Le temps des généraux : Pompée

Conjuration de Catilina

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Conjuration de Catilina
Son portrait

SALLUSTE : C. Sallustius Crispus se lança dans la politique dès sa jeunesse. Sa carrière fut brisée par l’assassinat de César. Suspecté d’avoir pactisé avec le parti populaire, il se retira dans ses célèbres jardins. Il écrivit de coniuratione Catilinae, Bellum Iugurthinum et Historiae (cette dernière oeuvre est perdue).

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Description célèbre de Salluste
1 Lucius Catilina, nobili genere natus, fuit magna vi et animi et corporis, sed ingenio malo pravoque. 2 Huic ab adulescentia, bella intestina, caedes, rapinae, discordia civilis grata fuerunt, ibique iuventutem suam exercuit. 3 Corpus patiens inediae, algoris, vigiliae, supra quam credibile est. 4 Animus audax, subdolus, varius, cuius rei libet simulator ac dissimulator; alieni appetens, sui profusus; ardens in cupiditatibus; satis eloquentiae, sapientiae parum. 5 Vastus animus immoderata, incredibilia, nimis alta semper cupiebat. 6 Hunc post dominationem L. Sullae libido maxima invaserat rei publicae capiendae. 7 Agitabatur magis magisque in dies animus ferox inopia rei familiaris et conscientia scelerum, quae utraque is artibus auxerat quas supra memoravi. 8 Incitabant praeterea corrupti civitatis mores, quos pessima ac diversa inter se mala, luxuria atque avaritia, vexabant.

Conjuration de Catilina, 5

  vocabulaire

Lucius Catilina, né d'une famille noble, avait une grande force d'âme et de coprs mais son esprit était mauvais et dépravé.  Depuis son adolescence, les guerres civiles, les meurtres, les pillages, les désordres politiques lui furent agréables et c'est au milieu de tout cela qu'il passa sa jeunesse.  Un corps supportant la faim, le froid, le manque de sommeil à un point qu'on ne peut imaginer.  Un esprit audacieux, rusé, versatile, pouvant tout feindre et tout dissimuler, recherchant le bien d'autrui, prodigue du sien, ardent dans ses désirs, assez d'éloquence, peu de sagesse.  Son esprit ravagé désirait des choses démesurées et incroyables, au-delà des limites.  Après la dictature de Sylla il eut une envie très forte de s'emparer du pouvoir.  De jours en jours son esprit sauvage se tourmentait de plus en plus par manque de patrimoine et par sentiment intime de ses crimes : ces deux défauts augmentaient encore par les pratiques dont j'ai parlé plus haut.  De plus il était poussé par les moeurs ce cette ville corrompue que secouaient deux maux les pires et contraires : la débauche et la cupidité.
texte pris sur le site nimispauci

L'auteur explique que Salluste prétend que tout ce qui arrive vient de deux maux : l'ambitio et l'avaritia.

Au moment d'aborder son récit, et, après avoir dit quelques mots de Catilina, Salluste s'avise qu'il serait utile, pour mieux comprendre le personnage, de le placer dans son milieu, et s'interrompant assez brusquement, il nous présente un tableau de la société de cette époque. Personne ne s'étonnera que ce tableau soit très noir : on a vu qu'après les mésaventures de sa vie politique, Salluste en voulait à peu près à tout le monde. La manière dont ce mécontentement s'exprime d'abord chez lui n'est pas non plus pour nous surprendre. Les Romains avaient une façon particulière de se plaindre du présent : elle consistait à célébrer le passé. L'éloge du bon vieux temps, auquel aucun d'eux ne s'est soustrait, était une des formes de leur mauvaise humeur. Cet éloge était très naturel sous la république, qui vivait des traditions antiques ; mais il semble que le gouvernement qui la renversa et la remplaça aurait dû être porté à juger le passé avec plus d'indépendance. Il n'en fut rien, et avant même que ce gouvernement nouveau se fût définitivement installé, il avait pris les façons de parler de l'ancien. Salluste, ce césarien de la veille, n'a pas de couleurs assez riantes pour dépeindre le bonheur dont jouissaient les Romains d'autrefois sous le régime qu'il a aidé le dictateur à détruire. "En ce temps-là, dit-il, les moeurs étaient honnêtes, la concorde régnait partout. On ne connaissait pas la cupidité. On pratiquait la justice et l'honneur, non pour obéir aux lois, mais pour suivre sa nature. Les querelles, les inimitiés, les haines, on les gardait pour l'étranger ; les citoyens ne rivalisaient entre eux que de vertu. Pour honorer les dieux, ils dépensaient sans compter ; chez eux, ils vivaient avec économie. Ils étaient fidèles dans leurs amibes. Deux qualités essentielles, le courage, lorsqu'il fallait se battre, l'équité, quand la paix était faite, assuraient leur salut particulier et celui de l'État (Salluste, Catilina, 9). A ce tableau d'un passé idéal s'oppose celui d'un fort triste présent. C'est un contraste parfait le siècle de fer après l'âge d'or. Cette république, qui était la plus belle du monde, en est devenue la plus misérable et la plus corrompue, ex pulcherruma pessuma ac flagitiosissuma facta est. Pour démontrer qu'elle était alors en pleine décadence, ce qui n'est guère contestable, Salluste s'appuie beaucoup plus sur des considérations morales que sur des raisonnements politiques : on sait que c'est la tendance des historiens anciens. Nous sommes tentés aujourd'hui de la leur reprocher, mais les gens du xviie siècle leur en faisaient au contraire beaucoup d'éloges, et ils préféraient Salluste à tous les autres précisément parce que c'est celui où l'on retrouve le plus ces études de moeurs, ces peintures de caractères, ces leçons sur la conduite de la vie, ces réflexions piquantes qu'on peut appliquer à soi-même ou à ses voisins. Saint-Évremond se sent plus de goût pour lui que pour Tacite "parce qu'il donne autant au naturel que l'autre à la politique, et que c'est le talent le plus éminent d'un historien de connaître parfaitement les hommes". C'est aussi l'opinion du président de Brosses qui troupe "que Tacite attribue les actions de ses personnages à des ressorts détournés ou à des vues imaginaires, tandis que Salluste, plus versé dans la connaissance du coeur humain, trouve dans le tempérament de chacun d'eux les principaux mobiles qui le font presque toujours agir". Nous ne sommes plus du même sentiment aujourd'hui ; nous trouvons que Salluste nous aurait mieux instruits de l'état de la république à ce moment s'il avait tenu à se montrer historien autant que moraliste, et que ces deux qualités peuvent se joindre sans se nuire.
Pour Salluste, la corruption romaine se résume en deux mots ambitio et avaritia, c'est-à-dire l'amour du pouvoir et l'amour de l'argent. "C'est de là, dit-il, que tout le mal est venu." En soi l'ambition ne lui paraît pas un vice ; elle lui semble même voisine d'une vertu. Puisqu'il n'était pas permis à un citoyen de se refuser aux fonctions publiques, il devait lui être honorable de les désirer. C'est seulement quand on veut le pouvoir à tout prix, qu'on le cherche par de mauvais moyens, en dehors des routes permises, que l'ambition est criminelle, et il est très vrai de dire qu'alors elle devient une cause de corruption et d'immoralité. "Elle enseigne à mentir, elle habitue à avoir sur la bouche le contraire de ce qu'on a dans le coeur, à prendre pour règle de ses amitiés et de ses haines, non la justice, mais l'intérêt, à ne pas se soucier d'être honnête dans l'âme pourvu qu'on le paraisse." (Salluste, Catilina, 10). Assurément le tableau est juste ; nous savons nous aussi à quoi peut se laisser entraîner l'homme qui veut arriver à tout prix et le trouble que jettent ses artifices et ses manèges dans les relations de la société. Mais il nous semble que les effets d'une ambition effrénée sont bien plus graves dans la vie publique que dans la vie privée, et nous sommes fort étonnés que Salluste n'en ait presque pas parlé. Il est vrai qu'afin de contenir et pour ainsi dire d'endiguer l'ambition des citoyens, les Romains avaient imaginé une institution qui leur fut très utile et qu'ils surent conserver presque jusqu'aux dernières années. Il était établi qu'on n'arrivait chez eux à la magistrature suprême qu'après avoir traversé une série de magistratures inférieures, séparées entre elles par un intervalle de deux ans. C'était un moyen de tenir l'ambition en haleine, de la discipliner sans la détruire. On profitait ainsi du ressort qu'elle donne aux âmes, et l'on était moins exposé aux dangers qu'elle peut offrir. A chaque fois un but plus élevé était proposé aux convoitises du candidat, et, par ces satisfactions successives, on l'empêchait d'être trop impatient. Il n'atteignait le but que vers quarante-cinq ans, à l'âge où les passions sont moins violentes, et quand un long exercice du pouvoir en avait calmé le désir. Il faut bien croire que le moyen était bon, puisque tant de jeunes gens se sont résignés à gravir ces échelons l'un après l'autre. Nous savons pourtant qu'un jour, la patience faillit manquer à l'un d'eux. Il est vrai que c'était César, et qu'un ambitieux comme lui pouvait craindre "d'être trop vieil, s'il attendait la cinquantaine pour s'amuser à conquérir le monde" (Pascal). Suétone rapporte que se trouvant à Gadès, en Espagne, dans le temple d'Hercule, devant une statue d'Alexandre, on l'entendit gémir de ce qu'il n'était qu'un simple questeur, à l'âge où le Macédonien avait déjà soumis un empire. (Suétone, César, 7 . Le fait est aussi raconté par Plutarque (César, 1), mais un peu différemment.) Il eut alors la pensée de quitter sa province et de s'en retourner à Rome pour y profiter des occasions. Cependant il n'en fit rien et, après quelques hésitations, il se remit dans le rang comme les autres. En somme, pendant plus de cinq siècles, à quelques exceptions près qui s'expliquent par des circonstances extraordinaires, la règle a été fidèlement suivie ; et c'est ainsi qu'il ne s'est jamais vu, dans ce pays de soldats, un général en chef de vingt-quatre ans, comme Hoche, ou un Bonaparte, maître absolu de son pays à trente ans. Marius, Cinna, Sylla eux-mêmes, avaient passé par tous les degrés, rempli toutes les fonctions légales, quand ils usurpèrent le pouvoir souverain. Il semblait vraiment que cette ambition ne pouvait être permise qu'à des gens qui avaient été consuls. Nous allons voir, dans l'histoire qui va suivre, cette sorte de préjugé opiniâtre se perpétuant jusqu'au milieu des révolutions les plus violentes, et respecté par des gens qui se moquent de tout le reste. Catilina s'obstinera trois fois de suite, au risque de perdre des occasions favorables, à vouloir être consul. Il ne croyait pas possible de faire autrement que l'on avait fait jusque-là. Il est vrai qu'après avoir reçu cette consécration du consulat, les ambitieux se crurent quelquefois autorisés à garder le pouvoir, à ne plus consulter le Sénat ni le peuple, à proscrire leurs ennemis sans jugement, à s'approprier leur fortune. Marius et Cinna, qui l'essayèrent, n'y réussirent que pour quelque temps, mais Sylla fut heureux jusqu'au bout. Salluste a bien raison de dire que c'est son exemple qui perdu la république. Dans un pays de tradition, comme était Rome, les précédents semblent tout légitimer ; après Sylla, les ambitieux étaient prêts à tout oser, et les citoyens à tout souffrir.  Voilà quelles furent les suites de l'ambition.

L'autre défaut que Salluste reproche aux Romains de son temps, l'amour de l'argent, lui paraît avec raison plus grave encore que l'amour du pouvoir ; mais il a tort de prétendre que ce fût chez eux un mal nouveau, et qu'il y ait eu jamais une époque où ils n'étaient avides que de gloire ; ils ont toujours été fort intéressés. Quelques renseignements, que les historiens nous ont conservés par hasard, nous apprennent que ces paysans, dont la vie était si pénible sur ce sol maigre et malsain, quand ils partaient en guerre, espéraient bien rapporter chez eux autre chose que des blessures et de la gloire (Salluste, Catilina, 7 : laudis avidi, pecuniae liberales erant). Pendant le siège de Véies, à l'âge d'or des vertus romaines, on nous dit qu'une garnison se laissa surprendre parce qu'elle était sortie de la ville et parcourait les environs "pour faire un peu de commerce"(Tite-Live, V, 8). Ce n'est pas ainsi qu'on se figure les soldats romains en campagne ; et il faut croire qu'ils ne perdirent jamais ces habitudes, puisque, à la guerre de Macédoine, ils avaient emporté de l'or dans leurs ceintures pour faire à l'occasion quelques trafics avantageux (Tite-Live, XXXIII, 29). L’aristocratie ne diffère pas en cela des paysans et des soldats. Elle a de grands mots à la bouche : "Les bas profits ne conviennent pas à des sénateurs ". - "Il ne faut pas que les mêmes gens aspirent à vaincre le monde et à l'exploiter." Mais ce sont des mots. En réalité, la préoccupation de la plupart de ces grands seigneurs est de faire rapporter à leur argent le plus qu'ils peuvent. Ils prêtent à gros intérêts à leurs voisins, de petits propriétaires, qui, ayant servi leur pays contre les Volsques et les Herniques, n'ont pu ensemencer leur champ à l'automne, et se trouvent sans ressources au printemps qui suit. La dette est lourde pour ces pauvres gens, et le créancier est sans pitié. Il fait saisir le débiteur, s'il ne peut payer ; quand le terme est venu, il l'enchaîne et l'enferme dans sa prison particulière, car, nous dit Tite-Live, il n'y a pas de grand domaine qui ne possède une prison pour les débiteurs en retard. (Tite-Live, VI, 36 : ubicumque patricius habitat, ibi carcerem privatum esse . . .) La loi l'y autorise ; elle a été faite pour les créanciers. Mais la plèbe a grand-peine à le souffrir ; c'est le motif qui la mit aux prises pour la première fois avec les patriciens et commença cette querelle qui devait durer plusieurs siècles. (Tite-Live, II, 23) Songeons qu'il y avait alors juste quatorze ans que la république avait été instituée ; à quelle époque faut-il donc remonter pour trouver ce temps fortuné que célèbre Salluste, où l'on dédaignait l’argent ? Dès le premier conflit, les patriciens s'étaient empressés de céder et de promettre "qu'aucun citoyen ne serait plus enchaîné ni emprisonné pour dettes". Cette promesse, ils l'ont renouvelée très souvent, mais ils ne l'ont jamais tenue, et il faut bien croire que cette vieille barbarie, grâce à la complaisance générale pour les usuriers, n'a jamais entièrement disparu, puisque Manlius, le lieutenant de Catilina, disait que ses compagnons et lui ne prenaient les armes que pour échapper à la cruauté de leurs créanciers, qui, après leur avoir pris leur fortune, voulaient encore leur ôter leur liberté. C'est ainsi que l'aristocratie finit par exproprier la petite propriété et que se formèrent ces grands domaines, qui, au dire de Pline, ont perdu l'Italie. Il dut y avoir à cette ruine d'autres causes économiques, par exemple la cherté de la main-d'oeuvre, qui fut la suite de l'émigration des paysans dans les villes, le bas prix du blé, amené par la concurrence des blés étrangers. Mais quelle que soit l'origine de cette détresse, c'est en somme par des dettes qu'elle se trahit, et il est impossible de lire Tite-Live sans entendre, dans toutes les émeutes, un cri de misère et de haine contre les créanciers qui se mêle aux revendications politiques. Les petites gens une fois ruinés par l'aristocratie, l'aristocratie se ruina elle-même. Salluste fait très bien remarquer que ce fut sa prospérité même qui causa sa perte. "Des gens qui avaient supporté facilement les misères et les périls, traversé sans faiblir les situations les plus embarrassées et les plus pénibles, plièrent sous le poids du repos et de la fortune. Ce qui fit leur malheur, c'est d'avoir obtenu ce qu'ordinairement on désire." (Salluste, Catilina, 4) Ils semblent avoir été presque déconcertés par leurs premières conquêtes hors de l'Italie ; ne sachant trop ce qu'ils pourraient faire de ces royaumes dont ils étaient devenus les maîtres, ils jugèrent d'abord plus simple de les laisser à leurs anciens souverains, après les avoir rançonnés impitoyablement. C'est ainsi qu'ils imposèrent une contribution de 170 millions au roi de Syrie Antiochus, et qu'ils tirèrent de tous ces princes vaincus plus de 700 millions de francs. C’était un fleuve d'or qui coulait tout d'un coup sur l'Italie ; toutes les conditions de la vie en furent changées, on se trouva riche sans transition et trop vite. Et remarquons qu'en même temps que l'argent affluait à Rome, l'Asie, qui le lui fournissait, lui donnait les moyens de le dépenser. "Prenez garde, disait Caton, au début des guerres d'Orient ; nous mettons le pied dans un pays où abondent toutes les excitations au plaisir." (Tite-Live, XXXIV, 4 : Jam in Graeciam Asiamque transcendimus, omnibus libidinum illecebris repletas). Les Romains n 'y résistèrent pas, et quand leurs armées revinrent de ces expéditions fructueuses, soldats et officiers n'étaient plus les mêmes. Tite-Live nous dit que ce changement se fit à la suite de la défaite des Galates par Manlius, que c'est alors que pénétrèrent à Rome les lits dorés, avec leurs couvertures de tapis magnifiques, les tables à un pied et les meubles sculptés en bois précieux ; que les danseuses et les joueuses de flûte furent introduites dans les festins ; qu'on prit l'habitude de soigner les repas, que le cuisinier gagna en importance "et de son métier, le dernier de tous auparavant, fit un art" (Tite-Live, XXXIX, 6). Salluste remonte un peu moins haut ; c'est Sylla qu'il rend responsable de l'effroyable corruption des moeurs de son temps, (Salluste, Catilina, 15) et je crois qu'il a raison. C'est bien en effet après que Sylla fut revenu de l'Asie, qu'il eut ramené son armée "de ces lieux enchanteurs, où elle s'était accoutumée à faire l'amour, à boire, à piller les particuliers et les temples pour y prendre les statues, les tableaux, les vases ciselés", que le mal est à son comble. Il a perdu surtout l'aristocratie. Chez elle, la fortune, venue brusquement, a enflammé le goût de la dépense, et la dépense a vite dévoré la fortune. Il y eut sans doute de grands seigneurs, comme Crassus, qui ne cessèrent d'accroître leurs richesses par des spéculations fructueuses. Quelques autres, comme Pompée, prenaient des parts, ou, comme on dirait de nos jours, des actions, dans les banques des fermiers de l'impôt et s'associaient à leurs bénéfices ; d'autres, encore plus avisés, comme Brutus, l'austère Brutus, se cachant sous des intermédiaires complaisants, prêtaient leur argent à 48 p.100 aux rois et aux villes endettées de l'Asie ; mais c'étaient des exceptions, le plus grand nombre avait tout perdu. "A Rome, disait le tribun Philippus, il n'y a pas deux mille citoyens qui aient un patrimoine. (Cicéron, De offic., II, 21. Cicéron dit un peu plus loin (24) Nunquam majus aes aelienum fuït). Cicéron, qui rapporte ce mot, trouve qu'il était imprudent de le dire, mais il n'en conteste pas l'exactitude. Évidemment Philippus n'entendait parler que des fortunes tout à fait nettes et liquides ; il y en avait fort peu qui de quelque manière n'eussent pas été entamées. Dans ce nombre de grands seigneurs obérés, beaucoup sans doute n'étaient que compromis par leurs dépenses ou leur mauvaise gestion. Il leur restait assez de biens pour faire honneur à legs affaires, mais à la condition de ne pas achever de s'épuiser en luttant follement contre une usure tous les jours plus lourde avec des revenus sans cesse diminués. Cicéron leur conseillait de ne pas se laisser acculer à la ruine. "Eh quoi ! leur disait-il, vous avez des champs étendus, des palais, de l'argenterie, de nombreux esclaves, des objets précieux, des richesses de toutes sortes, et vous craignez d'ôter quelque chose à vos possessions pour l'ajouter à votre crédit !" (Cicéron Catilinaires, 11, 8). Mais il avait beau dire ; ils ne consentaient à rien vendre de leurs domaines pour payer leurs dettes. C'est qu'ils comptaient bien se libérer à meilleur marché. Les révolutions leur semblaient un moyen commode de se débarrasser de leurs créanciers, et ils en avaient tant vu qu'ils pouvaient toujours espérer qu'il y en aurait quelque autre dont ils profiteraient. Ils étaient donc aux aguets, évitant de se compromettre trop tôt, mais prêts à se déclarer dès qu'on pourrait le faire sans danger. Quant à ceux qui ne possédaient plus rien, ni fortune, ni crédit, qui n'avaient plus d'espoir que dans l'imprévu, on comprend qu'ils attendaient les événements avec encore plus d'impatience. C'étaient déjà des conspirateurs ou qui se préparaient à l’être, et pourtant ces gens appartenaient presque tous à des familles illustres et portaient des noms glorieux ; mais réduits à la misère, forcés de vivre d'expédients, plutôt que de renoncer à leur luxe et à leurs plaisirs, ils étaient prêts à toutes les hontes et à tous les crimes. Je ne crois pas qu'on ait jamais vu nulle part une si grande aristocratie qui soit tombée si bas.  

LA CONJURATION DE CATILINA PAR GASTON BOISSIER de l'Académie française, PARIS, LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie, 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 1905.

ab, prép. : ab, prép. : (+abl) à partir de, après un verbe passif = par
ac, atque,
conj. : et, et aussi
adulescentia, ae,
f. : l'adolescence
agito, as, are
: mettre en mouvement, s'occuper de, agiter, tourmenter
algor, oris,
m. : la douleur
alienus, a, um
: d'autrui
altus, a, um :
haut, profond, grand
animus, i,
m. : le coeur, la sympathie, le courage, l'esprit
appetens, entis
: +Gén. avide de, qui recherche
ardeo, es, ere, arsi, arsurus
: brûler
ars, artis,
f. : l'art
atque,
inv. : et, et aussi
audax, acis
: audacieux
augeo, es, ere, auxi, auctum
: augmenter, accroître
avaritia, ae,
f. : la cupidité, l'avarice
bellum, i,
n. : la guerre
caedes, is,
f. : le meurtre, le massacre
capio, is, ere, cepi, captum
: prendre
Catilina, ae,
m. : Catilina
civilis, e
: civil
civitas, atis,
f. : la cité, l'état
conscientia, ae
, f. : la pleine connaissance, le sentiment intime
corpus, oris,
n. : le corps
corrumpo, is, ere, rupi, ruptum
: corrompre
credibilis, e
: croyable
cupiditas, atis,
f. : désir
cupio, is, ere, ii ou ivi, itum
: désirer
dies, ei,
m. et f. : le jour
discordia, ae,
f. : la discorde
dissimulator, oris,
m : celui qui dissimule, qui cache
diversus, a, um
: divers
dominatio, onis,
f. : la domination
eloquentia, ae,
f. : l'éloquence
et,
conj. : et, aussi
exerceo, es, ere, cui, citum
: s'exercer
familiaris, e :
familial, ami de la famille, intime
ferox, ocis
: sauvage, féroce
genus, eris,
n. : la race, l'origine, l'espèce
gratus, a, um
: agréable, reconnaissant
hic, haec, hoc
: ce, cette, celui-ci, celle-ci
ibi,
inv. : là
immoderatus, a, um
: sans mesure
in
, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre
incito, as, are
: inciter
incredibilis, e
: incroyable
inedia, ae,
f. : le jeûne
ingenium, ii,
n. : l'esprit, l'intelligence
inopia, ae,
f. : la pauvreté, le manque
inter,
prép : (acc) parmi, entre
intestinus, a, um
: intérieur
invado, is, ere, vasi, vasum
: envahir, saisir
iuventus, tutis,
f. : la jeunesse
L
, abrév. : Lucius
libet,
v. inv. : il plaît
libido, dinis,
f. : le désir, l'envie, la débauche
Lucius, i,
m. : Lucius
luxuria, ae,
f. : l'abondance, la profusion, l'intempérance, l'arbitraire
magis
, adv. : plus
magnus, a, um
: grand
malum,
i, n. : le mal
malus, a, um
: mauvais
maximus, a, um
: superlatif de magnus, a, um : grand
memoro, as, are
: rappeler au souvenir, raconter, rapporter
mos, moris,
m. : sing. : la coutume ; pl. : les moeurs
nascor, eris, i, natus sum
: naître
nimis,
inv. : trop
nobilis, e
: connu, noble
parum,
adv. : peu
patiens, entis
: + gén., accoutumé à endurer, endurci à
pessimus, a, um
: très mauvais, le pire
possum, potes, posse, potui
: pouvoir
post,
prép+acc. : après
praeterea,
inv. : en outre
pravus, a, um
: de travers, difforme, mauvais
profusus, a, um :
prodigue
publicus, a, um :
public
quae
, 4 possibilités : 1. N.F.S. N.F.PL. N.N.PL., ACC. N. PL. du relatif = qui, que (ce que, ce qui) 2. idem de l'interrogatif : quel? qui? que? 3. faux relatif = et ea 4. après si, nisi, ne, num = aliquae
quam,
1. accusatif féminin du pronom relatif = que 2. accusatif féminin sing de l'interrogatif = quel? qui? 3. après si, nisi, ne, um = aliquam 4. faux relatif = et eam 5. introduit le second terme de la comparaison = que 6. adv. = combien
rapina, ae,
f. : le vol, la rapine
res, rei,
f. : la chose
sapientia, ae,
f. : la sagesse
satis,
inv. : assez, suffisamment
scelus, eris,
n. : le crime
se,
pron. réfl. : se, soi
sed,
conj. : mais
semper,
inv. : toujours
simulator, oris,
m. : celui qui feint, qui simule
subdolus, a, um
: rusé
Sulla, ae,
m. : Sylla
sum, es, esse, fui
: être
supra,
adv : au dessus ; prép. + acc. : au dessus de, au delà de
suus, a, um
: adj. : son; pronom : le sien, le leur
uterque, utraque, utrumque
: chacun des deux
varius,
a, um : varié, divers
vastus, a, um
: vide, désert, désolé, vaste
vexo, as, are :
secouer violemment ; persécuter, piller
vigilia, ae,
f. : la veille, le fait de ne pas dormir
vis, -,
f. : la force
texte
texte
texte
texte