Attar

Farīd al-Dīn Attār

 

MANTIC UTTAÏR ou LE LANGAGE DES OISEAUX.

chapitres XXXV  à XLI

chapitres XXIII à XXXIV - chapitres XLII à fin

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer


 

 

La conférence des oiseaux peinte par Habib Allah


 

Farīd al-Dīn Attār

MANTIC UTTAÏR

ou

LE LANGAGE DES OISEAUX.

 

Traduction de J. H. Garcin de Tassy.

 

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CHAPITRE XXXV.

DEMANDE D'UN DIX-NEUVIEME OISEAU. (V. 2966.)

Un autre oiseau dit à la huppe : « Dis-moi, toi qui as acquis de la célébrité, comment je dois faire pour jouir du contentement dans ce voyage. Si tu me le dis, mon trouble diminuera, et je consentirai à me laisser diriger dans cette entreprise. Il faut, en effet, à l'homme une direction pour ce voyage lointain, afin qu'il n'ait pas d'appréhension pour la route qu'il doit parcourir. Puisque je ne veux pas accepter la direction du monde invisible, je repousse, à plus forte raison, la fausse direction des créatures. »

« Tant que tu vivras, répondit la huppe, sois content par le souvenir de Dieu, et garde-toi de tout indiscret parleur. Si ton âme possède ce contentement, ses soucis et ses chagrins s'évanouiront. Tel est, dans les deux mondes, le propre du contentement pour les hommes. C'est par lui que la coupole du ciel est en mouvement. Demeure en Dieu dans le contentement, tourne comme le ciel, par amour pour lui. Si tu connais quelque chose de meilleur, dis-le, ô pauvre oiseau ! pour que tu sois heureux au moins un instant. »

LE CONTEMPLATIF EN EXTASE. (V. 2975.)

Un fou en Dieu, chose étonnante, était dans un lieu montagneux, vivant nuit et jour au milieu des panthères. Il tombait de temps en temps en extase, et son état extatique se communiquait même aux personnes qui venaient au lieu où il était. Pendant vingt jours il restait en cet état anomal, pendant vingt jours il sautait et dansait du matin au soir, et il disait toujours : « Nous deux ne faisons qu'un ; nous ne sommes pas plusieurs, sache cela, ô toi qui es tout joie et non tristesse ! »

Comment pourrait-il mourir celui dont le cœur est avec Dieu ? Donne ton cœur à Dieu, car il aime l'ami de cœur. Si ton cœur éprouve l'atteinte de son amour, la mort aura-t-elle quelque prise sur toi ?

ANECDOTE SUR UN AMI DE DIEU. (V. 2982.)

Un ami de Dieu pleurait au moment de mourir. On lui en demanda la raison. « Je pleure, dit-il, comme le nuage printanier, parce qu'en ce moment il me faut mourir et que la chose m'afflige. Je dois donc gémir actuellement ; car, comment mourir, puisque mon cœur est déjà avec Dieu ? » Un de ses intimes lui dit alors : « Puisque ton cœur est avec Dieu, si tu meurs, tu feras une bonne mort. » Le soufi répondit : « La mort peut-elle avoir lieu pour celui dont le cœur est uni à Dieu ? Mon cœur est uni à lui ; ainsi ma mort me paraît impossible. Si tu es réjoui une fois seulement par la contemplation de ce secret, tu ne pourras être contenu dans le monde. Celui qui est satisfait de son existence (Comme faisant partie du grand tout) perd son individualité et devient libre. Sois éternellement content de ton ami, pour être en lui comme la rose dans son calice.

ANECDOTE ALLEGORIQUE. (V. 2991.)

Un homme recommandable disait : « Depuis soixante et dix ans je suis constamment en extase dans le contentement et le bonheur, et, dans cet état, je participe à la souveraine majesté et je m'unis à la Divinité même. Quant à toi, tandis que tu es occupé à rechercher les fautes d'autrui, comment te réjouiras-tu de la beauté du monde invisible ? Si tu recherches les fautes avec un œil scrutateur, comment pourras-tu jamais voir les choses invisibles ? Débarrasse-toi d'abord de tes fautes, puis sois véritablement roi par l'amour des choses invisibles. Tu sépares en deux un cheveu pour les fautes des autres, mais tu es aveugle pour tes propres fautes. Occupe-toi de tes propres défauts ; alors, quand même tu aurais été coupable, tu seras agréé de Dieu. »

LES DEUX IVROGNES. (V. 2998.)

Un homme s'était enivré au point de perdre la raison et d'être dans l'état le plus déplorable, car l'ivresse à laquelle il s'abandonnait lui avait fait entièrement perdre l'honneur.[290] Comme il avait bu ce qui était limpide et ce qui était trouble, sa tête et ses pieds étaient à la fois perdus par suite de sa fâcheuse condition. Un passant vit cela avec déplaisir ; il mit dans un sac cet homme ivre, et il le portait ainsi à son domicile, lorsqu'il rencontra dans le chemin un homme également pris de vin. Ce second ivrogne ne pouvait marcher que soutenu par d'autres personnes, car il était complètement ivre. Lorsque celui qui était dans le sac vit cet autre dans ce fâcheux état, il lui dit : « O malheureux ! il fallait boire deux coupes de moins que moi, afin de pouvoir marcher « comme moi libre et seul. »

Cet homme vit donc la position de son confrère et non la sienne ; or notre état n'est pas différent. Tu vois les défauts parce que tu n'aimes pas et que tu n'es pas susceptible d'éprouver ce sentiment. Si tu avais la moindre connaissance de ce que c'est que l'amour,[291] les défauts de l'objet aimé te paraîtraient de bonnes qualités.

L'AMANT ET LA MAÎTRESSE. (V. 3008.)

Un homme brave et impétueux comme un lion fut pendant cinq ans amoureux d'une femme. Cependant on distinguait une petite taie à l'œil de cette belle ; mais cet homme ne s'en apercevait pas, quoiqu'il contemplât fréquemment sa maîtresse. Comment en effet cet homme, plongé dans un amour si violent, aurait-il pu s'apercevoir de ce défaut ? Toutefois son amour finit par diminuer ; une médecine guérit cette maladie. Lorsque l'amour pour cette femme eut été altéré dans le cœur de celui qui l'aimait, il reprit facilement son pouvoir sur lui-même. Il vit alors la difformité de l'œil de son amie, et lui demanda comment s'était produite cette tache blanche. « Dès l'instant, répondit-elle, que ton amour a été moindre, mon œil a laissé voir son défaut. Lorsque ton amour a été défectueux, mon œil l'est aussi devenu pour toi. Tu as rempli ton cœur de trouble par l'aversion que tu éprouves actuellement ; mais regarde, ô aveugle de cœur ! tes propres défauts. Jusques à quand rechercheras-tu les défauts d'autrui ? Tâche plutôt de t'occuper de ceux que tu caches soigneusement. Lorsque tes fautes seront lourdes pour toi, tu ne feras pas attention à celles d'autrui. »

LE PREFET DE POLICE ET L'IVROGNE. (V. 3020.)

Le préfet de police frappa un jour un homme ivre. Ce dernier lui dit : « Ne fais pas tant de fracas, car tu te permets aussi des choses illicites[292] ; tu apportes l'ivresse et la jettes dans le chemin. Tu es toi-même beaucoup plus ivre que moi ; mais personne ne s'aperçoit de cette ivresse. Ainsi désormais ne me tourmente pas, et demande aussi justice contre toi-même. »

CHAPITRE XXXVI.

DEMANDE D'UN VINGTIÈME OISEAU. (V. 3024.)

Un autre oiseau dit à la huppe : « O chef du chemin ! que demanderai-je au Simorg si j'arrive au lieu qu'il habite ? Puisque par lui le monde sera lumineux, pour moi j'ignore ce que je pourrai lui demander. Si je savais quelle est la meilleure chose au monde, je la demanderais au Simorg quand j'arriverai au lieu qu'il habite. »

La huppe dit : « O insensé ! quoi ! tu ne sais que demander ? Mais demande donc ce que tu désires le plus. Il faut que l'homme sache ce, qu'il doit demander. Or le Simorg vaut mieux lui-même que tout ce que tu peux souhaiter. Apprendras-tu sur lui dans le monde, avec toute la diligence possible, ce que tu veux en savoir ? Celui qui a senti l'odeur de la poussière qui couvre le seuil de sa porte pourrait-il s'en éloigner jamais, quand même on voudrait l'y décider par des présents ? «

ANECDOTE SUR LE SCHAÏKH RUBDAR. (V. 3031.)

Au moment de mourir, Bû Ali Rubdâr[293] prononça ces mots : « Mon âme est arrivée sur mes lèvres dans mon attente des biens éternels. Toutes les portes du ciel sont ouvertes, et l'on a placé pour moi un trône dans le paradis. Les saints qui habitent le beau palais de l'immortalité s'écrient de leur voix de rossignol : « Entre, ô vrai amant ! sois reconnaissant ; puis marche avec joie, car personne n'a jamais vu ce lieu. »

« Si j'obtiens ta faveur et ta grâce, mon âme ne lâchera pas la main de la certitude. Ai-je besoin de tout ce dont on me parle, et que tu m’as fait attendre pendant ma longue vie ? Mon intention n'est pas de courber la tête pour le moindre présent, comme les gens occupés de désirs temporels. Mon âme a été créée dans ton amour ; je ne connais donc ni le ciel ni l'enfer. Si tu me brûles et me réduis en cendres, on ne trouvera pas en moi un autre être que toi. Je te connais, mais je ne connais ni la religion, ni l'infidélité ; je laisse tout cela si tu le laisses. Je suis à toi, je te désire, je te connais ; et toi, tu es à moi, et mon âme est à toi. Toi seul m'es nécessaire dans le monde ; tu es pour moi ce monde-ci et l'autre monde. Satisfais tant soit peu le besoin de mon cœur blessé, manifeste un instant ton amour pour moi. Si mon âme se retire tant soit peu de toi, je consens à ce que tu me prives de la vie, car je ne respire que par toi. »

PAROLES DE DIEU À DAVID. (V. 3045.)

Dieu très haut dit une fois à l'intègre David : « r Annonce ceci de ma part à mes serviteurs, c'est à savoir : ô poignée de terre ! si je n'avais pour récompense et pour punition ni le ciel ni l'enfer, mon service ne vous serait-il pas désagréable ! S'il n'y avait ni lumière[294] ni feu,[295] vous occuperiez-vous de moi ? Mais, puisque je mérite le respect suprême, vous devez m'adorer alors sans espoir ni crainte ; et cependant, si vous n'étiez tenus par l'espoir ou par la crainte, penseriez-vous à moi ? Toutefois il convient, puisque je suis toujours votre Seigneur, que vous m'adoriez du fond du cœur. Dis donc à mes serviteurs de retirer la main de tout autre que moi, et de m'adorer comme je le mérite. » 

« Rejette entièrement tout ce qui n'est pas moi, brûle-le ensuite et réunis-en la cendre ; puis répands cette cendre, afin que, dispersée par le vent de l'excellence, il n'en reste pas de trace. Lorsque tu auras agi ainsi, ce que tu cherches se manifestera alors de cette cendre. Si Dieu permet que tu t'occupes de l'éternité et des houris, sache sûrement qu'il t'a éloigné de lui-même. »

ANECDOTE SUR MAHMUD ET AÏAZ. (V. 3057.)

Mahmud appela un jour son favori Ayâz[296] ; il lui remit sa couronne, le fit asseoir sur son trône, et lui dit : « Je te donne mon royaume et mon armée ; règne, car ce pays est à toi. Je désire que tu exerces la royauté et que tu mettes à la Lune et au Poisson la boucle d'oreille de l'esclavage. » Lorsque tous ceux qui composaient l'armée de Mahmud, tant cavaliers que fantassins, eurent entendu ces paroles, leurs yeux s'obscurcirent par l'effet de la jalousie, et « jamais dans le monde, s'écrièrent-ils, un roi n'a fait à un esclave tant d'honneur. » De son côté, l'intelligent Ayâz se mit à pleurer abondamment en apprenant la volonté du sultan ; mais tous lui dirent : « Tu es fou, tu ne sais pas ce que tu fais, tu es dépourvu d'intelligence. Puisque tu es parvenu à la royauté, toi qui n'es qu'un esclave, pourquoi pleurer ?Assieds-toi dans le contentement. » Ayâz leur répondit sans hésiter : « Vous êtes loin du chemin de la vérité, car vous ne comprenez pas que le roi de la grande assemblée me renvoie ainsi loin de sa présence. Il me donne de l'occupation afin que je reste séparé de lui, au milieu de l'armée. Il veut que je gouverne son royaume, et moi je ne veux pas m'éloigner du roi un seul instant. Je veux bien lui obéir, mais je ne veux pas le quitter. Qu'ai-je affaire de son royaume et de son gouvernement ? mon bonheur est de voir sa face. »

Si tu étudies les choses spirituelles et si tu connais la vérité, apprends d'Ayâz la manière de servir (Dieu), ô toi qui es resté désœuvré nuit et jour ! occupé seulement de tes premiers désirs vulgaires, tandis que chaque nuit, comme pour te donner l'exemple, ô ambitieux ! Ayâz descend du sommet de la puissance.[297] Quant à toi, tu n'éprouves de désir spirituel ni nuit ni jour, et tu ne remues pas de ta place, comme un homme sans instruction. Ayâz descend du haut de l'excellence, et toi, tu es venu ensuite et tu t'es tenu en garde. Hélas ! tu n'es pas l'homme qu'il faut. A qui pourras-tu dire enfin ta douleur ! Tant que le paradis et l'enfer seront sur ta route, comment ton esprit connaîtra-t-il le secret que je t'annonce ? Mais lorsque tu laisseras ces deux choses, l'aurore de ce mystère s'élèvera de la nuit. Le jardin du paradis n'est pas d'ailleurs pour les indifférents ; car l'empyrée est réservé aux gens de cœur. Quant à toi, renonce, comme les gens spirituels, à l'un et à l'autre, passe outre sans y attacher ton cœur. Lorsque tu y auras renoncé et que tu en demeureras séparé, serais-tu femme, que tu deviendras un homme spirituel.

PRIÈRE DE RÂBIAH. (V. 3081.)

Râbiah dit un jour à Dieu : « O toi qui connais le secret des choses ! accomplis les désirs mondains de mes ennemis et donne à mes amis l'éternité de la vie future ; mais, quant à moi, je suis libre de ces deux choses. Si je possédais ce monde-ci ou le futur, je tiendrais peu à être en intimité avec toi. Mais c'est de toi seul, ô mon Dieu ! que j'ai besoin ; tu me suffis. Si je tournais mes regards vers les deux mondes, ou si je désirais autre chose que toi, je me considérerais comme infidèle. »

Celui qui possède Dieu possède tout ; un pont est jeté pour lui sur les sept océans. Tout ce qui est et tout ce qui sera est allégorique, si ce n'est le Seigneur excellent. Tu trouveras le pareil de tout ce que tu cherches, à l'exception de lui seul ; quant à lui, il est sans pareil, et il existe nécessairement.

AUTRES PAROLES DE DIEU ADRESSEES À DAVID. (V. 3090.)

Le Créateur du monde parla en ces termes à David de derrière le voile du mystère : « Tout ce qui existe dans le monde, bon ou mauvais, visible ou invisible, tout cela n'est que substitution, si ce n'est moi-même, à qui tu ne trouveras pas de remplaçant ni de pareil. Puisque rien ne peut être substitué à moi, ne cesse pas d'être avec moi. Je suis ton âme, ne te sépare pas de moi ; je te suis nécessaire, tu es dans ma dépendance. Ne sois pas un seul instant insouciant au sujet de l'être nécessaire. Ne cherche pas à exister séparé de moi ; ne désire pas ce qui s'offre à toi, si ce n'est moi. »

O toi qui vis plein de désirs dans le monde ! toi qui es plongé jour et nuit dans les soucis qu'entraînent ces désirs, n'oublie pas que celui que tu as reconnu comme digne de ton culte doit être ton unique but dans les deux mondes. Le monde visible te vend son néant ; mais, pour toi, prends garde de ne pas vendre Dieu pour rien au monde. Tout ce que tu lui préfères est une idole qui te rend infidèle, et tu es également coupable si tu te préfères à lui.

LE SULTAN MAHMUD ET L'IDOLE DE SOMNÂT. (V. 3100.)

L'armée de Mahmud trouva à Somnât[298] l'idole nommée Lât. Les Hindous s'empressèrent d'offrir, pour la sauver, dix fois son pesant d'or ; mais Mahmud refusa nettement de la vendre, et il fit allumer un grand feu pour la brûler. Un de ses officiers se permit de dire : « Il ne convient pas de détruire cette idole, il vaut mieux accepter ce qu'on propose et prendre l'or qu'on offre. » — « Je craindrais, répondit Mahmud, qu'au jour du compte suprême le Créateur ne dit, devant l'univers assemblé : « Ecoutez ce qu'ont fait Azar[299] et Mahmud : le premier a sculpté des idoles, et le second en a vendu. »

On raconte que lorsque Mahmud eut fait mettre le feu à l'idole de ces adorateurs du feu, il sortit de l'intérieur de la statue cent manns de pierres précieuses, et Mahmud obtint ainsi gratuitement ce qui était désiré. Mahmud dit alors : « Lât méritait ce traitement, et Dieu m'a récompensé de mon action. »

Ah ! brise toi-même les idoles auxquelles tu rends un culte, afin de ne pas périr misérablement comme cette idole. Consume ton âme, comme Mahmud consuma cette idole, par l'amour de ton divin ami, afin que tu fasses sortir les pierres précieuses de dessous la face extérieure. Lorsque le cri d’alast[300] retentira à ton oreille, ne diffère pas de répondre oui. Tu t'es lié avant d'exister par cet engagement ; ne manque pas de l'accomplir aujourd'hui. Puisque tu as pris avec Dieu cet engagement antérieur, comment te serait-il loisible de le nier actuellement ? Toi donc qui as accepté dans l'origine l'engagement d’alast et qui voudrais le renier actuellement, puisque tu l'as pris positivement à cette époque, comment y désobéiras-tu aujourd'hui ? Tu ne peux éviter de remplir ta promesse ; comporte-toi donc en conséquence, exécute fidèlement ce que tu as accepté, et n'agis pas par subterfuge.

AUTRE ANECDOTE SUR MAHMUD. (V. 3117.)

Lorsque Mahmud, le flambeau des rois, eut quitté Ghazna pour faire la guerre aux Hindous, et qu'il aperçut leur innombrable armée, son cœur fut rempli de tristesse, à cause de cette multitude, et il fit vœu, ce jour-là, au Roi de toute justice, en disant : « Si j'obtiens la victoire sur cette armée, je consacrerai aux derviches de la voie spirituelle tout le butin qui tombera en mes mains. » Lors donc que Mahmud eut été victorieux, on réunit un énorme butin au-delà de toute proportion, au-delà de ce qu'auraient pu imaginer cent esprits sages. Comme donc ces visages noirs furent mis en déroute et qu'on eut obtenu ce butin, qui dépassait toute prévision, le roi dit à un de ses officiers : « Envoie ce butin aux derviches, car j'ai fait ce vœu à Dieu dès le commencement, et je dois agir avec droiture par rapport à mon pacte et à mon engagement. » Mais tout le monde se récria, et dit : « Comment ! donner tant d'argent et d'or à une poignée de gens sans valeur ! Ou donne-le à l'armée, qui a été en butte aux attaques de l'ennemi, ou bien ordonne de le déposer dans le trésor. » Le sultan, troublé par l'incertitude, resta interdit entre sa promesse et cet avis unanime. Sur ces entrefaites, Bû Huçaïn, fou spirituel, qui était intelligent, mais sans éducation, passa au milieu de cette armée. Lorsque Mahmud l'eut aperçu de loin, il dit : « Faites approcher cet insensé, demandez-lui ce que je dois faire, et j'agirai comme il le dira. Puisqu'il ne tient ni au sultan, ni à l'armée, il donnera librement son avis. » Le roi du monde fit donc alors venir ce fou, et lui raconta la chose. Celui-ci, hors de lui, dit ces mots : « Sire, il est ici question pour toi de deux oboles ; mais, si tu veux agir convenablement envers Dieu, ne pense plus, ô mon cher, à ces deux oboles ; et si tu remportes encore une victoire par sa grâce, aie honte d'en retirer deux oboles. Ainsi, puisque Dieu t'a donné la victoire et t'a fait réussir, quelle chose peut t'appartenir qui n'appartienne pas à Dieu ? »

Mahmud répandit cet or en aumônes, et devint un grand monarque.

CHAPITRE XXXVII.

DEMANDE D'UN VINGT ET UNIEME OISEAU. (V. 3139.)

Un autre oiseau dit à la huppe : « O toi qui veux nous conduire auprès de la majesté inconnue ! quelle est la chose la plus appréciée à cette cour ? Si tu nous l'indiques, nous porterons ce qu'on y préfère. Il faut aux rois des dons précieux ; il n'y a que des gens vils qui se permettent de se présenter devant eux les mains vides. »

« O toi qui m'interroges ! répondit la huppe, si tu veux suivre mon avis, tu porteras au pays du Simorg ce qu'on n'y trouve pas. Est-il en effet convenable d'emporter d'ici ce qui s'y trouve déjà ? Là se trouve la science ; là se trouvent les secrets ; là se trouve abondamment l'obéissance passive des êtres spirituels. Portes-y donc l'ardeur de l'âme et la peine de l'esprit, parce que personne ne doit donner là autre chose. Si un seul soupir d'amour parvient en ce Heu, il y portera le parfum du cœur. Ce lieu est consacré à l'essence de l'âme et non à sa vile enveloppe. Si l'homme peut y pousser un soupir, il sera aussitôt en possession du salut. »

ANECDOTE SUR JOSEPH ET ZALIKHA. (V. 3l49.)

A l'époque où Zalikha était en possession de son rang et de sa dignité, elle fit mettre un jour Joseph en prison, et elle dit à un de ses esclaves : « Place-le là à l'instant et donne-lui cinquante coups de et bâton. Déploie une telle force sur le corps de Joseph que j'entende ses plaintes de loin. » Cet esclave ne se soucia pas d'exécuter sa mission, car il vit le visage de Joseph, et son cœur ne lui permit pas d'agir. Cet excellent homme avait aperçu une peau d'animal, et ce fut sur cette peau qu'il frappa avec énergie. A chaque coup que frappait manifestement l'esclave, Joseph pleurait abondamment. Lorsque Zalikha entendit de loin ces cris, elle dit : « Frappe plus fort, car tu es trop indulgent. » Alors l'esclave dit à Joseph : « O toi qui es aussi brillant que le soleil ! si Zalikha te regarde, comme elle ne verra sur toi aucune blessure de bâton, nul doute qu'elle ne me punisse sévèrement. Découvre donc tes épaules et affermis ton cœur, puis supporte les coups de bâton que je t'appliquerai. Si tu éprouves de la douleur de ces coups, elle verra du moins les marques qui en résulteront. » Joseph découvrit alors son corps, et ses cris parvinrent jusqu'au ciel. L'esclave éleva la main et lui donna des coups de bâton tels que Joseph tomba par terre. Lorsque, cette fois, Zalikha eut entendu ses cris, elle dit : « C'est assez, car ces cris ont produit leur effet. Auparavant, ses soupirs n'étaient rien ; mais, cette fois, ils sont bien réels. »

Quand même il y aurait pour un deuil cent pleureurs mercenaires, le soupir de l'homme affligé serait seul effectif. S'il y avait un cercle de cent personnes affligées formant un anneau, l'homme vraiment affligé en serait le chaton. Tant que tu ne posséderas pas le véritable amour, tu ne seras pas digne de figurer dans le rang des hommes spirituels ; mais celui qui participe au tourment et à l'ardeur de l'amour, trouvera-t-il du repos jour et nuit ?

LE MAÎTRE ET SON ESCLAVE. (V. 3168.)

Un individu avait un esclave nègre très actif, qui avait purifié ses mains des choses du monde, et qui priait toute la nuit jusqu'à l'aurore, animé des intentions les plus droites. Son maître lui dit un jour : er Diligent esclave, lorsque tu te lèves pendant la nuit, réveille-moi aussi, pour que je fasse l'ablution et que je prie avec toi. » Le nègre lui répondit : « Celui qui aime à rechercher, la voie spirituelle n'a pas besoin d'être réveillé. Si tu ressentais cet amour, tu te réveillerais de toi-même et tu ne resterais pas jour et nuit dans l'inaction spirituelle. Lorsqu'il faut que quelqu'un te réveille, il vaut autant qu'une autre personne te remplace pour ta prière. Celui qui n'éprouve pas ce sentiment et cet amour mérite d'être enseveli sous la poussière, car il n'est pas homme de la voie spirituelle ; mais celui qui a façonné son cœur à cet amour n'appartient plus ni au ciel ni à l'enfer. »

ANECDOTE SUR LE SCHAÏKH BÛ ALI TUCI.[301] (V. 3177.)

Bû Ali Tuci, qui était un des grands pîrs de son siècle, marchait dans la vallée de la diligence et de l'attention. Je ne connais personne qui ait jamais reçu autant de grâces et qui soit arrivé à un tel degré d'honneur spirituel. Or il disait : « Dans l'autre monde,[302] les malheureux damnés distingueront clairement les habitants du paradis, qui pourront leur dire d'une manière positive ce qu'il en est réellement des joies du paradis et du goût de l'unification. » Or les bienheureux confesseront alors ceci : « Les joies vulgaires n'existent pas dans le ciel, parce que, dans ce séjour parfait, le soleil de la beauté divine nous est apparu. Lorsque cette beauté s'est manifestée à nous, les huit paradis ont été, par confusion, dans les ténèbres. Devant l'éclat de cette beauté qui dilate l'âme, il n'est resté de l'éternité bienheureuse ni nom ni trace. »

Lorsque les habitants du Paradis exprimeront ainsi leur position, les gens de l'enfer leur répondront : « O vous pour qui le ciel et le paradis ne sont plus rien ! nous sentons que ce que vous dites est réel ; car pour nous, qui habitons un lieu horrible, où nous sommes plongés dans le feu de la tête aux pieds, lorsque nous avons su d'une manière évidente que le déplaisir et la vexation avaient lieu à notre égard de la part de l'ami ; que nous avons appris que nous avons encouru la colère de Dieu et que c'est ainsi que nous avons été éloignés de sa face, notre cœur mécontent a enlevé de notre souvenir le feu de l'enfer par le feu du regret. Partout où ce feu-là produit son effet, il brûle l'âme et le cœur des amants. Celui que l'affliction assaille dans sa voie pourra-t-il manifester son zèle ? Il faut que tu supportes la douleur, l'affliction, la blessure. Il faut que tu y trouves du goût et le repos. Si tu arrives blessé dans ce lieu, tu seras le mahram du boudoir de l'âme. Si tu es blessé, ne le dis à personne, ajoute blessure sur blessure, et ne t'en plains pas.

DEMANDE FAITE À MAHOMET. (V. 3196.)

Un homme demanda humblement au Prophète la permission de faire la prière sur son tapis. Le maître ne le lui permit pas, en lui disant : « A cette heure, la terre et le sable sont brûlants. Place ton visage sur le sable brûlant et sur la terre du chemin, puisque tous ceux qui sont blessés d'amour doivent en avoir l'empreinte sur le visage. Lorsque tu aperçois une blessure à l'âme, il est convenable que la cicatrice soit visible à l'extérieur. Tant qu'on ne voit pas de cette façon la cicatrice du cœur, comment peut-on te considérer comme blessé ? Montre la cicatrice du cœur, car dans l'emplacement de l'amour on connaît les gens de cœur par leur blessure apparente. »

CHAPITRE XXXVIII.

DEMANDE D'UN VINGT-DEUXIEME OISEAU ET DESCRIPTION DE LA PREMIÈRE VALLEE, OU VALLEE DE LA RECHERCHE (TALAB). (V. 3202.)

Un autre oiseau dit à la huppe : « O toi qui connais le chemin dont tu parles et où tu veux nous accompagner ! la vue doit s'obscurcir dans cette route, car, en effet, elle paraît très pénible et longue de bien des parasanges. »

« Nous avons, répondit la huppe, sept vallées à franchir, et ce n'est qu'après ces vallées qu'on découvre le palais du Simorg. Personne n'est revenu dans le monde après avoir parcouru cette route ; on ne saurait connaître de combien de parasanges en est l'étendue. Puisqu'il en est ainsi, comment veux-tu qu'on puisse t'instruire à ce sujet et calmer ton impatience ? Insensé que tu es, tous ceux, qui sont entrés dans cette route s'y étant égarés pour toujours, comment pourront-ils t'en donner des nouvelles ?

« La première vallée qui se présente est celle de la recherche (talab) ; celle qui vient ensuite est celle de l'amour ('ischc), laquelle est sans limite ; la troisième est celle de la connaissance (ma’rifat), la quatrième celle de l'indépendance (istignâ),[303] la cinquième celle de la pure unité (tauhîd), la sixième celle de la terrible stupéfaction[304] (hairât), la septième enfin celle de la pauvreté (facr) et de l'anéantissement (fanâ), vallée au-delà de laquelle on ne peut avancer. Là tu seras attiré et cependant tu ne pourras continuer ta route ; une seule goutte d'eau sera pour toi comme un océan.

« Aussitôt que tu seras entré dans la première vallée, celle de la recherche (talab), cent choses pénibles t'assainiront sans cesse. A chaque instant tu auras à éprouver en ce lieu cent épreuves ; le perroquet du ciel[305] n'est là qu'une mouche. Il te faudra passer plusieurs années dans cette vallée à faire de pénibles efforts et y changer d'état. Il te faudra abandonner en effet tes richesses et te jouer de tout ce que tu possèdes. Il te faudra entrer dans une mare de sang en renonçant à tout ; et quand tu auras la certitude que tu ne possèdes plus rien, il te restera encore à détacher ton cœur de tout ce qui existe. Lorsque ton cœur sera ainsi sauvé de la perdition, tu verras briller la pure lumière de la majesté divine, et, lorsqu'elle se manifestera à ton esprit, tes désirs se multiplieront à l'infini. Y aurait-il alors du feu sur la route du voyageur spirituel et mille nouvelles vallées plus pénibles à traverser les unes que les autres, que, mû par son amour, il s'engagerait comme un fou dans ces vallées et se précipiterait comme le papillon au milieu de la flamme. Poussé par son délire, il se livrera à la recherche figurée par cette vallée ; il en demandera à son échanson une gorgée. Lorsqu'il aura bu quelques gouttes de ce vin, il oubliera les deux mondes. Submergé dans l'océan de l'immensité, il aura cependant les lèvres sèches, et il ne pourra demander qu'à son propre cœur le secret de l'éternelle beauté. Dans son désir de connaître ce secret, il ne craindra pas les dragons qui cherchent à le dévorer. Si, en ce moment, la foi et l'infidélité se présentaient ensemble à lui, il les recevrait également volontiers, pourvu qu'elles lui ouvrissent la porte qui devrait le faire parvenir à ton but. En effet, quand cette porte lui est ouverte, qu'est alors la foi ou l'infidélité, puisque de l'autre-côté de cette porte il n’y a ni l'une ni l'autre chose ? »

PAROLES ALLÉGORIQUES D'AMRÛ D'OSMAN. (V. 3229.)

Amrû d'Osman,[306] le Mecquois, dit dans son Ganj-nâma (livre du trésor), qu'il écrivit à la Mecque : « Lorsque Dieu mit le souffle pur de la vie dans le corps d'Adam, qui n'était que terre et eau, il désira que la troupe entière des anges n'eût aucune connaissance de la chose et ne la soupçonnât même pas. » Il dit donc : « Prosternez-vous actuellement devant Adam, esprits célestes ! » Tous courbèrent alors la tête sur la face de la terre, et nécessairement aucun d'eux ne vit le secret que Dieu voulait leur cacher. Mais Iblis vint et dit en lui-même : Personne ne me verra en ce moment fléchir le genou. Quand même on ferait tomber ma tête de mon corps, ce ne serait pas pour moi une affliction pareille à celle qui résulterait de cette action si je la faisais. Je sais bien qu'Adam n'est pas seulement de la terre, et il n'y a pas de danger que je baisse la tête pour ne pas voir ce secret. » Ainsi, comme Iblis ne baissa pas la tête, il vit le secret qu'il épiait. Alors Dieu lui dit : « O toi qui t'es mis en embuscade dans le chemin ! tu as dérobé ici même mon secret ; mais, puisque tu as vu ce secret que j'avais caché, je vais te faire mourir, pour que tu ne le divulgues pas dans le monde ; car, toutes les fois qu'un roi dépose quelque part un trésor en secret pour le cacher à son armée, il fait nécessairement périr la personne devant qui la chose s'est accomplie, et il tire une ligne sur sa vie. Tu es cet homme du trésor ; comme lui tu as vu un trésor caché, il faut donc que tu te résignes à avoir la tête tranchée. En effet, si en ce moment même je ne te tranche pas la tête, tu seras libre de dévoiler ce secret à tout le monde. »

« Seigneur, dit Iblis, donne du répit à ton serviteur, indique un moyen d'expiation à celui qui est tombé dans ta disgrâce » — « Je veux bien, répliqua Dieu, te donner du répit, toutefois je mets dès ce moment à ton cou le collier de la malédiction, et je t'impose le nom de menteur, afin qu'on se méfie de toi jusqu'au jour de la résurrection. »

Iblis dit ensuite : « Qu'ai-je à craindre de ta malédiction, puisque ce pur trésor a été manifeste pour moi ? Si la malédiction vient de toi, tu as aussi en partage la miséricorde ; la créature dépend de toi, car le destin t'appartient. Si la malédiction est mon partage, je n'éprouve pas de crainte ; s'il y a du poison, il y a aussi de la thériaque. Lorsque j'ai vu les créatures demander miséricorde, alors moi (dans mon ignorance) j'ai pris ta malédiction. Tu maudis certaines de tes créatures et tu en bénis d'autres. Je suis la créature de ta malédiction puisque j'ai failli. »

Si tu veux atteindre au mystère que je t'annonce, il faut agir ainsi ; mais tu ne recherches pas le vrai sens des choses ; tu n'en as que la prétention. Si tu ne peux le trouver ni jour, ni nuit, ce n'est pas parce qu'il n'existe pas, mais parce que ta recherche est défectueuse.

AUTRE ANECDOTE SUR LE SCHAÏKH SCHABLI. (V. 3254.)

Au moment de mourir, Schabli était agité ; il avait les yeux voilés et le cœur plein d'attente. Il avait les reins ceints par la ceinture de la stupéfaction et il était assis sur la cendre. Tantôt il mouillait de ses pleurs cette cendre, tantôt il en jetait sur sa tête. Quelqu'un lui fit alors cette demande : « Dans un pareil moment, as-tu vu quelqu'un se servir du zunnar qui entoure tes reins ? » Il répondit : « Je brûle, que dois-je faire et comment agir ? Que ferais-je, puisque je laisse la vie par l'effet de la jalousie ? Mon âme, qui a détaché sa vue des deux mondes, brûle en ce moment par la jalousie qu'elle éprouve envers Iblis. Puisqu'il s'est contenté de la parole de malédiction, j'espère que ma plainte arrivera pleinement aussi à son but. Schabli ayant donc le cœur altéré et brûlé, transmettra-t-il à un autre quelque chose de ce qu'il ressent ? »

Si tu mets de la différence entre ce qui te vient de la part de Dieu, que ce soit pierre ou diamant, tu n'es pas homme de la voie spirituelle. Si tu te trouves honoré par le diamant et déshonoré par la pierre, Dieu n'est pas avec toi. Il ne faut pas plus aimer le diamant que détester la pierre, fais bien attention à cela, car tous les deux viennent de Dieu. Si ta maîtresse, dans un moment d'égarement, te jette une pierre, cela vaut mieux que de recevoir un bijou d'une autre femme. Animé par un ardent désir et par l'espérance, l'homme doit exposer sans cesse sa vie dans le chemin spirituel. Il ne doit pas s'arrêter un instant dans cette recherche ; il ne doit pas demeurer un instant dans l'inaction. S'il reste un seul moment sans s'occuper de sa poursuite, il sera violemment repoussé loin de ce chemin.

ANECDOTE SUR MAJNÛN. (V. 3269.)

Un homme distingué qui aimait Dieu vit Majnûn tamisant de la terre au milieu du chemin, et il lui dit : « ô Majnûn ! que cherches-tu ainsi ? » — « Je cherche Laïla. » répondit-il. — « Peux-tu espérer de trouver ainsi Laïla ? reprit l'interlocuteur ; une perle si pure serait-elle dans cette poussière ? » — « Je cherche Laïla partout, dit Majnûn, dans l'espoir de la trouver un jour quelque part. »

ANECDOTE SUR YÛÇUF HAMDANÎ. (V. 3273.)

Yûçuf de Hamdan, célèbre imâm de son siècle, qui possédait les secrets du monde et était clairvoyant dans ces choses, disait : « Tout ce qu'on aperçoit en haut et en bas dans l'existence, chaque atome enfin est un autre Jacob qui demande des nouvelles de Joseph, qu'il a perdu. »

Il faut dans la voie spirituelle amour et espérance, car le temps doit se passer dans ces deux choses. Si tu n'es pas satisfait par ces deux choses, ne retire pas cependant la tête de ces secrets. L'homme doit être patient dans la recherche ; mais celui qui aime ne sera-t-il pas impatient ? Sois patient, que tu désires ou ne désires pas, dans l'espoir de trouver quelqu'un qui t'indique le chemin que tu dois faire. Accroupi comme l'enfant dans le sein de sa mère, recueille-toi ainsi en toi-même, plongé dans le sang. Ne quitte pas ton intérieur pour te produire à l'extérieur. S'il te faut de la nourriture, sustente-toi de sang, c'est le sang seul qui nourrit l'enfant dans le sein de sa mère ; et ce n'est que de la chaleur de l'intérieur qu'il provient. Nourris-toi donc de sang, et reste patiemment assis à te complaire dans ton amour, en attendant de parvenir à être agréé par l'objet de ton affection, grâce à ta bonne fortune.

ANECDOTE SUR ABU SA'ÏD MAHNAH. (V. 3284.)

Le schaïkh Mahnah se trouvait dans une grande perplexité : il était dans la plaine, les yeux pleins de sang et le cœur fendu en deux, lorsqu'il vit de loin un vieux villageois dont l'apparence annonçait la piété, qui cheminait,[307] tandis qu'un éclat lumineux sortait de son corps. Le schaïkh alla de son côté, le salua, et lui fit connaître aussitôt sa position pénible. Lorsque le vieux villageois l'eut entendu, il dit : « O Bû Sa'ïd, si l'on remplissait de millet, non une fois, mais cent fois l'espace qui existe du fond de la terre jusqu'au trône glorieux de Dieu, et s'il y avait un oiseau qui prît un grain de ce millet dans mille ans, puis qu'ensuite, pendant autant de temps, il volât cent fois loin du monde, pendant tout ce temps l'âme n'aurait pas obtenu des nouvelles de la cour céleste,[308] et Bû Sa'ïd en serait encore éloigné. »

Il faut aux patients beaucoup de patience ; mais toute personne qui étudie les choses spirituelles n'est pas patiente. Tant qu'on ne fouillera pas dans l'intérieur du chevrotin, on ne pourra extraire du milieu du sang la vessie du musc. Lorsque la recherche sort de l'intérieur à l'extérieur, quand même elle aurait tout l'univers pour se produire, elle avancerait dans le sang. Celui qui ne se livre pas à cette noble recherche est un animal, que dis-je ? il n'existe pas, ou il est une figure sans âme. Si tu devais trouver un trésor, tu serais peut-être plus ardent dans ta poursuite ; mais quand on s'attache à un tel trésor, on en est esclave. Ainsi lorsqu'une chose vous arrête dans le chemin spirituel, elle devient votre idole et doit être traitée comme telle.[309] Si tu te laisses aller au moindre orgueil, tu n'es plus maître de ton cœur, car tu es comme enivré par la boisson et tu as perdu ton intelligence. Ne te laisse pas enivrer par cette coupe de vin et cherche toujours, quoiqu'il n'y ait pas de terme à ta recherche.

MAHMUD ET LE CHERCHEUR D'OR. (V. 3301.)

Une nuit Mahmud, s'étant éloigné de son armée, avisa un homme qui tamisait de la terre (pour y chercher de l'or), la tête courbée sur la poussière du chemin, et qui avait entassé çà et là devant lui des monceaux de terre. Lorsque le roi vit la chose, il jeta son bracelet au milieu de ces monceaux de terre ; puis il poussa en avant son cheval, léger comme le vent. La nuit suivante, le roi revint, et il vit cet homme occupé de la même manière. « Ce que tu as trouvé hier, lui dit-il alors, te suffirait sans doute pour payer dix fois le tribut du monde, et toutefois tu continues à cribler cette terre. Exerce donc la royauté, car tu es indépendant. » — « J'ai trouvé en criblant la terre, répondit cet homme, l'ornement auquel tu fais allusion, et c'est par ce travail que j'ai obtenu un tel trésor caché. Comme par cette porte ma fortune a été manifeste, je dois continuer à m'occuper ainsi tant que je vivrai.

Sois donc, toi aussi, l'homme de cette porte jusqu'à ce qu'on te l'ouvre ; ne détourne pas la tête de ce chemin, jusqu'à ce qu'on te le montre. Tes deux yeux ne seront pas toujours fermés ; cherche, car cette porte n'est pas fermée.

SENTENCE DE RÂBI'AH. (V. 3311.)

Un homme hors de lui disait à Dieu : « O Dieu ! ouvre moi enfin une porte pour parvenir à toi. » Râbi'ah était assise là par hasard et elle lui dit : « O insouciant ! est-ce que cette porte est fermée[310] ? »

CHAPITRE XXXIX.

LA SECONDE VALLEE, OU VALLEE DE L'AMOUR (ISCHC). (V. 3313.)

« Après la première vallée (continua la huppe), celle de l'amour (ischc) se présente. Pour y entrer il faut se plonger tout à fait dans le feu ; que dis-je ? on doit être soi-même du feu, car autrement on ne pourrait y vivre. L'amant véritable doit être en effet pareil au feu ; il faut qu'il ait le visage enflammé ; qu'il soit brûlant et impétueux comme le feu. Pour aimer, il ne faut pas avoir d'arrière-pensée ; il faut être disposé à jeter volontiers dans le feu cent mondes ; il ne faut connaître ni la foi ni l'infidélité, n'avoir ni doute ni certitude. Dans ce chemin, il n'y a pas de différence entre le bien et le mal ; avec l'amour, ni le bien ni le mal n'existent plus.

« O toi qui vis dans l'insouciance ! ce discours ne saurait te toucher ; tu le repousses, tes dents ne peuvent y mordre. Celui qui agit loyalement joue argent comptant, il joue sa tête pour s'unir à son ami. Les autres se contenteront de la promesse qu'on leur fera pour demain[311] ; mais celui-là recevra la chose argent comptant. Si celui qui s'engage dans la voie spirituelle ne se consume pas lui-même en entier, comment pourra-t-il être délivré de la tristesse qui l'accable ? Tant que toute essence ne sera pas radicalement consumée, pourras-tu faire de ton cœur un électuaire de rubis et le vendre ? Le faucon est toujours en proie au feu de l'agitation tant qu'il n'arrive pas à son but. Si le poisson tombe de l'Océan sur la plage, il s'agite jusqu'à ce qu'il soit retourné dans l'eau. Dans cette vallée, l'amour est représenté par le feu, et sa fumée c'est la raison. Lorsque l'amour vient, la raison fuit au plus vite. La raison ne peut cohabiter avec la folie de l'amour ; l'amour n'a rien à faire avec la raison humaine. Si tu acquérais du monde invisible une vue réellement droite, tu pourrais alors seulement connaître la source de l'amour mystérieux que je t'annonce. L'existence de l'amour est peu à peu[312] complètement détruite par l'ivresse même de l'amour. Si tu possédais la vue spirituelle (du monde invisible), les atomes du monde visible te seraient aussi dévoilés ; mais si tu regardes avec l'œil de l'intelligence (humaine), tu ne comprendras jamais comme il faut l'amour. Un homme éprouvé et libre peut seul ressentir cet amour spirituel. Or tu n'as pas l'expérience voulue, et d'ailleurs tu n'es pas réellement amoureux ; tu es mort ; comment serais-tu propre à l'amour ! Il faudrait que celui qui s'engage dans cette voie eût des milliers de cœurs vivants (par l'amour), afin de pouvoir à chaque instant les sacrifier par centaines. »

LE KHOJA AMOUREUX. (V. 3335.)

Un khoja était errant sans lieu ni famille ; il était malheureux, à cause de l'amour qu'il éprouvait pour un jeune débitant de bière. L'excès de son amour s'était changé en folie, au point que l'infamie qui en était résultée pour lui avait du retentissement. Tout ce qu'il possédait d'objets mobiliers et d'esclaves il le vendit et en acheta de la bière. Lorsqu'il ne resta plus rien à cet homme qui avait perdu son cœur, et qu'il fut dans le dénuement, son amour s'accrut cent fois davantage. Quoiqu'on lui donnât du pain tant qu'il en voulait, il était toujours affamé, mais rassasié de la vie, parce que tout autant de pain qu'il recevait, il l'emportait et en achetait de la bière. Il restait toujours affamé, afin de pouvoir boire en un instant cent coups de bière.

Quelqu'un lui dit un jour : « Toi dont l'état est désolé, qu'est-ce que l'amour ? Dévoile-moi ce secret. » — « L'amour est tel, répondit-il, que tu dois vendre la marchandise de cent mondes pour acheter la bière (qui le représente). Tant que l'homme n'agira pas ainsi, connaîtra-t-il le vrai sentiment de l'amour ? »

AUTRE ANECDOTE SUR MAJNÛN. (V. 3345.)

Les parents de Laila ne laissaient jamais entrer Majnûn dans leur tribu ; mais Majnûn, ivre d'amour, emprunta (un jour) une peau de brebis à un berger qui était dans le désert où la tribu de Laïla dressait ses tentes. Il courba sa tête, la couvrit de cette peau, et prit l'apparence d'une brebis. Il dit alors À ce berger : « Je t'en prie, au nom de Dieu ! laisse-moi au milieu de tes brebis. Pousse ton troupeau du côté de Laïla, afin que du milieu (du troupeau où je serai) je puisse espérer de voir celle que j'aime,[313] afin qu'étant ainsi caché à mon amie sous cette peau, j'en jouisse en quelque chose. »

Si tu pouvais ressentir un instant un tel amour, tu serais digne d'appartenir à l'humanité jusqu'à la base de chacun de tes poils. Hélas ! tu ne ressens pas la douleur amoureuse des hommes spirituels, tu ignores la bonne fortune des gens de l'hippodrome spirituel.

Majnûn alla donc sous cette peau dans le chemin de son amie, caché avec les brebis. Il fut d'abord pénétré de joie en voyant Laïla ; puis il finit par tomber en pâmoison. Lorsque l'amour eut produit sur lui cet effet, et que l’eau (l'honneur) eut quitté son visage, le berger le prit et l'emmena dans la plaine ; il jeta de l’eau sur le visage de ce jeune homme si profondément ivre d'amour, pour calmer un peu ce feu avec cette eau.

Ensuite un jour que Majnûn, ivre d'amour, était assis avec quelques personne » dans le désert, « n des membres de cette réunion lui dit : « O toi qui es d'une naissance distinguée ! comment peux-tu rester sans vêtements[314] ? Si tu le désires, je t'apporterai à l'instant la robe que tu préféreras. » — « Tout vêtement, répondit Majnûn, n'est pas digne de mon amie ; ainsi il n'y en a pas pour moi de plus convenable qu'une peau de brebis ; elle me sert comme de sipand[315] pour repousser le mauvais œil. Majnûn porterait volontiers des habits de brocart et de drap d'or ; mais il aime cette peau, au moyen de laquelle il peut plaire à Laïla. J'ai pu apercevoir mon amie sous cette peau de brebis ; comment voudrais-je avoir d'autre vêtement que celui-là ? C'est sous cette peau que mon cœur a eu des nouvelles de l'amour ; et, puisque je ne puis parvenir à l'essence de la chose, cette peau me permet d'en avoir une idée. »

Il faut que l'amour t'arrache à la sagesse, il faut qu'il change tes inclinations. La moindre chose dans l'anéantissement de ces inclinations, c'est de donner ta vie et de quitter les plaisirs vulgaires. Mets le pied dans cette voie, si tu as les sentiments élevés dont je parle, car ce n'est pas un jeu que de jouer ainsi sa vie.

LE MENDIANT AMOUREUX D'AYÂZ. (V. 3368.)

Un mendiant devint amoureux d'Ayâz, et cette nouvelle se répandit en tous lieux. Lorsqu’Ayâz allait à cheval dans le chemin, ce malheureux, qui en était instruit, accourait. Lorsqu’Ayâz, parfumé de musc, venait sur la place, ce libertin spirituel ne regardait que lui, comme le joueur de mail regarde la boule. On rapporta le fait à Mahmud, c'est à savoir que ce mendiant était devenu amoureux d'Ayâz.

Le lendemain, lorsque Ayâz parut, ce libertin accourut aussi, plus amoureux que jamais. Il regardait le visage d'Ayâz ; on aurait dit que le maillet allait saisir la boule. Le sultan le regarda à la dérobée, et il vit que l'âme d'Ayâz était comme le grain d'orge, et le visage de cet homme comme la balle qui l'entoure. Il vit que ce mendiant avait le dos recourbé comme le maillet, que la tête lui tournait comme la boule du mail, et qu'il allait errant de tous les côtés de la place, comme la même boule. Mahmud l'appela, et lui dit : « Misérable mendiant, tu veux donc boire à la même coupe que le roi ? » — « Quoique tu m'appelles mendiant, répondit le derviche, je ne suis pas néanmoins inférieur à toi dans le jeu de l'amour. L'amour et la pauvreté vont ensemble ; le capital de l'amour, c'est de n'en avoir pas. Tu es souverain, et ton cœur est lumineux ; mais, pour l'amour, il faut un cœur calciné comme le mien. Tu n'as de l'amour que l'élément le plus vulgaire, et voilà tout ; patiente donc un instant dans la douleur de l'absence. Malgré l'union dont tu jouis, sache tenir le pied ferme dans la peine de l'absence, si tu es vraiment amoureux. »

Le roi répliqua : « O toi qui es sans nouvelles de l'existence ! pourquoi donc regardes-tu la boule du mail ! » — « C'est, répondit le mendiant, parce que cette boule est en mouvement comme moi ; elle est agitée comme moi, et moi comme elle. Elle connaît ma valeur et moi la sienne ; tous les deux nous sommes tombés l'un et l'autre (la boule et moi) dans le même égarement.[316] Nous existons sans tête ni pied.[317] Elle me connaît et je la connais, et nous pouvons parler (l'un et l'autre) de la peine que le maillet nous fait éprouver ; mais la boule est plus heureuse que moi, car le cheval la touche de temps en temps de son pied. Quoique je sois comme cette boule, sans tête ni pied, cependant j'éprouve plus de douleur que cette boule. La boule reçoit sur son corps des blessures du maillet ; mais ce mendiant désolé les éprouve en son cœur. En effet, quoique la boule éprouve des peines sans analogie, Ayâz finit par l'atteindre ; mais pour moi, bien que j'éprouve encore plus de tourments qu'elle, Ayâz n'est cependant pas à ma poursuite, quoique je sois devant lui. La boule est quelquefois tombée en sa présence, tandis que ce mendiant en est toujours éloigné. A la fin, lorsqu'elle arrive devant lui, elle éprouve la joie que donne le vin de l'union. Je ne puis participer même à l'odeur de son union, tandis que la boule lui a été unie, et a ainsi remporté sur moi la boule (du succès). »

« O mon derviche ! lui dit alors le roi, tu t'es vanté devant moi de ta pauvreté. Si tu ne mens pas, ô malheureux mendiant ! tu dois avoir un témoin de ta pauvreté. » — « Tant que je suis en possession de la vie, répondit le derviche, je ne suis pas indigent. J'ai des prétentions ; mais je n'appartiens pas, en réalité, à l'assemblée (de la pauvreté spirituelle). Si je sacrifie mon âme pour l'amour, ce sacrifice est le gage de ma pauvreté spirituelle. Et si toi, ô Mahmud ! tu as le sentiment de l'amour, sacrifie ta vie, sinon n'aie pas la prétention d'aimer. »

Il dit, et son âme quitta le monde ; il la donna immédiatement pour la face de son bien-aimé. Lorsque ce libertin (spirituel) eut ainsi livré son âme sur la poussière du chemin, le monde fut noir pour Mahmud, par l'effet du chagrin qu'il en éprouva.

Si tu trouves que c'est peu que de se jouer de la vie, viens voir ce fait extraordinaire. Si l'on te dit une fois « Entre, » alors afin d'entendre, du chemin où tu es, cette consolante parole, tu dois devenir tellement sans tête ni pied, que tu puisses jouer tout ce que tu possèdes, et lorsque la bonne nouvelle t'arrivera, ta raison et ton âme seront sens dessus dessous.

L'ARABE EN PERSE. (V. 3406.)

Un Arabe alla en Perse, et fut étonné des usages qu'il y trouva. Cet ignorant, tout en visitant le pays, passa par hasard devant une mai-ton de calandar. Il vit là une poignée de gens désordonnés qui avaient joué les deux mondes, et qui ne disaient mot. Tous sans femme, sans obole, mais le cœur pur[318] ; tous exempte de souillure, l'un plus que l'autre. Chacun d'eux avait à la main un flacon de vin trouble[319] qu'ils avaient eu soin de remplir avant de s'asseoir. Aussitôt que l'Arabe eut vu ces gens-là, il se sentit de l'inclination pour eux, et son esprit et son cœur tombèrent sur le grand chemin de sa course.[320] Lorsque les calandars le virent ainsi perdu d'honneur, de raison et d'esprit, ils lui dirent tous : « Entre, ô homme de rien ! » Il entra donc bon gré, mal gré. Cela fut ainsi, et voilà tout. Il devint libertin comme eux. S'étant enivré par l'effet d'une seule coupe de vin, il fut comme effacé,[321] et sa mâle vigueur fut anéantie. Il avait beaucoup d'objets de prix, beaucoup d'or et d'argent qu'un de ces calandars lui prit en un instant. Un libertin vint, et lui donna encore du vin, puis il le fit sortir de cette maison. Alors l'Arabe retourna en son pays, borgne, pauvre, l'âme altérée et les lèvres sèches. Ses gens lui dirent : « Tu es tout troublé, parle-nous de ton or et de ton argent ; mais tu t'es peut-être endormi (et l'on t'a volé). Tu avais de l'argent, et actuellement tu es dans l'agitation ; tu as mal fait d'aller en Perse. Le voleur a attaqué ton chemin ; qu'est devenu ton argent ? Explique la chose, pour que nous connaissions la situation où tu te trouves. » — « Je suis allé en musant, répondit-il, dans un chemin, et tout à coup je suis tombé parmi des calandars. Je ne sais rien autre chose, si ce n'est que mon or et mon argent s'en sont allés, et que j'ai tout perdu. » On le pria de dépeindre ces calandars. « Ils m'ont simplement dit, répondit-il : « Entre. »

L'Arabe était resté interdit comme un enfant par ce mot : « Entre. » Mets donc toi-même le pied en avant, sinon suis tes propres fantaisies. Renonce à la vie,[322] à moins que tu ne la préfères (à l'objet de ton amour). Si tu préfères, au contraire, les secrets de l'amour à ton âme, tu la sacrifieras alors pour cet objet. Tu livreras ton âme et tu resteras nu, mais tu entendras bientôt le mot sacramentel : « Entre. »

L'AMOUREUX QUI PERD SA MAÎTRESSE. (V. 3429.)

Un homme aux vues élevées, et possesseur de perfection, devint amoureux d'une belle personne. Or celle à qui il avait abandonné son cœur devint grêle et jaune comme une tige de safran. Le jour lumineux fut obscur pour son cœur, la mort arriva de loin et s'approcha d'elle. On annonça cette nouvelle à son amant ; il accourut un poignard à la main et disant : « Je veux tuer sur-le-champ ma maîtresse,[323] afin que cette belle, pareille à une admirable peinture, ne meure pas de mort naturelle.[324] » On lui dit : « Tu es insensé ; quel motif as-tu donc de vouloir la tuer ? Ne répands pas le sang, retire ta main de ce meurtre, car elle va mourir. A quoi sert de tuer une personne qui se meurt ? Un fou seul tranche la tête à un mort. » — « Si mon amie périt par ma main, on me fera périr par la peine du talion. Alors, au jour de la résurrection, je brûlerai pour elle (en enfer) comme la bougie en face des humains réunis. Je suis mis à mort à cause de ma passion pour cette belle, et demain je serai aussi brûlé à cause d'elle. Telle est ma situation ici et là. Mon sort est d'être ou tué ou brûlé pour cette belle. »

Les amants qui jouent leur vie sont venus dans ce chemin, après avoir retiré leurs mains des deux mondes : ils ont arraché de leur âme la pensée des choses sensibles ; ils ont entièrement retiré leur cœur du monde. Lorsque la vie spirituelle est revenue à leur corps mort, ils ont joui de l'intimité de l'objet leur affection.

ABRAHAM ET L'ANGE DE LA MORT. (V. 3443.)

Lorsque l'ami de Dieu fut à l'agonie, il ne livra pas sans regret son âme à Azraïl : « Retire-toi, lui dit-il, et dis au Roi de l'univers de ne pas exiger l'âme de son ami. » Mais Dieu très haut lui dit : « Si tu es mon ami, tu dois désirer de venir me trouver. Il faudrait arracher avec l'épée la vie de celui qui regretterait de la donner pour son ami. » Une personne qui était présente dit : « O Abraham ! lumière du monde ! pourquoi ne veux-tu pas donner de bonne grâce ta vie à Azraïl ? Comment se fait-il que les amants ont joué leur vie dans le chemin du spiritualisme, et que tu y sois si attaché ? » — « Comment, répondit Abraham, pourrais-je quitter volontiers la vie, quand le pied d'Azraïl s'est mis au milieu ? » Quand Gabriel vint auprès du feu[325] et me dit de lui demander quelque chose, je ne le regardai pas, parce que je ne pensais qu'à Dieu. Lors donc que j'ai détourné ma tête de Gabriel, comment livrerais-je mon âme à Azraïl ? Je ne veux pas faire le sacrifice volontaire de ma vie tant que je n'entendrai pas Dieu me dire lui-même : « Donne ta vie. Lorsque je recevrai l'ordre de l'abandonner, le monde de mon âme ne vaudra pas pour moi un demi-grain d'orge. Comment, dans les deux mondes, donnerais-je ma vie à quelqu'un, sans qu'il l'ordonne lui-même ? Voilà tout ce que j'ai à dire. »

CHAPITRE XL.

LA TROISIEME VALLE, OU VALLEE DE LA CONNAISSANCE (MA'RIFAT). (V. 3456.)

« Après la vallée dont je viens de parler (continua la huppe), une autre se présente aux regards. C'est celle de la connaissance (ma'rifat), qui n’a ni commencement ni fin. Il n’y a personne qui puisse être d’une opinion différente sur la longueur du chemin qu'il faut faire à travers cette vallée. Aucun chemin n'est, vraiment, pareil à celui-là ; mais autre est le voyageur temporel, autre le voyageur spirituel. L'âme et le corps, par la perfection ou par l'affaiblissement, sont toujours en progrès ou en décadence.[326] Nécessairement le chemin spirituel ne se manifeste que dans les limites des forces respectives de chacun. Comment, en effet, dans ce chemin que parcourut Abraham, l'ami de Dieu, la faible araignée pourrait-elle suivre le pas de l'éléphant ? La marche de chaque individu sera relative à l'excellence qu'il aura pu acquérir, et chacun ne s'approchera du but qu'en raison de sa disposition. Si un moucheron volait de toute sa force, pourrait-il jamais égaler l'impétuosité du vent ? Ainsi, puisqu'il y a différentes manières de parcourir cet espace, chaque oiseau ne peut voler de même. La connaissance spirituelle (ma’rifat) a là différentes faces. Les uns ont trouvé le mihrab, les autres l'idole.[327] »

Lorsque le soleil de la connaissance brille à la voûte de ce chemin, qu'on ne saurait décrire convenablement, chacun est éclairé selon son mérite, et il trouve le rang qui lui est assigné dans la connaissance de la vérité. Quand le mystère de l'essence des êtres se montrera clairement à lui, la fournaise du monde deviendra un jardin de fleurs.[328] L'adepte verra l'amande bien qu'entourée de sa pellicule.[329] Il ne se verra plus lui-même, il n'apercevra que son ami ; dans tout ce qu'il verra, il verra sa face ; dans chaque atome il verra le tout[330] ; il contemplera sous le voile des millions de secrets aussi brillants que le soleil. Mais combien d'individus ne se sont pas perdus dans cette recherche pour un seul qui a pu découvrir ces mystères ? Il faut être parfait si l'on veut franchir cette route difficile et se plonger dans cet océan orageux. Quand on a un goût véritable pour ces secrets, on ressent à chaque instant une nouvelle ardeur pour les connaître. On est réellement altéré du désir de pénétrer ces mystères, et on s'offrirait mille fois en sacrifice pour y parvenir. Quand même tu atteindrais de la main le trône glorieux, ne cesse pas un instant de prononcer ces mots du Coran : « N'y a-t-il rien de plus[331] ? » Plonge-toi dans l'océan de la connaissance, sinon mets du moins sur ta tête la poussière du chemin. Quant à toi qui es endormi et qu'on ne peut complimenter sur la réussite, pourquoi ne pas en être dans le deuil ? Si tu n'as pas le bonheur de t'unir à l'objet de ton affection, lève-toi et porte au moins le deuil de l'absence. Toi qui n'as pas encore contemplé la beauté de ton ami, cesse de rester assis, lève-toi et cherche ce secret. Si tu ne connais pas la manière de t'y prendre, sois honteux. Jusques à quand seras-tu comme un âne sans licou ?

LES LARMES PURIFIÉES. (V. 3482.)

Un homme en ramassant[332] des pierres sur une montagne de la Chine répandit de ses yeux des larmes abondantes, et à mesure que ses larmes coulaient sur la terre, elles se changeaient en cailloux.

Si des cailloux de ce genre étaient en la possession des nuages, ce qu'il en pleuvrait jusqu'à la résurrection ne serait qu'un sujet de soupirs.

La science est le propre de l'homme pur et véridique. S'il faut aller en Chine pour la trouver, va l'y chercher[333] ; car la science, par le mauvais vouloir des insouciants, est devenue aussi dure à manier que la pierre. Jusques à quand sera-t-elle méconnue ? Le monde, palais de douleurs, est tout obscurité ; mais.la science y brille comme une lampe qui montre le chemin. En effet, ce qui guide ton âme dans ce lieu obscur, c'est le joyau de la science, de cette science qui dilate le cœur. Dans ces ténèbres, qui n'ont ni commencement ni fin, tu es resté sans guide comme Alexandre ; mais si tu retires de ce précieux joyau l'avantage convenable, tu sentiras le repentir du mal que tu as fait. Si tu ne possèdes pas ce joyau, tu devras être encore plus repentant ; et que tu le possèdes ou que tu ne le possèdes pas, je te trouverai toujours en proie aux regrets.

Le monde visible et le monde invisible ne sont rien pour l'âme ; le corps n'est pas caché à l'âme, ni l'âme au corps. Lorsque tu es sorti du monde visible qui n'est rien, c'est là que se trouve le lieu propre à l'homme. Si tu parviens donc de ce lieu-ci dans ce lieu particulier, tu acquerras en un instant cent espèces de secrets ; et, si dans ce chemin tu restes en arrière, malheur à toi, tu te perdras totalement dans les pleurs. Si tu te prives de dormir pendant la nuit et que tu ne manges pas pendant le jour, tu pourras trouver ce que tu cherches. Cherche jusqu'à ce que tu te perdes dans ta recherche en t’abstenant de manger pendant le jour et en t'abstenant de dormir pendant la nuit.

L’AMOUREUX SOMNOLENT. (V. 3499.)

Un amoureux, troublé dans son esprit par l'excès de son amour, s'endormit en gémissant sur un tertre tumulaire. Sa maîtresse passa auprès de l'endroit où il reposait sa tête, et elle le trouva endormi et privé de sentiment. Elle lui écrivit tout de suite un billet propre à la circonstance, et elle l'attacha à la manche de son amant. Lorsque celui-ci se réveilla de son sommeil, il lut la lettre, et son cœur fut ensanglanté, car il y était écrit : « O toi qui es muet ! lève-toi, et, si tu es un marchand, travaille à gagner de l'argent ; si tu es un abstinent, veille pendant la nuit, prie Dieu jusqu'au jour et sois son esclave ; mais, si tu es amoureux, sois honteux. Qu'a le sommeil à faire avec l'œil de l'amant ? Il mesure le vent[334] pendant le jour, et représente pendant la nuit, par son cœur brûlant, l'éclat de la lune. Comme tu n'es ni ceci ni cela, ô toi qui es dépourvu de tout éclat ! ne te vante pas faussement de m'aimer. Si un amant peut dormir ailleurs que dans son linceul, je l'appellerai amant, mais de lui-même. Puisque tu es arrivé à l'amour par la folie, que le sommeil te soit favorable ! Mais tu es indigne d'aimer. »

L'AMOUR SENTINELLE. (V. 3510.)

Un soldat chargé de faire sentinelle et devenu éperdument amoureux, était ainsi jour et nuit sans sommeil et sans repos. Un de ses amis lui dit : « O toi qui es privé de sommeil ! dors au moins enfin une nuit. » — « L'amour, répondit-il, va à mes fonctions de sentinelle ; car ces deux choses peuvent-elles permettre de dormir ? Puisque le sommeil ne convient pas au soldat qui fait sentinelle, il est avantageux qu'il soit amoureux. Comme un tel sentiment, qui consiste à jouer sa vie, s'est emparé de moi, il s'identifie avec mes fonctions et mes fonctions rentrent dans son domaine. Comment trouverais-je tant soit peu de sommeil, puisque je ne puis l'emprunter d'aucun côté ? Chaque nuit l'amour me met à l'épreuve, et il me fait ainsi observer la consigne. »

Quelquefois, en effet, cet amoureux allait et frappait de sa massue ; d'autres fois, de chagrin, il se frappait le visage et la tête. Si, par hasard, privé qu'il était de sommeil et de nourriture, il s'endormait un instant, il rêvait à son amour. Il ne laissait passer personne pendant toute la nuit sans crier : « Qui vive ? » à moins qu'il ne dormît.

Un ami lui dit un jour : « O toi qu'occupent le zèle de tes fonctions et l'ardeur de ton amour ! tu n'as pas un instant de sommeil pendant la nuit. » Le factionnaire lui répondit : « Le sommeil doit être étranger à la sentinelle. De même qu'il ne doit y avoir en fait d'eau (honneur) au visage de l'amant que des pleurs, ainsi la veille convient à la sentinelle. Elle doit être habituée à veiller, comme les amants au déshonneur. Comment le sommeil peut-il avoir lieu si l'on pleure au lieu de dormir ? Lorsqu'on est à la fois sentinelle et amoureux, le sommeil quitte aussitôt vos yeux. L'amour est agréable pour la sentinelle, car l'insomnie s'est glissée dans son essence. Celui à qui l'insomnie est agréable sera-t-il jamais propre au sommeil ? » Ne dors pas, ô homme ! si tu es à la recherche des choses spirituelles ; mais si tu te contentes d'en parler, le sommeil te convient alors. Garde bien le chemin de ton cœur, car il y a des voleurs aux alentours. La route est cernée par des voleurs du cœur, préserve donc de ces brigands le joyau de ton cœur.

Lorsque tu auras la vertu qui consiste à savoir garder ton cœur, ton amour pour la science spirituelle se manifestera promptement. Or cette connaissance viendra indubitablement à l'homme par la veille au milieu de l'océan du sang de son cœur. Celui qui a longtemps supporté la veille a eu son cœur éveillé quand il s'est approché de Dieu. Puisqu'il faut se priver du sommeil pour avoir le cœur éveillé, dors peu, afin de conserver la fidélité du cœur. Je dois te répéter, lorsque ton existence croulera : « Il ne faut pas que celui qui se perd dans l’océan des êtres fasse entendre un cri de plainte. Les amants véritables sont partis[335] pour se plonger dans le sommeil ivres d'amour. Frappe-toi la tête, car ces hommes excellents ont fait ce qu'il fallait faire. » Celui qui a réellement le goût de l'amour spirituel possède en sa main la clef des deux mondes. Si l'on est une femme, on devient un homme étonnant, et si l'on est un homme, on devient un océan profond.

SENTENCE DE 'ABBÂÇAH SUE L'AMOUR.[336] (V. 3539.)

« O homme d'amour ! dit un jour 'Abbâçah à quelqu'un, celui en qui la passion du véritable amour brille tant soit peu seulement peut, s'il est homme, 'devenir femme, et, s'il est femme, devenir homme. Tu as vu une femme sortir d'Adam ; et n'as-tu pas entendu parier d'un homme (J. C.) qui est né de Marie (sans la coopération d'un homme) ? Tant que ce qu'il faut faire n'aura pas lieu entièrement, tu ne réussiras jamais tout à fait. Lorsque le royaume (de Dieu) viendra, tu obtiendras alors le résultat que tu désires ; tout ce que tu as dans le cœur se réalisera. Sache que ce royaume est le véritable, et que cet empire est celui qui est réel. Ne considère ce monde-ci que comme un atome du monde spirituel.[337] Si tu te contentes du royaume de ce monde, tu perdras celui de l'éternité. La vraie royauté réside dans la connaissance spirituelle ; fais tes efforts pour la posséder. Celui qui s'est enivré de la contemplation des choses spirituelles est roi sur toutes les créatures du monde. Pour lui le royaume (mulk) de la terre n'est qu'une possession (milk) vulgaire, et le ciel (falak) aux neuf coupoles n'est qu'un navire (fulk)[338] de l'Océan. Si les rois du monde pouvaient goûter une seule gorgée de l'eau de cet océan sans limites, ils resteraient tous dans le deuil de l'affliction sans oser se regarder l'un l'autre. »

MAHMUD ET LE FOU RELIGIEUX. (V. 3551.)

Mahmud se trouvait par hasard un jour dans un endroit désert, lorsqu'il vit un fou qui avait perdu son cœur. Il avait la tête baissée à cause de la tristesse qu'il éprouvait, et le dos courbé sous le poids de cette montagne (de chagrin). Lorsqu'il vit le roi, il lui dit : « Eloigne-toi, sans cela je te donne cent (coups) ; éloigne-toi, te dis-je ; tu n'es pas un roi, mais un homme aux vils sentiments ; tu es infidèle à la grâce de ton Dieu. » — « Ne m'appelle pas infidèle, lui répondit Mahmud ; tiens avec moi un discours (convenable) et pas d'autre. » — « Si tu savais, ô ignorant ! répondit le faquir, d'où tu es tombé sens dessus dessous (par l'effet de ton éloignement de Dieu), la cendre et la terre ne te suffiraient pas ; mais tu jetterais sans cesse et abondamment du feu sur ta tête. »

CHAPITRE XLI.

LA QUATRIÈME VALLEE, OU VALLEE DE L'INDEPENDANCE (ISTIGNÂ). (V. 3558.)

« Vient ensuite (continua la huppe) la vallée où il n'y a ni prétention à avoir ni sens spirituel à découvrir. De cette disposition de l'âme à l'indépendance il s'élève un vent froid dont la violence ravage en un instant un espace immense. Les sept océans ne sont plus alors qu'un simple mare d'eau ; les sept planètes, qu'une étincelle ; les sept cieux, qu'un cadavre ; les sept enfers, de la glace brisée. Alors, sans qu'on puisse en deviner la raison, la fourmi, chose étonnante ! a la force de cent éléphants ; alors cent caravanes périssent dans l'espace, de temps que met la corneille à remplir son jabot. Pour qu'Adam fût éclairé de la lumière céleste, des milliers d'anges au vert vêtement[339] furent consumés par la douleur. Pour que S. S. Noé fût charpentier (de Dieu pour l'arche), des milliers de créatures furent privées de la vie. Des milliers de moucherons tombèrent sur l'armée d'Abrahah pour que ce roi pût être terrassé ; des milliers d'enfants eurent la tête tranchée pour que Moïse vît Dieu ; des milliers de personnes prirent la ceinture des chrétiens pour que le Christ fût le mahram des secrets de Dieu.[340] Des milliers d'âmes et de cœurs furent au pillage pour que Mahomet montât une nuit au ciel. Ici ni ce qui est nouveau ni ce qui est ancien n'a de la valeur ; tu peux agir ou ne pas agir. »

Si tu voyais un monde entier brûlé jusqu'au cœur par le feu,[341] tu n'aurais encore qu'un songe au prix de la réalité. Des milliers d'âmes qui tombent sans cesse auprès de cet océan sans limite ne sont là qu'une légère et imperceptible rosée. Ainsi des millions d'individus se livreraient au sommeil sans provoquer par là le soleil à les couvrir de son ombre. En vain la terre et le ciel se diviseraient en menues parcelles, que tu ne pourrais pas même saisir la feuille d'un arbre ; et cependant si tout tombait dans le néant,[342] depuis le poisson jusqu'à la lune, on trouverait encore au fond d'un puits la patte d'une fourmi boiteuse. Quand même les deux mondes seraient tout à coup anéantis, il ne faudrait pas nier l'existence d'un seul grain de sable de la terre. S'il ne restait aucune trace ni d'hommes ni de génies, fais attention au secret de la goutte de pluie (dont tout a été formé). Si tous les corps disparaissaient de la terre, si même un seul poil des êtres vivants n'existait plus, quelle crainte y aurait-il à avoir ? Bref, si la partie et le tout étaient complètement anéantis, ne resterait-il pas un fétu sur la face de la terre ? Quand même en une seule fois les neuf coupoles de l'univers seraient détruites, ne resterait-il pas une goutte des sept océans ?

LE JEUNE HOMME TOMBÉ DANS UN PUITS. (V. 3581.)

Dans mon village il y avait un jeune homme beau comme la lune et pareil à Joseph. Il se laissa choir dans un puits[343] et beaucoup de terre tomba sur lui : A la fin quelqu'un l'en retira ; mais son état et sa situation étaient changés, et en deux instants ses affaires avaient été bouleversées. Ce jeune homme, d'excellente conduite, se nommait Muhammad, et il était apprécié par tout le monde. Lorsque son père le vit dans cet état, il lui dit : « Ô mon fils ! toi qui es la lampe des yeux et l'âme de ton père, ô Muhammad ! sois affectueux envers ton père et dis-moi un mot. » En effet son fils dit enfin un mot. « Parle, ô Muhammad (lui dit encore son père) ! parle, dis-moi encore quelque chose. » L'enfant parla, puis rendit l'âme, et voilà tout.

O toi qui es novice dans la voie du spiritualisme et qui observes ! regarde Mahomet et Adam ; parle d'Adam et des atomes, du tout et des parties du tout ; parle de la terre et de la montagne, du ciel et de l'Océan ; parle des fées, des dives, des hommes et des anges. Parle actuellement des milliers de corps formés de terre ; parle des cent mille âmes pures. Parle de l'instant pénible de la reddition de l'âme ; dis que tout individu, que l'âme, que le corps ne sont rien. Si tu réduis en poussière et que tu cribles les deux mondes et cent fois autant, qu'est-ce que ce gérait ? Ce serait pour toi comme un palais sens dessus dessous, et tu ne trouverais rien à la surface du crible.

ANECDOTE SUR LE SCHAÏKH YÛÇUF HAMDÂNI. (V. 3595.)

Yuçûf de Hamadân, qui désirait entrer dans le chemin du spiritualisme et qui avait le cœur pur et intelligent, disait : « Si tu restais pendant des années en haut du ciel, puis que tu descendisses sur le tapis de la terre, tu t'assurerais que tout ce qui a été est et sera, soit bon, soit mauvais ; que tout, dis-je, n'est qu'un atome. Tout cela n'est qu'une goutte de l'Océan ; qu'importe que les races se perpétuent ou ne se perpétuent pas. »

Cette vallée n'est pas aussi facile à franchir que tu peux le croire dans ta simplicité. Quand même le sang de ton cœur remplirait cet océan, tu ne pourrais franchir que la première station. Quand même tu parcourrais toutes les routes possibles du monde, tu te trouverais toujours, si tu y faisais bien attention, au premier pas. En effet aucun voyageur (spirituel) n'a vu le terme de son voyage et n'a trouvé le remède à son amour. Si tu t'arrêtes, tu es pétrifié, ou bien tu meurs et tu deviens un cadavre. Si tu continues à marcher et que tu avances toujours dans ta course, tu entendras jusqu'à l'éternité ce cri : « Avance encore. Il ne t'est permis ni d'aller en avant ni de t'arrêter ; il ne t'est avantageux ni de vivre ni de mourir.[344] Quel profit as-tu tiré des choses difficiles qui te sont survenues ? quel avantage as-tu trouvé dans les choses pénibles que tu as dû supporter ? Peu importe que tu te frappes la tête ou que tu ne la frappes pas, ô toi qui m'entends ! Reste silencieux, laisse tout cela et agis activement.

Abandonne les choses inutiles et poursuis les choses essentielles. Occupe-toi le moins possible de tes affaires temporelles, mais beaucoup des spirituelles. Alors l'action sera le remède de l'action, et elle demeurera avec toi jusqu'à la fin. Mais, si agir n'offre pas de remède à quelqu'un, il vaut mieux rester dans l'inaction. Laisse ce que tu as fait d'abord ; il faut savoir agir ou rester dans l'inaction, selon l'occasion. Comment pourras-tu connaître cette chose qu'on ne peut connaître ? Mais il peut se faire que, sans pouvoir la connaître tu agisses comme il faut à ce sujet. Aie en vue d'être indépendant et de te suffire à toi-même ; et tantôt réjouis-toi, tantôt lamente-toi. Dans cette quatrième vallée, l'éclair de la vertu, qui consiste à se suffire à soi-même, brille tellement que sa chaleur consume des centaines de mondes. Puisque des centaines de mondes sont là réduits en poudre, serait-il extraordinaire que le monde que nous habitons disparût aussi ?

L'ASTROLOGUE, ANECDOTE ALLÉGORIQUE. (V. 3616.)

N'as-tu jamais vu un sage plein d'intelligence mettre devant lui une tablette recouverte de sable ? Il y trace des figures et des dessins ; il y place les étoiles et les planètes, le ciel et la terre. Tantôt il tire un présage du ciel, tantôt de la terre ; il trace aussi sur cette tablette les constellations et les signes du zodiaque, le lever et le coucher des astres, et il en déduit de bons ou de mauvais augures ; il en tire la maison de la naissance et de la mort. Lorsque, d'après ces signes, il a fait l'horoscope du bonheur ou du malheur, il prend cette tablette par un coin et il en répand le sable, en sorte qu'on dirait que toutes les figures qui y étaient n'ont jamais existé. La surface accidentée de ce monde est pareille à la surface de cette tablette. Si tu ne possèdes pas l'énergie nécessaire pour résister aux tentations du monde,[345] ne rôde pas autour, et reste plutôt assis dans un coin. Hommes et femmes, tous ont vécu dans le monde sans avoir cependant aucune idée ni du monde visible ni du monde invisible. Si tu n'as pas la vigueur nécessaire pour aborder ce chemin,

L'ILLUMINÉ, ANECDOTE. (V. 3627.)

Un individu dit un jour à un spiritualiste instruit des mystères : « Le voile a été tiré pour moi loin du monde des secrets. » Une voix mystérieuse lui dit aussitôt : « O schaïkh ! demande tout ce que tu désires, et tu le recevras sans retard. » Le vieillard dit : « J'ai vu que les prophètes ont toujours été affligés par des épreuves. Tout ce qui a eu lieu en fait de douleur ou de malheur, tout cela a été éprouvé par les prophètes. Puisque le malheur a été le partage des prophètes, comment le repos arriverait-il à moi, malheureux pîr ?

« Je ne désire ni l'honneur ni l'avilissement. Plaise à Dieu que tu me laisses dans ma modeste situation ! Puisque le sort des grands personnages c'est la douleur et la peine, comment le bonheur serait-il départi aux petits ? Les prophètes ont été dans l'agitation ; mais moi je n'ai pas la force de la supporter. Retire donc ta main de moi. »

Mais de quelle utilité est tout ce que je dis, quoique ce soit du fond de l'âme, et à quoi te serviront mes paroles tant que tu n'auras pas à en faire l'application ? Si tu es tombé dans l'océan du danger, tu y es tombé comme la perdrix, avec des ailes et des plumes qui peuvent te soutenir sur l'eau.[346] Puisque tu sais qu'il y a des crocodiles et que l'Océan est profond, peux-tu vouloir marcher dans ce chemin ? Reste toujours inquiet par la pensée de savoir comment parvenir au rivage si tu tombes dans cet océan.

LA MOUCHE TOMBEE DANS DU MIEL, ANECDOTE. (V. 3639.)

Une mouche était à la recherche de sa nourriture lorsqu'elle vit dans un coin une ruche de miel. Elle éprouva un tel désir de manger de ce miel, qu'elle fut agitée au point qu'on l'aurait prise pour un azâd.[347]

« Si le miel, disait-elle, désire une obole de moi malheureuse, pour me placer dans l'intérieur de sa ruche, et qu'ainsi il élève le rameau de mon union, la racine en sera bien plantée dans le miel.' » Quelqu'un eut pitié de cette mouche et l'introduisit dans la ruche en prenant d'elle une obole ; mais, quand la mouche fut entrée dans la ruche, ses pattes de devant et de derrière s'enfoncèrent dans le miel. Si elle tremblait, son adhésion était plus faible, et plus forte si elle sautait. Elle fut troublée à ce sujet et elle dit : « J'éprouve de la tyrannie ; ce miel est devenu pour moi plus violent que le poison. J'ai donné une obole, mais je donnerais volontiers à présent deux oboles pour me délivrer du tourment que j'endure. «

« Dans cette vallée, continua la huppe, personne ne doit rester dans l'inaction, et l'on ne doit y entrer qu'après être arrivé à l'état d'adulte spirituel. Il est temps d'agir au lieu de vivre dans l'incertitude et de passer son temps dans l'insouciance : lève-toi donc et franchis cette vallée difficile après avoir renoncé à ton esprit et à ton cœur ; car si tu ne renonces pas à l'un et à l'autre, tu es polythéiste elle plus insouciant des polythéistes. Sacrifie donc ton âme et ton cœur dans cette voie, sans cela tu dois renoncer à savoir te suffire (istignâ). »

LE DERVICHE AMOUREUX DE LA FILLE D’UN GARDEUR DE CHIENS. (V. 3653.)

Un schaïkh célèbre, couvert du froc de la pauvreté volontaire, fut tellement abruti par l'amour qu'il conçut envers la fille d'un gardeur de chiens, que des flots de sang, comme ceux de la mer, sortaient de son cœur. Dans l'espoir de voir le visage de sa bien-aimée, il dormait pendant la nuit dans sa rue en compagnie des chiens. La mère de la jeune fille fut instruite de ce qui se passait et elle dit au schaïkh : « Puisque ton cœur s'est égaré et que tu as conçu ce désir, sache que notre métier est d'être gardiens de chiens et voilà tout. Si tu prends nos manières et que tu consentes à être gardien de chiens, tu pourras te marier dans un an et tu deviendras notre hôte. » Comme ce schaïkh n'était pas faible dans son amour, il jeta son froc et se mit promptement à l'ouvrage. Il allait (journellement) au bazar avec un chien, et il continua à agir ainsi pendant près d'une année. Un autre soufi, qui était son ami, lui dit lorsqu'il le vit dans cet état : « O homme de rien ! tu as été occupé pendant l'espace de trente ans d'intérêts spirituels, comment donc as-tu pu te décider à faire ce que n'a jamais fait aucun de tes pareils ? » — « O toi, répondit-il, qui ne considères pas les choses à leur vrai point de vue ! cesse ta longue remontrance. Si tu veux écarter le voile de cette affaire, sache que Dieu seul connaît ce secret et seul peut te le dévoiler. Comme il voit ton attaque insistante, il mettra ce chien de ma main dans la tienne. Que dirai-je ? car mon cœur, par son amour du chemin spirituel, a été ensanglanté et n'a pu y entrer un seul instant. Il vaut mieux que je sois absurde à force de parler, que toi de n'avoir pas cherché à pénétrer les secrets de la voie spirituelle. Lorsque tu les connaîtras, tu seras alors instruit de mon état. Je vais désormais beaucoup parler de la voie spirituelle ; mais tous sont dans le sommeil, et quelqu'un marche-t-il dans cette voie ? »

REPONSE D'UN SCHAÏKH À SON DISCIPLE. (V. 3670.)

Un disciple pria son maître de lui dire un bon mot. « Laisse-moi, lui dit le schaïkh, je ne te dirai un bon mot que si tu te laves à l'instant le visage. L'odeur du musc se fait-elle sentir au milieu de la pourriture ? Pourquoi donc dire des bons mots devant des gens ivres ? »

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[290] A la lettre : d'eau de son affaire avait entièrement emporté l'affaire de l'eau. »

[291] Dans le sens de charité (caritas), comme dans le passage de saint Paul, I Corinth. XIII, 4.

[292] Le premier hémistiche du vers 3021 n'est pas très clair dans le texte persan, d'autant plus que les manuscrits offrent plusieurs variantes. Toutefois la traduction hindoustanie paraît en déterminer le sens ; elle porte en effet :  « Tu as mangé bien des fois gratuitement des morceaux défendus. »

[293] Le schaïkh Abû Ali Rubdâr, ou plutôt Rubdâri, un des soufis dont Jâmi a donné la vie dans son Nafahât ul-uns. Il était natif du château de Rubdâr dans l'Irak Ajami ; célèbre dans l'histoire des Ismaéliens. Les musulmans le considèrent comme un grand saint, et il est souvent cité dans leurs ouvrages ascétiques.

[294] Le ciel.

[295] L'enfer.

[296] Sur ce personnage, voyez une note des Aventures de Kamrûp, p. 142.

[297] Allusion à une légende sur Ayâz, mentionnée dans une note de ma traduction des Aventures de Kamrûp, loc. cit.

[298] Sur Somnât, voyez la savante notice de feu l'éminent indianiste H. H. Wilson, dans l’Asiatic Journal, mai 1843, et mon article sur Saadi, considéré comme auteur de poésies hindoustanies, dans le Journal asiatique de Paris, 1843.

[299] Le père d'Abraham.

[300] Voyez, au sujet de ce mot, une note antérieure. Le premier hémistiche du vers 3111 est, du reste, rédigé ainsi qu'il suit dans un de mes meilleurs manuscrits : , « Toi qui, à l'origine, as répondu affirmativement à alast, etc. »

[301] Bû Ali Nacîr uddin Tuci est un soufi célèbre, le même, je pense, dont Jâmî a donné la vie sous le nom de l'Amoureux de Tous. (Voyez Notices des manuscrits, t. XII, p. 413.)

[302] A la lettre demain.

[303] Ce nom d'action arabe signifie proprement « se suffire à soi-même. »

[304] Ou « ébahissement, » selon S. de Sacy.

[305] Métaphore intraduisible. « Le perroquet du ciel » signifie « le ciel semblable à un perroquet, » c'est-à-dire, vert comme le perroquet. On sait que pour les Persans le ciel est vert et non bleu.

[306] En français, Amrû d'Osman peut aussi bien signifier Amrû, père ou fils d'Osman, et c'est précisément pour cela que j'ai adopté cette expression

[307] J’aime mieux lire simplement cheminait ou marchait. L'anecdote manque dans la traduction hindoustanie.

[308] Au premier hémistiche du vers 3291, cela signifie, à la lettre : « l'odeur de sa porte. » Le mot odeur, est pris ici dans le sens de nouvelle, par lequel il est, en effet, rendu dans la traduction turque.

[309] Mot à mot : « dis, agis avec l'idole (comme il doit être agi). »

[310] Ici deux de mes manuscrits ajoutent ce vers, qui est reproduit dans les traductions hindoustanie et turque : « Étends la main, ô mon enfant, tourne le vissage vers cette porte et poursuis ton but. »

[311] C'est-à-dire, « la vie future. »

[312] A la lettre : « feuille par feuille. »

[313] A la lettre : « pour trouver l'odeur de « Laïla. »

[314] Majnûn était habituellement tout nu, selon la légende. (Voir la traduction de Majnûn et Laïla de Jâmi. par de Chézy.)

[315] Graine qu'on confond avec la graine de moutarde, et qu'on brûle aux mariages, à la naissance des enfants, etc. etc. pour chasser les mauvais esprits.

[316] A la lettre : « action d'avoir la tête qui tourne. »

[317] Allusion à la forme de la boule.

[318] Au lieu de ce qu'on lit au premier hémistiche du vers 3400, et qui signifie privé de tout, à la lettre : « volé du dernier muhra ou kaurî (coquillage qui sert de monnaie), » un de mes manuscrits porte « les mains (bras) pures. »

[319] Au premier hémistiche du vers 3410, cela signifie proprement la lie du vin ; mais il paraît avoir ici une signification plus étendue, et, en effet, les traductions hindoustanie et turque rendent ce mot par celui qui signifie simplement du vin. J'ai pris un moyen terme, en le traduisant par du vin trouble.

[320] C'est-à-dire, « il s'arrêta là. »

[321] C'est-à-dire, « il renonça à lui-même. »

[322] A la lettre : « dépose ton âme. »

[323] Au premier hémistiche du vers 3432, on trouve proprement le pluriel de âme, etc. employé abusivement pour le singulier dans le sens de maîtresse. Il y a bon nombre de pluriels employés emphatiquement en persan pour le singulier.

[324] Il ne voulait pas apparemment qu'une mort de langueur défigurât sa belle maîtresse.

[325] Allusion à la légende apocryphe de la fournaise ardente dans laquelle fut jeté Abraham, par ordre de Nemrod, et qui se changea miraculeusement en un jardin de fleurs.

[326] Le lecteur reconnaîtra ici un exemple de la figure de rhétorique arabe appelée laff o naschar. En effet, dans la première partie de la phrase, nous avons les deux substantif » perfection et affaiblissement, auxquels se rapportent respectivement les substantifs progrès et décadence de la seconde partie de la phrase. (Voyez, au sujet de cette figure, mon Mémoire sur la rhétorique des nations musulmanes.)

[327] Le mihrab est la niche placée au chevet des mosquées, et l'auteur entend figurément par ce mot la foi ; de même que, par l’idole, il entend l'infidélité. L'auteur veut dire que, parmi ceux qui s'occupent des choses spirituelles, les uns se contentent de l'idolâtrie, tandis qu'il faut aux autres la religion de l’islam.

[328] Autre allusion à la légende de la fournaise d'Abraham.

[329] C'est-à-dire, « Dieu à travers les voiles sensibles. »

[330] A la lettre : « il verra sa boule. »

[331] Sur. l, vers. 29.

[332] La traduction hindoustanie porte: « en Chine, un homme fut changé en pierre, » sens qui est confirmé par le titre et la traduction de l'anecdote dans la version turque.

[333] Allusion à un hadîs souvent cité.

[334] C'est-à-dire, « il s'occupe de choses futiles, » ou plutôt, « il boit du vin, » car cette expression figurée signifie ces deux choses.

[335] Au premier hémistiche du vers 3535, l'expression que j'ai admise dans mon texte d'après mes meilleurs manuscrits, signifie tous, à la lettre : « jusqu'aux derniers, » ou plutôt, « jusqu'aux premiers, » c'est-à-dire, « à ceux de l'extrémité. »

[336] Cette anecdote manque dans la traduction hindoustanie.

[337] Le second hémistiche du vers 3544 est rédigé d'une manière assez obscure ; mais il est expliqué par la traduction turque, bien que. fort peu littérale : « Tout le monde n'est qu'un atome, et ceci est le soleil. »

[338] De ce mot nous avons fait felouque. Il est inutile de signaler plus particulièrement que je ne l'ai fait le double jeu de mots du vers 3548.

[339] Le sens du vers 3563 est précisé par la traduction hindoustanie, qui porte : .

Il s'agit donc ici de la légende chrétienne et juive, aussi bien que musulmane, que les hommes furent créés pour prendre au ciel la place des anges déchus. La traduction turque complète la métaphore, car on y lit : .

« Les mille lampes des esprits célestes ont disparu pour que celle d'Adam le pur (en Dieu) pût s'allumer. »

[340] Au premier hémistiche du vers 3568, un de mes manuscrits porte dans le feu, c'est-à-dire, en enfer. C'est sans doute un copiste zélé qui damne ainsi tous les chrétiens qui, selon les musulmans, n'ont pas suivi les préceptes du Christ, lequel enseigna la véritable religion, c'est-à-dire, l'islamisme.

[341] A la lettre : « ayant le cœur comme de la viande rôtie. »

[342] C'est-à-dire, « la non existence de l'existence actuelle. »

[343] La mention de Joseph et du puits fait allusion à l'histoire de ce patriarche et à la citerne où ses frères l'avaient mis.

[344] Au premier hémistiche du vers 3605, le verbe est évidemment employé ici dans le sens d'aller, marcher en avant. Le verbe hindoustani a de même le double sens de devenir et d'aller, et, il sert à conjuguer les verbes passifs. Dans le second hémistiche, il signifie proprement naître, et me paraît avoir le sens de vivre.

[345] Au premier hémistiche du vers 3624, au lieu de ce qui signifie étuve, et qui peut être pris figurément pour le monde, je lis, avec plusieurs manuscrits, le sens de grand espace, expression qui peut ainsi s'appliquer au monde.

[346] Dans la traduction du vers 3636, les mots que j'ai ajoutés après ailes en forme d'explication m'ont été suggérés par la traduction ou plutôt par l'imitation hindoustanie.

[347] Adjectif persan qui signifie indépendant, et qu'on donne par suite à un ordre particulier de faquirs.