Nonnos

NONNOS

LES DIONYSIAQUES ou BACCHUS.

Chant neuvième.

Traduction française : LE COMTE DE MARCELLUS.

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

chant VIII - chant X

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NONNOS

 

DIONYSIAQUES.

 

CHANT NEUVIÈME.


Regardez le neuvième livre, et vous verrez le fils de Maïa, les filles de Lamos, Mystis, et le palais d'lno.


Cependant, à la sortie des flancs embrasés de Sémélé, Jupiter reçut Bacchus formé à demi, fruit de cette délivrance produite par la foudre; il l'enferma dans la couture de sa cuisse masculine, et attendit le cours de la Lune qui devait amener la maturité. Bientôt sa rondeur s'amollit sous les douleurs de l'enfantement; et l'enfant qui avait passé avant terme du giron d'une femme dans un giron masculin vint au monde sans quitter une mère. Car la main du fils de Saturne, présidant elle-même à la naissance, détruisit les obstacles et dénoua les fils qui recousaient la cuisse génératrice. A peine échappé à cet accouchement divin, les Heures, qui en avaient marqué le temps, couronnèrent Bacchus de guirlandes de lierre en présage de l'avenir (01). Elles ceignirent sa tète chargée de fleurs et ornée déjà de cornes de taureaux avec les anneaux tortueux et les cornes des dragons. Puis, l'enlevant de la colline de Draconie (02) qui l'avait vu naître, Mercure, le fils de Maïa, s'envola au milieu des airs, le tenant dans ses bras repliés, et lui donna le premier le nom de Dionysos, en souvenir de son origine paternelle. Car, dans la langue de Syracuse, Nysos signifie boiteux, et Jupiter boitait lorsqu'il marchait portant dans sa cuisse le fardeau de sa grossesse (03). On le nomma également Éraphiote, le dies Cousu, parce qu'il venait d'être cousu dans la cuirs féconde de son père.

C'est ainsi qu'à la suite de ces couches surnaturelles, Mercure, son allié, emporte dans ses bras l'enfant déjà semblable à la lune, aux belles cornes, et qui ne verse pas une seule larme. Il chargea les nymphes, filles du fleuve Lamos (04) du soin de ce rejeton de Jupiter, à la chevelure parée de grappes. Elles le reçurent dans leurs bras, et chacune d'elles offrit d'elle-même à sa bouche enfantine le lait de son sein. Renversé sur leurs genoux, et ne sommeillant jamais, le dieu tendait constamment son regard vers le ciel, et se plaisait à battre l'air de ses pieds alternatifs. A la vue du pôle nouveau pour lui, il observait avec stupeur la rondeur des astres de sa patrie, et souriait.

Mais bientôt l'épouse de Jupiter aperçut le divin nourrisson, et s'irrita. Par l'effet de sa terrible colère, les filles du Lamos devinrent furieuses sous le fouet de la méchante divinité. Dans leurs maisons, elles se précipitaient sur leur suivantes; dans les maisons, elles égorgeaient les voyageurs avec leurs poignards. Elles jetaient des cris horribles, et, au milieu de violentes convulsions, les roulements de leurs yeux défiguraient leurs visages ; elles couraient ça et là au gré de leur frénésie, tantôt tournoyant et bondissant sur leurs pieds mobiles, tantôt livrant aux ouragans leurs chevelures errantes. Les voiles safranés de leur poitrine blanchissaient sous l'écume de leur bombes Dans leur démence et dans l'excès de leur délire, elles auraient mis en pièces Bacchus lui-même, tout enfant encore, si Mercure, se glissant pas à pas et en silence, ne l'eût dérobé une seconde fois sur ses ailes, le remportant apporté à peine dans ses bras protecteurs, et s'il ne l'eût déposé dans la maison d'Ino récemment accouchée.

Celle-ci venait de mettre au monde et berçait sur ses bras et sur ses genoux l'enfant Mélicerte; son sein gonflé regorgeait d'un lait abondant. Le Dieu lui parla ainsi d'une voix affectueuse, et lui dévoila les décrets des oracles divins :

« Femme, voici un autre fils. Recevez-le sur vos genoux. C'est, l'enfant de votre soeur Sémélé. Les éclairs de la chambre nuptiale ne l'ont point atteint, et les étincelles qui ont perdu sa mère l'ont épargné. Qu'il reste chez vous obscurément cachée et que l'oeil du Soleil pendant le jour, ni l'oeil de la Lune pendant la nuit, ne l'aperçoivent jamais hors de votre palais élégant; de crainte que Junon, bien qu'on l'invoque aussi sous le nom de déesse aux yeux de taureau, ne le découvre dans sa jalouse colère. Recevez l'enfant de votre soeur, et le roi des dieux vous récompensera dignement de vos peines de nourrice. Vous serez heureuse entre toutes les filles de Cadmus. Déjà Sémélé a succombé sous les traits de la foudre; la terre recouvre Autonoé avec ses fils ; et le Cithéron prépare pour tous les deux un monument commun. Agavé, joyeuse homicide de son fils, après avoir couru la montagne, et touché, sans la reconnaître, la tête de Penthée qu'elle aura immolé, abandonnera bientôt sa pairie. Vous seule serez justement célèbre. Vous habiterez la mer immense. Vous vivrez sous le nom de Leucothée avec votre fils l'immortel Mélicerte ; vous tiendrez sur la mer le sceptre des flots paisibles, et vous présiderez, avec Éole (05), aux navigations favorables. Sur votre foi, le nautonnier, avide du commerce, s'endormira dans sa traversée; il n'élèvera qu'un seul autel pour Mélicerte et pour Neptune, et viendra y sacrifier à tous les deux. Enfin ce même Neptune fera de votre fils Palémon le guide de son char maritime. Quant à vous, le Cithéron ne vous recevra pas dans ses flancs souterrains ; vous deviendrez l'une des Néréides, et, au lieu de Cadmus, c'est Nérée que, dans un avenir plus heureux, vous appellerez votre père. Vous aurez pour séjour la demeure de Neptune, et l'on vous invoquera sous le nom de la maritime Io, à l'égal de Thétis et de Galatée. »

A ces mots, Mercure, balançant dans les airs ses talonnières agiles, s'envole et disparaît dans les cieux.

Ino obéit; dans ses tendres soins, elle entoure de ses bras empressés Bacchus privé de mère; et portant à la fois sur son sein ce couple d'enfants, elle offre une double mamelle à Bacchus et à Palémon. Elle confie Bacchus à la garde particulière de la nymphe Mystis, la Sidonnienne Mystis à la riche chevelure, que Cadmus avait élevée dès son enfance pour le service intime d'Ino. C'est elle qui détachait l'enfant du sein où il puisait sa divine nourriture, et le renfermait dans un ténébreux réduit. Mais la lumière resplendissante de son front annonçait assez d'elle-même le rejeton de Jupiter : les murs les plus obscurs des palais s'illuminaient, et l'éclat de cet invisible Bacchus dissipait toutes les ombres. Ino, pendant toute la nuit, assistait aux jeux de l'enfant ; et souvent Mélicerte, se hâtant d'un pas incertain, rampait vers Bacchus, qui balbutiait le cri d'Evohé, et venait presser de ses lèvres rivales la mamelle voisine.

Après le lait de sa maîtresse, Mystis donnait au dieu ses autres aliments, et veillait sur lui sans jamais s'abandonner au sommeil. Habile dans son zèle intelligent, et exercée dans l'art mystique dont elle portait le nom, c'est elle qui institua les fêtes nocturnes de Bacchus; c'est elle qui, pourchasser le sommeil loin des initiations, inventa le tambourin (06), les grelots bruyants, et le double airain des cymbales retentissantes. La première, elle alluma les torches de mélèze pour éclairer les danses de la nuit, et fit résonner Évohé en l'honneur de Bacchus, ami de l'insomnie. La première aussi, courbant :les tiges des fleurs en guirlandes, elle ceignit sa chevelure déployée d'un bandeau de pampres, et tressa le lierre autour du thyrse; puis elle en cacha la pointe de fer sous le feuillage, pour que le dieu n'en fût pas blessé. Elle voulut que les phalles (07) d'airain fussent attachés sur les poitrines nues des femmes, et les peaux de cerf sur leurs flancs; elle inventa le rit de la corbeille mystique (08), toute pleine des instruments de la divine initiation, jouets de l'enfance de Bacchus ; et la première elle attacha autour du corps ces courroies entrelacées de reptiles, où le dragon formant ses replis sur la ceinture doublée, serpente en arrondissant ses noeuds.

Ce fut là sous la garde et sous les nombreux verrons de la discrète Mystis (09), dans un coin du palais, que les regards infaillibles de la soupçonneuse Junon découvrirent Bacchus. Elle jura alors par l'onde infernale et vengeresse du Styx d'inonder de malheurs la maison d'Ino ; et sans doute elle eût exterminé le fils de Jupiter lui-même, si Mercure ne l'eût promptement emporté dans les hauteurs de la forêt de Cybèle; Junon y courut aussi de toute la vitesse de ses pieds mal affermis dans les airs. Mais Mercure arriva avant elle, et emprunta aussitôt la forme éternelle de l'antique Phanès. Junon, à l'aspect des rayons de ce front trompeur, dans ses égards pour le plus ancien des dieux, lui céda les honneurs du pas, et ne s'aperçut si de la métamorphose ni de la ruse. Mercure parcourt ainsi, plus vite qu'elle, la route des montagnes, porté sur ses bras entrelacés le dieu cornu à la démise Rhéa, nourrice des lions, qui fait naître Jupiter; puis il dit ce peu de mots à cette mère du plus noble enfant :

« Accueillez, déesse, le nouveau fils de votre Jupiter ; il est destiné à vaincre les Indiens sur la terre, et ensuite à figurer parmi les astres du ciel. Que revient-il à Junon de sa colère ? Elle n'a pu voulu qu'lno nourrit celui que Jupiter a fait naître, et voilà que celle qui fit naître Jupiter va gaver Bacchus, et sera mère de Jupiter, et nourrice des ses petit-fils à la fois. »

Il dit, et, arrondissant ses ailes que gonflent les violentes haleines des vents, le rapide Mercure remonta dans les cieux ; là, se dépouillant de la ressemblance du primitif Phanès, il reprit la forme qu'il venait de quitter pour confier aux soins d'une mère bienveillante, Bacchus qui sait changer de forme aussi.

La déesse l'éleva, et le fit monter tout jeune encore sur son char traîné par ses voraces lions. Dans sa cour hospitalière, les Corybantes tournoyants formaient autour de Bacchus les choeurs bienveillants de leurs danses; ils faisaient heurter leurs glaives, frappaient leurs boucliers d'un fer bondissant, et dissimulaient ainsi l'adolescence et les progrès de l'enfant. Celui-ci, au bruit de ces boucliers protecteurs croissait, comme son père, par les soins des Corybantes. A neuf ans, possédé déjà de la passion de la chasse, il dépassait les lièvres à la course; de sa main enfantine, il domptait la vigueur des faons tachetés; il portait en travers de son épaule, droit sur son dos, la tigresse intrépide, à la peau mouchetée, dégagée de tout lien ; et montrait à Rhéa dans ses mains les petits qu'il venait d'arracher au lait abondant de leur mère ; puis il traînait après lui de terribles lions tout vivants ; et, serrant dans ses deux poignets leurs pieds réunis, il en faisait don à la mère des dieux pour les atteler à son char. Rhéa observait en souriant, et admirait ce courage et ces exploits du jeune Bacchus ; tandis qu'à la vue de son fils vainqueur des formidables lions, les yeux paternels de Jupiter rayonnaient encore de plus de joie.

Bacchus, dès qu'il eut dépassé la limite de l'enfance, se revêtit de moelleuses fourrures, et orna ses épaules de l'enveloppe mouchetée d'un cerf, en imitation des taches variées de la sphère céleste. Il réunit des lynx dans ses étables de la plaine de Phrygie, et attela à son char des panthères diaprées, honorant ainsi l'image scintillante de la demeure de ses aïeux. Parfois, debout sur le char de l'immortelle Rhéa, il tenait de sa main gauche, toute délicate encore, les rênes arrondies, dirigeait la course rapide des lions ; et, nourrissant dans son coeur la vaillance du souverain des dieux lui-même, il saisissait de son poignet la gorge l'ourse furieuse, et enfonçait ses doigts courageux, ses doigts d'adolescent, dans la terrible gueule, tandis que l'animal, subitement apaisé, offrait une bouche soumise à l'enfant, dont il léchait la main d'une langue haletante.

C'est ainsi que, de bonne heure, il développe ses goûts montagnards auprès de Rhéa, l'amie des hautes collines; sur les pics, les égipans entourent dans leurs rondes le fils de Thyone, habile danseur aussi ; ils franchissent les ravins de leurs pieds velus; et, célébrant Bacchus dans leurs sauts bondissants, ils font résonner le sol sous leurs pieds de chèvres.

Sémélé alors, à peine échappée à la foudre, leva dans l'Olympe sa tète superbe, et fit entendre ces paroles altières :

« Junon, tes efforts sont vains; le fils de Sémélé remporte le prix de la bravoure. Jupiter a mis mon fils au monde, et s'est fait sa mère à ma place. Le germe qu'il avait semé, il l'a fait naître. Des entrailles qui ne lui étaient pas destinées ont porté d'elles-mêmes mon fils, et le destin a trompé la nature. Oui, c'est aux yeux de l'univers entier que mon fils a été enfanté par son père. Ô prodige ! regarde toi-même, ô Junon, Bacchus couché dans les bras caressants de ta propre mère : la mère universelle, la dispensatrice du globe éternel, la source primitive des dieux, est devenue la nourrice de Bacchus ! Elle lui tend cette mamelle qu'a pressée le souverain du monde. Quel Jupiter a enfanté, quelle Rhéa a nourri Mars ton fils ? Et pourtant, cette Cybèle qu'on dit ta mère a produit Jupiter et alimenté Bacchus d'un même sein, élevant l'engendreur et l'engendré à la fois. Mais quoi ! Bacchus est bien supérieur à Mars ; Jupiter a formé Mars, votre fils commun sans doute, mais il ne l'a pas enfanté de sa cuisse : Thèbes efface la gloire d'Ortygie; la divine Latone persécutée y donna furtivement le jour à Apollon ; oui, Latone y a donné le jour à Phébus, mais le fils de Saturne n'en a point accouché. Maïa fut mère de Mercure aussi, mais son époux n'en eut pas la grossesse. Eh quoi? Vulcain, qui n'eut pas de père, pourrait-il lutter contre l'enfant de Sémélé? Junon, seule et sans aide, le mit au monde, il est vrai ; mais, boitant sur ses pieds inégaux et débiles, il ne manifeste que trop l'imperfection des couches de sa mère. Maïa ne peut pas mieux s'égaler à Sémélé ; bien que son fils, le rusé Mercure, déguisé sous l'armure et l'apparence de Mars, ait réussi à tromper Junon jusqu'à boire le lait de son sein. Toutes vous cédez à Sémélé ; elle seule a possédé un époux, père et mère à la fois de son enfant. Oh ! comme son fils la rend heureuse ! C'est à bon droit que notre Bacchus figurera parmi les astres, et habitera les airs, son paternel héritage, puisqu'il a sucé le lait d'une si sublime nourrice. Certes il parviendra sans effort dans les cieux, et il n'a nul besoin de la voie lactée de Junon, lui qui a puisé à une plus puissante mamelle. »

Ainsi Sémélé s'enorgueillissait même au sein des airs, pendant que l'épouse de Jupiter, déjà ennemie de Bacchus encore dans son enfance, s'appesantissant tout à coup sur le palais d'Athamas, remplissait Ino de terreur et l'exilait.

Ino, la malheureuse épouse, s'échappe de ses appartements, parcourt de ses pieds nus les pierreuses collines, à la recherche de Bacchus, qu'aucune trace ne lui révèle. La nymphe erra longtemps de montagne en montagne, jusqu'aux torrents des vallons de la Pythie de Delphes. A peine, dans ses constantes sollicitudes, eut-elle tourné ses pas vers les bords ravagés par les dragons sacrés, qu'elle déchira, en signe de deuil, les vêtements qui recouvraient sa poitrine, et fut saisie des accès d'une fureur impétueuse. Le berger tremble en entendant les gémissements inaccoutumés de la nymphe insensée. Parfois, saisissant le serpent aux trois anneaux qui n'entrelace au trépied divin, elle en entourait ses cheveux, et, l'attachant sur le haut de sa tête, elle retenait ses longues boucles sous les noeuds du reptile. Puis elle mettait en fuite les vierges prophétesses : plus de libations, plus de patriotiques sacrifices, plus de danses delphiques auprès du temple ; les femmes se sentaient frappées par les sanglantes lanières d'un lierre fortement tressé. Le chasseur, à la vue d'Ino dans les montagnes, fuyait abandonnant ses filets et ses épieux. Sur les hautes collines, le berger cachait ses chèvres sous les roches caverneuses. Le vieux laboureur, effrayé des bonds furieux d'Ino, eut peine à contenir sous le joug ses boeufs haletants; et la Pythie (10) fatidique, épouvantée par l'étrange écho de cette voit terrestre, s'enfuit à travers la montagne, agitant encore sur sa tête le laurier habituel de Panope; enfin, sous les sommets qui dominent ces profonds précipices, elle chercha dans l'antre de Delphes un asile contre les violences d'Ino.

La prêtresse fugitive dans les détours de la forêt n'échappa point à l'oeil vigilant d'Apollon. Il en eut pitié, accourut aussitôt auprès du bois sacré, prit uns forme humaine, s'approcha d'Ino, et la touchant légèrement de son laurier salutaire, il l'endormit. Pendant ce doux sommeil, il oignit d'ambroisie le corps entier de la malheureuse nymphe, et dissipa ses fureurs et ses fatigues à l'aide de cette bienfaisante liqueur. Elle demeura longtemps dans la forêt du Parnasse. Enfin, après quatre ans, pour obéir aux oracles de Phébus, elle institua, auprès de la roche fatidique, des choeurs en l'honneur de Bacchus, tout enfant qu'il était. Là, les bacchantes du mont Coryce (11) célébrèrent, pendant toute la nuit, à l'éclat des torches embaumées, les mystères des dieux; et, cueillant de leurs mains divines les plantes qui domptent la rage, elles guérirent Ino.

Cependant les émissaires d'Athamas étendaient partout leurs recherches. Ses suivantes elles-mêmes parcouraient dans tous les sens les montagnes pour y reconnaître quelque vestige de leur reine, dont rien ne manifestait la présence. Les femmes, amies des lamentations déchiraient leurs joues de leurs ongles sanglants, et armaient leurs mains volontaires contre les roses de leurs seins. Le palais, plein de cris et de gémissements, en renvoyait l'écho dans la ville, où retentissait aussi le bruit des sanglots. Plus que toute autre, l'expérimentée Mystis s'inquiète, car elle ressent le double chagrin des infortunes de sa maîtresse qu'on ne peut retrouver, et de la perte de Bacchus.

Le roi Athamas ne pleura pas longtemps sa plaintive épouse. Mais, perdant le souvenir d'Ino disparue, après Néphélé, qui lui avait donné d'abord deux enfants, il rechercha Thémisto à la belle ceinture, et oublia l'amour d'Ino dans ce troisième hyménée qui l'unit à la fille d'Hypséis. Un jour, il jouait avec Mélicerte, tel qu'un tendre père; et tandis que, pour l'amuser, il le haussait et le baissait dans ses bras en le faisant tournoyer en l'air, comme l'enfant pleurait et demandait le lait de sa nourrice, il lui présenta sa mamelle d'homme, et lui fit oublier sa mère (12). Thémisto donna d'abord à Athamas des fils courageux, Schoenée (13) et Leucon (14), vaillant couple de guerriers, race robuste et nouvelle ; puis, mettant au jour deux fruits pareils d'une seule couche, elle nourrit à la fois d'un lait abondant Porphyréon (15) et Ptoüs (16), beaux rameaux d'une florissante jeunesse ; tous les deux jumeaux et derniers nés, que leur mère Thémisto devait faire périr plus tard, car elle crut qu'ils étaient issus d'une rivale, et que ces superbes enfants étaient les doubles rejetons de la noble Ino (17).


NOTES DU NEUVIÈME CHANT.

(01) Étymologie du lierre. — L'heureux ambassadeur de Henri IV auprès de la reine Élisabeth, le diplomate dont Henri III, en récompense d'une négociation habile, avait déjà doré l'écusson d'une fleur de lis, le Piémontais Charles Pasquali, dans ses recherches sur l'étymologie du lierre, a mal cité et plus mal traduit encore ces deux vers où il veut lire ὑπερκυψάτε, au lieu de ὑπερκυψάτα. Et par une distraction commune aux hommes dont la tête, comme la vie et les ouvrages, sont remplis de trop de choses, dans son traité des Couronnes, le plus savant de ses écrits, il prétend, sans égards pour la chronologie, qu'ici Ovide est le plagiaire de Nonnos (Pasch., ch. 26, p. 50). Mais ce même lierre était destiné à troubler l'esprit d'un savant bien plus rapproché et mieux instruit des mystères du paganisme, et ne voilà-t-il pas que le judicieux Plutarque, après nous avoir dit que le lierre fut une coiffure adoptée par Bacchus parce qu'en hiver on ne pouvait trouver de feuilles de vigne, absolument comme on boit de la bière ou du cidre quand on n'a pas de vin, nous assure, un peu plus bas, « que le lierre a une propriété contraire à celle du vin, réprimant et estraignant par sa froideur, la chaleur d'iceluy : (ἀλλὰ καὶ τὸν κιττὸν ἀντιταττόμενον μάλιστα τῇ δυνάμει πρὸς τὸν οἶνον. » (Sympos., liv. III, § 1.)

(02) Draconie. — La colline de Draconie, ou Dracanie, se retrouve dans Théocrite plus aisément que dans la géographie antique. On ne sait encore où placer cette montagne, témoin de la naissance de Bacchus.

ὃν ἐν Δρακάνιῳ νιφόεντι
Ζεὺς ὕπατος μεγάλαν ἐπιγουνίδα θήκατο λύσας.
 (Idyl. XXVI, v. 34.)

J'aperçois bien dans Strabon un promontoire, ἄκρᾳ, nommé Dracanos, situé dans l'île d'Icarie, et tout auprès la petite ville (πολισμάτιον,) Œnoè, la vineuse. Mais c'en est-il assez polir y reconnaître le neigeux Dracanos de Théocrite, ou la colline qui a vu, chez Nonnos, les couches de Jupiter?

(03) Nysos. — Cette étymologie du nom grec de Bacchus n'a pas prévalu. Parmi toutes les conjectures des archéologues que je me dispense de rapporter sur le mot Dionysos, celle qui le traduit en français par Dieu de Nyse me paraît la plus raisonnable : mais elle ne pouvait être à l'usage de Nonnos ; car il fait porter Bacchus par Mercure chez les filles de Lamos, dans le palais d'Ino, ou dans les forêts de Cybèle, et jamais dans cette ville de l'Arabie ou de l'Égypte, dont Bacchus, suivant Diodore de Sicile, a pris le nom, par préférence aux neuf autres villes appelées Nysa ; et pourtant, dans ce nombre, la ville de Nysa, en Eubée, méritait bien cet honneur, vu que la vigne y mûrit et fleurit dans les vingt-quatre heures : ἔνθα διὰ μιᾶς ἡμέρας τὸν ἀμπελόν φασιν ἀνθεῖν, καὶ τὸν βοτρὺν πεπαίνεσθαι. (Steph. Byzant., p. 500, Νύσαι.)

(04) Lamos. — C'est ici le Lamos de Pausanias, qui coule des hauteurs de l'Hélicon, et n'est pas un grand fleuve, dit-il (liv. IX, ch. 31). Il y a aussi un Lamos en Cilicie, qui s'échappe du Taurus, et n'est guère plus important que son homonyme. Le ruisseau asiatique garde encore son nom; on l'appelle en turc Lamouzo-sou, Eau du Lamos : La ville de Lamo, qu'il arrose, possède un évêché grec, dépendant de la province ecclésiastique de Séleucie ; mais tous ces privilèges actuels d'un Lamos qui coule encore sous son nom en Asie, quand on ne retrouve plus l'autre en Europe, ne sauraient me faire adopter un troisième Lamos que M. Creuzer croit avoir découvert (symbolique, IV, p. 200), dans un roi des Lestrigons que nomme l'Odyssée. ( Liv. X, v. 81.) Évidemment la raison et le voisinage veulent que les premières nourrices du montagnard Bacchus aient été les filles du fleuve de la montagne qui borne la Béotie, où il vient de naître.

(05) Ino avec Éole. — Ce royaume d'Éole, je ne puis oublier que je l'ai contemplé pendant deux nuits dans des circonstances bien diverses : d'abord, du haut de la Galatée, la plus belle frégate qui ait jamais, comme la nymphe dont elle portait le nom, dominé les ondes siciliennes, quand j'allais avec tant de joie visiter les régions orientales ; puis, vingt-cinq ans après, sur un des bateaux les plus imparfaits de la Méditerranée, dont la machine venait de casser, et dont la carène, après le danger couru, languissait, blessée et sans voiles, au gré des vents. Le volcan des îles d'Éole avait éclairé ces deux passages du même voyageur : n'était-ce pas l'image de la vie qui fait briller au
début l'illusion du plaisir, et ne montre à la fin que la réalité des amertumes?

(06) Roptron. — Le roptre.

Καὶ Κορυβαντείων ἰαχήματα χάλκα ῥόπτρων.
(Anthologie, liv. Vl, ép. 4.)

« Et les cris d'airain des roptres des corybanles. » Je n'ai pas trouvé dans notre langue ou dans nos usages un mot pour exprimer les roptra, ces instruments des corybantes que Mystis fit passer du culte de Cybèle dans les cérémonies de Bacchus : et je ne me suis enhardi que plus tard à les franciser sous le nom de roptres Je ne pouvais employer ni le tambour de basque, ni le boulet chinois, qui sont tout au plus des variétés perfectionnées du roptron, ni moins le sistre, instrument familier venu de Phrygie ou emprunté au culte d'Isis en Égypte. Selon Virgile, la rebelle Cléopâtre en faisait usage :

Regina in mediis patrlo vocat agmina sistro.
 (Énéide. l. V v. 696.)

et Vigenère le décrit ainsi, car il avait cru le reconnaître dans nos campagnes méridionales d'où il a certainement disparu pour passer dans le pays basque de l'autre côté des monts.

« Ces instruments dont l'on use au pays de Béarn et Gascongne, à Rome, et en plusieurs endroits de l'Italie, où les jeunes filles les sonnent fort dextrement, cela est presque comme un petit crible, réservé qu'il n'y a point de trous au parchemin dont il est couvert, et autour de la quasse ou du cercle, large de quelques quatre doigt au plus, il y a des sonnettes attachées, ou des lames ou tablettes de cuyvre fort cliquantes, semblables à celles dont on soulait composer les brigandines ou collet d'écaille, de sorte qu'en battant les doigts sur le fonds, et remuant par mesure moyen le sistre de l'autre main, le tout vient à rendre ensemble sinon une musique harmonieuse à tout le moins un son très bruyant et qui n'est point autrement désagréable. « (Tigenère, Philost. le Nil.) Et ce tambourin, je le dis tout de suite pour n'avoir pas à revenir sur tous ces instruments communs à Bacchus et à Cybèle, mais fort divers, était tout autre chose que le rombos, ainsi nommé du bruit qu'il faisait en tournant rapidement en l'air au bout d'une courroie ; le rombe était une sorte de toupie aérienne qu'imitent encore les enfants dans leurs jeux :

ll rombo e i mobili trastulli .

c'est ainsi que le docte commentateur italien des peintures d'Herculanum a traduit un vers d'Orphie où ces instruments sacrés se trouvent pêle-mêle.

« Orphée,  » dit Apollonius de Rhodes, « voulut que le bruit des boucliers frappés en dansant pendant le sacrifice couvrit les gémissements des Doriens qui pleuraient leur roi; et c'est de là que les Phrygiens ont pris l'usage d'implorer Cybèle au bruit du tambourin et du rombe.  » (Argon., liv. I, 1138.)

(07) Les Phalles. — Cette coutume des cérémonies de Bacchus, dont Nonnos donne l'invention à Mystis et qu'il signalera encore dans le quarante-septième chant, deviendrait une énigme dans ses vers, si nous y laissions le mot φιάλας, qu'on Iit dans l'édition de Graëfe. Le savant Creuzer, lui-même, dans son traité sur Dionysos, en élude l'explication, et quelques autres archéologues allemands, tels que Schwenck (Sinnbilder der alt Völk, p. 39) et Koelher (uber die Dion, p. 19), n'ont pas donné de solution à ce problème. Rien ne m'empêcherait, à mon tour, de prétendre dans non commentaire que des fioles d'airain, attachées par les femmes sur leurs poitrines nues, étaient peut-être un emblème des coupes qui auraient servi à nourir Bacchus, ou bien qu'elles étaient une ressource contre la soif destinée à accroître la ferveur des orgies ; or, comme sur ce point il n'y a que des conjectures, même avec une grande méfiance de soi-même, je pourrais mettre en avant celle-ci :

je sais d'abord le mot φιάλα, personne ne le sait mieux que M. Creuzer. signifie une coupe plate et large, et ne prend l'apparence d'une fiole, terme français, son dérivé, que lorsqu'elle devient une urne funéraire comme pour les cendres de Patrocle (Homère, Iliade, liv. XXIII, 243). Il me semble qu'à propos de ces coupes hétérogènes que je vais bannir pour jamais, j'espère, du texte de Nonnos, il doit m'être permis, sinon de dire, au moins d'indiquer toute ma pensée. Je me persuade donc que l'on peut remplacer heureusement dans le vers 125 du neuvième chant, comme plus tard dans le vers 9 du quarante-septième, le mot φιάλας pour φάλλους. De cette façon, il n'y aura plus d'obscurité : Mystis aura introduit dans les mystères de Bacchus cette autre coutume dont M. Creuzer lui-même nous apporte tant d'antiques témoignages (Dionysios, p. 232), et dont nos musées étalent tant de symboles à nos regards. Hérodote, d'ailleurs, le dit expressément : il attribue au sage Mélampos l'introduction dans la Grèce de cette profane procession ou figure un signe que je ne peux pas nommer ; et il y a tout lieu de penser que sur ce type du Mélampos d'Hérodote, Nonnos formé son personnage de Mystis. « Il paraît, suppute le père de l'histoire, « que Mélampos reçut les rites du culte dionysiaque du tyrien Cadmus, ou des Phéniciens venus avec lui dans la contrée qu'on appelle aujourd'hui Béotie » (Hérod. II, ch. 122.) Je ne puis donc, par respect pur mes lecteurs, laisser subsister dans ma traduction française le terme plus que suspect de coupes, quand j'ai moins de pudeur en grec; et là, je n'hésite pas, sans égards pour Mystis, à prononcer mot consacré, que je crois être la véritable version. Je m'appuie, en outre, sur l'autorité de ce passage de Plutarque,en m'abstenant de le traduire : τὴν δ´ Ἶσιν ἀντ´ ἐκείνου μίμημα ποιησαμένην καθιερῶσαι τὸν φαλλόν, ᾧ καὶ νῦν ἑορτάζειν τοὺς Αἰγυπτίους (Plutarque, Isis et Osiris, § XIX), comme sur ces paroles du célèbre antiquaire Gori dans son Musée étrusque :

« Le donne etrusche soleano portare appesi intorno al collo simili fascini, per impetrar la fecondità. » (Gori, Mus. Etr., t  I, p. 143.)

Voici ce que dit M. Creuzer, à propos des coupes employées dans le culte de Bacchus : « On lit un passage classique, à cet égard, chez ce même Nonnos qui nous a révélé tant de faits sur ces mystères. C'est dans le livre IX des Dionysiaques à propos d'Ino la maritime, ou Leucothée, qu'on voit instituant avec une grande sagesse d'autres rites bachiques. » (Creuzer, Dionysos., p. 63.) — M. Creuzer se trompe, pour avoir lui-même lu Nonnos trop rapidement. C'est Mystis la confidente d'Ino, et non Ino elle-même qui institue les mystères ; son nom le dit pour elle. « Ces vers, » ajoute-il après les avoir cités en y maintenant le mot φιάλας, « font allusion à quelques cérémonies empruntées aux mystères de Bacchus et de Cérès Thesmophore. » Toutes ces ténèbres, je le répète, se trouvent dissipées par la correction que je propose, et certes il est très aisé de se rendre compte de l'interpolation du texte : quelque copiste ecclésiastique ou laïque même, quelque moine voisin de Panopolis, aura hésité devant l'apparente impudeur du mot, et l'aura échangé contre le terme φιάλας, on conviendra qu'il était facile de les écrire l'un pour l'autre.

(08) La corbeille sacrée. — La corbeille sacrée, qui vient tout de suite après le mot substitué à φιάλας dans ma rectification, la confirme de tout point, car on sait que, dans le culte éleusinien, la cista renfermait des objets destinés aux mystères de la purification.

« Cista secretorum capax, » a dit Apulée, « penitus celans operta magnifiera religionis. « (Liv. VI, § 9.)

Un jour, à Athènes, un demi-antiquaire disait à M. Fauvel, en ma présence, qu'il avait vu à côté des inscriptions d'Éleusis, que Spon y a signalées le premier, des dessins antiques représentant ces signes extérieurs du culte dionysiaque. Le vieux consul accueillit avec dédain et colère cette révélation, car il appartenait à la classe la plus bourrue des érudits. — « Eh ! quoi, répliqua-t-il, les mystères d'Eleusis, énigmatiques encore, ne cachaient  donc rien, selon nous, puisque les signes les plus allégoriques et les plus intimes du culte de Bacchus et de Cérès y auraient figuré ostensiblement à côté d'inscriptions publiques? Sachez bien que la pudeur des anciens dépassait de beaucoup la nôtre; et que si, quelque touriste profanateur ou ami des mystifications a sali le marbre antique de ces signes équivoques dont les murailles de nos plus grandes villes sont surchargée, les siècles de Périclès et d'Aleixandre les proscrivaient sévèrement. »

(09) Mystis. — La surintendante des mystères bachiques, l'institutrice de son culte, est un personnage créé par Nonnos, qui la fait naître très convenablement à Sidon.

(10) La Pythie. — La prêtresse de Pytho (Πυθοῖ ἐν ἠγαθέιη, Odyss., VIII, 80), ainsi nommée parce qu'on y interrogeait l'oracle de Delphes, (de πυνθάνεσθαι, interroger) ; et cette étymologie, donnée par un scoliaste, semble n'avoir été inventée que pour contredire celle qui remonte au serpent Python, né du limon de la terre corrompue par les eaux du déluge, (de πύθω, putréfier). Pytho était une ville de la Phocide, comme Panope. Le laurier qui croissait à Panope était destiné aux cérémonies du culte d'Apollon.
Voici le vers d'Homère auquel Nonnos a emprunté ces deux noms.

Πυθώδ' ἐρχομένην διὰ καλλιχόρου Πανοπῆος.
(Odyss., XI, 680.)

Or cette épithète de καλλιχόρου, beau pays, appliquée à Panope, est fort contestée par Pausanias, qui n'y a trouvé que des masures et des cavernes. Des femmes lui ont dit que ce mot est une pure galanterie poétique d'Homère envers les Thyades athéniennes; car, en venant chaque année célébrer sur le mont Parnasse les fêtes de Bacchus, elles s'arrêtaient à Panope pour y danser : et καλλιχόρου signifie aux beaux choeurs dansants, et point autre chose.

(11) Coryce. Il s'agit ici du mont Coryce consacré aux Muses, séparé du Coryce de Cilicie par la Morée et toute la largeur de l'Archipel. Il fut la patrie de ce vieillard des Géorgiques qui vint habiter auprès de Tarente sur les bords du Galèse : et Virgile a su nous émouvoir de ce touchant souvenir comme s'il n'allait pas dans le même chant nous demander toutes nos larmes pour Orphée et pour Eurydice.

(12) Athamas. — Je reviens sur l'image d'Athamas cherchant à allaiter son fils, que mes lecteurs pourraient être tentés de ranger parmi les inepties reprochées par Heyne à Nonnos, mais qui n'est nullement de son cru. Voici ce qu'on lit dans les Statues de Callistrate, opuscule d'un rhéteur du deuxième siècle. C'était l'époque où régnait la mode des descriptions en style d'inventaires ou de procès-verbaux. « Chez les Scythes, Athamas était représenté dans ses accès de folie furieuse. Sa statue était nue : ses cheveux, rouges de sang, flottaient au gré des brises, il avait les yeux hagards, etc., il tenait sur ses bras son fils et approchait sa mamelle des lèvres de l'enfant, comme si ces sources de la vie pouvaient donner la « nourriture. » (Callistrate, ἐκφάσεις, ch. 18.) Vaut-il la peine d'ajouter qu'Athamas, en offrant à Mélicerte, pour lui faire oublier sa nourrice, sa mamelle d'homme,(ἀρσένα μαζόν) se conforme à une coutume indienne que le poète rappellera plus tard ?
Dans la bibliothèque des Sagas, remarquable ouvrage de Müller, et vaste recueil de nombreuses légendes, on voit un père, après la mort de la mère, approcher de son propre sein son enfant, lequel y puise d'abord le sang, ensuite la lymphe, enfin le lait. Et pour être très paternelle, l'image ne m'en paraît pas plus gracieuse.

(13) Schoenée. — Schoenée était peut-être le fondateur de la ville de Schoenos, en Béotie, qui peut-être aussi devait son nom à l'abondance des joncs de son territoire (σχοίνος, jonc); il y a bien d'autres conjectures sur ce héros, mais toutes si vagues, que celle-ci m'a paru suffire.

(14) Leucon. — Leucon, le blanc, n'est connu que par son fils Érythros, le rouge, qui fonda la toute petite ville d'Érythrée, en Béotie, et par sa fille Evhippe, la belle écuyère, que Pausanias a nommés, l'un, liv. IV, ch. 21, l'autre, liv. II, ch. 34.

(15) Porphyréon. - Porphyréon, le pourpre, n'a laissé de lui aucune trace; mais il est probable qu'il fut le phéronyme, il faudrait dire, pour être intelligible, le parrain de quelque montagne, comme le géant de ce non, et surtout comme

(16) Ptoüs, son frère, qui fut l'éponyme d'une haute colline de Béotie, sur laquelle il bâtit sa temple à Phébus, et cet oracle devint célèbre sous la dénomination d'Apollon Ptoüs. (Plutarque, des Oracles.) —Tels étaient les quatre fils de Thémisto que nous allons retrouver elle-même dans le chant qui suit.

(17) Au milieu de tant de noms propres et de tant de savoir mythologique, il règne une grande confusion dans les vers qui terminent ce chant. La simplicité n'est pas la vertu favorite de Nonnos; et il ne peut figurer au nombre des écrivains privilégiés que cette précieuse qualité du style, jointe à quelques autres, a classés parmi les enchanteurs de tous les âges : à leur tête, je place, sans hésiter, Homère et la Fontaine. Certes, c'est avec grande raison qu'on fait lire Homère dans les classes, car il est le plus aisé et le plus attrayant des écrivains grecs, comme le plus excellent par le patriotisme; on donne aussi la Fontaine aux enfants pour ses tableaux naïfs et sa morale. Mais il faut les faire relire sans cesse l'un et l'autre aux rhétoricien pour la beauté des images et la perfection de l'art. Enfin les hommes du monde, dans leur maturité ou leur vieillesse, les rechercheront toujours eux-mêmes pour distraire leur esprit éclairé, ou pour rafraîchir leur imagination blasée. Il est trop vrai, Nonnos ne peut aspirer à tant de gloire, et plusieurs de ses épisodes, entachés de la licence de son siècle, ne sauraient passer convenablement, dans le texte grec, sous les yeux de nos écoliers; mais il y a toujours quelque profit à en tirer pour l'érudition.