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Nonnos,

 

Dionysiaques

CHANT XXVII.

Relu et corrigé

Oeuvre numérisée en collaboration avec Marc Szwajcer

 

 

 

 

NONNOS

 

DIONYSIAQUES.

 

CHANT VINGT-SEPTIÈME.


Le vingt-septième livre déploie les phalanges des armées, et Jupiter y excite à combattre en faveur de Bacchus les habitants de l'Olympe.


 

Déjà l'Aurore, secouant les ailes du Sommeil réparateur, abandonne la couche lumineuse de Céphale, ouvre les portes de l'orient et ramène la guerre. Le Gange voit ses ombres blanchir sous les lueurs opposées de Phaéton. L'enveloppe vagabonde de ses brumes, à peine ciselée par un premier rayon, se déchire, s'évapore; et les moissons se redressent baignées des rosées printanières du char céleste qui les versa.

Le tumulte renaît ; le Soleil modérateur enflamme des années éternelles, suspend la course de ses chevaux nourris de feu, quand il entend auprès de lui le retentissement des casques de Mars. Il allait, par l'éclat d'un rayon et la chaleur d'un trait de rose (01), manifester sa présence et appeler l'armée aux combats, lorsque Jupiter fit tomber des cieux sur la terre l'étrange pluie d'une liqueur de sang, présage de mort pour les Indiens. La noire poussière de la plaine des Indes voit rougir sa surface altérée, s'empreint des gouttes meurtrières de cette rosée martiale ; et le fer qui la reçoit étincelle d'un éclat semblable aux reflets du soleil.

Le fier Dériade prépare au combat les phalanges des Indiens qui s'éveillent; il exhorte ses guerriers, et sa voix leur adresse ces arrogantes paroles :

« Combattez, ô mes sujets; contiez-vous en la victoire accoutumée ; faites de ce fils insolent de Thyone, qu'on nomme le porte-corne, un serviteur de Dériade qui porte des cornes égales sur le front (02). Immolez pour moi tous ces égipans sous votre glaive dévastateur ; s'ils sont vraiment des divinités, et qu'un fer aigu ne puisse entamer le corps invulnérable de Pan, faites du moins prisonniers tous ces égipans montagnards; et ils iront dans nos forêts garder les troupes des éléphants amis des solitudes. Là aussi sont de nombreuses bêtes fauves auxquelles je réunirai les centaures et les égipans de Bacchus, le dieu des montagnes (03) ; j'en ferai en outre un essaim d'esclaves pour les appartements de ma fille, et ils dresseront la table des festins de Morrhée. Le soldat qui a quitté la Phrygie pour accompagner le vineux Bacchus, se baignera dans le courant de la rivière Indienne. Il nommera l'Hydaspe son fleuve paternel, au lieu du Sangaris; et cet autre guerrier, qui est venu d'Alybe se joindre à Bacchus, ne sera plus ici qu'un mercenaire, et boira les flots d'or du Gange en échange des ondes argentées de son pays.

« O Bacchus, recule devant moi et crains la lance de Dériade. Nous avons également ici une mer immense; et après les ondes de l'Arabie, nos ondes peuvent te recevoir. Ce gouffre plus large vomit une eau sauvage qui suffit pour engloutir ensemble Bacchus, les satyres et les rangs entiers des Bassarides. Notre Nérée, à nous, ne sait pas compter. La Thétis des Indes ne t'accueillera pas dans son sein, et n'offrira pas une seconde fois à ta fuite l'asile de ses flots hospitaliers, car elle redoute mon fleuve paternel, le bruyant Hydaspe. Oui, c'est moi qui suis le chef de toutes ces lances, et je suis plus puissant que Lycurgue qui l'a mis en déroute avec tes lâches bacchantes. — Mais quoi, me dis-tu, je suis du sang olympien de Jupiter ! — Eh bien ! si tu te vantes du ciel ton berceau, ma terre sera ta tombe, cette terre qui engendra l'air étincelant au loin sous le chœur des astres ; le vorace Saturne, qui se repaît de ses enfants nouveau-nés, venait du ciel aussi, et cependant les abîmes souterrains le recouvrent. Ta race divine n'a rien qui m'importait. Ces douleurs de l'enfantement de Jupiter ne peuvent m'effrayer. J'ai vu plus d'une fois mon épouse en ressentir de semblables. On m'a raconté le brûlant hyménée de la malheureuse Sémélé; crois-moi, ne parle ni de cet éclair qui préside à la couche de Jupiter, ni de sa tête, ni de son giron masculin.

« Que ton père, qui sait engendrer à lui seul, arme, s'il le veut, pour secourir ta virilité cette divinité femelle, la Minerve, qu'on nomme Victoire ; d'un roc tranchant arraché à la montagne, ou de ma lance audacieuse, j'ensanglanterai la tête de Pallas; mon arc à la riche corne frappera la cuisse de l'insolent Bacchus, chef des cornus satyres, et par une telle blessure j'insulterai Jupiter, Bacchus et Pallas à la fois. Non, je ne redouterai jamais un capitaine femme ; et si elle agite la foudre de son père, j’ai toutes les ondes de mon père pour moi. Que si Neptune se fait leur auxiliaire, je m'adresserai à l’habile Vulcain, afin qu'il fabrique aussi des armes subtiles pour Dériade. Le vaillant Eaque, qu'on dit le frère de Bacchus, cet Eaque, le rejeton de Jupiter céleste, je l'enverrai sous terre expirer aux pieds du Jupiter infernal; et c'est en vain que pour le ravir ce dieu étendrait ses ailes dans les airs. Ce n'est pas, on me l'a dit, le seul de ses fils qui aura connu la mort. Dardanus était issu de Jupiter, et il a cessé de vivre. Minos n'existe plus, et la couche de Jupiter Taureau n'a pu le garantir du trépas. Mais Minos est encore juge aux enfers; pourquoi donc Eaque, parmi les morts, ne rendrait-il pas aussi la justice aux Indiens? Ah! qu’il tienne à son gré le sceptre souterrain, et exerce son empire sur les ombres.

« Quant à cet ennemi opiniâtre, ce citoyen de la chaste Athènes, rejeton de l'ardent Vulcain, consumez-le de flammes incessantes ; on le nomme Érechthée, puisqu'il est du sang de ce fameux Érechthée que jadis Pallas, vierge opiniâtre, privée de mère, nourrit de son sein ; elle le garda furtivement, à la lueur vigilante d'une lampe qui ne s'éteint jamais, dans l'asile sombre et vide de sa demeure virginale. Eh bien ! qu'il reste aussi caché dans une ciste (04) ténébreuse et éternelle au fond des Indes.

« Détruisez les cyclopes fils de la Terre, qui de la longueur de leurs membres touchent au ciel. Mais ne frappez pas leurs flancs ou leurs épaules de la pointe de vos lances, et que vos javelots d'airain se retournent dans l'orbite de leur œil unique. Ménagez en même temps les cyclopes souterrains. J'ai besoin de leurs services. Il faut que Brontès, à l'aide d'une forge indienne, me fabrique une trompe qui gronde à l'égal des roulements du tonnerre; et je deviendrai ainsi, à mon tour, un Jupiter infernal. Il faut que Stérope invente aussi pour moi un nouvel éclair pareil à l'autre ; je le ferai vibrer dans mes combats contre les satyres pour mieux exciter la jalousie de Jupiter, et le confondre ; quand il verra Dériade manier l'éclair et le tonnerre, il tremblera devant le chef des Indiens à la haute naissance, qui sait lancer aussi la brûlante foudre.

« Et pourquoi n’armerais-je pas, à mon tour, mes mains de tourbillons de feu. Ce Phaéton, roi suprême des astres embrasés, qui est tout entier de feu, n'est-il pas le père de ma mère? et quand un fleuve m'a donné le jour, ne puis-je livrer contre Bacchus une bataille aquatique, lutter contre lui avec des traits liquides et submerger sous les courants les têtes ennemies des bacchantes?

« Conduisez désarmés a mes pieds ces corybantes qui manœuvrent en cadence leurs agiles boucliers, habiles exécutants de la danse guerrière ; que Cabiro de Lemnos pleure échevelée le trépas de ses deux enfants. Que l'incandescent Vulcain, quittant ses tenailles, voie Dériade, le fléau de sa race, s'asseoir sur le char des Cabires, et guider leurs chevaux aux pieds d'airain.

« Pourfendez ensuite de votre glaive exterminateur les Telchines (05) des abîmes. Ensevelissez-les dans la mer voisine, et que Neptune leur père en ait soin. Leur char merveilleux, leurs harnais azurés, leur race des coursiers qui traversent la mer, amenez-les à Dériade ; ce sera le trophée maritime de sa victoire.

« Immolons les fils de Jupiter. Je n'envie pas au glaive de Morrhée le fils de Phébus, le chasseur des lièvres, Aristée, directeur de la chétive et butineuse abeille. Quant à vous, fondez, avec votre acier à deux tranchants et vos faux, sur les délicates phalanges des Bassarides. Le fils d'un fleuve cornu va dompter la haute corne du fils de Jupiter ; et qu'aucun de vous ne tremble en voyant ce capitaine guider une lionne, monter sur la croupe d'une ourse sauvage, ou atteler à son char des animaux aux gueules farouches. Évite-t-on ou le lion ou la panthère quand on a pour soi les éléphants (06)? »

A ces paroles de leur roi, les Indiens s'avancent en tumulte, les uns sur le dos des éléphants chargés de fer, les autres tout à coté sur des coursiers rapides comme la tempête. L'armée des fantassins est innombrable. Ils portent des piques ou de larges boucliers, la massue ou le carquois; l'un, moissonneur du combat, lève en l'air une faux d'airain; l'autre, couvert de son écu, se présente portant son arc agile et tes flèches qui volent avec les vents. Ils s'étendent sur la plaine et se rangent en bataille sur la rive voisine de l'Indus.

Bacchus de son coté, paré de son thyrse, arme sa troupe d'épées, de boucliers, de rameaux invincibles, et sort de la forêt aux grands arbres. Puis il partage ses forces en quatre divisions, et les place en face de la brillante aurore, dans la direction des quatre vents. La première vers l'ourse circulaire, dans les pentes ombragées d'où s'échappe l'onde divine des rochers du Caucase, accrue du courant de tant d'autres fleuves, et sur la ligne même où le bruyant Hydaspe roule dans son vaste lit ses eaux tournoyantes. Il établit sa seconde phalange dans la plaine intérieure que l'Indus enferme de sa double branche, lorsque, fléchissant vers le penchant oriental le cours de ses flots, il en fait la ceinture et la couronne de Patalène. Par ses ordres, la troisième se range au sud, près du golfe où l'Océan méridional étend ses vagues que le soleil dore ; et il forme la quatrième ligne de ses soldats aux belles armes sur la route du Levant, du côté où le Gange chemine en baignant des roseaux, et entraîne dans son courant des ondes parfumées (07). Puis il désigne les quatre nobles chefs qui vont commander chacun, une de ces intrépides phalanges; et, de sa voix qui soulève les peuples, il excite le courage de ses bataillons :

« Bassarides, formez encore ici vos chœurs. Immolez les tribus barbares de vos ennemis. Mêlez vos thyrses à la lance, mêlez vos thyrses à l'épée; que la musette accoutumée de nos festins devienne pour mes satyres un clairon belliqueux, et que cette tige d'un vert feuillage, couronnée de fer, l'emporte sur les javelots acérés ; qu'au lieu d'inviter aux danses du Bacchus nocturne, ma flûte fasse entendre l'air qui appelle aux combats, et abandonne les chaos dont Bromios (08) réjouit le repas du soir. Si Hydaspe fléchit ses genoux esclaves devant moi, et que, par un retour à la haine, il n'arme pas de nouveau ses flots contre mes bacchantes, je serai généreux; je changerai encore en liqueur de Bacchus toutes ses nobles ondes; il ne roulera dans ses courants que mon délicieux breuvage, et je ceindrai de mes rameaux le sommet de ses bois incultes qui se couvriront de mes vignes. Vont-il au contraire, sous la forme humaine, lui qui a la nature cornue des fleuves, aider encore de ses flots secourables les Indiens et son fils Dériade dans leur défaite? Alors faites-vous un pont du courant de ce fleuve orgueilleux. Passez sans mouiller vos pas ses eaux appauvries, et que vos coursiers, foulant sous leurs ongles le sable mis à nu de l'Hydaspe tari, en raclent de leurs pieds la poussière.

« Si le chef que les guerriers indiens redoutent voit sa race remonter à l'aérien Phaéton, et que, pour honorer la couche brûlante de sa fille, Phaéton m'attaque avec tous ses feux, j'appellerai encore à cette bataille héliaque le frère maritime de mon Jupiter, pour éteindre ces mêmes feux avec ses ondes ; puis j'irai dans l'île sicilienne où paissent les troupeaux et les bœufs du guide aérien du char étincelant; là, je m'emparerai, comme d'une proie de ma victoire, de la fille du Soleil, la jeune Lampétie (09), et je la courberai sous mon joug malgré sa résistance, jusqu'à ce qu'elle ait plié le genou devant moi. Astris se perdra dans les montagnes, désespérée de voir Dériade me suivre enchaîné et me servir. Qu'alors, étrangère au pays des Celtes, elle y aille à son gré partager avec les Héliades l'asile d'un arbre, et y laisser tomber aussi dans le fleuve plaintif ses larmes abondantes.

« Croyez-moi, blanchissez sous le gypse des initiations (10) la noire figure de vos captifs indiens ; enveloppez de vos pampres le vaillant Dériade; recouvrez ses mailles de fer de la nébride; qu'inclinant devant Bacchus, après la victoire, ses genoux asservis, le roi des Indes jette sa cuirasse aux vents et lui préfère le vêtement d'une meilleure et plus moelleuse cuirasse ; qu'il chausse des cothurnes de pourpre et laisse là ses cnémides d'argent; après l'arc meurtrier et les manœuvres habituelles de la guerre, il apprendra les mystères des danses nocturnes de Bacchus ; et sa chevelure barbare s'arrondira en boucles pour nos fêtes.

« Allez, ces têtes des ennemis, portez-les, témoins de votre victoire et à la pointe de votre thyrse sur les hauteurs du Tmole ; c'est là que je compte transporter aussi de nombreuses troupes d'Indiens que je sauverai de la mort des combats; et c'est sous les portiques des Lydiens que je suspendrai les cornes du furibond Dériade (11). »

A ce langage encourageant, les Bacchantes s'agitent ; les silènes répètent à grands cris l'hymne guerrier, et les satyres leur répondent d'une voix unanime. L'écho renvoie l'effrayant mugissement du tambourin qui roule, et le bruit des doubles cymbales que les femmes frappent de leurs mains alternatives. Le fifre pastoral crie sur le mode phrygien et anime les satyres à la bataille ; ils blanchissent leur figure du gypse mystique; et l'image simulée d'un visage trompeur et muet, qui se dresse sur leurs joues, épouvante.

En avant de l'armée, la torche de Mygdonie étincelle en sautillant dans les airs, grosse de combats, emblème de ces couches brûlantes qui enfantèrent Bacchus. Le beau front cornu du vieillard Silène reluit et éclate; le serpent s'enroule aux cheveux épars de la bacchante montagnarde, et le tigre déchaîné sur l'ennemi effraye de ses fureurs les chars attelés d'éléphants ; l'antique Maron, qui déchire les combattants indiens avec un rejet de la vigne, s'arme de pampres, et tous les dieux de l'Olympe se réunissent en foule, rangés sur leurs sièges d'or dans la cour hospitalière et divine, et s'assoient auprès de Jupiter. Pendant leur repas, Ganymède aux beaux cheveux leur verse de son aiguière le doux nectar. Ce n'était pas ici comme le jour où l'armée des Grecs fondit sur les Troyens; Hébé à la riche chevelure n'avait pas à remplir de nouveau les coupes des immortels, et l'échanson troyen ne s'était pas éloigné de l'Olympe dans la crainte d'y apprendre les malheurs de sa patrie. Le prudent Jupiter tient ce discours aux dieux ainsi rassemblés, et s'adresse à Apollon, à Vulcain et à Minerve :

« Souverain prophétique de Pytho et de l'axe ombilical de la terre (12), maître suprême en la science de l'arc, astre du monde, souviens-toi de ton Bacchus, toi son frère, et du Parnasse (13). La courte existence d'Ampélos t'est connue; tu sais aussi la double torche mystique des doubles cimes. Combats donc pour le dieu issu de ton sang, et tends ton arc olympien en faveur des Bassarides. Glorifie cette roche du Parnasse qui vous est commune, car c'est là que dans les transports de la danse sacrée, allumant pour vous deux la double torche de Delphes, la bacchante voue ses chants et ses cris au vigilant Bacchus et à toi. Dieu dont l'arc est illustre, n'oublie pas ta mère Cyrène, exterminatrice des lions ; favorise à la fois Bacchus et Agrée; et puisque tu es Nomios (14) aussi, combats pour la génération des Satyres pasteurs. Repousse l'inquiète jalousie de Junon, et que la marâtre d'Apollon ne mette pas Bacchus en fuite. Dans sa haine et dans sa jalousie de mes amours, elle s'arme sans cesse contre mes enfants. Faut-il l'apprendre tout ce qu'en a souffert ta mère lorsque, appesantie sous un double fardeau, elle errait en tous lieux pressée des premières douleurs de l'enfantement? Le Pénée relira ses flots; Syros (15) refusa de recevoir Latone, et le tardif Asope lui-même arrêta son cours et fit rétrograder ses ondes, jusqu'à ce qu'enfin Délos s'offrit à sa délivrance, et que le chétif feuillage du palmier la secourût.

« Et toi, Pallas, intrépide fille de Jupiter, père et mère tout ensemble, défends l'ornement de ta patrie, ton frère, le dieu du raisin, que l'auteur de tes jours a fait naître mâle de sa cuisse féconde, comme il t'a fait jaillir femelle de son cerveau générateur, pour vous prêter un mutuel secours. Honore l'olivier de l'Attique qui fit donner ton nom à sa ville; protège ses habitants qui ont suivi Bacchus, et crains de voir la défaite des fils de ta chère Marathon. Accorde cette faveur au vieil Icarios (16), car le dieu du raisin lui donnera un jour sa vendange. Ne méprise pas les corbeilles productrices de Métanire (17); pense à Celée (18) l'habile laboureur et à Triptolème (19) : ne sont-ils pas les auxiliaires de ton Bacchus, le dieu de la grappe? Brandis cette lance sn avec toi ; rallume cette égide qui brille dans les combats et les dirige ; viens assister avec moi les satyres.

« Ils sont vêtus aussi des poils de la chèvre montagnarde. Le berger des chèvres, Pan, le dieu champêtre, qui commande au clairon pastoral, a besoin de notre égide. Jadis il vint prêter son appui à mon sceptre inviolable et lutter contre les Titans. Et il garde encore dans les montagnes ma nourrice au lait abondant, la chèvre Amalthée (20). Soutiens-le, car bientôt dans la bataille athénienne il soutiendra à son tour Marathon ébranlée, et épouvantera les Mèdes (21). Fais vibrer ton égide en faveur de ton frère le Mélanégide (22), qui doit délivrer un jour ta patrie et en chasser le chef des Béotiens. C'est alors que le citoyen d'Eleusis entonnera le chant du salut en l'honneur de son fidèle ami, le fils de Thyone l'Apaturien (23), et bientôt Athènes célébrera sur le rythme de Phrygie, après le Bacchus Limnéen (24), le Bacchus d'Eleusis (25).

« Quant à toi, Vulcain, époux de la Terre, qui sait achever ta progéniture, amant de Minerve, tu restes à l'écart, et n'a plus soin de Marathon. C'est là, pourtant que brille le feu nuptial de la déesse vierge. Dois-je te rappeler les mystiques étincelles de ton éternel flambeau ? Tu n'as pu oublier ni la lampe éducatrice, ni cet appartement virginal où reposait l'enfant de la Terre, et où la jeune fille (26) donna à ce germe, produit de lui-même, son sein viril. Apporte cette hache qui termine les douleurs de l'enfantement; cette hache génératrice sauvera les citoyens de ton Athènes. Quoi! Vulcain, tu te tiendrais à l'écart, et ne sauverais pas même tes propres rejetons? Elève dans les airs ta torche accoutumée, protectrice des Cabires. Tends tes regards au loin, et tu verras ton antique épouse Cabiro, la tendre mère, te reprocher d'abandonner ses fils. La vaillante Alcimachie de Lemnos (27) a besoin de toute ta valeur.

« O race des dieux contrariante et versatile! Étrange spectacle! L'Argienne Junon appuie Dériade le barbare, et l'Athénienne Minerve néglige les phalanges cécropides ! Mars de Thrace défend l'armée des Indes, et pour être fidèle à sa mère, il abandonne mon fils, ainsi que les bataillons de la Thrace qui suivent Bacchus. Eh bien, je lutterai seul contre tous; et ma foudre brûlante combattra pour Bacchus jusqu'à ce qu'il ait ruiné de fond en comble toutes ces générations de noirs (28) ! »

Il dit; les dieux habitants de l'Olympe s'empressent. Les deux auxiliaires se réunissent Apollon à Minerve, et l'incandescent Vulcain, à Tritogénie. Junon rassemble et rallie les autres immortels; elle conduit par la main Mars et l'Hydaspe aux larges courants, pour opposer aux ennemis leur bienveillante assistance. Phobos et Dimos les suivent ; avec eux marche Cérès elle-même. Cérès, la mère des épis, devenue l'antagoniste de Bacchus, car elle lui envie ses grappes vivifiantes, et l'invention de ce doux breuvage qui a effacé la vieille gloire de Zagrée ; Zagrée, célébré sous le nom de Bacchus antique et primitif.


 

NOTES DU VINGT-SEPTIÈME CHANT.


(01) L’éclat et la chaleur des Indes. — Ce brûlant climat des Indes, que l’Egypte reproduisait sous les yeux de Nonnos en lui fournissant les couleurs de ses tableaux, explique ces aspirations vers les beaux ombrages, si communes dans les poésies grecques de la décadence. Or les rayons ardents du soleil que bravaient les générations primitives, les races dégénérées les fuyaient. Et il faut avoir ressenti la réverbération des plaines de la Palestine ou de l’Egypte, ou même des vallées de Constantinople; il faut y avoir cherché l’ombre du gigantesque platane, le chêne de l’Orient, pour goûter tout le charme de cette épigramme d’Antiphile de Byzance

« Rameaux de ces chênes touffus qui tombez de si haut, ombrages élevés qui donnez sous vos riches feuillages, aux hommes lassés d’une si pénétrante chaleur, un asile plus épais que leurs toits; abris du milieu du jour, maisons des cigales, retraites des mortels, pendant que je m’étends sous vos branches chevelues, protégez ce transfuge que persécutent les rayons du soleil. »

Κἀμὲ τὸν ὑμετέρσιν ὑποκλινθέντα κόμσι

Ῥύσασθ’ ἀκτίνων ἤελίου φυγάδα.

(02) Les cornes de Dériade. — C’est par suite de quelque coutume indienne des temps primitifs que Nonnos représente Dériade avec deux cornes égales sur le front: et c’est ici un attribut de la royauté. Le vers 131 semblerait indiquer que Dériade tient de son père l’Hydaspe, le fleuve cornu, ce signe de famille. Toujours est-il que dans les bas-reliefs et les vases antiques où le souverain des Indes est représenté, il ne le porte point. Faudrait-il craindre que ce fier monarque n’eût quelque affinité avec les Ouatocètes que nous avons vus se ranger sous ses ordres au chant précédent,

Et qu’en apercevant l’ombre de ses oreilles,

Quelque Indien inquisiteur

N’allât interpréter à cornes leur longueur?

(La Fontaine, Fab., l. V, f. 4.)

J’ai dit ailleurs plus sérieusement que les cornes étaient un symbole de puissance et de supériorité; à ce point de vue, Bacchus l’emportait encore sur Dériade, car il jouissait de différents surnoms également significatif. Le dieu porte-cornes, κερασφόρος; aux cornes de taureau, ταυρόκερως; au front de taureau, ταυρομέτωπος; aux cornes d’or, χρυσόκερως.

(03) Bacchus le montagnard. — A propos de Bacchus ami des montagnes, je ne puis m’empêcher de citer ici un passage bien judicieux de Strabon :

« Quoique nous aimions peu les mythes, dit-il, nous avons dû nous occuper de ceux-ci, parce qu’ils ont trait à la théologie. Or toute discussion sur ces matières ramène aux opinions antiques et aux fables qui expriment les pensées des anciens sur ces choses. Ils les ont entourées d’obscurités, et toujours en faisant prévaloir la mythologie. Expliquer exactement ces énigmes, c’est fort difficile; mais une pleine expositions des points discordants ou analogues facilite leur intelligence, et en fait jaillir la vérité. Ainsi la mythologie nous fait voir les adhérents des dieux et les dieux eux-mêmes, amis des courses et séjours dans les montagnes, et sujets à l’exaltation, de la même façon qu’elle représente les divinités comme des êtres prévoyants, occupés à régler nos destins et les présages. En effet, le séjour assidu des montagnes a provoqué la découverte des métaux, la pratique de la chasse, la recherche de tout ce qui est nécessaire pour la vie. Mais à l’enthousiasme, à l’invocation mystique, à la divination, touchent de près le prestige et la magie. Et c’est ce qu’il faut remarquer principalement dans les Dionysiaques et dans les Orphiques. Mais c’en est assez sur ce sujet. » (Strabon, liv. X, p. 474.)

(04) La corbeille mystique. — Cette corbeille est un des mythes originels de la religion d’Athènes, comme la lampe qui brûle sans cesse à ses côtés, et c’est ainsi que se trouve justifiée la répétition du mot αίτοπι, brûlant, dont l’incrédule Dériade fait une raillerie à la religion de ses ennemis. Érechthée, le même qu’Erichthonius, fils de Vulcain et de la Terre, est élevé par Minerve, qui le confie, placé dans la corbeille sacrée, aux soins de Pandrose, fille de Cécrops. Puis il représente l’Agriculture, tout en présidant aux mines d’argent qu’il découvre en Attique, et dont j’ai trouvé les scories mêlées au sable de la plage du Laurium. Dans Érechthée se concentre la civilisation primitive. Il est le symbole du sol fertilisé par la combinaison du feu, Vulcain, qui l’échauffe, et de la Sagesse, Minerve, qui le cultive. Voici à ce sujet quelques traits d’un dialogue d’une tragédie d’Euripide:

Ion. L’aïeul de votre père était donc né de la Terre?

Créuse. Oui; c’est Éricthhonios. Mais, hélas! que me sert une telle origine!

Ion. Est-ce que Minerve le reçut à sa naissance?

Créuse. Oui, dans ses bras de vierge; car elle n’était point sa mère.

Ion. Le remit-elle à d’autres, ainsi qu’on le retrace dans les tableaux?

Créuse. Oui : aux filles de Cécrops, qui devaient l’élever sans le voir.

Ion. J’ai appris qu’elles ouvrirent la corbeille de la chaste déesse.

Créuse. Oui; et leur mort ensanglanta la pierre escarpée du rocher.

(Euripide. Ion., vers 280.)

Et ces vers révélateurs d’un mystère évanoui des temps antiques, je les ai lus sur ce rocher même, qui est l’acropole d’Athènes, là où resplendissent encore les ruines du temple d’Erechthée, du Pandroséum et du Parthénon! — Le mythe d’Érichthonius est expliqué plus bas par Jupiter lui-même, dans la partie de sa harangue qu’il adresse à Vulcain. (Vers 317 et suivants.)

(05) Les Telchines. — Les Telchines n’ont pas toujours été ces magiciens malfaisants dont l’île de Rhodes eut à se plaindre. Ils figurent dans l’armée de Bacchus à meilleur titre. Ils étaient d’habiles ouvriers en fer et en airain dans les annales mythologiques (Strabon, liv. XIV). Ils ont les premiers, suivant Diodore, fabriqué les statues des dieux; et plusieurs constructions antiques ont gardé leur nom. (Liv. V, c. 55.) Apollodore prétend que les Telchines tuèrent Apis, d’où vient la religion de Sérapis. Quelques personnes, dit Plutarque, croient que Sérapis n’est pas un dieu, mais bien l’urne sépulcrale d’un dieu. (De Isis et Osir.) Serait-ce donc qu’en donnant aux dieux une forme humaine, les Telchines auraient introduit en Egypte une représentation de la Divinité autre que celle des cruches, des boîtes ou des animaux?

(06) Harangue de Dériade. — Certes Nonnos n’est pas homme à oublier, dans les menaces de Dériade, un seul des corps de l’armée de Bacchus ou des demi-dieux qui la commandent. Ses emportements sont bien trop réguliers pour cela. Voici le discours long et compassé d’un rhéteur d’Alexandrie, bien plutôt que la harangue d’un capitaine. Qu’on se souvienne des paroles d’Arminius sur les bords du Rhin, ou de l’ordre du jour du général Bonaparte aux Pyramides, et l’on apprendra mieux qu’ici quel est le vrai langage du soldat conquérant ou du citoyen défenseur de son pays.

(07) Roseaux embaumés. — Le roseau qui embaume les eaux du Gange, c’est l’arbuste cannellier; et c’est du cinname, ou cinnamome (la cannelle), qu’il s’agit ici sans doute. Mais dans les Indes, en fait de parfums, on n’a que la peine de choisir, et on peut les entasser comme le phénix,

Quo simul ac casias et nardi lenis aristas

Quassaque cum fulva substravit cinnama myrrha.

(Ovide, Met, l. XV, v. 398.)

(08) Bromios. — Je ne sais trop pourquoi je me suis astreint jusqu’à présent à conserver à Bacchus ce nom, le seul très usité en français, quand Nonnos, pour diversifier sa diction, use des synonymes Lyéos, Dionysos, Bromios. Ma réserve m’a plus d’une fois arrêté et embarrassé dans mes soins pour éviter les répétitions. Ici puisque le dieu s’attribue lui-même la qualité de bruyant, qui est un de ses sobriquets, je l’imite, et je me promets de me mettre vis-à-vis de lui plus à l’aise à l’avenir. J’ajoute que si je traduis Bromios par Bruyant, c’est que Nonnos lui donne toujours cette acception consacrée par Diodore de Sicile (liv. IV), et je repousse toutes les tentatives que le scoliaste d’Aristophane ou même l’impératrice Eudoxie ont hasardées pour altérer cette signification.

(09) Lampétie. — Les deux nymphes aux beaux cheveux qui gardent, en Sicile, les troupeaux de leur père loin de lui (Homère, Odyss, XII, 132), sont Phaéthuse et Lampétie : l’une est pour signifier la lumière du soleil, dit madame Dacier, et l’autre, la lumière de la Lune. Ce sont les deux bergères de ces troupeaux, parce qu’ils paissaient le jour et la nuit. Elles sont filles du Soleil, et de la déesse Nééré, qui signifie la jeunesse, parce qu’elles ne vieillissent jamais, et que la lumière est toujours la même et a toujours le même éclat.

Lampétie est donc ainsi une Héliade, sœur de Phaéton, et c’est pour cela que Bacchus relègue Astris, la mère de Dériade, Héliade elle-même, sur les bords de l’Éridan pour pleurer leur frère dans ce pays sauvage des Celtes, comme il l’appelle, qui n’est autre aujourd’hui que la belle Lombardie.

(10) Le gypse des initiations. — Nous avons déjà vu les Titans couvrir leurs figures de plâtre, dans ces jeux qui devaient finir par le meurtre de Zagrée (ch. VI). Le gypse des initiations bachiques est un souvenir mystique de cette plaisanterie que reproduit assez bien la farine dont les pierrots à Paris et les clowns à Londres, modernes imitateurs des bacchanales, poudrent leurs visages grimaçants.

(11) La harangue de Bacchus. — Dans cette harangue à son armée, Bacchus paraphrase le discours d’Alexandre à ses troupes, tel que le rapporte ou le compose Plutarque. Καὶ τά Διονύσοθ μετίεω ἴχνη, κ. τ. λ. « Je suis la trasse de Bacchus. Je veux faire voir encore une fois les Grecs victorieux baller au pays des Indes, et réduire encore en mémoire aux montaignats, et sauvages nations qui habitent delà la montagne du Caucasus, ces joyeusetés des bacchanales. (Plutarque, De la fort. d’Alex. § XI.)

Bacchus forme quatre divisions de ses troupes. Lucien, dans un récit qui ne peut passer pour historique, n’en désigne que trois.

Le dieu, dit-il, garda pour lui le centre; Silène conduisait la droite, Pan la gauche. Les chefs de file placés dans les rangs étaient les satyres. Le cri de guerre était pour tous Évohé. Aussitôt les tambourins retentissent, les cymbales donnent le signal. Un satyre prend une corne et sonne l’attaque. L’âne de Silène se met à braire je ne sais quoi de martial; les Ménades, avec leurs ceintures de serpents, hurlent, s’élancent et découvrent le fer du bout de leurs thyrses. Alors les Indiens et leurs éléphants reculent, fuient en désordre et n’osent pas rester à la portée du trait. (Lucien, Bacchus.)

(12) L’axe ombilical de la terre. —Le nombril de la terre, source de sentences véridiques, ρθοδίκαν γᾶς ομφαλόν. (Pindare, Pyth., XI, V. 15.) Ce centre du monde mythologique avait été fixé par l’épreuve de deux colombes, que Jupiter avait fait partir des deux extrémités du globe, et dont les ailes se croisèrent à la place où le temple de Delphes fut bâti. De là, l’invention moderne des pigeons messagers, qui depuis bien longtemps au reste jouent en cette qualité un rôle important dans les chansons arabes du désert.

(13) La roche du Parnasse. — Cette allusion à la roche du Parnasse, commune à Apollon et à Bacchus, semble empruntée à Euripide. Dans un fragment d’Hypsipyle qu’Aristophane nous a conservé pour en rire, dans la comédie des Grenouilles, le tragique disait:

Διόνυσος, ς θύρσοισι καί νεβρῶν δοραῖς

Καταπτς ἐν πεύκαισι Παρνασσὸν κατὰ

Πηδᾷ χορεύων

(Arist, Batr., v. 1052.)

Bacchus, qui, entouré de thyrses, des dépouilles cédées par les cerfs et de torches, saute et danse aux penchants du Parnasse.

D’un autre côté, Macrobe s’est chargé de nous démontrer la réunion des deux divinités dans la sainte montagne. « Apollini et libero patri in eodem monte res divina celebratur. » (Saturn., liv. I, ch. 18.)

(14) Nomios. — Nomios était un surnom d’Apollon, intitulé le dieu-berger, pour avoir fait paître les troupeaux d’Admète; ou plutôt, comme le dit Cicéron, c’était un quatrième Apollon : Quartus in Arcadia quem Arcades Nomiomem appellant (de Nat. Deor., liv. III, c. 23), et cette assertion, saint Clément d’Alexandrie la confirme (Protrept., p. 8); car les Pères de l’Église ne dédaignaient pas d’approfondir la mythologie. Il ajoute que cet Apollon, fils de Silène, était celui que les pasteurs de Théocrite nomment le plus parfait des dieux

…………………….Ἀπόλλωνο; Νομίοιο

Ἱερὸν ἀγνὸν, ξεῖνε, τελειοτάτοιο θεοῖο.

(Théocr., Id. XXV, v. 21.)

(15) Syros. — Le fontaine de Dircé n’a point à se reprocher d’avoir refusé ses secours à Latone, qu’elle accompagnait au contraire dans sa fuite à travers l’Aonie, au dire de Callimaque. (Hymne à Délos, v. 76.) Cunœus, Falkenburg et Graëfe se sont égarés tous les trois quand ils ont effacé du texte primitif σιρὴν ou σειρὴν, pour y placer Dircé. Il fallait y voir Σύρον, la Cyclade, patrie d’Eumée, qui raconte lui-même dans l’Odyssée les vengeances d’Apollon et de Diane contre son île natale, située au-dessus de Délos, parce qu’elle n’avait pas voulu recevoir Latone. Cette même île, alors l’une des plus obscures de l’Archipel, est maintenant l’une des plus célèbres, ou du moins l’une des plus visitées, puisque c’est le rendez-vous central des bateaux à vapeur de toutes les nations.

(16) Icarios. — Cet Icarios n’est ni le fils de Dédale, qui s’appelait Icare, ni même le père de Pénélope, mieux nommé Icarion. C’est le père d’Erigone. Bacchus, pour récompenser son hospitalité, en fit son lieutenant, et le civilisateur originel de l’Attique par le bienfait de la vigne. Est- ce donc pour cela qu’en me rendant à Marathos, j’ai vu les vignes des coteaux du mont Icare, chargées de si beaux raisins? On s’étonnera moins de la fantaisie qui m’a induit à traduire et à commenter Nonnos, quand on verra que ses épithètes ou ses allusions me rappellent presque à chaque pas mon beau voyage aux terres orientales.

(17) Métanire. — Métanire, épouse de Célée.

(18) Célée. — roi d’Éleusis.

(19) Triptolème, — leur fils. J’en ai déjà parlé ailleurs; et je ne retrace ici leur situation respective que pour la clarté du texte.

(20) Amalthée. — L’égide de Jupiter fut recouverte de la peau de la chèvre Amalthée, au moment où elle fut placée dans la sphère. Et Pallas, à qui son père transmit cette égide, y ajoute la tête de Méduse:

Aegidaque horriferam, turbatae Palladis arma.

(Virgile, En., l. VIII, V. 41.)

(21) Pan à Marathon. — Allusion à la terreur panique que le dieu Pan jeta dans les rangs des Perses à la bataille de Marathon.

(22) Le Mélanégide. — La qualification de Mélanégide, appliquée à Bacchus, le souvenir de Xanthos, le chef des Béotiens qui marcha contre Athènes, et le fils de Thyone.

(23) L’Apaturien, — appartiennent au mythe bachique qui fit instituer à Athènes les Apaturies. Suidas et les archéologues ayant expliqué surabondamment l’origine et la nature de ces fêtes, je me dispense d’en donner ici les détails. Bientôt après, Bacchus, qui n’était jusque-là connu dans l’Attique que sous le nom de

(24) Limnéen, — parce qu’il n’avait encore de temple que dans le quartier des Marais, fut admis, avec les chants phrygiens de sa mère Rhéa, aux honneurs d’Eleusis.

(25) L’Éleusinien. — De là les deux épithètes de Limnéen et Eleusinien.

(26) La jeune fille Minerve. Kouré est un des surnoms de Minerve, qui passait pour être la jeune fille par excellence. C’est presque synonyme de vierge, Parthénos.

(27) Alcimachie. — Ici, pour mieux exciter Vulcain, Jupiter invoque dans sa harangue les souvenirs des mystères si peu connus des Cabires; la torche éternelle des forges de Lemnos, la hache divine qui fend la tête du maître des dieux et donne le jour à Minerve, enfin Cabire et Alcimachie. Cette dernière nymphe est sans doute l’une des nombreuses épouses que le culte de Samothrace attribuait à Vulcain. Nonnos l’aura choisie pour jouer sur les mots force et valeur, synonymes dans l’antiquité (ἀλκιμάχεια et ἀλκή). Serait-ce cette jeune épouse de Vulcain, vainement cherchée, que la théologie cabirique n’a pas révélée encore, et qui aurait remplacé l’antique Cabiro, souche étymologique de la race? — Voici sur quel ton Vulcain, inspiré par Lucien, nous parle lui-même de ces mystiques allégories.

« Tu m’y forces, je vais frapper. Que faire, quand tu ordonnes? Quoi donc? une fille sous les armes! O Jupiter, tu avais là bien du mal dans la tête; certes tu étais colère et irritable à bon droit, puisque tu nourrissais dans ton cerveau une telle vierge, et tout armée encore; ce n’était pas un front, souviens-t’en, que tu portais là, c’était un camp. La voilà qui saute, danse la pyrrhique, agite son bouclier, brandit sa lance et entre en fureur. Et, ce qui est plus étrange, c’est qu’elle est vraiment belle, pour avoir mûri si vite. Elle a les yeux bleus, le casque lui sied à merveille. Voyons, Jupiter, pour ma paye de sage-femme, donne-la moi pour épouse. (Lucien, Dial. des dieux, VIII.)

(28) La péroraison de Jupiter. — Après avoir apostrophé séparément Apollon, Pallas et Vulcain, Jupiter doit terminer son exhortation par la réflexion générale sur toutes les divinités de l’Olympe. C’est cette marche naturelle de la harangue qui m’a déterminé à détacher le paragraphe du milieu, et à le transporter à la fin en guise de péroraison. Or, cette transversion du texte, Graëfe l’avait soupçonnée: Nescio an haec Jovis oratio hoc versu vere finiatur. (Note du vers 330.) Pourquoi donc ne pas corriger lui-même la faute qu’il pressent, et en laisser le soin à un plus hardi successeur?