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table des matières de Pétrone

 

PETRONE

 

FRAGMENTS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

INTRODUCTION - PREMIERE PARTIE   DEUXIEME PARTIE   TROISIEME PARTIE - FRAGMENTS1

 

 

 

 


 

PIÈCES DE VERS DÉTACHÉES.

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Ta femme, c'est ton bien : tu lui dois tes amours.

Eh ! qui peut de son bien se contenter toujours?

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De parfum, de mets, de bouteille,

De tout, ami, j'aime à changer.

Le taureau de nos prés, l'industrieuse abeille

De la plaine aux forêts aiment à voyager;

Tout change dans le monde, et de l'aube nouvelle

Si le doux éclat nous séduit,

C’est qu'elle succède à la nuit,

Et que le jour vient après elle.

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Vois la lune au front radieux

Croître, s'emplir, décroître encore,

Et Phébus lancer dans les cieux

Son char, que devance l'Aurore....

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Ainsi, comme oubliant les lois de la nature,

Le corbeau niche encor quand la moisson est mûre,

Ainsi grandit l'oursin par sa mère léché ;

Ainsi, sans que l'amour de ses feux l'ait touché,

Le poisson isolé fraye et se perpétue,

Et le soleil fait seul éclore la tortue.

L'abeille vierge, ainsi, mère de fils nombreux,

Pousse hors de son camp leur vol aventureux;

Et dans ses changements la nature infinie

Par le contraste même entretient l'harmonie.

Aux oreilles de l'âne, à ses rauques accents,

Au porc, son dieu, le Juif prodigue en vain l'encens ;

S'il n'a de son prépuce offert le sacrifice,

Et de l'organe impur dégagé l'orifice,

Honni des siens, vers Naples il se voit rejeté,

Et du sabbat sans lui le grand jeûne est fêté.

Mais il est noble et pur, dès lors qu'il se décide

A porter sur lui-même une main intrépide.

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Jadis errante et voyageuse,

Jouet des vents, jouet des flots,

Délos allait fuyant sur la plaine orageuse,

Sans jamais trouver le repos.

A la fin, l'île de Latone

S'arrêta, fixe au sein des mers :

Car une main divine à Gyare, à Mycone,

L'unit par d'invincibles fers.

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Enfant, aux autels il amène

Le chœur des vierges de Memphis.

La Nuit, dont il semble le fils,

De son front envierait l'ébène.

Ses mains, sa danse vont parler.....

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Églé se farde en vain pour déguiser son âge :

Églé perd à la fois son fard et son visage.

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Ici dort l'aimable Sylvie,

Elle dont le pied gracieux

Vient de glisser aux sombres lieux

Dès ses premiers pas dans la vie.

A peine au huitième printemps,

Sa naissante coquetterie

Des coups d'œil, des airs agaçants

Essayait la friponnerie.

Ah ! si l'inflexible trépas

N'avait clos ta jeune paupière,

Jamais l'Amour n'eût ici-bas

Formé plus habile écolière.

Ton ombre encor doit nous charmer,

Et sur la tombe où tu reposes,

Comme fleurs de toi-même écloses,

Les ris, les grâces vont germer.

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On m'apporte en ton nom, ô maîtresse adorée,

La châtaigne épineuse et la pomme dorée ;

Et ces dons, Martia, me font bien des jaloux;

Mais par toi-même offerts qu'ils me seraient plus doux!

Offerte de ta main, la pomme encore acide

Serait le miel d'Hymette à mon palais avide.

Reviens : quitte un moment tes fleurs, tes orangers;

Ou que leurs beaux fruits d'or m'apportent tes baisers.

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Tout le jour je t'appelle, et durant mon sommeil

Sur le duvet désert j'embrasse ton image ;

Je l'embrasse, elle fuit. Viens toi-même, ô volage !

Mieux qu'un rêve menteur viens charmer mon réveil.

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Quel bruit mystérieux résonne à mon oreille ?

De cette faible voix qui chaque nuit m'éveille

Je n'ai pu retenir les fugitifs accents.

Mais quoi ! ce bruit si doux, cette voix qui t'appelle,

Quelle autre que Délie. Ah ! nul doute, c'est elle.

De ce souffle léger que les sons frémissants

Viennent avec mollesse agiter tous mes sens !

Délie ainsi parfois, d'une bouche timide,

Interrompait des nuits le silence discret ;

Ainsi, pressant mon front contre sa lèvre humide,

Délie entre mes bras vers mon oreille avide,

Craintive, de ses feux épanchait le secret.

C'est sa voix ! Un amant pourrait-il s'y méprendre?

Accents délicieux pour qui sait vous comprendre,

Ah ! que par vous mon cœur soit toujours caressé !

A toute heure, en tous lieux je voudrais vous entendre;

Et déjà je me plains que vous ayez cessé.

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Le silence et la nuit descendaient sur la terre,

Et le sommeil à peine avait clos ma paupière,

Soudain un dieu cruel m'arrache au doux repos.

J'ai reconnu la voix de l'enfant de Paphos :

Eh quoi ! mille beautés à l'envi t'ont su plaire,

Et sur un lit oiseux tu t'endors solitaire !

Est-ce ainsi qu'à mes lois mon esclave obéit?

De ma couche à ces mots je m'élance interdit.

Nu-pieds, demi-vêtu, je cours... par quelle route ?

Je ne sais. Je veux fuir, je m'arrête, j'écoute :

Tout dort dans les cités, tout se tait dans les bois ;

Du dogue vigilant je n'entends plus la voix ;

Moi seul je veille encore : à ta loi souveraine

Je m'abandonne, Amour, et je porte ta chaîne.

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Aux fureurs de Bellone incessamment livrée,

Et par ses propres mains à la fin déchirée,

Cédant, faible victime, à son destin cruel,

La Grèce a vu sa tombe érigée en autel,

Monument triste et vain d'une si belle histoire,

Et n'a plus rien de grand que le bruit de sa gloire.

Toi dont l'œil reconnaît sur ces bords désolés

Des remparts de Cécrops les débris écroulés,

Est-ce là, diras-tu, cette cité sacrée

Que remplissait des dieux la présence adorée?

Tu diras, à l'aspect des murs d'Agamemnon :

Vainqueurs comme vaincus n'ont gardé que leur nom;

Et cette noble Grèce, aujourd'hui dépeuplée,

De tout ce qu'elle fut n'est que le mausolée.

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Non, le bonheur n'est point, veuillez m'en croire,

De voir briller à ses doigts maint rubis,

De posséder une couche d'ivoire.

Foulez en roi ces fastueux tapis,

Tissus moelleux qu'a façonnés l'Asie ;

Buvez dans l'or ; sur la pourpre accoudé,

Des plus doux mets savourez l'ambrosie,

Et qu'à vous seul les dieux aient accordé

Tous les trésors qu'on moissonne en Libye,

Vous n'aurez point le bonheur. Mais du sort

Braver les coups ; mais fuir du rang suprême

L'honneur si vain, le périlleux abord ;

Mais sans pâlir envisager la mort,

D'un noble cœur c'est là l'heureux effort,

C'est détrôner la fortune elle-même.

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Ces murs que Babylone exhaussa follement,

Et ces palais, de marbre énorme entassement ;

Ce Mausolée, hélas! où la main d'une épouse

Crut disputer sa proie à la Parque jalouse ;

Ces tombeaux du désert, géants audacieux,

Qui de leurs fronts aigus s'en vont toucher aux deux.

Seront poussière un jour : plus leur orgueil domine,

Plus le temps qu'ils bravaient les entame et les mine.

Le poète lui seul ne subit point sa loi :

Homère, l'avenir n'épargnera que toi!

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Rappelons-nous longtemps cette nuit fortunée

Où dans mes bras, pour la première fois,

En rougissant tu tombas enchaînée,

Où d'un amant tu m'accordas les droits.

Rappelons-nous ce tendre et doux murmure,

Ces silences plus doux, ces renaissants désirs,

Et ce lit si discret, foulé par nos plaisirs :

A tes serments d'alors ne deviens point parjure.

Nos amours avec nous peuvent encor vieillir,

Peuvent charmer encore une trop courte vie ;

Ne faisons point dire à l'envie :

Ce qu'un jour a vu naître, un jour l'a vu mourir.

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C'est Anna qui broda ces bouquets si jolis

Qu'autour d'un sein charmant sa jeune main dispose;

Et je la vois sourire à deux festons de rose

Embrassant deux globes de lis.

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Pour orner dignement ses célestes appas,

Anna va de sa main se faire une parure.

Ah ! sans doute Minerve après tant de combats

Veut avec Cythérée oublier son injure,

Puisque Vénus, pour broder sa ceinture,

A pris l'aiguille de Pallas.

LA ROSE A ASPASIE.

A la pourpre de Tyr mariant mes couleurs,

Je brille à ta ceinture, ô divine Aspasie!

Là, près d'un double mont parfumé d'ambrosie

Plus que jamais je suis reine des fleurs.

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Les bains, le vin, Vénus, détruisent la santé :

Sans tout cela pourtant, adieu vie et gaieté.

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Qu'elle est belle, mais qu'elle est sage

Que de froideur, mais aussi que d'appas!

De Vénus elle a le visage,

Et veut avoir la vertu de Pallas.

Ah ! si tu crains, Phyllis, de te voir enchaînée

A l'un des mille amants qui composent ta cour,

Si tu fuis le dieu d'hyménée,

Ne saurais-tu souffrir l'Amour ?

A UN NEPTUNE QUI EPANCHAIT LES EAUX D'UNE FONTAINE.

Ton urne vaut bien mieux que le trident des mers ;

Et l'eau douce a du charme après les flots amers.

SUR UN CUPIDON PLACÉ AU HAUT D'UNE FONTAINE.

L'enfant qui de ses feux brille et charme le monde

Dépose ici sa torche, et nous verse cette onde.

SUR UNE FONTAINE CREUSÉE AU SOMMET D'UN MONT.

Si du flanc pierreux des montagnes

L'art fait jaillir l'eau dans les airs,

Qui ne croirait qu'un jour le sable des déserts

Aura ses frais ruisseaux et ses vertes campagnes?

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De sa propre beauté Narcisse est amoureux,

Et c'est de son miroir que partent tous ses feux.

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Qui donc égale Homère, ou s'en est approché ?

Apollon l'a bien dit, sans avoir tant cherché :

Si j'ai pu naître un jour, moi qui fus ton seul maître,

Quelque jour ton rival, Homère, pourra naître.

A UN BEL ADOLESCENT.

O visage divin, où rayonnent des traits

Dignes du blond Phébus et du fils de Sémèle !

Quel œil impunément pourrait voir tant d'attraits ?

Ne trahissez-vous point quelque jeune immortelle,

Doigts de pourpre et de lis, contours légers et frais,

Doux trésors dont mon âme, hélas! est idolâtre?

Heureuse la beauté qui sur ce cou d'albâtre

Imprime de sa dent l'innocente fureur;

Qui sur son cœur ému sent palpiter ton cœur,

Qui t'apprend du baiser la douceur savoureuse

Et, du choc répété de sa langue amoureuse

Embarrassant la tienne, expire de bonheur !

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Si tu veux me fixer, Élise,

Écoute : le nœud qui nous joint,

S'il est trop serré, je le brise ;

Trop lâche, il ne m'arrête point.

Doux et fort, car c'est là le point,

Que sous les fleurs il se déguise.

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Non : d'un si grand forfait je n'étais point capable :

Un pouvoir invisible a rompu mes serments.

Le destin a tout fait : de mes égarements

Quelque dieu fut l'auteur, lui seul est le coupable,

O Délie ! ou plutôt par un triste retour

L'amour seul a défait l'ouvrage de l'amour.

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Dans son casque un soldat trouva deux blancs ramiers

Avec leur couvée endormie;

On voit que du dieu des guerriers

Venus est la constante amie.

SUR DES ORANGES.

Pour elles Atalante eût cessé de courir,

Et Paris à Vénus aurait pu les offrir.

Voyez ce jaune vif, ces teintes naturelles :

L'or le plus éclatant pâlirait devant elles.

LES FUNAMBULES.

Sur quatre pieux croisés une corde est tendue :

Entre le ciel et nous hardiment suspendue,

Là monte une danseuse au signal des concerts;

Là, rival de l'oiseau, l'homme court dans les airs.

De ses bras qu'il balance, appuyé sur le vide,

Il règle, il affermit son essor intrépide.

Dédale, nous dit-on, loin d'un geôlier cruel,

Franchit d'un vol heureux les campagnes du ciel ;

De tels danseurs du moins feraient croire au prodige :

La corde les soutient, le zéphyr les dirige.

LE PANTOMIME.

Homme ou femme à son gré, sur sa mâle poitrine

Un sein de jeune tille à nos yeux se dessine.

Il approche, il salue, et son geste expressif

Sans effort sait tout dire au regard attentif;

Que le chœur chante, ému de crainte ou d'espérance,

Ce que chante le chœur, il le peint par sa danse.

Il joue, aime, combat, tourne, vole, s'enfuit ;

Plus beau que le vrai même, il effraye et séduit.

Tout est voix dans cet homme, admirable interprète

Qui nous parle du corps quand sa bouche est muette.

LE PERROQUET.

L'Inde fut mon berceau, bords sacrés que l'aurore

De ses rayons de pourpre illumine et colore,

Où partout l'encens croît et fume pour les dieux.

Du langage romain les sons mélodieux

M'ont d'un chant étranger désappris la rudesse ;

Et vos cygnes chéris, doux échos du Permesse,

De louer Apollon me vont céder l'emploi :

Car vos cygnes chéris ne sont rien devant moi.

SUR LE SOCLE D'UNE STATUE DE CUPIDON.

Le soleil brûle de ma flamme ;

De ma flamme en ses eaux Neptune est tourmenté ;

J'ai fait filer Alcide aux genoux d'une femme ;

J'ai mis aux fers Bacchus, dieu de la liberté.

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Sœur d'Apollon, si tu l'es, à ton frère

Porte, Diane, et transmets ma prière :

De beau marbre, ô Phébus, j'ai décoré tes murs ;

Tes roseaux t'ont redit mes vœux simples et purs.

Entends-moi, si tu peux, grand devin, sois mon guide :

Où trouver des écus quand notre bourse est vide?

ÉPITAPHE D'UNE JEUHE PEMSIE.

Je meurs dans mon printemps; joignez, destins plus doux

Les jours qui m'étaient dus aux jours de mon époux.

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Je vous semble fou, mes amis,

Et certes ne m'en défends guère;

Mais voyons pourquoi je le suis ?

L'amour est ton unique affaire ;

Tu n'eus jamais d'autres soucis.

Bons dieux ! si c'est là ma folie,

Laissez-la-moi toute ma vie.

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Oui, je vous semble fou : dans mes vers il n'est rien

Qui puisse dérider un front patricien;

Ajax, qui vit sa cause à l'intrigue immolée,

Ne s'y rencontre pas plus que Penthésilée,

Pas plus que l'âge d'or du naissant univers,

Pélops, son char, Hercule et ses travaux divers;

Ni sous les coups d'Achille Ilion qui chancelle,

Près de mourir, Hector, de ta chute mortelle.

Vents et mer en courroux, vous brave qui voudra;

Sur de paisibles lacs mon esquif glissera.

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Adieu sagesse! adieu trop chaste muse!

Je vais conter les doux larcins d'amour,

Ses jeux lascifs, et la blonde Aréthuse,

Tantôt parée et tantôt sans atour,

Toujours charmante ; et cet obscur détour

Par où, la nuit, mon intrépide amante

A pas muets visite mon séjour.

Que je la voie à mon cou languissante

S'entrelacer, et de ses charmes nus,

Dont l'attitude à chaque instant varie,

Me retracer la lubrique série

Des doux tableaux tant chéris par Vénus.

Qu'elle ose tout, et de rien ne rougisse :

Mieux que moi-même experte en volupté,

Aux chocs d'amour que ma souple beauté

Sous le plaisir et s'agite et bondisse.

D'autres diront Troie et son dernier jour,

Hector vaincu... Moi je chante Aréthuse.

Adieu sagesse! adieu, trop chaste muse!

Je vais conter les doux larcins d'amour.

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Viens, ma Lydie, oh ! viens, ma bien-aimée,

Toi qui des lis effaces la blancheur,

Et près de qui la rose parfumée

Verrait pâlir sa vermeille fraîcheur!

Viens! à loisir laisse ma main folâtre

Suivre en jouant l'or de ces blonds cheveux,

Qui vont baiser un cou voluptueux

Et caresser deux épaules d'albâtre.

Longtemps sur moi daigne arrêter ces yeux

Plus éclatants que les flambeaux des cieux,

Ces yeux si bien couronnés par l'ébène.

O doux regards ! délicieuse haleine !

Approche encor, Lydie, au nom des dieux !

Plus près de moi, colombe langoureuse,

Imprime enfin sur ma bouche amoureuse

De tes baisers l'enivrante saveur;

Et nos ramiers envieront mon bonheur.

Mais quoi ! je sens sous tes lèvres de flamme

Fondre mon être et s'échapper mon âme;

Tu bois mon sang, tu m'arraches le cœur,

Acre baiser, foudroyante caresse.

Suspens, Lydie, ah ! suspens mon ivresse :

Ces frais boutons, ces deux pommes d'amour

Au doux parfum qui dans l'air s'évapore,

Cache-les-moi : leur riche et blanc contour

Me fait trop mal, me brûle, me dévore...

Mais non : reviens plutôt, demeure encore,

Cruelle! Arcas te provoque à son tour;

Oui, rends la vie à l'amant qui t'implore.

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Si je ne t'ai longtemps priée et prévenue,

Si je n'arrive au jour, à l'heure convenue,

Tu ne peux te livrer à moi.

Ah ! le brûlant désir n'accepte point ta loi.

Plaisir qu'un froid billet à jour fixe autorise

Vaut-il jamais plaisir qui s'improvise?

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Quoi! toujours en toilette et toujours élégante,

Toujours tes blonds cheveux bouclés coquettement;

Toujours fard et pommade, et maint ajustement

Qu'un art profond combine et pour toi seule invente !

Ah ! je hais tout cela ! Je veux une beauté

Qui brille d'abandon et de simplicité.

Ses cheveux n'ont point peur du souffle de Zéphyre ;

Elle offre, au lieu de fard, le miel de son sourire.

Tes apprêts, tes calculs font injure à l'amour ;

Et l'on plaît d'autant mieux que l'on plaît sans atour.

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Veuve à seize ans d'un jeune et vigoureux mari,

A vingt j'épouse Hylas, vieux, usé, rabougri.

Le désir dans mes sens n'aurait su trouver place,

Hymen, quand tu m'offrais tes plaisirs les plus doux.

Maintenant je désire, et tu n'es plus que glace :

Rends-moi mon premier âge, ou mon premier époux.

SUR UN BEL ADOLESCENT.

Joli garçon, fille jolie,

Lequel était-ce ? Je ne sais.

C'était lui, c'était elle : à sa marche, à ses traits,

D'un sexe à l'autre errant, j'affirme et puis je nie.

Dans mon doute forcé j'admire, et je me tais ;

De nos grammairiens je crains trop le purisme :

Si par malheur je me trompais,

On pourrait t'accuser, muse, de solécisme.

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Nymphe de ce vallon d'où mon onde s'élance,

Son murmure Sacré me caresse et m'endort;

Du sonore bassin toi qui tentes l’abord,

Respecte mon sommeil, et te baigne en silence.

SUR UNE GALATÉE GRAVÉE AU MILIEU D'UN PLAT.

Distraits par les beautés de ce corps trop charmant,

Voyez-vous s'allumer les regards des convives?

Arrosez-nous ce mets bien vite et largement ;

Cachez-nous ces formes lascives.

AUTRE, SUR LA MÊME.

Sur ta table, Cosmus, comme en un lac d'argent,

La Nymphe semble encor se jouer en nageant;

Plus de mets, le plat seul! Servez-moi le plat vide,

Et j'oublierai ma faim, tant mon œil est avide.

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Je saluais le jour qu'Apollon faisait naître,

Quand je vis Roscius comme un astre apparaître.

O puissances du ciel, pardonnez cet aveu :

Le mortel me sembla plus charmant que le dieu.

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De deux beaux yeux le vif et doux langage

Va droit au cœur, et séduit le plus sage ;

Oui, c'est là que Vénus et le volage Amour,

Et la volupté même, ont fixé leur séjour.

LE SATYRE ET L ENFANT.

Du regard, de la main, un satyre effronté

Caresse un bel enfant qui fuit épouvanté.

Qui ne serait ému par ce groupe de pierre

Tout palpitant de désirs, de terreurs !

On croit ouïr l'amoureuse prière ;

On voit presque jaillir des pleurs.

A DEUX SOEURS, CORINNE ET LYCORIS.

Couple enchanteur qui savez tout charmer,

Vous que Vénus et le dieu d'harmonie

Également se plurent à former ;

Je voudrais bien, épuisant mon génie,

Vous souhaiter un mérite nouveau,

S'il en est un que chez vous l'on ignore.

J'ai beau creuser mon stérile cerveau :

Vous avez tout; que trouverais-je encore?

A UNB JEUNE FILLE SACHANT BIEN PEINDRE ET BIEN SE CONTREFAIRE.

On dit que ton heureux pinceau

Rivalise avec la nature ;

Eh quoi ! ta céleste figure !

N'est-elle aussi qu'un vain tableau,

Et tes beaux yeux qu'une peinture ?

A CHLOÉ, SUR SA BELLE VOIX.

Oui, jusqu'ici du dieu de l'harmonie

J'ai peu compris les trop savants accords;

Mais tes chants ont séduit mon oreille ennemie,

Et je vois bien qu'Orphée a pu charmer les morts.

A UN ZOÏLE SUR SES ÉLOGES

OUTRÉS ET MALADROITS.

Toujours le fiel qui te dévore

De ton cœur passe en tes écrits ;

Tu mords si bien quand tu médis,

Qu'il semble en nous louant que tu veux mordre encore.

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Toute femme en soi cache un venin corrupteur :

Le miel est sur sa lèvre, et le fiel dans son cœur.

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De tes soucis que Bacchus te délivre :

Comme un nuage vain chasse tous tes regrets.

Les chagrins que le jour lui livre,

La nuit les alimente et double leurs effets.

Enivre-les, voilà le plus sûr des secrets.

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Consuls et proconsuls, de l'urne de la loi

Ces noms-là sortent chaque année ;

Plus rare est la naissance, autre est la destinée

D'un grand poète ou d'un grand roi.

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Fi des gens d'outre-mer, hâbleurs, fourbes, pirates !

Le Romain seul est franc, intègre, de bon ton ;

Et j'aime mieux un Caton

Que deux ou trois cents Socrates.

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Quand je plantai ce pommier jeune encore,

J'y gravai le doux nom de celle que j'adore.

Dès lors n'a plus cessé mon amoureux ennui :

L'arbre croît tous les jours, et ma flamme avec lui.

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Apollon et Bacchus au feu doivent naissance,

Et du feu créateur ils conservent l'essence :

L'un par ses rayons d'or, l'autre avec son doux fruit,

Du ciel et de nos cœurs viennent chasser la nuit.