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table des matières de DIOGENE LAERCE

Diogène Laërce

 

 

LIVRE V

 

LYCON

texte grec

 

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  Straton         Démétrios

 

LYCON.

[65] Lycon de la Troade, et fils d'Astyanacte, succéda à Straton ; il était éloquent et habile à conduire la jeunesse, et il disait, à ce sujet, qu'il faut gouverner les jeunes gens par la honte et l'amour de l'honneur, comme on se sert pour les chevaux de l'éperon et de la bride. Il adonné des preuves de belle élocution et de beaucoup de génie. On rapporte qu'à propos d'une fille sans biens, il dit que c'était un grand fardeau pour un père de lui voir passer la fleur de son âge sans mari, faute de dot. Antigone dit à son occasion que, de même qu'on ne peut communiquer à un autre fruit l'odeur et la beauté de la pomme, il en est pareillement des hommes ; et que, dans chaque chose qu'un homme dit, il faut le considérer lui-même, ainsi qu'une sorte de fruit est particulière à l'arbre qui le porte ; [66] et il disait cela relativement à la grâce que Lycon mettait dans ses discours. De là vient que plusieurs ajoutant la lettre G à son nom l'appelaient Glycon, mot qui signifie douceur. Sa plume était cependant moins éloquente. Il raillait beaucoup ceux qui regrettaient de n'avoir rien appris lorsqu'il en était temps, et souhaitaient ensuite de savoir quelque chose, et disait que ceux qui formaient ces vœux inutiles s'accusaient eux-mêmes par le repentir qu'ils témoignaient de leur négligence irréparable. Quant à ceux qui suivaient une mauvaise méthode, il disait que la raison leur échappait, et qu'ils faisaient comme ceux qui, avec une ligne courbe, voulaient mesurer une chose droite, ou se voir dans une eau bourbeuse ou dans un miroir renversé. Il disait aussi qu'on voyait beaucoup de gens prétendre aux couronnes du barreau, et fort peu ou personne rechercher celles des jeux olympiques.

Ce philosophe fut souvent utile aux Athéniens par les bons conseils qu'il leur donna. [67] Il était fort propre sur sa personne, et Hermippe dit qu'il donnait dans la délicatesse par rapport aux habits. Il s'exerçait aussi beaucoup, et était d'une bonne constitution de corps. Antigone de Caryste dit qu'il avait l'air d'un athlète, ayant les oreilles meurtries et le corps luisant. On dit aussi qu'étant dans sa patrie, il combattit dans les jeux iliaques et dans les jeux de boule. Il eut beaucoup de part à l'amitié d'Attale et d'Eumène, qui lui firent de riches présents. Antiochus tâcha de l'avoir, mais il n'y réussit point. [68] Au reste, il était si ennemi de Jérôme le péripatéticien, qu'il était le seul qui n'allait point le voir dans la fête qu'il donnait le jour de sa naissance, et de laquelle nous avons parlé dans la vie d'Arcésilas.

Il gouverna son école pendant quarante-quatre ans, Straton l'en ayant laissé successeur la cent vingt-septième olympiade. Il fut aussi disciple de Panthœdus le dialecticien, et mourut de la goutte, âgé de soixante-quatorze ans. J'ai fait cette épigramme sur son sujet :

Je ne puis passer sons silence le sort de Lycon, qui mourut affligé de la goutte ; je m'étonne qu'ayant à faire le long chemin de. l'autre vie et ayant toujours eu besoin de secours pour marcher, il l'ait fait dans une nuit.

[69] Il y a eu plusieurs Lycons : le premier était philosophe pythagoricien ; le second est celui dont nous parlons; le troisième fut poète épique ; le quatrième composa des épigrammes. J'ai trouvé le testament de Lycon, qui est conçu en ces termes :

En cas que je succombe à ma maladie, je dispose ainsi de mes biens. Je lègue ce qui est dans ma maison aux frères Astyanax et Lycon, à condition qu'ils en restitueront ce dont j'ai ou l'usage à Athènes, et que j'ai ou emprunté de quelqu'un ou pris à gage, et qu'ils paieront ce qui est requis pour mes funérailles et ce qui doit s'y observer. [70] Ce qui m'appartient, dans la ville et à Égine, je le donne à Lycon, tant à cause de mon nom qu'il porte que par rapport au séjour qu'il a fait avec moi, et au soin qu'il a eu de me plaire, comme il était juste, puisqu'il me tenait lieu de fils. Je donne le jardin et l'endroit de la promenade à mes amis Rulon, Callinus. Ariston, Ampbion, Lycon, Python, Aristomaque, Héraclius, Lycomède et Lycon mon neveu, qui choisiront ensemble celui qu'ils croiront le plus capable de remplir mes fonctions; et j'exhorte mes autres amis à concourir avec eux à ce choix, tant par considération pour moi, que pour l'endroit même. Rulon et Callinus auront soin de mes funérailles et de faire brûler mon corps ; et ils prendront garde qu'il n'y ait en cela ni trop d'excès, ni trop d'épargne. [71] Lycon donnera les olives que j'ai à Égine aux jeunes gens pour s'oindre le corps, afin que ma mémoire et celle de ceux qui m'ont porté du respect soit consacrée par une chose dont l'usage soit utile. Il m'érigera aussi une statue, et Diophante et Héraclide, fils de Déinélrius, verront avec lui dans quel endroit elle sera le mieux placée. Lycon rendra ce que je puis avoir emprunté depuis son départ, en quoi Bulon et Callinus lui sont adjoints ; il paiera aussi ce qui regarde mes funérailles et les solennités usitées, et il prendra ce qu'il faut pour cela de ce que je lui laisse en commun avec son frère. [72] Il aura aussi la considération convenable pour les médecins Pasithémis et Midias, qui méritent de l'estime, tant pour les soins qu'ils ont pris de moi que pour leur art, et qui sont dignes d'un plus grand honneur encore Je fais présent de deux coupes au fils de Callinus et de deux bijoux à sa femme, aussi bien que de deux tapis, l'un velu et l'autre ras, avec une tapisserie et deux de mes meilleurs oreillers, afin qu'on voie que je me souviens d'eux. Pour ce qui regarde mes domestiques, voici ce que j'en ordonne : Démétrius, que j'ai affranchi depuis longtemps, aura, avec le prix de son rachat que je lui remets, cinq mines, un manteau et une saie, afin qu'après avoir beaucoup travaillé à mon service il ait une vie honorable. Je dispense pareillement Criton de Chalcédoine de l'obligation de racheter sa liberté, et lui assigne quatre mines. [73] J'affranchis Mycrus, qui sera entretenu et instruit par Lycon pendant six ans, à compter de ce jour. Chœrès aura aussi sa liberté, et outre que Lycon l'entretiendra, il lui donnera deux mines, et ceux de mes livres que j'ai communiqués au public ; ceux qui n'ont pas été mis au jour seront donnés à Callinus, qui aura soin de les publier. Je renvoie Syrus libre; je lui donne Ménodora; et s'il me doit quelque chose, je le lui remets et lui en fais présent. On donnera à Hilara cinq mines, un tapis velu, deux oreillers, une tapisserie, et un de mes lits à son choix. J'affranchis aussi la mère de Micrus, Nœmon, Dion, Théon, Euphranor et Hermias, ainsi qu'Agathon, celui-ci après deux ans de service. Mes porteurs Ophélion et Posidonius serviront encore quatre ans, après quoi ils seront libres. [74] Enfin je laisse à Démétrius, Criton et Syrus, à chacun un lit et un habit au choix de Lycon, pour récompense des bons services que chacun d'eux m'a rendus. Lycon sera libre de m'enterrer ici ou dans ma patrie, persuadé qu'il consultera aussi bien que moi-même ce qui sera le plus honorable pour moi. Et après qu'il aura exécuté mes volontés, je le fais maître de tout ce que je lui laisse.

Les témoins de ce testament furent Callinus, Hermionée, Ariston de Chio et Euphron de Païane. Lycon faisait toutes choses si prudemment, qu'il a fait voir sa sagesse jusque dans la manière dont il a fait son testament, de sorte qu'il est digne d'être imité en cela même.