Columelle
De
l'agriculture
L'économie rurale
livre XI
traduction française
Tome troisième de Columelle ; trad. nouvelle par M. Louis Du Bois
C. L. F. Panckoucke, 1846. Bibliothèque latine-française. Seconde série
Ce qui doit être fait dans la ferme par l'homme préposé à son exploitation. I. [1] CLAUDIUS AUGUSTALIS, jeune homme aussi modeste que savant, formé par la fréquentation des gens d'étude et surtout des agriculteurs, m'a déterminé à traiter en prose la culture des jardins. A la vérité, je ne me dissimulais pas, lorsque j'assujettissais cette matière aux lois de la poésie, que je serais obligé d'en venir là; [2] mais je n'avais pas la force, Publius Silvinus, de vous refuser quand vous me demandiez avec tant d'instance cet échantillon de ma muse, prêt à entreprendre bientôt, si je trouvais la chose convenable, la tâche que je m'impose aujourd'hui, et qui consiste à joindre les devoirs du jardinier à ceux du fermier. Quoique, dans le premier livre de mon Économie rurale, je parusse avoir jusqu'à un certain point traité le premier de ces objets, notre cher Augustalis m'ayant souvent témoigné le désir de me voir parler du jardinage, j'ai dû dépasser le nombre de volumes que semblait devoir renfermer cet ouvrage, et j'ai publié ce onzième livre d'agriculture. [3] Il convient de préposer à l'exploitation et à son personnel un métayer d'un âge moyen : car les esclaves ne méprisent pas moins un jeune apprenti qu'un vieillard, parce que l'un ne connaît pas encore les travaux des champs, et que l'autre est dans l'impuissance de les exécuter; et que la jeunesse rend celui-là négligent, comme la vieillesse rend celui-ci nonchalant. C'est donc l'âge moyen qui convient le mieux pour cet emploi : les agriculteurs seront assez robustes pour leurs travaux, s'ils ont de trente à soixante ans, pourvu qu'ils ne soient pas affectés d'infirmités prématurées. [4] Quel que soit l'homme auquel sera destiné ce service, il doit être à la fois très instruit et très robuste, afin de pouvoir faire part de ses connaissances à ses subordonnés, et sans difficulté exécuter par lui-même ce qu'il prescrit. En effet, rien sans l'exemple ne peut être convenablement enseigné ou appris, et il vaut mieux que le métayer soit le maître que le disciple de ses ouvriers, puisque Caton, le modèle des moeurs antiques, a dit, en parlant du père de famille : « Le maître qui reçoit ses instructions de son fermier ne saurait prospérer. » [5] C'est pourquoi, dans l'Économique de Xénophon, que M. Cicéron a traduit en latin, on lit que Socrate, ayant demandé à l'Athénien Ischomaque, homme distingué, si, dans le cas où ses affaires domestiques l'exigeaient, il avait l'habitude d'acheter pour fermier un ouvrier tout formé ou de l'instruire lui-même, celui-ci répondit : « Je le forme moi-même. Effectivement celui qui, dans mon absence, doit me remplacer et se trouve substitué à la surveillance que j'exerce, doit savoir les mêmes choses que moi. » Cette doctrine est bien ancienne à la vérité; elle appartient au temps même où cet Ischomaque disait que personne ne devait ignorer l'agriculture. [6] Quant à nous, qui ne pouvons nous dissimuler notre ignorance, nous devons placer des jeunes gens doués de capacité et robustes de corps sous la conduite d'agriculteurs éclairés, dont les enseignements inculqueront à un au moins entre plusieurs (car instruire les autres est chose difficile) non seulement l'art de la culture, mais encore celui de commander : en effet, ou voit des gens qui, très habiles ouvriers, nuisent cependant aux intérêts du propriétaire en raison de leur impéritie pour donner des ordres : ce qu'ils font avec trop de rigueur ou trop de mollesse. [7] C'est pourquoi, comme je l'ai dit, l'homme dont on veut faire un métayer doit avoir reçu l'instruction convenable, avoir été dès l'enfance endurci aux travaux de la campagne, et avoir été soumis d'abord à des épreuves multipliées, afin qu'on puisse s'assurer si non seulement il connaît l'agriculture, mais encore s'il a de la probité et s'il prend à coeur les intérêts du maître : qualités sans lesquelles l'instruction du fermier, si éminente qu'elle soit, serait sans utilité. [8] Son principal devoir dans son emploi est de bien apprécier quelles sont les obligations et les travaux à imposer à chaque ouvrier : car le plus robuste ne peut pas exécuter ce qu'on lui ordonne s'il ne connaît la besogne dont on le charge, ni le plus habile, s'il n'a pas la force nécessaire au travail qu'on lui prescrit. En effet, quelques opérations n'exigent que de la force, comme le déplacement et le transport des fardeaux; d'autres demandent l'association de la force et de l'art, comme lorsqu'il s'agit de bêcher, de labourer, de scier les céréales et de faucher les herbes; quelques autres requièrent moins de force que d'art, telles sont la taille et la greffe des vignobles; certaines même réclament la science avant tout, comme l'éducation des bestiaux et la médecine vétérinaire. [9] Ainsi que je l'ai déjà dit, le métayer ne saurait être bon appréciateur de ces choses, s'il n'est assez instruit pour remédier en chaque partie à ce qui. a été mal exécuté; et il ne suffit même pas qu'il reprenne celui qui est en faute, il doit enseigner la manière de bien faire. Aussi je n'hésite pas à me répéter : le futur métayer doit recevoir autant d'instruction que celui qui se destine à être potier ou artisan. J'ai peine à le dire, chacun de ces métiers est d'autant plus facile à apprendre qu'il se subdivise en moins de branches ;
[10] tandis que les parties de l'agriculture sont si étendues et si
multipliées, que nous pourrions à peine les énumérer, si nous voulions en faire
le recensement. [11] car on n'abandonne pas l'art oratoire, parce qu'on n'a nulle part rencontré d'orateur parfait, ni les cours de philosophie, parce que nul homme ne possède une sagesse consommée; puisqu'au contraire plusieurs personnes s'encouragent elles-mêmes à se borner à quelques parties de ces sciences, ne pouvant les posséder dans leur entier. Est-il raisonnable de se taire, parce qu'on ne peut devenir un orateur parfait, ou de s'engourdir dans l'abnégation de soi-même, parce qu'on ne peut espérer d'arriver à la sagesse?
[12] Dans une grande entreprise, ce n'est pas une faible gloire que d'en acquérir
une portion même peu considérable. [13] Ainsi formé aux différents métiers des gens de la campagne, celui qui embrassera la profession de métayer doit éviter surtout une familiarité trop intime avec les esclaves de la ferme et beaucoup plus encore avec ceux du dehors. Il s'abstiendra, le plus qu'il pourra, de sommeil et de vin, qui sont l'un et l'autre les plus grands ennemis de l'activité : car l'ivrogne perd, avec la mémoire, la conscience de ses obligations, et le dormeur en néglige le plus grand nombre. En effet, que peut faire ou prescrire celui qui dort sans cesse?
[14] Il faut aussi que le métayer ne
soit pas enclin aux plaisirs de Vénus : s'il s'y abandonne, il ne pourra songer
à autre chose qu'à l'objet de sa prédilection; car l'esprit, séduit par une
passion, ne voit pas de récompense plus agréable que la satisfaction de ses
désirs, ni de supplice plus pénible que la privation de ses voluptés. [15] Aussi Ischomaque, que nous avons cité, dit-il :« Je préfère le travail d'un seul homme actif et zélé à celui de dix ouvriers négligents et paresseux.» [16] Au surplus, il résulte beaucoup d'inconvénients de la faculté qu'on laisse aux ouvriers de s'amuser à des frivolités : en effet, de même que de deux voyageurs partis en même temps, celui qui marche avec ardeur et sans s'arrêter devance souvent de la moitié du chemin celui qui se laisse séduire par l'ombrage des arbres, l'agrément des fontaines, et la fraîcheur du zéphyr; de même dans les travaux champêtres on se figure à peine combien un ouvrier actif l'emporte sur un ouvrier paresseux et fainéant. [17] Le métayer doit donc veiller à ce que, dès le point du jour, ses gens ne marchent pas au travail avec hésitation et nonchalance, mais le suivent avec ardeur, comme un capitaine qui vole courageusement et de gaîté de coeur au combat; il réjouira ses ouvriers par diverses exhortations durant leurs travaux, et parfois, comme pour venir au secours de celui qui faiblirait, il prendra un moment ses outils, fera sa besogne et l'invitera de la faire avec autant de courage qu'il l'aura faite lui-même. [18] Le crépuscule venu, il ne laissera personne après lui, mais il suivra tout son monde, comme un excellent pâtre qui ne souffre pas qu'il reste dans le champ aucun animal de son troupeau. Arrivé à la maison, il se comportera encore comme ce berger diligent : il ne se retirera pas aussitôt dans sa chambre, mais il prendra le plus grand soin de chacun. Ainsi il pansera ceux qui se seront blessés pendant le travail (ce qui arrive souvent); [19] il conduira sans retard à l'infirmerie ceux qui seront souffrants, et prescrira de leur appliquer le traitement convenable. Les ouvriers bien portants n'en réclameront pas moins ses soins : il veillera à ce que les dépositaires des provisions leur fournissent fidèlement les aliments et les boissons. Le métayer doit aussi accoutumer ses ouvriers à prendre toujours leur repas auprès des lares du maître et du foyer domestique, et lui-même y manger en leur présence et leur servir de modèle de frugalité : il ne se couchera pas pour dîner, excepté aux jours de fête, dont il mettra à profit la solennité pour accorder quelque récompense au plus laborieux et au plus sobre, qu'il admettra même parfois à sa table, et fera participer, s'il le peut, à quelques autres distinctions. [20] Ce sera aussi dans les jours fériés qu'il s'assurera de l'état du matériel de la ferme, sans lequel on ne saurait faire aucun travail. Il visitera plus souvent les instruments de fer, dont il aura soin d'avoir toujours des doubles; il ne les serrera qu'après les avoir fait réparer, afin de n'être pas obligé, s'il s'en trouve d'endommagés dans le travail, d'en emprunter à ses voisins : car on dépense plus par la perte du temps des esclaves qu'on détourne ainsi de leurs occupations, que par les frais de ces réparations. [21] Les gens de la maison seront tenus proprement, et vêtus plutôt commodément qu'avec élégance, c'est-à-dire qu'ils seront soigneusement protégés contre le froid et la pluie; on atteindra ce but en leur donnant des habits de peau à manches et des saies à capuchon : moyennant ces précautions, ils pourront supporter, en travaillant, tous les jours d'hiver. Le métayer devra donc deux fois par mois visiter tous les vêtements des esclaves, ainsi que leurs outils, comme je viens de le dire; car une fréquente revue ne laisse pas l'espoir de l'impunité, ni l'occasion de commettre des fautes. [22] Il devra en outre tous les jours faire l'appel nominal et la visite des esclaves à la chaîne qui sont en prison, afin de s'assurer que leurs fers sont en bon état; il vérifiera en même temps si leur lieu de détention est sûr et bien solide; et il ne mettra pas en liberté, sans l'ordre du père de famille, ceux qui auront été enchaînés par l'ordre du maître ou par lui-même. Il ne souffrira pas que l'on fasse de sacrifices, à moins que le maître ne les ait ordonnés; il ne devra pas de sa propre autorité fréquenter des aruspices et des sorcières, deux sortes de gens qui infectent de vaines superstitions les esprits ignorants. [23] A moins que ce ne soit pour vendre ou pour acheter les objets nécessaires, il ne fréquentera ni la ville ni les marchés; car il ne doit pas franchir les limites de sa ferme ni fournir aux esclaves, par son absence, l'occasion d'être négligents ou de commettre des fautes. Il ne permettra pas que dans la ferme on pratique des sentiers ou qu'on y place de nouvelles bornes. Ce ne sera que très rarement qu'il recevra des hôtes, à moins que ce ne soit des amis de son maître; il n'emploiera aux opérations de son ministère aucun de ses compagnons d'esclavage, et ne leur permettra de sortir de la terre que dans les cas de nécessité absolue. [24] Il n'emploiera pas l'argent du maître à des achats de bestiaux ou d'autres marchandises : cette occupation le détournerait de ses véritables fonctions et ferait de lui plutôt un marchand qu'un agriculteur, outre qu'elle ne lui permettrait jamais de régler les comptes des revenus du maître; et quand celui-ci demanderait de l'argent, il ne lui présenterait que des billets au lieu de numéraire. Si le métayer doit éviter ces inconvénients, certes il ne doit pas moins fuir la passion de la chasse de tout gibier soit à poil, soit à plume, laquelle absorberait la plus grande partie de ses journées. [25] Le métayer doit avoir égard à une chose qu'il est difficile d'observer même dans un grand gouvernement, c'est de se comporter avec ses subordonnés sans dureté comme sans faiblesse. Toujours il encouragera les ouvriers habiles et zélés, il n'usera pas de trop de rigueur avec ceux qui le sont moins, et il gouvernera de telle sorte que l'on craigne sa sévérité, mais non que l'on déteste sa cruauté. C'est ce à quoi il parviendra s'il préfère prévenir les fautes de ses ouvriers à leur infliger la punition qu'il leur aurait laissé le temps d'encourir. Il n'y a pas de meilleur moyen de contenir l'homme, même le plus pervers, que d'exiger de lui une tâche tous les jours : [26] tant est vrai cet oracle de M. Caton : « En ne faisant rien, les hommes apprennent à mal faire. » C'est pourquoi le métayer aura soin que le travail soit fait régulièrement. Ce sera chose peu difficile à obtenir, s'il se trouve toujours présent. [27] Ainsi les maîtres des divers ouvriers s'acquitteront avec zèle de leurs devoirs, et les gens, fatigués des travaux qu'ils auront exécutés, préféreront leur repas, et se livrer au sommeil et au repos, à commettre de mauvaises actions. Au surplus, dans toute exploitation rurale, comme dans les autres positions de la vie, il est de la plus grande importance que chacun sache bien qu'il ne doit pas comprendre ce qu'il ne sait pas, et qu'il désire toujours apprendre ce qu'il ignore. [28] En effet, quoique le savoir soit d'une fort grande utilité, l'étourderie ou la négligence nuit encore plus qu'il ne sert, surtout en agriculture, dont le point le plus important est de faire à temps tout ce qu'exige l'ordre de la culture : car, quoique parfois on puisse porter remède aux fautes de l'étourderie et de la négligence, les intérêts du maître n'en sont pas moins déjà compromis, et les choses ne peuvent assez prospérer pour lui faire recouvrer ce qu'il a perdu et lui rendre les bénéfices qu'il devait obtenir.
[29] Mais qui ne sait pas combien la perte du temps est irréparable? Celui
donc qui est convaincu de cette vérité doit surtout éviter de se laisser
surprendre par un travail au-dessus de ses forces. La culture des champs tend de
grands piéges au paresseux; c'est ce qu'a parfaitement exprimé dans ce vers le
vieux poète Hésiode : [30] Effectivement chaque opération devant être exécutée à une époque à peu près déterminée, si l'une d'elles est plus retardée qu'il ne convient, les autres aussi seront faites plus tard qu'il n'est à propos, et tout l'ordre du travail se trouvant dérangé, fera évanouir l'espoir de toute l'année. C'est pourquoi il est nécessaire de donner des préceptes sur les travaux propres à chaque mois, préceptes qui reposent sur l'influence qu'exercent les astres :
[31] car, comme dit Virgile,
[32] Quant à la science
agricole, ou ne doit pas montrer tant de scrupule; mais, comme on
dit, avec son intelligence bornée, le métayer aura acquis ce qui
peut lui être utile des présages du temps à venir, s'il se persuade
bien que l'influence d'une constellation agit un peu auparavant, ou
un peu après, ou même à certains jours de son lever ou de son
coucher : car il ne manquera pas de prévoyance si, quelques jours à
l'avance, il peut se mettre en garde contre les époques suspectes. Ce qu'il faut faire dans chaque mois, en réglant le travail sur le temps. II. [1] Nous prescrirons donc ce que l'on doit exécuter chaque mois en réglant ainsi les travaux de la campagne sur le temps, autant que le permettra l'état de l'atmosphère : averti de ses variations et de ses vicissitudes par ce traité, le métayer ou ne sera jamais trompé, ou certes ne le sera pas fréquemment. Ne nous écartons pas du poète excellent qui dit que le cultivateur «doit, au retour du printemps, commencer par labourer sa terre. » [2] Le villageois ne devra pourtant pas observer l'arrivée du printemps, comme ferait un astrologue, de manière à attendre le jour précis auquel on dit que cette saison commence; mais il prendra quelque chose sur la fin de l'hiver, puisque dès après le solstice la température devient plus douce et que les jours plus favorables permettent d'entreprendre les travaux.
[3] L'agriculteur peut donc,
à partir des ides de janvier (pour nous régler sur le premier mois
de l'année romaine), se livrer aux travaux des cultures, dont il
terminera ceux qui restaient à faire précédemment et commencera ceux
qui appartiennent au temps à venir. Au surplus, il suffira de
distribuer les travaux par demi-mois, parce qu'on ne saurait
considérer comme fait prématurément un ouvrage achevé quinze jours
avant l'époque, ni comme en retard celui qui l'a été quinze jours
après.
[4] Le 18 des calendes de
février, temps incertain.
[5] Le 9 des calendes de
février, le coucher de la Baleine annonce la tempête; quelquefois
même elle l'accompagne. [6] Nous indiquerons pour les autres demi-mois, comme nous l'avons fait pour celui-ci, les variations de l'atmosphère, afin que le métayer, se tenant sur ses gardes, comme je l'ai dit, puisse au besoin ajourner certains travaux ou bien les avancer. En conséquence, à partir des ides de janvier, pendant le temps qui s'écoule entre le solstice d'hiver et l'arrivée du favonius, si l'on possède une grande étendue de vignobles ou d'arbres mariés à des vignes, on reprend la suite de la taille d'automne, en observant toutefois de ne pas toucher la vigne pendant la matinée, parce que les rameaux, engourdis encore par les frimas et les gelées de la nuit, redoutent le fer. [7] C'est pourquoi, afin de leur laisser le temps de se dégeler, on pourra, jusqu'à la seconde ou la troisième heure du jour, essarter les buissons pour que leur nouvelles pousses n'envahissent pas le champ, nettoyer les sillons, faire provision de gaulettes, enfin fendre du bois, jusqu'à ce que la température attiédie permette la taille. C'est le moment, dans les lieux exposés au soleil et maigres ou arides, de nettoyer les prés, et de les protéger contre les bestiaux, afin d'obtenir du foin en abondance.
[8] Il est temps aussi de
donner le premier labour aux terrains secs et gras : car on ne peut
retourner qu'en été ceux qui sont humides et de médiocre qualité;
quant aux champs très maigres et arides, il faut attendre
jusqu'après l'été, au commencement de l'automne, pour les labourer,
et les ensemencer ensuite. [9] Dans ce même mois, avant les calendes de février, il est à propos de sarcler les semailles d'automne, soit l'adoréum que quelques personnes appellent far du pays, soit le blé froment. Il est temps de procéder à leur sarclage quand ils commencent à donner quatre feuilles. S'il reste du temps disponible, on peut aussi opérer le sarclage de l'orge hâtive.
[10] On en fait autant pour
les fèves quand leur tige s'est élevée à une hauteur de quatre
doigts; car, plus tôt, elles seraient trop tendres pour qu'il
convînt de les soumettre à cette opération. [11] On serfouit déjà avec avantage les vignes qui sont échalassées et liées. Vers les ides, on s'empresse de greffer les arbres fruitiers qui les premiers produisent leurs fleurs, tels que les cerisiers, les jujubiers, les amandiers et les pêchers. Ce temps est convenable pour faire des échalas et aussi des pieux; il est propice encore pour la coupe des bois de construction; mais ces deux opérations se font avec plus de succès au décours de la lune, depuis le vingtième jour jusqu'au trentième, parce qu'on pense que tout bois ainsi coupé n'a point à redouter la pourriture. [12] Dans une journée de travail on peut couper cent pieux et les aiguiser ensuite; quant aux échalas de chêne ou d'olivier, on en peut fendre et aiguiser soixante, bien parés des deux côtés. On peut encore faire dix pieux ou cinq échalas, le soir, pendant la veillée, et autant le matin en attendant le jour. [13] Si le bois est de chêne rouvre, un ouvrier suffit pour en équarrir parfaitement vingt pieds : ce qui formera une voie. Si c'est du pin, un ouvrier en expédiera aisément vingt-cinq pieds, que l'on appellera aussi une voie. Trente pieds d'orme et de frêne, quarante de cyprès, soixante de sapin et de peuplier pourront être chacun bien équarris dans un jour, et chacune de ces quantités porte pareillement le nom de voie.
[14] Durant ces jours on doit
marquer les agneaux sevrés, aussi bien que les petits des autres
bestiaux et ceux des grands quadrupèdes.
[15] Le 7 des ides de
février, la constellation de Callisto se couche; le favonius
commence à souffler.
[16] C'est aussi le moment
d'achever l'échalassement et la ligature des vignes, que l'hiver ou
les froids ont fait suspendre, parce que plus tard on s'exposerait à
endommager les boutons déjà gonflés et à froisser les yeux. Dans les
mêmes localités il faut encore fouir les vignes, et finir de tailler
ou de lier les ceps mariés aux arbres : travaux qu'on ne saurait
rigoureusement apprécier. [16] Le travail de la houe à deux dents, qui a été commencé en décembre et en janvier, se termine maintenant, et on plante les vignes. On travaille ainsi un jugère de terrain en quatre-vingts journées, si on défonce le sol à la profondeur de trois pieds; ou en cinquante, si le défoncement n'est profond que de deux pieds et demi; quarante jours de travail suffisent, s'il n'est que de deux pieds. [17] Cette dernière excavation est la moindre que l'on doive pratiquer avec la houe à deux dents dans une terre sèche pour la transplantation des arbres fruitiers : toutefois pour les légumes une profondeur d'un pied et demi peut remplir le but, et alors trente jours de travail suffiront ordinairement pour le labour de chaque jugère. A cette même époque on répand une partie des fumiers sur les prés, et une partie au pied des oliviers et des autres arbres. En outre, on doit s'empresser de faire des pépinières de vignes, en plantant avec beaucoup d'attention des crossettes récemment séparées du cep. [18] Alors il est à propos de planter, avant leur feuillaison, des peupliers, des saules, des frênes et de jeunes ormeaux, de retailler et de serfouir ceux qui ont été mis en terre l'année précédente, et de couper les radicules montantes qui se sont développées pendant l'été. Dans les vignobles dont la terre n'a pas encore été retournée, il faut enlever et ranger le long des haies les sarments, les branches coupées aux arbres qui soutiennent les vignes, les ronces, et tout ce qui, se trouvant sur le sol, peut embarrasser les ouvriers qui fouissent ou travaillent la terre de quelque manière que ce soit. On fait de nouveaux plants de rosiers ou on donne des soins aux anciens; on met en terre des roseaux ou bien on cultive les vieilles cépées; on forme des saussaies ou on entaille les arbres; on sarcle et on serfouit; on répand sur terre bien travaillée à la houe la graine de genêt, ou on dispose les jeunes plants dans des fosses.
[20] Il n'est pas hors de
propos de procéder en ce temps à l'ensemencement des tremois,
quoique dans les contrées chaudes il soit plus avantageux de le
faire pendant le mois de janvier.
[21] Le 13 et le 12 des
calendes de mars, le favonius et l'auster soufflent avec grêle et
orages.
[22] Le 7 des calendes de
mars, temps venteux. On voit déjà des hirondelles.
[23] quoique cette plantation
puisse se faire avec non moins d'avantage entre les calendes et les
ides du mois suivant, surtout si le pays n'est pas très chaud; même
s'il est froid, elle n'en réussira que mieux. On procède avec succès
en ce temps, dans les climats tempérés, à la greffe des arbres
fruitiers et des vignes.
[24] Le 6 des nones de mars,
le Vendangeur, que les Grecs désignent sous le nom de Τρυγητὴρ,
paraît; vent du septentrion. [25] Durant ces jours, il est avantageux de disposer les jardins, dont je parlerai avec plus de détail en leur lieu, de peur qu'ici je ne paraisse m'occuper trop négligemment, parmi tant d'opérations, des devoirs du jardinier, ou bien interrompre l'ordre que j'ai suivi pour les autres cultures. [26] Ainsi, à dater des calendes de mars, le temps est très propice pour la taille des vignes, jusqu'au dixième jour des calendes d'avril, pourvu toutefois que les boutons ne soient pas en végétation. C'est le moment favorable de recueillir pour la greffe les jeunes branches qui ne végètent pas encore : à cette époque aussi la greffe réussit parfaitement sur les vignes et sur les arbres. Dans les lieux froids et humides, on plante alors généralement les vignes, et on met en terre avec succès les cimes des figuiers qui sont déjà en végétation. On sarcle aussi avantageusement pour a seconde fois les froments : on en peut très bien sarcler trois modius par journée de travail. [27] Il est déjà temps de nettoyer les prés et d'en interdire l'entrée aux troupeaux : ce qui doit se faire dans les terrains chauds et secs, à partir du mois de janvier, comme nous l'avons dit ci dessus : car, dans les terres froides, on attend très bien jusqu'aux Quinquatries. [28] Il faudra à cette époque préparer les fosses de toute espèce dans lesquelles on voudra mettre des plants en automne. Si le sol est favorable un seul ouvrier en fera par jour quatorze de celles que l'on nomme quaternaires, c'est-à-dire qui ont quatre pieds en tout sens, et dix-huit si elles ne sont que ternaire . Au reste, pour la plantation des vignes ou des arbre de peu d'élévation, on pratiquera une tranchée de cep de vingt pieds de longueur sur deux de largeur et deux et demi de profondeur : une seule journée suffira également pour ce travail. [29] Déjà il est temps de serfouir et de cultiver le plant des rosiers tardifs. Alors il convient de répandre autour des racines des oliviers souffrant de la lie d'huile qui ne contienne pas de sel : six conge suffisent pour les plus grands, une urne pour les médiocres; pour les autres on proportionnera la quantité. Au surplus, les oliviers qui se portent bien deviendront plus vigoureux encore si on les arrose de cette lie non salée.
[30]
Quelques praticiens ont prétendu que ce moment est excellent pour former des
pépinières; aussi ils ont prescrit de semer sur des planches des baies de
laurier et de myrte et des graines d'autres arbres verts. Ces mêmes personnes
ont pensé qu'il fallait planter les orthocisses et les lierres à partir des ides
de février ou même dès les calendes de mars.
[31]
Le 17 des calendes d'avril, le Scorpion se couche ; il fait froid. [32] Depuis les ides, on termine les travaux dont nous avons parlé plus haut. On donne aussi pour lors avec avantage les premiers tours de labourage aux terrains humides et gras, et, dans la dernière moitié de mars, on laboure pour la seconde fois les guérets que l'on a retournés au mois de janvier. Si, à l'époque de la taille, on a laissé quelques treilles de vignes d'élite ou quelques-unes de celles qui sont mariées dans les champs ou dans les broussailles à des arbres particuliers, elles doivent toutes être taillées avant les calendes d'avril; après ce jour, cette culture serait tardive et infructueuse. [33] On commence le premier ensemencement du millet et du panis, lequel doit être terminé vers les ides d'avril : chaque jugère exige cinq setiers de l'une ou de l'autre semence. Le moment est favorable aussi pour la castration des bêtes à laine et des autres quadrupèdes. On fait avec succès cette opération à tous les bestiaux dans les contrées chaudes, depuis les id s de février jusqu'à celles d'avril, et, dans les localité. froides, depuis les ides de mars jusqu'à celles de mai.
[34] Le jour des calendes
d'avril, le Scorpion se couche le matin ; il annonce la tempête.
[35] La veille des ides
d'avril, les Hyades se cachent; il fait froid.
[36]
Le 18 des calendes de mai, temps venteux et pluies ; ce qui n'a pas lieu
constamment.
[37]
Le 3 des calendes de mai, la Chèvre se lève le matin ; l'auster souffle,
quelquefois il tombe de la pluie. [38] On procède aussi fort bien au premier épamprement, pourvu que les yeux naissants sur les sarments puissent être détachés avec le doigt. En outre, si en bêchant les vignes l'ouvrier y a causé quelque dommage, ou, par négligence, a omis une partie du travail, le vigneron diligent doit y pourvoir, visiter les jougs qui pourraient être brisés, les réparer, rétablir les pieux renversés, de manière à ne pas déraciner les jeunes pampres. A cette époque il faut marquer les animaux de la seconde portée.
[39]
Le jour des calendes de mai, on dit que le soleil occupe durant deux jours le
même point du zodiaque.
[40]
Le 6 des ides de mai, les Pléiades se montrent tout entières ; souffle du
favonius ou du corus, et quelquefois pluie. [41] Dans ce mois, il faudra labourer fréquemment toutes les pépinières; mais à partir des calendes de mars jusqu'aux ides de septembre, chaque mois on retournera la terre non seulement des pépinières, mais encore des jeunes vignes. Pendant les jours dont nous venons de parler, dans les climats froids et pluvieux, on taille et on émousse les oliviers. Au reste, dans les pays tempérés, il faudra faire cette opération à deux époques : d'abord entre les ides d'octobre et celles de décembre, puis entre les ides de février et celles de mars, pourvu toutefois que l'arbre ne se détache pas de son liber. [42] Dans ce même mois, on commence à planter les boutures d'olivier en pépinière bien remuée à la houe; il faut quand elles sont mises en place, les enduire d'un mélange de cendres et de fumier, et les couvrir de mousse, afin soleil ne les fasse pas fendre : mais ce travail se fait avec plus d'avantage dans la dernière partie du mois de mars, au commencement d'avril, et aux autres époques, pendant lesquelles nous avons prescrit de garnir les pépinières de plants ou de boutures.
[43] Le
jour des ides de mai, la Lyre se lève le matin; souffle l'auster ou de l'euronotus;
quelquefois la journée est humide. [44] Depuis les ides jusqu'aux calendes de juin, il faut donner un second labour aux vieilles vignes, avant qu'elles ne commencent à fleurir, et, en outre, les épamprer, ainsi que toutes les autres. Si on fait souvent ce travail la journée d'un enfant suffira pour en épamprer tout un jugère. En ce moment, dans certaines contrée, on tond les moutons, et on reçoit le compte des bêtes nouvellement nées et de celles que l'on a perdues. Alors enfin on retourne aussi à la charrue les lupins que l'on a semés pour engrais.
[45] Le jour des calendes de juin et le 4 des nones, l'Aigle se
lève; temps venteux,
et quelquefois pluie. [46] Dans le cours de ces jours, si l'on en a le loisir, on fera les mêmes travaux qu'on effectue à la fin du mois de mai. En outre, on doit ramener la terre au pied de tous les arbres fruitiers que l'on a entourés d'un fossé, de manière que l'opération soit terminée avant le solstice d'été. Au surplus, d'après la nature du sol et du climat, on donne à la terre le premier ou le second tour de labourage : si elle est dure, il faut deux journées pour la première façon d'un jugère, deux pour la seconde, et une pour la troisième. Une journée suffit pour recouvrir la semence jetée dans deux jugères. Mais si la terre est facile à travailler, on exécute le premier labour d'un jugère en deux journées, et le second en une; une journée également, pour recouvrir la semence de quatre jugères, lorsqu'on trace de larges sillons dans un terrain déjà préparé. [47] Il résulte de ce calcul que l'on peut facilement, dans le cours de l'automne, au moyen d'un seul joug, semer cent cinquante modius de froment, et cent de n'importe quelle espèce de légume. Durant les mêmes jours, il faut préparer l'aire pour le battage des grains et pour recevoir les récoltes à mesure qu'elles seront coupées.
[48] Quand on possède beaucoup de
vignobles, on doit alors en reprendre la culture. Il est à propos, si on le
peut, de donner du fourrage aux troupeaux avant la solstice d'été, ou dans ce
temps-ci, ou même pendant les quinze jours qui précèdent les calendes de juin. A
dater de ces calendes, si l'on manque d'herbe verte, on donnera, jusqu'à la fin
de l'automne, des feuilles que l'on aura recueillies pour cet usage.
[49]
Le 13 des calendes de juillet, le soleil entre dans le Cancer; il présage la
tempête. [50] Dans le cours de ces jours, on continue les travaux dont il est question ci-dessus. En outre, il faut couper de la vesce pour fourrage avant que ses gousses aient pris de la consistance; moissonner l'orge; récolter les fève tardives; battre les précoces, et serrer avec soin les fanes qu'elles produisent; battre l'orge, et empiler toutes les pailles. Il. faut aussi tailler les ruches, que l'on a dû surveiller et soigner tous les neuf ou dix jours depuis les calendes de mai environ; toutefois, ce n'est que dans le cas où les alvéoles sont pleins et recouverts, qu'il faut les récolter ; si la plupart sont vides ou ne sont point fermés, c'est une marque qu'ils ne sont point encore mûrs, et il faut dès lors différer la récolte du miel. Dans les provinces d'outre-mer, quelques cultivateurs sèment le sésame pendant ce mois ou le suivant.
[51]
Le jour des calendes de juillet, souffle du favonius ou de l'auster, et chaleur.
[52]
Pendant ces jours on se livre aux mêmes travaux que nous avons indiqués plus
haut. En outre, le moment est très favorable pour donner le second tour de
labourage aux guérets. On essarte aussi fort à propos les broussailles des
champs, lorsque la lune est dans son décours.
[53]
Le 7 des calendes d'août, la Canicule paraît; brouillard chaud. [54] Durant ces jours on fait la moisson dans les contrées tempérées et sur le bord de la mer, et, dans les trente jours qui suivent la récolte, on met en meule les pailles qui en proviennent. Une seule journée de travail suffit pour couper la paille d'un jugère, après l'enlèvement de laquelle, et avant que le soleil trop ardent ait brûlé le sol, il faut entourer d'un fossé les arbres qui se trouvent dans le champ, et couvrir leur pied de terre. En outre, c'est le moment de biner les terres pour ceux qui se disposent à faire des semailles considérables. [55] Quant au serfouissage et à la culture des vignobles nouveaux, j'ai dit déjà plusieurs fois qu'il fallait s'en occuper tous les mois sans en laisser passer aucun, jusqu'après l'expiration de l'équinoxe d'automne. Il faudra se souvenir de recueillir des feuilles pour les troupeaux, à cette époque et pendant le mois d'août, avant le lever et après le coucher du soleil. Quelles que soient les vignes que l'on veut cultiver, il faut éviter d'en remuer la terre pendant l'ardeur du jour, ce qui ne doit être fait que le matin jusqu'à la troisième heure, et depuis la dixième jusqu'au crépuscule.
[56]
Dans certaines provinces, telles que la Cilicie et la Pamphylie, c'est pendant
ce mois que l'on sème le sésame; mais dans les contrées humides de l'Italie, on
peut le semer à la fin du mois de juin. Il est temps, en outre, de suspendre des
figues sauvages aux figuiers : ce qui a pour but, comme le pensent quelques
personnes, et d'empêcher le fruit de tomber, et de le faire parvenir
plus tôt à maturité.
[58] Le 13 des calendes de
septembre, le soleil passe dans le signe de la Vierge. Ce jour et le
suivant annoncent la tempête; quelquefois aussi il tonne. Ce même
jour la Lyre se couche.
[59]
La veille des calendes de septembre, Andromède se lève le soir; quelquefois le
froid se fait sentir. [60] Dans certains pays, comme dans la Bétique, les contrées maritimes et l'Afrique, on fait la vendange; mais dans les pays plus froids on pulvérise la terre, opération que les paysans appellent occation, et qui consiste à briser dans les vignes toutes les mottes de terre pour les réduire en poussière. A cette même époque, avant la pulvérisation des vignes, si les ceps sont grêles ou clairsemés, on répand sur chaque jugère trois ou quatre modius de lupins, après quoi on les herse, et, lorsqu'ils auront poussé, on les enterre au premier labour que l'on donne aux vignes, auxquelles ils procurent un assez bon amendement. [61] Si le climat est pluvieux, comme cela a lieu dans les terroirs de l'Italie voisins des villes, beaucoup de vignerons épamprent leurs vignes afin que les raisins puissent mûrir et pour empêcher que les pluies ne les pourrissent. Au contraire, dans les lieux plus chauds, tels que les provinces que nous avons citées, on ombrage les grappes, à l'approche de la vendange, avec de la paille ou d'autres abris, afin que les vents ou les chaleurs ne les dessèchent pas. [62] Ce même temps est propre à la dessiccation des raisins et des figues, dont nous enseignerons la préparation en lieu convenable, lorsque nous passerons en revue les travaux de la métayère. On extirpe avec avantage, dans le courant du mois d'août, la fougère et le carex, partout où ils croissent, quoiqu'il vaille mieux le faire vers les ides de juillet, avant le lever de la Canicule.
[63]
Le jour des calendes de septembre, chaleur.
[64]
C'est durant ces jours que, dans les contrées maritimes et chaudes, l'on
procède avantageusement à la vendange et aux autres opérations que nous avons
détaillées ci-dessus. Le second tour de labour doit être terminé, dans le cas oh
le premier aurait été fait tardivement; car, s'il a été donné de bonne heure, il
convient de procéder à un troisième tour. A cette époque, ceux qui ont
l'habitude d'aromatiser des vins préparent l'eau de mer qu'ils ont fait
transporter chez eux, et la font réduire sur le feu : je donnerai le détail de
cette opération lorsque je passerai en revue les travaux de la métayère.
[65]
Le 15 des calendes d'octobre, l'Arcture se lève; souffle du favonius, ou de
l'africus, et quelquefois de l'eurus, que certaines personnes appellent
vulturne.
[66]
Le 10 des calendes d'octobre, le vaisseau Argo se couche; il annonce la
tempête, quelquefois même la pluie. [67] Pendant ces jours, on vendange dans plusieurs contrées. Les avis se partagent sur l'époque de la maturité des raisins : quelques personnes, en voyant qu'une partie seulement des grappes est encore verte, ont pensé qu'il était temps de faire la vendange; d'autres ont cru qu'il fallait attendre que le raisin fût coloré et transparent; et quelques-unes même, que les pampres se dégarnissent et que les feuilles tombassent. Toutes ces indications sont trompeuses, puisque toutes elles peuvent se présenter avant la maturité des raisins, en raison de la grande chaleur du soleil ou de l'année. [68] Aussi, plusieurs personnes se sont-elles avisées, pour s'assurer de la maturité de ce fruit, de le goûter afin de juger si la saveur en est douce ou acide. Mais ce moyen lui-même peut induire parfois en erreur : car certaines espèces de raisins n'acquièrent jamais de douceur, par l'effet de leur trop grande âpreté. [69] Aussi convient-il, et c'est ce que nous faisons, d'observer la maturité naturelle en elle-même. Or, cette maturité existe, quand, pressant les grains qui recèlent les pepins, on voit ces derniers déjà bruns et quelques-uns même presque noirs. En effet, rien ne peut donner de la couleur aux pepins, excepté la maturité naturelle, surtout si on considère qu'ils sont tellement placés au centre des grains, qu'ils sont protégés contre l'ardeur du soleil et les vents, et que le suc qui les baigne les empêche de cuire et de se tacher, à moins que ce ne soit naturellement. [70] En conséquence, lorsque le métayer a procédé à cet examen, il doit savoir s'il est à propos de vendanger. Mais, avant de commencer à cueillir les raisins, il faut, pendant le mois précédent, s'il est possible, qu'il dispose tout ce qui lui sera nécessaire ; sinon, ses futailles seront, au moins quinze jours d'avance, en partie enduites de poix, en partie grattées, et soigneusement lavées avec de l'eau de mer ou de l'eau salée, puis séchées convenablement.
[71] Il
en sera de même des couvercles, des tamis et des autres ustensiles sans
lesquels on ne saurait bien faire le moût ; les pressoirs et les cuviers aussi
seront diligemment nettoyés, lavés et, si le cas l'exige, enduits de poix; le
bois sera tout prêt pour cuire le moût et le réduire soit à moitié, soit au
tiers. Longtemps d'avance il faut tenir en réserve le sel et les parfums avec
lesquels on a coutume d'aromatiser les vins.
[72] En outre, c'est le moment de l'ensemencement principal du lupin, que quelques
cultivateurs trouvent à propos de mettre sans retard en terre au sortir de
l'aire. C'est alors qu'on récolte le millet et le panic, et que l'on sème les
haricots pour la table : car, pour les recueillir comme semence, il vaut mieux
les semer à la fin d'octobre, vers les calendes de novembre.
[73]
Le 4 des nones d'octobre, le Cocher se couche le matin, et la Vierge finit de se
coucher; ils présagent quelquefois la tempête.
[74]
Le 6 des ides d'octobre, les Pléiades se lèvent le soir; souffle du favonius, et
quelquefois de l'africus avec pluie.
[75] Un jugère de terre demande quatre ou cinq modius de triticum, neuf ou dix de far
adoréum, cinq ou six d'orge, quatre ou cinq setiers de millet ou de panic, huit
ou dix modius de lupins, quatre modius de haricots, trois ou quatre modius de
pois, six modius de fèves, un peu plus d'un modius de lentilles, neuf ou dix
modius de graines de lin, trois ou quatre modius de cicéroles, deux ou trois
modius de pois chiches, quatre ou cinq setiers de sésame, sept ou huit modius de
vesce pour fourrage, cinq ou six modius de vesce, quand elle doit être récoltée
en grain, quatre ou cinq modius d'ers, sept ou huit modius d'orge pour dragée,
six modius de fenugrec; quant à la luzerne, il en faut jeter un cyathe par
chaque petite planche longue de dix pieds et large de cinq. (in sème six grains
des chenevis par pied carré.
[77]
Le 13 et le 12 des calendes de novembre, au lever du soleil, les Pléiades
commencent à se coucher; elles annoncent la tempête.
[78] Le 7 des calendes de
novembre, le front du Scorpion se lève ; il annonce la tempête. [79] Pendant ces jours-là, on doit faire toute espèce d'ensemencements. On met très bien en terre toute espèce de plant. On marie aussi avec succès les vignes aux ormes, et on réussit également bien à propager les ceps des plants mariés à des arbres que ceux des vignobles. Il est temps de sarcler et de serfouir les pépinières, de déchausser les arbres et les vignes et de les tailler, enfin de tailler les ceps mariés à des arbres. On rabat aussi les arbres des pépinières qui n'ont pas été élagués en leur temps, et les jeunes plants de figuiers qu'on doit réduire à un seul jet, quoiqu'il eût mieux valu enlever leurs jets pendant qu'ils étaient jeunes, dans le temps de la pousse. Au surplus, s'il importe en agriculture que chaque opération soit faite en son temps, c'est surtout pour les semailles qu'il faut agir ainsi.
[80] Il y a, chez les
cultivateurs, un ancien proverbe qui dit que les ensemencements
précoces peuvent tromper souvent, mais que les tardifs ne trompent
jamais, par la raison qu'ils produisent toujours de faibles
récoltes. [81] Quant au lupin, si vous ne le retournez pas en fleur, il n'engraissera pas le champ; il n'est aucune graine que les ouvriers puissent semer ou récolter avec plus de facilité dans le loisir que leur laissent leurs travaux : car on peut la confier à la terre de très bonne heure et avant toute autre semaille, et la recueillir seulement après que toutes les autres productions de la terre auront été rentrées.
[82] L'ensemencement étant
terminé, il faut passer la herse sur le grain répandu. On peut
facilement herser deux jugères en trois journées de travail, et en
même temps déchausser les arbres qui se trouveront dans le champ.
Quoique les anciens voulussent qu'on sarclât et hersât un jugère par
jour, je n'oserais affirmer qu'il soit possible de le faire
convenablement.
[83] A la même époque, on
donne avec avantage aux boeufs la feuille de frêne, si on en a,
sinon celle d'orne, ou encore, celle d'yeuse. Il n'est pas inutile,
non plus, de leur offrir un modius de gland par paire, mais pendant
un espace de temps qui ne doit pas dépasser trente jours, afin que
leur santé n'ait point à en souffrir; ni qui soit moindre que ce
même nombre de jours, car alors, comme l'assure Hygin, ils seraient
attaqués de la gale au printemps. Au surplus, on doit mêler le gland
avec de la paille, quand on veut le donner à manger aux boeufs.
[84] Le jour des calendes de
novembre et le lendemain, la tête du Taureau se couche; présage de
pluie. [85] Pendant ces jours jusqu'aux ides, vous pouvez encore exécuter à temps les travaux que vous n'avez pu faire dans le cours du mois précédent; mais vous aurez soin d'observer de jeter sur terre en un seul jour, la veille de la pleine lune, sinon ce même jour, la quantité de fèves que vous avez à semer; pourvu que vous les protégiez contre les oiseaux et les bestiaux, vous pourrez les recouvrir plus tard. Vous herserez aussi, si le cours de la lune ne s'y oppose pas, avant les ides de novembre, leur sol qui doit être très gras et neuf, ou du moins bien fumé. [86] Il suffira d'employer dix-huit voies de fumier par chaque jugère : or, la voie de fumier contient quatre-vingts modius; c'est donc cinq rnodius de fumier à répandre par chaque étendue de dix pieds en tout sens. On voit par ce calcul que quatorze cent quarante modius sont suffisants pour un jugère entier. [87] Il convient alors aussi de déchausser les oliviers; et s'ils sont peu féconds, ou si leurs cimes n'offrent que des feuilles grillées par le soleil, il faut répandre autour d'eux, quatre modius de fumier de chèvres pour les grands arbres, et pour les autres une quantité proportionnée à leur grandeur. Dans ce même temps, on doit déchausser les vignes et verser au pied de chaque cep la valeur d'un setier de fiente de pigeon, ou bien quatre conges d'urine humaine, ou quatre setiers de tout autre fumier. En deux journées de travail on déchausse un jugère de vignes, lorsqu'elles sont plantées à six pieds de distance.
[88] Le jour des ides de
novembre, temps incertain, mais calme le plus souvent.
[89] Le 11 des calendes de
décembre, l'Hyade se couche le matin ; temps froid. [90] Pendant ces jours, il faut continuer les travaux qu'on n'a pu faire précédemment. Si l'on n'a pas beaucoup d'ensemencements faire, il sera très bon de les avoir terminés pour les calendes de décembre. Il faut emprunter aux nuits, alors fort longues, quelque temps pour l'ajouter au jour, d'autant mieux qu'il est beaucoup de choses que l'on peut très bien faire pendant la veillée. En effet, si nous possédons des vignes, on peut tailler et aiguiser les pieux et les échalas; si le pays produit beaucoup de férule et d'écorces, on doit faire des ruches pour les abeilles; si le palmier ou le sparte est commun, on tressera des cabas et des paniers; si l'on possède des arbustes, on fera des corbeilles avec leurs scions. [91] Enfin, pour ne pas entrer dans un détail inutile, il n'y a pas de contrée qui ne fournisse la matière de quelques ouvrages qui puissent se faire pendant les veillées. Effectivement il n'y a qu'un agriculteur paresseux qui borne ses occupations à la brièveté du jour, surtout dans les contrées où les jours d'hiver ne sont que de neuf heures et les nuits de quinze. [92] On peut aussi émonder le saule que l'on a coupé la veille pour le travail de la veillée, et en préparer des liens pour la vigne; s'il est d'une nature peu flexible, il faut le couper quinze jours d'avance, et quand il est émondé l'enfouir dans le fumier, afin qu'il s'y assouplisse. Si au contraire, coupé depuis longtemps, il s'est desséché, on le fera macérer dans une mare. On peut encore, durant la veillée, aiguiser les instruments de fer, leur faire de, manches ou les leur adapter : l'yeuse, puis le charrue, et enfin le frêne sont les bois qui conviennent le mieux pour cet objet.
[93] Le jour des calendes de
décembre, le temps est incertain; le plus souvent cependant il est
calme.
[94] Le 16 des calendes de
janvier, le soleil effectue son passage dans le signe du Capricorne.
C'est l'époque du solstice d'hiver, comme le prétend Hipparque :
aussi il annonce souvent la tempête. [95] Tant que durent ces jours, ceux qui s'occupent sérieusement d'agronomie prétendent qu'on ne doit pas ouvrir la terre avec le fer, à moins que l'on ne soit obligé de serfouir les vignes avec la boue à deux dents. C'est pourquoi, à ce genre de travail près, ils entreprennent tout ce qui peut être fait, comme la récolte des olives, la confection de l'huile, l'échalassement de la vigne et sa ligature jusqu'à la naissance des bras, le placement des jougs et le dressement des sarments sur ce support. [96] Au surplus, en ce temps, il ne convient pas de palmer, c'est-à-dire de lier les branches des vignes, parce que la roideur que leur donne le froid en causerait la rupture. On peut aussi, pendant ces jours, greffer avec succès les cerisiers, les jujubiers, les abricotiers, les amandiers, et les autres arbres qui fleurissent les premiers. Quelques cultivateurs sèment aussi des légumes.
[97] Le jour des calendes de
janvier, le temps est incertain.
[98] Pendant ces journées,
les agriculteurs scrupuleux s'abstiennent des travaux de la terre,
de manière pourtant que, le jour même des calendes de janvier, ils
recommencent chaque espèce d'opérations pour prendre à ce sujet les
augures. Au reste ils diffèrent le labourage jusqu'aux ides
prochaines. [99] Durant le mois de janvier, il leur donnera de la paille soit avec six setiers d'ers macéré, soit avec un demi-modius de cicérole moulue, ou bien des feuilles ce que peut en contenir une corbeille à fourrage de vingt modius, ou de la paille à discrétion et vingt livres de foin, ou une ample quantité de feuilles vertes d'yeuse ou de laurier, ou bien encore (ce qui est préférable à tout cela) de la dragée d'orge sèche. La nourriture des boeufs sera la même en février. En mars on leur fera suivre le même régime, ou s'ils ont du travail à faire, on leur donnera cinquante livres de foin. [100] Durant le mois d'avril, leur nourriture se composera de feuilles de chêne et de peuplier, et, depuis les calendes de ce mois jusqu'aux ides, de paille ou de quarante livres de foin. Au mois de mai, on leur donne du fourrage en abondance. A partir des calendes de juin, on leur fournira une large provision de feuillage; en juillet et en août de même, ou bien cinquante livres de paille d'ers. [101] En septembre on leur offrira du feuillage en abondance; en octobre, du feuillage et des feuilles de figuier. Au mois de novembre jusqu'aux ides, on leur donnera une corbeille de feuillage ou de feuilles de figuier; puis, à partir des ides, un modius de gland mêlé avec de la paille et un modius de lupins macérés également mêlé de paille, ou de la dragée mûre. En décembre, on les nourrira de feuilles sèches, ou de paille avec un demi-modius soit d'ers macéré, soit de lupins macérés aussi, ou bien on leur donnera un modius de gland, comme nous avons dit ci-dessus, ou bien encore de la dragée. Détails en prose sur la culture des jardins et sur les herbes potagères. III. [1] Après avoir développé les travaux que le métayer doit exécuter aux diverses époques de l'année, nous n'oublierons pas la promesse que nous avons faite de parler de la culture des jardins, dont il doit aussi prendre soin, afin de diminuer d'autant la dépense journalière de sa nourriture, et de pouvoir offrir à son maître, lorsqu'il survient, les produits non achetés de sa terre, comme dit le poète. [2] Dans son livre qu'il appelle les Géorgiques, Démocrite est d'avis que c'est agir avec peu de sagesse, que d'entourer leurs jardins de murailles : car celles qui sont faites de briques ne peuvent durer longtemps en raison de l'altération que leur causent d'ordinaire les pluies et les tempêtes; et celles qui sont construites en pierre occasionnent une dépense au-dessus de l'importance de son objet : en effet, il faut être riche pour entreprendre une clôture de quelque étendue. Je vais donc donner le moyen de mettre, sans des frais énormes, un jardin à l'abri des incursions des hommes et des animaux. [3] Les plus anciens auteurs ont donné la préférence, sur les treillages, à une haie vive, parce que non seulement elle exigeait une moindre dépense, mais qu'elle durait pendant fort longtemps : c'est pourquoi ils ont indiqué le moyen suivant pour former des buissons en semant des épines. [4] Après l'équinoxe d'automne et dès que les pluies auront humecté la terre, vous entourerez de deux tranchées distantes entre elles d'un espace de trois pieds, le lieu que vous destinez à être enclos. Il suffira de donner à ces excavations deux pieds de largeur et de profondeur. Du reste on les laissera passer l'hiver en cet état, se bornant à préparer les semences qu'on se propose d'y déposer. Ces graines seront celles des arbustes les plus épineux, surtout de la ronce, du paliure et de cet arbrisseau que les Grecs nomment Κυνόσβατον, et que nous appelons buisson de chien. [5] Il faut choisir des graines très mûres de ces arbrisseaux épineux et les mêler avec de la farine d'ers moulu, détrempée dans de l'eau, puis en enduire de vieux câbles ou tout autre cordage. Quand ces cordes seront séchées, on les déposera sur des planches; puis, quarante jours après le solstice d'hiver, vers l'arrivée des hirondelles, quand le favonius commence à s'élever, à l'expiration des ides de février, on tarit l'eau qui, pendant l'hiver, a pu se fixer dans les tranchées, et on les remplit, jusqu'à moitié de leur profondeur, avec la terre ameublie qu'on en avait extraite dans l'automne. [6] On ôte alors de dessus les planches les cordes, dont nous venons de parler, on les déroule, puis on les étend dans les deux tranchées en les recouvrant de terre, de manière toutefois qu'une trop grande épaisseur n'empêche pas de pousser les semences qui sont restées attachées aux brins de ces cordages. Ces graines lèvent au bout de trente jours environ. Dès qu'elles commenceront à prendre quelque accroissement, on les accoutumera à s'incliner vers l'espace qui sépare les tranchées. [7] Au surplus, il faudra planter au milieu de cet intervalle une haie de gaulettes, afin que les plants de chaque rigole puissent y grimper, et qu'elle leur serve comme d'appui, pour se soutenir jusqu'à ce qu'ils aient acquis de la force. Il est évident qu'une telle haie ne peut périr, à moins qu'on ne veuille la déraciner entièrement : car il n'est douteux pour personne que même après y avoir mis le feu, elle ne repousse qu'avec plus de vigueur. Ce mode d'enclore un jardin a été le plus approuvé par les anciens. [8] D'abord on doit choisir l'emplacement du jardin, si la position du terrain le permet, à peu de distance des bâtiments, dans un fond gras, qu'un ruisseau permette d'arroser, ou, à défaut de cours d'eau, un puits. Mais, pour que ce puits donne une garantie certaine qu'il ne tarira pas, il faut le creuser, quand le soleil est près de sortir du signe de la Vierge, c'est-à-dire dans le mois de septembre, avant l'équinoxe d'automne : alors surtout on apprécie la force des sources, quand, par suite de la longue sécheresse de l'été, la terre est privée d'eaux pluviales.
[9] Au surplus, il faut avoir soin que le jardin ne se
trouve pas placé au-dessous de l'aire, afin que les vents, à l'époque du battage
des grains, n'y puissent apporter de la paille ou de la poussière : car l'une et
l'autre sont préjudiciables aux herbes potagères. [10] Mais lorsque la nature des lieux ne permet pas de se procurer de l'eau spontanément ou d'en transporter, on n'a d'autre ressource que dans les pluies de l'hiver. On peut pourtant, même dans les endroits très secs, obtenir de bons résultats en défonçant le sol plus profondément : à cet effet il suffit de remuer avec la houe à deux dents jusqu'à la profondeur de trois pieds, le sol que ce labeur fait renfler à une hauteur de quatre. [11] Quand, au contraire, il est facile d'arroser, on peut se contenter de la petite houe, c'est-à-dire de celle dont le fer a moins de deux pieds, pour retourner le sol qu'on veut mettre en culture. On aura soin toutefois que le terrain qu'il faut ensemencer au printemps, soit défoncé avec la houe à deux dents vers les calendes de novembre; et que celui qui doit recevoir les semences en automne, soit tourné au mois de niai, afin que soit les froids de l'hiver, soit les chaleurs de l'été, mûrissent les glèbes et fassent périr les racines des herbes. On ne devra pas fumer cette terre longtemps d'avance ; et, lorsque le temps de semer approchera, il faudra cinq jours auparavant sarcler les herbes parasites, répandre le fumier, et biner assez soigneusement pour qu'il soit bien mélangé avec la terre. [12] Pour cet usage, le meilleur fumier est celui de l'âne, parce qu'il fait pousser moins d'herbes : celui qui en approche le plus est. celui des grands bestiaux ou des moutons, quand il s'est mûri toute une année; quant aux excréments humains, quoique procurant un engrais excellent, ils ne doivent pas être employés, à moins que ce ne soit dans un terrain de pur gravier ou de sable friable et privé de toute force végétative, car il réclame des aliments très substantiels. [13] En conséquence, le terrain que nous destinons à l'ensemencement du printemps devra rester, à la suite de l'automne, après avoir été bien remué, exposé à l'action des gelées et des frimas de l'hiver : car, par un effet contraire, la force du froid, comme la chaleur de l'été, recuit la terre et l'ameublit par la fermentation. Ainsi, l'hiver étant passé, on répandra le fumier, et vers les ides de janvier le jardin, bien remué, sera divisé en planches. Elles seront disposées de manière que la main du sarcleur parvienne sans difficulté au milieu de leur largeur, afin que celui qui arrache les herbes parasites ne soit pas forcé de marcher sur les semis; mais qu'au contraire il puisse, en parcourant les sentiers, nettoyer alternativement chaque moitié des planches. [14] Nous avons assez parlé de ce qu'il faut faire avant l'ensemencement; maintenant nous allons prescrire en quel temps il faut ou cultiver ou semer. Il est d'abord à propos de parler des espèces de graines qu'on peut confier à la terre à deux époques, c'est-à-dire en automne et au printemps. Les graines de chou, de laitue, d'artichaut, de roquette, de cresson alénois, de coriandre, de cerfeuil, d'aneth, de panais, de chervi et de pavot se sèment vers les calendes de septembre ou, mieux encore, en février, avant les calendes de mars;
[15] mais dans les lieux secs ou tempérés, comme sont les contrées
maritimes de la Calabre et de l'Apulie, on peut les semer vers les ides de
janvier. Quant aux végétaux qu'on ne doit planter qu'en automne (en supposant
toutefois que nous habitions un sol maritime ou bien exposé au soleil), ce
sont, entre autres, l'ail, les têtes d'oignon, l'ulpique, le sénevé. [16] Ainsi, aussitôt après les calendes de janvier, on peut semer le cresson alénois; au mois de février, on repique ou on sème la rue et l'asperge; on fait un nouveau semis d'oignon et de poireau; et si l'on veut avoir des productions de printemps et d'été, on jette en terre les graines de raiforts, de raves et de navets. C'est, eu outre, le dernier temps pour semer l'ail et l'ulpique; [17] toutefois, vers les calendes de mars, on peut, en terrain bien exposé au soleil, repiquer le poireau, s'il est assez fort, et de même le panais dans la dernière quinzaine de mars; puis, vers les calendes d'avril, le poireau, l'année et le plant de rue qui a été semée tard. Pour obtenir des primeurs, on sème à cette époque le concombre, la courge, le câprier. Quant à la graine de bette, on la sèvrera convenablement lors de la floraison du grenadier;
[18] il est encore a propos de transplanter les têtes de poireau vers les ides de mai. Après ces opérations, on ne
peut plus rien confier à la terre en raison de l'été qui s'approche, si ce n'est
la graine de céleri, pourvu toutefois qu'on puisse l'arroser : à cette
condition, il pousse bien en été. [19] Je vais présentement parler de chacune des plantes qui réclament quelque soin; quant à celles dont je ne dirai rien, on doit comprendre qu'elles n'ont besoin que d'être sarclées : ainsi je n'ai rien à en dire, sinon qu'en tout temps on doit les débarrasser des herbes parasites. [20] L'ulpique, que quelques personnes appellent ail de Carthage, et les Grecs ἀφροσκόροδον (ail africain), devient plus gros que l'ail commun. Vers les calendes d'octobre, avant de le planter, on divise sa tête en plusieurs bulbes; car il a, comme l'ail ordinaire, plusieurs gousses réunies; quand ces gousses sont séparées, on doit les piquer en lignes de manière que, placées sur la crête des rayons, ils aient moins à souffrir des pluies d'hiver. [21] Ces rayons sont semblables aux porques que les paysans pratiquent dans les champs labourés pour préserver leurs semailles de l'humidité; mais ceux des jardins ont moins de hauteur, et c'est sur leur sommet, c'est-à-dire sur leur dos que, à un palme de distance, on dispose les caïeux de l'ulpique ou de l'ail (car leur mode de plantation est le même). Les sillons de ces rayons seront séparés entre eux par une distance d'un demi-pied. Puis, lorsque ces caïeux auront produit trois jets, on sarclera : car plus souvent on le fait, plus ces semences prennent d'accroissement; et,avant qu'ils aient produit une tige, il conviendra de tordre toute la partie verte et de la recourber en terre, afin que les gousses acquièrent plus de grosseur. [22] Mais, dans les contrées sujettes aux frimas, il ne faut semer ni l'une ni l'autre de ces plantes pendant l'automne, car elles pourriraient durant l'hiver; et comme cette dernière saison ne perd de sa rigueur qu'à l'approche du mois de janvier, le temps le plus favorable, dans les contrées froides, pour planter l'ail ou l'ulpique, arrive vers les ides de ce mois. Au surplus, en quelque temps qu'on les plante, ou qu'on les dépose sur des planchers quand ils sont mûrs, il faut observer, soit de ne les mettre en terre, soit de les en tirer, que dans l'interlune : car on prétend que, plantés ainsi et ainsi recueillis, leur saveur est moins âcre, et qu'ils rendent moins fétide l'haleine des personnes qui en mangent.
[23] Beaucoup
de jardiniers cependant plantent ces bulbes dans le mois de décembre, au milieu
du jour, avant les calendes de janvier, si la douceur du temps et la nature du
sol le permettent. [24] Dans les pays froids et pluvieux, le meilleur moment de le planter est le temps qui suit les ides d'avril. Lorsque ce plant aura repris, il poussera d'autant mieux que le jardinier se trouvera en position de le sarcler souvent et de le fumer : il développera plus amplement ses feuilles et sa cime. Quelques personnes, dans les lieux plus exposés au soleil, plantent le chou à partir des calendes de mars; mais sa plus forte végétation se projette en cime, et, quand une fois elle a été coupée, il ne pousse plus par la suite de larges feuilles pour l'hiver. Au reste, on peut transplanter deux fois les choux même très grands; et en agissant ainsi, on assure qu'on en obtient plus de graine, et que cette graine acquiert plus de développement. [25] On doit transplanter la laitue quand elle a autant de feuilles que le chou. Dans les localités bien exposées au soleil, et sur les bords de la mer, on la plante avec avantage en automne : il n'en est pas de même de l'intérieur des terres et des pays froids; il n'est pas bon, non plus, de l'y repiquer en hiver. Ses racines doivent aussi être enduites de fumier. Elle réclame plus d'eau que le chou, et cette eau rend ses feuilles plus tendres. [26] Il existe plusieurs espèces de laitues qui ont aussi chacune leur époque pour être semées. On sème à propos au mois de janvier celles qui sont de couleur brune et comme pourprée, ou même la verte, dont la feuille est crépue, comme la cécilienne; au mois de février, la cappadocienne dont la feuille est d'un vert pâle, bien dressée et épaisse ; et au mois de mars, la laitue blanche, à feuille très crépue, comme celle de la province Bétique et des confins de la cité de Gadès.
[27] On plante aussi
avantageusement jusqu'aux ides, d'avril la laitue de Gypre, qui est d'un blanc
rosé, et dont la feuille est lisse et très tendre. Toutefois, dans les lieux
bien exposés au soleil et où l'eau se trouve en abondance, on peut presque toute
l'année semer des laitues. Pour retarder le développement de leur tige, quand
elles ont pris quelque accroissement, on place sur leur centre un petit tesson
qui par son poids les refoule en quelque sorte et les force à s'étendre en
largeur. [28] Le meilleur temps pour la plantation en lignes des oeilletons de l'artichaut est l'équinoxe d'automne ; sa graine se sème plus avantageusement vers les calendes de mars. Les pieds qu'on repique vers les calendes de novembre doivent être amendés avec beaucoup de cendre : car c'est le genre d'amendement qui paraît convenir le mieux à ce légume. [29] On laisse en place, au lieu où ils ont été semés, le sénevé, la coriandre, la roquette et le basilic : pour toute culture ils ne veulent qu'être fumés et sarclés. On peut d'ailleurs les semer non seulement en automne, mais encore au printemps. Quand les pieds de sénevé sont transplantés au commencement de l'hiver, ils produisent au printemps une cime plus développée. Dans l'une et l'autre de ces deux saisons, le panais doit être semé en terre légère et bien remuée, aussi peu dru qu'il est possible, afin qu'il puisse prendre plus d'accroissement : il vaut mieux toutefois le semer pendant le printemps. [30] Pour obtenir des poireaux sectiles, nos anciens ont prescrit de les semer très dru, et, quand ils auront pris de l'accroissement, de les mettre en coupe; mais l'expérience nous a appris qu'il y avait beaucoup plus d'avantage à les transplanter, à les disposer à un léger intervalle, c'est-à-dire à quatre doigts de distance, comme le poireau à tête; puis on les coupe, quand ils ont pris de la force. [31] Au reste, il faut observer, avant de Ies transplanter, si vous voulez leur procurer une grosse tête, de leur couper toutes les petites racines, de tondre l'extrémité des feuilles, et d'enfouir sous la bulbe un tesson ou une coquille pour leur servir comme de siége, afin que cette tête prenne un plus grand volume. [32] Au reste, toute la culture du poireau à tête se borne à le sarcler souvent et à le fumer; celle du poireau sectile n'en diffère qu'en ce point, que toutes les fois que l'on en fait une coupe, il faut arroser, fumer et sarcler. On le sème au mois de janvier dans les lieux chauds, en février dans les cantons froids. Afin qu'il pousse plus vite, on lie plusieurs semences dans une toile claire, et on les met ainsi en terre. Lorsqu'elles sont levées, on doit différer la transplantation jusque vers l'équinoxe d'automne, dans les lieux où l'arrosement est impossible; mais clans ceux où l'on peut leur donner de l'eau, on les transplante avec avantage au mois de mai. [33] On peut aussi obtenir l'ache, soit par la transplantation, soit par le semis. Elle se plaît surtout dans l'humidité : aussi la place-t-on avec avantage auprès des fontaines. Si l'on veut qu'elle donne de larges feuilles, ou nouera dans un linge à large tissu autant de graines que trois doigts peuvent en saisir, et ainsi disposées on les mettra à distance sur les planches du jardin; ou, si on la préfère à feuilles frisées, on mettra la graine dans un mortier, on l'y écrasera avec un pilon de bois de saule, et après l'avoir mondée et liée dans un linge, on la recouvrira de terre.
[34] Sans prendre cette peine, on peut,
quelle que soit la manière dont on l'ait semée, obtenir de l'ache frisée : on
arrête son essor, dès quelle est levée, eu roulant dessus un cylindre. Le temps
le plus favorable pour la semer est celui qui est compris entre les ides de mai
et le solstice d'été; car cette plante aime une douce chaleur. [35] Le panais, le chervi et l'année prospèrent dans un sol profondément défoncé avec la houe à deux dents et bien fumé; mais il faut avoir soin de laisser entre elles une grande distance, afin qu'elles puissent prendre plus d'accroissement. Quant à l'année, il convient d'en semer la graine à trois pieds d'intervalle, parce qu'elle développe de grandes liges, et que ses racines tracent comme les oeilletons du roseau. Tous ces végétaux n'ont besoin pour toute culture que d'être débarrassés des herbes par le sarclage. On les plante très convenablement dans la première moitié de septembre ou dans la dernière d'août. [36] Le marum, que quelques Grecs appellent ἱπποσέλινον, et d'autres σμύρνιον, doit être semé en terre défoncée à la houe à deux dents, surtout près d'un mur, parce qu'il aime l'ombre; il pousse bien en toute espèce de terrain. Une fois semé, il durera toujours, si on ne le déracine pas entièrement, et qu'on laisse successivement monter les tiges en graine; il n'exige que la faible culture du sarclage. On le sème à partir des fêtes de Vulcain jusqu'aux calendes de septembre, et même au mois de janvier. [37] La menthe se plaît dans une douce moiteur; c'est pourquoi il convient de la semer au mois de mars près d'une source. Si par hasard vous n'avez pas de graine à votre disposition, vous pouvez arracher de la menthe sauvage dans des jachères, et la planter la tête en bas :c'est le moyen de lui faire perdre l'âcreté de sa saveur et d'en faire de la menthe cultivée. [38] La rue, semée en automne, doit, au mois de mars, être transplantée au soleil, entourée de cendre, et, jusqu'à ce qu'elle ait pris de la force, être débarrassée des herbes qui la feraient périr. Pour la sarcler, on s'enveloppera les mains; car si l'on omettait cette précaution, elles se couvriraient d'ulcérations pernicieuses. Pourtant si, faute de connaître le danger, vous avez fait le sarclage ayant la main nue, et qu'il vous soit survenu des démangeaisons et des pustules, frottez aussitôt d'huile la partie malade. Ses branches se conservent sans altération plusieurs années, à moins qu'une femme, dans le moment de ses menstrues, ne vienne à la toucher : car alors la plante se dessèche. [39] Ainsi que je l'ai dit dans un des livres précédents, ceux qui élèvent des abeilles, plutôt que les jardiniers, s'adonnent à la culture du thym, de l'origan d'outre-mer et du serpolet; toutefois nous pensons qu'il n'est pas indifférent d'en avoir dans les jardins pour s'en servir comme de condiments : car ils conviennent beaucoup dans certains mets. Ils désirent un terrain qui ne soit ni gras ni fumé, mais bien exposé au soleil, vu qu'ils naissent ordinairement dans le voisinage de la mer, sur des fonds très maigres. [40] On les propage de graine ou de plant vers l'équinoxe du printemps ; cependant il vaut mieux planter de jeunes pieds de thym, et, pour qu'ils ne tardent pas à reprendre, après avoir été repiqués dans un terrain bien remué, on broiera des rameaux secs de cet arbuste, qu'on fera ensuite infuser dans de l'eau la veille du jour où l'on veut s'en servir, et quand le liquide se sera bien saturé du suc de la plante, on en arrosera les pieds nouvellement mis en terre, jusqu'à ce qu'ils se soient convenablement fortifiés. [41] Quant à l'origan, il est trop vivace pour avoir besoin de grands soins. Lorsqu'on sème le passerage avant les calendes de mars, on peut le mettre en coupe, comme le porreau sectile, mais plus rarement, et il faudra cesser de le tondre après les calendes de novembre, parce qu'offensé par le froid, il mourrait. Toutefois il produira pendant deux ans, s'il est sarclé et fumé avec soin; dans beaucoup de lieux même il prolonge sa vie jusqu'à dix ans. [42] On met en terre la graine de bette à l'époque de la floraison du grenadier : dès qu'elle a donné cinq feuilles, comme le chou, on la transplante pendant l'été, si le jardin est facile à arroser; mais si le terrain est sec, on ne doit effectuer cette transplantation qu'en automne, lors des premières pluies. Le cerfeuil et l'arroche potagère, que les Grecs appellent ἀτράφασυς, doivent être semés vers les calendes d'octobre, dans un terrain qui ne soit pas très froid; si le pays était sujet à des hivers rigoureux, on diffèrerait de semer ces plantes jusqu'après les ides de février, pour les transférer ensuite de l'endroit où elles se trouvent en masse. Le pavot et l'aneth sont soumis aux mêmes conditions d'ensemencement que le cerfeuil et l'arroche. [43] On prépare, près de deux ans d'avance, les griffes de l'asperge cultivée et celles de l'asperge que les paysans appellent corrude : après les ides de février, on en sème la graine en terrain gras et bien fumé, de manière que chaque fossette en reçoive autant que trois doigts peuvent en saisir : au bout de quarante jours environ, les racines s'enchevêtrent et forment comme une seule masse. Les jardiniers appellent éponges ces petites racines ainsi attachées et réunies. Il est convenable de les transporter, vingt-quatre mois après, dans un lieu exposé au soleil, bien humide et fumé. [44] Les sillons seront entre eux distants d'un pied, et n'auront pas plus de neuf pouces de profondeur : on y place les griffes de manière qu'elles puissent facilement percer la terre qui les couvre. Quant aux terrains secs, on dispose les graines au fond des sillons pour qu'elles y restent comme dans de petites auges; mais, dans les fonds humides, on les place, au contraire, sur le dos des rayons pour que l'excès de l'eau ire les incommode pas. [45] Un an après que les asperges ont été ainsi plantées, on casse le turion qu'elles ont produit car si on voulait l'arracher entièrement, toute la griffe suivrait les racines tendres et faibles encore. Les années suivantes, on ne les cassera plus; mais on les arrachera entièrement : si on agissait autrement, les tiges rompues éteindraient les yeux des griffes, les aveugleraient, eu quelque sorte, et ne leur permettraient plus de produire de turions. Au reste, les derniers jets qui naissent dans l'automne ne doivent pas être totalement enlevés : il faut en réserver une partie pour graille. [46] Puis, quand ils auront monté, et qu'on aura recueilli les semences, il n'y aura autre chose à faire aux tiges que de les brûler, puis de sarcler tous les sillons, et d'arracher les mauvaises herbes; peu de temps après, on jettera sur le plant du fumier ou de la cendre, afin que, pendant la durée de l'hiver, leur suc, délayé par les pluies, parvienne jusqu'aux racines. Le printemps venu, avant que l'asperge ait commencé à germer, on serfouira la terre avec le chevreau, qui est une espèce d'instrument de fer à deux dents, afin que le turion se fasse jour plus facilement, et que, la terre étant meuble, il acquière plus de grosseur. [47] On peut fort bien semer deux fois dans l'année la graine du raifort : dans le mois de février, si on veut. avoir de ces racines au printemps, et au mois d'août, vers les fêtes de Vulcain, si l'on désire des primeurs : cette dernière plantation est incontestablement la meilleure. Tout le soin qu'exige cette racine consiste à être mise dans une terre fumée et ameublie; puis, lorsque le raifort a pris quelque accroissement, on le recharge de terre : car s'il voyait le jour il deviendrait dur et fongueux. [48] Le concombre et la courge demandent peu de soin, lorsqu'on a de l'eau en abondance : car ils ont besoin de beaucoup d'humidité. Si, au contraire, on est obligé de les semer en terrain sec, où l'on ne puisse pas les arroser convenablement, on fera, dans le mois de février, des sillons d'un pied et demi de profondeur; après les ides de mars, on remplira de paille pressée le tiers environ de cette cavité, puis on étendra dessus, jusqu'à la moitié du sillon, de la terre futée dans laquelle on enfoncera les pépins, auxquels on donnera de l'eau jusqu'à ce qu'ils soient levés. Lorsque la plante commencera à prendre de la force, on les rechaussera, à mesure de sa crue, avec la terre du sillon, jusqu'à ce qu'il en soit rempli. Ainsi traités, les jeunes plants viendront assez bien pendant tout l'été sans être arrosés, et donneront un fruit de meilleur goût que ceux auxquels on aura donné de l'eau. [49] Dans les lieux humides, au contraire, on sème de bonne heure les cucurbitacées (toutefois pas avant les calendes de mars), afin de pouvoir les transplanter immédiatement après l'équinoxe du printemps. Il faut planter, la cime en bas, les graines de courge recueillies dans son centre, afin que le fruit devienne plus volumineux : car il y a des courges, telles que celles d'Alexandrie, qui sont assez propres à faire des vases. [50] Si l'on destine ces fruits à la table, il faudra placer leur cime droite en terre, et prendre les pépins prés du pédoncule : ce qui, les faisant pousser plus longs et plus effilés, leur donne plus de prix qu'aux autres. Au surplus, il faudra bien prendre garde de laisser entrer aucune femme dans le lieu où l'on a semé des concombres ou des courges : car il suffirait qu'elle touchât les pousses les plus vigoureuses pour les faire languir; si même elle se trouvait à l'époque de ses règles, son seul regard ferait périr les jeunes fruits. [51] Le concombre sera tendre et très agréable au goût, si, avant de le semer, on en fait macérer les pépins dans du lait; quelques personnes même, pour le rendre plus doux encore, les font tremper dans de l'eau miellée. Ceux qui veulent obtenir des concombres très précoces doivent les semer après le solstice d'hiver dans de petites corbeilles remplies de terre fumée que l'on arrose légèrement; ensuite, quand les pépins sont levés, on place ces corbeilles en plein air au soleil près des bâtiments pour les mettre à l'abri des vents, et on les rentre à la maison pendant le froid et les tempêtes. On continue à prendre ces précautions jusqu'à l'arrivée de l'équinoxe du printemps : alors on enterre entièrement les corbeilles. Par ce moyen, on obtient des fruits précoces. [52] On peut même, si le produit dédommage de la peine, adapter des roulettes sous des vases de grande dimension, afin de les faire sortir et de les rentrer ensuite à la maison avec moins de peine. En outre on devra les couvrir de vitraux pour qu'on puisse les exposer au soleil, même pendant le froid, lorsque le temps est serein. [53] Au moyen de tels procédés on offrait, presque toute l'année, des concombres à l'empereur Tibère. Nous avons lu dans Bolus de Mendès, auteur égyptien, que, avec moins de peine, on obtient le même résultat : il prescrit d'établir, en un lieu du jardin qui soit exposé au soleil et bien fumé, des lignes alternatives de férules et de ronces; puis, après l'équinoxe, de les couper un peu au-dessous du niveau du sol, d'enfoncer, au moyen d'un stylet de bois, un peu de fumier dans la moelle de la férule et de la ronce, et d'y introduire les pépins de concombre pour qu'en poussant ils fassent corps avec ces plantes; de sorte qu'ils se nourrissent, non pas de leur racine propre, mais de celle de la plante qu'on pourrait appeler leur mère : la tige ainsi greffée donne du fruit, même pendant le froid. On observera de faire le second ensemencement vers les Quinquatries. [54] Le câprier pousse spontanément sur les jachères dans plusieurs provinces. Mais, si on le sème dans les lieux où il ne se trouve point, il préférera un terrain sec. On devra, avant tout, entourer ce terrain d'un petit fossé, que l'on remplira de pierres et de chaux, ou de mortier carthaginois, pour former comme une espèce de bouclier qui s'oppose au passage des tiges de cet arbrisseau, qui s'étendrait presque partout le champ, si on ne l'arrêtait par quelque obstacle fortifié. [55] Cet inconvénient, toutefois, n'est pas si grand (car on peut de temps en temps extirper ces tiges) que celui qui résulte du virus pernicieux qu'elles renferment, et dont le poison rend le sol stérile. Le câprier n'a pas besoin de culture, ou du moins se contente de peu de soins, puisqu'il prospère dans les lieux déserts sans que les cultivateurs s'en occupent. On le sème à l'époque des deux équinoxes. [56] Le plant d'oignon demande une terre plutôt fréquemment remuée que profondément labourée. C'est pourquoi on doit, après les calendes de novembre, lui donner un premier labour, afin que les froids et les frimas de l'hiver la mûrissent; après un intervalle de quarante jours, on la binera; puis vingt et un jours après on lui donnera un troisième tour et aussitôt on la fumera; peu après on la fouira bien également avec la binette, et après en avoir arraché les racines, on la disposera en planches. [57] Ensuite, vers les calendes de février, on choisira un jour serein pour y répandre la graine, à laquelle on mêlera un peu de semence de sarriette pour en avoir au besoin : car verte elle est agréable à manger, et sèche elle n'est pas inutile dans l'assaisonnement des mets. On doit sarcler les oignons très fréquemment, au moins quatre fois. Si l'on veut en recueillir la graine, on plantera en lignes, au mois de février, quelques grosses têtes de l'espèce d'Ascalon, qui est la meilleure, en les espaçant de quatre ou cinq doigts; quand elles commenceront à pousser, on les sarclera trois fois au moins; [58] quand ensuite elles auront produit une tige, on la maintiendra au moyen de petits cantères placés dans les intervalles qui les séparent : car, si l'on ne disposait pas des roseaux transversalement rapprochés, à la manière du joug des vignes, les tiges des oignons seraient renversées par les vents, et toute la graine serait dispersée. Au surplus, il ne faut pas la recueillir avant qu'elle ait commencé à mûrir et pris la couleur noire ; il faut toutefois éviter qu'elle ne sèche trop ou ne tombe entièrement, il vaut mieux cueillir les tiges entières et les faire sécher au soleil. [59] Il y a deux époques d'ensemencement pour le navet et pour la rave; leur culture est la même que celle du raifort. Toutefois le meilleur semis se fait au mois d'août. Un jugère de champ demande quatre setiers de graine, mais on doit ajouter à cette mesure un peu plus d'une hémine de graine de raifort. [60] Celui qui sèmera ces racines en été veillera à ce que, pendant la sécheresse, les insectes n'en dévorent pas les jeunes feuilles à mesure qu'elles sortent de terre. Pour éviter que cela n'arrive, on recueillera de la poussière qui recouvre le plancher ou même de la suie qui s'attache aux parois du foyer, et la veille du jour où l'on doit faire l'ensemencement, on la mêlera avec les graines, et on l'imbibera d'eau, afin que celles-ci puissent se saturer du suc de ces matières pendant une nuit. La semence ainsi trempée sera très bonne à mettre en terre le lendemain. [61] Certains auteurs anciens, comme Démocrite, prescrivent de mettre tremper toutes les semences dans le suc de la plante qu'ils appellent sédum, et d'employer ce même remède contre les petits insectes : notre expérience nous,a confirmé l'efficacité de ce procédé. Cependant nous nous servons plus fréquemment de suie et de la poussière dont nous avons parlé, parce qu'on trouve peu de sédum, et que ce moyen suffit pour conserver les plantes en bon état. [62] Hygin pense qu'après le battage des grains, pendant que la paille recouvre encore l'aire, il faut y semer des raves, parce qu'ainsi elles acquièrent plus de développement en raison de la dureté du sol qui ne leur permet pas de s'enfoncer profondément. J'ai souvent fait l'essai de cette pratique sans avoir réussi; c'est pourquoi j'estime qu'il vaut mieux mettre en terre ameublie la rave, le raifort et le navet. Les agriculteurs les plus religieux conservent encore la coutume des anciens : en semant ces racines, ils prient qu'il en croisse pour eux et leurs voisins. [63] Dans les contrées froides, où l'on craint que le semis d'automne ne soit brûlé par les gelées de l'hiver, on dresse au moyen de roseaux des cautères peu élevés, et on y étend de petites branches sur lesquelles on jette de la paille : par ce moyen on protége les semis contre les frimas. Lorsque dans les lieux exposés au soleil il survient, après les pluies, de ces animaux nuisibles que nous appelons chenilles, et que les Grecs nomment κάμπαι, on doit les enlever à la main, ou, dès le matin, les faire tomber en secouant les tiges : car, quand elles tombent ainsi pendant qu'elles sont engourdies par le froid de la nuit, elles ne peuvent plus remonter à la partie supérieure de ces tiges. [64] Cette opération, toutefois, devient inutile si, avant l'ensemencement, on a, comme je l'ai dit, mis macérer la graine dans le suc du sédum. En effet les chenilles ne nuisent pas aux semences ainsi traitées. Au reste, Démocrite affirme, dans le livre grec intitulé sur !'Antipathie, que tous ces insectes meurent si une femme, ayant ses règles, fait trois fois le tour de chacune des planches ensemencées ayant les cheveux épars et les pieds nus; car on voit aussitôt après cette pratique toutes les espèces de petits vers tomber et périr.
[65] Voilà ce que. jusqu'ici j'ai cru
devoir prescrire pour la culture des jardins et les devoirs du
métayer. Quoique dans la première partie de ce traité j'aie dit
qu'il devait être au fait de tous les travaux champêtres, et comme
il arrive le plus ordinairement que nous perdons le souvenir des
choses que nous avons apprises, et que nous sommes souvent obligés
de recourir aux ouvrages sur la matière pour retremper nos
connaissances, j'ai placé ci-dessous les arguments de tous mes
livres, afin que, au besoin, on puisse trouver facilement ce qu'on
désire dans chacun d'eux, et comment on doit faire chaque chose. |