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QUINTUS DE SMYRNE,

 

POSTHOMERICA

CHANT VII.

chant VI - CHANT VIII

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

GUERRE

DE TROIE,

DEPUIS LA MORT D'HECTOR

JUSQU'A

LA RUINE DE CETTE VILLE,

 

Poème en quatorze Chants,

par

Quintus de Smyrne,

 

faisant suite à l'Iliade,

et traduit pour la première fois

du Grec en Français,

par

R. TOURLET,

Médecin, et Membre de la Société

Académique des Sciences, séante au Louvre.

………..Non ego te meis
Chartus inornatum sil bo,
Tot ve tuos patiar labores
Impune, Quinti, carpere lividas
Obliviones…...……………….

Horat. Carm. Lib. IV. ad Lol. Od. X.

 

TOME PREMIER.

A PARIS,

Chez LESGUILLIEZ, frères, Imprimeurs, rue de la Harpe, N°. 151.

An IX —1800.

DE SMYRNE

GUERRE DE TROIE,

Depuis la mort d'Hector jusqu'à la ruine de cette ville.

 

 

ARGUMENT DU CHANT VII

 

Les Grecs à leur réveil retournent au combat, laissant peu de monde sur leurs vaisseaux, pour rendre les honneurs funèbres à Nérée et à Machaon. Podalyre pleurant sur la tombe de son frère Machaon, est à peine consolé par Nestor. Eurypile repousse les Grecs jusqu'auprès de leurs flottes. Minerve les ranime; le combat continue même pendant la Nuit. Enfin Eurypile accorde aux députés Argiens une suspension d'armes pour deux jours, qui seront employés à la sépulture des morts. Arrivée d'Ulysse et de Diomède à Scyros ; ils décident Néoptolême à les accompagner; douleur de Déidamie, sa mère, à son départ. Pyrrhus arrive, favorisé par les divinités de la mer, sur les bords Phrygiens, au moment Eurypile était prêt de forcer les retranchements des Grecs. Diomède à la vue du danger, s'élance à terre le premier ; tous prennent des armes à la hâte dans la tente d'Ulysse. Pyrrhus saisit celles d'Achille. Sa présence relève le courage des Grecs. Eurypile redouble ses efforts, mais en vain ! la nuit termine le combat. La sagesse des réponses de Néoptolême excite l'admiration d'Agamemnon et des autres Grecs qui le félicitent de sa bravoure et le comblent de présents. Il se retire dans la tente de son père. Vive douleur qu'il éprouve à la vue des objets qui lui rappellent la perte qu'il a faite. Les Troyens se réjouissent d'avoir Eurypile pour chef. De part et d'autre on se livre au sommeil.

 

CHANT VII.

Dès que la clarté de l'Aurore eût effacé les astres de la nuit et dissipé les ombres, la plupart des Grecs s'avancèrent pour combattre Eurypile. Les autres demeurèrent auprès des navires pour rendre les honneurs funèbres à Machaon et à Nérée. Ce dernier avait égalé par sa beauté les habitants même de l'Olympe ; mais les forces de son corps ne répondirent pas aux attraits de son visage : « Les Dieux ne versent pas sur un seul homme toutes leurs faveurs, une fatalité trop constante, toujours mêle le bien de quelque défaut ». Cependant les Danaëns pleurèrent également sa perte et celle de Machaon, savant dans l'art divin de guérir les blessures, et le même monument reçut les cendres des deux illustres morts.

Tandis qu'ailleurs tout retentit du tumulte des armes, que les traits ou les pierres tombent avec un bruit épouvantable sur les boucliers des combattants, Podalyre désespéré de la mort de son frère, et ne voulant plus lui survivre, se renverse dans la poussière et refuse toute nourriture. On le voit, tantôt armer son bras d'un poignard, tantôt chercher avec empressement le poison le plus mortel. Ses compagnons n'osant plus le retenir, tremblaient qu'il ne s'immolât de ses propres mains sur la tombe de Machaon, lorsque Nestor accourut vers lui ; il le trouve environné des ses esclaves et de ses amis désolés, se traînant sur le sable, se frappant la poitrine, et appelant à grands cris l'objet infortuné de ses pins vifs regrets.

« Ah ! lui dit alors le vieillard attendri, pourquoi nous affliger par l'excès de ta douleur? Un guerrier sage doit-il ainsi qu'une femme pusillanime répandre sur des cendres muettes des larmes inutiles; tes cris ne peuvent rappeler à la vie celui qui te fut si cher, son âme s'est élancée dans le vague immense des airs; son corps a été la proie des flammes, et la terre renferme ses ossements précieux. Tu accuses de rigueur le destin qui te l'enlève à la fleur de son âge? Et moi, ne devais-je pas regretter plus amèrement un fils également distingué par sa prudence et par sa valeur, un fils qui m'aima jusqu'à sacrifier généreusement sa vie pour sauver la mienne? Mais malgré l'accablement que j'éprouvai à sa mort, m'a-t-on vu me priver de nourriture, et chercher à me soustraire aux doux bienfaits de l'astre du jour. Mortels que nous sommes, apprenons à recevoir de la main des Dieux et le bonheur et l'infortune; sujets à la cruelle loi du sort, nous arrivons tous aux sombres rivages par des sentiers épineux, semés de peines et d'ennuis ».

« Puis-je, ô Nestor, répliqua Podalyre, fondant en larmes, puis-je assez regretter celui dont les tendres soins me consolèrent de la perte d'un père enlevé trop tôt du séjour des humains; celui qui m'apprit avec complaisance les secrets merveilleux de son art? Je mangeais à sa table, je goûtais avec lui le repos du sommeil ; ses richesses étaient les miennes. Maintenant, comment supporterai-je le jour que je ne peux partager avec lui »?

« Eh quoi! répondit le fils de Nélée, des afflictions passagères te feraient pour toujours abandonner la vie? Ignores-tu, ô mon fils, que les événements tiennent à une cause changeante et mobile? Quoique la parque inexorable nous prépare à tous une même fin ; quoique la même terre doive un jour nous recevoir dans ses entrailles, la carrière que nous avons à parcourir est différente et inégale. Les biens et les maux enveloppés d'un nuage de ténèbres sont confiés par les Immortels aux caprices de l'aveugle destin qui, du sommet de l'Olympe les jette sur nous, sans choix et sans discernement ; de même que les vents légers sont emportés dans leur course vagabonde. La pauvreté poursuit quelquefois l'homme le plus juste ; souvent aussi les richesses tombent au pouvoir des méchants. Ainsi, la fortune conduite par la main du hasard, nous est tour-à-tour et contraire et propice. Jamais mortel ne fut constamment heureux, ni à l'abri des révolutions dans le peu d'années qu'il eût à jouir de la vie. Les rudes épreuves ne doivent donc pas nous faire perdre l'espoir de jours plus sereins. Il n'a pas été dit en vain que les bons après le trépas- trouvent dans l'Olympe une récompense, et que les enfers ont des tourments pour l'impie. Machaon marcha sur les traces d'un père immortel, et sa bienfaisance le fit chérir des hommes. Ne doutons pas qu'il n'ait été comme lui placé parmi les. Dieux ».

En achevant ces paroles, il relève Podalyre, et l'arrachant malgré lui du tombeau de son frère, il le conduit jusques dans sa tente. Déjà les phalanges Achéennes avaient engagé le combat contre l'armée de Priam, commandée par Eurypile. Ce guerrier portant dans les rangs ennemis la fureur du dieu Mars, abattait sous ses coups une multitude infinie de Grecs, dont les corps pêle-mêle entassés avec ceux des Troyens couvraient un long espace du champ de bataille. Dans sa marche impétueuse, il foule et les morts et les mourants. Ses mains, ses pieds, tous ses membres dégoûtent de sang. Attaqué par le brave Pénéléon, il le renverse d'un coup de lance, et immole avec lui une troupe de soldats.

Tel autrefois l'invincible fils d'Alcmène vainquit et tua, dans les défilés du mont Pholus, les Centaures légers à la course, et redoutés dans les combats : tel l'implacable guerrier massacre les troupes belliqueuses des Danaëns, qui tombent autour de lui épars sur la poussière. Ainsi que les rives d'un torrent bruyant et rapide, battues par les flots écumeux, se fendent et s'écroulent de toutes parts ; ainsi les peuples d'Argos succombent sous les coups redoublés du puissant Eurypile; à peine quelques-uns ont-ils le temps d'échapper à la mort par leur vitesse et d'emporter avec eux le corps, et les dépouilles du vaillant Pénéléon. Hercule semble frapper de terreur les ennemis de son petit-fils, et revivre lui-même dans un jeune héros de son sang.

Les Grecs s'enfuient jusqu'auprès de la flotte, et se retirent derrière les remparts qu'ils avaient élevés pour défendre leurs navires. De même qu'à la chute subite de la grêle et des neiges dans les montagnes, les chèvres timides quittent les hauts lieux où elles paissaient, et s'enfoncent sous des rameaux ou dans les cavités des rochers, pour y attendre le retour heureux du calme et de la sérénité ; de même les Achéens tremblants restent près de leurs murs à l'abri des fureurs du redoutable fils de Télèphe.

Il menaçait de brûler les vaisseaux et de tailler en pièces toute l'armée ; mais en ce moment Minerve ranime le courage affaibli des Grecs qui font pleuvoir sur lui et sur les siens une grêle de traits meurtriers. Les assaillants, victimes de leur intrépidité, ne se relâchent ni le jour, ni la nuit même, leurs armes sont rougies de sang, l'air est frappé des cris des blessés; on combat avec un acharnement égal, tantôt près des navires, et tantôt sur les redoutes qui les défendent.

Après une attaque longue et meurtrière, Eurypile enfin accorda deux jours aux députés des Argiens, pour rendre les derniers honneurs à ceux qui avaient péri dans cette action sanglante; le carnage cessa donc et on recueillit les corps des guerriers étendus sur la plaine. Pénéléon fut surtout regretté des peuples de l'Achaïe, qui lui érigèrent un superbe monument digne de perpétuer dans tous les âges la mémoire de sa bravoure. Ils brûlèrent ensuite sur un même bûcher et renfermèrent sous la même tombe les restes précieux de tous les autres guerriers que le fer avait moissonnés. Les sujets de Priam rendirent aussi à leurs compagnons, les devoirs funèbres; mais le flambeau de la discorde fumait encore; Eurypile préparait de nouvelles attaques; il avait pris son poste à quelque distance de la flotte Achéenne, décidé à tout entreprendre contre les ennemis de Troie.

Cependant le vaisseau avait abordé l'île de Scyros, et les deux envoyés de l'armée des Grecs, vers le fils d'Achille l'avaient trouvé devant son palais, occupé à manier une lance, à décocher des flèches, et à dompter des coursiers fougueux. Ils virent avec une joie mêlée d'admiration qu'il dissipait par les exercices de la guerre, les regrets que lui causait la mort encore récente d'un père chéri. Plus ils s'approchent de lui, et plus ils sont frappés de sa ressemblance parfaite avec le grand Achille: Le jeune héros se hâte de les prévenir: et s'avançant vers eux : «Je vous salue, ô étrangers, leur dit-il, soyez bien venus dans mon palais ; dites-moi d'où vous venez? qui vous êtes? Quel besoin vous a fait franchir les mers et vous a conduits sur ces rives »? « Nous sommes, répondit Ulysse, les amis, et les compagnons du courageux Achille. Nous te voyons enfin, ô toi le fruit heureux de ses amours, avec Déïdamie; la taille est ta sienne, ta démarche est la même, tes traits nous rappellent son image ; comme lui, tu ressembles aux Immortels ! Ithaque est ma patrie ; Diomède qui m'accompagne, vit le jour dans le territoire d'Argos. Sans doute les bouches de la renommée ont publié jusques dans ces lieux son nom et le mien. Je suis Ulysse. Des oracles sûrs et respectés me commandent de venir ici réclamer le secours de ton bras ; sois touché de nos maux, viens réparer nos pertes ; ta seule présence doit terminer avec gloire une guerre que des flots de sang n'ont pu encore éteindre ; tous les peuples de la Grèce, t'offriront des présents; tu paraîtras avec les armes de ton illustre père. Supérieures à toutes les autres par leur beauté, elles ne peuvent être comparées qu'à celles, du Dieu des combats; l'or y brille de toutes parts, et cet ouvrage sorti des mains de Vulcain a mérité les louanges de tous les Immortels. Le bouclier représente lui seul tous les prodiges de la terre, de la mer et des cieux; l'art y a fait revivre tous les animaux avec leurs traits et leurs mouvements; jamais si belle armure n'avait été au pouvoir d'un mortel; oui, ton père que nous regardions comme issu du sang des Dieux, Achille seul fut digne de la porter : mon amitié pour lui s'étendit au-delà même du trépas. Je vainquis une foule de Troyens qui me disputaient son corps. J'emportai dans ma tente ses riches dépouilles, et Thétis elle-même me les accorda pour prix de ma valeur; dès aujourd'hui je te les abandonne ; elles seront à toi, dès que tu auras abordé les rivages de Phrygie. Enfin après la prise de Troie et notre retour dans la Grèce, Ménélas, pour te combler de ses bienfaits, unira tes destinées à celles de sa fille. Ainsi la fortune et ses trésors couronneront ton choix ».

« J'obéis, dit alors Pyrrhus aux envoyés, l'ordre du Ciel est que je vole au secours de notre armée. Demain je yeux traverser avec vous les flots qui m'en séparent. Venez en ce moment dans mon palais, partagez avec moi les plaisirs de la table et de l'hospitalité. Je remets à la volonté des habitants du Ciel, le soin d'assortir les nœuds de mon futur hyménée ».

A ces mots il marche devant eux; ils le suivent avec empressement, et entrent avec lui dans une salle vaste et magnifiquement ornée. C'était là que Déïdamie, regrettant la perte de son époux, consumait ses plus beaux jours dans des pleurs intarissables; ainsi la neige sur les montagnes, se fond aux rayons du soleil, ou par le souffle d'un vent chaud et humide. Ils la saluent avec des paroles pleines de respect, et son fils s'approche pour lui annoncer le nom et la patrie de ses nouveaux hôtes. Mais il tint secret jusqu'au lendemain le motif de leur arrivée : il craignait que cette mère tendre n'en fût accablée de douleur, et n'employât pour le retenir, les prières et les larmes.

Vers le déclin du jour et après le festin, les deux convives se retirèrent pour goûter les douceurs du repos, dans le silence de la nuit ; les habitants de l'île de Scyros, battue de tous côtés par les vagues bruyantes de la mer Egée, dormaient assoupis par les vapeurs d'un paisible sommeil. Déïdamie seule, repoussant les bienfaits de Morphée, se livrait aux plus mortelles inquiétudes. Ulysse et Diomède avaient autrefois entraîné son époux à cette guerre funeste, où l'attendait la parque meurtrière. Leurs noms odieux lui rappelaient l'objet éternel de ses regrets et de l'affliction de Pélée ; elle tremblait d'avance pour les jours d'un fils, trop avide de la gloire des combats.

Dès que le char étincelant de l'immortelle Aurore eut reparu dans les Cieux, Pyrrhus, Ulysse, et le fils de Tydée, sortirent brusquement du lieu où ils avaient pris le repos de la nuit. A cette précipitation, Déïdamie ne doute plus de son malheur; aussitôt de sa poitrine enflée par de longs soupirs, s'échappe un cri fort et pénétrant. Tel au printemps un taureau indompté appelle sa génisse par des mugissements répétés, qui se répandent dans les forêts et les montagnes voisines : telle l'infortunée Déïdamie frappe de ses accents douloureux, et les murailles et les voûtes de son palais.

« O Néoptolême, ô mon fils, s'écrie-t-elle; quoi! tu suivras ces étrangers sur des rivages tout fumants du sang de nos héros les plus fameux; jeune encore et peu exercé dans les travaux périlleux de Bellone, tu t'éloignes d'une mère qui te chérit et que va bientôt accabler la triste nouvelle de ta mort. Non, je ne te reverrai plus en ces lieux; ton père, sorti des flancs de Thétis, ton père, le plus puissant des guerriers, a péri sur les bords Phrygiens, et par les conseils perfides de ceux qui veulent aujourd'hui t'enlever à ma tendresse. Arrête, ô mon fils, crains de me livrer, en mourant, aux horreurs d'une éternelle solitude. Quand la mort a moissonné l'époux et les gages vivants de son amour, des ravisseurs inhumains ne manquent jamais de piller et disperser l'héritage ; est-il un plus déplorable sort que celui d'une veuve isolée sans ressource et sans appui».

A ces mots, qu'elle interrompit par des gémissements profonds, le fils attendri, répondit d'un ton à-la-fois ferme et respectueux : « Rassurez-vous, mère trop sensible, bannissez ces noirs pressentiments d'un fâcheux avenir ; nul homme ne périt sans l'ordre du destin ; si je dois être frappé des coups du sort, que ce soit en défendant la cause des Achéens; j'illustrerai le nom et la gloire des Eacides, et je vengerai le noble sang dont je suis sorti ».

Il dit; et pendant qu'il cherche à s'éloigner, le vieux roi Lycomé de lui adresse ce discours : « Digne fils d'un père courageux, j'admire ta force et je loue ta bravoure; mais je crains pour toi les fureurs de Mars, et plus encore l'inconstance des flots. Les navigateurs ont toujours à leurs côtés la mort menaçante. Je tremble, ô mon fils, que tu ne quittes ces rivages dans le tems où le Soleil passe du Sagittaire au signe orageux du Capricorne, ou lorsqu'il partage également avec Phébé le jour et les ténèbres. Redoute aussi l'instant souvent fatal où l'approche d'Orion (1) précipite les Pléiades dans les eaux du noir Océan. Le lever, ou le déclin de certains astres peut encore creuser sous tes pas mille abîmes; vois quelles seront tes peines et nos inquiétudes ».

En achevant ces mots, il l'embrasse et ne s'oppose plus à son dessein. Le jeune héros sourit, et d'un air satisfait avance vers le navire; mais les prières d'une mère éplorée suspendent encore son départ. Tel un coursier fougueux qu'on a peine à retenir, ronge le mors blanchi de flocons écumeux qui tombent de sa bouche, et qui mouillent sa poitrine ; ses pieds impatiens frappent la terre et lancent avec bruit le sable et les cailloux; ses crins hérissés flottent épars sur son col; il lève en hennissant une tête superbe, dont la fierté rebelle plaît au maître qui le contraint d'obéir. Tel l'impétueux fils d'Achille veut se dérober aux tendres efforts d'une mère,' à qui son intrépidité le rend encore plus cher.

Elle le presse sur son sein agité; mille fois il reçoit ses adieux. Enfin il se sépare d'elle, et la laisse en proie aux regrets les plus amers ; ainsi l'hirondelle plaintive, dont un serpent cruel a dévoré les tendres petits, vole en gémissant au tour des murs et des portiques où elle avait construit son nid, et appelle par des cris inutiles les fruits malheureux de ses innocentes amours; ainsi cette mère désespérée, tantôt se renverse sur le lit où avait reposé son fils, tantôt à la vue des appartements qu'il avait habités, elle renouvelle les accents de sa douleur; où si elle trouve un des javelots qui avaient exercé les mains encore novices de Néoptolême, et d'autres instruments plus légers qui charmèrent les loisirs de sa première enfance, elle les saisit, les serre dans ses bras, les couvre de baisers, les arrose de ses larmes et redouble ses sanglots.

Le jeune héros sourd à ces plaintes, avançait vers le port d'un pas précipité. Auprès de lui étaient Ulysse et Diomède ; vingt esclaves choisis par Déïdamie et chargés par elle d'exécuter les ordres de son fils, traversent la ville avec lui. Brillant comme un astre au milieu de ceux qui l'accompagnaient, il marche d'un air triomphant ; sa présence réjouit Thétis et les autres filles de Nérée. Le dieu des mers voit avec transport s'approcher des vastes plaines de son empire, un guerrier qui à peine à la fleur de l'âge, vole dans des régions éloignées aux combats et à la victoire.

Tel paraît le redoutable Mars, prêt à fondre sur des ennemis qu'il menace de sa fureur, lorsqu'un cercle tout rayonnant de lumière repose sur sa tête, lorsque le feu étincelle dans ses yeux, et que la majesté qui relève l'éclat de son visage, inspire de la frayeur aux Dieux mêmes : tel, et à de semblables traits on reconnaît le fils d'Achille, entre tous ceux qui formaient son cortège. Les peuples qui se portaient en foule sur son passage, faisaient pour son retour des vœux qui furent entendus des Immortels.

Déjà le héros touche le rivage où la mer vient briser ses flots tumultueux; des matelots empressés préparent et les mâts et les voiles. Il monte; aussitôt on délie les câbles, on lève les ancres qui retiennent encore le vaisseau. L'épouse d'Amphitrite jetant sur les navigateurs un regard favorable accélère leur course, de peur que les Grecs privés plus long-tems du secours qu'ils attendent, ne succombent sous les efforts des Troyens et d'Eurypile. Les deux, envoyés assis aux côtés du fils d'Achille, l'entretiennent des exploits fameux de son père, des conquêtes qu'il avait faites avec ses flottes, des combats qu'il avait livrés dans la plaine au redoutable Télèphe, des victoires qu'il avait remportées sur les Troyens, de son démêlé avec les Atrides. Le récit de ses actions héroïques plaisait au jeune guerrier et enflammait son courage.

Cependant Déïdamie versait des torrents de larmes brûlantes qui la consumaient ; ainsi que la cire molle et l'étain flexible se fondent par l'ardeur des charbons embrasés. Elle pleura tout le jour, une mère tendre peut-elle voir d'un œil sec et tranquille un fils qu'elle aime, courir à des combats toujours funestes. Tandis qu'elle porte au loin ses regards inquiets, le navire échappant à sa vue fatiguée, se perd dans le lointain, et semble se confondre avec les nuages. Poussé par un vent impétueux, il rase les plaines liquides, fend les flots et les fait voler en écumes. A l'entrée de la nuit, il avait déjà parcouru des espaces immenses, et malgré les ténèbres, il continua de voguer à pleines voiles à l'aide des vents et du pilote.

On découvrit avec l'aurore la cime des montagnes de l'Ida, et Chryse et Smynthe, où Apollon avait un temple fameux, et la pointe du cap de Sigée, où était lé tombeau d'Achille. Le sage fils de Laërte, pour ne pas affliger Néoptolême, évita de lui faire observer ce monument de l'illustre descendant d'Eacus. Après qu'on eût passé les îles Calydnées : et Ténédos, on aperçut Pteleum, où reposaient les cendres de Protésilas, sous un monument ombragé par des ormes, dont les branches se dessèchent (2) dès qu'elles sont élevées à la hauteur de la cité de Troie ; bientôt en forçant de rames, on rejoignit la flotte rangée à la vue des côtes d'Ilion.

En ce moment, les Argiens épuisés; défendaient à peine les retranchements qui mettaient à couvert leurs navires, et le puissant Eurypile était sur le point de les renverser de ses mains. Diomède remarquant le danger, s'élança promptement hors du vaisseau, et crie de toute sa force : « Braves compagnons, de quels malheurs sommes-nous aujourd'hui menacés? Saisissons nos armes et volons au combat. Déjà les Troyens victorieux assiègent nos remparts; s'ils viennent à bout de les forcer, ils porteront la flamme sur nos vaisseaux ; et nous, contre l'ordre des destins, privés à jamais du doux espoir de retourner dans notre patrie, nous périrons dans les champs de Troie, loin de nos femmes et de nos enfants ».

A ces mots ; tous sortent du navire, tremblants et saisis d'effroi. Le seul Néoptolême, non moins intrépide que son père, ne paraît occupé que du désir de signaler sa bravoure. On entre dans la tente d'Ulysse, la plus voisine du rivage. Là étaient déposées ses armes et celles qu'avec ses compagnons il avait enlevées aux ennemis vaincus. Les plus robustes des guerriers prennent les plus fortes ; les autres en choisissent de plus faibles. Ulysse, accompagné de ses Ithaciens, se couvre promptement de son armure, et donne à Diomède celle dont il avait dépouillé le brave Socus.

Le fils d'Achille se montre, enfin avec les armes de son père. Elles s'ajustaient parfaitement à ses membres vigoureux. Trop longues et trop massives pour tout autre, elles semblaient légères pour lui. Sa tête n'était point surchargée d'un casque si pesant. Il savait le quitter et le reprendre avec l'aisance et les grâces d'un guerrier exercé. Dès que les Argiens l'aperçoivent : ils s'efforcent de se ranger autour de lui, mais trop pressés par les ennemis, ils l'attendent en défendant avec un nouveau courage leurs retranchements. Ainsi des navigateurs jetés par la tempête sur les bords d'une île déserte, et contrains d'errer longtemps au gré des flots, voient à regret leurs vivres se consumer et leurs espérances s'évanouir ; mais lorsqu'un vent favorable vient enfler les voiles, ils reprennent aussitôt leurs sens et poussent des cris d'allégresse. Ainsi la seule présence du jeune Néoptolême fait renaître dans tous les cœurs et l'espoir et la joie.

Accompagné d'une foule de guerriers, il part, les yeux étincelants comme ceux d'une lionne en furie, qui s'élance en rugissant sur les chasseurs prêts à arracher de leur repaire ses lionceaux sans défense ; il se jette au fort de la mêlée vers le côté du retranchement qui opposait moins de résistance. Là, Eurypile et les siens déjà maîtres des redoutes avancées, se flattaient de forcer bientôt le passage et d'exterminer tous les Grecs. Mais le Ciel ne secondait pas leurs desseins. Pyrrhus, Ulysse, Diomède les repoussèrent par une grêle de traits, de même que les bergers courageux, par leurs cris et à l'aide de leurs chiens, mettent en fuite des lions avides qui l'œil enflammé rôdent en rugissant autour des bœufs et des génisses qu'ils cherchent à dévorer.

Le fils de Télèphe, loin de céder aux efforts de ces nouveaux ennemis, ranime l'ardeur de ses soldats, et les exhorte à ne point cesser l'attaque qu'ils ne se soient emparé des navires, et qu'ils n'aient massacré les peuples d'Argos.

En même temps poussé par une force invisible, il lève une pierre d'une grosseur démesurée, et frappe avec tant de violence, que le rempart est ébranlé jusques dans ses fondements. A ce coup, les Achéens épouvantés, crurent que leur mur s'écroulait entièrement ; mais ils ne reculèrent point, et semblables à ces Lynx ou à ces louves qui pour sauver leurs tendres petits, résistent aux attaques des chiens et des bergers acharnés à les détruire, ils défendaient opiniâtrement et leur flotte et leurs murailles. Eurypile furieux, tâche en vain de les intimider par ces paroles : » Faibles Grecs, vos traits ne vous garantiraient pas de ma colère, si vous n'étiez couverts par vos retranchements. Vous tremblez devant moi comme de vils animaux à l'aspect du lion irrité. Mais abandonnez votre asile ; descendez avec moi dans la plaine; bientôt mon bras rougi de votre sang vous étendra tous sur la poussière ».

Menaces impuissantes. Lui-même atteint d'un coup mortel, devait peu de jours après expirer sous le fer de Néoptolême. Celui-ci combattait avec succès les soldats de Priam, qui contraints d'abandonner le rempart et les retranchements, se replièrent vers Eurypile. Tels éblouis du feu des éclairs, effrayés par les éclats bruyants de la foudre, des en-fans en bas âge embrassent en tremblant les genoux de leurs pères. Tels les Troyens et leurs alliés entendant siffler autour d'eux les flèches et les dards, se rangent promptement auprès de leur chef.[1]

Frappés d'une terreur aveugle, ils croient revoir Achille dont ils reconnaissent les armes; la honte seule leur fait encore dissimuler entre eux le trouble qui les agite. Ils craignent aussi que leur frayeur ne se communique aux Cétéens et à leur roi Eurypile. Tels des voyageurs qui marchent ensemble dans des sentiers difficiles, sont arrêtés par un torrent rapide dont les eaux se précipitent à travers les rochers. La crainte du péril les retient, et aucun n'ose tenter le passage. Ainsi les troupes de Priam demeurent sans action, auprès des barrières élevées par les Achéens, et n'entreprennent plus de les forcer. Eurypile seul soutient encore leur courage, et se flatte de triompher de l'ennemi, en le fatiguant par des attaques réitérées.

Mais Minerve qui veille sur la destinée des Grecs, descend pour les secourir, des superbes palais du haut Olympe. Elle plane au-dessus des montagnes et ne laisse sur la terre aucune trace de ses pas. Plus légère que les vents et les nuages, elle fend les airs et d'une course rapide, arrive dans les champs de Troie. Ses pieds reposent sur le sommet du promontoire de. Sigée ; elle fixe des yeux les combattants et distingue les Argiens, qu'elle veut appuyer de sa faveur. Aussitôt le digne fils du grand Achille se sent animé de cet esprit de force et d'intrépidité qui ouvre aux hommes la carrière de la gloire, et qui doit surtout illustrer un héros sorti du sang de Jupiter, et né d'un père invincible. Plein de confiance et d'audace, il déployé son bras homicide, et immole à sa vengeance une foule d'ennemis. Tel un pêcheur ardent à signaler son art contre les craintifs habitants des eaux, cache d'abord dans le vaisseau une flamme perfide, puis la faisant briller à propos, il lance en même tems le harpon (3) meurtrier sur les poissons attirés par le vif éclat de la lumière ; tel le redoutable Néoptolême se montre alors sur le rempart où il renverse en un moment un nombre infini de soldats.

Les autres Grecs, à son exemple, combattent en différents endroits des retranchements; le rivage, les vaisseaux, les murailles retentissent du bruit des armes et des cris des blessés. Les deux nations rivales s'épuisent de fatigues, et le bras des guerriers ne seconde plus leur ardeur. Le jeune descendant de Pélée seul conserve et sa force et sa bravoure; semblable au fleuve tranquille, qui voit s'éteindre sur ses bords un feu menaçant poussé par des vents impétueux, ce héros infatigable, inaccessible à la crainte, partout soutient et encourage ses troupes.

Mille traits qu'on fait voler sur lui de toutes parts, glissent sur ses armes, et retombent ainsi que la grêle, qui frappe inutilement le sommet d'une roche escarpée; travaillés par Vulcain, son casque épais et son large bouclier étaient à l'épreuve des flèches les plus acérées, et des coups les plus violents. Il s'enhardit de ses premiers succès ; fier de la supériorité de son armure, et impatient de venger la mort de son père, il appelle aux remparts tous les Grecs, et les exhorte à combattre avec lui

Dociles à sa voix, les Myrmidons redoublent leur ardeur, et s'empressent de seconder la bravoure de leur chef. Ce fut alors qu'il tua Celte et Eubœé, tous deux fils de Mégès, riche descendant du puissant roi Dymas. Le premier était célèbre par son adresse à tirer de l'arc; et le second se distinguait par son habileté à manier la lance et, à diriger un coursier dans les combats. Hyperœbie les avait enfantés en un même jour, sur les bords du Sangare ; mais ces jumeaux infortunés ne purent jouir longtemps de leurs vastes héritages, et les parques terminèrent trop tôt leur rapide carrière. Ensemble ils avaient pour la première fois ouvert les yeux à la lumière; ils descendirent ensemble dans l'empire ténébreux. L'un fut atteint d'un trait qui lui perça le cœur ; l'autre fut frappé d'une pierre énorme qui brisant son casque lui ouvrit la tête, et en fit jaillir au loin la cervelle. Avec eux périt une multitude innombrable de Troyens et d'Alliés; la nuit seule mit fin à cet affreux carnage.

Les noires ombres effaçaient les traces du Dieu du jour. Les soldats du brave Eurypile s'éloignèrent des navires et laissèrent à l'ennemi quelques heures de repos. Eux-mêmes s'étaient épuisés dans cette attaque sanglante, où la flotte entière aurait été consumée par le feu, et où les Grecs auraient infailliblement succombé, sans la présence et le secours du vaillant Néoptolême. Le sage Phœnix plein d'admiration pour ce jeune héros, voulut le féliciter de sa victoire; mais le souvenir de la perte d'Achille étouffait dans le cœur du vieillard la joie dont il était pénétré. Ainsi les plaisirs des humains sont toujours mêlés de quelque amertume.

En abordant Pyrrhus, il ne peut retenir ses larmes; il le serre étroitement comme un père tendre embrasse un fils chéri, que de longs malheurs ont retenu pendant des années entières loin de ses foyers. Il colle sa bouche sur le visage et la poitrine du jeune guerrier, et lui adresse ces paroles :

« Sois toujours heureux, ô digne fils du grand Achille, de ce héros dont la première enfance fut confiée à mes tendres soins. Je le vis croître comme l'heureux rejeton de Vertumne. O moments chéris, où je le pressais contre mon sein, où j'entendais sa voix, où mes regards s'arrêtaient sur les siens ! je l'aimai comme mon fils; je lui tins lieu de père, et mille fois sa bouche innocente m'appela de ce nom si doux. Nous n'avions qu'une même âme et un même sentiment ; mais protégé du Ciel, il eut sur moi l'avantage de la force, et sa taille fut comparable à celle des Immortels. Pyrrhus ! je reconnais en toi ses traits et son image. Il me semble le revoir aujourd'hui parmi nous. Hélas! le souvenir accablant de sa mort augmente le poids de ma languissante vieillesse: Plût aux Dieux que j'eusse terminé mes jours, tandis qu'il vivait encore! ma dernière consolation eût été de recevoir les honneurs funèbres d'une main aussi chère. O mon fils, partage ma douleur, et non la faiblesse où elle me réduit, commande aux Myrmidons; rends le courage aux Grecs abattus; venge ton propre sang; mets ta gloire à triompher d'un guerrier qui s'acharne à nous perdre ; terrasse le de ces mêmes armes que ton père employa jadis avec succès contre le sien (4) »

« Reposez-vous sur moi, sage vieillard, répondit le fils d'Achille ; la victoire est entre les mains du sort; mais vous pouvez dès ce moment être témoin de ma valeur. » Il parlait encore, et avant de quitter les armes, il voulait poursuivre l'ennemi hors des retranchements. Mais la nuit qui suspend les travaux des mortels avait élevé des extrémités de l'Océan, son voile épais et sombre. Il s'arrête donc et demeure auprès des navires.

Les Grecs dans leurs éloges, l'égalaient à son père, et s'empressaient de lui marquer leur reconnaissance par des présents magnifiques, où brillaient les plus riches métaux (5) ; les uns apportent des vases remplis d'un vin ronge et délicieux; les autres lui présentent des captives choisies ; d'autres lui amènent des coursiers rapides ; ceux-ci lui offrent des armes distinguées, et ceux-là des habits précieux où l'on admirait le goût et l'intelligence des femmes qui les avaient travaillés»

La richesse de ces dons parut flatter le jeune Néoptolême ; il ne fat pas moins sensible aux louanges que tous lui prodiguèrent dans les tentes et au milieu du festin. On le comparait aux Immortels, et Agamemnon le chef de toute l'armée, le félicita en ces termes : « Quel bonheur pour nous, ô mon fils ! les traits de ton visage, ta démarche, ta bravoure, tes vertus, tout nous rappelle le célèbre descendant d'Éacus. Ton bras comme celai de ton invincible père, va foudroyer nos ennemis et précipiter la ruine de la ville de Priam ; oui, je crois voir Achille menaçant de venger son fidèle Patrocle ; il revit en toi ; c'est lui qui de l'immortel séjour de l'Olympe qu'il habite, t'envoie au secours de nos guerriers épuisés »:

« O Agamemnon ! reprit alors Néoptolême, plût aux Dieux que mon père habitât encore le séjour des vivants; il verrait en moi un fils qui n'a point dégénéré de la valeur de ses aïeux ; bientôt vous serez témoin de mes exploits, si le Ciel conserve mes jours et couronne mes vœux ». Il dit ; et tous ceux qui l'écoutaient furent ravis d'admiration.

Après le festin, on le conduisit dans la tente de son père, où des femmes s'empressèrent de lui rendre les mêmes honneurs qu'à leur ancien maître. A la vue de ces captives et des armes d'un grand nombre de Troyens qu'Achille, avait vaincus, le jeune héros pousse des soupirs, et regrette amèrement l'auteur de ses jours. Tel le nourrisson d'une lionne, tombée récemment sous le fer des chasseurs, rentre seul en son repaire dans le réduit, escarpé d'une forêt obscure; il rugit à l'aspect des ossements arides d'animaux, dont les chairs lui ont servi de nourriture, et ces tristes débris lui rappellent les soins et les travaux d'une mère attentive : tel Néoptolême est pénétré de la plus vive douleur, lorsqu'il trouve dans sa tente les nombreux monuments des victoires de son auguste père.

Mais la joie était peinte sur le visage des jeunes captives, réunies autour de lui. Briséis elle-même, si affligée de la perte de son époux, crut le voir de nouveau, et les transports de l'allégresse, suspendirent quelque tems le vif sentiment de ses peines. D'un autre côté, les Troyens se réjouissaient dans leur camp, et comblaient d'éloges le courageux fils de Télèphe. « C'est ainsi, disait chacun d'eux, c'est ainsi qu'Hector autrefois combattait les Grecs; ainsi défendait-il la ville de Priam et la fortune des citoyens ».

Cependant la vapeur bienfaisante de Morphée descendait sur les paupières appesanties des habitants de la terre. Les guerriers des deux nations se reposant sur des sentinelles vigilantes, s'abandonnèrent aux charmes d'un sommeil paisible.


 

NOTES DU CHANT VII.

 

(1) Orion. Double allusion à la place qu'occupe Orion auprès du taureau, où sont aussi les Pléiades, et à la fable qui représente les Pléiades fuyant devant Orion, devenu éperdument amoureux d'elles.

(2) Se dessèchent. J'ai suivi le texte rétabli par Paw. Plin. Liv. 16. Chap. 44, fait mention de ce prodige fabuleux.

(3) Le Harpon. Le Grec porte τανυγλωχίνι τριαίνῃ qui veut dire trident, ou longue fourche à trois dents, ou fourchons. Nous n'avons plus d'instruments pareils qui soient destinés à cet usage ; je n'ai pu traduire ce mot Grec que par celui de Harpon, qui n'a que deux branches, ou si l'on veut deux dents. On se sert du Harpon, pour percer et attirer ensuite les baleines ou autres gros cétacés.

(4) Le sien. On peut se rappeler ce que nous avons dit au chant cinquième, que Télèphe, roi des Mysiens, et père d'Eurypile, ayant refusé à l'armée des Grecs qui partaient pour l'expédition de Troie, la permission de traverser ses états, fut obligé de leur livrer un combat sanglant. Télèphe avait dispersé presque toute l'armée des Grecs, lorsqu'Achille soutenant seul ses efforts, le blessa, et le força enfin d'accéder aux propositions qu'on lui avait faites. Pindare dit dans la neuvième de ses odes olympiques, que Patrocle, fils de Ménétius, combattant à côté d'Achille, contribua beaucoup à décider la victoire en faveur des Grecs.

(5) Où brillaient les plus riches métaux: (L'or, l'argent, le fer, le cuivre). Je place ici l'énumération de ces métaux qui déparerait le texte, et que je dois cependant nommer, pour qu'on sache en quoi on faisait consister la richesse dans ces tems héroïques.

Observation sur le septième chant.

La lecture de ce chant, offre beaucoup d'intérêt. J'ai craint de le diminuer par des remarques souvent inutiles. Entre les comparaisons qui s'y trouvent, on a pu remarquer celle de « l'hirondelle, dont un serpent a dévoré les tendres petits ». Rhodoman fait une longue digression sur ce passage. Il remarque 1° que d'autres auteurs Grecs et Latins ont fait la même comparaison et presque dans les mêmes termes : il cite avec raison à ce sujet Théocrite, et d'autres auteurs dont il rapporte le texte ; il remarque en second lieu que ces auteurs parlent sans doute d'une espèce de dragon volant, semblable à ceux qu'on dit exister en Afrique.

Paw se moque de ces traits d'érudition de Rhodoman; cependant on peut observer, s'il m'est permis de dire quelque chose à cet égard ; 1° que chez les anciens, les mots dragon et serpent sont synonymes. Car Quintus dit au chant treizième que la déesse fit sortir de Calydna deux dragons Βίην Καλέεσκε δράκοντων. Or ces dragons n'avaient rien d'extraordinaire que leur grosseur démesurée, si l'on en croit Virgile.

Sinuatque immensa volumine terga. Virgile, Lib II. v. 208.

Au vers 204, il leur donne le nom de angues: (Horresco referens) immensis orbibiu angues.

De serpents au vers 214. Corpora natorum serpens amplexus uterque.

Et enfin de dracones au vers 225 : At gemini lapsu delubra ad summa dracones.

Homère parle aussi d'un serpent au vers 93 du vingt-deuxième chant de son Iliade. ἠς δὲ δρακών, etc. On voit qu'il se sert du mot dragon, et cependant au vers 95 il suppose que ce dragon forme avec son corps des replis tortueux autour de l'endroit où il se cache pour surprendre le voyageur ἑλίσόμενος περὶ χεῖῃ, ce qui désigne qu'il est question d'un serpent ordinaire.

Les poètes se sont donc servi indistinctement du mot dragon ou serpent, selon que l'exigeait la mesure de leurs, vers.

2°. On peut entendre par ce mot serpent, dans la comparaison dont il s'agit, le reptile connu sous le nom de lézard, qui grimpe facilement le long des murs et peut s'élever jusque sur les toits. 3°. Enfin si l'on veut que le serpent qui fait le sujet de la comparaison, soit un serpent dragon ; on entendra par ce mot, le serpent ou lézard que nous connaissons sous nom de dragon, lequel a quatre pieds et des ailes comme nos chauves-souris.

 

Fin du septième Chant.


 

[1] J'ai consulté ici le sens plus que le texte qui est très altéré.