Le temps des généraux : Pompée |
Conjuration de Catilina |
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CICERON : M. Tullius Cicero fut avocat, homme politique, écrivain. Durant les dernières années de sa vie, aigri par son divorce et par sa mise à l'écart de la vie politique, Cicéron va se consacrer à la rédaction d'ouvrages théoriques sur l'art oratoire et sur la philosophie. Au fil de ses lectures, Cicéron choisit son bien où il le trouve ; il est en philosophie, un représentant de l'éclectisme. |
Description par Cicéron. |
12
Habuit ille permulta maximarum non expressa signa sed adumbrata virtutum.
Utebatur hominibus improbis multis; et quidem optimis se viris deditum
esse simulabat. Erant apud illum illecebrae libidinum multae; erant etiam
industriae quidam stimuli ac laboris. Flagrabant vitia libidinis apud
illum; vigebant etiam studia rei militaris. Neque ego umquam fuisse tale
monstrum in terris ullum puto, tam ex contrariis diversisque et inter se
pugnantibus studiis cupiditatibusque conflatum. 13 (...) Illa vero,
iudices, in illo homine admirabilia fuerunt, comprehendere multos
amicitia, tueri obsequio, cum omnibus communicare quod habebat, servire
temporibus suorum omnium pecunia, gratia, labore corporis, scelere etiam,
si opus esset, et audacia, versare suam naturam et regere ad tempus atque
huc atque illuc torquere ac flectere, cum tristibus severe, cum remissis
iucunde, cum senibus graviter, cum iuventute comiter, cum facinerosis
audaciter, cum libidinosis luxuriose vivere. 14 (...) Me ipsum, me,
inquam, quondam paene ille decepit, cum et civis mihi bonus et optimi
cuiusque cupidus et firmus amicus ac fidelis videretur.
CICÉRON, pro Caelio, 12 - 14 vocabulaire |
Il y eut en lui beaucoup de signes pas
vraiment manifestes, mais comme atténués des vertus les plus hautes. Il
s'entourait d'innombrables vauriens et pourtant il feignait d'être
dévoué aux meilleurs de nos concitoyens. On trouvait chez lui beaucoup
de penchants aux plaisirs; on y trouvait aussi des incitants à
l'activité et à la peine. Chez lui, les vices du plaisir étaient
éclatants, le goût pour la vie militaire se manifestait avec force. Et
à mon avis, il n'y eut jamais sur terre un tel prodige gonflé de
passions et de désirs contraires, opposés et contradictoires. Voici ce qui chez cet homme, messieurs, fut matière à étonnement : il savait séduire bien des gens par l'amitié, les protéger par son empressement, partager avec tout le monde ce qu'il possédait, voler au secours de ses partisans par l'argent, l'influence, l'effort physique, même le crime, s'il le fallait, et l'audace, retourner et diriger son caractère au gré des circonstances, le tordre et le plier comme ceci ou comme cela, manifester de la sévérité aux tristes, de l'enjouement aux bons vivants, du sérieux aux vieillards, de la camaraderie aux jeunes, de l'audace aux criminels et du vice aux débauchés. Même moi, oui, moi, il a failli me berner puisque je le croyais bon citoyen, amoureux de la vertu, un ami sûr et fidèle. CICÉRON, pro Caelio, 12 - 14 |
texte
pris sur le site nimispauci
IV. Nous pouvons maintenant remettre
Catilina dans cette société pour laquelle il était fait. Il nous sera
plus facile de comprendre ce que Cicéron et Salluste nous disent de lui.
La première fois qu'il en est question chez Cicéron, c'est dans une
lettre à Atticus où il annonce à son ami qu'il se propose de défendre
Catilina, son compétiteur, accusé de concussion (Cic.,
Ad. Att ., 1, 2. - Cicéron a-t-il défendu Catilina ? Fenestella
l'affirme, mais Asconius le nie, et les raisons qu'il donne paraissent
très justes. Il ne me semble pas douteux que, s'il l'avait défendu, il
n'aurait éprouvé aucun scrupule à l'avouer, puisque c’était son
opinion qu'il ne faut pas laisser ses amis sans, défense, même s'ils
sont coupables. (Pro Sulla, 30 .), et laisse entendre que,
dans les élections pour le consulat, qui sont prochaines, il songe à
faire campagne avec lui. Il y eut donc un temps où Cicéron se serait
fort bien accommodé de l'avoir pour collègue ; c'est ce qui est fait
pour nous surprendre. Quoi qu'il en soit, l'affaire manqua, puisque, dans
un discours prononcé devant le Sénat pendant sa candidature, et dont
nous avons des fragments, il attaque son rival avec violence. Ces attaques
sont reproduites et aggravées dans les Catilinaires. Cependant on
a remarqué que, dans ces discours mêmes, c'est-à-dire au plus fort de
la lutte, il tient à mêler aux invectives les plus passionnées contre
Catilina quelques appréciations plus favorables. Dans la première, la
plus cruelle de toutes, en accusant sa scélératesse, il loue son
énergie. (Cicéron, Catilinaires, I, 10).
Quand il se félicite, dans la seconde, de l'avoir forcé à s'éloigner
de Rome, il fait remarquer que c'est un grand succès, car lui seul, parmi
les conjurés, était redoutable (Cicéron, Catilinaires,
II, 5). Dans la troisième, l'éloge de l'habileté de Catilina
sert à mettre en relief la maladresse de ses associés. "On voit
bien qu'il n 'était pas avec eux ; ce n'est pas lui qui aurait laissé
passer l'occasion favorable, il était trop habile pour se laisser prendre
comme ils l'ont fait !" (Cicéron, Catilinaires, III, 7) Mais
voici qui est plus grave. Cinq ans plus tard, quand l'affaire est
refroidie, Cicéron défend Coelius auquel on reproche d'avoir été trop
lié avec Catilina ; il l'en excuse en disant que Catilina en a séduit
bien d'autres, qu 'il avait l'apparence des qualités les plus belles,
s'il n'en avait pas la réalité. "Je ne crois pas, dit-il, qu'il ait
jamais existé un prodige pareil, un composé de passions si diverses, si
contraires, et plus faites pour se combattre." (Cicéron,
pro Caelio 6) Rien, dans ce passage du Pro Caelio, ne
contredit formellement les accusations des Catilinaires ; les gens
ne sont pas rares chez lesquels un peu de bien se mêle à beaucoup de
mal. Cependant cette façon plus clémente de parler de lui, cette part
plus large faite à ses bonnes qualités, pouvait troubler le jugement des
lecteurs de Cicéron, et ils devaient se demander lequel des deux
Catilina, celui des Catilinaires ou celui du Pro Caelio,
était le véritable, lorsque parut le livre de Salluste. Il contenait un
portrait du personnage qui dut sembler aussitôt le définitif. Il y
était traité d'une façon plus impitoyable encore que Cicéron ne
l'avait fait dans ses discours les plus violents ; et, comme l'auteur
promettait d'être impartial, et qu'il n'avait aucune raison de ne pas
l'être, que la lutte était finie depuis plus de vingt ans et les
passions éteintes, Salluste entraîna l'opinion vers la sévérité.
Catilina devint alors pour tout le monde le type accompli du conspirateur.
Virgile le précipite sans hésiter dans les enfers, place auprès de lui
les Furies, et l’attache à un roc, comme Prométhée : Salluste a bien raison de commencer son portrait de Catilina en disant qu'il était d 'une noble maison, car sa naissance peut servir à nous faire comprendre son caractère. La gens Sergia, à laquelle il appartenait, était, comme on disait alors, une famille troyenne, c'est-à-dire qu'elle prétendait descendre d’un des compagnons d'Énée. Il comptait un héros parmi ses aïeux ; son arrière-grand-père, Sergius Silus, fut blessé vingt-trois fois pendant la guerre contre Annibal, et, ayant perdu sen bras droit dans une bataille, se fit faire une main de fer et continua à combattre. Mais ni cette grande naissance, ni ces exploits ne profitèrent à cette branche des Sergii ; nous savons qu'elle resta pauvre et qu'aucun d'eux ne parvint dans la suite au consulat. Sans doute ils trouvaient qu'on les payait mal de leurs services, et il était naturel que leur pauvreté et l'oubli où on les laissait leur aigrît le coeur et les disposât à la révolte. Cependant ils n'avaient pas perdu leur rang dans l'aristocratie romaine. Catilina conservait des relations étroites avec les plus grands seigneurs. C'est à Lutatius Catulus, un des chefs du parti, que sa dernière lettre est adressée, et il le traite comme un ami familier. Au moment où ses affaires étaient le plus embarrassées, il avait une maison au Palatin, dans le quartier des nobles et des riches, et la nécessité de vivre avec tous ces grands personnages devait lui rendre sa situation plus pénible. Certaines paroles qui lui échappent dans les circonstances les plus graves de sa vie montrent qu'il avait gardé tout l'orgueil de sa naissance. C'est sur elle surtout qu'il s'appuie, quand il est accusé, pour attester son innocence, et il ne souffre pas que l'on compare un patricien comme lui à Cicéron, un citoyen de la veille, tout fraîchement débarqué de sa petite ville. Dans cette lettre à Catulus, dont je viens de parler, où il déclare qu'il a pris les armes parce qu'on lui a refusé ce qui lui était dû, il emploie ce mot de dignitas, cher aux aristocrates romains, et dont César, un autre grand seigneur révolté, se sert aussi clans une circonstance semblable. La race, chez lui, se reconnaît partout : dans ses vices comme dans ses qualités, il n'y a rien de médiocre et de mesquin. "C'était, dit Salluste, un esprit vaste, qui méditait sans cesse des projets excessifs, incroyables, gigantesques" (Sall ., Catit., 5 , vastus animus immoderata, incredibilia, nimis alta semper cupiebat.). Qu'il devait mépriser son rival Cicéron, qui lui semblait sans doute le type accompli de l’honnête bourgeois ! Il y avait de la crânerie dans ses violences ; il agissait volontiers au grand jour et il ne lui déplaisait pas de braver l'opinion (Cic ., pro Murena, 25 : atque ille, ut semper fuit apertissimus, non se purgavit, sed indicavit atque induit). Peut-être ne lui a-t-on reproché tant de crimes que parce qu'il a dédaigné, par une sorte de forfanterie, de prendre la peine de s'en défendre. Que faut-il penser de tous ces
crimes dont on l'accuse? Il y en a tant, et ils sont si abominables, qu’on
n'a pu s'empêcher de concevoir quelques doutes sur leur réalité. On
s'est dit que beaucoup de ces accusations, celles surtout qui incriminent
sa vie privée, ont probablement leur origine dans les procès qu'il a eus
à soutenir. On sait que les avocats de Rome n'hésitaient guère à
charger les gens qu'ils poursuivaient de crimes imaginaires. Ils en
avaient pris l'habitude dans ces écoles de déclamation, où ils
s'exerçaient à l'art de parler. On leur apprenait à se servir de ce
qu'on appelait des couleurs, c'est-à-dire d'une certaine manière
de présenter les faits les plus insignifiants, qui les faisait paraître
coupables, et même au besoin à glisser parmi ces faits habilement
dénaturés quelques mensonges utiles. Comme ils avaient vu ce moyen
réussir à l'école, ils continuaient à l’employer au barreau. Ils ne
prenaient même pas toujours la peine d'inventer un crime nouveau, créé
tout exprès pour la circonstance et approprié au personnage ; il y en
avait qui servaient pour toutes les occasions. Quand la cause semblait un
peu maigre et ne fournissait pas assez à l'éloquence de l'avocat, il ne
se faisait aucun scrupule d'y joindre une bonne accusation d'assassinat.
"C'était devenu une habitude," (Consuetudinis
causa . Ailleurs (Pro Murena, 5), les inventions de ce genre
lui paraissent un procédé ordinaire, une loi de l’accusation, lex
accusatoria) nous dit simplement Cicéron. Et par exemple
Clodia, qui ne trouvait pas que ce fût assez de reprocher à Caelius, son
amant, d'avoir accepté d'elle de l'argent et de ne pas le lui rendre,
l'accuse par surcroît d'avoir essayé de l'empoisonner. Rappelons à ce
propos que ni les Grecs ni les Romains n'ont connu ce que nous appelons le
ministère public, qui représente l'État, et qui aurait pu rétablir la
vérité. Tout le monde était libre d'en accuser un autre, et il pouvait
dire contre lui ce qui lui plaisait ; des deux côtés la passion parlait
seule et pouvait tout se permettre. Ce qui rendait cet abus moins grave,
c'est qu'en général on n'était pas dupe de ces mensonges, on ne prenait
pas à la lettre ces accusations furibondes, qui venaient de provoquer de
si beaux mouvements d'éloquence, et audace des avocats était corrigée
par l'incrédulité du public. Cependant cette habitude malsaine pouvait
avoir deux dangers : le premier, c'est qu'à force de parler de ces
crimes, on affaiblissait l'horreur qu'ils doivent inspirer ; en affirmant
qu'ils avaient été souvent commis, on pouvait amener à les commettre,
et voilà peut-être une des raisons pour lesquelles ils devinrent si
répandus dans cette société. L'autre danger, c'est que, dans bien des
cas, ceux qui avaient intérêt à croire à ces accusations les tenaient
pour vraies sans se donner la peine d'en vérifier l'exactitude, et il a
pu se faire ainsi qu'après avoir couru dans le monde, elles se soient
glissées dans l'histoire. C'est ce qui est arrivé peut-être pour
Catilina, comme pour beaucoup d'autres. On l'accuse d'avoir assassiné son
beau-frère, probablement par complaisance pour sa soeur, qui ne pouvait
pas souffrir son mari ; d'avoir tué sa femme, pour en prendre une autre,
son fils, dans l'intérêt d'une marâtre, qui ne voulait entrer que dans
une maison vide d'héritiers (Ce dernier crime est
le plus affreux de ceux qu'on reproche à Catilina. Cicéron y fait
allusion dans la première Catilinaire (6), Salluste dit qu'on s'accorda
à l’en accuser, pro certo creditur (Catil., 15).
Cependant ce n'était peut-être qu'une de ces accusations banales, dont
je viens de parler, qui étaient passées des écoles dans le barreau, et
dont on se servait sans scrupule à l’occasion. Je remarque qu'elle se
retrouve parmi les crimes dont on accusait Cluentius. (Cicéron, Pro
Cluentio, 9) . Tous ces crimes sont possibles dans l’état
où se trouvait alors la société romaine, et la moralité de Catilina ne
les rend pas invraisemblables ; mais, comme ils sont de ceux que le public
ne connaît que par des indiscrétions privées ou des bavardages
malveillants, quand ils n'ont pas été l'objet d'une enquête sérieuse,
il nous est aussi difficile, à la distance où nous en sommes, de les
démentir que de les affirmer. Ce qu'on peut dire, c'est qu'ils sont
fidèlement rapportés par tous les écrivains anciens qui se sont
occupés de la conjuration. Mais qu-est-il besoin de nous attarder sur des
faits que nous n'arriverons jamais à bien connaître ? Il y en a d'autres
qui se sont passés au grand jour, sur les places publiques, dans les rues
de Rome, et à propos desquels aucun doute n’est possible. Ceux-là nous
permettent de juger Catilina en toute sûreté de conscience. Il devait
avoir à peu près vingt-cinq ans lorsque, Sylla ramena de l'Orient ses
légions pour reconquérir le pouvoir que Marius lui avait ôté. Nous ne
sommes pas surpris de trouver Catilina dans son parti : c'était d'abord
celui où l'appelait sa naissance ; mais il avait d'autres raisons de le
choisir. Son père ne lui avait laissé qu'un grand nom ; il devait être
pressé d'y joindre une fortune. Or personne n'ignorait que Sylla était
d'une libéralité sans mesure pour ceux qui se dévouaient à le servir.
Il s'attachait les officiers et les soldats qui l'avaient suivi dans
l'Asie en fermant les yeux sur leurs désordres et leurs rapines ; on
revenait toujours riche des campagnes qu'on avait faites avec lui. A Rome
et dans l’Italie, les profits devaient être bien plus grands encore.
Les guerres civiles sont toujours des guerres sans pitié, et Sylla
n'était pas d'humeur à épargner ses ennemis. Marius, du reste, lui en
avait donné l'exemple ; seulement, comme il était un homme d'ordre, il
procéda avec plus de régularité. Il se fit dûment autoriser par une
loi à tuer tous ceux qu'il voudrait (Cicéron, de
legibus, I, 15), et Catilina, qu'il avait sans doute appris à
connaître, fut choisi pour être l'un de ses exécuteurs des hautes
oeuvres. La besogne était bien payée, ce qui du reste était aisé au
dictateur, puisqu'il rémunérait les bourreaux avec l'argent des
victimes. Les biens des proscrits étaient confisqués et devaient se
vendre à l'encan (sub hasta) au profit de l'État. Mais on ne
laissait pas assister tout le monde aux enchères ; ceux-là seuls qu'on
voulait favoriser pouvaient approcher de la lance auprès de laquelle se
tenait le commissaire chargé de la vente, en sorte qu'ils avaient ce qui
leur convenait au prix qu'ils voulaient donner. C'est ainsi, disait-on,
que Crassus avait commencé son immense fortune. Catilina dut y faire
aussi de beaux bénéfices ; mais il ne ressemblait pas à Crassus, et
l'argent ne lui tenait guère entre les mains. Il méritait bien d'avoir
sa part des dépouilles et s'était fort consciencieusement acquitté de
la tâche que Sylla lui avait donnée. Nous savons les noms de plusieurs
de ses victimes, qui appartenaient à des familles connues. Parmi ces noms
se trouve celui de Marius Gratidianus, originaire d'Arpinum, parent du
grand Marius et de Cicéron. C'était un personnage si aimé du peuple
qu'on lui avait élevé des statues dans certaines places de Rome et que
les gens du quartier leur rendaient un culte (Sa
popularité venait surtout de ce qu’étant préteur il avait fait un
édit pour défendre d'émettre des monnaies fourrées dont les régimes
précédents avaient fort abusé) Condamné à mourir, il fut
traîné devant le tombeau de Catulus auquel on voulait offrir une victime
humaine. Là, on lui brisa les jambes, on lui trancha les mains, on lui
arracha les yeux. "On voulait, dit Sénèque, le tuer plusieurs fois
de suite". (Sénèque, De ira, III, 8).
Puis, quand on lui eut coupé la tête, Catilina la prit dans ses mains et
la porta toute dégoûtante de sang du Janicule au Palatin, où Sylla
l'attendait. On pense bien que cette exécution fit grand bruit et qu'on
ne l'oublia pas : aussi se demande-t-on avec surprise comment il s'est
fait que ce souvenir, qui était resté dans toutes les mémoires, n'ait
pas nui davantage à Catilina. Il a conservé jusqu'à la fin d'honorables
amitiés ; il a été candidat aux glus hautes fonctions publiques, et les
a souvent obtenues. Quand des censeurs un peu plus sévères que les
autres entreprirent de nettoyer le Sénat où beaucoup de gens indignes
s'étaient glissés à la faveur des troubles civils, et en firent sortir
soixante-quatre sénateurs à la fois, Catilina n'était pas du nombre.
Après la mort du dictateur, sous la pression de César, quelques
proscripteurs connus, le centurion L . Luscius, L . Bellienus, d'autres
encore, qui avaient touché le prix convenu pour chaque tête coupée, et
dont on retrouva les quittances sur les registres publics, car tout se
faisait régulièrement sous Sylla, furent poursuivis et condamnés ; il
ne fut pas question de Catilina. C'est seulement un peu plus tard, quand
il venait d'échouer au consulat, qu'un homme important du parti
aristocratique, L . Lucceius, pensa que l'occasion était bonne pour le
traduire devant les tribunaux chargés de punir les assassins (quaestio
de sicariis). L'attaque dut être vive : Lucceius passait pour un
excellent orateur. Cependant elle ne réussit pas, et Catilina fut
acquitté. Cicéron n'y pouvait rien comprendre, quand il voyait que des
accusés qui niaient leurs crimes ou tentaient d'en atténuer la gravité
étaient rigoureusement punis, et qu'on épargnait Catilina qui était
bien forcé d'avouer les siens, puisqu'ils avaient eu Rome entière pour
témoin, et qui sans doute ne prenait pas la peine de s'en excuser. Il
faut croire que c'était son audace même qui faisait son impunité. Cette
sanglante promenade, dont on se souvenait avec effroi, lui avait créé
une sorte de prestige, qui le mettait à part des autres. Cette fois
encore, comme il arrive si souvent, les plus obscurs étaient frappés, et
le plus grand coupable échappait. Faut-il penser aussi que ce prestige
est pour quelque chose dans l'attrait qu'éprouvaient pour lui les femmes
et les jeunes gens ? C'est bien possible. Nous aurons à parler plus tard
de l'appui que les femmes donnèrent à sa conjuration ; elles ont aussi
tenu une grande place dans sa vie privée. Celles qui furent le plus
intimement liées avec lui portaient les plus beaux noms de Rome. Il y
avait dans le nombre une vestale qui avait été choisie, comme elles
l'étaient toutes, parmi les familles les plus illustres ; et, ce qui rend
l'aventure plus piquante, c'est qu'elle était la propre soeur de
Térentia, la femme de Cicéron (Dans la suite,
Cicéron, qui ne voulait pas perdre un seul de ses arguments contre
Catilina, lui rappela ce souvenir si délicat pour lui. Il le fit avec une
adresse remarquable : "Ta vie, lui dit-il, a été si pleine de
crimes, que ta présence a suffi, quoiqu'aucune faute n'ait été commise,
pour souiller un lieu sacré (In toga cand ., Asconius, p . 92)
. Le cas était grave : Catilina avait été trouvé dans sa chambre. Mais
toute la noblesse de Rome s'intéressa pour elle ; Caton lui-même prit sa
défense. Pison, qui était un orateur célèbre, prononça en sa faveur
un discours qu'on admira beaucoup, et elle fut acquittée. Dans la vie
dissipée qu'il mena, et qui était, il faut bien le dire, celle de la
plupart des gens de son temps et de son monde, on nous dit qu'il trompa
beaucoup de maris et fut quelquefois trompé lui-même (Cum
deprehedebare in adulteriis, deprehendebas adulteros ipse
(Cicéron, in toga cand. P. 93). Il avait été l'amant de la femme
d'Aurelius Orestes, dont il épousa plus tard la fille, ce qui fit dire à
Cicéron "que le même amour lui avait fourni à la fois un enfant et
une épouse." Elle était riche et belle, mais Salluste ajoute, dans
une de ces phrases impertinentes comme il sait les faire, que quand on
avait parlé de sa beauté il ne restait plus rien à louer chez elle.
Catilina paraît l’avoir beaucoup aimée. Lorsqu'il quitta Rome pour
aller prendre le commandement des conjurés de l'Étrurie, il écrivit à
Q . Catulus une lettre qui se terminait par ces mots : "Il ne me
reste plus qu'à vous recommander Orestilla et à la confier à votre
honneur. Protégez-la contre toute injure ; je vous en supplie au nom de
vos enfants. Adieu." (Salluste, Catilinaires,
35). Tous les écrivains nous disent l'ascendant incroyable qu'il
exerçait sur la jeunesse. Cicéron prétend qu'il était pour elle un
véritable charmeur : juventutis illecebra fuit (Cicéron,
Catilinaires, II, 4). On voit bien par où il devait la
séduire ; il avait les qualités qui lui plaisent le plus, l'énergie, la
résolution, la bravoure, une hardiesse que rien ne déconcertait.
Personne ne supportait mieux les fatigues, la soif, les veilles, les
privations, que cet ami des plaisirs faciles. Rien n'égalait l'agrément
de son commerce et la souplesse de son caractère ; il s'accommodait à
tout le monde et de toutes les circonstances, grave avec les gens
sérieux, plaisantant volontiers avec les enjoués, il était prêt à
tenir tête aux plus débauchés. Salluste et Cicéron sont d'accord à
dire qu'il était la ressource de tous ceux qui avaient fait quelque
mauvais coup ou qui voulaient tenter quelque méchante action. Il les
prenait sous son patronage sans jamais s'enquérir de leur passé, et, une
fois qu'il les avait accueillis, il ne les abandonnait plus. Il mettait à
leur disposition sa fortune et son audace, il fournissait sans compter à
leurs dépenses, il leur procurait des maîtresses, il leur choisissait
des chevaux et des chiens ; il ne se les attachait pas seulement par la
solidarité du plaisir, mais par celle du crime. Salluste prétend qu'il
tenait chez lui une sorte d'école, où loin apprenait à porter de faux
témoignages, à contrefaire des signatures, à se débarrasser par tous
les moyens des gens qui gênaient, ou même de temps en temps de ceux qui
ne gênaient pas, sans autre motif que de se faire la main. C'était pour
Catilina une manière d'exercer ses gens et de les compromettre, pour
qu'une fois entrés dans la bande il leur fût impossible d'en sortir. Ces
jeunes gens formaient autour de lui une sorte de garde d'honneur,
composée en général de fils de famille qui avaient perdu toute leur
fortune, mais qui conservaient tous leurs vices. La verve de Cicéron est
intarissable quand il les dépeint voltigeant sur le Forum ou assiégeant
les alentours du Sénat. "Ils ruissellent de parfums, ils
resplendissent de pourpre, ils suivent toutes les modes du jour ; les uns
se font soigneusement épiler, les autres portent une barbe abondante et
bien frisée ; ils sont vêtus de tuniques qui tombent sur leurs talons,
ils ont des manches traînantes (Ces manches
étaient un des signes distinctifs des jeunes débauchés. Virgile
reproche à des gens qui n'étaient pas de véritables guerriers de
n'avoir pas les bras nus et de nouer leurs couvre-chefs avec des
mentonnières : Et tunicae manicas et habent redimicula mitrae (IX,
616}, leurs toges sont faites de tissus si légers qu'on dirait des
voiles de femmes." Ces jolis garçons si gracieux, si délicats, sont
en même temps des joueurs et des mignons ; ils n'excellent pas seulement
à danser et à faire l'amour, au besoin ils versent le poison et manient
le poignard. Cicéron témoigne pour eux une pitié ironique, quand il
songe qu'ils vont partir en guerre et qu'ils se mettent à la suite de
Catilina, pour faire campagne avec lui : "A quoi pensent ces
malheureux ? Emmèneront-ils leurs maîtresses dans leur camp ? mais
pourraient-ils s’en passer, surtout dans ces longues nuits d'hiver ? Et
eux-mêmes, comment supporteront-ils les neiges et les frimas de l’Apennin
? Se croient-ils en état de braver les rigueurs de la saison parce qu'ils
se sont accoutumés à danser tout nos dans les festins ?" LA CONJURATION DE CATILINA PAR GASTON BOISSIER de l'Académie française, PARIS, LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie, 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 1905. |
ac,
atque, conj. : et, et aussi ad tempus : selon les circonstances admirabilis, e : admirable adumbro, as, are : assombrir amicitia, ae, f. : l'amitié amicus, a, um : ami apud, prép+acc : près de, chez atque, inv. : et, et aussi (= ac) audacia, ae, f. : l'audace audaciter, adv. : audacieusement bonus, a, um : bon civis, is, m. : le citoyen comiter, gentiment, avec bienveillance, avec joie, avec entrain communico, as, are : mettre en commun, partager, prendre sa part de comprehendo, is, ere, prehendi, prehensum : saisir, prendre, comprendre conflo, as, are : gonfler contrarius, a, um : contraire, opposé corpus, oris, n. : le corps cum, inv. : conj., comme ; prép, avec cupiditas, atis, f. : le désir cupidus, a, um : désireux decipio, is, ere, cepi, ceptum : tromper, abuser deditus, a, um : livré à, adonné à une passion diversus, a, um : divers ego, mei : je et, conj. : et, aussi etiam, inv. : même ex, prép. : (+abl) hors de, de exprimo, is, ere, pressi, pressum : faire sortir en pressant, représenter, dessiner avec netteté facinerosus, a, um : criminel fidelis, e : en qui l'on peut avoir confiance, sûr, fidèle firmus, a, um : ferme, solide flagro, as, are : brûler flecto, is, ere, flexi, flexum : courber gratia, ae, f. : la grâce, la reconnaissance (gratias agere = remercier) graviter, inv. : lourdement, gravement habeo, es, ere, bui, bitum : avoir, considérer comme homo, minis, m. : l'homme, l'humain huc, adv. : ici (question quo) ille, illa, illud : ce, cette illecebra, ae, f. : l'attrait, le charme illuc, adv. : là (question quo) improbus, a, um : malhonnête in, prép. : (acc. ou abl.) dans, sur, contre industria, ae, f. : l'activité ; de, ex - : volontairement inquam, v. : dis-je inter, prép : (acc) parmi, entre ipse, ipsa, ipsum : même (moi-même, toi-même, etc.) iucundus, a, um : agréable iudex, icis, m. : le juge iuventus, tutis, f. : la jeunesse labor, oris, m. : la peine, la souffrance, le travail pénible libidinosus, a, um : lascif, libidineux libido, dinis, f. : le désir, l'envie, la débauche luxuriose, adv. : de manière déréglée, voluptueusement maximus, a, um : superlatif de magnus, a, um : grand militaris, e : militaire monstrum, i, n. : tout ce qui sort de la nature, le monstre, la monstruosité multus, a, um : en grand nombre (surtout au pl. : nombreux) natura, ae, f. : la nature neque, inv : = et non non, neg. : ne...pas obsequium, i, n. : la complaisance, le respect omnis, e : tout optimus, a, um : très bon, le meilleur. superlatif de bonus opus, operis, n. : le travail (opus est mihi = j'ai besoin) paene, adv. : presque pecunia, ae, f. : l'argent permultus, a, um : souvent au pluriel : de très nombreux pugno, as, are : combattre puto, as, are : penser, considérer comme quidam, quaedam, quoddam/quiddam : un certain, quelqu'un, quelque chose quidem, inv. : certes (ne-) ne pas même quisque, quaeque, quidque : chaque, chacun, chaque chose quod, conj. : parce que; pronom relatif : que, ce que quondam, inv. : jadis, un jour rego, is, ere, rexi, rectum : commander, diriger remitto, is, ere, misi, missum : renvoyer, abandonner res, rei, f. : la chose scelus, eris, n. : le crime se, pron. réfl. : se, soi sed, conj. : mais senex, senis, m. : vieillard servio, is, ire, ii ou ivi, itum : être esclave severe, adv. : sévèrement si, conj. : si signum, i, m : le signe, l'enseigne, l'oeuvre d'art simulo, as, are : simuler stimulus, i, m. : l'encouragement studium, ii, n. : l'intérêt, la passion sum, es, esse, fui : être suus, a, um : adj. : son; pronom : le sien, le leur talis, e : tel ; ... qualis : tel.. que tam, inv. : si, autant tempus, oris, n. : le temps, le moment favorable terra, ae, f. : la terre torqueo, es, ere, torsi, tortum : tourmenter tristis, e : triste, morose tueor, eris, eri, tuitus sum : protéger ullus, a, um : un seul ; remplace nullus dans une tournure négative umquam, inv. : une seule fois ; avec une négation : jamais utor, eris, i, usus sum : utiliser vero, inv. : mais versor, aris, ari, atus sum : se trouver videor, eris, eri, visus sum : paraître, sembler vigeo, es, ere, ui, - : être fort vir, i, m. : l'homme virtus, utis, f. : le courage, l'honnêteté vitium, ii, n. : le vice, le défaut vivo, is, ere, vixi, victum : vivre |
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