Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE IV : DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS. CHAPITRE IΙ
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre I - chapitre III

paraphrase du livre IV

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE


LIVRE IV.


DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS.

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE II,

Démonstration de l'existence de l'espace; succession des corps dans un même lieu; propriété de l'espace; mouvements spontanés des éléments ; preuves tirées des mathématiques et de l'hypothèse du vide; Hésiode.
 

1 Ὅτι μὲν οὖν ἔστιν ὁ τόπος, δοκεῖ δῆλον εἶναι ἐκ τῆς ἀντιμεταστάσεως· ὅπου γὰρ ἔστι νῦν ὕδωρ, ἐνταῦθα ἐξελθόντος ὥσπερ ἐξ ἀγγείου πάλιν ἀὴρ ἔνεστιν, ὁτὲ δὲ τὸν αὐτὸν τόπον τοῦτον ἄλλο τι τῶν σωμάτων κατέχει· τοῦτο δὴ τῶν ἐγγιγνομένων καὶ μεταβαλλόντων ἕτερον πάντων εἶναι δοκεῖ· ἐν ᾧ γὰρ ἀὴρ ἔστι νῦν, ὕδωρ ἐν τούτῳ πρότερον ἦν, ὥστε δῆλον ὡς ἦν ὁ τόπος τι καὶ ἡ χώρα ἕτερον ἀμφοῖν, εἰς ἣν καὶ ἐξ ἧς μετέβαλον. 2 Ἔτι δὲ αἱ φοραὶ τῶν φυσικῶν σωμάτων καὶ ἁπλῶν, οἷον πυρὸς καὶ γῆς καὶ τῶν τοιούτων, οὐ μόνον δηλοῦσιν ὅτι ἐστί τι ὁ τόπος, ἀλλ' ὅτι καὶ ἔχει τινὰ δύναμιν. Φέρεται γὰρ ἕκαστον εἰς τὸν αὑτοῦ τόπον μὴ κωλυόμενον, τὸ μὲν ἄνω τὸ δὲ κάτω· ταῦτα δ' ἐστὶ τόπου μέρη καὶ εἴδη, τό τε ἄνω καὶ τὸ κάτω καὶ αἱ λοιπαὶ τῶν ἓξ διαστάσεων.  3 Ἔστι δὲ τὰ τοιαῦτα οὐ μόνον πρὸς ἡμᾶς, τὸ ἄνω καὶ κάτω καὶ δεξιὸν καὶ ἀριστερόν· ἡμῖν μὲν γὰρ οὐκ ἀεὶ τὸ αὐτό, ἀλλὰ κατὰ τὴν θέσιν, ὅπως ἂν στραφῶμεν, γίγνεται (διὸ καὶ ταὐτὸ πολλάκις δεξιὸν καὶ ἀριστερὸν καὶ ἄνω καὶ κάτω καὶ πρόσθεν καὶ ὄπισθεν), ἐν δὲ τῇ φύσει διώρισται χωρὶς ἕκαστον. Οὐ γὰρ ὅ τι ἔτυχέν ἐστι τὸ ἄνω, ἀλλ' ὅπου φέρεται τὸ πῦρ καὶ τὸ κοῦφον· ὁμοίως δὲ καὶ τὸ κάτω οὐχ ὅ τι ἔτυχεν, ἀλλ' ὅπου τὰ ἔχοντα βάρος καὶ τὰ γεηρά, ὡς οὐ τῇ θέσει διαφέροντα μόνον ἀλλὰ καὶ τῇ δυνάμει.

4 Δηλοῖ δὲ καὶ τὰ μαθηματικά· οὐκ ὄντα γὰρ ἐν τόπῳ ὅμως κατὰ τὴν θέσιν τὴν πρὸς ἡμᾶς ἔχει δεξιὰ καὶ ἀριστερὰ ὡς τὰ μόνον λεγόμενα διὰ θέσιν, οὐκ ἔχοντα φύσει τούτων ἕκαστον.

5 Ἔτι οἱ τὸ κενὸν φάσκοντες εἶναι τόπον λέγουσιν· τὸ γὰρ κενὸν τόπος ἂν εἴη ἐστερημένος σώματος.

6 Ὅτι μὲν οὖν ἐστί τι ὁ τόπος παρὰ τὰ σώματα, καὶ πᾶν σῶμα αἰσθητὸν ἐν τόπῳ, διὰ τούτων ἄν τις ὑπολάβοι· 7 δόξειε δ' ἂν καὶ Ἡσίοδος ὀρθῶς λέγειν ποιήσας πρῶτον τὸ χάος. Λέγει γοῦν

πάντων μὲν πρώτιστα χάος γένετ',
αὐτὰρ ἔπειτα γαῖ' εὐρύστερνος,

ὡς δέον πρῶτον ὑπάρξαι χώραν τοῖς οὖσι, διὰ τὸ νομίζειν, ὥσπερ οἱ πολλοί, πάντα εἶναί που καὶ ἐν τόπῳ. Εἰ δ' ἐστὶ τοιοῦτο, θαυμαστή τις ἂν εἴη ἡ τοῦ τόπου δύναμις καὶ προτέρα πάντων· οὗ γὰρ ἄνευ τῶν ἄλλων οὐδὲν ἔστιν, ἐκεῖνο [209a] δ' ἄνευ τῶν ἄλλων, ἀνάγκη πρῶτον εἶναι· οὐ γὰρ ἀπόλλυται ὁ τόπος τῶν ἐν αὐτῷ φθειρομένων.

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§ 1. Une preuve manifeste de l'existence de l'espace, c'est la succession des corps qui se remplacent mutuellement dans un même lieu. Là où il y a de l'eau maintenant, arrive de l'air quand l'eau sort de ce lieu, comme quand elle sort par exemple d'un vase; et c'est un autre corps qui vient occuper ce même lieu que le premier corps abandonne. L'espace se distingue donc de toutes les choses qui sont en lui et qui y changent; car là où actuellement il y a de l'air, l'eau se trouvait antérieurement. Par conséquent, l'espace ou le réceptacle qui contient successivement l'air et l'eau, est différent de ces deux corps, espace où ils sont entrés et d'où ils sont sortis. § 2. À un autre point de vue, les déplacements des corps naturels et simples, le feu, la terre et les autres, ne démontrent pas seulement que l'espace est quelque chose ; mais ils démontrent en outre qu'il a une certaine propriété. Ainsi chacun de ces éléments est porté, quand rien ne s'y oppose, dans le lieu qui lui est propre. Celui-ci va en haut, celui-là va en bas. Or le haut et le bas, et chacune des autres directions, en tout au nombre de six, sont des parties et des espèces de l'espace et du lieu. § 3. Mais ces directions ne sont pas seulement relatives à nous, la droite et la gauche, le haut et le bas; car elles ne restent pas constantes pour nous, et elles se diversifient selon la position que nous prenons nous-mêmes en nous tournant, puisque souvent une même chose est pour nous à droite et à gauche, au-dessous et au-dessus, devant et derrière. Dans la nature, au contraire, chacune de ces positions est séparément déterminée. Le haut n'est pas un lieu quelconque ; c'est le lieu où se dirige le feu, et en général les corps légers. Le bas n'est pas davantage arbitraire, et c'est le lieu où se dirigent tous les corps qui ont de la pesanteur, et qui sont composés de terre. Par conséquent, ces éléments ne diffèrent pas seulement par leur position; ils diffèrent encore par leur propriété et leur puissance.

§ 4. C'est bien là aussi ce que prouvent les mathématiques. Les êtres dont elles s'occupent ne sont pas dans l'espace; cependant par la position qu'ils occupent relativement à nous, ils sont à droite et à gauche ; c'est la pensée seule qui fait leur position, sans qu'ils en aient naturellement aucune.

§ 5. D'autre part, en admettant l'existence du vide, on affirme aussi celle de l'espace, puisqu'on définit le vide, un lieu, un espace, où il n'y a pas de corps.

§ 6. Ainsi, toutes ces raisons se réunissent pour prouver que l'espace est quelque chose de réel indépendamment des corps, et que tout corps sensible est dans l'espace. § 7. Aussi Hésiode parait-il avoir raison quand il place le chaos à l'origine des choses, et quand il dit :

Bien avant tout le reste, apparut le chaos;
Puis la terre au sein vaste...

Le poète suppose donc qu'il faut avant tout pour les êtres un lieu où ils se placent, et par là Hésiode se conforme à l'opinion commune qui croit que toutes les choses sont quelque part et dans l'espace. S'il en est ainsi, le lieu, l'espace a une propriété merveilleuse et la première de toutes en date ; car ce sans quoi rien de tout le reste ne peut être, tandis qu'il existe lui-même [209a] sans le reste, est nécessairement antérieur à tout, puisque l'espace n'est pas détruit quand les choses qu'il renferme sont détruites.

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Ch. II, § 1. C'est la succession des corps, j'ai été obligé de paraphraser le texte; il n'a ici qu'un seul mol, pour lequel je n'ai pas trouvé d'équivalent dans notre langue.

- La où il y a de l'eau, l'exemple est très simple, et il est démonstratif; aujourd'hui on ne pourrait pas trouver un argument meilleur, si l'on voulait prouver l'existence de l'espace ; mais d'ordinaire ou n'essaie pas de remonter aussi haut, et l'on admet l'existence de l'espace sans essayer de la démontrer. Ou en fait une sorte de principe,

- Ce même lieu que le premier corps abandonne, le texte n'est pas tout à fait aussi explicite.

- Qui sont en lui, ou peut-être : Qui entrent en lui, comme le comprennent quelques commentateurs, bien qu'on ne puisse jamais dire que les choses entrent dans l'espace, puisqu'elles y sont toujours.

- Le réceptacle, le texte dit précisément : « La place. »

- Successivement, j'ai ajouté ce mot, dont le sens est implicitement contenu dans le texte.

- Espace où ils sont entrés, le texte est un peu moins formel.

§ 2. Les déplacements, on pourrait traduire aussi « Les directions, » ou bien encore : « Les tendances. »

 - Et les autres, les deux autres corps simples selon la doctrine des anciens sont l'air et l'eau; mais, pour ces deux éléments, leur direction particulière est moins évidente que celle de la terre et celle du feu et voilà sans doute pourquoi Aristote ne les nomme pas expressément.

- Une certaine propriété, le texte dit précisément: « Une certaine puissance; » mais j'ai réservé ce dernier mot, autant que je l'ai pu, pour le sens spécial qu'il a dans le système d'Aristote. - Celui-ci va en haut, le feu.

 - Celui-là va en bas, la terre. - Chacune des autres directions, les six directions sont énumérées un peu plus loin, au § 3.

- De l'espace et du lieu, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

§ 3. Seulement relatives à nous, cela est vrai pour les deux directions du haut et du bas, d'après les détails donnés un peu plus loin; mais il fallait expliquer aussi les directions de droite et de gauche, de dessus et de dessous.

 - Est séparément déterminée, oui, pour la direction du haut et du bas, et non pour les autres; ou du moins Aristote ne dit pas comment il entend que les autres directions sont déterminées, comme ces deux-là, par les tendances du feu et de la terre.

 - Et, en général, les corps légers, comme les vapeurs, par exemple. - Qui ont de la pesanteur, les corps qui ont de la pesanteur, les graves, se dirigent vers la terre, qui se confond alors avec le bas dans le système d'Aristote.

- Composés de terre, ou terrestres.

- Leur propriété et leur puissance, il n'y a que ce dernier mot dans le texte.

§ 4. C'est bien la aussi ce qui prouvent les mathématiques, la pensée n'est pas ici très claire, et elle n'est peut-être même pas très juste. On peut supposer que ce § tout entier est une interpolation. Aristote veut démontrer que les six directions possibles dans l'espace sont déterminées par la nature elle-même ; et les mathématiques ne peuvent pas contribuer à prouver cette théorie, puisque les êtres mathématiques sont purement rationnels, et qu'ils n'ont aucune position réelle dans la nature.

 - Relativement à nous, c'est vrai ; mais alors les êtres mathématiques se sont réalisés; et, à ce titre, ils sont relatifs, comme tous les êtres matériels, à la position que nous occupons nous-mêmes et d'après laquelle nous déterminons la leur.

§ 5. L'existence du vide, voir plus loin, ch. 8 et suiv., la théorie du vide. - Un lieu, un espace, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

§ 6. Quelque chose de réel, le texte n'est peut-être pas tout à fait aussi précis.

§ 7. Aussi Hésiode, voir la Théogonie, vers 116, p. 3, édit. des classiques de Firmin Didot. Aristote a changé sans doute le début de ce vers pour l'accommoder d'autant mieux à su propre pensée; il le cite encore sous la même forme dans la Métaphysique, Livre I, ch. 4, p. 984, b, 27, édit. de Berlin.

- Un lieu où ils se placent, et alors ce lien, selon Hésiode, serait le chaos; il n'est pat probable que ce soit là la pensée de poète; et il a voulu sans doute dire seulement que le chaos avait existé avant l'ordre admirable où nous voyons actuellement l'univers.

- Une propriété, le texte dit ; « Puissance. » Ainsi l'espace et le chaos se confondent; ou du moins Aristote prête celte théorie à Hésiode.

- Rien de tout le reste ne peut être, ce n'est pas là tout à fait le sens du vers cité.

 - L'espace n'est pas détruit, remarque vraie et profonde; mais le chaos, que l'on confond ici avec l'espace, peut être considéré comme détruit, quand il est remplacé par l'ordre qui lui succédé. 

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