Aristote : Physique

ARISTOTE

PHYSIQUE.

TOME DEUX : LIVRE IV : DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS. CHAPITRE XVIII
 

Traduction française : BARTHÉLÉMY SAINT-HILAIRE.

chapitre XVII - chapitre XIX

paraphrase du livre IV

 

 

 

LEÇONS DE PHYSIQUE


LIVRE IV.


DE L'ESPACE, DU VIDE ET DU TEMPS.

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XVIII.

Le temps est long ou court; il n'est pas lent ou rapide, parce que le nombre ne l'est pas non plus; il n'est que petit ou grand. Le temps et le mouvement se servent réciproquement de mesure, comme la grandeur et le mouvement peuvent se servir aussi de mesuré, réciproque.
 

1τι μὲν τοίνυν ὁ χρόνος ἀριθμός ἐστιν κινήσεως κατὰ τὸ πρότερον καὶ ὕστερον, καὶ συνεχής (συνεχοῦς γάρ), φανερόν. 2 Ἐλάχιστος δὲ ἀριθμὸς ὁ μὲν ἁπλῶς ἐστὶν ἡ δυάς· τὶς δὲ ἀριθμὸς ἔστι μὲν ὡς ἔστιν, ἔστι δ' ὡς οὐκ ἔστιν, οἷον γραμμῆς ἐλάχιστος πλήθει μέν ἐστιν αἱ δύο ἢ ἡ μία, μεγέθει δ' οὐκ ἔστιν ἐλάχιστος· ἀεὶ γὰρ διαιρεῖται πᾶσα γραμμή. στε ὁμοίως καὶ χρόνος· ἐλάχιστος γὰρ κατὰ μὲν ἀριθμόν ἐστιν ὁ εἷς ἢ οἱ δύο, κατὰ μέγεθος δ' οὐκ ἔστιν. 3 Φανερὸν [220b] δὲ καὶ ὅτι ταχὺς μὲν καὶ βραδὺς οὐ λέγεται, πολὺς δὲ καὶ ὀλίγος καὶ μακρὸς καὶ βραχύς. μὲν γὰρ συνεχής, μακρὸς καὶ βραχύς, ᾗ δὲ ἀριθμός, πολὺς καὶ ὀλίγος. Ταχὺς δὲ καὶ βραδὺς οὐκ ἔστιν· οὐδὲ γὰρ ἀριθμὸς ᾗ ἀριθμοῦμεν ταχὺς καὶ βραδὺς οὐδείς. 4 Καὶ ὁ αὐτὸς δὲ πανταχοῦ ἅμα· πρότερον δὲ καὶ ὕστερον οὐχ ὁ αὐτός, ὅτι καὶ ἡ μεταβολὴ ἡ μὲν παροῦσα μία, ἡ δὲ γεγενημένη καὶ ἡ μέλλουσα ἑτέρα, ὁ δὲ χρόνος ἀριθμός ἐστιν οὐχ ᾧ ἀριθμοῦμεν ἀλλ' ὁ ἀριθμούμενος, οὗτος δὲ συμβαίνει πρότερον καὶ ὕστερον ἀεὶ ἕτερος· τὰ γὰρ νῦν ἕτερα. στι δὲ ὁ ἀριθμὸς εἷς μὲν καὶ ὁ αὐτὸς ὁ τῶν ἑκατὸν ἵππων καὶ ὁ τῶν ἑκατὸν ἀνθρώπων, ὧν δ' ἀριθμός, ἕτερα, οἱ ἵπποι τῶν ἀνθρώπων.

5τι ὡς ἐνδέχεται κίνησιν εἶναι τὴν αὐτὴν καὶ μίαν πάλιν καὶ πάλιν, οὕτω καὶ χρόνον, οἷον ἐνιαυτὸν ἢ ἔαρ ἢ μετόπωρον. 6 Οὐ μόνον δὲ τὴν κίνησιν τῷ χρόνῳ μετροῦμεν, ἀλλὰ καὶ τῇ κινήσει τὸν χρόνον διὰ τὸ ὁρίζεσθαι ὑπ' ἀλλήλων· ὁ μὲν γὰρ χρόνος ὁρίζει τὴν κίνησιν ἀριθμὸς ὢν αὐτῆς, ἡ δὲ κίνησις τὸν χρόνον. Καὶ λέγομεν πολὺν καὶ ὀλίγον χρόνον τῇ κινήσει μετροῦντες, καθάπερ καὶ τῷ ἀριθμητῷ τὸν ἀριθμόν, οἷον τῷ ἑνὶ ἵππῳ τὸν τῶν ἵππων ἀριθμόν. Τῷ μὲν γὰρ ἀριθμῷ τὸ τῶν ἵππων πλῆθος γνωρίζομεν, πάλιν δὲ τῷ ἑνὶ ἵππῳ τὸν τῶν ἵππων ἀριθμὸν αὐτόν. μοίως δὲ καὶ ἐπὶ τοῦ χρόνου καὶ τῆς κινήσεως· τῷ μὲν γὰρ χρόνῳ τὴν κίνησιν, τῇ δὲ κινήσει τὸν χρόνον μετροῦμεν. 7 Καὶ τοῦτ' εὐλόγως συμβέβηκεν· ἀκολουθεῖ γὰρ τῷ μὲν μεγέθει ἡ κίνησις, τῇ δὲ κινήσει ὁ χρόνος, τῷ καὶ ποσὰ καὶ συνεχῆ καὶ διαιρετὰ εἶναι· διὰ μὲν γὰρ τὸ τὸ μέγεθος εἶναι τοιοῦτον ἡ κίνησις ταῦτα πέπονθεν, διὰ δὲ τὴν κίνησιν ὁ χρόνος. Καὶ μετροῦμεν καὶ τὸ μέγεθος τῇ. Κινήσει καὶ τὴν κίνησιν τῷ μεγέθει· πολλὴν γὰρ εἶναί φαμεν τὴν ὁδόν, ἂν ἡ πορεία πολλή, καὶ ταύτην πολλήν, ἂν ἡ ὁδὸς [ᾖ] πολλή· καὶ τὸν χρόνον, ἂν ἡ κίνησις, καὶ τὴν κίνησιν, ἂν ὁ χρόνος.

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 § 1. On vient de voir que le temps est le nombre du mouvement par rapport à l'antériorité et à la postériorité, et qu'il est continu, parce qu'il est le nombre d'un continu. § 2. Le plus petit nombre possible, à prendre le mot de nombre d'une manière absolue, c'est deux ; mais pour un nombre particulier et concret, si en un sens ce moindre nombre est possible, en un autre sens il ne l'est pas; et, par exemple, si pour la ligne, le plus petit nombre en quantité numérique, c'est deux lignes et même une seule ligne; en grandeur, il n'y a pas de plus petit nombre possible pour la ligne, puisque toute ligne est indéfiniment divisible. Par suite, le temps est tout à fait comme elle; car au point de vue du nombre, le plus petit temps c'est un ou deux temps ; mais sons le rapport de la grandeur, il n'y a pas de plus petit temps possible. § 3. On comprend bien d'ailleurs [220b] pourquoi on ne peut pas dire du temps qu'il est lent ou rapide, et qu'on dit seulement qu'il y a beaucoup de temps ou peu de temps, et que le temps est long ou court. En tant que continu, le temps est long et court; en tant que nombre, il y a beaucoup de temps et peu de temps. Mais il n'est pas rapide au lent, parce que le nombre qui nous sert à nombrer n'est jamais ni lent ni rapide. § 4. C'est le même temps qui coexiste partout à la fois; mais en tant qu'il y a antériorité et postériorité, le temps n'est plus le même, parce que le changement aussi, quand il est actuel et présent, est un, et que le changement passé et le changement futur sont autres. Le temps est bien un nombre; mais ce n'est pas celui qui nous sert à compter, c'est celui qui est compté lui-même. Or, ce temps-là est toujours différent sous le rapport de l'antérieur et du postérieur, parce que les instants sont toujours autres, tandis que le nombre est toujours un et le même, soit qu'il s'applique ici à. cent chevaux et là à cent hommes; il n'y a de différence qu'entre les choses dénombrées, c'est-à-dire que ce sont seulement les chevaux et les hommes qui diffèrent. proprement dit.

§ 5. D'ailleurs, de même que, par un retour constamment pareil, le mouvement peut être constamment un et identique, de même aussi le temps peut être identique et un périodiquement : par exemple, une année, un printemps, un automne. § 6. Et non seulement nous mesurons le mouvement par le temps; mais nous pouvons encore mesurer le temps par le mouvement, parce qu'ils se limitent et se déterminent mutuellement l'un par l'autre. Le temps détermine le mouvement, puisqu'il en est le nombre; et réciproquement, le mouvement détermine aussi le temps. Quand nous disons qu'il y a peu ou beaucoup de temps d'écoulé, nous le mesurons par le mouvement, de même qu'on mesure le nombre par la chose qui est l'objet de ce nombre; et, par exemple, c'est par un seul cheval qu'on mesure le nombre des chevaux. Ainsi nous connaissons quelle est la quantité totale des chevaux par le nombre; et, réciproquement, c'est en considérant un cheval seul que le nombre même des chevaux se trouve connu. Le rapport est tout à fait pareil entre le temps et le mouvement, puisque nous calculons de même le mouvement par le temps, et le temps par le mouvement. § 7. C'est d'ailleurs avec toute raison ; car le mouvement implique la grandeur, et le temps implique le mouvement, parce que ce sont là également et des quantités, et des continus, et des divisibles. C'est parce que la grandeur a telles propriétés que le temps a tels attributs; et le temps ne se manifeste que grâce an mouvement. Aussi nous mesurons indifféremment la grandeur par le mouvement et le mouvement par la grandeur; nous disons que la route est longue si le voyage a été long; et réciproquement, que le voyage est long si la route a été longue. De même aussi, nous disons qu'il y a beaucoup de temps, s'il y a beaucoup de mouvement ; et réciproquement, beaucoup de mouvement, s'il y a beaucoup de temps.

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Ch. XVIII, § 1. On vient de voir, la tournure qu'emploie ici le texte n'est pas tout à fait celle-ci; mais j'ai dû prendre cette tournure pour le début d'un chapitre.

- L'antériorité et la postériorité, j'ai conservé ces mots généraux, pour qu'ils pussent également s'appliquer au temps et au mouvement.

- Parce qu'il est le nombre, le texte est moins formel.

§ 2. Le plus petit nombre possible, le mot de Nombre est pris ici dans le sens de Quantité, comme la suite le prouve.

- Pour tel nombre particulier, j'ai dû ici paraphraser le texte pour l'éclaircir. - Et concret, j'ai ajouté ces mots.

- En un sens, comme nombre proprement dit.

 - En un autre sens, en tant que quantité et non plus en tant que nombre.

- Le plus petit nombre en quantité, voilà bien le second sens où l'on prend ici le mot de Nombre; mais ce sens est tout à fait détourné; et il serait plus exact de dire : « La plus petite quantité possible. » Le nombre est une quantité; mais il n'est pas réciproquement vrai que toute quantité suit un nombre.

- C'est deux lignes, c'est alors un nombre concret. - Ou même une seule ligne, si l'on admet que l'unité soit un nombre.

 - En grandeur, c'est qu'en effet ce n'est plus un nombre à proprement parler; c'est une quantité.

- Il n'y a pas de plus petit nombre possible, nombre étant pris pour quantité ou grandeur, ceci revient à dire que dans la grandeur il n'y a pas de minimum comme dans le nombre, parce que toute grandeur est indéfiniment divisible.

- Au point de vue du nombre, proprement dit.

- Un ou deux temps, c'est-à-dire un ou deux espaces de temps, un ou deux jours, un ou deux mois, un ou deux uns, etc.

- Sous le rapport de la grandeur, c'est-à-dire ici de la durée.

- Il n'y a pas de plus petit temps possible, il semble au contraire que sous le rapport de la durée, l'instant est un minimum; mais il est vrai qu'ou ne peut jamais donner la mesure exacte de l'instant.

§ 3. Qu'il est lent ou rapide, le temps en effet n'est ni lent ni rapide par lui-même, puisque son flux est immuable; et c'est seulement par un abus de langage, dont il est facile de se rendre compte, qu'un prête au temps rapidité ou lenteur, selon les sensations qui nous agitent, ou selon les événements qui se passent autour de nous.

- Beaucoup de temps, et peu de temps, les idées de peu et de beaucoup peuvent s'appliquer très bien au temps, puisqu'il est un nombre.

 - Il est long ou court, en tant que continu.

- Le nombre qui nous sert à nombrer, c'est le nombre abstrait.

§ 4. C'est le même temps, l'identité du temps est évidente de soi, si on le considère à un instant donné; et il est le même à l'instant où j'écris ces lignes pour l'univers entier; mais le temps est divers en ce sens qu'on y peut distinguer les différents moments de la succession infinie qui le compose. Il est passé, présent et avenir; et dans le passé et dans l'avenir, les divisions peuvent être indéfinies.

- Qu'il y a antériorité et postériorité, qu'il est passé ou futur, et qu'on y distingue des moments divers dont les uns sont postérieurs ou antérieurs aux autres.

- Parce que le changement, ou le mouvement, avec lequel le temps petit être confondu.

- Ce n'est pas celui qui nous sert à compter, c'est-à-dire le nombre abstrait.

- Qui est compté lui-même, c'est le nombre concret ; mais on ne peut pas dire précisément que ce nombre soit compté; ce sont seulement les objets que l'on compte a proprement parler.

- Tandis que le nombre, proprement dit.

§ 5. Par un retour constamment pareil, le texte n'est pas lent à fait aussi formel.

 - Périodiquement, j'ai ajouté ce mot.

§ 6. Le mouvement par le temps... le temps par le mouvement, cette réciprocité de mesure entre le temps et le mouvement a été déjà plusieurs fois indiquée dans tout ce qui précède; mais elle n'avait pas été jusqu'ici exposée avec la précision nécessaire.

- Se limitent et se déterminent, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

- Nous le mesurons par mouvement, soit le mouvement extérieur et sensible, soit le mouvement intérieur de nos propres pensées.

- Par la chose qui est l'objet de ce nombre, en prenant cette chose pour unité de mesure, et en appréciant le nombre, selon qu'elle est en plus ou moins grande quantité.

 - C'est par un seul cheval, pris comme unité de mesure, et alors ou dit qu'il y a dix, vingt, cent chevaux, etc. On a l'idée du nombre par les êtres même qu'il sert à dénombrer.

- Le rapport du nombre concret ou nombre abstrait. Ce rapprochement entre le mouvement et le temps est fort ingénieux.

§ 7. Le mouvement implique la grandeur, voir plus haut ch. 17, § 2.

 - Et des quantités, et non pas des nombres, terme qui ne serait pas ici assez général,

- Ne se manifeste, le texte n'est pas aussi précis.

- Nous mesurons indifféremment la grandeur, peut-être le mot d'Étendue serait-il plus juste que celui de Grandeur dans tout ce passage; mais j'ai dû suivre le texte. La grandeur signifie ici l'espace parcouru, et non le corps même qui parcourt telle portion de l'espace; l'exemple que donne Aristote du voyage et de la route, détermine du reste assez clairement le sens du mot de Grandeur.

- Si le voyage a été long, c'est-à-dire a duré longtemps.

- Beaucoup de mouvement, que d'ailleurs ce mouvement soit lent ou rapide, de quelqu'espèce que ce soit.

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