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table des matières de l'œuvre d'Aristote

table des matières de la génération et de la corruption

ARISTOTE

DE LA PRODUCTION ET DE LA DESTRUCTION DES CHOSES

(DE GENERATIONE ET CORRUPTIONE)

(pages 1 à 187)

LIVRE II.

ORIGINES DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE.

livre I livre 2

DISSERTATION

DE MÉLISSUS, DE XÉNOPHANE, ET DE GORGIAS

FRAGMENTS DE MÉLISSUS

ANALYSE DE LA THÉORIE DE GORGIAS PAR SEXTUS EMPIRICUS

table des matières

texte grec

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DE LA PRODUCTION ET DE LA DESTRUCTION DES CHOSES

(DE GENERATIONE ET CORRUPTIONE)

LIVRE II.

 

 

CHAPITRE PREMIER.

Théorie des éléments des corps; leur nombre; citation d'Empédocle. La matière n'est point séparée des corps, comme on semble le croire dans le Timée de Platon ; réfutation de cette théorie; elle est en partie vraie, et en partie fausse. Citation de divers ouvrages antérieurs. Théorie nouvelle sur les principes élémentaires des corps, leur nature et leur nombre.

§ 1. [329a.26] On vient de parler du mélange, du contact, de l'action et de la passion, et l'on a expliqué comment ces phénomènes se passent dans les choses qui subissent des changements naturels. On a traité, en outre, de la production et de la destruction absolues des choses ; et l'on a expliqué de quelle manière, dans quels cas, et pourquoi elles ont lieu. On a également étudié [30] l'altération, et l'état de l'être altéré. Enfin, on a fait voir les différences de chacun de ces phénomènes. Maintenant, il nous reste à étudier ce qu'on appelle les éléments des corps ; car la production et la destruction, dans toutes les substances que compose la nature, ne peuvent se manifester sans les corps que perçoivent nos sens.

§ 2. Parmi les philosophes, les uns prétendent que tous les éléments sont formés d'une seule et unique matière, et ils supposent que c'est l'air, ou le feu, ou quelque corps intermédiaire, faisant, de cette matière, un corps substantiel et tout à fait distinct et séparé. [329b] D'autres croient qu'il y a plus d'un seul élément, et ils admettent alors simultanément, ceux- ci le feu et la terre, et ceux-là, l'air en troisième lieu, avec ces deux premiers éléments. D'autres enfin, comme Empédocle, ajoutent l'eau pour quatrième élément. Dans ces divers systèmes, c'est par la réunion, la séparation, ou l'altération de ces éléments, que sont causées la production et la destruction des choses.

§ 3. [5] Accordons sans la moindre difficulté, que ces primitifs des choses peuvent très convenablement être appelés des principes et des éléments, et que c'est de leur changement, par une division ou une combinaison réciproque, ou bien de telle autre espèce de changement éprouvé par eux, que viennent la production et la destruction des choses. Mais en admettant qu'il y a une seule et même matière en dehors de tous les éléments, et en la faisant séparée et [10] corporelle, on se trompe ; car il est impossible, que ce corps, s'il est perceptible à nos sens, puisse exister sans présenter quelques contraires ; et il faut nécessairement que cet infini, que quelques philosophes prennent pour leur principe, soit léger ou pesant, froid ou chaud.

§ 4. Mais la manière dont on a parlé de ce principe, dans le Timée, n'a aucune précision ; car on n'a pas dit assez clairement, si ce réceptacle de toutes choses est distinct et séparé des éléments. [15] Ce qui est certain, c'est que Timée n'a recours pour aucun d'eux à ce principe, bien qu'il ait dit cependant que c'est le sujet antérieur de tout ce qu'on appelle des éléments, ainsi que l'or est préalablement le sujet des ouvrages d'or. Cependant cette explication n'est pas très bonne, sous la forme où on nous la donne ; elle s'applique bien aux cas où il y a simple altération ; mais pour les cas où il y a production et destruction, il serait impossible de dénommer les choses par celles d'où elles sont venues. [20] Timée a bien raison de dire qu'il est beaucoup plus vrai de soutenir que chaque ouvrage d'or est de l'or ; mais, quoique les éléments des choses soient solides, il en pousse l'analyse jusqu'aux surfaces. Or il est bien impossible que des surfaces soient la matière primitive dont on nous parle.

§ 5. Nous aussi, nous reconnaissons bien qu'il y a une certaine matière [25] des corps que nos sens perçoivent ; mais cette matière, d'où viennent ce qu'on appelle les éléments, n'est jamais isolée, et elle se présente toujours avec des contraires. Du reste, on a traité ce sujet ailleurs avec plus d'étendue et d'exactitude.

§ 6. Néanmoins, comme les corps primitifs peuvent aussi, de cette façon, venir de la matière, il faut parler de [30] ces corps, en admettant que la matière est bien le principe, et le premier principe des choses, mais qu'elle en est inséparable, et qu'elle est le sujet des contraires. Ainsi, le chaud, par exemple, n'est pas la matière du froid, pas plus que le froid n'est la matière du chaud ; mais la matière est le sujet de tous les deux.

§ 7. Ainsi d'abord, le corps qui est perceptible en puissance à notre sensibilité, voilà le principe ; puis ensuite viennent [35] les contraires, comme, par exemple, la chaleur et le froid, et en troisième lieu, le feu et l'eau et les autres éléments semblables. Tous ces corps se changent bien les uns dans les autres ; mais ce n'est pas de la manière dont le disent Empédocle et d'autres philosophes ; [330a] car, d'après leurs théories, il n'y aurait plus même d'altération. Ce ne sont que les oppositions des contraires qui ne changent pas les unes dans les autres. Du reste, comme ce sont là les principes des corps, il n'en faut pas moins étudier leurs qualités et leur nombre ; car les autres philosophes s'en servent bien dans leurs systèmes, après les avoir admis par hypothèse ; mais ils ne disent pas pourquoi ces contraires ont telle nature et sont dans le nombre où nous les voyons.

Livre II, Ch. I, § 1. On vient de parler du mélange, récapitulation de tout ce qui précède, dans le premier livre. La théorie du mélange a été exposée, livre I, ch. 10. — Du contact, ce n'est qu'incidemment qu'il a été traité du contact, et il n'y a pas eu de théorie spéciale sur ce sujet, voir livre I, ch. 6. — De l'action et de la passion, voir livre I, ch. 6, 7 et suivants. - Qui subissent des changements naturels, indépendamment de ceux que l'art ou la volonté de l'homme peuvent produire ; voir plus haut, livre I, ch. 1, § 1. — De la production et de la destruction absolues, voir plus haut, livre I, chapitres 1, 3, et suivants. — L'altération et l'état de l'être altéré, voir plus haut, livre I, ch. 4. — Les différences de chacun de ces phénomènes, dans le cours de chacune de ces théories spéciales, on a montré les différences qui séparent chacun des phénomènes successivement étudiés.

§ 2. Que c'est l'air, comme le croyaient Diogène d'Apollonie et Anaximène. — Ou le feu, comme le croyaient Héraclite d'Éphèse et Hippase, d'après Philopon. — Quelque corps intermédiaire, c'était le système d'Anaximandre, qui supposait un cinquième élément, tenant de la nature des quatre autres, et toutefois s'en distinguant. — Faisant de cette matière, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. — Ceux-ci le feu et la terre, comme le faisait Parménide. — Ceux-là l'air en troisième lieu, c'était Ion de Chios, si l'on en croit le commentaire de Philopon. — Comme Empédocle, c'est toujours à Empédocle qu'Aristote attribue la théorie des quatre éléments ; voir aussi la Physique, livre III, ch. 7, §§ 9 et suivants de ma traduction.

§ 3. Les primitifs des choses, j'ai conservé le mot même du texte. — Ou bien de telle autre espèce de changement, il n'y a, par exemple, que l'altération de possible, dans les systèmes qui n'admettent qu'un seul élément; car c'est par les modifications infinies de cet élément unique que se produisent tous les autres phénomènes. — Et corporelle, c'est la traduction exacte du mot qu'emploie le texte. — S'il est perceptible à nos sens, et il doit l'être du moment qu'il est substantiel et séparé de tous les autres. — Sans présenter quelques contraires, le texte dit simplement : « Sans contrariété. » — Cet infini, ou « cet indéterminé. »

§ 4. Ce réceptacle de toutes choses, voir la traduction du Timée de Platon par M. V. Cousin, p. 452. - Est distinct et séparé des éléments, la critique est exacte, si ce n'est très importante. — Préalablement, j'ai ajouté ce mot. — Le sujet des ouvrages d'or, voir le Timée, page 154 de la traduction de M. V. Cousin. — Sous la forme où on nous la donne, en effet Timée ne parle que des transformations successives du lingot d'or; il ne parle point de sa production originelle. - De dénommer les choses, l'expression n'est pas très claire. C'est bien celle dont se sert en effet Timée dans ce passage. On peut toujours dire de l'objet qu'on forme avec le lingot d'or, que c'est de l'or ; mais, pour une chose qui est produite et qui naît de rien, on ne peut pas lui donner le nom de la chose d'où elle est venue, puisqu'elle ne vient d'aucune autre. — D'où elles sont venues, s'il s'agit de production; et ce serait : « où elles se perdent, » s'il s'agissait de destruction. - Timée a bien raison, le texte n'est pas aussi formel. — Beaucoup plus vrai de soutenir, voir le Timée de Platon, page154 de la traduction de M. V. Cousin. — Jusqu'aux surfaces, voir dans le Traité du Ciel, livre III, ch. 7 et suivants. En résolvant les corps en surfaces, Platon leur ôte toute réalité ; et l'analyse poussée aussi loin les détruit. — Dont on nous parle, j'ai ajouté ces mots.

§ 5. Nous aussi, nous reconnaissons bien, le texte n'est pas tout à fait aussi précis. — D'où viennent ce qu'on appelle les éléments, cette pensée ne paraît pas très juste ; et la matière dont il est question ici, est plutôt une condition logique des corps qu'une condition réelle. Il se pourrait donc que cette phrase ne fût qu'une glose ajoutée au texte par quelque commentateur. Elle est d'ailleurs déjà dans le texte de Philopon. — N'est jamais isolée, et subsistant indépendamment des corps, comme la matière que, selon Aristote, Platon a le tort d'admettre. — Avec des contraires, la matière a toujours une certaine qualité qui la distingue, et à laquelle elle est indissolublement jointe. — Ailleurs, dans la Physique, livre I, ch. 8, spécialement § 20, page 484 de ma traduction; et dans le Traité du ciel, livre III. — Plus d'étendue et d'exactitude, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

§ 6. Les corps primitifs, j'ai conservé l'expression même du texte ; mais c'est des éléments qu'il s'agit. — Le sujet des contraires, voir le développement de toute cette théorie, Physique, livre I, ch. 8, p. 473 de ma traduction. — Par exemple, j'ai ajouté ces mots. — N'est pas la matière, mais c'est le contraire ; et sous les deux contraires, il y a le sujet qu'ils qualifient tour à tour.

§ 7. Le corps qui est perceptible, c'est la matière entendue au sens logique, sensible en puissance, mais en réalité ne l'étant que sous la forme d'un des deux contraires. — Le feu et l'eau, c'est-à-dire, les quatre éléments, avec tous les corps particuliers qu'ils composent, d'après les théories d'Aristote, qui sont aussi celles de toute l'antiquité. — De la manière dont le disent Empédocle et d'autres philosophes, la pensée n'est pas assez développée, et elle reste obscure par la concision de l'expression. Empédocle et d'autres philosophes regardent les éléments comme absolument immuables ; et dès lors, on ne peut plus comprendre, avec cette immutabilité, le phénomène de l'altération, tout incontestable qu'il est. — Mais ce ne sont que les oppositions, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. — Dans leurs systèmes, j'ai ajouté ces mots.

CHAPITRE lI.

Définition du corps tel que le sens du toucher nous le fait connaître; énumération des principaux contraires qu'offre le corps tangible; différences de ces contraires; action différente du froid et du chaud, du sec et du liquide ; rapport de toutes les autres différences à ces quatre différences fondamentales.

§ 1. Puisque nous cherchons quels sont les principes du corps perceptible à nos sens, c'est-à-dire, du corps que le toucher peut atteindre, et puisqu'un corps que le toucher nous fait connaître est celui dont le sens spécial est le toucher, il s'ensuit évidemment que toutes les oppositions par contraires, qu'on peut observer dans le corps, n'en constituent pas les espèces et les principes, mais que ce sont seulement ceux des contraires qui se rapportent au sens du toucher. Les corps diffèrent bien par leurs contraires, mais par leurs contraires que le toucher peut nous révéler. [10] Voilà pourquoi ni la blancheur, ni la noirceur, ni la douceur, ni l'amertume, ni aucun des contraires sensibles ne sont un élément des corps.

§ 2. Ce qui n'empêche pas que la vue ne soit un sens supérieur au toucher, et que, par conséquent, l'objet de la vue ne soit supérieur aussi. Mais la vue n'est pas une affection du corps tangible, en tant que tangible, et elle se rapporte à une toute autre chose, qui d'ailleurs peut bien être antérieure par sa nature.

§ 3. [15] Or pour les tangibles eux-mêmes, il faut étudier et distinguer les différences primitives qu'ils offrent, et leurs premières oppositions par contraires. Les oppositions et contrariétés que le toucher nous révèle sont les suivantes : le froid et le chaud, le sec et l'humide, le lourd et le léger, le dur et le moule-visqueux et le friable, l'uni et le raboteux, l'épais et le mince. Parmi ces contraires, le lourd et le léger ne sont ni actifs ni passifs ; [20] car ce n'est pas parce qu'ils agissent l'un sur l'autre, ou parce qu'ils souffrent l'un par l'autre, qu'on leur donne le nom qu'ils portent. Cependant, il faut que les éléments puissent agir et souffrir les uns par les autres réciproquement, puisqu'ils se mêlent et se changent réciproquement, les uns dans les autres.

§ 4. Mais le chaud et le froid, le sec et l'humide, sont ainsi appelés, les uns, parce qu'ils agissent, les autres, parce qu'ils souffrent. [25] Ainsi, le chaud est ce qui réunit les substances homogènes ; car désunir, comme le fait à ce qu'on dit. le feu, c'est au fond combiner les choses de même espèce, puisqu'il arrive alors que le feu fait sortir et enlève les substances étrangères. Le froid, au contraire, réunit et combine également, et les choses qui sont de même espèce, et celles qui n'en sont pas. On appelle liquide ce qui est indéterminé dans sa propre forme, mais peut en recevoir aisément une d'ailleurs. [30] Le sec est, au contraire, ce qui ayant une forme bien déterminée dans ses propres limites, ne peut en recevoir une nouvelle qu'avec peine.

§ 5. C'est de ces différences premières que viennent le mince et l'épais, le visqueux et le friable, le dur et le mou, et les autres différences analogues. Ainsi, un corps qui a la faculté de pouvoir facilement remplir l'espace, se rattache au liquide, parce qu'il n'est pas déterminé lui-même, et qu'il obéit sans la moindre peine à l'action de l'objet qui le touche, en se laissant donner une forme par cet objet. Le mince peut également remplir l'espace, [330b] parce que n'ayant que des parties légères et petites, il remplit bien et touche tout à fait, propriété qui distingue surtout le corps mince. Donc évidemment, le mince se rapproche du liquide, tandis que l'épais se rapproche du sec. D'autre part aussi, le visqueux appartient au liquide, parce que le visqueux n'est qu'une sorte de liquide, avec de certaines qualités, comme l'huile.  [5] Mais le friable se rattache au sec, parce que le friable est ce qui est complètement sec, et l'on peut croire qu'il ne s'est coagulé que par l'absence même de tout liquide. On peut dire encore que le mou fait partie du liquide,  parce que le mou est ce qui cède en se repliant sur soi et sans se déplacer, comme le liquide le fait précisément aussi. Voilà pourquoi le liquide n'est pas appelé mou, tandis que le mou se rattache à la classe du liquide. [10] Enfin le dur appartient au sec ; car le dur est quelque chose de coagulé, et le coagulé est sec.

§ 6. Du reste, sec et liquide, sont des mots qui se prennent en plusieurs sens. Ainsi, le liquide et le mouillé peuvent être considérés comme les opposés du sec, de même que le sec et le coagulé sont les opposés du liquide. Toutes ces propriétés [15] diverses se rattachent au liquide et au sec, pris au sens primitif de ces mots ; car, comme le sec est opposé au mouillé, et que le mouillé est ce qui a à sa surface un liquide étranger, tandis que l'imprégné est ce qui en a jusqu'au fond, et comme le sec est au contraire ce qui est privé de toute liqueur étrangère, il est évident que le mouillé tient du liquide, tandis que le sec, qui y est opposé, tiendra du sec primitif.

§ 7. Il en est encore de même du liquide et du coagulé ; ainsi, le liquide étant ce qui a une humidité propre, et le coagulé étant ce qui en est privé, on doit conclure que, de ces deux qualités, l'une appartient à la classe du liquide, et l'autre à celle du sec.

§ 8. Il est donc évident que toutes les autres différences peuvent être rapportées aux quatre premières, [25] et que celles-là ne peuvent pas être réduites à un moindre nombre ; car le chaud n'est pas la même chose que l'humide ou le sec, pas plus que l'humide n'est ni le chaud ni le froid ; le froid et le sec ne sont pas davantage subordonnées entr'eux, pas plus qu'ils ne le sont au chaud et à l'humide. En résumé, il n'y a nécessairement que ces quatre différences principales.

Ch. II, § 1. Du corps perceptible à nos sens, du corps matériel et sensible. — C'est-à-dire, du corps que le toucher peut atteindre, Philopon observe avec raison qu'Aristote s'occupe d'abord du sens du toucher, parce que ce sens est celui de tous qui a le plus de perceptions possibles. Des corps qui échappent à notre vue sont cependant sentis par nous; et c'est ainsi que l'air, bien que nous ne puissions pas le voir, impressionne cependant notre sensibilité en nous touchant. — Que le toucher nous fait connaître, le texte dit simplement : « Un corps tangible. » — Qu'on peut observer dans le corps, j'ai ajouté ce développement, qui m'a paru utile pour éclaircir la pensée. — N'en constituent pas les espèces et les principes, cette prédominance accordée au sens du toucher rappelle et devance la distinction des qualités primaires et secondaires des corps, théorie admise plus tard par l'École Écossaise.— Ne sont un élément des corps, le texte dit simplement : «Ne font pas d'élément. »

§ 2. Que la vue ne soit un sens supérieur, voir le Traité de l'Âme, livre II, ch. 7, page 208 de ma traduction, pour la théorie de la vision. — Au toucher, id. ch. page 237. — L'objet de la vue ne soit supérieur aussi, voir le début de la Métaphysique, livre 1, ch. 1, p. 121 de la traduction de M. V. Cousin, 2a édition. Aristote y donne la supériorité à la vue, comme ici, sur tous les autres sens. — N'est pas une affection, ou « une qualité. » — A une toute autre chose, j'ai conservé l'indétermination du texte. — Antérieure par sa nature, à l'objet propre du sens du toucher.

§ 3. Pour les tangibles eux-mêmes, j'ai conservé le mot même du texte, qui se comprend bien après les explications précédentes. Les tangibles sont les corps que le sens seul du toucher peut nous faire connaître. — Étudier et distinguer, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Oppositions par contraires, le texte dit d'un seul mot : « Contrariétés. » — Parce qu'ils agissent l'un sur l'autre... le texte n'est pas aussi développé. — Qu'on leur donne le nom qu'ils portent, même remarque.

§ 4. Les uns parce qu'ils agissent, il semble que l'action du froid et du chaud est tout à fait réciproque; et qu'ils agissent et souffrent également. Les uns, ce sont le chaud et le froid ; les autres, ce sont le sec et l'humide. Philopon cherche à expliquer tout au long pourquoi Aristote fait des éléments actifs du froid et du chaud, et des éléments passifs, du sec et de l'humide. Sur toute cette théorie, il faut voir le IVe livre de la Météorologie, chap. 1, et suivants, page 273 de ma traduction. — Est ce qui réunit, et en ce sens, le chaud agit. — Les substances homogènes, ceci s'entend surtout des substances qui peuvent fondre et se liquéfier sous l'action du feu; elles se comportent alors comme des liquides. — Au fond, j'ai ajouté ces mots. — Fait sortir et enlève, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Le froid au contraire réunit, et, en ce sens, le froid est aussi actif que la chaleur. — Et celles qui n'en sont pas, la glace réunissant et coagulant souvent ensemble les substances les plus disparates. — Indéterminé dans sa propre forme, le liquide n'a jamais que la forme qui lui est donnée par les contenants. Par lui-même, il n'en a pas, pris dans sa masse. — Dans ses propres limites, ou « dans son propre contour. » — Forme... limites, le texte se sert d'une même expression.

§ 5. C'est de ces différences premières, le texte n'est pas aussi formel. — Et les autres différences analogues, qui ne seraient que secondaires, par rapport aux différences premières du froid et du chaud, du sec et de l'humide. — Qui a la faculté de pouvoir facilement remplir l'espace, le texte n'a qu'un seul mot. On peut aussi, par l'espace, entendre les « places vides, les creux, » comme l'entend Philopon. — Se rattache au liquide, le texte dit précisément : « est du liquide, » fait partie du liquide. — Légères et petites, ceci n'est pu tout à fait exact ; et la surface a beau être mince, elle peut remplir fort mal l'espace, selon la position qu'on lui donne. — Appartient aussi au liquide, même observation qu'un peu plus haut. — Comme l'huile, on aurait pu trouver un exemple plus approprié. — De tout liquide, ou « de toute humidité.» — Et sans se déplacer, comme le fait l'eau, dont les molécules se séparent, tandis que celles du corps mou n'en restent pas moins continues, tout en cédant à la pression exercée sur elles. — Se rattache à la classe du liquide, même observation que plus haut, sur l'expression du texte. — De coagulé, c'est le terme même dont se sert l'original. Je l'ai laissé dans toute sa généralité.

§ 6. Sec et liquide, ou bien encore : « sec et humide. » J'ai préféré le mot Liquide, pour que l'opposition fût plus nette avec le Mouillé, dont il sera question un peu plus bas. — Le sec et le coagulé, peut-être pourrait-on dire aussi : « le sec et le congelé.» — Toutes ces propriétés diverses, le texte n'est pas aussi précis. — Au sens primitif de ces mots, même observation. Voir plus haut, § 3. — L'imprégné, ou « le trempé. » — Tient du liquide, voir l'observation sur cette formule, au § précédent.

§ 7. Du liquide à la classe du liquide, il semble qu'il y a ici une véritable tautologie, une simple répétition de mots. J'ai dû suivre l'original. Philopon n'explique pas ce défaut, qu'il n'a peut-être pas remarqué.

§ 8. Toutes les autres différences, qu'on vient de citer, et d'expliquer après les quatre différences primaires et fondamentales. — Aux quatre premières, le froid et le chaud, le sec et l'humide. — A un moindre nombre, c'est-à-dire à deux, au lieu de quatre. — La même chose que l'humide, ou « le liquide. » — Principales, j'ai ajouté ce mot. Voir le IVe livre de la Météorologie, ch. 1.

CHAPITRE III.

Combinaisons des éléments entre eux; il n'y en a que quatre, parce que les contraires s'excluent. Théories antérieures sur le nombre des éléments : Parménide, Platon, Empédocle. Nature des divers éléments ; lieux divers qu'ils occupent dans l'espace.

§ 1. [30] Comme il y a quatre éléments, et que les combinaisons possibles, pour quatre termes, sont au nombre de six ; mais, comme aussi les contraires ne peuvent pas être accouplés entr'eux, le froid et le chaud, le sec et l'humide ne pouvant jamais se confondre en une même chose, il est évident qu'il ne restera que quatre combinaisons des éléments : d' une part chaud et sec, chaud et humide ; et d'autre part, froid et sec, froid et humide.

§ 2. [331a] Ceci est une conséquence toute naturelle de l'existence des corps qui paraissent simples, le feu, l'air, l'eau et la terre. Ainsi, le feu est chaud et sec ; l'air est chaud et humide, puisque l'air est une sorte de vapeur ; [5] l'eau est froide et liquide ; enfin, la terre est froide et sèche. Il en résulte que la répartition de ces différences entre les corps premiers se comprend très bien, et que le nombre des uns et des autres est en rapport parfait.

§ 3. Tous les philosophes, en effet, reconnaissant les corps simples pour éléments, en ont admis tantôt un, tantôt deux, tantôt trois, tantôt quatre.

§ 4. Ceux qui n'en admettent qu'un seul [10] sont obligés de faire naître tous les autres de la condensation ou de la raréfaction de cet élément. Par suite, ils admettent deux principes, le rare et le dense, ou le chaud et le froid ; car, dans ce système, ce sont là les agents formateurs, et l'élément unique est soumis à leur action en tant que matière.

§ 5. Les philosophes qui, comme Parménide, admettent déjà deux éléments, le feu et la terre, regardent les éléments intermédiaires, l'air et l'eau, comme des mélanges de ceux-là. [15] Il en est de même aussi de ceux qui en admettent trois, comme le fait Platon, dans ses divisions; car, pour lui, l'élément moyen n'est qu'un mélange. Ainsi ceux qui admettent deux éléments et ceux qui en admettent trois sont presque complètement d'accord, si ce n'est que les uns divisent l'élément moyen en deux, et que les autres lui laissent son unité.

§ 6. Quelques-uns, comme Empédocle, en reconnaissent nettement quatre ; [20] mais, lui aussi, les réduit à deux ; car il oppose au feu tous les autres éléments réunis. D'après Empédocle, le feu, non plus que l'air, ni aucun des autres éléments, n'est simple, mais mélangé. Les corps simples sont tous simples sans doute ; mais ils ne sont pas cependant identiques. Par exemple, le corps qui est pareil au feu, est de l'espèce du feu ; mais pourtant ce n'est pas précisément du feu. Le corps qui est pareil à l'air est de l'espèce de l'air, sans être de l'air ; et de même, pour tout le reste des éléments. [25] Mais le feu est un excès de la chaleur, de même que la glace est un excès du froid ; car la congélation et l'ébullition sont des excès d'un certain genre, l'une de froid et l'autre de chaleur. Si donc la glace est une congélation de liquide et de froid, le feu sera aussi une ébullition de chaud et de sec. Voilà pourquoi rien ne peut naître ni de la glace ni du feu.

§ 7. [30] Les corps simples étant au nombre de quatre, ils appartiennent deux à deux à chacun des deux lieux de l'espace; l'air et le feu sont du lieu qui est porté vers la limite extrême ; la terre et l'eau sont du lieu qui est vers le centre. [331b] Les éléments extrêmes et les plus purs sont le feu et la terre ; les éléments intermédiaires et les plus mélangés sont l'eau et l'air ; dans chaque série, l'un des deux est contraire à l'autre ; car l'eau est le contraire du feu, et la terre est le contraire de l'air, puisqu'ils ont dans leur composition des affections contraires.

§ 8. Cependant, absolument parlant, les quatre corps simples n'appartiennent chacun qu'à une seule affection. Ainsi, la terre est plutôt du sec que du froid; l'eau est plutôt du froid que du liquide; [5] l'air est plutôt du liquide que du chaud ; le feu est plutôt du chaud que du sec.


 

Ch. III, § 1. Comme il y a quatre éléments, c'est le mot même du texte; mais le chaud et le froid, le sec et l'humide, sont plutôt des propriétés des éléments, que des éléments proprement dits. — Être accouplés entr'eux, parce qu'ils se détruisent l'un l'autre. — Il ne restera que quatre combinaisons, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. - Humide, je prends le terme le plus habituellement employé ; mais le mot grec signifie Liquide, aussi bien qu'Humide.

§ 2. Qui paraissent simples, cette tournure d'expression n'implique pas le moindre doute, sur la simplicité absolue des éléments, d'après les théories d'Aristote. Paraissent simples, signifie seulement que la simplicité des éléments peut être constatée par l'observation. — L'eau est froide et liquide, j'ai dû prendre ici le mot de Liquide, au lieu de celui d'Humide, qui aurait moins convenu en parlant de l'eau.

§ 3. Les corps simples pour éléments, il semble résulter de ce passage qu'aucun philosophe n'a admis plus de quatre éléments ; cependant, Aristote lui-même, dans la Météorologie, semble en admettre un cinquième, l'éther; voir la Météorologie, livre I, ch. 3, § 4, page 9 de ma traduction.

§ 4. De la condensation et de la raréfaction, voir la Physique, livre I, ch. 6, § 1, page 461 de ma traduction. — De cet élément, j'ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — Les agents formateurs, ou « fabricateurs. » — Est soumis à leur action, le texte n'est pas aussi formel. — En tant que matière, capable de recevoir successivement les contraires.

§ 5. Comme Parménide, dans la Physique, livre I, ch. 6, § 1, les deux principes prêtés à Parménide, sont le rare et le dense, ou le chaud et le froid ; ce ne sont pas le feu et la terre précisément, bien que le feu puisse être identifié avec le chaud, et la terre avec le froid. — Dans ses divisions, ceci semblerait indiquer le titre spécial d'un ouvrage de Platon ; mais Philopon, d'après des commentateurs antérieurs, affirme que l'ouvrage attribué à Platon, sous ce nom, était apocryphe. Alexandre d'Aphrodisée, pense qu'il s'agit ici de ces Opinions non-écrites, de Platon, qu'Aristote cite expressément dans la Physique, livre IV, ch. 4, § 4, page 150 de ma traduction. D'autres commentateurs ont cru qu'il s'agissait des Divisions indiquées dans le dialogue de Platon, intitulé le Sophiste. C'est encore la conjecture d'Alexandre qui parait la plus probable. — N'est qu'un mélange, comme pour Parménide. — Sont presque complètement d'accord, puisque de part et d'autre on reconnaît un mélange. — L'élément moyen en deux, ou peut trouver que ceci n'est pas tout à fait conforme à ce qui vient d'être dit un peu plus haut. Parménide semble reconnaître deux éléments moyens, et non un seul ; il ne peut pas confondre l'air et l'eau.

§ 6. Comme Empédocle, voir plus haut, ch. 1, § 2. — Tous les autres éléments réunis, le texte n'est pas aussi précis. — D'après Empédocle, j'ai ajouté ces mots, parce qu'il me semble que tout ce qui suit ne peut qu'être attribué à Empédocle. C'est aussi l'interprétation de saint Thomas et des Coïmbrois. Philopon semble croire que c'est la pensée propre d'Aristote. — Mais mélangé, de forme et de matière, dit Philopon. — Les corps simples, le texte dit d'une manière indéterminée : « les simples. » Il est possible qu'il s'agisse ici des quatre éléments spéciaux, le chaud et le froid, le sec et l'humide. Malgré mes efforts, ce passage reste embarrassé et obscur. — Le corps qui est pareil au feu,
c'est la combinaison du chaud et du sec ; voir plus haut, § 2. — Mais pourtant le texte n'est pas aussi formel. — Le corps qui est pareil à l'air, c'est la combinaison du chaud et de l'humide ; voir plus haut,

§ 2. — La congélation et l'ébullition, il est curieux de voir ces deux phénomènes déjà opposés dans les théories de l'antiquité. Il a fallu bien des siècles pour que cette opposition portât ses conséquences pratiques, et qu'on en tirât le thermomètre, l'ingénieux instrument qui sert à déterminer la température des corps. - Voilà pourquoi rien ne peut naître, les idées ne paraissent pas très bien liées entr'elles; et cette phrase pourrait bien n'être qu'une glose.

§ 7. Les corps simples, c'est l'expression même du texte. Il semble qu'ici Aristote reprend la parole pour son propre compte, et qu'il ne s'agit plus des opinions particulières d'Empédocle. — A chacun des deux lieux, le haut et le bas. — De l'espace, j'ai ajouté ces mots. — Du lieu qui est porté vers la limite extrême, les expressions du texte sont un peu indéterminées ; et tout en les précisant un peu davantage, je n'ai pas pu encore les rendre très nettes. — Qui est vers le centre, même remarque. — Les éléments extrêmes, c'est-à-dire ceux qui sont aux points les plus opposés de l'espace, au centre et à la circonférence extrême. — Les plus purs, ceci doit s'entendre du mouvement de ces éléments, bien plutôt que de leur composition. On pourrait dire : « les plus nets, » dans leur direction. — Les plus mélangés, c'est le terme même de l'original ; mais il faut entendre encore que ceci s'applique surtout au mouvement. — Est contraire à l'autre, dans l'autre série. — La terre, le contraire de l'air, l'opposition n'est pas aussi manifeste. — Des affections contraires, voir ce qui suit.

§ 8. Absolument parlant, j'ai ajouté ce dernier mot. — Qu'à une seule affection, l'expression du texte est tout é fait indéterminée. — Plutôt, ceci contredit un peu le terme d'Absolument, dont l'auteur vient de se servir. — Du froid que du liquide, il semble, au contraire, que l'eau est bien plutôt liquide que froide ; elle est liquide avant tout ; mais le système qui est développé ici, exige cette symétrie. La liquidité est laissée à l'air; peut-être pourrait-on dire aussi la fluidité.

CHAPITRE IV.

Théorie de la permutation des éléments les uns dans les autres; les différences des éléments entre eux peuvent être plus ou moins nombreuses ; facilité et difficulté de la permutation ; exemples divers, selon la proximité ou la distance des éléments entre eux dans l'ordre où ils sont rangés, selon l'identité ou l'opposition des qualités des éléments. — Fin de la première partie de la théorie de la permutation réciproque des éléments

§ 1. Après avoir montré plus haut que les corps simples se produisent les uns les autres réciproquement, et l'observation sensible pouvant en même temps nous attester qu'ils se produisent bien ainsi ; car autrement il n'y aurait pas d'altération, puisque l'altération ne s'applique qu'aux affections des choses qu'on peut toucher, [10] il nous faut dire de quelle manière a lieu le changement des éléments les uns dans les autres, et s'il est possible que tout élément naisse de tout élément, ou si cela est possible seulement pour les uns, et impossible pour les autres.

§ 2. S'il est un fait évident, c'est que tous peuvent naturellement changer les uns dans les autres ; car la production des choses va aux contraires et vient des contraires. Tous [15] les éléments ont une opposition les uns à l'égard des autres, parce que leurs différences sont contraires ; ainsi dans quelques éléments, les deux différences sont contraires, et par exemple dans l'eau et le feu, dont l'un est sec et chaud, tandis que l'autre est liquide et froide. D'autres éléments n'ont qu'une seule des deux différences, comme l'air et l'eau, dont l'un est liquide et chaud, et l'autre est froide et liquide.

§ 3. [20] Donc il est clair qu'en général tout élément peut naturellement venir de tout élément. Il n'est pas difficile de s'en convaincre en observant comment le phénomène a lieu pour chaque élément en particulier ; car on verra que tous viendront de tous. La seule différence, c'est que le changement se produira avec plus ou moins de vitesse, avec plus ou moins de facilité. Toutes les fois que les éléments ont des points de rapport, ils se métamorphosent très vite les uns dans les autres ; [25] ceux qui n'en ont pas se changent lentement. Cela tient à ce qu'une seule et unique chose change plus aisément que plusieurs. C'est ainsi que l'air viendra du feu par l'unique changement de l'une des deux qualités, puisque l'un est sec et chaud, et l'autre chaud et liquide. Il en résulte que si le sec est dominé par le liquide, il se produit de l'air, et qu'ensuite, de cet air il se produit de l'eau, si c'est le chaud qui est dominé par le froid ; [30] car l'un était liquide et chaud, et l'autre était froide et liquide. Il suffira donc que la chaleur seule change pour qu'il se produise de l'eau.

§ 4. C'est encore de la même façon que la terre vient de l'eau, et que le feu vient de la terre ; car ces deux éléments aussi ont, l'un à l'égard de l'autre, un point de réunion et de raccord. L'eau est liquide et froide, la terre est froide et sèche, [35] de sorte que si c'est le liquide qui est dominé, il se produit de la terre. D'un autre côté, le feu étant sec et chaud, et la terre étant sèche et froide, [332a] si le froid est détruit, de la terre il se produira du feu. On le voit donc, la production des corps simples a lieu circulairement ; et ce mode de changement est le plus faciIe de tous, parce que les éléments qui se suivent ont toujours des points de réunion et de raccord.

§ 5. L'eau peut bien [5] aussi venir du feu, la terre venir de l'air ; et à l'inverse, l'air et le feu peuvent venir aussi de l'eau et de la terre. Mais cette transformation est plus difficile, parce qu'il y a alors plus de choses à changer. En effet, pour que le feu vienne de l'eau, il faudra que le froid et le liquide soient préalablement détruits ; pour que l'air vienne de la terre, il faudra que le froid et le sec soient détruits également. Même nécessité [10] pour que l'eau et la terre viennent du feu et de l'air ; car il faut alors que les deux qualités subissent le changement.

§ 6. Aussi la production qui a lieu de cette façon est plus lente. Mais si l'une des qualités de chacun des deux est détruite, le passage est plus facile. Seulement il ne se fait plus alors de l'un à l'autre réciproquement ; mais du feu et de l'eau viendront la terre et l'air ; et de l'air et de la terre, viendront le feu et l'eau. En effet, si le froid de l'eau [10] et le sec du feu sont détruits, il se formera de l'air, parce qu'il ne reste plus que le chaud de l'un et le liquide de l'autre. Mais si le chaud du feu est détruit, ainsi que le liquide de l'eau, il se forme de la terre, parce qu'il ne reste alors que le sec de l'un et le froid de l'autre.

§ 7. C'est de même que de l'air et de la terre, il se forme du feu et de l'eau ; car si la chaleur de l'air vient à être détruite, ainsi que le sec de la terre, il se formera de l'eau, puisqu'il restera le liquide de l'un et le froid de l'autre. Mais lorsque c'est le liquide de l'eau et le froid de la terre qui se perdent, il se forme du feu, parce qu'il reste le chaud de l'un et le sec de l'autre, qualités propres du feu.

§ 8. Cette explication de la production du feu s'accorde très bien avec les faits que la sensation nous atteste ; car c'est surtout la flamme qui est du feu ; or, la flamme n'est que de la fumée brûlée, et la fumée se compose d'air et de terre.

§ 9. Dans les éléments qui se suivent et se succèdent, il n'est pas possible, quand une seule des deux qualités a été détruite dans l'un ou. l'autre, qu'il y ait passage et transmutation des éléments en aucun autre corps, parce que les résidus qui subsistent dans les deux sont ou identiques, ou contraires. Alors ni des uns, ni des autres il ne peut résulter de corps : [30] par exemple, si le du feu est détruit et si le liquide de l'air l'est également, il n'y a plus de résultat possible, puisque la chaleur est ce qui reste de part et d'autre. Et de même, si c'est la chaleur qui disparaît des deux, il ne reste plus que des contraires, à savoir le sec et le liquide. De même aussi pour tous les autres cas, puisque, dans tous les cas de ce genre, il reste toujours, tantôt la qualité identique, et tantôt la qualité contraire. [35] Ainsi donc évidemment, pour produire les éléments passant et changeant d'un à un, il suffit qu'une seule qualité soit détruite ; mais pour les éléments qui passent de deux à un seul, ils ont besoin que plusieurs qualités soient détruites.

§ 10. En résumé, on a expliqué que tout élément naît de tout élément, et l'on a montré de quelle façon la transmutation se fait des uns dans les autres.

Ch. IV, § 1 . Après avoir montré plus haut, voir le Traité du ciel, livre III, ch. 7, § 1, page 265. Ιλ semble, d'après ce passage, que le Traité du Ciel était bien lié dans la pensée de l'auteur à celui-ci, comme le croient aussi les commentateurs en mettant ces deux traités à la suite l'un de l'autre. — L'observation sensible, le texte dit simplement : « la sensibilité. » — Car autrement il n'y aurait pas d'altération, l'argument n'est pas très évident, puisque l'altération est différente de la production, et qu'elle la suppose. Il faut que la chose existe avant d'être altérée; mais parce que l'élément d'une chose existe, il ne s'ensuit pas qu'il vienne d'un autre élément. — Qu'on peut toucher, voir plus haut, ch. 2, § 1. — Le changement des éléments les uns dans les autres, outre le Traité du Ciel, on peut consulter aussi la Météorologie, livre 1, ch. 2 et 3 de ma traduction.

§ 2. C'est un fait évident, par le raisonnement, plutôt encore que par l'observation. — Va aux contraires, j'ai conservé l'expression très concise du texte, qui se comprend d'ailleurs aisément, après tous les détails qui précèdent. En se produisant, la chose va du non-être à l'être ; en se détruisant, au contraire, elle va de l'être au non-être; elle part d'un contraire pour aller à l'autre contraire. — Ont une opposition, j'ai pris uν terme un peu plus général que celui du texte, qui dit précisément : « contrariété. » — Leurs différences sont contraires, voir plus haut, ch. 3, § 2. — Dont l'un est liquide, j'ai dû conserver le terme de Liquide, appliqué à l'air, comme il l'est aussi dans l'original.

§ 3. En observant, nouvelle recommandation de la méthode d'observation. — Ont des points de rapport, peut-être serait-il plus exact de dire : « de combinaison » possible. Le terme dont se sert le texte, a une nuance assez singulière, qu'il ne m'a pas été possible de rendre directement; voir le § suivant. — Ils se métamorphosent, ou bien encore: « ils passent de l'un à l'autre. » — De l'une des deux qualités, le texte n'est pas aussi formel. — Était, j'ai conservé la tournure du texte ; et ceci se rapporte aux théories qui ont été exposées plus haut. — Sec et chaud... chaud et liquide, les deux qualités de Chaud s'accumulent, puisqu'elles sont identiques; il ne reste à changer que le sec et le liquide. — Était liquide, même remarque qu'un peu plus haut.

§ 4. Un point de réunion et de raccord, j'ai traduit ici un peu plus expressément le sens du mot grec, qui est spécial aux choses dont on peut réunir les parties pour en reformer un tout, après les avoir séparées. — Qui est dominé, par l'autre qualité, qui est plus forte que celle-là. Le liquide dominé disparaît; et il ne reste plus de part et d'autre que le froid, qualité caractéristique de la terre. — De la terre il se produira du feu, toutes ces théories peuvent nous sembler aujourd'hui bien extraordinaires; mais il faut se reporter au temps d'Aristote; et ces théories ont été acceptées sans contestation jusqu'au XVIe siècle. — Les éléments qui se suivent, le texte n'a qu'un terme tout à fait indéterminé. Les éléments consécutifs sont ceux qui présentent des qualités communes. — De réunion et de raccord, voir plus haut au début du §.

§ 5. L'eau peut bien aussi venir du feu, l'eau et le feu n'ont aucun point commun; et pour que l'une se change dans l'autre, il faut des intermédiaires; ici c'est l'air, qui a des points communs tout à la fois avec l'eau d'une part, et avec le feu d'autre part. — Cette transformation, l'expression du texte est beaucoup plus vague. — Le froid et le liquide, qui sont les deux qualités de l'eau. - Le froid et le sec, qualités spéciales de la terre. — Les deux qualités, le texte se sert d'un mot tout à fait indéterminé.

§ 6. La production, d'un élément nouveau sortant de la transformation des Autres. — Il ne se fait plus de l'un à l'autre, et alors il y a un troisième corps, formé des qualités restantes. Philopon conteste l'exactitude de cette théorie, qui, d'ailleurs et ainsi qu'il le rappelle, était acceptée par Alexandre d'Aphrodisée. — Mais du feu et de l'eau, les idées ne semblent pas se très bien suivre. — Il se forme de l'air, élément différent du feu et de l'air qui l'ont produit. — Il se forme de la terre, remarque analogue. — Le sec... et le froid, qui sont les deux qualités de la terre.

§ 7. Le liquide de l'un, le Liquide semble s'appliquer exclusivement à l'eau ; mais dans ces théories, il faut l'accepter aussi pour l'air, auquel le terme d'Humide paraîtrait pouvoir s'appliquer mieux dans certains cas. On pourrait employer aussi le mot de Fluide pour l'air; mais ce dernier mot ne répondait plus assez à celui de l'original. — Qualités propres du feu, voir plus haut, ch. 3, § 2.

§ 8. Cette explication de la production du feu, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. — S'accorde très bien avec les faits, il ne semble pas que cet accord soit aussi complet que le croit l'auteur ; mais la méthode qu'il recommande n'en est pas moins bonne ni moins vraie, bien qu'il l'applique mal. — La fumée se compose d'air et de terre, parce que, selon Aristote, la fumée est l'évaporation du bois; voir la Météorologie, Livre IV, ch. 9, § 42, page 339 de ma traduction.

§ 9. Qui se suivent et se succèdent, c'est, par exemple, l'air après le feu ; l'eau après l'air; la terre après l'eau, puisque les quatre éléments sont rangés dans cet ordre. — Passage et transmutation, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Les résidus qui subsistent dans les deux, le texte est moins formel. — De résultat possible, c'est-à-dire un troisième corps, différent des deux qui l'ont formé. — La chaleur est ce qui reste, et dans ce cas c'est tout simplement du feu. — Des contraires, qui s'excluent et ne peuvent cœxister, puisqu'ils se détruisent réciproquement. — Passant et changeant, il n'y a qu'un seul mot dans l'original. — D'un à un, l'expression n'est pu très claire; je n'ai fait que la reproduire. — Une seule qualité, la qualité contraire. Le texte n'est pas aussi précis. — Que plusieurs qualités, le texte se sert d'un mot tout à fait vague.

§ 10. En résumé, le texte dit simplement : Donc.

CHAPITRE V.

Suite de la théorie de la permutation des éléments ; il est Impossible qu'il n'y ait qu'un seul élément d'où viendraient tous les autres; dans cette hypothèse, il y aurait altération de l'élément unique, mais jamais production réelle des éléments divers; citations du Timée de Platon. Exposé nouveau de la manière dont les éléments changent les uns dans les autres ; la permutation se fait d'autant plus vite qu'ils ont une qualité commune ; rapport des éléments extrêmes entre eux et des éléments moyens. Limites nécessaires de cette transformation ; on ne peut aller à l'infini dans aucun des deux sens ; démonstration littérale de ce principe.

§ 1. Les détails qui précèdent ne nous empêchent pas de considérer ces questions sous un autre jour. Si la matière des corps naturels est, comme le croient quelques philosophes, [5] l'eau et l'air, ou des éléments de ce genre, il faut qu'ils soient un, deux, ou plusieurs de ces éléments. Certes, il ne se peut pas que toutes les choses ne soient qu'un seul et unique élément : par exemple, que tout ne soit que de l'air, de l'eau, du feu ou de la terre, puisque le changement se fait dans les contraires. [10] En effet, supposons que tout est de l'air et que l'air subsiste dans tous les changements, il y aura dès lors simple altération ; il n'y aura plus de production.

§ 2. Mais, dans cette hypothèse même, il ne semble pas possible que l'eau soit en même temps de l'air ou tel autre élément analogue.  Il y aura toujours, entre les qualités, une opposition et une différence, où le feu n'aura qu'une des deux parties, par exemple, la chaleur. [15] Mais le feu ne pourra jamais être simplement de l'air chaud ; car c'est là une altération, et il ne paraît pas que les choses se passent ainsi. D'autre part, si, à l'inverse, on suppose que l'air vient du feu, ce changement ne pourra avoir lieu que par le changement de la chaleur en son contraire. Cette qualité contraire sera donc dans l'air ; et alors l'air sera quelque chose de froid. Par conséquent, il est impossible que le feu soit de l'air chaud, puisqu'il en résulterait que le même élément serait chaud et froid en même temps. Il y aura donc, outre ces deux éléments, quelqu'autre chose qui restera identique ; et c'est quelqu'autre matière commune aux deux.

§  3. Le même raisonnement serait applicable pour tout autre élément que l'air, et il ne peut y en avoir un qui serait la source unique d'où tous les autres seraient sortis. [20] Il n'y a pas non plus, outre ceux-là, quelqu'autre intermédiaire, comme serait, par exemple, un élément qui tiendrait le milieu entre l'air et l'eau, ou l'air et le feu, plus dense que l'air et le feu, et plus léger que tous les autres ; car alors cet intermédiaire serait, avec opposition des contraires, air et feu tout à la fois. Mais le second des contraires est la privation ; et par suite, il ne se peut pas que cet élément intermédiaire subsiste seul, comme quelques philosophes le disent de l'infini et du contenant. [25] Il faut donc que chacun des éléments connus puisse être indifféremment cet intermédiaire, ou qu'aucun d'eux ne le puisse.

§ 4. Mais s'il n'y a pas de corps sensibles antérieurs à ceux-là, les éléments que nous connaissons sont tous ceux qui existent. Il faut donc, ou que les éléments subsistent éternellement tels qu'ils sont, sans se changer les uns dans les autres, ou bien qu'ils changent perpétuellement. On peut admettre encore qu'ils peuvent tous changer, ou bien que les uns le peuvent et que les autres ne le peuvent pas, ainsi que l'a dit Platon dans le Timée.
[30] Or, on a démontré plus haut, que les éléments se changent nécessairement les uns dans les autres mais on a démontré aussi qu'ils ne se changent pas également vite sous cette influence mutuelle, et que le changement a lieu plus rapidement pour ceux qui ont un point de raccord, c'est-à-dire une qualité commune, et plus lentement pour ceux qui n'en ont pas. Si donc il n'y a qu'une seule opposition de contraires, suivant laquelle les corps viennent à changer, [35] il faut nécessairement alors qu'il y ait deux éléments ; car c'est la matière qui sert de milieu aux deux contraires, non perceptible et non séparable. [333a] Mais comme il y a visiblement davantage d'éléments, le moins qu'il puisse y avoir d'oppositions, c'est deux ; et quand il y en a deux, il ne peut pas y avoir trois termes seulement ; il en faut absolument quatre, ainsi qu'on peut le voir. C'est là le nombre des combinaisons deux à deux ; car, bien qu'il y en ait en tout six, il en est deux qui ne peuvent jamais se produire, parce qu'elles sont contraires l'une à l'autre. Du reste, on a traité antérieurement ces questions.

§ 5. Mais, quoique les éléments se changent les uns dans les autres, il est impossible que le principe de la transformation se trouve ni dans l'un des extrêmes, ni au au milieu ; voici ce qui le prouve. D'abord, quant aux extrêmes, il n'est pas possible que toutes les choses soient du feu, non plus qu'elles soient toutes de la terre ; car cela reviendrait à dire que tout naît du feu, ou que tout naît de la terre. [10] Mais on ne peut pas dire davantage, ainsi que le veulent quelques philosophes, que ce soit le milieu qui est le principe, et que l'air se change en feu et en eau, ni que l'eau se change en air et en terre ; les extrêmes, je le répète, ne pouvant jamais se changer les uns dans les autres.

§ 6. Ainsi, il faut trouver un point d'arrêt, et l'on ne peut pas plus d'une part que de l'autre aller à l'infini en ligne droite ; car il y aurait alors pour un seul et unique élément des oppositions et des contraires en nombre infini. Soit en effet la terre représentée par T, [15] l'eau représentée par E, l'air par A, et le feu par F. Si A se change en F et en E, l'opposition sera entre A et F. Supposons que ces contraires soient la blancheur et la noirceur. D'autre part, si A se change en E, ce sera une autre opposition ; car E et F ne sont pas identiques. Soit l'opposition de la liquidité et de la sécheresse, représentées, la sécheresse par S, et la liquidité par L. [20] Si donc c'est le blanc qui demeure et subsiste, l'eau sera liquide et blanche ; et si elle n'est pas blanche, elle sera noire, puisque le changement ne se fait que dans les contraires. Il faut donc nécessairement que l'eau soit ou blanche ou noire, et l'on peut supposer que ce soit le premier cas. De la même manière aussi, S, la sécheresse, sera à F. Ainsi, F, c'est-à-dire le feu, se changera également [25] en eau ; car ce sont là les contraires ; et le feu était noir d'abord et ensuite sec, comme l'eau était d'abord liquide et ensuite blanche.

§ 7. Il est donc évident que tous les éléments pourront changer les uns dans les autres ; les qualités restantes se trouveront dans T, la terre, ainsi que les deux points de réunion et de raccord, le noir et le liquide, puisque ces deux qualités ne se sont pas encore combinées ensemble, de quelque façon que ce soit.

§ 8. [30] Voici bien la preuve qu'on ne peut ici aller à l'infini, principe auquel nous nous sommes référé avant d'établir la démonstration qui précède, c'est que si l'on suppose que le feu, représenté par F, se change en un autre élément, et ne revient pas en arrière, et que, par exemple il se change en R, il y aura, dès lors, pour le feu et pour R, une opposition de contraires différente de celles qu'on a dites, puisque R ne peut être identique [35] à aucun des éléments désignés par T, E, A et F. [333b] Supposons que la qualité C est à F, et que la qualité S, soit à R. C alors sera à tous les éléments T, E, A et F ; car tous ces éléments changent les uns dans les autres. Mais, en admettant que ceci n'ait pas encore été démontré, il est évident du moins que si R se change de nouveau en un autre élément, il y aura dès lors une autre opposition de contraires ; et elle aura lieu entre R, et le feu F. [5] Il en sera toujours de même du terme ajouté, et il fera toujours une opposition avec les termes précédents, de sorte que, si ces termes sont en nombre infini, il y aura aussi des oppositions en nombre infini pour un seul et unique élément. Or, si cela est possible, il sera dès lors impossible et de donner la définition et d'expliquer la production de quelqu'élément que ce soit, puisqu'il faudra, si l'un vient de l'autre, parcourir autant d'oppositions qu'on vient de dire et même davantage. [10] Il s'ensuit que pour quelques-uns des éléments, il n'y aura jamais de changement possible ; par exemple, si les intermédiaires sont en nombre infini ; et il le faut, si les éléments sont infinis eux-mêmes. Ainsi par exemple, il n'y aura pas de changement d'air en feu, si les oppositions à parcourir sont infinies en nombre.

§ 9. Enfin aussi, tous les éléments se réduisent à un seul ; car il faut que toutes ces oppositions appartiennent, soit celles d'en haut aux éléments qui sont au-dessous de F, soit celles d'en bas, à ces mêmes éléments, de telle sorte que tous se réduiront à un seul.

Ch. V, §  1. Les détails qui précèdent, le texte n'est pas aussi formel. — Sous un autre jour, le texte dit précisément: « ainsi »; « c'est-à-dire, « de la manière suivante. » — Si la matière des corps naturels, il faut entendre ici par Corps Naturels d'abord quelques-uns des éléments, et ensuite tous les corps que les éléments primitifs forment par leurs combinaisons. — Comme le croient quelques philosophes, et spécialement ceux de l'École d'Ionie. — Un seul et unique élément, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Puisque le changement se fait dans les contraires, et que l'on admet la réalité du changement attesté par nos sens. — Dans tous les changements, j'ai ajouté ces mots pour éclaircir la pensée.

§ 2. Que l'eau, il y a des éditeurs qui donnent le Feu, au lieu de l'eau; et je crois que c'est la véritable leçon, attendu qu'elle s'accorde exclusivement avec tout ce qui suit. Philopon aussi semble l'avoir eue. Je n'ai pu cependant osé changer le texte reçu, parce que ce changement ne s'appuirait sur aucun manuscrit. — Entre les qualités, j'ai ajouté ces mots qui complètent le sens. — Une des deux parties, c'est le mot mime du texte que j'ai cru devoir conserver, bien qu'il ne soit peut-être pas très bien choisi. — La chaleur, en supposant comme plus haut, § 3 et 2, que l'air est chaud et liquide. — Que les choses se passent ainsi, le texte n'est pas aussi formel. — Que l'air vient du feu, comme on a supposé tout à l'heure que c'était le feu qui venait de l'air, il faut que l'air puisse venir du feu aussi, attendu qu'on ne suppose qu'un seul et unique élément. — De la chaleur, qui est évidemment dans le feu. — En son contraire, qui est le froid. Cette qualité contraire, le texte n'a qu'un pronom démonstratif neutre, tout à fait indéterminé. — Il y aura donc, c'est la théorie à laquelle s'arrêtera Aristote dans ce qui va suivre. — Et quelqu'autre matière commune aux deux, c'est la matière qui est en simple puissance et non en acte, et qui peut recevoir tour à tour la for¬ure et l'espèce de chacun des contraires. Voir le Timée de Platon, traduction de M. V. Cousin, page 122.

§ 3. Pour tout autre élément que l'air, le texte est plus vague. — Qui serait la source unique, même observation. — Quelqu'autre intermédiaire, comme le pensait Anaximandre, selon, Philopon. — Est la privation, voir la Physique, liv. 1, ch. 8 § 10, page 480 de ma traduction. La privation est le second des contraires en ce sens que ce second contraire. n'existe qu'autant que l'autre a cessé lui-même d'exister. — Et du contenant, j'ai conservé l'expression du texte, toute vague qu'elle est. Voir sur l'infini la Physique liv. III, ch. 6, § 4, page 97 de ma traduction. Les philosophes qu'indique ici Aristote sont sans doute les Pythagoriciens, id. ibid., § 12, page 100. — Puisse être indifféremment cet intermédiaire, le texte n'est pas aussi précis; mais c'est le sens qui ressort du commentaire de Philopon.

§ 4. De corps sensible, l'expression du texte est tout à fait indéterminée. — Les éléments que nous connaissons, j'ai ajouté les trois derniers mots. — Tels qu'ils sont, même observation. — Platon dans le rimée, voir la traduction du Timée par M. V. Cousin, pages 166 et suivantes. — Plus haut voir plus haut, ch. 3 et 4. — C'est-à-dire une qualité commune, j'ai ajouté ceci en forme de glose. — Oppositions de contraires, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Aux deux contraires, j'ai ajouté ces mots pour compléter la pensée ; voir la Physique, liv. I, ch. 8, de ma traduction. — Davantage d'éléments, le texte n'est pas aussi formel. — Antérieurement, voir plus haut, ch. 3, § 1.

§ 5. Le principe de la transformation, le texte dit simplement : « un principe.» — Soient du feu.. de la terre, le feu et la terre étant les éléments extrêmes. — L'air se change en feu, l'air étant un élément intermédiaire. - L'eau se change en air, même remarque — Je le répète, j'ai ajouté ces mots. — Se changer les uns dans les autres, parce que les extrêmes sont des contraires qui se détruisent, mais ne se permutent pas réciproquement.

§ 6. Il faut trouver un point d'arrêt, qui est un des deux extrêmes. — A l'infini en ligne droite, c'est-à-dire sans revenir sur ses pas pour aller de nouveau du second extrême au premier, comme on est allé d'abord du premier au second. D'ailleurs, cette pensée n'est pas exprimée assez clairement. — Des oppositions et des contraires, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Représentés par T dans l'original les lettres sont, ainsi que Philopon le remarque, les initiales des mots qu'elles remplacent, comme dans ma traduction. D'ailleurs, cet exemple littéral n'apporte pas grand éclaircissement. — La blancheur et la noirceur, Saint Thomas remarque avec raison que ces exemples ne sont pas très bien choisis, et que ce ne sont pas là les qualités les plus ordinaires des éléments. — E et F ne sont pas identiques, ils sont même contraires d'après les idées communes, puisque ce sont l'eau et le feu. — De la liquidité, on pourrait traduire aussi « de l'humidité.» - C'est-à-dire le feu se changera également en eau, toutes ces transformations sont purement logiques, et elles ne répondent pas du tout à la réalité des faits. L'auteur n'est pas assez fidèle ici à la méthode d'observation qu'il a si souvent recommandée.

§ 7. Tous les éléments, il serait possible de limiter cette assertion un peu trop générale et de la restreindre aux deux éléments de la terre et du feu. — Les qualités restantes, c'est-à-dire, celles qui n'ont pas encore été combinées l'une avec l'autre. — Les deux points de réunion et de raccord, c'est-à-dire, les qualités communes aux deux éléments, et par lesquelles ils peuvent se réunir et se combiner, de manière à te changer l'un dans l'autre.

§ 8. Principe auquel nous nous sommes référé, voir plus haut, § 6. — La démonstration qui précède, le texte n'est pas aussi formel. — Et ne revient pas en arrière, c'est-à-dire, si le changement se poursuit en ligne droite, et si le feu ne se change pas successivement en air, eau et terre, pour qu'ensuite la terre se change en eau, air et feu. — De celles qu'on a dites, voir plus haut, ch. 5 et 6. — Ne peut être identique, c'est-à-dire que R serait supposé un cinquième élément, en dehors du feu, de l'air, de l'eau et de la terre. — La qualité C, le texte dit simplement C. — C alors sera à tous les éléments, puisqu'il est à F par R, et par F au reste des autres. — Du terme ajouté, comme on a ajouté R aux quatre autres éléments. — Si ces termes sont en nombre infini, par ces termes il faut entendre les éléments nouveaux qu'on supposerait à la suite du cinquième, comme on a supposé le cinquième à la suite des quatre premiers. — Pour un seul et unique élément, puisque tous les éléments peuvent se changer les uns dans les autres successivement. — De quelqu'élément que ce toit, le texte a une expression tout à fait indéterminée. — Qu'on vient de dire, le texte n'est pas aussi formel.—Et même davantage, ceci ne se comprend pas bien, puisqu'on a supposé que le nombre des intermédiaires est infini. — Quelques-uns des éléments, l'expression de l'original est indéterminée; il m'a semblé que ceci se rapporte nécessairement aux éléments. — Si les intermédiaires sont en nombre infini, comme on l'a supposé plus haut. L'air et le feu sont cependant des éléments voisins l'un de l'autre, et s'ils ne peuvent se changer l'un dans l'autre réciproquement, à plus forte raison des éléments éloignés, comme le feu et la terre.

§ 9. Enfin, j'ai ajouté ce mot pour montrer que c'est ici le complément de tout ce qui précède. On ne voit pas bien d'ailleurs la force de cet argument, fondé sur l'hypothèse d'un cinquième élément et d'une série définie d'éléments. En supposant même qu'il n'y ait que quatre éléments, du moment qu'ils peuvent se changer les uns dans les autres, comme Aristote le soutient, il semble aussi qu'ils peuvent aussi se réduire tous à un seul. Je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'il s'agisse ici des éléments, puisque l'expression du texte est indéterminée comme dans d'autres passages, et il est possible que ce soient tous les intermédiaires qui se réduisent à un seul. — Que tous se réduisent à un seul, j'ai conservé l'indétermination de l'original. Tout ce passage reste obscur malgré les longues explications de Philopon, qui s'appuie cependant sur Alexandre d'Aphrodisée. Ce dernier semble avoir déjà eu le texte d'Aristote, tel qu'il nous est parvenu, et il n'y a pas lieu probablement à supposer ici aucune interpolation. La pensée générale de cette argumentation est d'ailleurs assez claire, bien que les détails ne le soient pas toujours. Selon Aristote, les quatre éléments peuvent se changer les uns dans les autres; mais ce changement ne saurait être infini; et il faut s'en tenir aux quatre éléments que nos sens nous attestent, et aux quatre qualités qui les caractérisent et les distinguent. Saint-Thomas a commenté ce passage avec une brièveté qui ne lui est pas ordinaire, et cette concision ne contribue pas à la clarté.

CHAPITRE VI.

Réfutation de la théorie d'Empédocle, sur la comparaison des éléments entre eux, soit sous le rapport de la quantité, soit sous le rapport de l'effet et de la proportion. Dans le système d'Empédocle, l'accroissement des choses se réduit à une simple addition ; il n'explique pas non plus la production des choses, qu'il soumet à l'empire du hasard. ni la cause du mouvement originel, ni la véritable nature de l'âme. — Citations diverses des vers d'Empédocle.

§ 1. Quand on voit des philosophes admettre la pluralité des éléments des corps, et nier en même temps que les éléments changent les uns dans les autres, ainsi que le fait Empédocle, on pourrait leur demander avec quelqu'étonnement comment alors ils peuvent soutenir que les éléments sont comparables les uns aux autres. C'est bien là cependant ce que prétend Empédocle quand il dit  :

« car tous les éléments étaient égaux entre eux. »

[20] Si c'est en quantité qu'ils le sont, il faut que, dans tous les objets comparables, il y ait quelque chose de commun qui puisse servir à les mesurer ; par exemple, si d'un seul cotyle d'eau on peut faire dix cotyles d'air, c'est que les deux éléments étaient, à certain égard, la même chose, puisqu'ils ont la même mesure.

§ 2. Si les objets ne sont pas ainsi comparables sous le rapport de la quantité, telle quantité correspondant à telle autre, il faut du moins qu'ils le soient sous le rapport de l'effet qu'ils peuvent produire. [25] Ainsi par exemple : si un cotyle d'eau peut produire autant de froid que dix cotyles d'air, alors les éléments sont encore comparables entre eux sous le rapport de la quantité, non pas précisément en tant qu'ils sont une quantité matérielle, mais en tant qu'ils peuvent exercer une certaine action.

§ 3. On pourrait encore comparer les puissances ou les forces, non pas seulement par la mesure directe de la quantité, mais encore proportionnellement et par analogie. Ainsi, l'on peut dire que telle chose est chaude comme telle autre chose est blanche. Le mot Comme exprime le rapport de ressemblance, s'il s'agit de la qualité ; et, s'il s'agit de quantité, il exprime l'égalité. [30] Mais il semble absurde que les corps qui ne peuvent permuter les uns dans les autres, ne soient pas comparables entre eux sous le rapport de l'analogie, et qu'ils le soient seulement par la mesure de leur puissance, et parce que telle quantité de feu, par exemple, peut être aussi chaude et produire la même chaleur que telle quantité d'air plus considérable. En effet une substance de même nature, si elle est en quantité plus grande, pourra devenir proportionnellement équivalente, parce qu'elle sera du même genre.

§ 4.  [35] J'ajoute que, suivant le système d'Empédocle, il n'y aura d'accroissement possible que [334a] celui qui se fait par addition. C'est ainsi qu'il suppose que le feu s'accroît par le feu, quand il dit :

« La terre accroît la terre, et l'air même accroît l'air.»

Or ce n'est là qu'une simple addition, et il ne paraît pas que les choses qui s'accroissent puissent s'accroître ainsi.

§  5. Mais il est bien plus difficile encore pour Empédocle d'expliquer la production des êtres dans la nature; car [5] tous les êtres qui naissent et se produisent selon les lois naturelles, ou naissent toujours d'une certaine façon régulière, ou du moins le plus souvent de cette façon ; les êtres qui se produisent contre cet ordre éternellement 'constant, ou du moins le plus ordinaire, sont le fruit d'une cause fortuite et du hasard. Qu'est-ce qui fait donc que d'un homme naît un homme, ou toujours et suivant une règle éternelle, ou du moins le plus ordinairement, de même que du blé vient toujours du blé, et non pas un olivier? Est-ce que les os ne se forment pas aussi de la même manière ? Mais non, [10] les choses ne se produisent pas au hasard, et par une rencontre fortuite, comme le dit Empédocle ; elles se produisent par une certaine raison.

§ 6. Quelle est donc la cause de tous ces phénomènes? Ce n'est certes pas ni la terre ni le feu. Ce ne sont pas davantage l'Amour et la Discorde ; car l'un n'est cause que de la combinaison des choses, et l'autre de leur division. Cette cause, c'est l'essence de chaque chose ; ce n'est pas seulement comme le dit Empédocle :

« Mélange et désaccord des choses mélangées. »

[15] Ce ne serait alors que ce qu'on appelle du hasard ; ce n'est plus là de la raison ; car il est bien possible qu'il y ait parfois un mélange fortuit et confus.

§ 7. Ainsi ce qui est cause de chacun des êtres naturels, c'est leur organisation ; c'est la propre nature de chacun d'eux, dont Empédocle ne dit pas un seul mot. On peut affirmer qu'il ne traite pas véritablement de la nature, quoique la nature soit précisément l'ordre et le bien pour toutes choses. Mais Empédocle n'a d'éloges absolument que pour le mélange et la confusion. [20] Cependant ce n'est pas la Discorde, c'est l'Amour qui a séparé les éléments, lesquels, selon lui, sont antérieurs à Dieu lui-même, puisque les éléments d'Empédocle sont aussi des Dieux.

§ 8. Il ne parle non plus du mouvement que d'une manière toute générale ; car il n'est pas suffisant de dire que ce sont la Discorde et l'Amour qui donnent le mouvement, si l'on ne précise pas que l'Amour consiste à causer telle espèce de mouvement, et la Discorde à en causer telle autre. Empédocle aurait donc bien dû ici ou [25] définir exactement les choses, ou imaginer quelque hypothèse, ou faire quelque démonstration, d'ailleurs puissante ou faible, ou s'en tirer de toute autre manière.

§ 9. Autre objection. Les corps sont tantôt mus par force, et contre nature, et tantôt ils sont animés d'un mouvement naturel; ainsi par exemple, le feu se dirige en haut, sans que ce soit par force, et il ne va que par force en bas. Or, le mouvement naturel est contraire au mouvement forcé. Par conséquent comme il y a un mouvement forcé, il y a aussi un mouvement naturel. [30] Est-ce donc l'Amour, ou n'est-ce pas l'Amour qui produit ce dernier mouvement ? Lorsque la terre a un mouvement qui la porte en bas, c'est un mouvement contraire à la Concorde, et qui ressemble à une séparation. Ce serait alors la Discorde plutôt que l'Amour, qui serait cause du mouvement naturel; et par conséquent, l'Amour serait bien plutôt que la Discorde tout à fait contre nature. Or, si ce ne sont pas du tout ni la Discorde ni l'Amour qui produisent le mouvement, les corps eux-mêmes n'ont plus ni de mouvement ni de repos. Mais c'est là une conséquence qui est absurde.

§ 10. [35] Empédocle reconnaît bien que les corps sont de toute évidence en mouvement ; [334b] car c'est la Discorde qui les a séparés. L'Éther a été porté dans les hautes régions, non point par la Discorde, mais, comme le dit quelquefois Empédocle, par une sorte de hasard.

« L'air alors vole ainsi, mais souvent autrement. »

Quelquefois encore Empédocle dit que le feu dut naturellement se porter en haut, et que l'éther vint

[5] « S'appuyer fortement aux bases de la terre. »

Enfin Empédocle nous apprend que le monde est aujourd'hui dirigé par la Discorde, absolument de même qu'antérieurement il l'était par l'Amour.

§ 11. Quel est donc, selon lui, le premier moteur, et la première cause du mouvement ? Ce n'est certes pas l'Amour et la Discorde, bien que cependant l'un et l'autre causent une certaine espèce de mouvement ; et s'ils sont le premier moteur qui existe, ce serait là le véritable principe des choses.

§ 12. [10] Enfin, il n'est pas moins absurde de supposer que l'âme vienne des éléments ou qu'elle soit un des éléments ; car alors comment pourront se produire les altérations propres de l'âme ? Par exemple, comment comprendre qu'elle peut avoir ou ne pas avoir le talent de la musique ? Comment comprendre la mémoire ou l'oubli ? Il est évident que si l'âme est du feu, elle aura, en tant que feu, toutes les qualités qui appartiennent au feu. Si l'âme est un mélange des éléments, elle aura les affections des corps ; mais aucune des affections de l'âme, n'est corporelle. Du reste, cette discussion appartient à une toute autre étude que celle-ci.

Ch. VI, § 1. Quand on voit, le texte n'est pas aussi formel. — En même temps, j'ai ajouté ces mots pour que l'opposition des idées fût plus manifeste. - Ainsi que le fait Empédocle, voir plus haut, ch. 3, § 6. — Sont comparables, l'expression est bien vague, et je n'ai pas dû la préciser davantage. Les exemples cités plus bas l'éclairciront en partie. — Étaient égaux, ici encore, j'ai rendu l'expression de l'original dans toute son indétermination. — Si c'est en quantité, matérielle, sous-entendu, pour l'opposer à la quantité de force dont il sera parlé plus bas. - On peut faire dix cotyles d'air,
ou bien :
« si un cotyle d'eau répond à dix cotyles d'air. » Ceci n'est qu'une simple hypothèse, et ne veut pas dire qu'Aristote croie en réalité que ce soit là le rapport de l'eau à l'air.

§ 2. Si les objets, ou si l'on veut aussi : « les éléments. » — Correspondant à, ou « venant de » — De l'effet qu'ils peuvent produire, le texte n'est pas aussi explicite. — Peut produire autant de froid, ceci aurait demandé quelques développements. — Matérielle, j'ai ajouté ce mot. — Exercer une certaine action, le texte dit précisément, « En tant qu'ils peuvent quelque chose. »

§ 3. Les puissances ou les forces, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Directe, j'ai ajouté ce mot, qui éclaircit la pensée. — Proportionnellement et par analogie, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Le mot Comme, le texte n'est pas aussi précis. — Mais il semble absurde, l'opinion que critique ici Aristote doit être attribuée aussi à Empédocle, bien que cette indication ne soit pas formellement donnée dans le texte. — Ne soient pas comparables entre eux, il n'est pas dit dans ce qui précède que cette opinion soit celle d'Empédocle. — De l'analogie, ou « de la proportion. »--Par exemple, j'ai ajouté ces mots. Telle quantité d'air plus considérable, dans le rapport même de la chaleur de l'air à la chaleur du feu. Le principe d'ailleurs est vrai ; et deux corps doués d'une même qualité peuvent être mis en équilibre par l'accroissement du plus faible des deux.

§ 4. J'ajoute... il suppose, le texte n'est pas aussi explicite. — Quand il dit, j'ai ajouté ces mots. — Accroît la terre, le texte dit précisément : « Accroît sa propre espèce. » Aristote a expliqué plus haut que l'accroissement des choses ne pouvait se faire par simple addition, livre 1, ch. 5, § 8. — Il ne paraît pas, id. ibid.

§ 5. Pour Empédocle, j'ai ajouté ces mots, qui sont contenus implicitement dans toute la tournure de la pensée. — Dans la nature, indépendamment de ceux que peut former l'art de l'homme.— D'une cause fortuite et du hasard, cette réfutation de la théorie du hasard est tout à fait conforme, et quelquefois même jusque dans les termes, à celle qui se trouve dans la Physique, livre II, ch. 4, § 6 et 8, pages 31 et 32 de ma traduction, et aussi dans tout le chapitre 5 et dans les suivants. - Les os ne se forment pas aussi, on ne voit pas trop bien pourquoi l'exemple des os est amené ici; Empédocle, il est vrai, s'en sert lui-même assez souvent. — Comme le dit Empédocle, voir la Physique, livre II, ch. 8, § 3, page 54 et suivantes de ma traduction. — Une certaine raison, ou « une certaine intelligence. »

§ 6. Ce n'est certes pas la terre ni le feu, il y a quelque ironie dans la tournure de cette phrase. — L'Amour et la Discorde, les deux grands principes d'Empédocle; voir la Physique, livre VII, ch. 1, § 4, page 455 de ma traduction. — C'est l'essence de chaque chose, c'est-à-dire sa for-me substantielle. Mais Aristote aurait pu remonter encore plus haut, et se demander à qui devait être rapportée l'essence de chaque chose. — Ce n'est plus là de la raison, ou de la proportion et de l'ordre. Le terme dont se sert l'original est d'une signification très large. — Car il est bien possible, Philopon ne semble pas avoir connu cette petite phrase, qu'il ne commente pas. — Fortuit et confus, il n'y a qu'un seul mot dans le texte.

§ 7. C'est leur organisation, mot à mot : « c'est d'être, ainsi » qu'ils sont. Ceci, d'ailleurs, n'est pas très exact; et l'un ne peut pas dire que l'organisation des êtres soit leur cause véritable. - L'ordre est le bien pour toutes choses, et en ce sens ou peut dire que c'est là leur cause finale. — Le mélange et la confusion, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — L'amour qui sépare, il ne paraît pas que ceci soit tout à fait conforme aux opinions d'Empédocle; il est vrai que, pour réunir, il faut d'abord séparer; mais c'est à la Discorde qu'Empédocle prête ce second rôle. — Selon lui, j'ai ajouté ces mots, pour éclaircir la pensée. — Dieu lui même, le Dieu d'Empédocle est le Sphaerus, qui renferme toutes choses, et tantôt se développe par la Discorde, et tantôt rentre en lui-même par l'Amour; voir la Physique, livre I, ch. 5, § 4 en note, page 455 de ma traduction.

§ 8. Que d'une manière toute générale, et peut-être aussi, « un peu trop simple. » Le mot du texte peut avoir les deux sens. — Si l'on ne précise pas, le texte n'est pas aussi formel. — Exactement, j'ai ajouté ce mot, qui me semble compléter la pensée. — Ou s'en tirer de quelque autre manière, la tournure dont se sert l'original a quelque chose de la familiarité de celle que j'ai cru pouvoir adopter dans la traduction.

§ 9. Autre objection, le texte n'est pas aussi précis. — Par force et contre nature, voir la Physique, livre VIII, ch. 4, § 2, page 481 de ma traduction, et passim. — Comme il y a un mouvement forcé, sous-entendu sans doute : « d'après les théories mêmes d'Empédocle. » — Ce dernier mouvement, j'ai ajouté le mot de Dernier pour que le sens fût plus précis. - Qui la porte en bas, il y a des manuscrits, et ce sont peut-être les plus nombreux, qui ont « en haut » au lieu de « en bas. » Cette dernière leçon ne paraît plus d'accord avec le contexte. Aristote objecte que, même quand la terre est portée en bas par son mouvement naturel, ce mouvement ressemble à une séparation plutôt qu'à une réunion, puisque la terre, ou du moins une de ses parties, se porte alors au centre, où le feu doit la rejoindre par un mouvement forcé pour se réunir à elle. — C'est un mouvement contraire, le texte n'est pas aussi précis que l'est ma traduction, et tout ce passage présente quelque  obscurité. — A la Concorde, j'ai ajouté ces mots. — Du mouvement naturel, qui sépare les choses au lieu de les réunir, et qui dirige le feu en haut, tandis qu'il dirige la terre en bas. -  Ni la Discorde, ni l'Amour, dans le système d'Empédocle. — Une conséquence qui est absurde, Aristote admet comme un axiome indiscutable que le mouvement existe; voir la Physique, liv. I, ch. 2, § 6, p. 436 de ma traduction.

§ 10. Empédocle reconnaît bien, le texte ne nomme pas ici Empédocle, et dit simplement : « Les corps paraissent en mouvement; » mais évidemment, ceci se rapporte à Empédocle, comme le prouve tout le contexte. — L'air alors vole ainsi, le même vers est cité dans la Physique, livre II, ch. 4, § 6, p. 32 de ma traduction. — Enfin, Empédocle nous apprend, cette nuance d'ironie est aussi dans le texte.

§ 11. Selon lui, j'ai ajouté ces mots, parce qu'il me semble que c'est la suite de la réfutation du système d'Empédocle. — Une certaine espèce de mouvement, l'Amour réunit les éléments et la Discorde les sépare; il y a donc là une double espèce de mouvement. — Et s'ils sont le premier moteur, le texte est équivoque et peut être compris en plusieurs sens. Philopon ne l'a pas éclairci; saint Thomas donne à peu près le sens que j'ai adopté.

§ 12. Enfin, j'ai ajouté ce mot, à la fois pour montrer que c'est ici la fin des critiques adressées à la théorie d'Empédocle, et pour indiquer que ce dernier argument est d'un tout autre ordre que ceux qui précèdent. — Les altérations, ou «les affections » ; mais j'ai conservé le mot de l'original. — Propres de l'âme, c'est-à-dire toutes les Modifications morales ou intellectuelles. — Du feu.... que feu.... au feu.... Ces répétitions sont dans le texte. La première hypothèse, c'est que l'âme est un élément, le feu par exemple. La seconde hypothèse, c'est qu'elle est un mélange des éléments. — A une toute autre étude, en effet cette discussion se retrouve dans le Traité de l'Âme, liv. I, ch. 2, § 6, page 112 de ma traduction. Aristote y blâme comme ici la théorie d'Empédocle, dont il cite plusieurs vers qui la contiennent.

CHAPITRE VII.

Suite de la réfutation d'Empédocei ; quand on nie que les éléments puissent se changer les uns dans les autres, on ne peut expliquer la formation des différentes substances organiques; citation d'Empédocle. — La difficulté d'expliquer la formation des substances diverses n'est pas moins grande quand on admet l'unité de la matière. Indication d'une théorie nouvelle, où ce seraient les contraires qui, par leur action réciproque, formeraient toutes les substances de la nature.

§ 1. J'en viens à ce qui concerne les éléments dont les corps sont composés. Tous les philosophes qui admettent un élément commun, ou qui admettent que les éléments changent les uns dans les autres, doivent nécessairement aussi reconnattre que, si l'une de ces suppositions est réelle, l'autre doit l'être également. Mais ceux qui ne veulent pas que les éléments puissent s'engendrer mutuellement, ni venir chacun de chacun, si ce n'est comme des moellons viennent d'un mur, [20] ceux-là soutiennent une théorie absurde ; car alors, comment de ces éléments fera-t-on venir les os, les chairs ou telle autre substance analogue?

§ 2. Il est vrai que cette difficulté subsiste, et qu'à ceux qui admettent que les éléments s'engendrent mutuellement, on peut tout aussi bien demander de quelle manière les éléments en arrivent à produire quelque chose de différent d'eux-mêmes. Par exemple, si du feu vient l'eau, et si de l'eau vient le feu, c'est qu'il y a entre eux quelque sujet commun. [25] Mais des éléments, il sort bien certainement aussi de la chair et de la moelle ; or, comment ces substances se produisent-elles ?

§ 3. De quelle façon peuvent-elles se produire, d'après les théories de ceux qui suivent la doctrine d'Empédocle? Nécessairement, il n'y a, entre ces éléments, qu'une juxtaposition comme celle des matériaux d'un mur, qui se compose de briques et de pierres ; dans un mélange de ce genre, les éléments demeurent ce qu'ils sont, et ils sont placés parties à parties les uns à côté des autres. [30] C'est donc ainsi, d'après ces théories, que la chair et toutes les autres choses analogues se seront formées.

§ 4. Mais il en résulte que le feu et l'eau ne ressortent jamais d'une des parties quelconques de la chair, de même que, dans les transformations de la cire, de telle partie peut sortir une sphère, et de telle autre, une pyramide. Tout ce qu'on voit, c'est que l'une et l'autre de ces figures peuvent tout aussi bien venir indifféremment de chacune des deux parties de la cire. C'est donc ainsi [35] que de la chair, sortiraient les deux éléments du feu et de l'eau, et qu'ils seraient produits à la fois par une partie quelconque. Mais, avec les principes d' Empédocle, l'explication n'est plus possible ; et il faut que chaque élément vienne d'un autre lieu, ou d'une autre partie, comme dans le mur c'est d'un lieu différent que viennent la brique et la pierre.

§ 5. [335a] De même encore pour les philosophes qui n'admettent qu'une matière unique pour tous les éléments, il y a quelque embarras à expliquer comment une substance peut se former de deux éléments, par exemple, de chaud et de froid, ou de feu et de terre. Si la chair se compose des deux et n'est cependant ni l'un ni l'autre, ni une simple juxtaposition de ces éléments conservant leur nature spéciale, que reste-t-il donc à admettre si ce n'est que le composé qui en est ainsi formé est la pure matière ? Car la destruction de l'un des éléments produit ou l'autre élément, ou la matière.

§ 6. Mais comme le chaud et le froid peuvent être plus ou moins forts, on doit dire que, quand l'un est absolument réel, en entéléchie, l'autre n'est plus qu'en puissance ; et quand le sujet n'a pas absolument l'une des deux qualités, et que le froid par exemple est à demi chaud, [10] et le chaud à demi froid, parce que les excès dans un sens ou dans l'autre s'effacent réciproquement par le mélange, alors il n'y a pas précisément ni de pure matière, ni l'un ou l'autre de ces contraires existant absolument en réalité, en entéléchie ; il n'y a qu'un intermédiaire. Mais selon qu'en puissance l'un des deux peut être plus chaud que froid ou le contraire, dans cette même proportion le corps est en puissance deux fois plus chaud ou plus froid, ou trois fois plus, ou suivant tel autre rapport.

§ 7. [15] Ainsi, toutes les autres choses viendront du mélange des contraires ou des éléments ; les éléments eux-mêmes viendront de ces contraires qui sont, en quelque sorte, les éléments en puissance, non pas comme l'est la matière, mais plutôt de la façon qu'on vient de dire.
De cette façon, le résultat qui se produit est bien un mélange, tandis que de l'autre façon c'est de la matière pure.

§ 8. Du reste, les contraires aussi sont passifs, dans le sens de la définition qui en a été donnée dans nos premières recherches ; par exemple, le chaud réel est froid en puissance, et le froid en réalité est chaud en puissance également, de sorte qu'à moins d'un équilibre complet, ils changent l'un dans l'autre. De même pour tous les autres contraires qu'on voudrait citer. C'est ainsi que d'abord les éléments changent, et que d'eux ensuite viennent les chairs, les os et [25] toutes les substances analogues, le chaud devenant froid, et le froid devenant chaud, à mesure qu'ils se rapprochent du moyen terme. Là il n'y a plus ni l'un ni l'autre des contraires ; le milieu est multiple et n'est pas indivisible. De même aussi le liquide et le sec, et les autres éléments de ce genre produisent, quand ils sont arrivés à la moyenne, la chair, les os et les autres substances analogues à celles-là.

Ch. VII, § 1. Dont les corps sont composés, il s'agit donc ici non plus de la production des éléments les uns par les autres, mais de leur combinaison pour former tous les corps de la nature. — Un élément commun, c'est-à-dire la matière qui est en puissance, l'élément commun de tous les corps. — L'une de ces suppositions, c'est-à-dire que les éléments ont une matière commune, s'ils se changent les uns dans les autres; et que s'ils changent ainsi, ils ont une matière commune. — Comme les moellons viennent d'un mur, les moellons composent le mur parce qu'ils sont juxtaposés; ils ne sont pas combinés et fondus ensemble. De même les éléments seraient juxtaposés et ne se confondraient pas pour former les corps dans la composition desquels ils entrent. La comparaison est assez juste ; mais l'expression n'est pas assez développée; et cet exemple, amené un peu trop brusquement a quelque chose de bizarre. — Ou telle autre substance analogue, c'est-à-dire tout à fait homogène. Dans le système qu'Aristote critique, les éléments ne peuvent être que réunis les uns aux autres; ils ne sont pas réellement combinés.

§ 2. Que les éléments s'engendrent mutuellement, c'est la théorie contraire à celle d'Empédocle, qui croyait les éléments immuables. — Quelque chose de différent d'eux-mêmes, en supposant que les quatre éléments soient l'origine de tous les corps que nous observons, les corps sont fort distincts des éléments qui les forment, et c'est un problème de savoir comment ils peuvent en venir. — Si du feu vient l'eau, voir plus haut, ch. 5, § 6. — Des éléments, le texte n'a qu'une expression indéterminée.

§ 3. Qui suivent les doctrines d'Empédocle, et qui croient que les éléments sont immuables, sans pouvoir se changer les uns dans les autres. — Comme celle des matériaux d'un mur, le texte est moins formel. — De briques et de pierres, les matériaux sont juxtaposés simplement et non confondus ensemble. — D'après ces théories, j'ai ajouté ces mots, pour compléter la pensée. — Toutes les autres choses analogues, c'est-à-dire toutes celles où, à cause de leur homogénéité absolue, on ne peut plus distinguer les éléments qui ont contribué à les former. On pourrait d'ailleurs donner aussi à cette phrase une tournure interrogative.

§ 4. Mais il en résulte, j'ai conservé l'indécision du texte. — Ne ressortent jamais, sous entendu « ensemble », c'est-à-dire que le feu et l'eau juxtaposés simplement ne sont jamais absolument confondus dans les composés qu'ils forment. — D'une des parties quelconques de la chair, où ils seraient complètement identifiés. — Dans les transformations de la cire, le texte n'est pas aussi formel. — De chacune des deux parties de la cire, même observation. — D'Empédocle, j'ai ajouté ces mots, qui me paraissent ressortir du contexte. - L'explication n'est plus possible, le texte n'est pas aussi précis. — D'un autre lieu, l'expression de Lieu revient ici à celle de Partie: et l'exemple qui suit fait bien comprendre le sens. La brique est placée à côté de la pierre ; et c'est dans un autre endroit, dans une autre place du mur.

§ 5. Qui n'admettent qu'une matière unique, il semble que c'est bien là la théorie particulière d'Aristote, puisqu'il admet que tous les éléments peuvent se changer les uns dans les autres ; mais il ne croit pas cette théorie même à l'abri de toute critique. — Une substance, le texte dit simplement : « quelque chose. » — Est la pure matière, j'ai ajouté le mot Pure, qui n'est pas dans l'original, mais qui me paraît ressortir de tout le contexte. La pure matière est ici la matière abstraite, la matière eu puissance. — De l'un des éléments, le texte est moins formel. — Ou la matière, sous-entendu: « en simple puissance. » Les deux éléments s'annulent dans le composé qu'ils forment, et il ne reste que la matière des deux à l'état de non-être.

§ 6. On doit dire, la phrase pourrait être interrogative aussi bien qu'affirmative. — Absolument réel, en entéléchie, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Par exemple, j'ai ajouté ces mots. — Dans un sens ou dans l'autre, le texte n'est pas aussi formel. - De pure matière, même remarque qu'au § précédent. — Qu'un intermédiaire, d'ailleurs très difficile à fixer, puisqu'il dépendrait de la sensibilité de chacun des observateurs. — L'un des deux, le texte n'est pas plus précis.

§ 7. Toutes les autres choses, c'est-à-dire tous les corps composés, les mixtes, tels que nous les observons dans la nature entière. — En quelque sorte les éléments, j'ai ajouté ces deux derniers mots, d'après le sens donné par le commentaire de Philopon. — Comme l'est la matière, qui n'est rien qu'en puissance et qui n'a pas de réalité, tandis que les contraires en ont une. — Qu'on vient de dire, dans le § précédent. — Est bien un mélange, de deux substances réelles qui en forment une nouvelle en se mélangeant. — De la matière pure, j'ai ajouté ce dernier mot.

§ 8. Dans nos premières recherches, voir plus haut, § 6. Philopon croit qu'il s'agit de la théorie de l'action et de la passion développée dans le premier livre; voir plus haut, livre 1, ch. 7, § 5. — Le chaud réel, on pourrait encore traduire : « Le corps qui est chaud en réalité, etc. » — Le froid en réalité, ou bien « Le corps qui en réalité et actuellement est froid. » - A moins d'un équilibre complet, le texte dit simplement : « S'ils ne sont pas égaux. » — Ils changent l'un dans l'autre, c'est-à-dire que l'un peut remplacer l'autre successivement, l'un des contraires devenant actuel et réduisant l'autre à n'être qu'en puissance. — Qu'on voudrait citer, j'ai ajouté ces mots. - Changent, les uns dans les autres. — Viennent les chairs, les os, aujourd'hui, la chimie organique reconnaît également que les composés viennent de la combinaison des corps simples; seulement les corps simples ne sont plus ceux qu'admettait

l'antiquité; et la science peut dé-montrer par des analyses exactes comment les combinaisons se for-ment. — A mesure, le texte dit simplement : u quand » etc. -- Des contraires, j'ai ajouté ces mots. — Ce milieu est multiple, voir sur cette théorie la Physique, livre VIII, ch. 12 § 9, page 532 de ma traduction, et aussi livre V, ch. 1, § 12, page 280.
— Et il n'est pas indivisible, ce qui ne lui permettrait pas d'avoir suc¬cessivement les qualités contraires.
— De même aussi le liquide et le sec, ceci semble une répétition de ce qui vient d'être dit un peu plus haut sur tous les autres contraires.

CHAPITRE VIII.

Composition générale des corps mixtes ; il y a dans tous de la terre et de l'eau, qui sont des éléments indispensables ; il y a aussi de l'air et du feu, contraires aux deux premières. Phénomène de la nutrition allégué à l'appui de cette théorie. Comment le feu est le seul des éléments simples qui se nourrisse.

§ 1. [30] Tous les corps mixtes qui sont répandus autour du lieu central sont composés de tous les éléments simples. Ainsi, il y a de la terre dans tous, parce que chacun de ces corps est le mieux, et le plus souvent, dans le lieu qui lui est propre. Il y a aussi de l'eau dans tous les mixtes, parce qu'il faut que les composés soient déterminés, et que l'eau est, parmi les corps simples, le seul qui se détermine aisément. [335b] D'autre part, la terre ne peut pas davantage subsister sans l'humide qui la tient réunie; et si l'humide en était complètement retiré, elle tomberait en poussière.

§ 2. Ce sont bien là les causes qui font qu'il y a de l'eau et de la terre dans tous les corps mixtes. Mais il y a aussi de l'air et du feu, parce que ces éléments sont contraires à la terre et à l'eau ; [5] la terre est contraire à l'air, et l'eau est contraire au feu, autant qu'une substance peut être contraire à une autre substance.

§ 3. Ainsi donc, puisque les productions des choses viennent des contraires, il faut nécessairement, quand les deux extrêmes des contraires se trouvent dans les choses, que l'autre aussi des deux contraires s'y retrouve également. Par conséquent, dans tout composé se retrouveront tous les corps simples.

§ 4. Le phénomène de la nutrition, considéré dans chacun des êtres, semble témoigner [10] en faveur de cette théorie. Tous les êtres se nourrissent d'éléments identiques à ceux qui les composent; or, tous se nourrissent de plusieurs éléments, et ceux-là même qui sembleraient surtout ne se nourrir que d'un aliment unique, comme les plantes, qui se nourrissent d'eau, ne s'en nourrissent pas moins aussi de plusieurs. C'est que la terre est toujours mêlée à l'eau ; et voilà comment les cultivateurs, dans leurs irrigations laborieuses, ne font qu'un mélange d'eau et de terre.

§ 5. Mais comme la [15] nutrition appartient à la matière, et comme l'être ainsi nourri, bien que compris et enveloppé dans la matière, est la forme et l'espèce, il est tout naturel de croire que, parmi les corps simples, le feu est le seul qui se nourrisse, tous les autres ne faisant que se produire les uns les autres réciproquement, ainsi que les anciens l'ont prétendu. Car, c'est le feu seul et lui surtout qui représente la forme, puisqu'il est toujours, par sa nature propre, porté vers la limite. [20] Or, chaque chose est naturellement portée vers la place qui lui appartient ; mais la forme et l'espèce de toutes choses se trouvent toujours dans les limites qui les déterminent.

§ 6. On voit donc, par ce qui précède, que tous les corps se composent de tous les éléments simples.




 

Ch. VIII, § 1. Autour du lieu central, c'est-à-dire autour de la terre, qui, dans les théories d'Aristote, est le centre du monde, vers lequel se dirigent tous les corps graves. — Il y a de la terre dans tous, parce que tous les mixtes dont il est parlé ici, ont de la pesanteur. — Est le mieux et le plus souvent, j'ai conservé l'indécision du texte. Cela revient à dire que les graves se dirigent vers la terre, et s'y arrêtent dans leur chute. — Qui lui est propre, ceci peut s'entendre à la fois de la terre et de chacun des mixtes. Saint Thomas et les Coïmbrois comprennent qu'il s'agit de la terre; Philopon comprend au contraire qu'il s'agit des mixtes, dont le lieu propre se confond avec celui de la terre, qui est également le centre. — Soient déterminés, ou « aient une figure bien définie. » — L'humide qui la tient réunie, c'est ce que la science appelle aujourd'hui la force de cohésion. — Elle tomberait en poussière, j'ai ajouté ces deux derniers mots, pour compléter la pensée.

§ 2. De l'eau et de la terre dans tous les corps mixtes, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. — La terre est contraire à l'air, à la fois par son poids et par ses qualités spéciales. — Autant qu'une substance, voir les Catégories, ch. 5, § 18, page 68 de ma traduction.

§ 3. Les productions des choses viennent des contraires, voir plus haut livre I, chapitres 3 et suivants. — Les deux extrêmes des contraires, ou plus nettement : « les deux contraires extrêmes, » c'est-à-dire la terre et l'eau. — L'autre aussi des deux contraires, l'air étant le contraire de la terre, et le feu étant le contraire de l'eau. Ce sont d'ailleurs des hypothèses purement logiques; mais dans le § suivant, Aristote fait appel au témoignage des faits. — Par conséquent, la conclusion ne paraît pas très rigoureuse. — Tous les corps simples, c'est-à-dire les quatre éléments, la terre, l'eau, l'air, et le feu, avec les quatre qualités du froid, de l'humide, du sec et du chaud.

§ 4. Le phénomène de la nutrition, le texte dit simplement : « la nutrition. » — Témoigner en faveur de celte théorie, le texte est un peu moins développé. — Se nourrissent d'éléments identiques, l'assertion est bien générale, sans d'ailleurs être fausse. — Se nourrissent... ne se nourrir,.... Se nourrissent d'eau ne s'en nourrissent par moins, toutes ces répétitions sont dans le texte. — Dans leurs irrigations laborieuses, j'ai ajouté ce dernier mot, qui ressort du contexte. — Qu'un mélange d'eau et de terre, le texte n'est pas aussi formel.

§ 5. Appartient à la matière, j'ai conservé la tournure du texte ; mais il serait plus clair de dire que la nutrition est la matière de l'être qui est nourri. — L'être nourri.... est la forme et l'espèce, en d'autres termes : « l'essence, » tandis que la nourriture qui l'entretient« n'est que la matière. » — Compris et enveloppé, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Il est tout naturel, ou « conforme à la raison. » — Parmi les corps simples, c'est-à-dire, les quatre éléments. — Le seul qui se nourrisse. Philopon rappelle que c'est là surtout une expression poétique. — Ne faisant que, le texte n'est pas aussi formel. — Les anciens, c'est aussi l'opinion d'Aristote. — Qui représente la forme, ou bien : « qui appartient à la forme. » — Vers la limite, c'est-à-dire, vers l'extrémité de la région supérieure ; et comme la limite détermine la forme et l'espèce des choses, le feu paraît ainsi se rapporter davantage à la forme. D'ailleurs, on peut trouver que toutes ces théories sont bien subtiles. — Qui les déterminent, j'ai ajouté ces mots.

§ 6. On voit donc, résumé du chapitre. — Par ce qui précède, j'ai ajouté ces mots. — Tous les corps, sous-entendu : « mixtes. » — De tous les éléments simples, c'est-à-dire, la terre, l'eau, l'air et le feu. Il n'est pas besoin d'insister pour montrer toute la différence de ces théories avec les théories actuellement reçues et acquises dans la science.

CHAPITRE IX.

La matière et la forme, premiers principes des choses ; nécessité d'un troisième principe, la cause motrice. - Réfutation de la théorie des Idées telle que Socrate l'expose dans le Phédon ; les Idées ne peuvent expliquer la production des choses ; elles ne produisent pas ; on voit une foule de choses se produire sous nos yeux par d'autres causes. — Réfutation de la théorie qui explique la production des choses par le mouvement de la matière ; la matière est passive et n'agit pas. Exemples divers tirés des procédés de l'art.

§ 1. Comme il y a des choses qui sont produites et périssables, et que tout ce qui naît [25] et se produit se trouve dans le lieu qui environne le centre, il faut d'abord parler de la production des choses, prise dans toute sa généralité, et dire à quel nombre et de quelle nature sont ses principes. De cette manière, nous étudierons plus facilement les faits particuliers, après avoir acquis préalablement la connaissance des faits généraux.

§ 2. Ces principes sont ici en même nombre et du même genre que ceux qu'on découvre dans les êtres éternels et primitifs. L'un de ces principes est comme matière ; l'autre est comme forme. [30] Mais il en faut en outre un troisième qui se joigne à ces deux autres ; car ces deux-là ne sont pas plus capables de produire ici quelque chose que dans les primitifs.

§ 3. Ainsi donc, c'est la matière, qui, pour les êtres produits, est cause qu'ils peuvent être et ne pas être. Or, parmi les choses, il y en a qui sont de toute nécessité, par exemple, les substances éternelles ; il y en d'autres qui ne sont pas nécessairement. [35] Pour les unes, il est impossible qu'elles ne soient pas; et pour les autres, il est impossible [336a] qu'elles soient, parce qu'il ne se peut pas que rien soit autrement que ne l'exige la nécessité. Mais il y a d'autres choses qui peuvent également être et ne pas être ; c'est précisément tout ce qui est produit et est périssable ; car tantôt ces choses-là sont, et tantôt elles ne sont pas. Ainsi donc, la production et la destruction ne se rapportent qu'à ce qui peut être et ne pas être.

§ 4. C'est bien là, en tant que matière, la cause des choses produites ; mais en tant que but final, la cause, c'est la forme et l'espèce; et c'est là la définition de l'essence de chaque chose.

§ 5. Mais à ces deux principes, il faut toujours en ajouter un troisième. Or ce principe-là, tous les philosophes semblent ne l'apercevoir que comme en rêve, [10] et personne n'en parle avec quelque précision. Les uns ont cru, comme Socrate dans le Phédon, que la nature des Idées suffisait pour expliquer la production des choses ; car Socrate, reprochant aux autres de n'avoir rien dit à cet égard, suppose que, parmi les choses qui existent, les unes sont des Idées, et que les autres reçoivent ces Idées, auxquelles elles participent; que l'être de chaque chose est dénommé d'après son Idée, et que les choses se produisent quand elles reçoivent cette Idée, et qu'elles périssent quand elles la perdent. [15] Par conséquent, si tout ceci est vrai, Socrate pense que les Idées sont nécessairement la cause de la production et de la destruction des choses. D'autres, au contraire, ont cru voir cette cause dans la matière elle-même, parce que c'est d'elle que, selon eux, venait le mouvement.

§ 6. Mais ni les uns ni les autres n'ont raison ; car si les Idées, en effet, sont causes, pourquoi ne produisent-elles pas toujours d'une manière continue? Pourquoi tantôt produisent-elles et tantôt ne produisent-elles pas, quoique les Idées subsistent toujours, ainsi que les choses qui peuvent y participer ? [20] De plus, il y a des choses pour lesquelles on voit clairement que c'est quelque autre chose que l'Idée qui en est cause. Ainsi, c'est le médecin qui fait la santé, c'est le savant qui fait la science, bien que la santé même et la science même existent, ainsi que les êtres qui peuvent y participer. Il en est de même aussi pour toutes les autres choses qui sont faites selon l'art qui peut les accomplir.

§ 7. D'autre part, quand on prétend que c'est la matière qui produit les choses [25] par le mouvement qu'elle leur donne, sans doute c'est là une opinion plus d'accord avec la nature que la théorie des Idées ; car, ce qui altère les choses et les transforme peut paraître davantage la vraie cause de leur production ; et en général, dans les produits de la nature aussi bien que dans ceux de l'art, on regarde habituellement comme faisant les choses tout ce qui leur donne le mouvement.

§ 8. Toutefois ces derniers philosophes eux-mêmes n'ont pas raison ; car, [30] être passif et être mû, ce sont bien les propriétés qui appartiennent à la matière, tandis que mouvoir et agir appartiennent à une tout autre puissance. C'est là ce qu'on peut observer également dans tout ce que fait l'art comme dans tout ce que fait la nature. Ainsi, ce n'est pas l'eau elle-même qui fait l'animal sorti de son sein (c'est la nature) ; ce n'est pas davantage le bois qui fait le lit, c'est l'art. De là, on peut conclure que ces philosophes non plus ne s'expriment pas bien, et leur erreur vient de ce qu'ils omettent la cause la plus importante de toutes, [35] en supprimant l'essence et la forme.

§ 9. [336b] Il s'ensuit, de plus, qu'ils confèrent aux corps des forces à l'aide desquelles ils les font naître un peu trop mécaniquement, en laissant de côté la cause qui tient à l'espèce. Comme d'après les lois de la nature, ainsi qu'ils le disent, le chaud désagrège et le froid coagule, et comme chacun [5] des autres éléments agit et souffre à sa manière, cela leur suffit pour affirmer que c'est aussi de là et par là que tout le reste des choses se produit et se détruit. Le feu lui-même leur paraît subir le mouvement et souffrir.

§ 10. L'erreur est à peu près la même que si l'on allait prendre la scie, et les autres instruments analogues, pour la vraie cause de tout ce qu'ils produisent, et le leur rapporter, sous prétexte que du moment qu'on scie il faut nécessairement [10] que le bois soit tranché, et que du moment qu'on rabote, il y a nécessité égale que la planche s'aplanisse; et ainsi de suite. En conséquence, bien que le feu soit le plus actif des éléments, et qu'il communique le mouvement le plus énergique, ils ne voient pas comment il agit, et qu'il agit plus mal que les instruments ordinaires.

§ 11. Quant à nous, comme nous avons antérieurement parlé des causes en général, nous n'avons fait ici que traiter de la matière et de la forme.

Ch. IX, § 1. Tout ce qui naît et se produit, le texte dit d'une manière plus générale encore : « la génération. » — Se trouve dans le lieu qui environne le centre, cette expression est assez singulière ; elle signifie seulement que les corps mixtes que nous pouvons observer se trouvent à la surface de la terre, considérée comme le centre du monde. Cette expression, d'ailleurs, ne semble offrir aucune difficulté à Philopon, qui ne croit pas devoir la commenter. — De la production des choses, même observations qu'un peu plus haut. — Les faits particuliers.... des faits généraux, ce n'est pas là d'ordinaire la méthode d'Aristote, et il va plus volontiers des faits particuliers aux faits généraux que de ces derniers aux autres. Le texte n'est pas aussi précis que ma traduction.

§ 2. Dans les êtres éternels et primitifs, ce sont les corps célestes regardés comme éternels et immuables, et comme les premiers de tous les corps. — Est comme matière, j'ai conservé la tournure de l'original ; mais on pourrait traduire aussi : « joue le rôle de matière.... le rôle de forme. » — Qui se joigne à ces deux autres, j'ai ajouté ces mots, pour rendre toute la force de l'expression grecque. Ce troisième principe, c'est la cause motrice, ou plutôt la cause efficiente. Il faut comparer avec ces théories celles du premier livre de la Physique, chapitre 8, page 473 de ma traduction. — Ne sont pas plus capables, la matière et la forme sont l'une et l'autre stériles sans le troisième principe, qui vient leur donner la réalité en les unissant.

§ 3. Est cause qu'ils peuvent être et ne pas être, on pourrait également bien renverser la phrase et dire : « La faculté d'être et de ne pas être est, comme matière, la cause des êtres produits. » — Parmi les choses, ou « parmi les substances », ou encore : « parmi les êtres. » — Les substances éternelles, c'est-à-dire, « les corps célestes. » — Également être et ne pas être, en d'autres termes, tous les êtres contingents. — Tout ce qui est produit, ou « est créé. » — Et est périssable, comme le sont la plupart des êtres qui sont soumis à notre observation.

§ 4. Des choses produites, et périssables. — En tant que but final, le texte dit précisément : « en tant que pourquoi. » — C'est la forme et l'espèce, l'espèce se confond avec l'Idée, comme on le verra un peu plus bas. — La définition de l'essence, ou bien : « la raison de l'essence. »

§ 5. Ajouter un troisième, la cause efficiente. — Que comme en rêve, la critique est assez sévère, et dédaigneuse ; voir le premier livre de la Métaphysique, traduction de M. Cousin, chapitres 4 et 5. — Dans le Phédon, voir le Phédon de Platon, traduction de M. Cousin, page 283. — La nature des Idées, ou « des espèces »; car le mot est le même. — De n'avoir rien dit, cette expression peut signifier également, ou que les philosophes attaqués par Socrate ont gardé le silence; ou qu'ils n'ont rien dit de considérable. — Les unes sont des Idées.... etc., ce résumé du Phédon est assez exact. — L'être de chaque chose, c'est la tournure même du texte. — Si tout ceci est vrai, il y a dans cette restriction une sorte de négation et de critique. — D'autres, Philopon ne dit pas quels sont ces autres philosophes ; mais il est probable qu'il s'agit de Démocrite et de son école. — Selon eux, j'ai ajouté ces mots.

§ 6. Ni les uns ni les autres, ni Platon ni les matérialistes. — Sont causes, le texte est aussi vague. — Que l'Idée, j'ai ajouté ces mots. — Qui fait la santé, il faudrait peut-être ajouter : « dans le corps», pour rendre toute la force de l'expression grecque. — La santé  même, c'est-à-dire l'idée de la santé. — La science même, observation pareille. —Ainsi que les êtres qui peuvent y participer, ainsi, outre l'idée de la santé et du malade, il faut le médecin; outre l'idée de la science et l'élève, il faut le maître capable de transmettre ce qu'il sait. — Selon l'art qui peut les accomplir, le texte n'est pas aussi formel.

§ 7. D'autre part, c'est aux partisans de la matière qu'Aristote répond ici, après avoir répondu à Platon. — Que la théorie des Idées, le texte n'est pas aussi précis. — Ce qui altère les choses, peut-être faut-il prendre ici cette expression dans un sens un peu plus large que ne le fait habituellement Aristote.

§ 8. Être passif, ou « souffrira. »A une tout autre puissance, c'est le terme même de l'original; on pourrait traduire aussi : « à une tout autre force ». — Sorti de son sein, le texte n'est pas aussi précis. — (C'est la nature), j'ai mis ces mots entre parenthèses, parce qu'ils ne se trouvent que dans quelques manuscrits; ils ne sont pas indispensables. Le commentaire de Philopon les peut faire supposer. — L'essence et la forme, peut-être faudrait-il ajouter : « l'essence permanente ».

§ 9. Un peu trop mécaniquement, c'est l'expression même du texte, qui n'est pas très claire; voir le paragraphe suivant. Il semble que cette objection rentre presque tout à fait dans la précédente, ainsi que le remarquent les Coïmbrois. Philopon, d'après Alexandre d'Aphrodisée, croit que cette critique s'adresse plus spécialement à Parménide. — Le chaud désagrège, quand il fait fondre, par exemple, certaines substances. — Le froid coagule, c'est vrai dans certains cas; mais ce ne l'est pas dans tous. — Des autres éléments, le texte n'est pas aussi précis. — Le feu lui-même, qui passe pour le plus actif des éléments, devient passif dans ce système. — Subir le mouvement, ou «être mu.»

§ 10. On allait prendre la scie, voir plus haut le début du § 9. Voilà les principes mécaniques auxquels les philosophes rapportaient la production des choses. — Et le leur rapporter, le texte n'est pas aussi formel. — Il y a nécessité égale, même observation. — Qu'il agit plus mal, c'est-à-dire, avec moins d'ordre. — Ordinaires, j'ai ajouté ce mot.

§ 11. Antérieurement, Philopon pense qu'il s'agit ici de la Physique; mais c'est plutôt dans le premier livre de la Métaphysique qu'Aristote a traité des causes. — Nous n'avons fait ici que traiter, le texte n'est pas aussi formel.

CHAPITRE X.

La production et la destruction des choses sont continues comme le mouvement, et dépendent de la translation circulaire de l'univers ; nécessité de deux mouvements ; la translation circulaire oblique répond à cette nécessité. Régularité de la production et de la destruction naturelles ; durée périodique des êtres; action de Dieu ; lois immuables qu'il a établies dans la perpétuité des choses ; ordre admirable du monde ; c'est le changement des corps qui maintient leur durée. — Le premier moteur immobile, seul principe du mouvement universel; la continuité du mouvement dépend de la continuité du mobile.

§ 1. [15] Il faut ajouter une autre considération : c'est que le mouvement de translation étant éternel, ainsi qu'on l'a démontré, il s'ensuit nécessairement que, dans ces conditions, la production des choses doit être également continue : car ce mouvement causera indéfiniment la production des choses, en amenant et en ramenant la cause qui peut les produire. Ceci nous prouve en même temps que ce que nous avons dit antérieurement est exact, et que nous avons eu raison de faire de la translation, et non de la production, le premier des changements. [20] En effet, il est bien plus rationnel de faire de ce qui est la cause qui produit ce qui n'est pas, que de faire de ce qui n'est pas la cause qui produit ce qui est. Or, ce qui est soumis à la translation existe, tandis que l'être qui se produit et devient n'existe pas ; et c'est là ce qui fait précisément que la translation est antérieure à la production.

§ 2. Après avoir supposé et démontré qu'il y a dans les choses une production et une destruction continuelles, [25] et que le mouvement de translation est cause de la génération des choses, il doit nous être évident que, le mouvement de translation étant unique, il est impossible que la production et la destruction existent toutes deux simultanément, puisqu'elles sont des contraires ; car une cause qui est et subsiste toujours la même et dans les mêmes conditions, ne peut jamais faire que la même chose, selon l'ordre de la nature. Par conséquent, ou ce sera la production, ou ce sera la destruction, qui sera éternelle.

§ 3. Ainsi il faut qu'il y ait [30] plusieurs mouvements, et des mouvements contraires, soit par leur direction, soit par leur inégalité ; car les causes des contraires sont contraires aussi. Ce n'est donc pas précisément la translation première qui peut être cause de la production et de la destruction des choses ; mais c'est la translation suivant le cercle oblique. Dans cette translation, en effet, il y a à la fois la continuité d'un seul mouvement et la possibilité de deux mouvements ; car, il faut nécessairement, pour que la production et la destruction [337a] puissent être continues, que le mouvement soit perpétuel, afin que ces changements mêmes ne défaillent jamais. D'autre part, il faut que les mouvements soient au nombre de deux, pour que ce ne soit pas un de ces phénomènes qui subsiste perpétuellement tout seul.

§ 4. Ainsi donc, c'est la translation de l'univers qui est cause de la perpétuité, et c'est l'inclinaison du cercle qui produit le rapprochement ou l'éloignement ; car il se peut que la cause soit tantôt loin et tantôt près. [5] L'intervalle étant inégal, le mouvement sera inégal aussi. Par suite, si, en étant présent et en s'approchant, il cause la production des choses, en étant absent et en s'éloignant, ce même mouvement causera la destruction. De plus, s'il produit en s'approchant plusieurs fois, il détruit en s'éloignant plusieurs fois aussi ; car les causes des contraires sont contraires entre elles.

§ 5. Il faut ajouter que la destruction et la production naturelles s'accomplissent en un temps égal. [10] C'est là ce qui fait que le temps de la durée et de la vie de chaque être peut s'exprimer en nombre, et se déterminer de cette manière. En ceci, il y a un ordre régulier pour tous les êtres. La durée et la vie sont toujours mesurées par une certaine période à parcourir; seulement cette période n'est pas la même pour tous indistinctement, et elle est plus courte pour les uns et plus longue pour les autres. La période qui mesure l'existence des êtres est pour ceux-ci d'une année ; pour ceux-là, elle est plus forte, [10] tandis que pour d'autres encore la mesure est moindre.

§ 6. Les phénomènes sensibles sont là pour attester la vérité de ce que nous disons ici. Quand le soleil se montre, il y a production; quand il se retire, il y a destruction; et ces deux phénomènes se passent en des temps égaux; car le temps de la destruction naturelle est égal à celui de la production. [20] Mais souvent il arrive que la destruction est plus rapide, à cause de l'action combinée des éléments entre eux. Quand la matière, en effet, est irrégulière et n'est pas partout la même, il faut aussi que les productions qui en sortent soient irrégulières comme elle, et que les unes soient plus rapides et les autres plus lentes ; et alors, la production des unes peut devenir une destruction pour les autres.

§ 7. [25] Néanmoins, ainsi que nous l'avons dit la production et la destruction doivent toujours être continuelles, et elles ne doivent jamais défaillir par les causes que nous avons expliquées. Ceci, du reste, se comprend très bien ; car, ainsi que nous le soutenons, la nature recherche toujours le mieux en toutes choses. Or, être vaut mieux que ne pas être ; et ailleurs nous avons énuméré les diverses acceptions de ce mot d' Être ; [30] mais il ne se peut pas que l'être subsiste dans toutes les choses, attendu que quelques-unes sont trop éloignées du principe. En prenant la seule voie qui restât, Dieu a complété le tout en rendant la génération continuelle et perpétuelle. L'être alors est aussi compact et continu que possible, parce qu'une production perpétuelle et un devenir constant sont le plus près possible de l'existence même. Or, ce qui est cause de cette production, comme on l'a déjà dit bien souvent, c'est la translation circulaire, parce que c'est la seule qui soit continue.

§ 8. [337b] Voilà comment toutes les choses qui se changent les unes dans les autres, selon leurs propriétés passives et actives, comme les corps simples, par exemple, ne font aussi qu'imiter cette translation circulaire, qu'elles reproduisent. Quand l'air, en effet, vient de l'eau, et que [5] le feu vient de l'air, et qu'ensuite l'eau à son tour vient du feu, la production a eu lieu circulairement, peut-on dire, puisqu'elle est revenue sur elle-même. C'est ainsi que, le mouvement de ces phénomènes se développant en ligne droite, imite le mouvement circulaire, et qu'il devient continu.

§ 9. Ceci nous permet en même temps d'éclaircir une question qu'on soulève quelquefois, à savoir comment il est possible, chaque corps se portant à la place qui lui est propre, que les corps composés ne se soient pas séparés et dissous pendant la durée infinie des temps. [10] La raison en est bien simple, c'est qu'ils se changent et se métamorphosent les uns dans les autres. Si chacun d'eux restait à sa place spéciale et qu'il ne fût pas modifié par son voisin, il y a déjà bien longtemps qu'ils se seraient séparés et isolés. Ces corps changent donc par suite d'un double mouvement de translation ; et parce qu'ils changent, il n'y en a pas un seul qui puisse demeurer jamais en un lieu immuable et déterminé.

§ 10. [15] On peut donc voir, d'après tout ce qui précède, qu'il y a bien réellement production et destruction des choses, et quelle en est la cause, de même qu'on voit ce que c'est que le créé et le destructible. Mais puisqu'il y a un mouvement, il faut qu'il y ait un moteur, ainsi qu'on l'a démontré dans d'autres ouvrages. Si le mouvement est éternel, il faut qu'il y ait quelque chose d'éternel aussi ; le mouvement étant continu, ce quelque chose qui est un, doit être éternellement le même, immobile, [20] incréé, inaltérable. En supposant même que les mouvements circulaires pussent être plusieurs en nombre, ils pourraient bien être plusieurs, mais tous, tant qu'ils seraient, devraient nécessairement être soumis à un seul et unique principe. D'autre part, puisque le temps est continu, le mouvement doit l'être comme lui ; car il est impossible qu'il y ait du temps sans mouvement. Le temps est donc le nombre de quelque chose de continu, c'est-à-dire de la translation circulaire, ainsi que nous l'avons dit en débutant.

§ 11. Mais le mouvement est-il continu parce que le mobile qui le reçoit est continu aussi ? Ou bien l'est-il à cause de la continuité du lieu où il s'accomplit, je veux dire l'espace ; ou bien à cause de la continuité de l'affection que subit la chose? Il est clair que le mouvement est continu, parce que le mobile est continu ; car, comment l'affection d'une chose pourrait-elle être continue, si ce n'est par la continuité même de la chose dans laquelle elle se manifeste? Si le mouvement n'est continu que par le lieu dans lequel il est, ce ne peut être alors que par l'espace, qui a seul la propriété de le contenir, [30] parce qu'il a une certaine grandeur. Or, il n'y a de grandeur continue que celle du cercle, parce que cette grandeur est toujours continue à elle-même. Ainsi, ce qui fait la continuité du mouvement, c'est le corps qui a la translation circulaire; et c'est le mouvement, à son tour, qui fait que le temps est continu.

Ch. X, § 1. Il faut ajouter une autre considération, j'ai dû développer un peu le texte, afin de commencer plus convenablement ce chapitre. - Ainsi qu'on l'a démontré, dans le VIIIe livre de la Physique, ch. 10, pages 518 et suivantes de ma traduction. — La production des choses, le texte dit simplement : « la génération ». — Ce mouvement causera indéfiniment, c'est une grande idée de rattacher ainsi la production et la destruction des êtres à la cause générale qui met l'univers en mouvement. — En amenant et en ramenant, cette opposition est dans l'original. — Antérieurement, voir la Physique, liv. VIlI, ch. 10, pages 518 et suivantes. Aristote en effet a consacré de longs développements à prouver que le mouvement circulaire est le premier et le principal de tous les mouvements. — Ce qui est.... ce qui n'est pas, le texte dit : «l'être... et le non-être .» — Se produit et devient, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Est antérieure, ou supérieure.

§ 2. Supposé et démontré, le fait de la production et de la destruction continuelles des choses nous est attesté par les sens; et il n'y a ni à le supposer ni à le démontrer. Mais il y avait des philosophes du temps d'Aristote qui allaient jusqu'à nier le mouvement; voir le Ie 1er livre de la Physique, ch. 2 et suivants. — Simultanément, j'ai ajouté ce mot, pour rendre toute la force de celui dont se sert l'original. — Ou ce sera la production, ou ce sera la destruction, en d'autres termes, une des deux, mais non toutes les deux.

§ 3. Des mouvements contraires, voir la définition du mouvement contraire, Physique, liv. V, ch. 7, pages 320 et suivantes de ma traduction. — Suivant le cercle oblique, d'après ce qui suit et d'après le commentaire même de Philopon, il faut entendre parle cercle oblique le cercle du Zodiaque, ou de l'Écliptique. Selon que le soleil est plus ou moins près de nous, il y a production ou destruction des choses. La théorie d'Aristote peut n'être pas exacte; mais elle est certainement ingénieuse. Le mouvement uniforme et éternellement identique reste appliqué au ciel; mais le mouvement inégal auquel le monde terrestre est soumis, est dans le soleil et dans les planètes qu'il dirige. — La continuité d'un seul mouvement, et la possibilité de deux mouvements, et de là, les deux causes de la production et de la destruction successives et perpétuelles des choses. — Un de ces phénomènes, le texte n'est pas aussi formel.

§ 4. La translation de l'univers, c'est-à-dire, le mouvement de translation éternelle, qui emporte le ciel et les étoiles fixes, selon le système d'Aristote. — L'inclinaison du cercle, j'ai ajouté ces deux derniers mots. — Que la cause, l'expression du texte est tout à fait indéterminée ; j'ai dû la préciser dans ma traduction. - En étant présent et en s'approchant, ceci peut s'appliquer au soleil, qui non seulement est plus ou moins loin de la terre, selon les saisons, mais dont la lumière tantôt est présente, et tantôt disparaît avec le jour et la nuit. — En s'approchant plusieurs fois, j'ai conservé l'indécision du texte. Ceci veut dire qu'il faut que le soleil s'approche ou s'éloigne plusieurs fois de suite pour produire certains effets. — Les causes des contraires ou bien : « Les contraires sont causes des contraires. »

§ 5. S'accomplissent en un temps égal, il ne faut pas entendre ceci d'une façon trop stricte. Aristote veut dire que le temps durant lequel le soleil peut détruire, est égal au temps durant lequel il peut produire, la périodicité des saisons étant toujours égale. — De la vie de chaque être, la durée de la vie variant d'ailleurs pour chaque être, selon les conditions que la nature lui a faites, comme il est dit un peu plus bas. — Un ordre régulier pour tous les êtres, on sait qu'Aristote a toujours combattu le système du hasard ; voir plus haut, ch. 6, § 5, et Physique, livre Il, chapitres 4 et suivants.

§ 6. Les phénomènes sensibles, ainsi Aristote recommande ici, comme partout, la méthode d'observation. — Quand le soleil se montre, ceci n'est vrai que dans une certaine mesure ; et c'est trop attribuer à l'action du soleil que de lui attribuer la production de toutes choses. — En des temps égaux, c'est-à-dire qu'au bout de l'année, le temps où le soleil x disparu est égal au temps durant le quel il a paru. — De la destruction naturelle, rapportée à la présence ou à l'absence du soleil. — La destruction est plus rapide, la même calme pourrait agir aussi sur la production. — Des éléments, le texte est moins formel, et j'ai dû rendre ma traduction plus précise.

§ 7. Ainsi que nous l'avons dit, soit dans ce chapitre, un peu plus haut, § 3, soit dans la Physique, livre III, ch. 5, § 4, page 94 de ma traduction. — Nous le soutenons, c'est un des principes dont Aristote a fait le plus fréquent et le plus heureux usage ; voir la Physique, livre VIII, ch. 7, § 6, page 510 de ma traduction. — Ailleurs, notamment dans les Catégories, ch. 2, § 2, page 54 de ma traduction; dans la Physique, livre I, ch. 3, § 1, page 438 de ma traduction ; et dans la Métaphysique, livre IV, ch. 7, page 1017 a, 7, édition de Berlin. — L'être subsiste dans toutes les choses, sous-entendu l'être « éternel; » mais j'ai dû conserver l'indécision de l'original. — Du principe, qui les a produites et qui les maintient. — En prenant la seule voie qui restât, c'est peut-être un peu trop restreindre la toute-puissance de Dieu. — Dieu a complété le tout, ce passage rappelle un peu les théories du Timée, qui l'ont peut-être inspiré. - Continuelle et perpétuelle, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Compact et continu Une production perpétuelle et un devenir constant, même remarque. — De l'existence même, sous-entendu, « éternelle. » - Comme on l'a déjà dit bien souvent, dans ce chapitre même, et aussi dans la Physique, livre Vlll, ch. 12, § 46, et ch. 13, § 5, pages 550 et 552 de ma traduction.

§ 8. Comme les corps simples, c'est-à-dire les éléments ordinaires, la terre, l'eau, l'air et le feu. — Ne font aussi qu'imiter, le texte n'est pas aussi formel. — Qu'elles reproduisent, j'ai ajouté ces mots. On peut trouver d'ailleurs que cette comparaison est un peu forcée, entre le changement réciproque des éléments et le mouvement éternel dont le ciel est animé. Mais il faut se rappeler le rôle considérable qui est attribué aux quatre éléments, dans les théories d'Aristote. Voir spécialement la Météorologie, livre I, chapitres 2 et 3, pages 4 et suivantes de ma traduction. — Quand l'air, en effet, vient de l'eau, selon Aristote, l'eau en se vaporisant devient de l'air. — Et qu'ensuite l'eau vient du feu, le feu se changeant en air, et l'air, à son tour, se changeant en eau. — Imite, la répétition est dans le texte.

§ 9. Qu'on soulève quelquefois, ou « que soulèvent quelques philosophes. » — Séparés et dissous, il n'y a qu'un seul mot dans le texte Il faut entendre qu'il s'agit d'une dissolution des corps mixtes, où chacun des éléments qui les forment o seraient portés au lieu qui lui est propre, la terre en bas, le feu en haut, l'air et l'eau dans les lieux intermédiaires. — Pendant la durée infinie des temps, ces modifications étant excessivement lentes et exigeant des temps fort longs. - C'est qu'ils changent et se métamorphosent, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Séparés et isolés, même remarque. — D'un double mouvement de translation, voir plus haut, § 4. Ce double mouvement est celui que produit l'obliquité du cercle qui tantôt éloigne et tantôt rapproche le soleil de nous. C'est aussi, d'après le commentaire de Philopon, le mouvement qui va d'orient en occident et qui revient d'occident en orient. — Et parce qu'ils changent, et se mêlent sans cesse les uns aux autres.

§ 10. Le créé et le destructible, j'ai conservé à dessein l'expression toute indéterminée du texte. — Dans d'autres ouvrages, les autres ouvrages sont la Physique, livre VIII, ch. 15, pages 558 et suiv. de ma traduction, et la Métaphysique, livre XII, chapitres 6 et suiv., page 192 de la traduction de M. V. Cousin, 2e édition. — Qu'il y ait quelque chose, il serait plus précis de dire quelque moteur éternel. — Plusieurs en nombre plusieurs, la répétition est dans le texte. Puisque le temps est continu, voir sur les rapports du temps et du mouvement, le IVe livre de la Physique, chapitres 14 et suiv., page 224 de ma traduction. — En débutant, Philopon croit que ceci se rapporte à la Physique, qui précède, dans l'ordre (les études, le Traité du Ciel et celui-ci. Il faut se reporter au IVe et au Vile livres de la Physique.

§ 11. Mais le mouvement est-il continu, cette grave question est agitée et résolue dans le VIIIe livre de la Physique, chapitres 15 et suiv., et dans le XlIe livre de la Métaphysique, chapitres 6 et suiv., un peu autrement qu'elle ne semble l'être ici. — De la continuité du lieu... de la continuité de l'affection, le texte n'est pas aussi formel. — Que subit la chose, j'ai ajouté ces mots afin de rendre la pensée plus claire. — Le mobile est continu, ceci ne se comprend pas assez bien. La continuité peut être ou celle du temps ou celle de la matière. - Que par le lieu, le texte est moins précis. — Qui a seul la propriété de le contenir, j'ai développé le texte pour le rendre plus clair. — Que celle du cercle, voir la Physique, livre VIII, ch. 12, § 4i, page 547 de ma traduction et chapitre 14, § 1, page 553. — Toujours continue à elle-même, la circonférence revenant sur elle-même. - Le corps qui a la translation circulaire, et éternelle, c'est-à-dire, le ciel.

CHAPITRE XI.

Théorie de la perpétuelle et régulière succession des choses. Dans quelle mesure intervient la nécessité ; choses nécessaires et choses contingentes ; nécessité absolue, nécessité relative ; rapport du nécessaire et de l'éternel. La production des choses ne peut être perpétuelle que si elle est circulaire. — Ordre admirable des choses ; le mouvement circulaire de la sphère supérieure règle tous les mouvements inférieurs, celui du soleil, celui des saisons et tous les autres. Perpétuité des espèces ; disparition successive des individus ; éternité de certaines substances. — Fin du traité.

§ 1. Comme dans toutes les choses qui se meuvent d'un mouvement continu, soit pour se produire, soit pour s'altérer, soit en un mot pour changer, nous voyons toujours un fait exister [338a] après un autre, et un phénomène se produire à la suite d'un phénomène, de manière à ce qu'il n'y ait ni lacune ni défaillance, il nous faut rechercher s'il y a quelque chose de nécessaire, ou, si rien n'étant nécessaire, il est possible de toutes choses qu'elles ne soient pas. Or, il est évident que certaines choses sont nécessaires ; et c'est là ce qui fait que dire d'une chose précisément qu'elle sera, est tout différent de dire qu'elle doit être ; car, du moment qu'il est vrai de dire [5] d'une chose qu'elle sera, il faut aussi qu'un jour il soit vrai de dire de cette chose qu'elle est; tandis que, quand il est vrai de dire simplement d'une chose qu'elle doit être, rien n'empêche qu'elle ne soit pas : par exemple, il se peut très bien que quelqu'un qui devait se promener ne se promène pas.

§ 2. Mais comme parmi les choses qui sont, il y en a qui peuvent aussi ne pas être, il est évident qu'il en sera de même encore pour les choses qui deviennent et se produisent, et qu'il n'y a pas là non plus de nécessité. [10] Toutes les choses qui se produisent sont-elles ou ne sont-elles pas dans ce cas? N'y en a-t-il pas quelques-unes qui doivent nécessairement se produire? Et n'en est-il pas pour le devenir ce qu'il en est pour l'existence ? N'y a-t-il pas là aussi des choses qui ne peuvent pas ne pas être, tandis que d'autres le peuvent? Par exemple, il y a nécessité qu'il y ait des solstices périodiques, et il ne serait pas possible qu'ils ne fussent point.

§ 3. Ce qui est vrai, c'est qu'il faut nécessairement que l'antérieur se produise pour que le postérieur se produise aussi à son tour : [15] par exemple, pour qu'il y ait une maison, il faut d'abord qu'il y ait un fondement, et pour qu'il y ait un fondement de maison, il faut du mortier. Mais parce que la fondation a été faite, est-il nécessaire que la maison soit faite également? Ou n'est-ce nécessaire que si la maison elle-même est nécessaire d'une manière absolue? A ce point de vue alors, il est nécessaire en effet que, le fondement ayant été fait, la maison se fasse aussi ; car c'était là réellement la relation de l'antérieur au postérieur,  que, si le postérieur doit être, il faut nécessairement aussi que l'antérieur ait été avant lui.

§ 4. [20] Si donc le postérieur est nécessaire, il faut que l'antérieur le soit de même ; et si l'antérieur est nécessaire et que le postérieur le soit comme lui, ce n'est pas à cause de lui en aucune façon ; c'est seulement parce que l'on supposait la nécessité de ce postérieur lui-même. Ainsi donc, là où le postérieur est nécessaire, il y a réciprocité ; et toujours alors quand l'antérieur s'est produit, il y a nécessité que le postérieur se produise à son tour.

§ 5. [25] Si, descendant de degrés en degrés, la succession va à l'infini, dès lors il ne sera plus nécessaire que le postérieur se produise absolument. Mais ce ne sera pas même nécessaire d'après l'hypothèse qu'on vient de poser ; car il y aura toujours une autre chose qui, nécessairement, précédera le postérieur, et cette autre chose devra se produire nécessairement aussi. Par conséquent, comme il n'y a pas de principe possible pour l'infini, il n'y aura pas non plus de premier terme qui fasse que le dernier doive se produire nécessairement.

§ 6. [30] Mais même dans les choses qui ont une limite finie, il ne sera pas vrai de dire qu'il y a nécessité que les êtres se produisent absolument : par exemple, que la maison soit produite, parce que le fondement a été produit; car, si la maison a été produite, sans devoir être toujours nécessairement, il en résulterait que ce qui peut n'être pas toujours serait toujours. Mais une chose ne peut être toujours sous le rapport de sa production que si sa production est nécessaire; [35] car le nécessaire et l'éternel vont ensemble.  [338b] Ce qui est nécessairement ne peut pas ne pas être ; et par suite, s'il est nécessairement, il est par cela même éternel ; et s'il est éternel, il est nécessairement. De même encore, si la production de la chose est nécessaire, cette production est éternelle aussi ; et du moment qu'elle est éternelle, elle est nécessaire également.

§ 7. Si donc la production absolue de quelque chose est nécessaire, il faut nécessairement que cette production soit circulaire et revienne sur elle-même ; [5] car il faut absolument ou que la production ait une limite ou qu'elle n'en ait pas. Si elle n'en a pas, il faut qu'elle ait lieu en ligne droite ou en cercle. Mais pour qu'elle soit éternelle, il est impossible qu'elle soit en ligne droite ; car alors elle n'aurait pas de commencement, ni en bas, comme nous le voyons, en prenant les choses qui seront, ni en haut si nous prenons celles qui ont été. Mais il faut nécessairement un commencement à la production, sans qu'elle soit limitée ; et elle doit être éternelle. [10] Il y a donc nécessité que la production soit circulaire. C'est ainsi que la réciprocité ou le retour sera nécessaire; et, par exemple, si telle chose est nécessairement, l'antérieur de cette chose est nécessaire aussi ; et si cet antérieur est nécessaire, il faut nécessairement aussi que le postérieur se produise. Voilà donc bien une éternelle et véritable continuité; car il n'importe pas que cette continuité se fasse entre deux ou plusieurs intermédiaires. [15] Ainsi la nécessité absolue ne se trouve que dans le mouvement et dans la production circulaires ; et du moment que le cercle a lieu, chaque chose se produit ou s'est produite nécessairement; de même, que s'il y a nécessité, la production a lieu circulairement.

§ 8. Tout cet ordre est parfaitement raisonnable ; et puisqu'il a été démontré encore ailleurs que le mouvement circulaire est éternel, ainsi que le mouvement du Ciel, il est évident que tout cela se passe et se passera nécessairement, et que tous les mouvements qui se rattachent à celui-là et que celui-là produit, sont nécessaires comme lui ; [339a] car si le corps qui reçoit éternellement le mouvement circulaire le communique à quelqu'autre corps, il s'ensuit que le mouvement de ces autres corps doit être également circulaire ; et par exemple, la translation s'accomplissant d'une certaine façon dans les sphères supérieures, il faut bien que le soleil se meuve de la même manière. Du moment qu'il en est ainsi pour le soleil, les saisons ont par cette cause un cours circulaire, [5] et elles reviennent périodiquement; et tous ces grands phénomènes se passant de cette façon, tous les phénomènes inférieurs se passent avec la même régularité.

§ 9. Mais quoi ! Quand il y a des choses qui s'accomplissent réellement ainsi, et quand, par exemple, l'eau et l'air ont bien ce mouvement circulaire, puisque pour former le nuage il faut qu'il ait plu, et pour qu'il pleuve, il faut qu'il y ait un nuage, comment se fait-il que les hommes et les animaux ne reviennent pas également sur eux-mêmes, de façon à ce que le même individu reparaisse? [10] Car, de ce que votre père a été, il ne s'ensuit pas nécessairement que vous deviez être ; ce qui est seulement nécessaire, c'est que si vous êtes, il faut que votre père ait été. La cause en est que c'est là une génération qui se fait en ligne directe.

§ 10. Mais le principe de la recherche que nous nous proposons ici, ce serait encore de nous demander si toutes choses reviennent également ou ne reviennent pas sur elles-mêmes, et s'il n'est pas vrai que les unes reviennent numériquement et individuellement, tandis que les autres ne reviennent qu'en espèce. Pour toutes les choses dont la substance demeure incorruptible dans le mouvement qu'elle reçoit, il est évident qu'elles restent toujours numériquement identiques, [15] puisque le mouvement se conforme alors au mobile. Mais toutes celles, au contraire, dont la substance est corruptible, doivent nécessairement accomplir ce retour, non pas numériquement, mais uniquement sous le rapport de l'espèce. C'est ainsi que l'eau vient de l'air et que l'air vient de l'eau, le même en espèce, mais non le même numériquement. Mais s'il est des choses qui reviennent numériquement aussi les mêmes, ce ne sont jamais celles dont la substance est telle qu'elle peut ne pas être.

FIN DU TRAITÉ DE LA PRODUCTION ET DE LA DESTRUCTION DES CHOSES.
 

Ch. XI, § 1. Ni lacune ni défaillance, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — S'il y a quelque chose de nécessaire, sur la théorie de la nécessité, voir la Physique, livre II, ch. 9, page 61 de ma traduction. — Certaines choses sont nécessaires, ce sont celles qui sont les conséquences nécessaires d'une certaine hypothèse ; mais l'hypothèse elle-même n'est pas nécessaire. — Précisément, j'ai ajouté ce mot, pour fixer davantage le sens de la pensée. — Qu'elle doit être, il y a dans le mot du texte une sorte d'éventualité qui n'est pas dans l'expression française. -Simplement, j'ai ajouté aussi ce mot. Peut être au lieu de « Doit être, » vaudrait-il mieux traduire « Peut être. » Ces nuances sont très difficiles à faire passer d'une langue dans l'autre.

§ 2. Qui deviennent et se produisent, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. Il faut distinguer avec attention l'être du devenir. L'un est éternel, ou du moins durable, tandis que l'autre est contingent et passager. — Pour le devenir, je hasarde cette expression, qui répond davantage à celle de l'original. — Ne peuvent pas ne pas être, c'est-à-dire, qui sont nécessaires. — Des solstices périodiques, le texte n'est pas tout à fait aussi formel.

§ 3. L'antérieur... le postérieur, les exemples qui suivent expliquent bien le sens de ces mots. — Une maison... un fondement, c'est le même exemple à peu près que celui qui est employé dans la Physique, livre II, ch. 9, § 2, page 62 de ma traduction, pour démontrer la même pensée. — Du mortier, le texte dit précisément « de la boue. » — Que si la maison elle-même, le texte n'est pas tout à fait aussi formel. - La maison se fasse aussi, mais uniquement parce qu'elle est elle-même nécessaire, et non pas du tout parce qu'elle doit nécessairement être la conséquence de la fondation. — Le postérieur, c'est ici la maison. — L'antérieur, c'est le fondement posé pour soutenir l'édifice ; la fondation est nécessaire à la maison ; mais la maison ne l'est pas à la fondation.

§ 4. Comme lui, j'ai ajouté ces mots. — A cause de lui, la maison n'est pas du tout nécessaire en vue de la fondation, tandis que la fondation l'est en vue de la maison. — L'on supposait, c'est par simple hypothèse que la maison est nécessaire ; mais elle ne l'est pas par rapport aux matériaux sur lesquels elle est fondée. — Il y a réciprocité, c'est-à-dire que le premier est nécessaire au second, autant que le second l'est au premier.

§ 5. Si, descendant de degrés en degrés, le texte dit simplement « vers le bas. » — La succession, l'expression grecque est tout à fait indéterminée. — Va à l'infini, les commentateurs supposent qu'il s'agit d'une génération en ligne droite, soit finie, soit infinie, au lieu d'une génération circulaire, revenant sur elle-même comme celle des éléments. — D'après l'hypothèse qu'on vient de poser, le texte n'est pas aussi précis. On pourrait traduire simplement : « Mais ce ne sera pas nécessaire, » même hypothétiquement. » — Car il y aura toujours, c'est-à-dire qu'avant le dernier terme supposé nécessaire, il y aura une série de termes antérieurs, qui, étant infinie, ne pourra jamais être épuisée. D'ailleurs tout ce passage est un peu obscur, et Philopon lui-même semble s'en plaindre. — Qui fasse que le dernier, le texte n'est pas aussi précis. Dans l'infini, il n'y a ni premier terme, ni dernier ; il n'y a pas plus d'origine qu'il n'y a de fin.

§ 6. Qui ont une limite finie, ou simplement : « une fin. » — Que les êtres, l'expression du texte est tout à fait indéterminée. — Car, si la maison a été produite, j'ai suivi exactement la tournure du texte ; mais elle n'est pas très nette, et il y a quelques idées intermédiaires qui sont supprimées, au détriment de la clarté. Voici une paraphrase qui pourra éclaircir ce passage : « Même dans les choses qui ont une fin précise, il n'est pas nécessaire toujours que le postérieur suive l'antérieur; et par exemple, le fondement de la maison peut être fait, sans que la maison soit faite nécessairement après lui, bien que ce fondement soit nécessaire à la maison. Car si la maison est produite sans être d'ailleurs nécessaire, il en résulterait qu'une chose contingente cesserait d'être contingente pour devenir nécessaire. » — Qui peut n'être pas toujours, c'est-à-dire qui est contingente. — Le nécessaire et l'éternel vont ensemble, ou bien encore : « Le nécessaire est en même temps éternel aussi. »

§ 7. Soit circulaire et revienne sur elle-même, c'est un des principes les plus importants qui aient été démontres dans la Physique, livre VIII, ch. 13 et 14, pages 551 et suiv. de ma traduction. Le mouvement circulaire est le seul qui puisse être éternel. — Que la production, ou « génération. » — Ni en bas ni en haut, voir plus haut, § 5. « En bas, » indique la série descendante ; on part de ce qui est pour supposer toute la succession des êtres ; « En haut, » indique la série ascendante, puisqu'on part de ce qui est pour remonter à ce qui a été. Il n'y a alors de commencement ni dans un sens ni dans l'autre, et la série est infinie dans tous les deux, la ligne droite se prolongeant dans un développement infini. — Il faut nécessairement un commencement, ceci semble contredire les opinions bien connues d'Aristote sur l'éternité du monde. En outre, il n'y a pas dans le cercle de commencement proprement dit. — A la production... la production, le texte n'est pas aussi précis. — La réciprocité ou le retour, il n'y a qu'un seul mot dans l'original. — Une éternelle et véritable continuité, il n'y a qu'un seul mot aussi dans le texte. - Intermédiaires, l'expression grecque est tout à fait indéterminée, et j'ai dû n'être pas plus précis.

§ 8. Est parfaitement raisonnable, Aristote a toujours reconnu l'admirable régularité de la nature, sans y faire, d'ailleurs, intervenir assez directement Dieu et sa providence. — Encore ailleurs, c'est dans le Vllle livre de la Physique, ainsi que le dit Philopon. — Le corps qui reçoit éternellement le mouvement circulaire, c'est le premier mobile c'est-à-dire le ciel, ou la partie de l'univers qui est la plus éloignée de la terre. — D'une certaine façon, j'ai ajouté ces mots pour compléter la pensée. — Tous ces grands phénomènes, le texte n'est pas aussi précis. — Avec la même régularité, même observation.

§ 9. Mais quoi ! la tournure du texte n'est pas aussi emphatique. — Ont bien ce mouvement circulaire, et réciproque, de manière que l'un engendre l'autre. — Pour former le nuage il faut qu'il ait plu, voir la Météorologie, livre I, ch. 9, pages 54 et suiv. de ma traduction. — La cause en est, le texte n'est pas aussi précis. — Une génération, ou production.

§ 10. Le principe, il semble que ce serait plutôt le résumé et le complément, puisque cette discussion est la fin de ce traité. — Numériquement et individuellement, il n'y a qu'un seul mot dans le texte. — Ne reviennent qu'en espèce, c'est-à-dire que l'individu change comme du père au fils, et que l'espèce subsiste identique dans les deux êtres, dont l'un succède à l'autre. — Pour toutes les choses, réponse à la question qui vient d'être posée. — Numériquement identiques, c'est ainsi que le soleil est toujours le même, comme le remarque Philopon ; sa substance est incorruptible, et il ne change pas dans les mouvements dont il semble animé. — Le mouvement se conforme, le texte dit précisément : « Le mouvement suit le mobile. » Cette expression n'est pas très claire, et Philopon ne l'explique pas. Je crois qu'elle veut dire que le mouvement est éternel et incorruptible, comme le corps dans lequel il a lieu. — Non pas numériquement, c'est-à-dire l'individu subsistant tel qu'il est. — Sous le rapport de l'espèce, comme cela se passe du père au fils. Le père disparaît ; mais l'espèce demeure, transmise par lui à l'être qu'il a engendré. — Le même numériquement, et individuellement, l'air est spécifiquement pareil à l'air antérieur qui a disparu ; mais ce n'est pas identiquement le même. — Est telle qu'elle peut ne pas dire, c'est-à-dire qu'elle est contingente et non nécessaire. On remarquera, dans cette théorie de la perpétuité éternelle de certains corps et des espèces, une élévation et une grandeur dignes du Xlle livre de la Métaphysique et du VIIIe de la Physique. C'est aussi une nouvelle réfutation du système du hasard, qu'Aristote a toujours combattu ; voir la préface à la Physique d'Aristote, pages XCIII, Clll et suivantes, tome I ; et la préface au Traité du ciel, pages XCIV et suivantes.