères et les chacals font leurs petits aveugles. Il y a plusieurs espèces de
chiens. Les chiens de Laconie, dans les deux sexes, engendrent au huitième mois
; les femelles portent soixante jours (VIII, 62) ou soixante-trois au plus; les
autres chiennes peuvent s'accoupler dès l'âge de six mois : toutes conçoivent
par un seul accouplement. Celles qui ont été remplies avant l'âge convenable
font des petits qui restent plus longtemps aveugles, mais qui ne le sont pas
tous un nombre égal de jours. On pense que c'est à six mois que les mâles lèvent
la cuisse pour uriner ; c'est l'indice qui ils ont atteint tout leur
accroissement : les femelles urinent en s'accroupissant.
[7] Douze petits forment la portée
la plus nombreuse; en général, il y en a cinq, six, quelquefois un seul , ce
qu'on regarde comme un prodige, de même qu'une portée dans laquelle tout est
mâle ou tout est femelle. Les mâles viennent les premiers au monde; dans les
autres animaux, ils alternent avec les femelles. Les femelles sont couvertes de
nouveau six mois après la mise bas. Les chiennes de Laconie engendrent huit
petits. Dans cette espèce, les mâles ont une ardeur particulière pour la chasse;
ces derniers vivent dix ans, les chiennes douze; les autres espèces, quinze,
quelquefois vingt; elles n'engendrent pas pendant toute leur vie, cette faculté
cesse vers la douzième année. Les chats et les ichneumons, pour le reste comme
les chiens, vivent six ans.
[8] Les dasypodes (VIII, 81)
produisent tous les mois, et sont sujettes à la superfétation comme les hases.
Elles conçoivent immédiatement après avoir mis bas, sans que l'allaitement les
en empêche; leurs petits naissent aveugles. Les éléphants, comme nous avons dit
(VIII, 10), ne produisent qu'un petit, de la grosseur d'un veau de trois mois.
Les chamelles portent douze mois;
à trois ans, elles conçoivent, mettent bas au printemps, et au bout d'un an
deviennent pleines de nouveau. Quant aux cavales, on pense qu'il est avantageux
de les faire saillir trois jours ou même un jour après qu'elles ont fait leur
poulain; et on les y force malgré elles. Pour la femme aussi, on croit quelle
conçoit le plus facilement sept jours après l'accouchement.
[9] On recommande de couper la
crinière des cavales, pour qu'elles supportent l'humiliation d'être saillies par
un âne; car leur crinière les rend orgueilleuses. Après la copulation, ce sont
les seules femelles qui courent vers le nord ou le midi, suivant qu'elles ont
conçu un mâle ou une femelle. Elles changent aussitôt de nuance : le poil
devient plus rouge, et plus foncé s'il est d'une couleur différente. C'est ce
qui indique qu'il ne faut plus les faire saillir, et même elles s'y refusent.
L'état de gestation n'empêche pas quelques-unes de travailler, et on ne
s'aperçoit pas qu'elles soient pleines. Nous lisons que la jument d'Échécratide,
Thessalien, quoique pleine, remporta le prix à Olympe. Les observateurs
attentifs disent que les chevaux, les chiens et les verrats sont ardents pour
l'accouplement le matin, et que l'après-midi ce sont les femelles qui
recherchent le mâle;
[10] que les juments domptées
entrent en chaleur soixante jours avant les juments qui vivent en troupeaux :
que porcs seuls jettent de la bas pendant l'accouplement; qu'un verrat qui
entend le cri d'une truie en chaleur refuse de manger au point de maigrir, si on
ne la lui laisse pas couvrir; que les truies sont dans un tel état de rage,
qu'elles déchirent les hommes, surtout ceux qui ont un vêtement blanc : on
apaise cette rage en aspergeant de vinaigre les parties sexuelles. On pense que
les aliments aussi inspirent de la salacité, par exemple la roquette chez
l'homme (XIX, 44), et l'oignon chez le menu bétail. Parmi les animaux sauvages
que l'on apprivoise, quelques-uns ne produisent pas, tels que les oies; les
sangliers et le cerfs ne produisent que fort tard, et encore faut-il qu'ils
aient été pris fort jeunes : ce sont des faits surprenants. Les femelles pleines
des quadrupèdes refusent le mâle, excepté la jument et la truie; la
superfétation ne se voit que chez la dasypode (VIII, 81) et le lièvre.
LXXXIV. (LXIV) [1]
Tous les animaux vivipares naissent la tête la première; le petit fait un tout
sur lui-même au moment de la mise bas, car autrement il est étendu dans la
matrice. Les quadrupèdes pendant la gestation ont les jambes allongées et
appliquées contre le ventre; l'homme est ramassé sur lui-même et a le nez entre
les genoux. On pense que les moles, dont nous avons parlé (VII, 13) se
produisent quand la femelle a conçu, non du mâle, mais d'elle-même; qu'elles ne
sont pas animées parce qu'elles ne proviennent pas de deux individus, et
qu'elles n'ont que cette vie végétative qui est départie aux plantes et aux
végétaux. De tous ceux qui engendrent des petits tout développés, les truies
seules font des portées nombreuses et plusieurs portées, ce qui est contre la
nature des animaux solipèdes et à pieds fendus.
LXXXV. (LXV) [1]
La multiplication des rats dépasse tout le reste: je n'en parle pas sans
hésitation, quoique j'aie pour garants Aristote et les officiers d'Alexandre le
Grand. Ces animaux se fécondent, dit-on, en se léchant et non en s'accouplant :
on a rapporté qu'une seule femelle avait engendré cent vingt petits, et qu'en
Perse on en a trouvé qui étaient pleines, même en étant dans le ventre de leur
mère. On pense encore que les femelles deviennent pleines en goûtant du sel. Dès
lors il faut cesser de s'étonner de voir les moissons ravagées par cette
multitude de rats des champs. Un fait qui présente encore un autre mystère,
c'est qu'on ignore comment cette multitude périt tout à coup; car on ne trouve
pas leurs cadavres, et jamais personne n'a rencontré un rat des champs en
fouillant la terre pendant l'hiver.
[2] Il en vient des multitudes dans
la Troade, et on a vu ces animaux en expulser les habitants. Ils se multiplient
pendant les sécheresses; on dit qu'au moment où ils sont périr il s'engendre un
petit ver dans leur tête. Les rats d'Égypte (souris du Caire, mus cahiriticus)
(VIII, 55 et 82) ont le poil dur comme les hérissons: ces mêmes rats marchent
sur deux pattes, comme font les rats des Alpes (marmottes) (VII, 55).
L'accouplement d'animaux d'espèces diverses n'est fécond que lorsque le temps de
la gestation est le même pour toutes les deux. Parmi les quadrupèdes ovipares,
le vulgaire croit que les lézards pondent par la bouche; Aristote le nie. Ces
animaux ne couvent pas leurs oeufs, car ils ne se souviennent pas du lieu où ils
ont pondu, dépourvus qu'ils sont de mémoire; de la sorte, les petits éclosent
spontanément.
XXXVI. (LXVI) [1]
Plusieurs disent que de la moelle épinière d'un homme il se forme un serpent. En
effet, beaucoup d'êtres proviennent d'une origine occulte et mystérieuse, même
parmi les quadrupèdes: (LXII.) telle est la salamandre, animal de la forme d'un
lézard, au corps étoilé, et qui ne paraît jamais que duos les grandes pluies; et
disparaît dans le beau temps. Il est tellement froid, qu'il éteint le feu par
son contact, comme ferait la glace (XXIX, 23), La sanie qu'il rejette par la
bouche, et qui est laiteuse, fait tomber tous les poils du corps humain qu'elle
touche (XXIX, 23), et il reste sur la place une tache blanche.
LXXXVII. (LXVIII) [1]
Quelques animaux sont engendrés d'êtres non engendrés; leur origine n'est
semblable à l'origine d'aucune des espèces dont il a été question plus haut, et
dont la naissance est affectée à l'été, au printemps, ou à une époque fixe de
l'année. Parmi ces animaux, quelques-uns ne produisent rien; par exemple les
salamandres, parmi lesquelles il n'y a ni mâles ni femelles: cette distinction
n'existe pas non plus chez les anguilles, ni chez aucun des animaux qui ne sont
ni ovipares ni vivipares. Les huîtres et les autres coquillages fixés au fond de
la mer ou aux rochers sont également neutres.
[2] Quant aux animaux qui
s'engendrent spontanément, si on y distingue des mâles et des femelles. Ils
engendrent, il est vrai, par l'accouplement, un certain produit, mais un produit
imparfait et dissemblable duquel rien ne s'engendre plus, comme les mouches qui
donnent naissance aux vers. Cela se voit mieux chez les animaux appelés
insectes, dont l'histoire, difficile à faire, sera exposée dans un livre
particulier (XI). En conséquence, terminons ce qui nous reste à dire sur
l'instinct des autres animaux.
LXXXVIII. (LXIX) [1]
Parmi les sens, le toucher, puis le goût, excellent chez l'homme; pour les
autres, il est surpassé par beaucoup d'animaux. Les aigles ont une vue plus
étendue; les vautours, l'odorat plus subtil; les taupes enfouies sous la terre,
élément si dense et si sourd, entendent mieux que lui. Elles entendent la
parole, bien que la voix monte toujours; et si vous parlez d'elles, on dit
qu'elles comprennent et s'enfuient. Parmi les hommes, celui à qui dès l'enfance
l'ouïe est refusée perd aussi l'usage de la parole; il n'y a pas de sourds de
naissance qui ne soient en même temps muets. Il n'est pas vraisemblable que,
parmi les animaux marins, les huîtres entendent; cependant on dit que les solènes (XI, 51) plongent au moindre bruit: aussi ceux qui pêchent dans la mer
font-ils silence.
LXXXIX. ( LXX) [1]
Les poissons n'ont ni l'organe de l'ouïe, ni l'orifice extérieur; cependant il
est certain qu'ils entendent: on le reconnaît quand en les voit, dans des
viviers, se rassembler mutuellement au bruit d'un battement de mains, pour
recevoir leur nourriture. Dans les piscines de César, tous les poissons d'une
seule espèce viennent quand on nomme leur espèce : il en est de même qui
viennent seuls à leur nom. Ceux qui, dit-on, ont l'ouïe la plus fine sont le
murs, le loup (bar), la saupe, le chromis (IX, 24); et c'est pour cela qu'ils
vivent dans les bas-fonds.
XC. [1]
Les poissons sont doués manifestement l'odorat ; en effet, on ne les prend pas
tous avec le même appât, et ils flairent l'amorce avant de la saisir.
Quelques-uns, cachés dans le fond des cavernes, en sont expulsés par l'odeur du
poisson salé avec lequel le pêcheur frotte l'entrée du rocher, comme s'ils
reconnaissaient et fuyaient le cadavre d'un de leurs semblables: Certaines
odeurs les attirent de loin, telle que celle de la sèche brûlée et du poulpe;
aussi met on cette amorce dans les nasses. Ils fuient au loin l'odeur de cale
des navires, et surtout le sang des poissons.
[2] Le poulpe ne peut être détaché des rochers : on n'a
qu'approcher la cunila (XX, 63), l'odeur suffit pour lui faire lâcher prise à
l'instant. On prend aussi les pourpres avec des substance fétides. Quant aux
autres animaux, qui en douterait? L'odeur de la corne de cerf et surtout du
styrax met
en fuite les serpents ; cette de l'origan, de la chaux et du soufre, tue les
fourmis. Les moucherons recherchent les acides; ils ne s'approchent pas des
choses douces. (LXXI) Tous les animaux ont le sens du toucher, alors même qu'ils
n'en ont aucun autre; car le toucher existe chez les huîtres, et parmi les
animaux terrestres, chez les vers.
XCI. [1] Je croirais aussi que le sens du goût existe
chez tous. Pourquoi en effet chercheraient-ils les uns une saveur, les autres
une autre ? C'est là surtout que se montre la puissance de la nature,
ordonnatrice de toutes choses. Les uns saisissant leur proie avec les dents, les
autres avec les ongles; ceux-ci ayant un bec crochu la déchirent; ceux-là ayant
un bec large la cherchent en barbotant; d'autres avant un bec pointu, en
fouillant: d'autres sucent, lèchent, hument, mâchent, dévorent. La diversité
n'est pas moindre dans les offices qu'ils tirent de leurs pieds pour enlever,
déchirer, tenir, serrer, se suspendre, et fouiller incessamment la terre.
XCII. (LXXII) [1] Les chèvres s'engraissent avec de plantes vénéneuses,
ainsi que les cailles. comme nous l'avons dit (X, 33); et ce sont des animaux
fort paisibles. Les serpents se nourrissent d'oeufs, et parmi eux les dragons
déploient une adresse remarquable : en effet, ou ils les avalent entiers si leur
gosier est déjà assez large, puis se roulant sur eux-mêmes ils les brisent dans
leur corps et en rejettent en toussant les coquilles, ou, s'ils sont encore trop
petits pour avaler l'oeuf. ils s'entortillent autour et le serrent peu à peu, et
avec tant de force qu'ils en coupent le bout, comme on pourrait le faire avec un
ferrement; ils tiennent le reste dans leurs replis, et l'avalent. De la même
façon, quand ils ont dévore des oiseaux entiers, ils font un effort, et
revomissent les plumes.
XCIII. [1] Les scorpions vivent de terre. Les serpents,
quand l'occasion se présente, recherchent surtout le vin, quoique du reste ils
boivent fort peu. Ces animaux prennent peu ou point d'aliments quand on les
tient renfermés, de même que les araignées, qui vivent en suçant. Ainsi, aucun
animal venimeux ne périt de faim on de soif. Ils n'ont ni chaleur, ni sang, ni
sueur, qui augmentent les besoins par un sel naturel.
[2] Dans cette catégorie les animaux sont plus nuisibles, s'ils
se sont nourris de leur propre espèce avant de blesser. Les sphingies (VIII, 30)
et les satyres (VIII, 80) renferment des aliments dans les poches de leurs
joues, puis ils les retirent de là successivement avec leurs mains pour les
manger; ils font pour un jour ou pour une heure ce que les fourmis ont
l'habitude de faire pour une année. (LXXIII) Le seul animal ayant des doigts qui
se nourrisse d'herbe est le lièvre. Les solipèdes sont herbivores et frugivores.
Parmi les animaux à pied fendu, les porcs mangent de tout, et même des racines.
Se vautrer est propre aux solipèdes.
[3] Tous les animaux qui ont la denture en forme de scie sont
carnivores. Les ours mangent des grains, des feuilles, des raisins, des fruits,
des abeilles, et même des écrevisses et des fourmis. Les loups, comme nous avons
dit (VIII, 34 ), mangent jusqu'à de la terre quand ils sont affamés. Le menu
bétail s'engraisse en buvant; c'est pour cela que le sel lui convient si bien.
Il en est de même des bêtes de somme, quoiqu'elles se nourrissent de grain et
d'herbe; elles mangent en proportion de ce qu'elles boivent. Outre les animaux
déjà nommés, les cerfs, parmi les bêtes fauves, ruminent quand ils sont nourris
par tous. Tous ruminent plutôt couchés que debout; ils ruminent plus en hiver
qu'en été, pendant à peu près sept mois de l'année. Les rats du Pont (VIII, 55)
(gerboises) ruminent aussi.
XCIV. [1] Quant au boire, les animaux qui ont la denture en forme de scie
lapent; les rats ordinaires lapent aussi, bien qu'ils appartiennent à une autre
catégorie; ceux qui ont les dents continues hument, comme les chevaux et les
boeufs; les ours ne font ni l'un ni l'autre, c'est en mordant aussi qu'ils
avalent l'eau. En Afrique, la plus grande partie des bêtes sauvages ne boit pas
en été, faute de pluie, ce qui fait que les rats de Libye captifs meurent s'ils
boivent. Les déserts toujours altérés de l'Afrique engendrent l'oryx (VIII, 79).
Cet animal, que la nature du lieu condamne à ne pas boire, est d'un secours
admirable pour ceux qui ont soif;
[2] il fournit aux Gétuliens pillards les moyens de résister à la
soif; ils trouvent en effet dans son corps des vésicules remplies d'un liquide
très salubre. Dans cette même Afrique, les pards se tiennent embusqués sur des
arbres touffus, dont les branches les cachent; de là ils s'élancent sur ce qui
passe, et exercent leur brigandage du haut de la demeure des oiseaux. Et les
chats, avec quel silence, de quel pas léger ils se glissent vers les oiseaux!
Comme ils se tiennent en embuscade pour sauter sur les souris! Ils grattent de
la terre et en couvrent leurs ordures, comprenant qu'ils seraient trahis par
cette odeur.
XCV. (LXXIV) [1] Il n'est pas difficile de se convaincre que les animaux
ont encore d'autres instincts que ceux dont il a été question : en effet il y a
entre eux des antipathies et des sympathies, source d'affections autres que
celles dont nous avons parlé dans l'histoire de chaque espèce. Les cygnes et les
aigles sont en guerre; il en est de même du corbeau et du chlorée, qui, la nuit,
vont chercher les oeufs l'un de l'autre : même inimitié entre le corbeau et le
milan, qui enlève au corbeau sa proie; entre la corneille et la chevêche; entre
l'aigle et le roitelet, si la chose est croyable, parce que ce dernier porte le
nom de roi ; entre la chevêche et tous les petits oiseaux.
[2] D'on autre côté, des oiseaux sont en guerre avec des animaux
terrestres : la belette et la corneille, la tourterelle et le pyralis (XI, 42),
la guêpe ichneumon (XI, 24) et le phalangium, les oiseaux aquatiques et les
gavia (mouette), le harpé et l'épervier triorchis (buse), les souris et les
hérons, qui poursuivent réciproquement leurs petits; l'aegithus (X, 9), oiseau
très petit, et l'âne: l'âne, se frottant pour se gratter contre les ronces,
écrase le nid; ce que l'oiseau redoute tellement, qu'à entendre seulement braire
il jette ses oeufs, et que les petits eux-mêmes tombent à terre, de frayeur :
aussi, se lançant sur l'âne, Il lui creuse ses plaies avec le bec. Le renard est
en guerre avec le nisus (émouchet) ; les serpents, avec les belettes et les
porcs.
[3] On donne le nom d'aesalon (émerillon) à un petit oiseau qui
casse les œufs du corbeau, et dont le petits sont poursuivis par le renard; en
revanche, il harcèle les petits du renard et la mère elle-même. Quand les
corbeaux en sont témoins, ils secourent le renard, comme contre un ennemi
commun. Le chardonneret aussi vit dans les ronces; pour cela il hait, de son
côté, l'âne, qui dévore les fleurs des ronces. L'aegithus et l'anthus
(bruant); se détestent tellement, que leur sang, dit-on, ne se mêle pas, et qu'a
ce titre on en parle pour beaucoup de maléfices. Les chacals et les lions sont
en guerre. Et la discorde règne aussi bien entre les plus petits qu'entre les
plus grands: les souris évitent un arbre peuplé de fourmis ; l'araignée, se
balançant avec son fil, se jette sur la tête d'un reptile; qu'elle voit étendu à
l'ombre de son arbre; et elle lui mord le cerveau restant de force, que,
sifflant par intervalles et pris de vertige, le reptile ne peut ni fuir, ni même
rompre le fil de l'araignée suspendue sur lui : la mort seule met fin a son
supplice.
XCVI. [1] D'un
autre côté, il y a amitié entre les paons et les pigeons, entre les tourterelles
et les perroquets, entre les merles et les tourterelles, entre la corneille et
le héron, qui ont de communes inimitiés contre le renard. Le harpé (X, 95, 2) et
le milan s'entendent contre le triorchis (buse). Et n'a-t-on pas vu des indices
d'affection même parmi les serpents , les plus farouches de tous les animaux?
Nous avons rapporté ( VIII , 72) l'histoire que l'Arcadie raconte d'un homme
sauvé par un dragon dont il avait été le maître, et qui reconnut sa voix. Disons
ici le fait merveilleux que Phylarque attribue à un aspic : cet auteur a écrit
qu'en Égypte un aspic qui recevait journellement de la nourriture à la table
d'une personne, fit des petits; qu'un de ces petits tua le fils du maître de la
maison; que la mère, étant revenue pour prendre sa nourriture habituelle,
reconnut le crime, mit à mort le coupable, et ne reparut plus.
XCVII. (LXXV) [1]
La question du sommeil n'est pas obscure. Il est manifeste, parmi les animaux
terrestres, que tous ceux qui ont des paupières dorment. Quant aux animaux
aquatiques, un court sommeil leur est attribué, même par les auteurs qui doutent
que le reste des animaux dorment; ce ne sont pas leurs yeux qui en donnent la
preuve, puisqu'ils n'ont pas de paupière; mais on les soit plonges dans le
repos, comme assoupis, ne faisant mouvoir que leur queue, et tressaillant avec
effroi au moindre bruit. On affirme avec plus d'assurance que les thons
dorment, En effet, ils se livrent au sommeil le long de la côte ou des rochers.
La poissons plats dorment sur le sable, au point qu'on les prend souvent avec la
main. Quant aux dauphins et aux baleines, on les entend même ronfler. Le silence
que gardent les insectes montre aussi qu'ils dorment; on ne les réveille pas
même en approchant des lumières.
XCVIII. [1]
L'homme qui vient de naître est plongé dans le sommeil pendant quelques mois;
puis le temps de la veille s'allonge de plus en plus. L'enfant a des songes dès
les premiers temps, car il se réveille en sursaut avec effroi, et en dormant il
imite la succion. Quelques hommes ne songent jamais, et chez ces personnes ce
fut un signe de mort d'avoir rêvé contre l'habitude; nous en trouvons des
exemples. Ici nous serions incité à examiner une question grande et
controversée, à savoir s'il est certaines prévisions de l'âme en repos ; de
quelle manière elles se produisent, ou si la réalisation n'est qu'une chose
fortuite, comme tant d'autres. A se décider par des exemples, le pour et le
contre sont égaux.
[2] On convient presque unanimement
que les songes qui viennent aussitôt après le vin et le repas, ou après qu'on
s'est rendormi, n'ont aucune signification. Le sommeil n'est autre chose que la
retraite de l'âme dans le milieu d'elle-même. Outre l'homme, il est évident que
les chevaux, les chiens, les boeufs, les moutons, les chèvres, ont des songes :
par analogie, on l'admet pour tous les animaux vivipares ; cela est incertain
pour les animaux ovipares, mais il est certain qu'ils dorment. Maintenant
passons aux insectes; car il nous reste à examiner ces animaux, dont l'histoire
est d'une difficulté inouïe, et qui, d'après quelques auteurs, ne respirent pas,
et sont privés de sang.