RETOUR À L’ENTRÉE DU SITE

ALLER A LA TABLE DES MATIÈRES DE NONNOS

Nonnos,

 

Dionysiaques

CHANT XXVI.

Relu et corrigé

Oeuvre numérisée en collaboration avec Marc Szwajcer

 

 

NONNOS

DIONYSIAQUES

CHANT VINGT-SIXIÈME.


 

Dans le vingt-sixième livre se trouve l'image trompeuse de Minerve, et la nombreuse armée des guerriers indiens rassemblés.


 

Pendant que Dériade dort sur sa couche attristée, la vaillante Minerve, fidèle amie de Bacchus, s'approche et prépare pour son frère l'avenir d'une autre victoire. Elle change sa forme contre celle d'Oronte, et emprunte le simulacre du gendre de Dériade à la haute taille. Puis, quand l'ardeur homicide de Bellone s'éteint chez le roi, la vaine image d'un songe trompeur le sollicite ; et s'il s'épouvante du sort de tant d'infortunés, la déesse le rassure et l'excite à lutter contre Bacchus, en lui criant ces paroles :

« Tu dors, Dériade. Sommeil coupable ! il n'appartient pas aux capitaines qui veillent sur les citadelles de dormir toute une longue nuit (01) : les heures du sommeil sont comptées pour les chefs du conseil. L'ennemi s'agite autour des remparts, et tu ne lèves pas encore ta vaillante lance. Tu n'entends pas les roulements bruyants du tambourin, le chant des flûtes. Ces sons belliqueux de la trompette meurtrière n'ont pas retenti à ton oreille. Prends au moins pitié des gémissements de ta fille, mon épouse éplorée, Protonoé, veuve si jeune! Considère ma poitrine percée d'un thyrse aigu. Roi des hommes, ne laisse pas ton Oronte sans vengeance. Extermine ces meurtriers qui n'ont pas d'armes. Les assassins de ton gendre, disparu si vite, vivent encore, et j'ai vu Dériade fuir la bataille que lui offrent des femmes ! Hélas? pourquoi le belliqueux Lycurgue n'est-il pas ici et que n'as-tu pour sujets des Arabes audacieux ? Bacchus n'était pas un dieu quand un simple mortel l'épouvantait et le réduisait par ses poursuites à se cacher sous les flots de la mer. Deviens pour lui un lion intrépide, puisque, effrayé par ce guerrier couvert de fer, Bacchus, vêtu de la peau d'un cerf, est devenu de son côté tout pareil à un faon ; non, ce n'est pas lui qui a immolé la race des valeureux Indiens. C'est ton père lui-même qui les mit à mort, en voyant tes soldats fuir la mêlée. Ah ! tu n'es pas semblable au reste des hommes. Tu es du sang divin de la fille de Phaéton, ton étincelant aïeul; ton corps n'est pas mortel, et quand tu t'élanceras sur Bacchus, tu n'as à redouter ni javelot ni épée. »

Ainsi dit la prudente Minerve ; puis, abandonnât l'image du songe, elle remonta dans l'Olympe.

Dès le jour, Dériade se hâte de réunir par ses hérauts les nations éparses dans les cités et les îles; de nombreux et rapides messagers s'élancent de toutes parts dans la plaine orientale pour rassembler les peuples divers, et des guerriers pleins d'ardeur se lèvent de tous cotés à l'appel du roi.

Agrée (02) et Phlogios (03), chefs de la guerre, l'arment les premiers, dépositaires d'un pouvoir égal; tous les deux fils d'Eulée (04), dont ils viennent de dresser à peine la tombe. Avec eux marchent les peuples qui habitent Cysa (05), Bagia (06) auprès du Zarambos (07), le fleuve indien qui roule au loin ses eaux bourbeuses ; Rhodoé (08), aux belles tours, séjour des plus nobles guerriers; et Propanise l'escarpée (09); et ceux qui possèdent l'île arrondie de Gérée (10), où les enfants n'ont pas comme nous leur mère pour nourrice, mais où ils puisent du bout de leurs lèvres la douce rosée au sein de leurs pères, dont la mamelle masculine se gonfle de lait. Ceux qui vivent dans la haute Sésinde (11), et ceux qui, entourant Gazos (12) d'un rempart de fil invincible habilement très solides assises, l'ont fortifiée de créneaux et de murailles de lin, inexpugnable retraite de Mars. Contre une rangée de tours vêtues de lin, que peut le fer de l'ennemi ?

Auprès d'eux se placent les Dardes courageux (13), les bataillons des Prasiens (14), les tribus des Sarangues (15) chargés d'or. La richesse est leur compagne, et chez eux l'aliment perpétuel est le légume. Car ce sont des légumes que leurs meules arrondies broient en place du froment. Puis les phalanges des Indiens (16) à la chevelure tortueuse; le sage Stassanor (17) les commande. Il haïssait Dériade. Sa piété et ses mœurs le rapprochent de Bacchus; et Bacchus vainqueur, l'emmenant après la guerre des Indes le transporta, citoyen étranger, à Thèbes née de la lyre ; il s'établit auprès de Dircé, et échangea les eaux paternelles de l'Hydaspe contre les ondes de l’Ismène, le fleuve de l'Aonie.

Morrhée le Didnaside (18) vient ensuite, et s'enorgueillit de conduire une armée immense. Son père est auprès de lui; accablé par la vieillesse et par un cruel chagrin à la fois, Didnasos (19) a cherché la guerre; sa main desséchée brandit un superbe bouclier ; son menton vacille et s'ombrage d'une barbe blanche et touffue, qui accuse sa longévité; et ses larmes abondantes coulent encore pour l'Indien Oronte, son fils mort si jeune. Le roi Morrhée le suit et dresse sa lance pour exterminer l'armée entière de Bacchus. Ne veut-il pas aussi lutter seul contre le meurtrier de son frère, et blesser cet invulnérable fils de Thyone sous lequel Oronte a succombé?

Les Indiens aux idiomes variés les suivent. Ce sont les habitants de la ville du Soleil, Æthré (20) aux pompeux édifices, fondée sur une plaine sans nuages. Les possesseurs communs des halliers d'Asène (21) et des roseaux d'Andonade (22), de la brûlante Nésée (23), de Malane (24) qui ne connaît pas l'orage, et des champs de Pataléne (25) qu'arrondissent et couronnent les eaux. Puis les rangs pressés des Dosaréens (26) et l'effrayante tribu des Sabares (27) à la poitrine velue; des poils touffus se hérissent sur leur cœur : de là vient la constante énergie de leur âme, et leur mépris des dangers du combat.

Avec ceux-ci s'avancent les Ouatocètes (28), qui s'endorment couchés sur leurs longues oreilles : Phringos (29), Aspétos (30), l'orgueilleux Tanyclos (31), Hippouros (32), et enfin Égrétios (33) le cinquième, les conduisent à la mêlée. Ces cinq chefs, animés d'une même pensée et avides de carnage, dirigent l'armée entière des Ouatocètes.

Tectaphe (34), qui lance au loin le javelot, vint aussi. Tectaphe de ses lèvres affamées suça le lait d'une femme, et trouva la vie dans le sein bienfaiteur qu'une ruse filiale lui offrait. Lorsque dans sa rigueur l'insensible Dériade le retenait sous un vaste cachot saisi par des chaînes redoublées, Tectaphe, sans aliment, flétri, privé du soleil et des doux rayons de la lune, succombait épuisé sous l'inanition. Caché et enchaîné dans un profond souterrain, où jamais il ne vit ni homme, ni boisson, ni nourriture, desséché, languissant, mort animé, il gisait dans sa souffrance sous les flancs creusés d'une roche. Là, une longue faim le consumait ; chassant à peine de sa bouche avide un souffle défaillant, il vivait pareil aux humains qui ne respirent plus, et de son corps exténué, comme d'un cadavre, s'exhalaient de fétides émanations.

Une multitude de gardes surveillait le prisonnier. Ce sont eux que sa fille astucieuse surprend par des paroles qui séduisent les hommes. Récemment accouchée, elle secoue ses vêtements imposteurs et redouble les profonds gémissements de sa voix suppliante.

« O gardes, n'allez pas m'immoler! Je ne porte rien, je n'ai rien sur moi ; je le dirai à votre roi lui-même. Je n'ai pour mon père ni aliments ni breuvage. Je lui apporte mes larmes, mes seules larmes ; mes mains vides le témoignent. Ah ! si vous ne m'en croyez pas, déliez mon innocente ceinture, arrachez mes voiles, secouez ma tunique. Non ! je n'apporte aucune de ces boissons qui donnent la vie. De grâce, renfermez-moi avec mon père dans sa fosse souterraine. S'offenserait-on de ma pitié pour un cadavre? Peut-on s'irriter contre l'infortuné qui meurt? Qui donc n'aurait pitié d'un dernier soupir ? Je viens fermer les paupières immobiles de mon père. Renfermez-moi avec lui. M’enviez-vous la mort? Ah! qu'un seul tombeau recueille à la fois la fille et l'auteur de ses jours (35)!

Elle dit, les persuade, et se précipite, astre de lumière, vers un père perdu dans un ténébreux cachot. Puis, dans cette prison, elle verse intrépide, à la bouche de son père, le lait vivifiant de ses mamelles, Dériade admira l'action d'Éérie l'inspirée, et fit tomber les fers de ce père qui n'est plus qu'un spectre, en faveur d'une fille si noblement ingénieuse. Le bruit s'en répandit de toutes parts, et l'armée indienne n'eut que des louanges pour ce sein pieux et cette ruse libératrice.

Tectaphe brillait au milieu des Bolingiens (36) comme Hespéros étincelle au centre des étoiles : Hespéros, l'illuminateur des airs, l'avant-coureur de l'aveugle obscurité qui le suit.

Giglon (37), à la haute stature, le véloce Thorée (38), et Hippalme (39), qui touche aux nues, ont réuni, sur les derniers penchants de la terre, les tribus diverses des courageux Arachotes (40) armés de lances; ils sont accompagnés des phalanges de ces Dranges (41) qui recouvrent de poussière les restes des guerriers immolés par le fer.

Habraate (42) a rassemblé la troupe des archers auxiliaires. Il marche seul et lentement : honteux de sa chevelure récemment tranchée, il nourrit sa douleur et sa colère contre son implacable souvenir; car, dans une rage insensée, le fier Dériade a fait abattre tous ses cheveux, et pour les Indien c'est une amère injure. Contraint de combattre, il ne va à la mêlée qu'à regret, et il cache sous un casque à la haute aigrette sa tête nue et outragée. Son cœur en garde un ressentiment profond : il se présente pendant le jour à la bataille ; mais, dans les heures de la nuit, il envoie en message (43) à Bacchus un de ses fidèles suivants pour lui révéler les desseins de Dériade. Il combat manifestement pour Dériade, et en secret pour Bacchus. Il commande les sauvages tribus des Scythes (44), des vaillants Ariènes (45), les races des Zoares (46), des Aornes (47), les Caspires (48), les Arbiens (49), possesseurs du fleuve Hysporos (50) aux flots étincelants, lequel dans la profondeur de ses courants roule le riche métal de l'ambre; puis, les habitants d'Arsanie (51), si heureusement située, où de leurs mains agiles les femmes achèvent sur le métier cher à Pallas une tunique entière d'une aurore à l'autre aurore.

Avec eux s'avancent les Cirrhadiens (52), habiles à plonger dans les contours des îles maritimes. Ils sont exercés à la guerre navale, mais ils ne connaissent pas les barques qui fendent les eaux ; au lieu de navires de bois artistement fabriques, ils voguent sur les peaux toutes rudes des bœufs. Assis sur ces peux, le nautonier dirige son étrange navigation au travers des flots paisibles, sillonnant le dos des mers dans ces barques imitatives. Thyamis (53) les commande avec Olkasos (54), chef des guerriers, tons les deux fils de Tharsère (55) le rameur.

Une nombreuse troupe vient d'Arizantie (56), la mère d'une nouvelle et ligneuse abeille. C'est là que, s'imprégnant au matin de la féconde humidité d'une rosée aérienne, des arbres chevelus distillent, comme d'une ruche, le produit merveilleux de l'abeille industrieuse ; la liqueur s'écoule d'elle-même des verdoyantes feuilles; semblable à ces gouttes abondantes que Phaéton, quand il parait, encore baigné de l'Océan, secoue de sa chevelure matinale, et fait tomber en douce pluie dans les sillons ensemencés d'une terre génératrice (57). Tel est le miel d'Arizante. Attirés par sa douceur, les oiseaux viennent en foule à tire d'ailes se poser et voltiger sur la tige ; le serpent à la marche sinueuse rampe et s'arrondit en ceinture autour de l'arbre; il lèche de ses lèvres le tendre produit des rameaux, et suce avidement la délicate rosée. Les dragons se repaissent aussi du même suc, et, pénétrés de ce miel délicieux, au lieu d'un venin amer et vagabond, ils ne dardent plus que la douce liqueur de l'abeille.

Là, sur ce mielleux branchage, chante le horion (58), le charmant oiseau, semblable au cygne mélodieux. Animés par les baleines du zéphyre, il ne prélude pas en battant les vents du bruit de ses ailes harmonieuses, mais il chante de son bec inspiré comme un homme qui, sur la musette nuptiale, ferait résonner l'hymne de l'hymen. Là, le catrée (59) au jaune plumage, prophétise la pluie de sa voix sonore; ses yeux vibrent un éclat semblable aux rayons qui précèdent le soleil; souvent, à coté du horion, et sur le même rameau d'un arbre élevé, tout brillant de ses ailes de pourpre, il se fait entendre ; alors, à ce chant matinal du catrée, on le prendrait pour un rossignol au cou varié, dont le ramage joyeux salue l'aurore.

C'est de là qu'arrive le bataillon de ces valeureux guerriers dirigés dans les combats par l'intrépide Phylitès (60), fils d'Hippasios (61), aidé de son frère Byltée (62).

Puis viennent les Sibes (63), la population d'Hydarque (64), et la troupe qui a quitté la ville de Carminne (65); Coltare (66) les commande avec Astraïs (67), le chef des Indiens, tous les deux fils de Logas (68), et honorés de Dériade.

Une autre armée paraît ensuite envoyée par ces trois cents îles qui se rangent et s'agglomèrent les unes auprès des autres dans le large lit de l'Indus aux deux branches, quand, promenant ses nobles ondes, il s'échappe, voyageur insensible, des roseaux du Sinde. Le fleuve dirige à travers les plaines son cours tortueux vers la bouche de la mer orientale, et vient briser de lui-même ses vagues contre la colline éthiopienne (69). C'est là que, comme le Nil en Egypte, l'indien et oriental Hydaspe, grossi par les eaux nées de la brûlante saison, voit s'augmenter de coudée en coudée ses courants naturels ; puis il jette ses bras humides autour de la terre, sa féconde épouse, la réjouit, la désaltère de ses humides baisers ; et se hâtant vers cet hymen passionné qui va produire au loin la gerbe, il donne à ses flots une croissance périodique que la loi des destins a réglée.

Là, fendant les eaux de ses ongles noirs et bruyants, le cheval du fleuve nage à l'aventure dans les abimes, tel qu'il se promène dans les flots débordés de mon Nil; il les sillonne, plonge dans les profondeurs, et souffle de ses longs naseaux. Ensuite il monte au rivage, et, comme il n'a pour s'emparer du froment qu'une bouche informe, amollie par l'humidité, il racle la surface de la glèbe à l'aide des scies de ses dents acérées; il fait tomber les tiges sous cette faucille imitative, et moissonne, dépourvu de fer, les plaines chargées d'épis.

C'est ainsi que le fleuve Indus passe pour rivaliser avec le Nil aux sept embouchures. Les guerriers qui abandonnent les contours des îles et le séjour des rives obéissent à Ripsase (70), capitaine, qui a toute l'apparence des géants.

Le vieil Arète (71) ne fit pas défaut à l'appel de l'intrépide Dériade. Il revêt sa poitrine velue d’une pesante maille d'airain, soutient sur ses épaules amaigries un bouclier dont il a rattaché la courroie à son cou recourbé. Contraint de combattre, il a levé une armée qu'il dirige avec ses cinq fils, Lygos (72), Myssos (73), Cophos (74), Paraphras (75), et le denier de ses enfants Myliane (76). Il a pressé d'un casque sa blanche chevelure; il commande l'aile gauche du grand cercle de ses troupes, et laisse la droite à ses fils. La nature avait scellé d'un cachet leur bouche muette, quand elle lia leur langue, organe de la parole raisonnée : en effet, lorsque Arète demanda une postérité à l'hymen ; qu'empressé d'ouvrir les portes nuptiales, il se soumit, avec Laobie (77), aux lois du joug conjugal et fécond, un prodige divin éclata. Au moment où, sur l'autel consacré, le nouvel époux se préparait à implorer Vénus protectrice du mariage, aux chants harmonieux dont le palais résonnait, la truie du sacrifice mêla le cri des douleurs de l'enfantement. Prophète de l'avenir, appesantie par une nombreuse portée, elle mit bas un produit incroyable et merveilleux. Une race illégitime de poissons s'échappa de son sein ; au lieu d'un fruit terrestre, elle donna un fruit des eaux. La renommée aux mille bouches répand aussitôt la nouvelle de la truie, mère des poissons; la foule se rassemble, chacun veut voir cette génération multipliée qui vient d'éclore sur le continent, toute semblable aux générations aquatiques on interroge le devin inspiré; il répond qu'une troupe nombreuse d'enfants, privés de la parole, va naître. C'est là ce que présage cette multitude d’habitants muets de la mer. Le devin ajoute encore, après avoir consulté les signes prophétiques, qu'il faut implorer le fils ailé de Maïa, le guide de la langue, le régulateur de la parole intelligente. Bientôt Laobie accoucha ; elle mit au monde à son tour des enfants nombre pareil aux produits de la truie, et dépourvu de voix comme les poissons. Bacchus, après sa victoire, en eut pitié. Il délia leur langue muette, abolit ce silence né avec eux, et leur donna enfin à tous l'usage de la parole.

Avec eux s'alignent les guerriers armés de boucliers qui possèdent Pyles (78), Colalla (79), habitée jusqu'aux limites de l'Euros, séjour de la vaillance orientale, et la divine Goryande (80), le plus fertile sillon du continent.

Ensuite, paraissent ceux qui tiennent les contours d'Ostha (81), mère des forêts où les éléphants prolongent leur vie démesurée ; car, la nature leur a donné de voir, dans le cours multiplié de leur âge, l'année se renouveler deux ou trois cents fois ; ils paissent l'un près de l'autre : l'éléphant est noir de la pointe des pieds jusqu'à la tête ; deux dents se prolongent en dehors de ses longues mâchoires ; sa trompe aiguë moissonne comme une faux recourbée ; il disperse les rangées des arbres sous ses pieds larges et épais; sa croupe arrondie ressemble à celle du chameau, et il transporte sur son vaste dos un nombreux essaim de conducteurs entassés; puis, se balançant sur ses genoux inflexibles, il forme sous un tel fardeau des pas assurés. Son cou s'abaisse légèrement; ses yeux, semblables aux yeux du sanglier, lui en donnent la rude apparence, en même temps que sa haute et immense tête représente le large front du dragon. Quand il se met en marche, ses oreilles décharnées, qui pendent des deux cotés de sa tête, se meuvent et s'éventent à la moindre haleine du plus faible zéphyr ; sa queue mince et courte s'agite sans cesse, et bat son corps d'un mouvement continu. Souvent, dans les combats, l'animal secoue sa trompe allongée, et, portant de tous côtés les armes naturelles de son menton, il promène sa faux étrange à deux tranchants aigus, et fond la tête en avant, comme un taureau, sur les guerriers au haut des chars. Souvent aussi il saisit de sa terrible mâchoire un fantassin chargé de son bouclier et de sa cuirasse, il l'enlève, le lance tout droit dans les airs, et l'immole en le recevant sur la pointe acérée de sou ivoire. Puis il rejette et fait tournoyer dans les cieux le cadavre qui roulait dans des tourbillons de poussière. Enfin il redouble les obliques évolutions de sa tète, image des spirales tortueuses d'un reptile, et, agitant ça et là à côté les scies découpées de son menton, il tend jusques à ses pieds le glaive irrité de ses défenses.

C'est d'eux que Bacchus, en général habile, se servit, après les combats des Indes, pour effrayer dans la plaine du Caucase, que traverse le fleuve Amazone, les femmes parées de casques ; et c'est ainsi qu'il les mit en fuite, assis sur le cou de ces immenses éléphants ; mais ce ne fut qu'après la guerre ; et maintenant c'est Phylète (82) qui, à l'appel de Dériade, conduit contre Bacchus dans la mêlée l'éléphant à la marche directe. C'est Phylète qui commande aussi la tribu belliqueuse de la noble race que produit Maracande (83) ; ses voisins d'Euthydémie (84) aux grands précipices, qui parlent un autre langage, le suivent également

La nation des Derbiques (85) s'est réunie à Dériade, de même que les Éthiopiens (86), les Saces (87) et la diverges tribus des Bactriens (88) ; les Blemmyes (89) crépus se présentent en grand nombre. Mais les Éthiopiens usent d'une forme de combat adroite et étrange; ils prennent la tête osseuse d'un coursier expiré, cachent un visage véritable sous cette menteuse enveloppe, attachent une tête humaine à un masque qui ne l'est pas, et unissent ainsi le mort au vivant ; puis, dans la mêlée, ils atteignent l'ennemi sans défiance contre ce front emprunté; et leur chef, quand un son s'échappe de sa bouche trompeuse, au lieu de la voix d'un homme, ne fait entendre que le hennissement d'un cheval. Ils accourent en foule à l'appel du roi.

Ce roi qui les commande tous, c'est le souverain des Indes, issu des amours de l'humide Hydaspe et de la fille du Soleil Astris (90), dont l'hyménée fut si noblement fécond. Une autre légende le lait naître de la naïade Céto (91), fille de l'Océan, et veut qu’Hydaspe, originaire de la race titanique, ait rampé vers le lit bouillonnant de cette épouse, et jeté autour d'elle ses ondes conjugales. En effet, Electre (92) au bras de rosé donna à l'antique Thaumas (93), dont elle partageait la couche, une double progéniture: Hydaspe aux rapides courants et Iris la messagère de l'Olympe. L'une hâte le vol de ses pieds, comme l’autre la course de ses ondes; et tous deux, en sens contraire, marchent d'une même vélocité, Iris parmi les immortels, et Hydaspe parmi les fleuves.

Telle était l'armée indienne. La ville en est encombrée. Les rangs des guerriers ceignent les rues et remplissent les quartiers de la citadelle. D'autres s'entassent dans les recoins des carrefours. Ceux-ci s'établissent dans les retranchements ou sur le haut des remparts ; ceux-là au sommet des tours, où ils goûtent un tranquille sommeil sur ces lits chargés de projectiles, et, dans des songes belliqueux, ils livrent aux satyres une bataille imaginaire. Dériade ouvre son palais hospitalier aux chefs des phalanges : tous, sur des sièges rangés autour d'une même table, s'y placent en compagnie du roi. Le festin du soir se prolonge jusqu'à l'heure du repos nocturne, et la troupe s'endort tout armée près de l'ennemi. (94)



 

NOTES DU VINGT-SIXIÈME CHANT.


Observation préliminaire. — Fidèle aux règles que je me suis tracées moi-même dans le treizième chant, j’aurais voulu sans doute mette à commenter le catalogue de l’armée indienne, une exactitude aussi pointilleuse que celle dont j’ai essayé d’illustrer l’armée bachique, ou plutôt le nombreux cortège du conquérant: mais, dans ce premier labeur, j’étais soutenu par l’abondance des témoignages de toute nature et de toute époque, qui m’accompagnaient dans mes pérégrinations ; je me trouvais en pleine Grèce:

Là, tous les noms heureux semblent nés pour les vers.

Il n’en peut être ainsi pour le dénombrement indien. Depuis l’expédition d’Alexandre, qui elle-même ne rapporta que des notions confuses en géographie et en histoire sur les contrées soumises après de si rapides triomphes, les ténèbres semblèrent s’étendre de nouveau sur les pays traversés par l’Indus, et plus encore par le Gange. Si donc les Dionysiaques ne peuvent faire autorité pour chaque point de la topographie de l’Indoustan, elles n’en sont que plus précieuses quand elles relient leur dénominations et les légendes antiques avec les désignations et les traditions qui subsistent encore aujourd’hui. Il est présumable que la connaissance des peuplades en deçà et au delà du Gange aura pénétré en Égypte, apportée par les navigateurs des mers orientales, et par la communication de la mer Rouge avec Alexandrie, centre du commerce et des sciences. Nonnos peut l’avoir recueillie de la bouche de ses contemporains, autant que cherchée dans les écrits des siècles précédents: comme en usa plus tard Cosmas, auteur d’une topographie chrétienne; écrivain voyageur du sixième siècle, qui se retira dans un monastère après avoir parcouru l’Inde, l’Éthiopie, et interrogé à Alexandrie les commerçants de ces deux pays. Néanmoins, quand le son de la dénomination antique ne pourra faire écho dans l’appellation moderne (et le cas sera rare, j’espère, après mes corrections), je demande d’avance, soit quelque indulgence pour mes conjectures risquées, soit la permission d’abréger la nomenclature.

Et si qua externa referantur nomina lingua

Hoc operis, non vatis erit, non omnia flecti

Possunt, et propria mellus sub voce notantur.

(Manilius, l. III, v. 41.)

J’ai besoin de plus de tolérance encore pour les noms propres des combattants, qui ne sont pas toujours historiques, mais qui sont issus pour la plupart de l’imagination de Nonnos, comme de son penchant à trouver dans les mœurs ou les habitudes des peuples les noms de leurs capitaines. — Il y a là, comme dit Arrien de certains conteurs revenus des Indes, bien des choses écrites qui dépassent l’histoire et la vraisemblance. (Arrien, Ind,, § IV.)

(01) Imitation d’Homère — Voici un échantillon remarquable de la façon dont Nonnos imite Homère, ou plutôt le délaye parfois et le paraphrase. On reconnaît ici le vers célèbre de l’Iliade:

Οὺ χρὴ παννύχιον εὔδειν βουληφόρον ἄνδρα.

(L. ΙΙ, v. 24.)

De cette sentence proverbiale, l’Égyptien fait deux parts; l’une, qu’il applique aux guerriers défenseurs des citadelles, l’autre aux hommes d’État porte-conseils.

Soliman, Solimano, I tuoi silenti

Riposi, a miglior tempo omai riserva.

(Tasso, Gerus. lib., canto X, st. 8.)

(02) Agrée. — Agrée signifie le Chasseur.

(03) Phloglos. — le Bouillant.

(04) Eulée. — leur père, porte le nom grec du fleuve U lai, uni au Tigre par un canal. (Arrien, liv, VII, eh. 7.) Il arrose la ville de Sure. Et c’est sur ses bords que Daniel eut ses révélations prophétiques, Vidi aulem lui vulone esse me super portam (liai- (Dan., eh. VIII, . 2.)

(05) Cyra. — Cyre est sans doute, suivant Hécatée, cité par Etienne de Byzance, une île du du golfe Persique, dont il ne dit rien de plus; mais c’est aussi une des villes fondées par Cyrus sur les bords de l’Iaxarte. (Καὶ τὰ Κύρα, ἔσχατον ὂν Κύρου κτίσμα ἐπὶ τ Ἰαξάρτ ποταμ κείμενον. (Strab., liv. XI, p. 317.) J’aime mieux pour la grammaire (car Nonnos aurait, comme Strabon, dit τὰ Κύρα, s’il s’agissait ici de la ville frontière de la Sogdiane et de la Perse), et pour la géographie lire Cysa, et reconnaître ici la contrée de Cysa désignée ainsi par Arrien : Ὁρμίζονται πρὸς αγιαλῷ καὶ κώμ ἀπὸ θαλάσσης ἐς σταδίους τριήκοντα ἀπεχούση, ἡ μὲν κώωμη Κύσα ἐκαλέετο. (Arrien, Ind., § 28.)

(06) Bagia. — Non loin de ce pays de Cysa, Ptolémée place le promontoire Bagia, qui m’a servi à corriger le vers 49. Bagia est dans la Carmanie. « C’est là, dit Arrien, qu’est un rocher consacré à Jupiter, dernier témoignage du culte grec à la limite de la religion hindoue ».

(07) Zorambos. — Le fleuve Zoramba ou Zorambos, que je donne pour successeur dans le texte à l’énigmatique Ombélios, descend du revers occidental des montagnes Perses, confins de la Gédrosie; il traverse, avant de porter ses eaux bourbeuses dans la mer des Indes, le pays des Chélonophages, Mangeurs de tortues. Ptolémée, liv. VI, ch. 3.)

(08) Rhodoé. —Si Rhodoé n’avait pas été nommée dans le passage des Bassariques que cite Étienne de Byzance, tout à côté de Gérée, qu’elles vont m’aider à rétablir, j’aurais essayé de la remplacer par Podocé, cette ville que le Dictionnaire des villes et des peuples désigne seulement, et dont son commentateur ne parle ras; elle me paratt porter une appellation beaucoup trop grecque. Podocé, citée à la fois par Arrien et par Ptolémée, est une ville indienne; mais, sous ce nom de Rhodoé, le major Wilford (Asiatic researches, t. IX) a cru reconnaître la ville de Rotas dans le royaume de Lahore, et je cède à son autorité. Avec plus de hardiesse, j’aurais échangé Podocé contre Rhodoé dans les Bassariques ainsi que dans les Dionysiaques, et la raison comme la géographie s’en seraient mieux trouvées toutes les deux.

(09) Propanise. — Propanise est un mot contracté de Paropanise, Paropamise, (un même Paropanasse, dont Aristote a fait un mont Parnasse indien. (Météorol., liv. I, ch. 13). C’est aujourd’hui le mont Gerghistan et la chaîne des montagnes qui séparent le Candahar dans l’Afghanistan du pays de Gaur. La situation et les confins des tribus paropamisades sont exactement tracés par Ptolémée (liv. VI, c. 18); et voici ce qu’en dit Quinte-Curce: Agreste hominum genus, et inter barbaros maxime inconditum, locorum asperitas hominum quoque ingenia duraverat. (Liv. VII, ch. 3.)

(10) Gérée. —Gérée, ici est une île; c’est sans doute sa capitale que Ptolémée nomme Gérapolis dans la description du golfe des Ichthyophages.

(11) Sésinde. —Sésinde est une ville indienne, selon Étienne de Byzance, qui n’en dit pas plus à ce sujet. En place de ce nom inconnu, je voudrais lire Sériade, fondé sur ce passage d’Ammien Marcellin: Nationibus Indicis certatim eum donis optimates mittentibus, ab usque Indis et Serindis. (liv. XXII.)

Justinien, voulant faire jouir l’empire grec des avantages que le commerce de la soie procurait à la Perse, envoya deux moines à Sérinda pour en rapporter des vers à soie; Procope nous l’apprend; on trouve sur la route de Dehli à Lahore, une ville nommée aujourd’hui Ser-Hend. A es propos, le major Vincent (Voyage de Néarque) accuse d’Anville d’avoir confondu Ser-Hend avec la Sérique, province très éloignée et très diverse de Sérinda. N’est-ce pas le cas de se souvenir ici des vers d’Horace?

Sive subjecto. Orientis oræ

Seras et Indos.

(Od. 12, L. 1)

(12) Gazos. — Gazos, qui vient tout de suite après Gérée, dans les Bassariques, n’est pas plus qu’elle nommée par Strabon; mais toutes les deux figurent en compagnie de Rhodoé dans le fragment de ce poème que nous a conservé Étienne de Byzance; en voici la traduction:

« Gérée, Rhodoé et ceux qui ont entouré Gazos d’une muraille de lin : ses remparts tissés offrent à l’ennemi la même résistance que s’ils étaient tout entiers de bronze. Ils s’étendent sur quatre faces symétriques, et renferment dans leur longueur et largeur autant d’espace qu’un homme, marchant de l’aurore au crépuscule du soir, pourrait en parcourir en deux soleils. »

(13) Les Dardes. — Les Dardes sont les Deradas, montagnards des bords du Kashmir. Strabon dit qu’ils habitent le revers oriental des montagnes, et possèdent de grandes mines d’or. C’est qu’il applique, sans y croire, la description que fait Mégasthène des fourmis fouilleuses et gardiennes de la poudre d’or.

(14) Les Prasies. — Les Prasies ou Prasiens; ce sont les Prachya modernes du major Wilson. Sed omnium in India prope, non modo in hoc tractu, potentiam claritatemque antecedunt Prasii. (Pline, liv. VI, c. 22.) C’est à Palibothra, capitale des Prasies, que Mégasthène, ambassadeur de Séleucus, se procura, pour les transmettre aux Grecs, presque toutes les notions sur l’Inde que nous trouvons dans Strabon, Pline et Arrien. A cette observation de James Bennell (Description des Indes, Introd.), ajoutons seulement que ces judicieux géographes n’ont pas admis toutes les fables débitées par le diplomate grec, au retour de sa mission. La capitale des Prachys est maintenant Allah-Abad, la reine des cités saintes.

(15) Les Sarangues. — Les Salangues du texte de Graëfe sont cités sans autorité par Étienne de Byzance, comme homonymes d’une peuplade italienne; il faut voir ici les Sarangues de Pline et de Ptolémée. Hérodote les fait figurer dans le quatorzième département des tributaires de Darius. (Lev. III, c. 93.) Mais, en attribuant aux Sarangues l’abondance de l’or, Nonnos ne fait-il pas un emprunt poétique aux Dardes signalés plus haut? ou bien n’y a-t-il pas là quelque trace des notions indécises que les négociants grecs d’Alexandrie rapportaient de leurs voyages dans les Indes? Quant à ces légumes farineux, κέδροπα, qui sont l’aliment perpétuel des peuplades où l’or est le plus commun, n’oublions pas que l’Ιnde produit de plus que nos fèves et nos lentilles, le moung, haricot (en gascon, moungetos), phaseolus mungo; le tour, fruit d’une espèce de cytise; le tott, arbuste qui fournit des pois, mets favori des matelots; le marhus, la panisse, le cynosurus indicus, de Linné, dont les épis donnent un grain abondant; enfin beaucoup d’autres légumineux inconnus à l’Europe. Ces peuples ne seraient-ils pas, d’un autre côté, les Rhizophages, les mangeurs de racines d’Elien? (Liv. XVII, ch. 4, des Animaux.)

(16) Les Zabiens. — Les Zabiens à la chevelure tortueuse. « Nation indienne, dit Etienne de Byzance, qui prit les armes avec Dériade contre Bacchus. — Zaba est une position considérable et un port principal dans la navigation, en partant de la Chersonèse d’or pour une échelle plus éloignée (Ptolémée, Prolég., ch. XIV); or, dit d’Anville, je retrouve ce lieu de Zaba vers l’extrémité de la presqu’île Maléenne, à quelque distance en remontant de la barre de la rivière de Johr. Dans le Recueil des mémoires de la compagnie hollandaise des Indes orientales, le nom de cette ville, résidence du roi de Johr, se lit Batu-Saber, avec la finale que donne un idiome germanique. » (d’Anville, Ind. anc., p. 126.)

(17) Stassanor. — Le Palthanor du texte primitif, dont le nom n’a aucune signification, cède ici la place à Stassanor, qui arrête les guerriers, attribut très convenable à un chef prudent, ἐχέφρων. C’est ainsi d’ailleurs que s’appelait le satrape des Ariènes, qui fut député vers Alexandre. (Arrien, liv. IV, ch. 7.)

(18) Morrhée.— Morrhée, dit le major Wilson, est peut-être une contraction du mot maharaya, ma-ray, moiréis, suivant Hésychius, composé, de raya, qui est le terme indien de roi, et de maï, qui implique la qualité de grand. (Asiatic Researches, t. XVII.)

Ici je clos la dissertation sur les étymologies indiennes, beaucoup trop savantes pour moi, par un souvenir qui m’est cher:

« Mon frère Joseph, me disait mon ami le comte Xavier de Maistre, était grand amateur d’étymologies, et nous entrions parfois en guerre sur ce sujet : mais il me battait sans cesse, excepté le jour où je l’attaquai sur l’origine celtique qu’il donnait au mot maison (Soirées de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 137). — Je ne suis pas assez érudit, lui dis-je, pour y voir autre chose que le mot latin mansio (demeure). Et pourtant il ne se rendit pas. Il était doué d’une excellente mémoire, et il me raillait souvent des lenteurs de la mienne. Une fois qu’il m’avait poussé à bout, — Je ne cite guère, il est vrai, répliquai-je, mais je ne m’expose pas à citer à faux. Ainsi je ne mettrais pas dans la bouche de la Junon d’Homère une parole de son mari, toute spirituelle qu’elle est (Ibid., p. 30), parce qu’avant d’écrire je consulterais l’Iliade, si je savais le grec; et je me garderais bien, surtout dans l’Evangile, de confondre avec le lépreux de saint Mathieu le paralytique de saint Jean (Ibid., p. 55) Mon frère, un peu piqué d’abord, se mit à rire ensuite. — Ah! te voilà bien toujours avec ton lépreux, me dit-il;—— et la querelle finit là ».

(19) Didnasos. — Didnasos, la père de Morrhée et d’Oronie, était sans doute le chef de quelque tribu indienne considérable. J’ai vainement fouillé l’histoire, la géographie et même la Fable pour en retrouver la trace.

(20) Æthré. — Æthré n’est pas connue dans la géographie antique. Ville céleste, éthérée, c’est un des surnoms de l’île de Rhodes. Αἴθρην ἀννεφέλου; c’est le innubilus αether de Lucrèce (Liv. III, v. 21.)

(21) Asène. —Je remplace Anthènes du texte de Graëfe, petite ville antique du Péloponnèse, qui trouverait mal son homonyme dans les Indes, par Asène, territoire dont la capitale prit pus tard le nom de Bucéphale, du cheval d’Alexandre, qui y mourut; et je substitue à Orycie, trop dépaysée, qui rappelle l’amante athénienne de Borée.

(22) Andonadis. l’Andomatis d’Arrien, Il paraîtrait plus convenable, dit d’Anville, de lire Andonadis, fleuve d’Andi, ville entre Séronge et Brampour; en raison de Nadi ou Nidi, en malabar, terme indien qu’on trouve, entre plusieurs autres, employés à l’égard des rivières. Ces deux contrées, rectifiées ainsi, retrouveraient en effet la signification de leurs épithètes Asène (Λασιῶνα), les forêts des montagnes nommées Châtiment des dieux par d’Anville, sur le penchant septentrional, et Andonadis ou le Sonos, l’un des affluent, du Gange, les bambous ou les roseaux de ses sources (δονακῆα), sur le revers méridional de la même chaîne.

(23) Nésée. — J’aime à voir ici dans Nésée la capitale des Néséens, citée par Pline parmi le nombre infini des peuplades voisines de Patalène, et non une Nysa ou Néséa, aujourd’hui Nagas, qui fut fondée plus tard par Bacchus, et dotée de la moitié du nom divin. Et cependant c’est aussi entre les deux fleuves Cophès et Indus que Strabon place les Nyséens (liv. XV, p. 700), d’accord sur ce point avec Philostrate. Au surplus, le récit du biographe d’Apollonius de Tyane touche de trop près à mon sujet pour que je puisse raisonnablement me dispenser de l’intercaler ici, malgré sa longueur.

« Après avoir passé le fleuve Cophénès, Apollonius et son cortège arrivèrent à la montagne de Nysa, cultivée jusques à son sommet, comme le Tmole en Lydie; et la culture même en rend l’accès facile: ils rencontrèrent, en y montant un temple de Bacchus, que le dieu, dit-on, créa pour lui-même, et entoura d’une plantation de lauriers dans une étendue suffisante à un temple régulier ; puis, entremêlant au laurier le lierre et la vigne, il dressa sa statue au centre, car il savait que le temps ferait croître tous ces arbustes ensemble, et formerait ainsi une sorte de voûte. La chose existait en effet, au point que ni les vents ni la pluie ne pouvaient la pénétrer. Des faucilles, des corbeilles, des pressoirs, et tout ce qui les accompagne, y sont apportés en offrande à Bacchus, en sa qualité de vendangeur; sa statue en pierre blanche représente un jeune Indien. Quand il célèbre ses fêtes et secoue Nysa, les villes situées au bas de la montagne l’entendent, et sont ébranlées aussi. Sur ce Bacchus, il y a entre les Grecs et les Indiens une véritable controverse. Nous prétendons, quant à nous, que Bacchus le Thébain porta, à la tête d’une armée, son culte jusque dans les Indes, et nous citons, entre autres témoignages, l’offrande qui se conserve dans le trésor du temple de la Pythie. C’est un disque d’argent indien sur lequel il est écrit: Bacchus, fils de Jupiter et de Sémélé, à Apollon de Delphes. Mais les Indiens qui habitent entre le Caucase et le Cophénès disent que ce Bacchus était un étranger venu de l’Assyrie, et qui connaissait tous les faits du Thébain. Les Indiens, au contraire, qui demeurent entre l’Indus et l’Hydraote, ou dans la région qui y fait suite jusqu’au Gange, soutiennent que ce Bacchus était fils du fleuve Indus; que le Thébain, venant le visiter, lui donna le thyrse, les mystères, lui apprit qu’il était fils de Jupiter, mûri jusqu’à l’enfantement dans la cuisse divine (Méros), et qu’il avait trouvé une montagne nommée Méros, auprès de Nysa. C’est alors qu’en son honneur Nysa fut complantée des vignes dont les rejets avaient été apportés de Thèbes. »

Tel est le récit de Philostrate : on reconnaîtra dans le texte grec, mieux encore que dans ma traduction, ce penchant vers le merveilleux et le confus, qui est le propre de l’écrivain.

(24) Malana. — Pour Mélènes, dont le climat tempéré est mis en opposition avec les chaleurs de Nésée : c’est sans doute le Malana de Néarque, à l’embouchure du Tamarus. Et Thévenot, dans le récit de sa navigation jusqu’à Surate, explique que cet endroit lui a été indiqué sur la côte maritime, sous le nom de Malan.

(25) Patalène. — Patalène est désignée plus précisément, et l’on ne saurait s’y tromper. C’est la Pattalène de Strabon, contrée semblable de nom et de forme au Delta égyptien. Πατταληνὴν καλουμένην χώραν, παραπλησίαν τῷ κατ Αἴγυπτον Δέλτα. (Arrien, liv. V, ch. 3.) Patalène, maintenant Talla-Nagαr, était située à l’angle de terre formé par l’Indus quand il se divise en deux branches; et c’est ce que nous appelons à Bordeaux, bien qu’il s’agisse de deux rivières, l’entre-deux-mers, traduction libre de l’ἀλιστέφανον de Nonnos.

(26) Les Dysséens. — Les Dysséens du texte fautif deviennent ici les Dosaréens, habitants de la ville de Dosara. s A l’égard de Dosaron, qui dans Ptolémée précède la position de Cocala, je vois bien une rivière qui peut y répondre. Et cette circonstance, dans une carte manuscrite que j’ai sous les yeux, sans en donner le nom. Les mémoires que la curiosité du voyageur Thévenot lui a fait ramasser dans l’Inde, font mention d’un lieu, sous le nom de Dausar, les Hollandais auraient eu un établissement; et le rapport dans la dénomination serait assez évident. (D’Anville, Antiq. de l’Inde, p. 138.)

(27) Les Sabires. — Aux Sabires, tout à fait ignorés de la géographie ancienne ou nouvelle, je substitue les Sabares, courageux parce qu’ils sont velus. Chez eux se trouve le diamant. Ils habitent les bords du fleuve Adamas des anciens, le Mahanady moderne. Leur ville est aujourd’hui Sumbalpore, dans le district de Gundwanah. Ce. per. riers, aux poils épais, sont une paraphrase du λέστον κῆρ des Paphlagoniens de l’Iliade (II, 851).

« Les physionomistes, dit Eustathe, affirment que les hommes qui ont la poitrine velue sont actifs, intelligents et hardis. » Muret, en souvenir du vers d’Homère, a cité ce passage de Nonnos, le poète érudit et éloquent: Eruditus et grandiloquus pœ ta Nonnus (Muret, Var. Lect., liv. VII, c. 10). Voici comment l’annotateur des bronzes d’Herculanum a traduit ces vers, où il faut lire les Sabares en place de Sabins.

L’ orride squadre v’ eran de’ Sabini,

Di petto e cuor peloso, ond’ hanno l’alme

Ardite, e n’ cui non la Bellona orrore.

(Bronzi, t. II.)

(28) Les Ouatocètes. — Les Ouatocètes sont ce même peuple que Strabon nomme Enotocètes (c’est le même sens) et qu’il relègue avec les sans bouche et les sans-nez, parmi les inventions des voyageurs. Les hommes couchés dans leurs oreilles se retrouvent aussi chez le géographe Méla. Quibus magnæ  aures et ad ambiandum corpus omne patulæ , nudis alloqui pro veste sini. (Liv. III, ch. 5.) Et c’est à peu près la traduction d’un des contes de Ctésias. « Ils ont les oreilles si longues, qu’elles se touchent l’une l’autre, et qu’ils s’en enveloppent le dos et les bras jusqu’aux coudes. » (Ctés., ap. Phot., c. 31.) Il y a lieu de penser, dit le géographe Orélius, que l’antiquité les aura appelés ainsi en raison du large capuchon dont ils recouvraient leur tête et leurs oreilles pour se garantir du froid et de l’intempérie des saisons.

(29) Phrdngos. — Suivant son habitude, Nonnos donne aux cinq chefs des Ountocètes des noms imaginaires, mais significatifs: Phringos, le Robuste;

(30) Aspétos, — l’Immense;

(31) Tanyclos, — l’Étendu;

(32) Hippoaros, — le Porteur d’une queue de cheval;

(33) Egrétios, — le Vigilant.

(34) Tectaphe. Tectaphe signifie l’Enterré; allusion à son cachot souterrain; et sa fille Éérie, l’Aérienne. On tiendra compte de l’expression, νεκρός ἐχέφρων, qui est de Sophocle, ἕμψυχον νεκρόν. Autig. v. 1132.)

(35) Exubérance du style de Nonnos. — Il y s ici sans doute surabondance; et cependant je ne voudrais pas pour ce fait seul frapper Nonnos de la sentence de Boucau, dont l’application serait fatale à tant d’écrivains de nos jours:

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.

Assurément les quatre premiers vers suffisaient dans la bouche d’Eérie; et ils avaient ainsi un faux air des courtes et passionnées exclamations de Nisus dans l’Enéide, éternel modèle. Le reste affaiblit l’effet; il y a là quelques vers harmonieux de trop: mais, après tout, l’épisode est dignement traité. Cette charité romaine, ainsi nommée depuis, bien que le sujet originel fût grec, et qui était déjà du temps de Valère-Maxime un excellent exercice pour les peintres, méritait, comme il le dit fort à propos lui-même, d’être éternisé par le pinceau, comme par la plume de l’histoire.

(36) Les Bolingiens. — Les Bolingiens, que le poète Dionysios, dans ses Bassariques (Étienne de Byzance, art. Boling.), avait placés lui même sous les ordres de Tectaphe, habitaient sur la rive orientale de l’Indus, au dire de Pline (liv. VI, c. 23), c’est l’Indo-Scythie de Ptolémée (liv. VII, c. 1).

(37) Giglon. — le Géant,

(38) Thorée. — le Sauteur,

(39) et Hippalme, — le hardi cavalier, sont les trois chefs des

(40) Arachotes. —nation peu connue, même de voisins, car elle refusait tout commerce et tout échange. Nationem ne finitimis quidem satis notam, quippe nullo commercio volentem mutuos usus. (Quinte-Curce, liv. VII, ch. 3.) D’Anville les place sur la carte à l’ouest des monts Parvéti. Le Périégète les dit vêtus de lin. Αινοχλαέινου τ’ Ἀραχώτας. (Dion. Perieg., v. 1096.)

(41) Les Dranges. — Au lieu des Derséens de Graëfe, entièrement ignorés, mettons les Dranges, habitants de la Drangiane, que Strabon place auprès des Arachotes.

(42) Ηabraate. — Au lieu d’Habrathoos, nom grec à demi, lisons Habraate, qui signifie, à qui la vengeance est douce. Cette cruelle injure, que lui avait infligée Dériade en le privant de ses cheveux, était chez les Indiens la punition des plus grands crimes, Nicolas de Damas en témoigne ainsi : Τὸν δὲ μέγιστα ἀδικήσαντα, ὸ βασιλες κελεύει κεὶρασθαι ς ἐσχάτης οὔσης ταύτης ἀτιμίας. (Nic. Dam., Περὶ θων, apud. Stob., p. 290.) Ce châtiment s’est perpétué dans les Indes; et Wilson dit, à ce sujet On raconte de Sagora, qu’après avoir vaincu diverses tribus de parias, il épargna leurs vies à la prière du sage Vasishtha, et se contenta d’exiger qu’ils portassent la tête rase à demi ou en entier. (Wilson, Asiatic researches, t. XVII, p. 616)

(43) Les Xuthiens. — Au lieu des Xuthiens de Graëfe, il faut lire les Xathres, nation indépendante qu’Arrien a nommée. (Exp. Alex., liv. VI, ch. 15.)

(44) Jeu de mots. Ἀγγελον, ἀγγλοντα, vers 162. J’hésitais à accepter cette répétition inutile, qui, n’étant ni un jeu de mots ni une antithèse, me paraissait peu conforme aux habitudes de la diction épurée de Nonnos, lorsque je me suis rappelé Homère,... ἄγγελος ἐλθν, ἤγγειλ (Il. XXII, 438), et dès lors je n’ai plus douté.

(45) Les Ariènes, — Les Ariènes habitaient l’Ariane, soit la rive occidentale de l’Indus, depuis les monts Paropamises, jusqu’à son embouchure. Les Bassariques en font mention. (Étienne de Byzance, art. Κασπεῖρος.)

(46) Les Zaores. — Les Zaores sont les Zoares, citoyens de Zoara, ville de Perse, que Dionysios a nommée dans les Bassariques, et que cite Étienne de Byzance.

(47) Les Yores. — Les Yores ne seraient-ils pas plutôt les Aornes, habitants circonvoisins du rocher d’Aornos, que baigne l’Indus? Cette forteresse naturelle résista, disait-on, à Hercule, qui en abandonna le siège, effrayé par un tremblement de terre : elle fut prise par Alexandre. On peut lire dans Quinte-Curce l’élégant récit de ce haut fait du roi conquérant. (Liv. VIII, ch. 2.)

(48) Caspira. — Caspira, capitale du pays des Caspiréens, nommés par Ptolémée: c’est maintenant Cospore; Hérodote les cite.

(49) Arbis. — Arbis, ville de la Gédrosie, dont Ptolémée a parlé.

(50) Hysporos. — le fleuve Hysporos serait le même que l’Hypobarus de Pline. Ctésias, qui nomme ce dernier assez mal à propos Hyparque, pour lui trouver une étymologie hellénique, dit que ses flots roulaient de l’ambre trente jours par an. (ap. Ph. de reb. Ind., c. 19.) Mais, pour maintenir cet Hysporos ignoré, je ne puis m’arrêter à ces premières données qui découlent d’une vague conjecture de Graëfe. Le docte professeur, après avoir annoncé de grands éclaircissements géographiques sur le dénombrement indien des Dionysiaques, ne les a pas fait connaître, et ne s’en est servi pour rectifier aucune des désignations de texte les pus manifestement erronées. Au lieu de cet Hysporos inconnu, ne devrait-on pas lire l’Hyphasis de Strabon (liv. XV, p. 697), l’un des cinq fleuves dont la réunion donne son nom au Pendjab indien?

(51) Arsanie. — Un autre passage des Bassariques, conservé par Étienne de Byzance, permettrait d’établir aisément ici le nom de Darsanie à la physionomie plus indienne peut-être, et de supprimer la formule homérique des dénombrements, ο τ’ ἔχον, qui se rencontre déjà deux vers plus haut. Mais j’ai conservé l’Arcanie du texte de Graëfe, que le savant Pinedo trouve plus convenable, en ce qu’il e-t plus court. Je voudrais alors essayer d’y voir la capitale des Assacani d’Arrien, dont le territoire se serait étendu de l’Indus au Cophès (Asch-Nagar aujourd’hui). Cette tribu avait levé contre Alexandre deux mille cavaliers, trente mille fantassins, trente éléphants, et ne lui opposa néanmoins qu’une faible résistance. (Arr., liv. IV, c. 25.) Voici les vers des Bassariques, qui rappellent ceux de Nonnos.

« Et ceux qui habitent la ville de Darsanie aux larges rues; c’est là que les femmes, par la Grèce de Minerve, étendent sur le métier et peignent de diverses couleurs la toile que le même jour les voit finir et détacher. » (Bass., liv. III, chez Et. de Byz., art. Darsanie.)

(52) Les Cirrhadiens. — Sous les Cirrhéens, qui figurent dans Ptolémée, dont j’ai traversé les champs en Attique, j’ai trouvé cachée les Cirrhadiens, tribu indienne. On recueillait chez eux le malobathrum le plus estimé des anciens. C’est d’une sorte d’arbuste odorant, né dans les marais, qu’on exprimait ce parfum le plus renommé pour les cheveux : il se vendait en Syrie.

...............................Coronatus nitentes

Malobathro syrio capillos.

(Horace, Od., l. II. v. 85.)

La Cirrhadie est aujourd’hui le Candéish, dont la capitale, Brampour, est traversée par le Tapty, le Catabeda de Ptolémée; ce fleuve se jette dans la mer, plus loin que la bouche la plus orientale du Gange.

(53) Thyonis. — Les chefs des Cirrhadiens sont

Thyonis, à la nef rapide;—

(54) Olcasos, le Remorqueur, tous les deux fils de

(55) Tharsère le Confiant, que je substitue à Tarbère, l’Effrayé. Les peaux brutes de bœufs, sur lesquelles les Cirrhadiens affrontaient les orages de la mer indienne, me rappellent la nacelle de cuir bouilli que j’ai vue en paquet dans les mains d’Horace Vernet, notre merveilleux peintre: il donnait alors, à Rome, ses lois et ses exemples à nos jeunes artistes réunis sous son égide à la villa Médicis. Il se servait de ce bateau portatif pour remonter et descendre le Tévérone à la poursuite des tadornes et des sarcel.es, qui l’hiver cherchent les eaux douces et chaudes. Mais, moins heureux qu’Olcasos et Thyonis, plus d’une fois la frêle barque en chavirant l’avait plongé dans les eaux grossies par les cascatelles de Tivoli, ou s’était enfoncée sous ses pieds.

(56) Arizantie. — Arizantie, dont Hérodote, qui est le seul à en parler (liv. I), place les habitants en Médie, pourrait être un terme de géographie grecque, substitué par le copiste primitif à un nom de la géographie indienne, qui ne lui était pas familier, Aristobathra, par exemple, que Ptolémée désigne parmi les cités des bords du Gange. (Liv. VII, c. 1.) Je n’ai pas osé néanmoins, sur cette simple conjecture, faire subir au texte une telle altération, bien que je sois passablement hardi en cette matière.

(57) L’arbre qui distille le miel. — Voilà ces feuilles qui distillent le miel dont nous parle Strabon, Καὶ τῶν φύλλων ἐποῥρεῖν μελι. (Liv. II, p. 73.) Ce peu de mots grecs, Sénèque les a paraphrasés ainsi : « Aiunt invenire apud Indos mel in arundinum fouis, quod aut ros illius cœ li, aut ipsius arundinis humor dulcis et pinguior gignat. » (Sénèque, Epist., 84.) Enfin en voici une amplification bien poétique de Pline :

« C’est ainsi qu’à la première lueur de l’aurore les feuilles des arbres paraissent couvertes d’une rosée de miel. Tous ceux qui vont à l’air de grand matin sentent leurs vêtements s’imprégner d’humidité, et leurs cheveux se coller l’un à l’autre, comme si c’était une sueur du ciel, une sorte de salive des étoiles, une certaine sécrétion de l’air, Ah ! pourquoi ne restent-elles pas toujours liquides, naturelles et pures comme à leur formation? Mais, en tombant avec abondance, et d’une telle hauteur, elles se souillent et se décomposent au contact des exhalaisons de la terre; et néanmoins, humées sur le feuillage par les abeilles, dont elles sont la boisson et l’aliment, corrompues par le suc des fleurs et macérées dans les ruches, elles gardent encore pour nos plaisirs, et malgré tant d’altérations, beaucoup de leur céleste origine. (Pline, liv. XI, c. 12.)

(58) Le horion. — Pour sa description du horion (car l’oméga marqué d’un esprit rude exige du traducteur l’h aspirée), Nonnos avait sans doute sous les yeux le passage d’Élien, ou peut-être les écrits de Clitarque, auquel Strabon nous renvoie (liv., XV, p. 718), et qui sont perdus.

Laissons la place à Clitarque, dit Élien; « Il affirme qu’il y a dans l’Inde un oiseau de penchants fort amoureux. Il le nomme horion, ce nous semble. Nous allons la peindre des mêmes couleurs qu’il emploie. Le horion est comme l’oiseau que nous appelons héron; il a, comme lui, les pattes rouges, mais, de plus que lui, les yeux bleus. La nature, en le dotant d’un chant harmonieux, lui a appris à faire entendre ses plus doux accents quand il célèbre son hyménée; alors il charme sa génération d’un hymne nuptial qui rappelle les sirènes.

Le horion serait-il le melna que Thévenot a rencontré dans les lies du Gange? Dans tous les cas, ces fictions hindoues que pouvaient recueillir les commerçants égyptiens sont à peu près pareilles aux récits merveilleux que faisaient de l’Orient les voyageurs primitifs, tels que Mandeville, Marco Polo, et même le docteur Paul-Lucas, qui, pour être venu beaucoup plus tard, n’en est pas moins mystificateur ou crédule.

(59) Le catrée. — Quant au catrée, séduit d’abord par l’ombre d’une conformité étymologique, j’avais essayé d’y retrouver le châtre provençal, devenu célèbre sous les ingénieuses fictions de M. Méry, si bien brodées par M. Alexandre Dumas. Mais Strabon dit, d’après Clitarque encore, que le catrée ressemble beaucoup au paon: est-ce le faisan doré de la Chine? le paon du Tibet? l’épervier? ou le faisan de Guinée, qu’on nomme encore katraca? (Dict. d’hist. nat., tom. XXII, p. 385.) Je ne saurais choisir, quoique j’aie longtemps vécu près des paons; et s’ils ont souvent réjoui mes yeux de leur queue qui s’étalait sous mes éloges, ils ont, en revanche, assourdi unes oreilles de leurs cris, comme aussi maintes fois brisé unes vitres dans leurs accès de fureur ou de plaisir pour y becqueter [image aimée ou rivale que réfléchissait le cristal. Je ne leur dirai donc pas, avec la Junon de la Fontaine:

Est-il quelque oiseau sous les cieux

Plus que toi capable de plaire?

(60) Phylitès. — Les chefs des Arizantes étaient Phylitès, de la nation des Phylites, que signale Ptolémée, et

(61) Hippasios, — du territoire d’Hippasie, placé par Strabon entre les fleuves Cophès et Indus.

(62) Byltée. —de la tribu des Saces, qui habitent auprès de l’Imatis : « Sub quibus juxta Imaum montem Byltai ». (Pline, liv. VI, c. 17).

C’est ainsi que j’ai cru pouvoir rétablir ces trois noms propres significatifs, lorsque, dans le texte de Graëfe, ils ne présentaient aucun sens ou n’étaient que des répétitions.

(63) Les Sibes. — Les Sibes passaient, chez les Grecs, pour être les descendants des soldats malades que l’armée d’Hercule avait laissés dans l’Inde après elle. Quinte-Curce les nomme Sobii, et nous a déduit les motifs de cette croyance; (liv. IX, c. 4.) Arrien les répète sans paraitre y ajouter foi. (Ind., § V.)

(64) L’Hydarque. — Le pays d’Hydarque est le même que l’Hydraque de Strabon (liv. XV), d’où les Perses avaient tiré les corps d’indiens à leur solde.

(65) Carmine. — Il est question ici de la ville de Carmine, et non de l’île de Carmine; la capitale de la Carmine, centrée indienne, limitrophe de la Perse, et qui s’étend jusqu’aux bouches de l’Indus, se nommait aussi Carmine.

(66) Coltare. — Cyllare étant le nom grec d’un centaure (voyez Onde, Métam., liv. XII, v. 408) ou du cheval de Pollux (Virgile, Géorg., liv. III, v. 90), j’ai dû le remplacer par un nom indien; et j’ai fait choix de Coltare, chef de Colta, l’un des ports des Ichthyophages. (Arrien, Ind., ch. 26).

(67) Astraïs. — Astraïs est ce même capitaine, gouverneur de la Phrygie, qui, après la déroute du lac Astacide, est venu rejoindre Dériade, et que nous avons rencontré déjà au vers 305 du XIVe chant.

(68) Logas. — Comme nous avons déjà vii dans le dix-septième chant le berger Brongos, homonyme d’un affluent de l’Ister (Hérodote, IV, 49), recevoir Bacchus à sa frugale table, il ne peut ici être question de lui. D’ailleurs le père de Coltare et d’Astraïs s’appelle Logas au trente-sixième chant (vers 281); c’est donc ce dernier nom propre qu’il convient de rétablir ici.

(69) La colline Ethiopienne. — Cette colline éthiopienne prenait son nom des Ethiopiens orientaux qui habitaient les bides. Hérodote en parle en plus d’un lieu. N’est-ce pas aujourd’hui le Zanzibar? C’est elle qui a jeté une si grande confusion dans le manuscrit original. Le poète e voulu dire que d’une colline éthiopienne partent les deux fleuves, tant en Égypte que dans les Indes, pour porter à leurs rives la fécondité; et c’est ce que la ponctuation et la copie défectueuses n’avaient pas permis de comprendre. Or ce que Nonnos dit ici, en assez beaux vers, de la ressemblance de l’Indus et du Nil, est un résumé du parallèle que Philostrate établit entre ces deux fleuves en deux endroits de la vie d’Apollonius de Tyane (liv. II, ch. ix, et liv. VI, ch. i). Il prélude ainsi : Ἀδελφά τῶ Νείλῳ πράττοντα, κτλ. L’Indus imite le Nil comme un frère. Il se répand dans la vallée des Indes, porte de la terre sur la terre, et permet aux Indiens d’ensemencer de la même façon que les Égyptiens.

(70) Ripsasos. — Je n’ai su comment expliquer le nom de Rigbasos, que donne le texte de Graëfe; et, en réunissant le verbe ῥιγέω à βάσις, je ne ferais jamais de tous les deux qu’un composé très peu satisfaisant; j’aime mieux lire Ῥιψάσος, le précipitant, de ῥιπτάζω le fréquentatif de ῥίπτω, et c’est une faculté qui paraît très naturelle chez le gigantesque capitaine.

(71) Arète. — Arète signifie le Maudit; on voit pourquoi. Ses cinq enfants portent tous des noms empruntés aux propriétés des Muets.

(72) 1. C’est Lyzos, — le Hoquet, qui empêche de parler, et non le Lygos de mon texte, où le Lycos de Graëfe;

(73) 2. Myssos, — le Nasillard, qui fait entendre un son par le nez en fermant la bouche, de μύζω, et non Myrsos, le père du roi Candaule, ou tout autre Myrsos, que le copiste aura trouvé dans Hérodote;

(74) 3. Cophos, — le Sourd, et non Glaucos, que nous rencontrons si souvent dans les armées et la mythologie grecques;

(75) 4. Paraphras, dont la bouche est condamnée, et non Périphas; enfin,

(76) 5. Myliane, — de μυλιάω, claquer des dents, et non Mélanée. On lit dans l’interprétation des songes d’Artémidore: Καὶ ἡ γυνὴ ἐν γαστρὶ ἔχουσα ἰχθὺν εἰ ὑπολάβοι τεκεῖν, ὡς μὲν ο παλαιοὶ λέγουσιν, ἄφωνον γεννήσει. (Artém., liv. Il, e. 18.). « Quand une femme enceinte vient à accoucher après avoir mangé un poisson, les anciens prétendent qu’elle met au monde un muet. » Ceci rappelle les prodiges de Tite-Live et ces deux vers de Juvénal (Sat. XIII, v. 65):

Hoc monstrum puero vel liranti sub aratro

Piscibus inventis, sub fœtæ  commparo mulæ .

(77) Laobie, vie du peuple. Serait-ce donc parce qu’Arète aurait épousé une femme commune, une fille du peuple, qu’il serait maudit?

(78) Pyles. — Pyles, que j’ai rencontrée en Arcadie, doit désigner ici les portes Caspiennes, où Wilson, entraîné peut-être par l’homonymie, a voulu voir les Chats, gate, en anglais, signifie porte, comme πύλη en grec.

(79) Colalla. —Wilson retrouve aussi Eucolla dans le Colalla de Ptolémée, l’Uskala ou l’Urissa de nos jours), etc.

(80) Goryande—dans le Gaura-des ou le Bengale. Mais je pense, de mon côté, qu’il faut remplacer l’Eucolla du texte ancien par la Κωλλα de Ptolémée, et Goryande par le Gorydale de Strabon, ville sur le Choaspe indien, qui se jette dans le Cophès. (Strabon, liv. XV. p. 697.)

(81) Ostha. — L’Œta du texte primitif, qui fait souvenir plus que de raison du mont Œta de Macédoine, deviendra le territoire d’Ostha que cite Ptolémée.

(82) Phylète. — Nous avons vu plus haut un capitaine de la tribu des Philytes; ici c’est Phylète qu’il faut lire, le gardien des éléphants, et non pyléte, le portier. C’est un nom presque semblable à celui du pasteur des bœufs d’Ulysse, Φιλοίτιος, Philoitios. (Homère, Odys., XX, 185.)

M. Dugas-Montbel l’a nommé Philétius, par un anachronisme respectueux envers la langue latine, dont, pour ma part, je refuse de subir ici l’influence.

(83) Maracanda. — Marathonos, qui nous ramène trop évidemment en Attique, cédera la place à Maracanda, où Plutarque nous fait voir Alexandre frappé d’une flèche, et sa fortune plus grande que toutes ses blessures. (De la fort. d’Alexandre, § 11.) Or le lecteur n’aura pas beaucoup de peine à reconnaître ici Samarcande, la patrie et la capitale de Tamerlan.

(84) Euthydémie. Eristobarée, mot barbare, qui en grec n’a aucune raison d’être, ni en Grèce aucun homonyme, s’évapore devant l’Euthymédie de Ptolémée, qu’il faut lire Euthydémie et qui est la Sangala d’Arrien. (Liv. IV, ch. 22) Le nom d’Euthymédia, dit d’Anville, que Ptolémée ajoute au précédent, est remarquable nonobstant la plus grande apparence qu’étant donné imparfaitement, il doive se lire Eutkydemia, du nom d’Euthydème, roi de la Bactriane, avec lequel Antiochus III, surnommé le Grand, fut obligé de traiter. Car cet Euthydème se rendit très puissant dans l’Inde, en y portant ses armes. après avoir fait la paix avec le roi de Syrie. (Inde antique, p. 28.)

(85) Les Derbiques. — Les Derbiques sont le même peuple que les Dercébiens de Denys le Périégète,

Δερκέβιοι δ’ ἑτέρωθεν ἐφ’ ὕδασι Κασπίοισι.

Strabon les place au détroit de la mer Caspienne; Étienne de Byzance dans le voisinage de l’Hyrcanie, ἔθνος πλησίον τῶν Ὑρκνων; et Pline sur les bords de l’Oxus. Or, quand Nonnes a redoublé le kappa de leur nom par un procédé très peu hellénique, mais obligatoire pour la prosodie, il a été encouragé par Ptolémée lui-même, qui distingue ainsi les Derbiques de l’Oxus, des Derbices de la Libye intérieure : « Chez les Derbices, peuple de Perse, dit le docte légiste napolitain, la justice était si sévère que pour la moindre faute elle étranglait. » Derbices quoque Perserum gens, in rebus dijudicandis adeo severissimi fuere, ut pro minimis sæ pe causis jugularent. (Alexander ab Al., liv. III, c. 5.)

(86) Les Éthiopiens asiatiques. — Ces Éthiopiens asiatiques sont les propriétaires de la coulait où est sise la colline Éthiopienne dont il est question au vers 228. C’est la pointe de terre qui brise les courants de l’Indus. (Voyez note 67.)

(87) Les Saces. — Les Saces, selon Ptolémée, habitent au-dessus des sources de l’Iaxarte. C’est, suivant Pline, une sorte de nom générique qui comprend un grand nombre de tribus asiatiques. Le nom de Sacæ  se retrouve précisément dans celui de Sakita; et Sakita est un canton confinant à ceux de Vash et Gil, qui sont au nord de du Gihon ou de l’Oxus, par conséquent dans l’ancienne Sogdiane. (D’Anville, Ind. Ant., suppl., p. 202.)

(88) Les Bactriens. — Les Bactriens, dont la capitale est Zariaspe (Pline, liv. VI, c. 17), occupaient le revers occidental des monts Paropamises : ces mêmes montagnes, à qui Denys le Périégète, par une contraction poétique favorable au rythme mais embrouillant un peu la géographie, donne une grande ressemblance avec le Parnasse.

Ἀλλ’ ἤτοι Βάκτροι μὲν ἐπ’ ἠπείροιο νέμονται

Χώρην ευτέρην, κνημοῖς ὑπὸ Παρνησσοῖο.

(v. 736.)

(89) Les Blemmyes. — Nous avons déjà vu le Blemmyes figurer dans le dix-septième chant. Il paraît que Blémys, leur chef, en se présentant à Bacchus avant la guerre des Indu, n’avait entraîné avec lui qu’une partie de ses sujets; il fonda des colonies d’abord dans l’Arabie Heureuse, ensuite en Égypte. Nonnos donne ainsi une commune origine aux Blemmyes africains et asiatiques.

(90) Astris. — Astris, femme du fleuve Hydaspe et mère de Dériade, est une fille de l’Aurore ou des astres de l’Orient. C’est une Nymphe allégorique.

(91) Céto. — Céto, autre épouse de l’Hydaspe, d’après une seconde légende, est une Néréide, fille de l’Océan, et non une naïade, comme Graëfe l’établit. Il ne faut pas y voir un monstre de la mer, comme le nom de Céto, baleine, semblerait l’indiquer. Ici c’est la nymphe Céto, aux belles joues, que désigne Hésiode, καὶ Κητὼ καλλιπάρηον, (Théog., v. 288.)

(92) Electre, fille de l’océan. — Électre, fille de l’Océan, ou la vague qui s’enfle personnifiée (Creuzer. Lettres sur Homère et Hésiode), est dans la Théogonie, l’épouse de

(93) Thaumas, — divinité marine, qui personnifie à son tour les merveilles de l’Océan. Ce nom vient sans doute du verbe grec θαυμάζειν, s’émerveiller.

.....................................Mirantur qua ratione

Quæ que geri possint, præ sertim rebus in illia.

(Lucrèce, l. VI, v. 59.)

(94) Conclusion. — Il faut reconnaître, et c’est la conclusion générale de cette longue nomenclature, que la connaissance de l’Indoustan n’avait fait presque aucun progrès chez les Grecs depuis Alexandre. C’est Arrien, le voyage de Néarque, et surtout Ptolémée, qui servent de guide à Nonnos, et ce qu’il y mêle de fictions hindoues se retrace plus encore dans les écrits de ses prédécesseurs, que dans les légendes dont les négociants grecs avaient puisé les exagérations au golfe Persique ou aux rives du Gange.

— Mais, me dira peut-être le lecteur érudit, poussé à bout par la témérité de mes variantes, de quel droit altérez-vous ainsi le texte grec, et regrattez-vous si vivement l’édifice géographique de Nonnos? Qui vous a dit d’ailleurs qu’il n’a pas écrit lui-même de sa main ce que vous intitulez si hardiment: Fautes de transcription? — Qui me l’a dit? Le plus simple bon sens. Eh! comment voudriez-vous, à votre tour, que Nonnos, élevé à l’école d’Alexandrie, dans un siècle où la science tenait lieu d’inspiration; où poètes, philosophes, rhéteurs, Pères de l’Eglise même, étaient érudits ou toute chose avant de se mêler d’écrire, ait pris plaisir à accumuler des désignations absurdes ou inconnues, se rapprochant sans cesse par les termes des notions consacrées par Ptolémée et Arrien, surtout quand la mesure de l’hexamètre ou son harmonie ne l’exigent aucunement? M’expliquerez-vous, par exemple, ce que font, sur les bords de l’Indus, Orycie et Marathon, de l’Attique, quand il en coûte si peu d’écrire Andonadi et Maracande, incontestablement indiens? Non, je ne rends pas tout d’une fois à Nonnos les leçons de géographie que j’ai reçues de lui: encore un coup, ce n’est pas lui que je prends à partie, c’est ce malencontreux copiste; c’est le manuscrit, publié dans toute son incorrection par Falkenburg, qui s’en vante, reproduit de même par Eilhartus et Lectius, puis négligé sur ce point par Graëfe, trop préoccupé sans doute de ses autres travaux littéraires: c’est ce manuscrit presque inintelligible, dis-je, que j’essaye de rendre à sa pureté originelle, et c’est à cela seul que je prétends.

Ce vingt-sixième chant, en outre de l’épisode de Tectaphe, se distingue par deux descriptions fort poétiques l’une et l’autre celles de l’éléphant et de l’hippopotame. Pour l’éléphant, Nonnos avait à lutter contre Oppien, et il me semble qu’il soutient heureusement la comparaison. Quant à la peinture de l’hippopotame, qui n’avait jamais été tracée en vers grecs, l’élégance et l’harmonie imitative en sont remarquables; et ces spondées si antipathiques à Nonnos, qui se traînent ici dans leur lenteur, expriment assez bien la pesanteur de l’amphibie. Or, dans les neuf vers qui forment un tableau si complet, j’ai dû, comme l’Euripide de la comédie des Grenouilles, corriger bien des fautes du texte qui en détruisaient l’ensemble et la couleur.

Δι.         Τούτων ἔχεις ψέγειν τι

Ευ.        Πλεῖω ἢ δώδεκα.

(Aristoph., Gren., acte V, sc. I.)

« Bacchus. As-tu quelques reproches à leur faire?

Euripide. Plus de douze. »

Encore un mot, et je finis.

Il serait aussi long que fastidieux de produire, même dans les notes purement grammaticale, le motif de chaque correction, ou les inductions dont je me suis servi pour coordonner les vers du texte. Ce travail minutieux, fatigant, mais nécessaire, je l’ai relégué dans des tableaux, spéciaux pour chaque chant, que j’ai réunis à l’édition in 8° où se trouve le texte grec. Mais puisque nous avons dépassé la borne indicatrice de la moitié de la route, je ne crains pas d’appuyer ici d’un nouvel exemple ce que j’ai dit à ce sujet dans mon Introduction,

Il est évident pour moi que les deux vers maintenus dans l’édition de Leipzig, à la fin de ce livre vingt-sixième, doivent être placés cinq vers plus haut, d’abord parce qu’ils sont régis par le substantif de ces soldats étendus au sommet des remparts et des tours, rêvant aux satyres, leurs adversaires; ensuite, parce que le sentiment poétique et les habitudes épiques de Nonnos veulent que le chant ferme sur cette image de l’armée s’endormant sous les armes, en raison de la proximité de l’ennemi, quand elle va se réveiller, dès le début du chant vingt-septième, pour le combattre. Or, comme il ne s’agit ici ni d’une de ces épithètes dont un poète anglais a dit :

The learned greek, rich in fit epithete

Blessed in the lively marriage of pure words,

(Cowley.)

ni de l’orthographe géographique, mais bien d’une simple transcription et d’une question de goût, je me sens bien plus autorisé encore à faire prévaloir ma variante.