Lucien

OEUVRES COMPLÈTES DE LUCIEN DE SAMOSATE,

TRADUCTION NOUVELLE AVEC UNE INTRODUCTION ET DES NOTES PAR EUGÈNE TALBOT, Docteur ès lettres, Professeur adjoint de rhétorique au lycée Louis-le-Grand, TOME PREMIER, DEUXIÈME ÉDITION, PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N° 77, 1866, Tous droits réservés

 

LVI. DE L'AMBRE ET DES CYGNES.

 ΠΕΡΙ ΤΟΥ ΗΛΕΚΤΡΟΥ Η ΤΩΝ ΚΥΚΝΩΝ  

LV PRÉFACE OU HERCULE - LVII ÉLOGE DE LA MOUCHE

 

 

 

 

LVI

 

DE L'AMBRE ET DES CYGNES.

 

ΠΕΡΙ ΤΟΥ ΗΛΕΚΤΡΟΥ Η ΤΩΝ ΚΥΚΝΩΝ

 

 

[1] Ἠλέκτρου πέρι καὶ ὑμᾶς δηλαδὴ ὁ μῦθος πέπεικεν, αἰγείρους ἐπὶ τῷ Ἠριδανῷ ποταμῷ δακρύειν αὐτὸ θρηνούσας τὸν Φαέθοντα, καὶ ἀδελφάς γε εἶναι τὰς αἰγείρους ἐκείνας τοῦ Φαέθοντος, εἶτα ὀδυρομένας τὸ μειράκιον ἀλλαγῆναι ἐς τὰ δένδρα, καὶ ἀποστάζειν ἔτι αὐτῶν δάκρυον δῆθεν τὸ ἤλεκτρον. Τοιαῦτα γὰρ ἀμέλει καὶ αὐτὸς ἀκούων τῶν ποιητῶν ᾀδόντων ἤλπιζον, εἴ ποτε γενοίμην ἐπὶ τῷ Ἠριδανῷ, ὑπελθὼν μίαν τῶν αἰγείρων ἐκπετάσας τὸ προκόλπιον ὑποδέξεσθαι τῶν δακρύων ὀλίγα, ὡς ἤλεκτρον ἔχοιμι.

[2] Καὶ δὴ οὐ πρὸ πολλοῦ κατ´ ἄλλο μέν τι χρέος, ἧκον δὲ ὅμως ἐς τὰ χωρία ἐκεῖνα, καὶ—ἔδει γὰρ ἀναπλεῖν κατὰ τὸν Ἠριδανόν—οὔτ´ αἰγείρους εἶδον πάνυ περισκοπῶν οὔτε τὸ ἤλεκτρον, ἀλλ´ οὐδὲ τοὔνομα τοῦ Φαέθοντος ᾔδεσαν οἱ ἐπιχώριοι. Ἀναζητοῦντος γοῦν ἐμοῦ καὶ διαπυνθανομένου, πότε δὴ ἐπὶ τὰς αἰγείρους ἀφιξόμεθα τὰς τὸ ἤλεκτρον, ἐγέλων οἱ ναῦται καὶ ἠξίουν σαφέστερον λέγειν ὅ τι καὶ θέλοιμι· κἀγὼ τὸν μῦθον διηγούμην αὐτοῖς, Φαέθοντα γενέσθαι Ἡλίου παῖδα, καὶ τοῦτον ἐς ἡλικίαν ἐλθόντα αἰτῆσαι παρὰ τοῦ πατρὸς ἐλάσαι τὸ ἅρμα, ὡς ποιήσειε καὶ αὐτὸς μίαν ἡμέραν, τὸν δὲ δοῦναι, τὸν δὲ ἀπολέσθαι ἐκδιφρευθέντα, καὶ τὰς ἀδελφὰς αὐτοῦ πενθούσας ἐνταῦθά που, ἔφην, παρ´ ὑμῖν, ἵναπερ καὶ κατέπεσεν, ἐπὶ τῷ Ἠριδανῷ, αἰγείρους γενέσθαι καὶ δακρύειν ἔτι ἐπ´ αὐτῷ τὸ ἤλεκτρον.

[3] Τίς ταῦτά σοι, ἔφασκον, διηγήσατο ἀπατεὼν καὶ ψευδολόγος ἄνθρωπος; ἡμεῖς δὲ οὔτε ἡνίοχον τινα ἐκπίπτοντα εἴδομεν οὔτε τὰς αἰγείρους ἃς φὴς ἔχομεν. Εἰ δὲ ἦν τι τοιοῦτον, οἴει ἡμᾶς δυοῖν ὀβολοῖν ἕνεκα ἐρέττειν ἂν ἢ ἕλκειν τὰ πλοῖα πρὸς ἐναντίον τὸ ὕδωρ, οἷς ἐξῆν πλουτεῖν ἀναλέγοντας τῶν αἰγείρων τὰ δάκρυα; τοῦτο λεχθὲν οὐ μετρίως μου καθίκετο, καὶ ἐσιώπησα αἰσχυνθείς, ὅτι παιδίου τινος ὡς ἀληθῶς ἔργον ἐπεπόνθειν πιστεύσας τοῖς ποιηταῖς ἀπίθανα οὕτως ψευδομένοις, ὡς μηδὲν ὑγιὲς ἀρέσκεσθαι αὐτοῖς. Μιᾶς μὲν δὴ ταύτης ἐλπίδος οὐ μικρᾶς ἐψευσμένος ἠνιώμην καθάπερ ἐκ τῶν χειρῶν τὸ ἤλεκτρον ἀπολωλεκώς, ὅς γε ἤδη ἀνέπλαττον ὅσα καὶ οἷα χρήσομαι αὐτῷ.

[4] Ἐκεῖνο δὲ καὶ πάνυ ἀληθὲς ᾤμην εὑρήσειν παρ´ αὐτοῖς, κύκνους πολλοὺς ᾄδοντας ἐπὶ ταῖς ὄχθαις τοῦ ποταμοῦ. Καὶ αὖθις ἠρώτων τοὺς ναύτας — ἀνεπλέομεν γὰρ ἔτ — Ἀλλ´ οἵ γε κύκνοι πηνίκα ὑμῖν τὸ λιγυρὸν ἐκεῖνο ᾄδουσιν ἐφεστῶτες τῷ ποταμῷ ἔνθεν καὶ ἔνθεν; φασὶ γοῦν Ἀπόλλωνος παρέδρους αὐτοὺς ὄντας, ᾠδικοὺς ἀνθρώπους, ἐνταῦθά που ἐς τὰ ὄρνεα μεταπεσεῖν καὶ διὰ τοῦτο ᾄδειν ἔτι οὐκ ἐκλαθομένους τῆς μουσικῆς.

[5] Οἱ δὲ σὺν γέλωτι, Σύ, ἔφησαν, ὦ ἄνθρωπε, οὐ παύσῃ τήμερον καταψευδόμενος τῆς χώρας ἡμῶν καὶ τοῦ ποταμοῦ; ἡμεῖς δὲ ἀεὶ πλέοντες καὶ ἐκ παίδων σχεδὸν ἐργαζόμενοι ἐν τῷ Ἠριδανῷ ὀλίγους μὲν κύκνους ἐνίοτε ὁρῶμεν ἐν τοῖς ἕλεσι τοῦ ποταμοῦ, καὶ κρώζουσιν οὗτοι πάνυ ἄμουσον καὶ ἀσθενές, ὡς τοὺς κόρακας ἢ τοὺς κολοιοὺς Σειρῆνας εἶναι πρὸς αὐτούς, ᾀδόντων δὲ ἡδὺ καὶ οἷον σὺ φὴς οὐδὲ ὄναρ ἀκηκόαμεν· ὥστε θαυμάζομεν πόθεν ταῦτα εἰς ὑμᾶς ἀφίκετο περὶ ἡμῶν.

[6] Πολλὰ τοιαῦτα ἐξαπατηθῆναι ἔστι πιστεύοντας τοῖς πρὸς τὸ μεῖζον ἕκαστα ἐξηγουμένοις. Ὥστε κἀγὼ νῦν δέδια ὑπὲρ ἐμαυτοῦ μὴ ὑμεῖς ἄρτι ἀφιγμένοι, καὶ τοῦτο πρῶτον ἀκροασόμενοι ἡμῶν, ἤλεκτρά τινα καὶ κύκνους ἐλπίσαντες εὑρήσειν παρ´ ἡμῖν, ἔπειτα μετ´ ὀλίγον ἀπέλθητε καταγελῶντες τῶν ὑποσχομένων ὑμῖν τοιαῦτα πολλὰ κειμήλια ἐνεῖναι τοῖς λόγοις. Ἀλλὰ μαρτύρομαι, ὡς ἐμοῦ τοιαῦτα μεγαλαυχουμένου περὶ τῶν ἐμῶν οὔτε ὑμεῖς οὔτε ἄλλος πω ἀκήκοεν, οὐδ´ ἂν ἀκούσειέν ποτε. Ἄλλοις μὲν γὰρ οὐκ ὀλίγοις ἐντύχοις ἂν Ἠριδανοῖς τισι καὶ οἷς οὐκ ἤλεκτρον, ἀλλὰ χρυσὸς αὐτὸς ἀποστάζει τῶν λόγων, πολὺ τῶν κύκνων τῶν ποιητικῶν λιγυρωτέροις· τὸ δὲ ἐμὸν ὁρᾶτε ἤδη ὁποῖον ἁπλοϊκὸν καὶ ἄμυθον, οὐδέ τις ᾠδὴ πρόσεστιν. Ὥστε ὅρα μὴ τοιοῦτό τι πάθῃς μείζω περὶ ἡμῶν ἐλπίσας, οἷόν τι πάσχουσιν οἱ τὰ ἐν τῷ ὕδατι ὁρῶντες· οἰόμενοι γὰρ τηλικαῦτα εἶναι αὐτὰ οἷα διεφαίνετο αὐτοῖς ἄνωθεν, εὐρυνομένης τῆς σκιᾶς πρὸς τὴν αὐγήν, ἐπειδὰν ἀνασπάσωσι, πολλῷ μικρότερα εὑρίσκοντες ἀνιῶνται. Ἤδη οὖν σοι προλέγω, ἐκχέας τὸ ὕδωρ καὶ ἀποκαλύψας τἀμὰ μηδὲν μέγα προσδοκήσῃς ἀνιμήσεσθαι, ἢ σαυτὸν αἰτιάσῃ τῆς ἐλπίδος.

1. L'ambre, si vous en croyez la fable, provient des larmes versées par les peupliers des bords de l'Éridan, qui sont les sœurs de Phaéton, changées en arbres, à force de pleurer le malheureux jeune homme, et distillant des pleurs qui forment l'ambre (01). Convaincu de la vérité de ce récit des poètes, j'espérais que, si un jour je me trouvais près de l'Éridan, j'irais tendre le pan de ma robe sous l'un de ces peupliers, et que je recueillerais quelques-unes de ces larmes ambrées.

2. Il n'y a donc pas longtemps, qu'obligé d'aller dans ce pays pour un tout autre objet, je me mis à remonter l'Éridan. Mais je n'aperçus ni peupliers ni ambre, quoique attentif à bien regarder autour de moi. Les habitants du pays ne connaissaient pas même le nom de Phaéton. Je m'informe, je demande quand est-ce que nous allons arriver aux peupliers qui distillent de l'ambre. Les bateliers se mettent à rire et me prient de leur expliquer nettement ce que je veux. Je leur raconte alors la fable de Phaéton : "C'était un fils du Soleil.  Devenu grand, il demande à son père la permission de conduire son char lumineux, comme il le faisait lui-même chaque jour.  Le père y consent, mais le jeune homme sans expérience tombe de son siège et périt. Ses sœurs lui donnent la sépulture quelque part par là où je vous disais, à l'endroit sans doute où il est tombé, près de l'Éridan.  Puis elles sont changées en peupliers, et pleurent de l'ambre sur sa tombe.

3. - Quel est donc le menteur, me disent-ils, quel est l'imposteur qui vous a raconté cela ? Nous n'avons jamais vu de cocher tomber ici de son siège, et nous n'avons pas les peupliers que vous dites. Croyez-vous, si cela était, que nous nous fatiguerions à ramer pour deux oboles et à remonter les bateaux contre le courant du fleuve, tandis qu'il ne tiendrait qu'à nous de nous enrichir en recueillant les larmes de ces peupliers ?" Ce discours me piqua au vif et je gardai le silence.  Honteux d'avoir été, comme un enfant, la dupe de ma crédulité, en ajoutant foi aux mensonges des poètes qui ne se plaisent qu'à inventer les faits impossibles et extravagants. Je n'étais pas moins fâché de perdre ainsi une de mes plus chères espérances.  Il me semblait qu'on m'eût arraché l'ambre des mains, moi qui déjà rêvais à combien de choses j'allais l'employer.

4. Je croyais du moins trouver en ce pays plus de vérité dans ce qu'on nous dit des cygnes, qui se rassemblent en grand nombre et chantent sur les rives du fleuve (02). J'interrogeai donc de nouveau mes bateliers, pendant que nous remontions encore : "Mais en quel temps, leur dis-je, les cygnes placés sur l'une et l'autre rive de ce fleuve vous font-ils entendre leur chant mélodieux ? On dit, en effet, que ces favoris d'Apollon étaient jadis des hommes habiles dans l'art de chanter, qu'ils ont été transformés en oiseaux et qu'ils chantent encore à présent, pour montrer qu'ils n'ont pas oublié la musique."

5. Mes bateliers éclatant de rire : "Ne cesserez-vous donc pas, excellent homme, me dirent-ils, de calomnier par vos mensonges notre pays et notre fleuve ? Nous qui le suivons sans cesse, et qui, depuis notre enfance, travaillons sur l'Éridan, nous voyons bien quelquefois, il est vrai, des cygnes s'abattre dans les marais, mais ils font entendre un croassement si discordant et si confus, que les corbeaux et les geais sont des Sirènes au prix. Quant à ces chanteurs agréables, dont vous parlez, nous ne les avons jamais entendus, pas même en songe, et nous nous demandons avec étonnement d'où vous sont venus tous ces contes sur notre pays."

6. Rien n'est plus facile que d'être dupe en mille circonstances, quand on croit au récit de ceux qui se plaisent à tout exagérer. J'ai donc pour moi semblable crainte.  J'ai peur qu'en venant ici m'entendre pour la première fois, vous n'espériez trouver de l'ambre et des cygnes, et qu'en sortant vous ne vous moquiez de promesses indiscrètes, qui vous ont assuré que vous trouveriez ainsi de rares trésors dans mes discours. Mais, je vous l'atteste, ni vous ni personne ne m'a entendu parler de moi en termes si magnifiques, et personne ne m'entendra jamais. Vous rencontrerez assez d'autres Éridans dont les discours ne distillent pas seulement de l'ambre, mais de l'or, et dont la voix est plus mélodieuse que celle des cygnes de la fable. Mais moi, vous voyez quelle est la simplicité de mes paroles, nues, sans ornements littéraires, sans aucun chant qui les accompagne. Prenez donc garde, en concevant de moi de trop grandes espérances, de ressembler aux gens qui, voyant un objet plongé dans l'eau, s'imaginent qu'il est en effet tel qu'il leur paraît d'en haut, parce que l'image se trouve grossie par la lumière : ils le retirent et, le trouvant beaucoup plus petit, ils en éprouvent du chagrin. Je vous en avertis, versez l'eau où je plonge, considérez-moi à découvert, et ne vous attendez pas à retirer là quelque chose d'important.  Autrement, ne vous en prenez qu'à vous de votre déception.

(01)  Voy. Platon, Phèdre ; Cicéron, Tusculanes, I, XXX. Cf. Buffon, le Cygne.

(02) Voy. Ovide, Mét., III. Cf. Euripide, Hippolyte, v. 798 et suivants de l'édition Tauchnitz.