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ARISTOXÈNE

 

 

ÉLÉMENTS HARMONIQUES

 

LIVRE II

 

introduction - livre I - livre III

 

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

Les quatre premières planches (sur cinq) du livre ne servent à rien compte tenu de leur état ;

j’ai cependant laissé les notes renvoyant à ces 4 premières planches. Elles sont surlignées en jaune.

 

 

 

 

 

LIVRE DEUXIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

 CONSIDÉRATIONS SUR L’HARMONIQUE.

1. La meilleure méthode consiste à exposer d’avance le plan et l’objet de notre ouvrage, afin que, sachant dès le début par quelle route il nous faudra marcher, nous suivions facilement cette route, et que, reconnaissant toujours dans quelle partie nous sommes [de la théorie], nous ne dénaturions pas, sans nous en apercevoir, les opinions relatives à la question traitée, chose qui arriva souvent, disait Aristote, à presque tous ceux qui allaient écouter les discours de Platon sur le Bien. Chacun s’approchait pensant qu’on l’entretiendrait de l’un de ces prétendus biens humains tels que la richesse, la santé, la force, en somme un bonheur merveilleux. Mais quand on voyait que ses discours roulaient sur les sciences telles que l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, et enfin sur ce thème que « le bien c’est l’unité », à mon avis, l’étude de questions de cette sorte trompait singulièrement l’attente de son auditoire. Par suite, les uns ne donnaient aucune attention au sujet traité, les autres le blâmaient. Quelle était la cause de ces dispositions? c’est que les auditeurs ne savaient pas dès le début sur quoi porterait le discours. Ils s’approchaient, et, bouche béante, à la manière des plaideurs, ils attendaient le titre même de la conférence.

2. Mais je pense que, si l’on commençait par donner une idée de l’ensemble, l’auditeur serait bien au courant [de chaque question], et si ce que dit le maître lui faisait plaisir, il pourrait rester à [entendre] l’exposé de cette question.

3. Aristote lui-même, pour les motifs que j’ai donnés, disait d’avance à ceux qui venaient pour l’écouter, quel serait le sujet, quelle serait la matière de la question qu’il allait traiter.[1]

Il nous paraît donc préférable à nous aussi, comme nous le disions en commençant, que l’on connaisse notre programme à l’avance; car il y a parfois erreur en deux sens contraires.

Les uns supposent que la science harmonique est d’une si grande importance que, pour en avoir appris les éléments, non seulement on est musicien, mais que l’on améliore son propre caractère. C’est mal comprendre les explications démonstratives où nous avons essayé de traiter de chacune des mélopées;[2] c’est mal comprendre surtout ce point essentiel que telle mélopée est nuisible, telle autre profitable aux moeurs; enfin ce n’est pas comprendre du tout dans quelle mesure la musique peut être utile.[3]

Les autres s’imaginent, non pas que l’harmonique n’a aucune importance, mais qu’elle est d’une utilité médiocre, et se bornent à ne pas ignorer même en quoi elle consiste.

5. Ces deux manières de voir ne sont ni l’une ni l’autre dans la vérité.

L’harmonique ne mérite pas le mépris où on la tient aujourd’hui,[4] c’est un fait dont l’évidence ressortira de la suite de cet ouvrage, mais elle n’est pas non plus d’une assez grande importance pour suffire à tout[5] comme le prétendent quelques-uns. Car, on le dit sans cesse, il faut acquérir encore beaucoup d’autres connaissances pour savoir la musique, et l’étude de l’harmonique n’est qu’une des parties de ce qui constitue le musicien, au même titre que la rythmique,[6] la métrique[7] et l’organique.[8]

6. Il faut donc parler maintenant et de l’harmonique et de ses parties.

Il faut remarquer d’une manière générale que toute théorie relative à un chant quelconque[9] doit expliquer comment la voix, par la surtension et par le relâchement, forme naturellement les intervalles. Car nous prétendons que la voix se meut d’un mouvement naturel et ne forme pas un intervalle au hasard.[10] Nous nous efforçons de donner là-dessus des démonstrations conformes à l’expérience, nous ne faisons pas en cela comme nos devanciers.

7. Les uns raisonnent d’une manière tout à fait étrange: ils récusent le jugement de l’oreille,[11] dont ils n’admettent pas l’exactitude; ils vont chercher des raisons purement abstraites.[12] A les entendre, il y a certains rapports numériques, certaines [lois de] vitesses relatives [dans les vibrations] dont dépendraient l’aigu et le grave, et, partant de là, ils font les raisonnements les plus extraordinaires, les plus contraires aux données de l’expérience.

Les autres donnent pour des oracles chacune [de leurs opinions] sans raisonnement ni démonstration: les faits naturels eux-mêmes, ils ne savent pas les énoncer convenablement.

8. Pour notre part, nous tâchons de recueillir tous les faits qui sont évidents pour ceux qui connaissent la musique, puis de démontrer les conséquences qui résultent de ces [faits fondamentaux].

9. Ainsi donc,[13] le point de vue général, c’est une théorie qui porte sur tout chant musical produit soit par la voix soit au moyen des instruments. Cette étude se réfère à deux facultés qui sont l’ouïe et le discernement.[14] Au moyen de l’ouïe, nous jugeons les grandeurs des intervalles et par le discernement nous nous rendons compte de leurs puissances.

Il faut donc s’accoutumer à juger avec précision chacun [des intervalles], car l’on ne peut suivre ici l’usage que l’on suit quand il s’agit de figures [géométriques]:

« Soit donné ce [trait] pour une ligne droite. »

Il faut se départir de cette méthode quand il s’agit des intervalles. Le géomètre, en effet, ne se sert pas des facultés sensibles, il n’exerce pas sa vue à juger la droite ou la courbe, ni aucune autre configuration, ni bien ni mal, mais c’est plutôt l’affaire de l’ébéniste, du tourneur et, en général, des artisans dont le travail a recours à ces appréciations. Ce qui est en première ligne pour le musicien, c’est l’exactitude de la perception; et en effet l’on ne peut admettre que celui qui perçoit mal s’expliquera convenablement sur des faits qu’il ne perçoit pas du tout.[15] Cette vérité sera bien évidente en ce qui regarde la matière de notre trait.

10. Il ne faut pas ignorer que l’intelligence de la musique consiste à la fois dans la stabilité et dans la mobilité, et que ces caractères s’étendent presque à la musique tout entière, pour parler sommairement, et sur chacune de ses parties.

En effet, nous percevons directement les variétés de genres en considérant la stabilité de la grandeur compréhensive,[16] et la mobilité des grandeurs moyennes, tantôt lorsque, pour ce qui est de la grandeur fixe, nous lui donnons le nom de intervalle de l’hypate à la mèse et celui de la paramèse à la nète (car, bien que la grandeur soit constante, il arrive néanmoins que les puissances varient), tantôt lorsqu’une même grandeur, telle que la quarte, la quinte et les autres consonances,[17] a plusieurs formes; tantôt encore lorsqu’un intervalle produit une métabole ou mutation s’il occupe telle place et non pas s’il en occupe une autre.[18]

11. Nous voyons dans les éléments qui concernent les rythmes se présenter beaucoup de conditions analogues.[19]

En effet, bien que les rapports qui constituent les genres [de rythmes] soient constants, les grandeurs des pieds varient par l’influence de la marche [rythmique], et, lors même que les grandeurs [des pieds] sont constantes, les pieds peuvent être dissemblables;[20] en outre telle grandeur peut valoir et un pied et une syzygie.[21] Il est évident que les divisions et formes d’un même genre se rapportent à une grandeur constante. En un mot la rhythmopée peut varier de mille manières diverses, mais les pieds, qui nous servent à caractériser les rythmes, sont simples et toujours les mêmes.

12. Puisque telle est la nature de la musique, il est nécessaire d’accoutumer le discernement et l’oreille à apprécier la stabilité et la mobilité, dans les principes du chant accordé.

CHAPITRE II.

DES SEPT PARTIES DE L’HARMONIQUE; TERME DE CETTE ÉTUDE.

13. Pour parler sommairement, la nature de la science appelée l’harmonique est telle que nous l’avons expliqué: on est convenu de la diviser en sept parties.[22]

L’une d’elles, c’est la première, détermine les genres et fait voir quels sons par leur fixité, quels autres sons par leur mobilité, donnent lieu aux variétés de genres.

15. Personne, en aucune façon, n’a jamais déterminé cette question d’une manière convenable; car on ne traitait pas des deux [premiers] genres, mais de l’enharmonique exclusivement. Seulement, ceux qui s’exerçaient sur les instruments distinguaient par l’oreille chacun des genres. Mais [cette question de savoir] dans quel cas un chant commençant par l’enharmonique peut devenir chromatique, personne ne l’a jamais envisagée. L’on ne distinguait pas chaque genre sous le rapport des diverses nuances. Cela vient de ce que les musiciens n’étaient pas familiarisés avec la mélopée tout entière et qu’ils ne s’accoutumaient point à des déterminations précises dans l’appréciation de ces différences. On ne s’était pas même convaincu que les sons mobiles ont certains lieux suivant les variétés de genres.

Telles sont donc à peu près les raisons pour lesquelles les genres n’étaient pas déterminés auparavant. Il nous faudra évidemment opérer cette détermination si nous voulons en connaître les variétés. L’objet de la première partie comprend donc l’enharmonique, le chromatique [et le diatonique].[23]

16. Dans la seconde partie, il faudra parler des intervalles, sans négliger autant que possible aucune des différences qui les distinguent entre eux sous le rapport de la puissance.

17. Pour parler sommairement, la plupart de ces différences n’ont pas été admises dans la théorie; or il ne faut pas ignorer que, quelle que soit celle de ces différences laissées en dehors de la théorie et tout à fait négligées que nous ayons à rencontrer sur notre chemin, elle sera cause que nous ne connaîtrons pas non plus les différences qui se produisent dans les [chants] musicaux.

18. Comme les intervalles ne suffisent pas pour faire connaître et distinguer les sons (car, pour parler sommairement, une grandeur quelconque d’intervalle est commune à plusieurs puissances), la troisième partie de notre traité concerne les sons. Elle décide s’ils sont des tensions, comme le supposent le grand nombre, ou bien des puissances, et même elle dit en quoi consiste la puissance.

Aucun de ces divers points n’a été envisagé nettement par ceux qui ont traité cette matière.

19. La quatrième partie explique le nombre et la nature des systèmes. Elle montre comment ils se composent d’intervalles et de sons.

20. Cette partie n’a été considérée sous aucun de ces aspects par les musiciens antérieurs. Ainsi [la question de savoir] si les systèmes se composent d’intervalles d’une manière quelconque, et s’il n’y a pas de combinaison contraire à la nature, n’a pas donné lieu au moindre examen; les différences qui se rencontrent dans les systèmes n’ont été complètement énoncées par personne. En un mot, nos devanciers n’ont pas du tout étudié les caractères du [chant] musical et du chant non-musical. Quant aux diverses espèces de systèmes, les uns n’ont pas essayé de les énumérer: ils portaient leur examen sur les heptacordes seulement, qu’ils appelaient des harmonies;[24] les autres, tout en essayant de les énumérer, ne le faisaient aucunement; tels étaient les disciples de Pythagore de Zacynthe[25] et ceux d’Agénor de Mitylène.[26]

21. La disposition qui préside au chant musical et au chant non-musical est de la même nature que la combinaison des lettres, dans le discours. Quand on forme une syllabe, elle ne se compose pas de ces lettres d’une manière quelconque, mais telle combinaison est propre à cette formation, et telle autre ne l’est pas.

22. La cinquième partie concerne les tons[27] dans lesquels on place les systèmes, pour les chanter musicalement.

Personne n’a rien dit sur les tons, ni de quelle manière on doit les employer, ni dans quelle vue on doit en donner le nombre. Du reste, la donnée des harmoniciens sur les tons est parfaitement analogue à la marche des jours.[28]

Par exemple, lorsque les Corinthiens comptent le dixième jour [du mois], les Athéniens comptent le cinquième, et quelques autres peuples le huitième.

23. 1° De même chez les harmoniciens, les uns déclarent le ton hypodorien le plus grave de tons, le dorien plus aigu d’un demi-ton que celui-ci; le phrygien plus aigu que ce dernier de l’intervalle d’un ton; le lydien plus aigu d’un autre ton, et enfin le mixolydien plus aigu que le précédent de l’intervalle d’un demi-ton.[29]

2° D’autres, même, ajoutent à ces tons, dans le grave, la flûte hypophrygienne.

3° Les autres, ayant en vue la perforation des flûtes, séparent entre eux par trois diésis les trois tons les plus graves, l’hypophrygien, l’hypodorien et le dorien; ils séparent ensuite par un ton le phrygien du dorien, par trois diésis le lydien du phrygien, et par la même distance le mixolydien du lydien, quelle raison avaient-ils pour affecter d’espacer ainsi les tons? ils ne l’ont pas expliqué;[30] mais la catapycnose est non mélodique et de tout point d’un mauvais emploi;[31] c’est ce que l’on verra clairement dans cet ouvrage.

DISPOSITIONS RELATIVES DES TONS (du grave à l’aigu).

24. Comme il y a parmi les chants mélodiques des chants simples et des chants avec métabole, il sera à propos de parler de la métabole,[32] de dire d’abord en quoi elle consiste et comment elle a lieu.

25. J’entends par métabole une certaine modification qui se produit dans l’ordre de la mélodie.

Il faudra montrer aussi combien il y a de sortes de métaboles, et quel est le nombre d’intervalles où elles ont lieu. Il n’y a chez aucun musicien la moindre explication à ce sujet, ni avec, ni même sans démonstration.

26. La dernière partie[33] concerne la mélodie[34] elle-même. [La mélopée est l’art d’employer les éléments dont il est question dans un traité d’harmonique.]

En effet, comme le chant a des formes nombreuses et variées, tout en comprenant des sons qui sont les mêmes et ne différent pas entre eux, il est évident que cette variété dépend de l’emploi: c’est cette partie qui s’appelle la mélopée.

27. Un traité du chant accordé, après avoir parcouru toutes les parties précitées, prendra celle-ci pour terme.

Évidemment, en effet, l’intelligence de chacun des chants musicaux acquise par l’ouïe et par le discernement [qui les observent] dans toutes leurs différences, résulte de l’étude des faits qui se produisent. Car le chant [est apprécié] dans sa production comme les autres parties de la musique, puisque la connaissance de la musique exerce deux facultés, la perception et la mémoire. C’est ainsi que l’on perçoit nécessairement le chant qui se produit, on se rappelle celui qui s’est produit; et l’on ne saurait procéder autrement pour étudier les faits qui concernent la musique.

CHAPITRE III.

AUTRES TERMES ASSOCIES A L’ETUDE DE L’HARMONIQUE.

28. Pour ce qui est des autres termes qu’on assigne parfois à un traité d’harmonique, les uns présentent la notation des chants comme l’objet final de l’intelligence des divers chants musicaux, d’autres la théorie de la flûte, et l’art de reconnaître de quelle manière s’exécutent et d’où se forment les divers chants musicaux de la flûte: de telles opinions proviennent d’une erreur capitale.[35]

29. La notation, bien loin d’être le terme de la science harmonique, n’en est pas même une partie, pas plus que la notation des mètres n’est une partie de la métrique. Dans cette dernière science, il ne s’ensuit pas nécessairement que celui qui sait noter une poésie iambique saura composer dans ce mètre; il en est de même dans la mélodie, car il n’est pas nécessaire, pour noter le chant phrygien, de savoir en quoi consiste le chant phrygien. Conséquemment il est manifeste que la notation ne saurait être le terme de la science harmonique.

30. L’exactitude de cette assertion, et l’unique nécessité pour le notateur de savoir distinguer les grandeurs des intervalles, deviendront incontestables pour quiconque examinera la question.

Et en effet, celui qui pose les signes des intervalles ne pose pas un signe spécial pour chacune des différences qu’ils ont entre eux: ainsi [peu lui importe que] dans la quarte se rencontrent plusieurs divisions que produisent les variétés de genres, ou bien plusieurs formes que produit une altération dans la disposition des incomposés.[36]

31, Nous en dirons autant des puissances que produit la nature des différents tétracordes.[37]

Le [chant] de la nète, de la mèse et de l’hypate[38] notent avec le même signe, et les signes ne déterminent pas les variétés de puissance: ils ne les déterminent que dans la mesure des grandeurs elles-mêmes et leur emploi ne va pas plus loin. Or on a déjà dit en commençant que la distinction par l’oreille des grandeurs seules ne formait nullement une partie de l’intelligence entière de cette étude; c’est ce que feront comprendre encore mieux les développements qui vont suivre.

32. Ni les puissances des tétracordes, ni celles des sons, ni les variétés de genres, ni en un mot les différences des composés entre eux, ni celle qui distingue l’intervalle incomposé ni le chant simple, ni le chant avec métabole, ni les différentes sortes de mélopée, ni aucune autre question, en quelque sorte, n’est éclaircie par la connaissance des grandeurs prises en elles-mêmes.

Si donc les musiciens appelés harmoniciens sont arrivés à cette opinion par leur ignorance, on ne devra pas les taxer d’absurdité, seulement il faut que cette ignorance soit bien grande et bien robuste. Mais si, tout en voyant parfaitement que la notation n’est pas le terme de la science dont il s’agit, ils vont jusqu’à établir cette opinion, poussé par le désir de plaire aux profanes, et de leur présenter un fait qui frappe les yeux, alors je condamne leur procédé comme absurde. En voici les raisons.

33. D’abord ils pensent pouvoir prendre, pour juge de leurs connaissances, un profane. Or faire d’une même personne un disciple et un juge, dans une même science, c’est une absurdité.

En second lieu, lorsqu’ils croient [devoir] présenter un fait visible pour terme de l’intelligence, ils renversent les rôles, car le terme d’un fait visible, c’est l’intelligence.[39] Or, si l’intelligence d’un objet pénètre dans l’âme, si elle n’est pas à la portée de la multitude, ni évidente pour tons les yeux, comme le sont les opérations manuelles et les autres choses de cette espèce, il ne faut pas croire que cela change la nature des choses, car[40] il nous arrivera d’errer loin de la vérité si, au lieu de prendre la faculté de juger pour terme et pour autorité, nous donnons ce rôle au fait qui doit être lui-même l’objet de notre jugement.

34. L’opinion qui concerne les flûtes n’est pas moins absurde. [Et en effet la faculté de tout diriger et de tout apprécier, c’est-à-dire les mains, la voix, la bouche, le souffle, enfin tout ce que l’on voudra, est loin d’appartenir aux instruments inanimés, au point que l’on juge fort mal par leur intermédiaire.] La plus grande, la principale des erreurs, c’est de rapporter à un instrument la nature du chant accordé; car il n’est rien dans les instruments qui puisse déterminer la condition et la disposition de ce genre de chant. Si la flûte a des trous et une cavité ainsi que d’autres caractères de cette espèce, et si elle subit l’action matérielle soit des mains, soit des autres organes, qui modifient naturellement sa surtension et son relâchement, ce n’est pas une raison pour qu’elle soit consonante à la quarte, ou à la quinte, ou bien à l’octave, ni pour que chacun des intervalles reçoive la grandeur qui lui convient. Car, nonobstant ces divers caractères, les flûtes dénaturent la plupart des intervalles mélodiques, et il en est peu qu’elles produisent toujours de la même façon,[41] par suite de quelque diminution ou augmentation [de son] ou bien à cause de la surtension ou du relâchement que produit le souffle, ou bien encore par d’autres influences inhérentes à la pratique.

35. Il est donc évident que dans les flûtes il n’y a pas moyen de discerner le juste du faux. Or ce n’est pas là ce qui devrait arriver s’il y avait un certain avantage à mettre en rapport les instruments et le chant accordé; et dès que le chant est rapporté aux flûtes, il devrait être fixe, infaillible et régulier. Or ni la flûte ni aucun instrument ne servira jamais à fixer la propriété ou la nature du chant accordé. Car généralement tous les instruments participent autant qu’il est possible de cette disposition admirable qui règne dans la nature du chant accordé; mais ce qui les dirige, c’est la perception, faculté à laquelle on rapporte ces appréciations, ainsi que tout ce qui concerne la science musicale. S’imaginer en voyant qu’une flûte a tous les jours les mêmes trous, une lyre montée les mêmes cordes, que c’est une raison pour trouver dans ces instruments un chant constamment accordé et qui soit toujours disposé dans le même ordre, c’est faire preuve d’une excessive simplicité. Car, de même que le chant accordé ne réside pas dans les cordes à moins que l’on ne l’y porte et qu’on ne les accorde par une opération manuelle, de même il ne réside pas dans les trous des flûtes à moins que l’on ne l’y porte également et qu’on ne les accorde aussi par une opération manuelle.

Ainsi donc, que nul instrument, par lui-même, n’est accordé, mais que c’est le sentiment qui en dirige l’accord,[42] voilà une vérité qui n’a pas même besoin d’être expliquée, car elle est manifeste.

36. Il est étonnant que certains musiciens, après avoir fait ces observations, ne reviennent pas de leur erreur. Ils voient bien pourtant que les flûtes sont variables, qu’elles ne restent jamais dans le même et que chacun des chants exécutés sur la flûte subit une altération par les causes que nous venons de donner.

Il est donc évident qu’il n’y a aucun motif de rapporter le chant aux flûtes, car cet instrument ne fixera pas la disposition du chant accordé; et que, du reste, si l’on jugeait nécessaire d’établir le rapport du chant à un instrument, il ne fallait pas choisir les flûtes, puisqu’il n’y a qu’incertitude et erreur dans l’aulopée, ainsi que dans les opérations manuelles auxquelles donne lieu la flûte et dans la nature particulière [de cet instrument].

CHAPITRE IV.

CONDITIONS A REMPLIR POUR FAIRE UN TRAITE D’HARMONIQUE.

37. Voilà donc les questions préliminaires qu’il faudra examiner successivement dans le traité d’harmonique. Maintenant, si l’on a projeté de s’appliquer à traiter des Eléments, on doit se pénétrer auparavant de plusieurs choses. Il n’est pas admissible que l’on puisse le faire heureusement si l’on n’a pas commencé par remplir les trois conditions suivantes.

La première, c’est de recueillir avec soin les faits d’expérience; la deuxième, c’est de déterminer convenablement, parmi ces faits, ceux qui sont au premier rang et ceux qui sont au second;[43] la troisième, c’est d’envisager de la même manière le fait qui se produit et celui qui est reconnu.

38. Mais comme dans toute science, résultat d’un certain nombre de propositions, il convient de choisir des principes fondamentaux de manière à en faire voir les conséquences, il sera nécessaire, pour cela, de remplir scrupuleusement les deux nouvelles conditions suivantes:

1° La première, c’est que chacune des propositions fondamentales soit véritable et manifeste;

2° La deuxième, c’est que chacune d’elles soit de nature à être appréciée au moyen de la perception et comptée parmi les premières parties d’un traité d’harmonique; car toute proposition qui exige une démonstration n’est pas fondamentale.

39. Généralement nous devons, au début, prendre garde de tomber dans l’exagération en remontant jusqu’à une certaine émission sonore ou bien à un mouvement de l’air, comme aussi, en nous tenant trop en deçà, de négliger un grand nombre d’explications qui se rapportent directement [à l’harmonique].

CHAPITRE V.

DES GENRES.

40. Il y a trois genres de chants musicaux; ce sont:

le diatonique,

le chromatique,

l’enharmonique.

On dira plus loin quelles en sont les variétés; seulement, on établira ici ce principe:

Tout chant est diatonique, ou chromatique, ou enharmonique, ou bien encore mélange de plusieurs [de ces genres], ou enfin commun aux trois genres.

CHAPITRE VI.

NOMBRE DES CONSONANCES.

1. La seconde division des [espèces d’] intervalles les partage en consonants et en dissonants.[44] Il est parmi les intervalles deux [sortes de] différences qui semblent très connues: l’une les distingue par la grandeur; l’autre montre en quoi un consonnant diffère d’un dissonant, mais la seconde est impliquée dans la première, car c’est par la grandeur que tout consonnant diffère d’un dissonant quelconque.

2. Comme il y a[45] parmi les consonants plusieurs différences qui les distinguent entre eux, on établira que la plus connue est la différence de grandeur.

Les intervalles consonants auront huit grandeurs.[46]

1° La plus petite de ces grandeurs est la quarte.

Cette qualité d’être le plus petit consonnant appartient à la nature de cet intervalle, et la preuve, c’est que nous chantons beaucoup d’intervalles plus petite que la quarte, mais qu’ils sont tous dissonants.

2° La seconde grandeur est la quinte, et, quelle que soit la grandeur qu’on établirait entre ces deux intervalles, elle serait dissonante.

3° La troisième [grandeur consonante], réunion de ces deux consonants, est le diapason (l’octave), et les intervalles que l’on établirait entre cette grandeur et les précédentes seraient dissonants.

43. Ces consonances sont données ici d’accord avec les musiciens antérieurs; quant aux autres,[47] c’est à nous-mêmes de les déterminer.

1° En premier lieu, il faut dire que, de la réunion d’un consonnant quelconque avec l’octave, il résulte une grandeur consonante.

Il y a donc une particularité dans la structure de ce consonnant, c’est que, si l’on y ajoute un autre consonnant, soit inférieur, soit supérieur, soit égal, l’intervalle qui en résulte est consonnant.

2° Cette propriété n’appartient pas aux deux premiers.

En effet, si l’on ajoute à chacun d’eux un intervalle égal, il n’en résulte pas un ensemble consonnant;[48] de même [si l’on ajoute à chacun] la grandeur composée de chacun d’eux et de l’octave: mais de la réunion de ces consonants il résultera toujours une dissonance.

CHAPITRE VII.

DEFINITION ET DIVISION DU TON.

44. Le ton est [l’excès dont la quinte surpasse la quarte.

45. La quarte est [un intervalle] de deux tons et demi.

46. A l’égard des parties du ton, on en chante musicalement:

1° La moitié, que l’on appelle hémiton ou demi-ton;

2° Le tiers, que l’on appelle diésis chromatique minime;

3° Le quart, que l’on appelle diésis enharmonique minime.

L’on ne peut chanter[49] musicalement aucun intervalle plus petit que ce dernier.

Voici maintenant une chose qu’il est essentiel de ne pas ignorer, et à l’égard de laquelle bien des gens sont dans l’erreur. Ils supposent que, dans notre pensée, le ton est divisé en quatre parties égales et que celles-ci se chantent musicalement [de suite]. Cette erreur provient de leur peu de soin à remarquer que, autre chose est de prendre un quart de ton, autre chose de diviser un ton en quatre parties, et de les chanter.[50]

Ensuite, pour parler sommairement, nous établissons d’abord qu’il n’y a pas d’intervalle plus petit[51]...

CHAPITRE VIII.

SUR LA DÉNOMINATION DES SONS ET DES INTERVALLES.

47. Les variétés de genres sont considérées dans le tétracorde qui contient la grandeur comprise depuis la mèse jusqu’à l’hypate, et dans lequel les sons moyens sont mobiles, tantôt l’un et l’autre, tantôt l’un d’eux, et les extrêmes sont fixes.

48. Comme les sons mobiles doivent se mouvoir dans un certain lieu, il faut prendre et déterminer ce lieu, pour l’un et l’autre des sons dont il s’agit.

1° On peut voir que l’indicatrice la plus aiguë est celle qui se trouve placée à la distance d’un ton de la mèse: elle détermine le genre diatonique.

2° La plus grave se trouve placée à la distance d’un diton [de la mèse], c’est [l’indicatrice] enharmonique.

Il est donc évident que le lieu total de l’indicatrice comprend un ton.

50. 1° L’intervalle compris entre la parhypate [et l’hypate][52] ne peut pas être plus petit qu’un diésis enharmonique: c’est là une chose évidente.

En effet, de tous les intervalles chantés musicalement, le diésis enharmonique est le plus petit.

2° Mais cet intervalle s’accroît jusqu’au double [diésis].

En effet, lorsque l’on conduit à une même tension la parhypate par la surtension [maximum], et l’indicatrice par le relâchement [maximum], on voit que chacune de ces cordes arrive sur la limite de son lieu, et l’on comprend ainsi comment il y a indicatrice par suite du changement [d’étendu] de l’un quelconque des intervalles de la mèse à l’indicatrice.

51. Ceux qui veulent varier [les noms] des sons[53] [demandent avec surprise] pourquoi l’intervalle de la mèse à la paramèse est unique, de même celui de la mèse à l’hypate, et celui de tous les autres [sons de cette nature], tandis qu’il faut établir qu’il y a plusieurs intervalles de la mèse à l’indicatrice; il vaut mieux, disent-ils, varier les noms des sons [en même temps que ceux des intervalles], et ne plus donner la même dénomination aux autres indicatrices après l’avoir donnée à l’indicatrice ditoniée[54] ou bien à n’importe laquelle des autres indicatrices. Des sons qui limitent une grandeur différente sont nécessairement différents et réciproquement; car[55] il ne faut comprendre sous les mêmes dénominations que les grandeurs égales.

52. Voici comment on a répondu à ces observations.

En premier lieu, prétendre que les sons qui différent entre eux ont une grandeur d’intervalle particulière, c’est faire naître un grand désordre. Nous voyons en effet que l’intervalle de la nète à la mèse diffère, en puissance, de celui de la paranète à l’indicatrice, et aussi que l’intervalle de la paranète à l’indicatrice diffère de celui de la trite à la parhypate, et l’intervalle de la trite à la parhypate de celui de la paramèse à l’hypate;[56] et c’est pour cette raison qu’à chacun de ces intervalles est donné un nom particulier; or il est établi que ces grandeurs ont toutes pour intervalle unique l’intervalle de quinte: on voit par là que la différence des grandeurs d’intervalles ne peut pas toujours être mise en corrélation avec les différences que les sons se trouvent avoir entre eux. Par ce qui suit, on pourra se convaincre que la proposition réciproque n’aurait pas plus de fondement, et que l’on ne doit pas rapporter la différence des sons à celle des grandeurs.

53. 1° D’abord, si nous voulons donner un nom spécial a chaque accroissement ou diminution des intervalles qui servent à former un pycnum, il est évident que nous aurons besoin d’un nombre infini de dénominations, puisque le lieu de l’indicatrice se partage en sections dont le nombre est illimité.

2° Ensuite, pour peu que nous voulions observer trop scrupuleusement si la grandeur est égale ou bien inégale, nous perdrons de vue la distinction de la grandeur semblable et dissemblable,[57] de manière que nous ne pourrons donner le nom de pycnum qu’à une seule grandeur, et qu’il n’y aura plus [moyen de distinguer] l’enharmonique ni le chromatique, car c’est un certain lieu[58] qui les détermine: il est évident que nul de ces procédés ne se rapporterait au jugement de l’oreille. C’est en considérant la similitude de certaine forme d’intervalle que l’oreille indique s’il y a genre chromatique ou enharmonique, mais non pas en considérant la grandeur d’un seul intervalle: je veux dire que c’est en établissant l’existence de la forme du pycnum, en toute circonstance où deux intervalles occupent un espace plus petit que le troisième [dans une quarte]. Car le chant d’un pycnum se laisse reconnaître [pour être de tel ou tel genre] parmi tous les autres pycnums, bien que ceux-ci soient inégaux entre eux.

54. Il y avait division chromatique[59] tant que l’on pouvait y reconnaître le caractère chromatique.

En effet chacun des genres se meut suivant un mouvement qui lui est propre, au jugement de l’oreille, et ne se sert pas d’une division unique du tétracorde, mais de plusieurs.

55. Il est donc clair que le genre se détermine en vertu de la mobilité des grandeurs, car la mobilité des grandeurs, dans une certaine mesure, ne le fait pas changer, mais le laisse subsister; et, puisqu’il subsiste, il est naturel que les puissances des sons demeurent également les mêmes.

56. On pourrait en réalité l’avancer à qui discuterait sur les nuances des genres.[60] En effet tous ceux qui considèrent une seule et même division ne peuvent constituer mélodiquement ni le genre chromatique ni l’enharmonique, de sorte que l’on doit [alors] désigner de préférence l’indicatrice diatonique [molle] ou bien celle qui est un peu plus aiguë, car le chant musical, au jugement de l’oreille, réside également dans ces diverses divisions: toutefois les grandeurs d’intervalles ne sont pas évidemment les mêmes dans chacune d’elles: mais la forme du tétracorde reste la même.

57. Ainsi donc, nous devons dire que les limites des intervalles seront les mêmes,[61] pour parler d’une manière générale, en toute circonstance où les dénominations des sons compréhensifs[62] seront invariables, et où l’un de ces sons, le plus aigu, s’appellera mèse, et l’autre, le plus grave, hypate; les noms des sons compris seront invariables aussi, et l’on nommera le plus aigu [placé auprès de] la mèse [indicatrice] et le plus grave parhypate; car l’oreille place toujours sous le nom d’indicatrice et de parhypate les sons compris entre la mèse et l’hypate. Mais croire que l’on doit déterminer les intervalles égaux par des noms identiques et les intervalles inégaux par des noms différents, c’est lutter contre l’évidence. En effet l’intervalle de l’hypate à la parhypate, comparé à celui de la parhypate à l’indicatrice, se chante tantôt égal, tantôt inégal. Or on ne peut admettre, évidemment, que, si deux intervalles[63] sont placés de suite, on comprendra chacun d’eux sous les mêmes dénominations, à moins que le son moyen ne reçoive deux noms. En second lieu, pour ce qui est des intervalles inégaux, l’absurdité est manifeste. En effet il n’est pas possible que l’un des noms soit constant et l’autre variable, car les dénominations sont relatives, et de même que le quatrième [son][64] depuis la mèse est appelé hypate par rapport à la mèse, de la même façon, le second depuis la mèse est appelé indicatrice par rapport à la mèse.

Voilà donc ce qu’il faut répondre à ce sujet.

58. On désignera un intervalle sous le nom de pycnum en toute circonstance où, dans un tétracorde, si les sons extrêmes consonnent à la quarte, la somme de deux intervalles occupe un espace plus petit que le [troisième] seul.

CHAPITRE IX.

GENERATION DES NUANCES.

59. Les divisions du tétracorde adoptées et connues sont celles qui ont lieu au moyen de grandeurs d’intervalles connues.[65]

60. L’une d’entre elles, la division enharmonique, est celle où le pycnum constitue un demi-ton; le reste [du tétracorde] est un diton.

61. Il y a trois divisions du chromatique: celle du chromatique mou, celle du [chromatique] hémiole (autrement dit sesquialtère), et celle du [chromatique] tonié.

1° La division du chromatique mou est celle où le pycnum se compose de deux diésis chromatiques minimes; le reste se mesure en deux fois: en prenant trois fois un demi-ton, et une fois le diésis chromatique, de sorte que la mesure de ce reste est trois demi-tons et un tiers de ton.

Le pycnum est [ici] le plus petit [pycnum] chromatique, et l’indicatrice est la plus grave de celles de ce genre.

2° La division du chromatique sesquialtère est celle où le pycnum est sesquialtère du pycnum enharmonique et [dans le même rapport avec chacun] des diésis enharmoniques.

Le pycnum sesquialtère est plus grand que le pycnum mou: c’est une chose facile à comprendre.

En effet, pour former un ton, il manque à l’un un diésis enharmonique et à l’autre un diésis chromatique.

3° La division du chromatique tonié est celle où le pycnum se compose de deux demi-tons; le reste est un trihémiton on triple demi-ton.

62. Jusqu’ã cette division, les deux sons [compris] sont mobiles. Après elle, la parhypate reste fixe, car elle a parcouru tout son lieu, et l’indicatrice se meut dans le grave d’un diésis enharmonique. Alors l’intervalle de l’indicatrice à l’hypate se trouve égal à celui de l’indicatrice à la mèse, de sorte qu’il n’y a plus de pycnum dans cette division. Avec la disparition du pycnum constitué dans la division des tétracordes [coïncide la] formation du genre diatonique.

63. Il y a deux divisions du diatonique: celle du genre diatonique mou [c’est-à-dire grave], et celle du diatonique synton [c’est-à-dire tendu, aigu].

1° La division du diatonique mou est celle où l’intervalle de l’hypate à la parhypate est d’un demi-ton, celui de la parhypate à l’indicatrice de trois diésis enharmoniques, et celui de l’indicatrice à la mèse de cinq [de ces] diésis.

2° La division du diatonique synton est celle où l’intervalle de l’hypate à la parhypate est d’un demi-ton et chacun des deux autres d’un ton.[66]

64. 1° Il y a donc six indicatrices,[67] une enharmonique, trois chromatiques et deux diatoniques.

2° Il y a quatre parhypates [non pas] autant qu’il y a de divisions de tétracordes, mais il y a deux parhypates de moins.

En effet nous employons la parhypate d’un demi-ton dans les divisions diatoniques et dans la division du chromatique tonié.

Sur ces quatre parhypates, l’enharmonique appartient proprement au genre enharmonique, et les trois autres se partagent les deux autres genres.

CHAPITRE X.

DISTANCES RELATIVES DES CORDES MOBILES.

65. Parmi les intervalles qui se rencontrent dans le tétracorde [pris pour exemple], celui de l’hypate à la parhypate [comparé] à celui de la parhypate à l’indicatrice, se chante ou égal ou inférieur, mais non pas supérieur.

D’abord il est évident qu’il se chante égal.

D’un autre coté, par les divisions chromatiques, on se convaincrait de même que [cet intervalle se chante plus petit], si l’on prenait pour parhypate[68] celle du chromatique mou, et pour indicatrice celle du chromatique tonié: car l’on peut voir que de telles divisions du pycnum sont mélodiques; mais le manque de mélodie résulterait de la prise contraire [c’est-à-dire) si l’on prenait pour parhypate[69] celle d’un demi-ton et pour indicatrice celle du chromatique sesquialtère, ou bien[70] pour parhypate celle du sesquialtère, et pour indicatrice celle du chromatique mou: car l’on peut voir que de telles divisions sont dépourvues de tout caractère musical.

66. L’intervalle de la parhypate a l’indicatrice, compare] a celui de l’indicatrice a la mèse, se chante égal et inégal: égal dans le diatonique synton, et plus petit dans toutes les autres [divisions], mais plus grand[71] lorsqu’il emploie l’indicatrice diatonique la plus aiguë et quelqu’une des parhypates plus graves que la parhypate hemitoniée.[72]

CHAPITRE XI.

USAGE DE LA CONTINUITÉ ET DE LA SUCCESSION.

67. Il faut maintenant, après avoir préalablement donné une idée de la succession, montrer la manière dont on doit chercher à la déterminer.

68. Pour parler sommairement, il faut, dans la recherche de la succession, se guider sur la nature du chant et ne pas faire comme ceux qui ont l’habitude de considérer la catapycnose, pour produire la continuité: on voit qu’ils s’occupent peu de la marche du chant; c’est ce que rend évident la multitude des diésis qu’ils placent successivement; car personne ne pourrait parcourir tous ces intervalles, puisque la voix ne peut en chanter mélodiquement jusqu’à trois d’une manière continue.

Ainsi il est évident que l’on ne doit pas toujours rechercher la succession dans les intervalles minimes, soit égaux, soit inégaux, mais qu’il faut s’en rapporter à la nature.

69. Il n’est pas très facile de présenter une théorie précise de la succession avant d’avoir exposé les compositions (ou combinaisons) des intervalles; mais tout le monde, même un homme tout à fait ignorant, peut reconnaître l’existence d’une certaine succession, par le raisonnement qui suit.

Il est probable qu’il n’y a pas d’intervalle que l’on puisse, dans le chant musical, diviser à l’infini, mais qu’il est un certain nombre maximum de divisions[73] conformes à la mélodie, pour chacun des intervalles. Or, si nous prétendons que c’est là une chose probable ou même nécessairement vraie, il est évident que les sons qui comprennent certaines parties du nombre [de divisions] convenu, sont placés successivement entre eux. Tels paraissent être les sons dont nous nous trouvions faire usage des l’antiquité; par exemple la nète faisait continuité avec la paranète et la corde qui leur est consécutive.[74]

CHAPITRE XII.

PRINCIPE DE LA COMBINAISON DES INTERVALLES.

70. Il serait à propos ensuite de déterminer la première et la principale des conditions qui concernent les combinaisons mélodiques des intervalles.

71. 1° Dans un genre quelconque, le chant conduit dans le grave et dans l’aigu et parcourant des sons successifs, prend le quatrième des sons successifs, à partir d’un son quelconque, pour consonant à la quarte, et le cinquième pour consonant à la quinte.[75]

2° Le son qui ne se trouve pas dans l’une de ces conditions est non mélodique par rapport à tous ceux avec lesquels il se trouve inconsonnant, suivant les nombres [de sons] précités.

72. Il ne faut pas ignorer que cette condition est insuffisante pour que les systèmes se forment mélodiquement des intervalles; car, d’un autre côté, rien n’empêche que, même si l’on a des sons consonants suivant les nombres précités, la constitution des systèmes ne soit contraire à la mélodie;[76] seulement, si elle n’est pas remplie, les autres sont inapplicables. Il faut donc établir, à titre de premier principe, cette condition sans laquelle il n’y a plus de chant accordé.

73. Une importance semblable s’attache en quelque sorte à la position relative des tétracordes. Il doit arriver l’une de ces deux circonstances à des tétracordes pour appartenir au même système: ou bien d’être consonants entre eux de manière que leurs sons le soient chacun à chacun, suivant n’importe quelle consonance;[77] ou bien d’être consonants [tous deux] à un tétracorde avec lequel l’un ou l’autre est consonnant, sans être placés d’une manière continue dans le même lieu. Cette condition n’est pas suffisante pour que des tétracordes appartiennent au même système; il en faut remplir aussi quelques autres;[78] seulement, sans celle-ci toutes les autres seraient inapplicables.

CHAPITRE XIII.

FIXATION DES DISSONANTS PAR LE MOYEN DES CONSONANCES.

74. En ce qui concerne les grandeurs des intervalles, comme d’une part celles des consonances ne paraissent pas avoir de lieu pour se mouvoir[79] et que ces consonances sont limitées en grandeur, ou bien [paraissent n’en avoir qu’un] imperceptible, et comme, d’une autre part, celles des dissonants se trouvent beaucoup moins circonscrite, et que, par cette raison, l’oreille apprécie mieux et beaucoup plus sûrement les grandeurs des consonants que celles des dissonants, la fixation la plus exacte d’un dissonant sera celle qu’on obtiendra par consonance.

75. 1° Si donc on propose,[80] après un son donné (E), de prendre dans le grave un dissonant tel que le diton ou quelque autre de ceux qui peuvent être pris par consonance; à partir du son donné, dans l’aigu, il faut prendre la quarte (E a), puis dans le grave la quinte (a D), puis encore la quarte (D G) dans l’aigu, puis encore la quinte (G C) dans le grave.[81] L’intervalle pris de cette manière (E C) dans le grave à partir du son donné sera le diton.

2° Maintenant, si l’on propose de prendre la grandeur dissonante dans le sens contraire,[82] il faut procéder en suivant l’ordre inverse.

76. Si d’un intervalle consonnant on vent retrancher par consonance la grandeur dissonante, on obtiendra aussi le reste par consonance.

En effet supposons que de la quarte on veuille retrancher le diton par consonance, il est évident que les sons qui limitent l’excès dont la quarte dépasse le diton seront pris entre eux par consonance, car les limites de la quarte sont consonantes entre elles. Depuis la plus aiguë (a) de ces limites[83] on prend dans l’aigu un son (d) consonnant à la quarte, et, depuis celui que l’on a pris, dans le grave, on en prend un autre (G) à la quinte [depuis ce dernier, dans l’aigu, un autre (c) à la quarte]; enfin depuis celui-ci, dans le grave, encore un autre (F) à la quinte. Ce dernier consonnant tombe sur le plus aigu des sons qui limitent l’excès, de sorte qu’il est évident que si d’un consonnant on retranche un dissonant par consonance, on prendra aussi le reste par consonance.

77. On pourrait de cette manière observer très exactement si une quarte se compose ou non, en principe, de deux tons et demi.

On prendra[84] la consonance de quarte (a E), et, après chacune de ses limites, on déterminera un dissonant (E x, a F) par consonance.

Il est évident que les excès (E F, a x) doivent être égaux puisque de quantités égales on retranchera des parties égales.

Ensuite après le son (F) qui limite dans le grave le diton le plus aigu, on en prendra un (b) [consonnant) à la quarte dans l’aigu; et après le son (x) qui limite dans l’aigu le diton la plus grave, on en prendra aussi un (y) à la quarte dans le grave.

Il est évident que, après chacun des sons qui limitent le système ainsi formé (x F), il y aura deux excès continus (y E, E F. — x a, a b) et non pas un seul, excès qui seront nécessairement égaux par la raison donnée tout à l’heure.

78. Après ces opérations préliminaires, c’est à l’oreille qu’il faut faire apprécier les sons extrêmes (y b) d’entre ceux que l’on a ainsi déterminés. Si donc l’on voit qu’ils sont dissonants, la quarte, évidemment, ne sera pas de deux tons et demi; mais s’ils consonnent à la quinte,[85] évidemment la quarte sera de deux tons et demi.

En effet il arrive que le plus grave des sons que l’on a pris (y) s’accorde (c’est-à-dire se chante musicalement) comme consonnant à la quarte avec le son (x) qui limite le diton le plus grave dans l’aigu, et que, d’autre part,[86] le plus aigu des sons que l’on a pris (b) est consonnant à la quinte avec le plus grave (y); de manière que, puisqu’il y a un excès (b x) d’un ton, lequel est divisé en parties égales qui sont toutes deux, et le demi-ton (b a), et l’excès de la quarte sur le diton (a x), il s’ensuit évidemment que la quarte se compose de cinq demi-tons.

79. Maintenant, que les sons extrêmes (y b) du système ainsi formé ne seront pas consonants suivant une autre consonance que celle de quinte, c’est là une chose facile à comprendre.

Il faut se convaincre d’abord qu’ils ne sont pas consonants suivant celle de quarte. En effet, à la quarte (a E) prise, dans le principe, s’ajoute un excès (y E, b a) dans l’un et dans l’autre sens.

Il faut montrer ensuite qu’ils ne peuvent avoir la consonance de l’octave. En effet la somme des excès est moindre qu’un diton,[87] puisque la quarte dépasse le diton[88] de moins d’un ton; [car][89] tout le monde convient que la quarte est plus grande que deux tons et plus petite que trois, de sorte que l’intervalle ajouté à la quarte est moindre qu’une quinte. Il est donc évident que le système formé de ces sons extrêmes ne sera pas l’octave. Or si les sons extrêmes que l’on a considérés sont consonants suivant une consonance supérieure à celle de la quarte et inférieure à celle de l’octave, ils seront nécessairement consonants suivant celle de quinte, car il n’y a pas d’autre grandeur consonante entre la quarte et l’octave.

FIN DU DEUXIÈME LIVRE.


 

[1] Sur ce procédé d’enseignement, voir Cicéron, Orat., § 33. Ed. et trad. J.-V. Le Clerc, t. V, p. 400. Voir aussi notre étude sur Aristoxène et son école, p. 4.

[2] Il y avait la mélopée systaltique ou calmante, diastaltique ou excitante, et la moyenne ou intermédiaire, appelée l’hésychastique, c’est-à-dire tranquille. On divisait aussi la mélopée en tragique, dithyrambique et nomique. Voir Vincent, Notices, etc., pages 9, 42 et 194. Aristoxène avait écrit sur la mélopée un ouvrage qui comprenait au moins quatre livres.

[3] Voir l’Appendice, n° 2.

[4] Voir l’Appendice, n° 3.

[5] C’est-à-dire suffise à la complète connaissance de la musique. Cp. Plutarque (De musica, § 33).

[6] Voir dans les Notices, etc., le second Anonyme, p. 48 et suiv. et la note M de M. Vincent, p. 197.

[7] La métrique, dit Aristide Quintilien (Mb., p. 43), est la partie de la musique qui concerne les lettres, les pieds, les vers et le poème. Cp. Aristote, Poet., passim, et Vincent (Notices, etc., p. 7).

[8] L’organique est la partie de la musique où l’on s’occupe du jeu des instruments en général. La musique instrumentale ou organique avait sa notation propre. Dans le principe, elle ne se séparait pas de la musique vocale ou mélodie. Voir Vincent, Notices, etc., note G, p. 125, sur la notation.

[9] Chant quelconque, par opposition au chant musical. Voir la note suivante.

[10] C’est-à-dire que la formation des intervalles exige l’observation de certaines combinaisons qui servent à constituer l’échelle musicale appelée souvent chez Aristoxène τὸ μέλος ἡρμοσμένον, le chant accordé, organisé.

[11] Voir à ce sujet une discussion suivie dans l’esprit des Pythagoriciens, Notices, etc., Bacchius l’Ancien, p. 64.

[12] Pour avoir une idée de ces théories, consulter Plutarque De animo et De musica. Nicomaque, Théon de Smyrne, G. Pachymère, etc.

[13] Manuel Bryenne, dans l’épilogue de son traité d’harmonique, cite un passage d’Aristoxène compris depuis cette phrase jusqu’à la fin de la page 34 de Meybaum. Voir l’Avertissement.

[14] Platon nous montre à l’œuvre ceux qui, dédaignant, comme devait le faire Aristoxène, le secours de la science mathématique et n’unissant pas comme lui les lois de la raison au témoignage des sens, étaient nécessairement condamnés à l’erreur. « Socrate: Ne sais-tu pas que la musique n’est pas mieux traitée aujourd’hui que la muse sa sœur (l’astronomie), et que l’on borne cette science à la mesure des tons et des consonances ? — Glaucon: Oui certes, c’en est ridicule: on les voit donner un nom à des fractions d’intervalles et tendre l’oreille comme pour surprendre les sons au passage. Les uns disent qu’ils entendent un son entre deux autres, lequel produit (avec l’un ou l’autre le plus petit intervalle mesurable, les autres contestent, et soutiennent qu’on a chanté un intervalle semblable; les uns et les autres préfèrent le jugement de l’oreille à celui de l’intelligence. — Socr.: Tu parles de ces honnêtes musiciens qui fatiguent les cordes à force d’expérimenter et les mettent à la torture avec les chevilles. — Gl.: Je les laisse et je veux parler de ceux que nous interrogerons sur l’harmonique. Ceux-ci du moins font la même chose que les astronomes: ils cherchent les proportions numériques renfermées dans les consonances qu’ils entendent, etc. » Platon, De Rep., l. VII. Ed. Lpz., p. 269.

[15] Cette phrase nous semble tronquée, et, comme il arrive quelquefois dans les manuscrits, formée de deux membres de phrase, l’un final, l’autre initial. Il faudrait probablement rétablir ainsi le texte: Οὔτε γὰρ ἐνδέχεται φαυλῶς αἰσθανόμενον εὖ λέγειν περὶ τούτων ὦν [φαυλῶς αἰσθάνεται, οὔτε τρόπον τινὰ λέγειν περὶ τούτων ὦν] μηδένα τρόπον αἰσθάνεται. Notons que le premier oute en appelait un second. L’on pourrait traduire: « Car l’on ne doit pas admettre qu’un homme qui perçoit mal s’expliquera convenablement [sur l’objet de sa défectueuse perception et encore moins] sur des faits qu’il ne perçoit pas du tout. » Le texte n’est pas plus complet dans la citation de Manuel Bryenne (éd. Wallis, p. 507).

[16] Nous appelons grandeur compréhensive (periecon) celle du tétracorde dont les limites sont fixes et qui comprend trois grandeurs partielles et mobiles.

[17] La grandeur de la quarte a 3 formes, c’est-à-dire 3 combinaisons possibles des intervalles qui la composent; celle de la quinte en a 4; celle de l’octave en a 7, et ainsi de suite. En d’autres termes, on peut, dans chaque genre, combiner les grandeurs partielles de 3, de 4, de 7 manières, etc., mais la grandeur totale est constante. Le mot grandeur, μέγεθος, désigne l’étendue d’un intervalle, et la puissance, δύναμις, la valeur musicale, le degré d’intonation d’une corde ou d’un ensemble de cordes.

[18] Il s’agit ici de la métabole κατὰ γένος, suivant le genre, dont le iiie livre fournit un exemple au § 23, 2°.

[19] Sur les rapports rythmiques, voir dans les Notices, etc., p. 244, le texte et la traduction d’un fragment important donnés par M. Vincent.

[20] Deux pieds sont dissemblables lorsque, appartenant à un même genre, par exemple au genre iambique, ils sont cependant différents entre eux; tels sont l’iambe — u et le trochée u —. Voir dans le Dictionnaire d’archéologie grecque et romaine notre article Rythmique.

[21] Voir Vincent, Notices, etc., p. 204. La syzygie est la réunion de deux pieds dissemblables. Meybaum cite pour exemple de ce que dit Aristoxène, le pied ionique — — u u, dont la grandeur est aussi celle d’une syzygie formée d’un spondée — — et d’un pyrrhique u u.

[22] Cp. Notices, etc. Premier Anonyme, p.9; —Second Anonyme, p. 16.

[23] Un manuscrit de la Bibliothèque impériale (suppl. grec, n° 449) nous a fourni la restitution des deux premiers genres sous cette forme: τὸ ἐψ ἁρμονίας, χρῶμα ... (lire χρώματος), ce qui paraît entraîner forcément la mention du troisième, kai diatonou.

[24] Sur les diverses espèces de systèmes (parfait, immuable, etc.), voir, dans les Notices, etc., le second Anonyme, p. 40. Les heptacordes avaient leurs limites accordées à l’octave. Voyez sur l’heptacorde une note explicative de M. Vincent, Notices, etc., p. 274. Nous ajouterons que si cette échelle de sept sons contenait un trihémiton ou tierce mineure entre deux degrés conjoints, la même circonstance se retrouve dans notre gamme mineure ascendante, au sixième intervalle en montant.

[25] Diogène de Laërte se contente de le mentionner avec les autres homonymes du grand Pythagore. Athénée (liv. XIV, p. 637) le donne comme l’inventeur du remarquable instrument appelé tripode. Meursius et Meybaum, pour le dire en passant, prêtent fautivement à Pythagore de Zacynthe le mot αὐτὸς ἔφα, le maître l’a dit, que Cicéron (De Nat. deor., init.) et Quintilien (Instit. Orat., XI, I) attribuent au philosophe de Samos. Cp. Diogène de Ladrie, trad. de M. Zevort; VIII, I, p. 169.

[26] Ce musicien est mentionné dans Porphyre comme le chef d’une école musicale. Isocrate a composé en faveur de ses enfants un plaidoyer qui nous est parvenu.

[27] Il s’agit ici non pas du ton défini précédemment « l’excès de la quinte sur la quarte », mais des échelles mélodiques correspondant asses bien à nos tons modernes, comme nous croyons l’avoir établi dans le Dictionnaire d’archéologie grecque et romaine, article Harmonique. Cp. Porphyr., In Harmon. Ptol, p. 258.

[28] Meybaum cite un passage intéressant de Plutarque (Vie d’Aristote), au sujet des différentes manières de calculer les jours du mois. La dissemblance des mois, dit Plutarque, ne doit pas surprendre, puisque, maintenant même que les études astronomiques sont plus précises, il y a plusieurs manières de compter le commencement et la fin des mois. Sur la diversité des jours dans toutes les parties de la Grèce, voir Galien, cité par Petau dans son Uranologium, Dissertat., l. IV, p. 175, et Géminus, qui s’appuie sur cette diversité pour faire voir l’utilité des signes du zodiaque et des autres astérismes (Uranolog., chap. xiv, page 56).

[29] Ces cinq tons sont peut-être ceux que mentionne Plutarque dans le passage suivant de son traité de l’Ame: Je ne parle pas des cinq positions du tétracorde ni des cinq premiers tons, tropes ou harmonies, comme on voudra les appeler, qui varient plus ou moins du grave à l’aigu, etc.

[30] On considère ce passage comme mutilé; suivant Meybaum il faut lire τέσσαρας τόνους, et par conséquent restituer le nom d’un ton. Comment, se demande Meybaum, trois tons seront-ils éloignés entre eux de trois diésis, à moins que deux tons n’aient deux diésis ou un demi-ton de distance, chose, ajoute-t-il, qui n’est ni dans la lettre ni dans la pensée du texte? il conclut pour cette traduction : « quatuor gravissimos tonos nimirum hypodorium et hypophrygium (transp.) et hypolydium (add.) et dorium. » (voy. ci-contre, la 4e disposition). »

Or, sans prétendre donner une assertion certaine, nous croyons pouvoir établir avec une grande vraisemblance qu’il n’y a ni lacune ni désordre en ce passage, à part ce qui concerne le ton mixolydien. En effet, si l’on veut bien jeter les yeux sur les quatre dispositions discutées, on pourra facilement se convaincre de deux points, savoir: 1° que l’ordre et le sens des mots n’exigent aucune correction, 2° qu’il n’est besoin d’aucune addition.

1° Il ne faut pas changer l’ordre présenté par le texte, ni intervertir l’hypophrygien et l’hypodorien, d’abord, parce que deux fois le texte les présente dans le même ordre, ensuite parce qu’il vaut mieux laisser immédiatement au grave du dorien l’hypodorien qui en est pour ainsi dire un diminutif: ὑποδώριον, τὸ μὴ πάνυ δώριον, dit Athénée citant Héraclide (liv. XIV) et cité par M. Vincent, Notices, etc., p. 81. Mais, comme on objectera que dans cette hypothèse l’hypophrygien devrait être placé immédiatement au grave du phrygien, nous rappellerons que les dispositions du texte font consonner l’hypophrygien à la quarte avec le phrygien, consonance qui se retrouve aussi dans les dispositions de tons postérieures il cette époque. Maintenant, I l’égard des trois diésis d’intervalle qui séparent les trois tons les plus graves et les trois tons les plus aigus, il suffit de citer avec M. Vincent (Notices, etc., p. 100) Aristide Quintilien, Bacchius et Plutarque, qui parlent de cet intervalle appelé spondiasme comme « servant à établir des différences dans les diverses espèces d’octaves ou d’harmonies. »

2° En second lieu, comme quatre tons successifs, dans les trois dispositions du texte, constituent une grandeur de quarts, c’est-à-dire deux tons et demi, et que cette relation, qui se retrouve dans toutes les dispositions tonales que nous connaissons, chez tous les autres auteurs, serait rompue si l’on adoptait la restitution de Meybaum, nous en conclurons qu’il n’y a pas lieu d’intercaler avec lui le mot upoludion.

D’un autre côté, il ne faut nullement s’étonner de ne pas trouver en ce passage les 13 tons établis, dit-on, par Aristoxène et rapportés par Euclide. L’auteur se borne ici à donner un aperçu des doctrines et des erreurs de ceux qui l’ont précédé. On sait qu’il avait compose un traité des Tons. Sur la théorie des harmonies, tons et tropes, voyez notre article Harmonique dans le Dictionnaire d’archéologie grecque et romaine.

[31] Il est probable que, par le mot catapycnose, l’auteur entend ici le chant de 3 diésis. Dans le cas contraire, il faudrait supposer qu’il y a une lacune et qu’il expliquait La composition des diagrammes dressés par les harmoniciens.

[32] C’est l’objet de la sixième partie. Cp. Notices, etc., premier Anonyme, p. 12, second Anonyme, p. 32.

[33] Cp. dans les Notices, etc., le second Anonyme, p. 42, la note M de M. Vincent, p. 195 et G. Pachymère, pp. 463 et 555.

[34] Meybaum juge indubitable la correction qu’il propose de μελῳδίας en μελοπιίας. Cette correction est en effet très vraisemblable, et Meybaum aurait même pu citer à l’appui l’autorité d’Alypius (Mb., p. 2) qui, après avoir énuméré les six premières parties, ajoute ἕβδομον περὶ αὐτῆς τῆς μελοποιίας. Nous croyons toutefois que l’on peut maintenir le mot du texte; seulement nous conjecturons qu’il y a ici une lacune que l’on comblerait en partie au moyen de cette phrase, extraite du second Anonyme (Notices, etc., pp. 43 et 555) et de l’Introduction harmonique d’Euclide (p. 22). Μελοπιία δέ ἐστι ποία χρῆσις τῶν ὑποκειμένων [Euclide ajoute] τῇ ἁρμινικῇ πραγματείᾳ. L’intercalation de cette phrase explique logiquement le sens du mot gar, qui suit.

[35] A côté de ces considérations, il y a lieu de placer le passage suivant de Plutarque (dialogue sur la musique, § 33): Si l’on examine chaque science en particulier, on verra clairement quelle est sa limite. Il est évident par exemple que la science harmonique se propose de faire connaître les divers genres, les intervalles, les systèmes, les sons, les tons (ou les tropes) et les métaboles ou mutations des systèmes, mais qu’elle ne saurait porter ses vues plus loin. On ne doit pas exiger qu’elle puisse juger si le poète en a usé d’une manière convenable lorsqu’il a pris le ton hypodorien pour le commencement de sa pièce, le mixolydien et le lydien pour la flûte, l’hypophrygien et le phrygien pour le milieu car la science harmonique ne s’étend pas jusque-là, et elle a besoin de plusieurs autres connaissances.

[36] On a vu précédemment en quoi consistent les variétés de genres (Cp., l. I § 73) et les formes des intervalles tels que la quarte, la quinte, etc. (L. I, § 55).

[37] C’est-à-dire les degrés d’intonation des sons qui les composent.

[38] Voici le passage le plus obscur des Eléments harmoniques. Meybaum fait à cette occasion trois conjectures, et nous en présentons trois autres, dont la première nous a été communiquée par M. Vincent.

1° Meybaum traduit: « Siquidem hyperbolaeon sonus et meses et hypates eadem scribitur nota. » On voit qu’il traduit to comme s’il y avait o (jqoggoV).

2° Ensuite, il se demande, dans ses notes, s’il ne faut pas lire ὑπερβολαίων [τρίτη ou νήτη ou παρανήτη], et encore s’il ne faut pas supprimer καὶ ὑπάτης, et lire νήτης ὑπερβολαίων καὶ μέσης supposant qu’Aristoxène parle de deux notes, la nète hyperbolon ou des adjointes et la mèse, notes qui dans le trope lydien sont représentées toutes deux par le même signe, vocal et instrumental, I < et I’ <’ avec L’accent pour seule différence; mais M. Vincent remarque (Notices, etc., p. 137) que cette notation, que Meybaum fait remonter au temps de Pythagore dont on lui donna le nom, lui est postérieure de plusieurs siècles et même postérieure à notre auteur.

3° Enfin Meybaum observe qu’il s’agit d’une notation d’intervalles et non de sons.

4° Suivant M. Vincent, ὑπερβολαίας est pour νήτης et en effet dans sa pensée le sens de ces deux mots est analogue: « ils désignent tous deux une corde additionnelle. » De plus, τῷ αὐτῷ σημείῳ γράφεται signifie que pour chaque corde fixe la note reste la même. Enfin, dans un même genre, les grandeurs de chaque intervalle partiel varient sans que les puissances, les fonctions, les rôles des sons éprouvent de changement.

5° Avant que M. Vincent n’eut fait cette conjecture, qui affaiblit beaucoup les autres, nous supposions que l’on pourrait sous-entendre μέλος avec τό et σθγχοδρίας avec ὑπερβολαίας, etc. Notre traduction a été conçue d’abord d’après cette hypothèse. Peut-être l’auteur fait-il allusion aux signes de solmisation (Notices, etc., p. 39). Si ce n’était pas une erreur, le passage confirmerait ce point mal établi (loc. cit.), savoir, que le tétracorde hyperbolaeon ou des adjointes existait à l’époque d’Aristoxène.

6° Une dernière supposition, c’est que, au lieu de sous-entendre συγχορδίας il faudrait suppléer φωνῆς et traduire: le chant de la voix hyperboloïde, etc. (Voyez l’Appendice, n° 6.) -

M. P. Marquard, de son côté, propose, entre autres conjectures, de restituer ainsi la phrase: τὸ γὰρ νήτης καὶ μέσης [καὶ τὸ παραιμέσης] καὶ τῖω αὐτῷ γρ. σημ.. Il rappelle que les signes CC et ZΓ seraient ceux dont parlerait Aristoxène. En se plaçant à ce point de vue, Il vaut mieux, selon nous, lire comme s’il ne s’agissait que de la nète [des conjointes], de la mèse et de l’hypate [des moyennes], lesquelles, précisément, se notent toutes trois avec le même aiguë (ΓO), du moins lorsque la première est hypodorienne, la deuxième, dorienne, et la troisième, mixolydienne. Comme M. Marquard, nous supprimons ὑπερβολαίας.

[39] Ici figure, dans tous les manuscrits, la phrase « et en effet, etc. » Ces mots sont renvoyés par Meybaum à notre § 34, comme nous l’indiquons: transposition qui est assez vraisemblable.

[40] M. Marquard place les mots: il nous arrivera, etc., après la phrase mise plus bas entre crochets, comme s’ils se rapportaient à la discussion concernant les flûtes. Cette transposition peut se soutenir.

[41] Sur l’instabilité des sons de la flûte, voyez J.-J. Rousseau, Dictionn. de mus., article Accorder.

[42] Voir Eusèbe Pamphile, Prép. év.. XV, 23 (citation de Plotin, sur l’âme). « De même que, dans les instruments de musique, il y a un luthier qui a placé les cordes dans un accord harmonique, qui sentait en lui-même la raison par laquelle devaient se produire les sons harmoniques; car ce ne sont pas les cordes qui se sont d’elles-mêmes disposées harmoniquement; etc. » (Traduction de M. Ségnier de Saint-Brisson, t. II, p. 500.) On trouvera, en ce passage, une réfutation indirecte de la doctrine de notre auteur sur l’âme. Cp. Plotin, Ennéades, trad. Bouillet, t. ii, p. 460.

[43] Rapprocher de ce passage remarquable le chap. i de la Poétique d’Aristote. Cp. Platon, Phaedr., p. 264, B.

[44] Sur la consonance et la dissonance, voir dans les Notices, etc., un fragment de l’Hagiopolite, p. 260, et plus loin un fragment de Nicéphore Grégoras, p. 283. Voir aussi dans Plutarque, Questions platon., le § ix, spécialement consacré à la consonance.

[45] Ici commence une longue citation de ce passage faite par Porphyre, dans ses Commentaires sur les Harmoniques de Ptolémée, liv. I, ch. ix; il le présente comme appartenant au premier livre de ces Eléments.

[46] Plutarque n’admet que cinq consonances. « Les consonances, dit-il, ne peuvent être qu’au nombre de cinq, comme le montre la raison et comme l’expérience le confirme à quiconque en voudra faire l’épreuve sur des cordes tendues ou sur les trous de la flûte, et s’en rapporter au jugement seul de l’oreille sans faire usage de la raison. Ces consonances se forment toutes suivant des proportions numériques; celle de quarte est sesquitierce (4 : 3), celle de quinte est sesquialtère (3 : 2), celle d’octave, double (2 : 1), celle d’octave et quinte, triple (3 : 1), celle de double octave, quadruple (4 : 1). La consonance d’octave et quarte que veulent ajouter quelques musiciens ne doit pas y être ajoutée, comme sortant de ces proportions (8 : 3). (Plut., sur le mot Εἰ.) Cp. dans les Notices, etc., le second Anonyme, p. 28, Bacchius l’Ancien, p. 88, G. Pachym., chap. x, pp. 444 et 451. Cp. aussi Nicom., éd. Meyb., p. 14, et Vitruve, de Architect., V, 4, 14.

[47] Aristoxène, au lieu de donner les cinq autres consonants, établit un principe qui permet de les reconnaître. On aura, en vertu de ce principe:

1° L’octave avec la quarte (quarte redoublée ou onzième),

2° L’octave avec la quinte (quinte redoublée ou douzième),

3° La double octave (quinzième),

4° La double octave avec la quarte (quarte triplée ou dix-huitième),

5° La double octave avec la quinte (quinte triplée ou dix-neuvième).

L’auteur a déjà dit ailleurs (liv. I, 68) que cette dernière consonance est la plus grande que l’on puisse apprécier avec la voix humaine. Du reste, lorsqu’on voit Aristoxène établir qu’il y a huit consonances, et le second Anonyme des Notices huit pareillement, Vitruve six, et Plutarque cinq, il faut songer que les deux premiers parlent de l’étendue de voix différentes, Vitruve de celle d’une seule voix, et Plutarque des consonances que l’on peut évaluer sur le monocorde.

[48] Deux quartes donnent une septième mineure, et deux quintes une neuvième, qui sont des dissonances.

[49] M. Vincent (Notices, etc., p. 10) donne sur ce passage un scholie inédit dont voici la traduction: « On appelle diésis tantôt le tiers, tantôt le quart du ton; car on distingue la moitié, le tiers et le quart du ton; la moitié s’appelle hémiton ou demi-ton; le tiers, diésis chromatique, et le quart, diésis enharmonique minime. On ne chante pas musicalement d’intervalle plus petit, quoique cette règle soit inconnue à la plupart. » (Manuscrit de la Bibl. imp., suppl. grec, n° 449.)

[50] On a vu (l. I, § 99) que l’on ne peut chanter plus de deux diésis de suite dans le chant accordé. Cette distinction entre la division de l’intervalle tonié et l’emploi de ses diverses parties n’est pas sans importance. Elle marque l’origine d’une science et la nécessité de la précision dans une théorie qui est toujours sur la défensive. Elle répond victorieusement, en outre, à ceux qui ne voient dans l’exécution du diésis enharmonique (quart de ton) qu’un miaulement très peu mélodieux. Nous avons dit ailleurs (Etude sur Aristoxène, note 47) les effets remarquables qu’obtient M. Ad. Populus, compositeur et maître de chapelle, sur l’orgue harmonium à quart de ton, construit chez Alexandre, d’après les indications de M. Vincent. Nous corrigeons τρίτον et τρία en τέταρτον et τέσσαρα. M. P. Marquard, un peu plus haut, après eiV, ajoute tria h.

[51] Le texte porte ἐλάχιστον nous en faisons ἔλαττον. Il faudrait suppléer: Que le diésis enharmonique. Meybaum observe avec raison qu’évidemment il y a ici une lacune. En effet le mot μὲν placé après ἁπλῶς n’a pas son corrélatif naturel, δὲ, bien que cette conjonction figure dans la phrase suivante qui ouvre le chapitre viii.

[52] Cette restitution est de M. P. Marquard.

[53] Ceux qui veulent varier les noms des sons, etc., ὅσοι κινοῦσι τῶν φθόγγων [τὰ ὀνόματα θαυμάζουσι]. Nous espérons avoir aplani par la restitution des trois derniers mots l’aspérité de ce passage. Meybaum traduit: Etenim cur meses (il propose netes) et parameses unum sit intervallum, ac rursus meses et hypates reliquorumque stantium sonorum. Notre restitution semble se justifier: 1° par l’impossibilité d’expliquer kinousi comme s’il se rapportait aux sons, et, encore moins, dans ce passage, aux sons mobiles. 2° Par ces mots πρὸς δὴ ταῦτα (§ 52) qui supposent une objection présentée précédemment; or on a, chez Aristoxène, est toujours le verbe qui sert à formuler l’objection. 3°Enfin par la présence de ces mots τῶν φθόγγων τὰ ὀνόματα κινεῖν, sonorum nomina movere, mutare, placés dans la bouche des auteurs de l’objection présentée id. D’un autre côté voici la substance de cette discussion qui a été convenablement résumée par Meybaum.

Première objection. Les sons qui ont des étendues différentes (dans leurs rapports entre eux) sont différents.

Deuxième objection. Les étendues différentes ont pour limites des sons différents.

Troisième objection. Les étendues égales doivent porter le même nom. Aristoxène répond que, si la première proposition était vraie, il faudrait une infinité de dénominations. La seconde anéantit les variétés de genres où les grandeurs partielles varient sans que les sons (c’est-à-dire les noms des sons) suivent cette variation. Quant à la troisième objection, elle est également inexacte, car telles consonances, égales entre elles, peuvent être limitées par des sons différents.

M. Marquard suppose qu’il y a une lacune entre φανερὸν et πῶς, et la supplée par une restitution qui peut se traduire: (de sorte que l’on voit) [que le lieu de la parhypate ne s’étend pas au-delà d’un diésis minime]. Cette restitution n’a rien d’improbable. Elle suggère naturellement la pensée de placer à la suite une phrase telle que celle-ci: [Cette question des lieux attribués aux cordes mobiles a souvent donné lieu à des objections. On se demande avec surprise] comment, etc. Voir deux cas analogues, Mb. p. 60, l. 20 et p. 68, l. 13. Dans cette hypothèse il faudrait emprunter à M. Marquard sa leçon ὅσοι [μὴ] κινοῦνται au lieu de ὅσοι κινοῦσι.

[54] Meybaum et Meursius lisent διάνοτος au lieu de δίτονος. Nous préférons le mot du texte, attendu que ceux qui posent l’objection suivaient vraisemblablement une notation des intervalles. Plus, loin on trouvera de même le mot hémitoniée, ἡμιτοναῖος, appliqué à la parhypate, en tant qu’éloignée de l’hypate de l’intervalle d’un demi-ton (Cp. § 66).

[55] Τὰ γὰρ ἴσα... Cette leçon nous est fournie par le manuscrit de Paris, supplément, n° 449.

[56] Dans le diagramme des anciens Grecs (voir notre planche I), la nète (νεάτη, νήτη χορδή) était la corde la plus basse de leur échelle mélodique, laquelle était disposée dans le sens inverse de la nôtre. NeatoV signifiait inférieur. La mèse (μέση) ou corde moyenne est placée à égale distance de la nète des conjointes et de l’hypate des moyennes. L’hypate (ὑπάτη χορδή) était la corde la plus haute de l’échelle primitive avant l’introduction du proslambanomène. Ὕπατος voulait dire supérieur. Sur la signification des mots ὕπατος et νέατος, voir Plutarque, Questions platoniques, § 9. Il est à peine utile d’observer que l’auteur entend parler ici du système parfait disjoint.

[57] Le mot égal, ἴσον, s’applique à deux intervalles qui ont une même grandeur; le mot semblable, ὅμοιον, à deux tétracordes dont les grandeurs partielles ou divisions sont respectivement les mêmes.

[58] Il s’agit du lieu ou degré lichanoïde. La lichanos (ἡ λιχανός), est donc le son déterminatif du genre et de la nuance; c’est ce rôle qui lui a fait donner par M. Vincent le nom d’indicatrice, autant que le sens propre du mot ὁ λιχανός, doigt index. Voir Vincent, Notices, etc. Note E, p. 119, et ci-dessus, note 36.

[59] Au lieu de χρώματος δ' ἢ (alias χρώματος δεῖ), nous lisons χρώμ' δ' ἦν, et de διέσεως, qui n’offre pas de sens dans ce passage, nous avons fait διαίρεσις ἕως. Meybaum traduit: Chromatis autem diesin mos chromaticus ostenderit. Voir dans Aristide Quintilien un passage où Meybaum change lui aussi δίεσις en διαίρεσις (Not. in Ar. Q., p. 231). Cp., p. 52 de Mb., ligne 4 τονιαίου χρώματος διαίρεσις. Ici M. Marquard s’est contenté d’un à peu près.

[60] Il nous faut avouer que ni l’interprétation proposée par Meybaum, ni la nôtre, ne nous paraissent entièrement satisfaisantes. M. Vincent nous suggérait celle-ci, sous toutes réserves néanmoins: « quelle apparence d’être contredit (sur ce point) par ceux qui doutent même de la différence des couleurs? » M. Vincent lisait ἀντιπροσθεῖτο.

[61] Pour compléter le raisonnement de l’auteur nous ajouterons: « Or les sons, étant les limites des intervalles, sont les mêmes, et par conséquent les dénominations de ces sons seront aussi les mêmes, proposition où notre auteur voulait arriver. »

[62] Les sons que nous appelons compréhensifs (περιέχοντες) sont ceux qui limitent la grandeur compréhensive d’un intervalle.

[63] Meybaum propose, avec une grande vraisemblance, d’ajouter le mot « égaux. »

[64] Il s’agit du quatrième son en allant de la mèse vers le grave, suivant l’usage des anciens. C’est ainsi que dans les tétracordes des adjointes (ὑπερβολαίων), des disjointes (διεζευγμένων) et des conjointes (συνεζευγμένων), la deuxième note en montant est appelée trite, c’est-à-dire troisième [en descendant]. Cf. plus haut, note 56.

[65] Voir notre planche II.

[66] Sur les divisions ou variétés de genres, voir un passage de G. Pachymère traduit dans nos Fragments (Appendice, n° 5). Cp. Ptol., Harm., l. I, ch. xii, p. 30; Notices, etc., note B, p. 102 et p. 393; Euclid., Intr. harm., p. 11; Heegmann, Théorie musicale des Grecs, dans les mémoires de la Société nationale des sciences de Lille, année 1851, p. 50 etc. Cette division des tétracordes, presque réduite, au temps de Plutarque, à l’emploi du genre diatonique synton, dont l’échelle diffère peu de notre gamme mineure, était restée, jusqu’à M. Vincent qui les reproduisit sur un instrument de son invention, une théorie inapplicable. Toutefois un peintre célèbre, le Dominiquin (né en 1581), épris des beautés de la musique ancienne, voulut construire un instrument qui rappelait l’usage des trois genres. Voici ce qu’il écrivait à un ami: Lettre de Dominique Zampieri à Fr. Albani, à Bologne. « Je fais faire en ce moment une harpe avec tous ses genres diatonique, chromatique et enharmonique, chose qui jusqu’à présent n’a pas encore été inventée. Mais les musiciens de notre siècle n’en ayans aucune idée, je n’en ai pu trouver aucun qui sache en tirer des sons harmonieux. Je suis fâché que M. Alessandro ne soit plus en vie. Il avait dit que je n’en viendrais pas à bout, puisque Luzzasco l’avait cherché inutilement. Le prince de Venosa et le Stella, qui passent pour les premiers musiciens de ce pays, sont venus à Naples et ils n’ont pu s’en servir. Si je vais à Bologne, je veux faire faire un orgue de cette manière. » (Magasin pittoresque, année 1848, p. 143.)

Cet essai du Dominiquin rappelle le singulier commentaire en action donné par Meybaum et Gabriel Naudé, à la cour de la reine Christine de Suède. (Voir Ch. Magnin, Origines du théâtre moderne, t. Ier, p. 113.)

[67] Le manuscrit de Florence (voir Marquard, p. 74) et le n° 449 du supplément grec de la Bibliothèque impériale suppriment la mention du nombre et du détail des indicatrices, aussi bien que celle du nombre des parhypates, mentions que l’on retrouve à la marge du manuscrit de Venise (cl. vi, cod. 3), et qui pourraient fort bien être une glose de scoliaste (partie imprimée en italiques). Le texte d’Aristoxène serait celui-ci: Λιχανοὶ μὲν οὖν εἰσιν ὅσαιπερ αἱ τῶν τετραχ. διαιρέσεις, παρυπάται δὲ δυοῖν ἐλάττους... hypothèse adoptée par M. Marquard (p. 164 de son commentaire critique); et notre restitution (οὐχ) deviendrait inutile.

[68] Voir la planche III, tableau 1, fig. A.

[69] Voir la pl. III, tableau 1, fig. B.

[70] Voir la pl. III, tableau 1, fig. C.

[71] Voir la pl. III, tableau 2, fig. A, B, C.

[72] Placée à un demi-ton de l’hypate. Voir la note 54.

[73] Par exemple, le diton se divise d’un certain nombre de manières, savoir: deux tons, un ton et un trihémiton, un ton et deux demitons, etc. de même, si nous prenons l’exemple de Meybaum, la grandeur de quarte peut au plus se diviser en trois parties et la quinte en quatre.

[74] C’est-à-dire la paramèse dans la lyre heptacorde, s’il faut en croire Meybaum.

[75] Cette phrase, comme l’observe Meybaum, est d’une très grande importance pour la détermination de l’agoge, marche, ou conduite du chant.

[76] Voici l’explication et l’exemple que donne Meybaum. Supposons, dans tous les tétracordes, le son le plus grave éloigné du son immédiatement supérieur de 3 diésis, le troisième éloigné de ce dernier de 5 diésis, le quatrième, éloigné du troisième de 2 diésis. Par une telle disposition, le quatrième son sera consonnant à la quarte avec le premier, puisqu’il y a entre eux une distance de dix diésis ou de deux tons et demi, et cependant le système qui en résulte sera non-mélodique. Nous ajouterons qu’il faudrait, pour le rendre mélodique, le conformer à l’une des variétés de genre et aux principes de composition ou de succession établis au IIIe livre. On doit entendre ici par système, non pas la réunion de trois sons, comme le système pycné ou non pycné, mais plutôt la « série mélodique » des sons, la gamme.

[77] Meybaum trouve ce passage difficile; à tort ou à raison, nous jugeons le contraire et présentons des conjectures totalement différentes des siennes. Suivant lui:

1° les tétracordes appartenant aux mêmes systèmes seront ou conjoints ou disjoints. Voilà en quoi consiste l’alternative.

2° Si les tétracordes sont consonants son à son, ils ne le peuvent être qu’à la quarte, par conséquent l’expression n’importe quelle consonance devient inacceptable.

3° Il faut corriger et lire « n’importe quelle division ».

Maintenant voici comment nous entendons ce passage.

1° L’alternative consiste en ce que les tétracordes, soit conjoints, soit disjoints, se succèdent ou bien sont séparés par un autre tétracorde aux sons duquel chacun d’eux est consonnant son à son. (Cp. l. III, § 7.)

2° Si les tétracordes sont consonants son à son, ils le peuvent être suivant n’importe quelle consonance, puisque toute consonance dérive de la quarte et de la quinte, et que les sons des deux tétracordes consonnent toujours chacun à chacun, soit en quarte soit en quinte.

3° Il faut donc maintenir la leçon du texte et lire n’importe quelle consonance.

Voici du reste un exemple et un résumé de cette explication. (Voir pl. I.)

Tétracordes consonants entre eux. Si l’on considère les deux tétracordes des moyennes et des conjointes, chaque son de même rang consonnera à la quarte; si l’on considère les deux tétracordes des moyennes et des disjointes, chaque son de même rang consonnera à la quinte; si l’on considère les deux tétracordes des moyennes et des adjointes, chaque son de même rang consonnera à l’octave, et ainsi de suite.

Deux tétracordes consonants à un troisième. Si l’on considère le tétracorde des fondamentales, consonnant en quarte avec celui des moyennes, et celui des disjointes consonnant en quinte avec ce même tétracorde des moyennes, on voit que ces deux tétracordes ne sont pas situés dans le même lieu du diapason vocal, mais qu’ils font tous deux consonants avec celui auquel l’un ou l’autre indistinctement se trouve consonner, quoique ce ne soit pas suivant la même consonance.

[78] Meybaum observe avec raison que l’auteur fait allusion aux principes énoncés dans le iiie livre.

[79] Le mot τόπος signifie, en cet endroit, l’espace où peut se mouvoir un son susceptible de déplacement. On voit sans difficulté que les dissonants sont bien plus variables que les grandeurs consonantes; ainsi l’intervalle de la mèse à l’indicatrice peut (théoriquement) varier à l’infini, d’après un principe du livre I, § 90.

[80] Voir notre planche III, tableau 3, fig. A. Nous avons conformé ce tableau et les suivants à ceux de Meybaum, dont ils ne diffèrent d’ailleurs qu’en ce que, chez notre devancier, ce sont les lettres romaines, et, dans le présent travail, des notes musicales modernes qui servent a représenter les cordes grecques. Ainsi donc:

 

 

[81] On peut rapprocher de ces détails le procédé usité de nos jours pour accorder les instruments à clavier. Cp. G. Pachymère citant Ptolémée, Notices, etc., p. 456.

[82] C’est-à-dire dans le sens de l’aigu. Voir notre pl. III, tableau 3, fig. B. Cp. dans les Notices, etc., G. Pachymère, p. 476.

[83] Voir pl. III, tableau 4, fig. A. La belle restitution qui suit est due à Meybaum.

[84] Voir pl. IV, tableau 4, fig. B.

[85] Meybaum supprime avec raison τέσσαρα, mot surabondant. »

[86] Meybaum traduit ainsi ce passage : « Quod enim sumptorurn sonorum gravissimus (sc. y) diatessaron consonantia modulate aptatus sit illi (x) qui gravius ditonum in acutum finit; diatessaron consonantia quoque aptatum sumptorum sonorum acutissimum (b) diapente contigit consonare gravissimo (y). » Dans ses notes, il propose: « Quoniam sumptorum gravissimus (y) diatessaron consone intentus est finienti (x) gravius ditonum in acutum, propterea quartum (b) sumptorum sonorum acutissimum diapente contigit consonare gravissimo (y). » Notre correction de τέσσαρα ou τέταρτον en δέ amène l’interprétation suivant qui ne laisse plus aucun doute: « Cum enim sumptorum sonorum gravissimum (y) diatessaron aptatum esse consonum illi (x) qui gravius ditonum in acutum finit, tum sumptorum sonorum acutissimum (b) diapente contigit consonare gravissimo (y). »  Il était facile d’arriver de tessara à de, bien que cette correction ne se fût encore présentée à l’esprit de personae. Meybaum corrige τέσσαρα en τέταρτον et prétend que le son b est le quatrième; mais en lisant le § 77, on peut se convaincre que les deux premiers sons déterminés sont x et F, le troisième b, le quatrième y. D’un autre côté, si on lisait τέταρτον il faudrait τέταρτον,῾᾿οξύτατον ὄντα, sans quoi l’on aurait une apposition peu naturelle dans la langue grecque. En résumé, l’on voit que les conjectures de Meybaum tombent devant une simple amélioration du texte. L’édition récente de M. Marquard renferme aussi cette restauration, adoptée par nous dès 1857. (Voir dans la Revue archéologique notre Etude sur Aristoxène, Appendice, note j.)

[87] Il faudrait un intervalle d’une grandeur ditoniée pour former les six tons de l’octave. Il faudrait, par conséquent, que chaque excès fût un intervalle d’un ton.

[88] Elle dépasse, comme on sait, le diton d’un demi-ton suivant Aristoxène, et d’un limma suivant les pythagoriciens.

[89] Nous restituons γὰρ, et M. Marquard, alla. Peut-être l’absence de conjonction indique-telle que cette proposition est une annotation marginale qui se serait glissée dans le texte. En tout cas, alla n’aurait ici aucune raison d’être.