Cicéron, Vie

 

CICÉRON

ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD PROFESSEUR D'ÉLOQUENCE LATINE AU COLLÈGE DE FRANCE.  - TOME PREMIER

TOME I. VIE DE CICÉRON, PAR PLUTARQUE, TRADUITE PAR AMYOT. (partie I - partie II)

 

Œuvre numérisée et mise en page par Patrick Hoffman

     Vie de Cicéron  - TABLEAU SYNCHRONIQUE...    

 

ŒUVRES

COMPLÈTES



DE CICÉRON,


AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,

PUBLIÉES

SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,

DE L'ACADEMIE FRABCAISE

INSPECTEUR GENERAL DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR.
 

TOME PREMIER






PARIS,


CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, FILS ET CIE, LIBRAIRES,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE

RU JACOB, 56

M DCCC LIX

 

(xlix) VIE

DE CICÉRON,

PAR PLUT ARQUE,

TRADUITE PAR AMYOT.

 

précédent

XLV. Un autre coup, Metellus Nepos luy dit qu'il avoit affolé96 plus d'hommes par son tesmoignage qu'il n'en avoit sauvé par sou beau parler. «Je le confesse, respondit Ciceron; aussi y a il plus de foy que d'eloquence en moy.» II y eut un jeune homme, lequel estant souspeçonné d'avoir empoisonné son père dedans un tourteau97, faisoit du mauvais et menaçoit Ciceron luy dire injure. «Encore aime je mieulx cela de toi, dit Ciceron, que je ne fais de ton tourteau.» Publius Sextius, en un procès criminel qu'il eut, le prit pour son advocat, avec encore quelques autres; mais neantmoins il vouloit luy mesme toujours parler, et ne donnoit pas loisir à ses orateurs de rien dire. A la fin, quand on veit évidemment que les juges le vouloient absouldre, ainsi qu'ilz estaient desja aux opinions, Ciceron luy dit: «Employé bien aujourdhuy le temps, car demain tu seras homme privé98 Un autre Publius Cotta vouloit estre (lxxj) tenu pour sçavant homme en droit, et n'y entendoit rien, et si n'avoit point d'eutendement. Ciceron, en quelque cause, le feit appeller en tesmoignage, et luy estant interrogué, respondit qu'il n'en sçavoit rien. Ciceron luy répliqua incontinent: «Tu penses à l'adventure que l'on te demande du droit.» Metellus Nepos, en quelque noise et debat qu'il eut avec Ciceron, lui repetoit souvent: «Qui est ton père?» Ciceron luy respondit: «Ta mère a fait de sorte qu'il te seroit bien plus malaisé de respondre à cette demande.» Car la mère de cestuy Nepos avoit le bruit d'estre peu honeste, et luy estoit homme Inconstant et léger: car estant tribun du peuple, il abandonna l'exercice de son estat pour s'en aller en Syrie devers Pompeius sans propos quelconque, et puis s'en retourna du là tout soudain encore plus follement. Et estant mort son précepteur nommé Pbilager, il le feit inhumer et ensepulturer fort soigneusement, et feit mettre dessus sa sépulture le portraict d'un corbeau de pierre. Ce que voyant Ciceron, dit: «Tu as fait en cecy fort sagement: car ce maistre icy t'a enseigné plus tost à voler qu'à parler99

XLVI. Une autre fois, Appius Clodius, plaidant une cause, au proëme de son plaidoyer dit que son amy l'avoit bien instamment requis et prié d'employer en son procès toute diligence, scavoir et fidélité. «Et dea, dit Ciceron, as tu bien puis après esté homme si dur de ne faire entièrement rien de tout cela que ton amy t'a requis?» Orquant à user de telz brocards aigres et piquans à l'encontre de ses ennemis ou de ses adversaires, c'est une partie de bon orateur; mais d'en piquer indifferemment tout le monde pour faire rire les assistans, cela lui acquit la malvueillance de beaucoup de gens, dont je mettray icy quelques exemples: Marcus Aquinius avoit deux gendres, qui tous deux estoient bannis; Ciceron, pour cela, l'appelloit Adrastus100. Lucius Cotta d'adventure estoit censeur lorsque Ciceron briguoit et prochassoit son consulat, et estant à la poursuite le jour de l'élection, il eut soif, et fut force qu'il bust; mais pendant qu'il beuvoit, tous ses amis se rengerent à l'entour de luy, et luy, achevé qu'il eust de boire, leur dit: «Vous failles bien d'avoir peur que le censeur ne se courrouce à moy de ce que je bois del'eau.» Car le censeur avoit le bruit d'aimer fort le vin. Rencontrant un jour Voconius, lequel menoit quant et luy trois sienes filles qui estoient fort laides, il s'escria tout hault:

Cestuy malgré Phœbus a semé des enfans101.

On avoit quelque opinion que Marcus Gellius n'estoit pas né de père et de mère francs et de condition libre, et un jour au senat il leut des lettres avec une voix haulte et claire à merveilles; adonc Ciceron se prit à dire à ceulx qui estoient autour de luy: «Ne vous en esbahissez pas, car il est de ceulx qui ont autrefois esté crieurs.» Faustus, le filz de Sylla qui usurpa un temps puissance souveraine comme monarque à Rome, et qui feit par affiches proscrire plusieurs Romains, à ce qu'on les peust, sans danger, occir partout où ou les trouverait, après avoir des pendu la meilleure part de son patrimoine, se trouva encore fort endebté; de sorte qu'il fut contraint d'exposer en vente, par affiches, jusques à ses meubles. Ciceron ce voyant, dit: «Encore me plaisent plus ces affiches et proscriptions que celles de son père.» Ces brocards poignans sans propos le rendirent odieux à plusieurs102.

XLVII. Mais la malvueillance grande que luy porta Clodius, commençea par telle occasion: cestuy Clodius estoit de bien noble maison, (lxxij) jeune d'aage, et au demourant homme téméraire et insolent: et estant amoureux de Pompeia, la femme de Cæsar, il trouva moyen d'entrer secrettement dedans la maison en habit et avec l'équipage d'une jeune garse menestriere, pource que ce jour là les dames romaines faisoient en la maison de Cæsar ce sacrifice là solennel et secret, qu'il n'est pas loisible de veoir aux masles, et pour ceste cause n'y avoit homme du monde sinon Clodius, qui esperoit qu'on ne le cognoistroit point à cause qu'il estoit encore jeune garson n'ayant point de barbe, et qu'il pourrait par ce moyen s'approcher de Pompeia parmy les femmes: mais estant entré la nuict dedans ceste maison grande, dont il ne scavoit pas les estres, il y eut une des chambrières de Aurelia, mère de Cæsar, qui le voyant aller errant ça et là par la maison, luy demanda qui il estoit et comme il avoit nom: si fut contraint de parler, et dit qu'il cherchoit une des servantes de Pompeia, qui s'appelloit Aura103. La chambrière cogneut incontinent que ce n'estoit point la voix ny la parole d'une femme, et s'escria, et appella les autres femmes, lesquelles fermèrent très bien les portes et cherchèrent partout, tellement qu'elles le trouvèrent dedans la chambre de la servante avec laquelle il estoit entré. Le bruit de ce scandale fut incontinent divulgué partout: car Cæsar en répudia sa femme, et l'un des tribuns du peuple appella Clodius en justice, le chargeant d'avoir poilu les sainctes cerimouies des sacrifices104.

XLVIII. Ciceron pour lors estoit encore son amy comme de celuy qui luy avoit tousjours très affectueusement assisté, et l'avoit accompagné pour le défendre, si aucun luy eust voulu faire violence, en l'affaire de la conjuration de Catilina. Clodius maintenoit fort et ferme qu'il n'estoit rien de ce dont on le chargeoit, disant qu'en ce temps là il n'avoit point esté à Rome, ains en lieux bien eloignez de la ville. Et Ciceron porta tesmoignage contre luy, parce qu'il déposa que le jour mesme il estoit venu en sa maison luy parler de quelques affaires: ce qui estoit veritable: mais toutefois il semble que Ciceron ne le faisoit pas tant pour le regard de la vérité, que pour se justifier envers sa femme Terentia, laquelle haïssoit Clodius de mort, à cause de sa sœur Clodia, qui vouloit espouser Ciceron, et faisoit conduire ceste menée par un nommé Tullus, qui estoit fort privé et familier amy de Ciceron: et pource qu'il hantoit fort souvent et visitoit ceste Clodia, laquelle demouroit tout, joignant Ciceron, Terentia en prit une jalousie en sa teste. Ceste Terentia estant femme perverse, et qui maistrisoit son mary, solicita Ciceron de courir sus à Clodius en son adversité, et de tesmoigner contre luy, comme plusieurs autres gens de bien tesmoignerent aussi, les uns qu'il estoit parjure, les autres qu'il faisoit mille insolences, qu'il corrompoit le menu peuple par argent, qu'il avoit seduit et violé plusieurs femmes. Lucullus mesme produisit des servantes, lesquelles deposerent que Clodius avoit cogneu charnellement sa propre sœur la plus jeune, durant qu'elle estoit mariée avec luy, et si estoit grand bruit qu'il avoit semblahlement eu encore affaire avec les deux autres, dont l'une s'appelloit Terentia105, et estoit mariée à Marcius Rex, et l'autre Clodia, que Metellus Celer avoit espousée, laquelle on surnommoit publiquement Quadrantaria, pource qu'un de ses amoureux luy envoya une bourse pleine de quadrins106, qui sont petites monnoyes de billon, au lieu d'argent. Clodius eut plus mauvais bruit pour celle là que pour nulle des autres.

XLIX. Toutefois le peuple vouloit mal à ceulx qui tesmoignoient contre luy et qui le poursuivoient. Ce que craignans les juges feirent mettre des gens armez alentour d'eulx au jour du jugement pour la seureté de leurs personnes: et es tablettes où ilz escrivirent leurs sentences, les lettres en la plus part estoient toutes confuses107. Toutefois, on trouva qu'il y avoit plus (lxxiij) grand nombre de ceulx qui les absouloient que d'autres. Aussi disoit on qu'il y en avoit qui s'estoient laissé gaigner et corrompre par argent. A raison de quoy Catulus les rencontrant en son chemin, après qu'ilz eurent donné leurs sentences, leur dit: «Vrayement, vous aviez bien raison de demander des gardes pour vostre seureté, car vous craigniez que l'on ne vous ostast l'argent que vous avez reçeu108.» Et Ciceron dit à Clodius, qui luy reprochoit que son tesmoignage n'avoit point eu de foy: «Mais au contraire, dit-il, vingt et cinq de tes juges m'ont creu, car autant y en a il eu qui t'ont condemné, et les trente qui ne t'ont pas voulu croire toy, car ilz ne t'ont point voulu absouldre, que premièrement ilz n'eussent touché argent.» Toutefois, en ce jugement jamais Cæsar ne porta tesmoignage contre Clodius, et dit qu'il ne tenoit pas sa femme pour adultère, mais qu'il l'avoit répudiée, pource qu'il falloit que la femme de Cæsar fust non seulement nette de tout acte deshoneste, mais aussi de tout souspecon109.

L. Ainsi estant Clodius eschappé de ceste accusation, et ayant trouvé moyen de se faire élire tribun du peuple, se meit incontinente persécuter Ciceron, remuant toutes choses, et irritant toutes sortes de gens ensemble contre luy: car premièrement il gaigna le menu peuple par ordonnances nouvelles qu'il proposa au profit et à l'advantage de la commune, et feit decerner à l'un et à l'autre des consulz de grandes et amples provinces, à Piso la Macédoine, et à Gabinius la Syrie: il feit donner le droit de bourgeoisie à plusieurs pauvres personnes: et avoit tousjours grand nombre de serfs armez alentour de luy. Or y avoit il en ce temps là trois personnages à Rome qui avoient le plus d'authorité: l'un estoit Crassus, qui ouvertement se declaroit ennemy de Ciceron; l'autre Pompeius, qui se faisait faire la cour par l'un et par l'autre: le tiers estoit Casar, lequel s'en devoit bien tost aller en la Gaule avec armée. Ciceron se jetta soubz l'aile de celuy là, encore qu'il ne luy fust pas bien asseuré amy, et qu'il se deffiast de luy pour les choses passées en la conjuration de Catilina, et le pria qu'il peust aller à lu guerre avec luy comme l'un de ses lieutenants110. Cæsar en fut content: parquoy Clodius voyant que par ce moyen il evitoit l'année de son tribunat, feit semblant de se vouloir réconcilier avec luy, disant qu'il sçavoit plus mauvais gré à Terentia de ce qu'il avoit fait contre luy, qu'à luy mesme, et parloit amiablement de luy partout où il en tenoit à propos, en disant toutes bonnes et doulces paroles, qu'il ne luy vouloit point de mal, ny n'avoit point autrement de rancune contre luy: mais qu'il s'en plaignoit seulement un peu, comme amy ayant esté offensé de son amy. Ces propos osterent toute crainte à Ciceron, tellement qu'il renoncea à la lieutenance de Cæsar, et se remeit de rechef au maniement des affaires comme devant: de quoy Cæsar estant despit, irrita et aiguillonna encore davantage Clodius encontre luy: et, qui plus est, aliena fort Pompeius de luy, et luy mesme dit et tesmoigna publiquement devant tout le peuple, qu'il luy sembloit que Ciceron avoit mal et injustement contre les loix fait mourir Lentulus, Cethegus et les autres, sans avoir esté premièrement convaincus et condemnez en jugement111: car c'es- (lxxiv) toit l'accusation de Ciceron, et ce pourquoy on l'appelloit en justice.

LI. Parquoy se voyant accusé et poursuivy de ce faict, il changea sa robbe ordinaire en vestement de dueil, et laissant croistre sa barbe et ses cheveux sans les accoustrcr ne peigner, alla par tout suppliant humblement le peuple: mais en tous lieux Clodius se trouvoit au devant de luy parmy les rues, ayant autour de luy des hommes oultrageux, insolents et injurieux, qui s'alloient deshonteement mocquans de ce qu'il avoit ainsi changé de robbe et de contenance, et bien souvent luy jettoient de la fange et des pierres, entrerompans les prières et requestes qu'il faisoit au peuple.

LII. Ce neantmoins presque tous les chevaliers romains changerent leurs robbes quant et luy, et y avoit ordinairement bien vingt mille jeunes hommes de bonnes maisons, qui le suivoient les cheveux nonchalamment avallez, et alloient prians et intercedans pour luy. D'avantage le senat s'assembla pour décerner que le peuple se vestit de dueil comme en une calamité publique: mais les consulz s'y opposèrent: et Clodius estoit avec une trouppe d'hommes armez à l'entour du senat, tellement qu'il y eust plusieurs senateurs qui s'en coururent hors, et sortirent du senat en criant et deschirant leurs habillemens par destresse: mais pour veoir tout cela, ces hommes n'en avoient point plus de pitié ny de honte, ains estoit force que Ciceron s'en allast vouluntairement en exil, ou qu'il combatist par armes contre Clodius. Adonc se tourna Ciceron à prier Pompeius de luy estre en aide: mais il s'estoit expressément retiré de la ville pour ne luy point aider, et se tenoit en une de ses maisons aux champs près la ville d'Alba: si luy envoya premièrement Piso son gendre, pour le prier, puis y alla luy mesme en personne: mais Pompeius adverti de sa venue, n'eust pas le cueur de le laisser venir en sa presence pour le regarder au visage: car il eust eu trop grande honte de refuser la requeste d'un personnage qui avoit autrefois tant travaillé pour luy et tant fait et dit de choses en sa faveur: mais estant gendre de Cæsar, à sa requeste il abandonna malheureusement au besoing celuy à qui il estoit obligé pour infinis plaisirs qu'il en avoit receuz par le passé: et pour ceste cause quand il le sentit venir, il sortit par la porte de derrière, et ne voulut point parler à luy. Ainsi Ciceron se voyant trahy de luy, et n'ayant plus au demeurant autre à qui recourir, se jetta entre les bras des deux consulz, desquelz Gabinius luy fut tousjours aspre et rude: mais Piso luy parla plus gracieusement, le priant et admonestant de s'absenter pour quelque temps, en cedant un petit à la furieuse impétuosité de Clodius, et de porter patiemment la mutation des temps, pource qu'en ce faisant, il seroit un autre fois sauveur de son païs, lequel pour l'amour de luy estoit tout en combustion.

LIII. Ceste response ouye, Ciceron s'en conseilla avec ses amis, entre lesquelz Lucullus estoit d'advis qu'il devoit demourer et qu'il seroit le plus fort: les autres112 furent d'opinion qu'il s'en allast plus tost, pource qu'il ne passeroit gueres de temps, que le peuple le regretterait, quand il auroit bien enduré de la follie et fureur de Clodius. Ciceron aima mieulx suivre ce conseil, et ayant de longtemps en sa maison une statue de Minerve, laquelle il reveroit grandement, la porta luy mcsme et la donna au Capitole, avec une telle inscription: «A Minerve, conservatrice et gardiene de Rome113.» Et luy ayans ses amis baillé des gens pour le conduire seurement, sortit de la ville environ minuict, et prit son chemin par terre à travers le païs des Lucaniens, voulant tirer en Sicile114.

LIV. Si tost que l'on sceut qu'il s'en estoit fouy, Clodius le feit bannir par arrest du peuple, et le feit déclarer par affiches publiques interdict115, avec défense de le recevoir à couvert (lxxv) a cinq cents milles à la ronde de toute l'Italie116: mais les autres portans reverence à Ciceron, ne feirent compte aucun de ceste défense, ains après luy avoir fait tout le plus courtois recueil qui leur fut possible, le convoyèrent encore au départir: excepté en une ville de Lucanie, qui lors s'appelloit Hipponium, et maintenant s'appelle Vibone, où un Sicilien, nommé Vibius117, à qui Ciceron avoit fait plusieurs plaisirs, et notamment, entre autres, l'avoit fait estre maistre des ouvriers l'année qu'il fut consul, ne le voulut oncques recevoir en sa maison: mais bien luy promeit qu'il luy designeroit un lieu aux champs, où il se pourroit retirer. Et Gaius Virginius118, pour lors præteur et gouverneur de la Sicile, qui paravant se monstroit estre son grand amy, luy escrivit qu'il ne s'approchast point de Sicile. Ces choses luy crevèrent le cueur: si dressa son chemin droit à la ville de Brundusium, là où il s'embarqua pour traverser à Dyrrachium, et eut du commencement le vent à gré: mais quand il fut en haulte mer, il se tourna et le ramena le lendemain dont il estoit party: depuis il feit voile une autre fois, et dit on qu'à son arrivée à Dyrrachium, quand il descendit et sortit hors du vaisseau, la terre trembla dessoubz luy, et la mer se retira tout ensemble, par où les devins interprétèrent que son exil ne seroit pas long, pource que l'un et l'autre estoit signe de mutation119. Mais encore qu'il vinst beaucoup de gens le visiter pour l'amitié qu'ilz luy portoient, et que les villes grecques feissent à l'envy les unes les autres à qui plus l'honoreroit, ce neantmoins il demouroit tousjours triste, et ne pouvoit faire bonne chère, ains retournoit tousjours ses yeux vers l'Italie, comme font les passionnez amoureux devers leurs amours120, se monstrant plus foible de cueur, et (lxxvj) plus laschement abbatu et abaissé de ceste siene adversité, que l'on n'eust peu esperer d'un personnage qui avoit si bien estudié et qui scavoit tant comme luy: et toutefois il prioit ses amis bien souvent de ne l'appeller point orateur, mais plustost philosophe, disant que la philosophie estoit sa principale profession, et que de l'éloquence il n'en usoit sinon comme d'un util nécessaire à qui s'entremet du gouvernement des affaires. Mais l'opinion a grande force à effacer le discours de la raison, ne plus ne moins qu'une teinture, des ames de ceulx qui s'empeschent du gouvernement des affaires publiques, et à leur imprimer les mesmes passions que sentent les hommes vulgaires pour la communication et frequentation ordinaire qu'ilz ont avec eulx, si ce n'est qu'ilz prenent bien garde à eulx, et qu'ilz vienent au maniement de la chose publique, avec ceste ferme resolution d'avoir à traitter de mesmes affaires que le vulgaire, mais non pas à s'embrouiller des mesmes passions que leur engendrent les affaires121.

LV. Or ne fut ce pas assez à Clodius d'avoir chassé Ciceron hors de toute l'Italie, car il luy brusla encore ses maisons aux champs et celle de la ville sur la place, de laquelle il feit édifier un temple de Liberté, et feit porter ses biens meubles à l'encan, là où tout le long du jour on crioit biens à vendre, et ne se trouvoit personne qui en voulust achepter: pour lesquelles violences il commencea à estre redoutable aux autres gros personnages de la ville: et tirant à son plaisir, comme il vouloit, le menu peuple abandonné à toute licence et toute insolence, il chercha de se attacher à Pompeius, en parlant mal de quelques choses qu'il avoit ordonnées du temps qu'il faisoit la guerre, dont tout le monde disoit que c'estoit très bien employé, et luy se blasmoit grandement soy mesme de ce qu'il avoit abandonné Ciceron, et s'en repentoit, taschant par tous moyens avec ses amis de le faire rappeller. Clodius au contraire s'y opposoit tant qu'il pouvoit: mais le senat unanimement ordonna qu'il ne se despescheroit ny ne s'arresteroit chose quelconque appartenant au public, que premièrement le retour de Ciceron ne fust décrété122. Lentulus estoit lors consul, et proceda la sédition et le tumulte si avant sur ce faict, qu'il y eut des tribuns du peuple qui furent blecez sur la place mesme, et Quiutus Ciceron le frère fut abbatu et caché soubz les morts.

LVI. Adonc le peuple commencea à changer de voulunté: et Annius Milo, l'un des tribuns du peuple, fut le premier qui oza mettre la main sur Clodius et le tirer par force123 en justice: et Pompeius assembla autour de sa personne bon nombre d'hommes tant de la ville de Rome mesme que des villes voisines, avec l'asseurance desquelz il sortit de sa maison, et contraignit Clodius de se retirer de la place, et lors il appella le peuple pour donner ses voix sur le rappel de Ciceron. Lon dit que jamais le peuple ne decreta chose avec si grande affection, ne si unanime consentement que ce retour: et le senat faisant à l'envy du peuple, ordonna que les (lxxvij) villes qui avoyent receu et honoré Ciceron durant son exil, en seroient louées, et que ses possessions qui avoient esté demolies et rasées par Clodius seroient restablies aux despens du public. Ainsi retourna Ciceron seize mois après son bannissement124, et en monstrerent les villes et citez par où il passa si grande réjouissance, que toutes sortes de gens luy allerent par honneur au devant, de si bonne affection et de si bon cueur, que ce que Ciceron en dit depuis estoit encore moindre que la vérité: car il dit que l'Italie le rapporta sur ses espaules jusques dedans Rome125: là où Crassus mesme, qui avant son bannissement luy estoit ennemy, luy alla diligemment au devant, et feit son appointeront avec luy, disant que c'estoit pour l'amour de son fllz qu'il le faisoit, lequel estoit grand amateur de Ciceron. Si ne fut pas plus tost de retour, qu'il espia un jour que Clodius estoit hors de la ville126, et s'en alla avec bonne compagnie de ses amis au Capitole, là où il arracha, rompit et gasta les tables, es quelles estoit enregistré et escrit tout ce que Clodius avoit fait durant son tribunat: ce que Clodius voulut depuis tourner en crime à Ciceron: mais Ciceron luy respondit, qu'il avoit indeuëment et contre les loix esté creé tribun127: ce qu'il ne pouvoit estre, attendu qu'ilestoit des familles que lon appelle patricienes, et par ce, que tout ce en quoy il estoit entrevenu en son tribunat, estoit nul. Caton se courroucea de cela et s'y opposa, non pource qu'il trouvas! rien de bon de ce que Clodius avoit fait: car au contraire, il blasmoit bien fort toute son administration: mais pource qu'il luy sembloit que ce seroit chose trop violente et desraisonnable, que le senat cassast et annullast tant de choses qui avoient esté faittes et passées durant son tribunat, mesmement qu'entre icelles estoit ce que luy mesme avoit manié en l'isle de Cypre, et en la ville de Byzance. Cela fut cause qu'il y eut quelque aliénation de vouluntez entre eulx, laquelle toutefois ne procéda point jusques à en faire aucune démonstration apparente au dehors, mais seulement jusques à se hanter et caresser moins familièrement l'un l'autre qu'ilz ne faisoient auparavant.

LVII. Quelque temps après Milo tua Clodius, et en estant appellé en justice comme homicide, il pria Ciceron de prendre la défense de sa cause: mais le senat craignant que ceste accusation de Milo, qui estoit homme courageux et personnage de qualité, ne fust cause de quelque trouble et sédition en la ville, donna commission à Pompeius de tenir la main forte à la justice, tant en ceste cause comme ès autres criminelles, à ce que la ville demourast en paix, et que les jugemens se peussent exercer en toute seureté. A (lxxviij) l'occasion de quoy, Pompeius dès la nuict précédente ayant fait saisir les plus haults lieux de la place par hommes de guerre armez qu'il disposa tout à l'environ, Milo craignant que Ciceron ne s'estonnast de veoir reluire ces armes autour de luy, pource que c'estoit chose non accoustumée, et que cela ne l'empeschast de bien plaider sa cause, le pria de se faire porter de bonne heure en littiere sur la place, et là se reposer, en attendant que tous les juges fussent venus et le parquet tout remply. Pource que Ciceron n'estoit pas seulement craintif aux armes, mais aussi à plaider: car il ne commenceoit jamais à parler que ce ne fut en crainte, et à peine cessa il de vaciller et trembler de peur lorsque son éloquence est oitja parvenue à sa fleur, et avoit attainct à la cyme de sa perfection128: tellement qu'en une cause de Lucius Murena, qui fut accusé par Caton, se perforceant de surmonter Hortensius, duquel le plaidoyer avoit esté bien estimé, il ne reposa point de toute la nuict, et pour avoir trop veillé et trop travaillé, se sentit mal, de sorte qu'il ne fut pas trouvé avoir si bien plaidé comme l'autre129. Estant doncques lors allé pour défendre la cause de Milo, quand au sortir de sa littiere, dedans laquelle il s'estoit fait porter, il apperceut Pompeius assis en hault lieu, comme s'il eust été en un camp, et la place environnée d'armes reluisantes tout à l'entour, il se troubla de telle manière, qu'à peine cuida il jamais commencer à parler, tant tout le corps luy trembloit fort, et ne pouvoit avoir sa voix: là où au contraire, Milo luy mesme assistoit asseureement et sans apparence de crainte quelconque à ce jugement de sa cause, sans que jamais il daignast ny laisser croistre ses cheveux, comme souloient faire les autres accusez, ny se vestir de robbe noire, ce qui semble avoir esté l'une des principales causes de sa condemnation: toutefois on eut opinion que ceste timidité de Ciceron procedoit plus tost de bonne affection qu'il avoit envers les siens, que de faulte de cueur ne par couardise.

LVIII. Il fut aussi eleu l'un des presbtres devins qu'ilz appellent augures130, au lieu de Crassus le jeune après qu'il eut esté tué au païs des Parthes. Depuis luy estant escheute au sort la province de la Cilicie avec une armée de douze mille hommes de pied, et deux mille cinq cens chevaux131, il monta sur mer pour y aller, et arrivé qu'il y fut, (lxxix) rendit la Cappadocie obeïssante à son roy Ariobarzanes, suivant la commission et le mandement qu'il avoit du senat: il rengea et ordonna toutes choses là et ailleurs si bien sans guerre, que Ion n'y eust scu rien désirer: et voyant que les Cilicieus estoient devenus un peu forts en bride pour la secousse que les Romains avoient receuë des Parthes, et pour les mouvemens de la Syrie, il les ramena à la raison, en leur commandant gracieusement, et ne receut jamais présent quelconque que lon luy envoyast, non pas des princes ny des roys mêmes, et si deschargea ceulx de sa province des banquets et festins qu'ilz avoient accoustumé de faire aux autres gouverneurs avant luy.

LIX. Mais luy au contraire avoit tous les jours à sa table les honestes gens de scavoir à manger avec luy, et les traitoit honestement, sans aucune superfluité toutefois. Sa maison n'avoit point de portier: ny jamais homme ne le veit couché en son lict, car dès la poincte du jour il se levoit, et en se promenant devant son logis ou se tenant debout, recueilloit gracieusement tous ceulx qui le venoient saluer et visiter. Et dit on que jamais il ne feit fouetter ny batre de verges personne, ny deschirer les vestemens132: jamais ne dit injur eà homme quel qu'il fust par cholere, ny n'en condemna à l'amende avec oultrage. Et trouvant plusieurs choses appartenantes au public, que des particuliers avoient usurpées et desrobbées, il les rendit aux villes, lesquelles par ce moyen en devindrent riches: et neantmoins encore sauva il l'honneur à ceulx que les avoient usurpées, sans leur faire autre mal, que de les contraindre à rendre ce qu'ilz detenoient du public. Il feit aussi un petit de guerre, et chassa quelques brigands qui se tenoient aux environs de la montagne d'Amanus, pour lequel exploit ses soudards le déclarèrent et le nommèrent Imperator, c'est-à-dire, souverain capitaine. Il y eut environ ce temps là un orateur Cecilius133 qui le pria par lettres de luy envoyer des leopards et des pantheres de la Cilicie pour quelque esbatement qu'il vouloit donner au peuple à Rome. Ciceron se glorifiant de ses faicts, luy rescrivit qu'il n'y avoit plus de léopards en Cilicie, et qu'elles s'en estoient fouies en la Carie de despit qu'elles avoient deveoir que toutes choses estans en paix en la Cilicie, on n'y faisoit plus la guerre que contre elles.

LX. En s'en retournant de son gouvernement, il passa par Rhodes, et feit quelque sejour à Athènes avec grand plaisir pour la mémoire du contentement qu'il avoit eu autrefois, du temps qu'il y demouroit à l'estude. Si fut visité par les premiers hommes en scavoir et en lettres qui y fussent, et veit ses familiers et amis qui pour lors y residoient. Et finablement après avoir receu de la Grece le recueil et l'honneur qui lui appartenoit, il s'en retourna à Rome, là où il trouva les partialitez ja tellement enflammées134, que lon voyoit évidemment qu'il en sortiroit à la fin une guerre civile. A l'occasion de quoy le senat ayant décerné qu'il entreroit en triumphe dedans la ville, il respondit que plus vouluntiers il suivroit le chariot triumphant de Cæsar, y ayant un bon accord fait entre eulx, de quoy faire il les exhorta et conseilla fort, en escrivant par plusieurs fois à Cæsar, et en priant de bouche Pompeius luy mesme en présence, taschant addoulcir et appaiser l'un et l'autre par tous moyens: mais le mal estant si incurable, qu'il n'y avoit plus ordre ne moyen de les pouvoir accorder, quand Pompeius sentit Cæsar approcher, il n'oza demourer en la ville, ains en sortit avec plusieurs autres gens de bien et grands personnages. Ciceron ne le suivit point en ceste fuitte: et pourtant estima lon qu'il fust pour se joindre au parti de Cæsar, et est certain qu'il fut en très grande perplexité, ne sachant comment s'en resouldre, et en grande destresse en son entendement. Car il escrit en ses Epistrès: «De quel costé me doy je tourner? Pom«peius a bien la meilleure et la plus honeste cause de faire la guerre, mais Cæsar conduit mieulx son affaire, et se gouverne mieulx pour s'asseurer luy et les siens: de sorte que j'ay bien qui fouir, mais non pas à qui recourir.»

LXI. Sur ces entrefaittes, il y eut un des familiers de Cæsar nommé Trebatius, qui luy escrivit un lettre, par laquelle il luy mandoit que Cæsar estoit d'advis qu'il s'en devoit principalement venir vers luy pour courir sa fortune et participer à son espérance: mais s'il faignoit de ce faire pour le regard de sa vieillesse, qu'il s'en devoit aller en la Grèce se reposer et s'oster de devant les uns et les autres. Ciceron trouvant estrange comment Cæsar ne luy avoit escrit luy mesme, respondit en cholere «qu'il ne feroit rien indigne de ce qu'il avoit fait au demourant de sa vie.» Voilà ce qu'il en escrivit en ses lettres missives. Mais s'en estant Cæsar allé en Hes- (lxxx) pagne, il monta incontinent en mer pour s'en aller trouver Pompeius: là où arrivé qu'il fut, tous les autres le veirent vouluntiers, excepté Caton, lequel à part en secret le reprit bien fort de ce qu'il s'estoit venu joindre à Pompeius, disant «que quant à soy il ne luy eust pas esté honeste d'abandonner alors le party qu'il avoit dès le commencement choisy et suivy au gouvernement de la chose publique: mais quant à luy, qu'il eust esté plus utile et pour le bien public du païs, et particulièrement pour tous ses amis, qu'il fust demouré neutre entre les deux parties, en s'accommodant selon ce qui adviendroit, et qu'il n'y avoit nulle raison, ny cause nécessaire qui le contraignist de se declarer ennemy de Cæsar, et de venir là se jetter en un si grand péril.» Ces remonstrances de Caton renverserent toute la resolution de Ciceron, avec ce que Pompeius ne se servoit de luy en nulle chose de conséquence: de quoy toutefois il estoit plus cause luy mesme que Pompeius, parce qu'il confessoit ouvertement qu'il se repentoit d'estre venu là, et que ordinairement il ravalloit et faisoit les préparatifs de Pompée petits, et qu'il trouvoit mauvaises toutes leurs délibérations, ce qui le rendoit suspect: et si ne se pouvoit pas tenir de laisser eschapper tousjours quelque mot de risée et de mocquerie encontre ceulx de son party, combien que luy mesme n'eust aucune envie de rire: car il alloit par le camp triste et pensif135, mais il disoit tousjours quelque brocard qui faisoit rire les autres, encore qu'ilz en eussent aussi peu de voulunté que luy.

LXII. Si ne sera point hors de propos en mettre quelques uns en cest endroit. Domitius136 taschoit d'avancer un certain personnage auquel il vouloit faire donner une place de capitaine, et pour le recommander disoit, qu'il estoit homme honeste, sage et modeste. Ciceron ne se peut tenir de luy dire, «Que ne le gardes tu donc pour gouverner tes enfans?» Il y en avoit qui louoient Theophanes Lesbien137, qui estoit maistre des ouvriers du camp, de ce qu'il avoit bien reconforté les Bhodiens touchant la perte qu'ilz avoient faitte de leurs vaisseaux: «Voyez, dit Ciceron, quel grand bien c'est d'avoir un maistre des œuvres grec138.» Quand ce vint à joindre de près, que Cæsar avoit quasi l'avantage, et les tenoit presque assiégez, Lentulus dit un jour qu'il entendoit que les amis de Cæsar estoient tous tristes et melancholiques. Ciceron luy respondit, «Dis-tu qu'ilz portent mauvaist voulunté à Cæsar?» Un autre nommé Marcius, venant tout freschement d'Italie, dit que le bruit estoit à Rome, que Pompeius estoit assiégé: Ciceron luy dit, «Comment t'es-tu donc embarqué pour le venir voir toy mesme, à fin que tu le creusses quand tu l'aurois veu?» Après la desfaitte il y eut un Nonnius qui dit que lon devoit encore avoir bonne esperance, pource que l'on avoit pris sept aigles139 dedans le camp de Pompeius, «Ton admonestement ne seroit pas mauvais, luy dit Ciceron, si nous avions à combatre contre des pies ou des geays.» Labieuus alloit asseurant sur la fiance de quelques oracles, qu'il estoit force que Pompeius enfin demourast supérieur: «Voiremais, dit Ciceron, avec toute ceste belle ruze de guerre, nous avons naguères perdu notre camp pourtant.140»

(lxxxi) LXIII. Après la journée de Pharsale, en laquelle, il ne se trouva pas, pour ce qu'il estoit malade, s'en estant Pompeius fouy, Caton se trouvant à Dyrrachium, là où il avoit ramassé bon nombre de gens de guerre, et grosse flotte de vaisseaux, le pria de prendre la charge et la superintendance de toute ceste armée, comme il luy appartenoit ayant esté consul. Ciceron non seulement le refuza, mais aussi leur déclara qu'il ne vouloit plus en sorte quelconque s'entremettre de ceste guerre, ce qui fut presque cause de le faire tuer, pource que le jeune Pompeius et ses amis qui estoient là l'appellerent traistre, et desguainnereut leurs espées sur luy pour le tuer, n'eust esté Caton qui se meit entre deux, et eut beaucoup d'affaire à le sauver, et à l'envoyer à sauveté hors du camp.

LXIV. Quand il fut arrivé à Brundusium, il séjourna là quelque temps, attendant Cæsar qui tardoit à venir141, pour les affaires qu'il trouva tant en Asie qu'en Ægypte; mais finablement la nouvelle estant venue qu'il estoit arrivé à Tarente, et qu'il s'en venoit de là par terre à Brundusium, il se partit pour aller au devant de luy, ne se défilant pas que Cæsar ne fust pour luy pardonner, ains ayant honte de se présenter à un sien ennemy victorieux en présence de tant de gens qu'il y avoit à l'entour de luy: toutefois, il ne fut point contrainct de faire ne dire chose aucune derogeante à sa dignité: car Cæsar le voyant venir au devant de luy bien loing devant la trouppe des autres, descendit de cheval et l'embrassa, et chemina bien longuement devisant tousjours avec luy seul à seul, et de là en avant continua tousjours à l'honorer et caresser, de sorte que Ciceron ayant escrit un traitté à la louange de Caton, Cæsar en escrivit à rencontre un autre, auquel il loua l'éloquence et la vie de Ciceron, comme semblable à celle de Pericles et de Theramenes. Ce traitté de Ciceron est intitulé Caton, et celuy de Cæsar Anticaton, c'est-à-dire, contre Caton.

LXV. Et dit on davantage que Quintus Ligarius estant accusé d'avoir porté les armes contre Cæsar, Ciceron le prit à défendre, et que Cæsar dit à ses amis, qui estoient autour de luy: «Que nous nuira d'ouir Ciceron qu'il y a long temps que nous n'ouysmes? car au demeurant Ligarius est, quant à ma resolution, pieça tout condemné, pource que je le tiens pour un mauvais homme et pour mon ennemy.» Mais Ciceron n'eut pas plus tost commencé à entrer en propos, qu'il l'émeut merveilleusement, estant son propos si plein de bonne grâce, et si véhément en affections, que l'on dit que Cæsar changea sur l'heure de plusieurs couleurs, monstrant évidemment à sa face qu'il sentoit toutes sortes de mouvemens en son cueur, jusques à ce que finablement l'orateur vint à toucher la bataille de Pharsale: car alors Cæsar, transporté hors (lxxxij) de soy, tressaillit de toute sa personne, de sorte que quelques papiers qu'il tenoit luy tombèrent des mains, et fut contrainct malgré luy, contre son préjudice, d'absouldre Ligarius.

LXVI. Depuis estant la chose publique reduitte en monarchie, quittant de tout poinct le maniement des affaires, il se meit à enseigner la philosophie aux jeunes hommes qui le voulurent hanter, par la fréquentation desquelz, pource que c'estoient presque tous les premiers et les plus nobles de la ville, il vint de rechef à avoir autant ou plus d'authorité en la ville que jamais. Son estude et occupation estoit de composer des discours de philosophie, en manière de dialogues et devis, et d'en translater de grec en latin, mettant peine de rendre les paroles grecques142, qui sont propres aux dialecticiens ou aux physiciens, par autres latines: car ce a esté, comme lon dit, le premier qui a donné noms latins à ces mots grecs, qui sont propres aux philosophes, phantasia, c'est à dire, apprehension, catathesis, consentement, epoché, doubte, catalepsis, comprehension, atomon, indivisible, ameres, simple, cenon, vuide, et plusieurs autres semblables143: au moins si ce n'a esté le premier, ce a bien esté celuy qui plus en a inventé et usé, en tournant aucuns par translations, autres en termes propres, si bien qu'ilz estoient receuz, usitez et entendus de chascun.

LXVII. Quant à la facilité et promptitude d'escrire vers, il en usoit aucune fois par manière de passe temps: car on dit que quand il s'y mettoit une fois, il en escrivoit bien cinq cents pour une nuict. Or durant tout ce temps là il se tenoit presque ordinairement aux champs, en quelques maisons qu'il avoit auprès de Thusculum, de là où il escrivoit à ses amis, qu'il menoit la vie de Laertes144, soit qu'il le dist en jouant, comme c'estoit bien sa coustume, ou pource qu'il sentist des pointures de l'ambition qui luy feissent desirer de retourner au maniement des affaires, et s'ennuyer de l'estat présent de la chose publique: tant il y a qu'il venoit bien peu souvent à la ville, pour visiter et entretenir Cæsar seulement, et estoit tousjours le premier à approuver et confirmer les honneurs qui lui estoient décernez, et s'estudioit à dire tousjours quelque chose de nouveau à la louange de luy et de ce qu'il faisoit, comme fut ce qu'il dit touchant les statues de Pompeius, lesquelles ayans esté abbatues, Cæsar commanda qu'elles fussent redressées, comme elles le furent: car Cicéron dit alors «que Cæsar, par ceste humanité d'avoir fait redresser les statues de Pompeius, avoit asseuré les sienes.»

LXVIII. Mais ayant proposé d'escrire toute l'histoire romaine, et y mesler parmy beaucoup des Grecques, en y adjouxtant toutes les fables et fictions entièrement que les Grecs escrivent et racomptent, il fut surpris de plusieurs affaires et accidents publiques et privez, qui l'accueillirent oultre son gré, dont toutefois il s'en procura la plus part luy mesme: car premièrement il répudia sa femme Terentia, pource qu'elle n'avoit tenu compte de luy durant la guerre, de manière qu'il se partit de Rome sans avoir ce qui luy estoit nécessaire pour s'entretenir hors de sa maison, et encore quand il s'en retourna ne feit elle aucun acte ny devoir de bonne affection envers luy: car elle ne vint onques à Brundusium, là où il séjourna longtemps; et, qui pis est, à sa fille, qui eut bien le cueur de se mettre en chemin pour faire un si long voyage, elle ne luy donna ny suitte, ny compagnie, ny argent et equippage tel comme il luy appartenoit, ains feit en sorte que Ciceron, à son retour, trouva sa maison vuide, et ayant faulte de toutes choses necessaires, et au contraire bien lourdement chargée de debtes145: c'estoient les plus honestes (lxxxiij) causes que l'on alleguast de leur divorce. Mais oultre ce que Terentia les nioit, luy mesme luy donna bien grand moyen de s'en justifier, parce que peu de temps après il espousa une jeune fille dont il estoit devenu amoureux, comme disoit Terentia, pour sa beaulté, ou, comme Tiro son serviteur a escrit, pour sa richesse, à fin que des biens d'elle il peust payer ses debtes: car elle estoit fort riche, et luy gardoit Ciceron ses biens ayant esté institué héritier commissaire, pour cest effect: et pource qu'il devoit une grosse somme d'argent, ses parens et ses amis luy conseillèrent d'espouser ceste jeune fille, encore qu'il fust hors d'aage pour elle, à fin que des biens d'elle il peust satisfaire à ses créanciers: mais Antonius faisant mention de ce mariage es responses qu'il feit à rencontre des Philippiques de Ciceron, lui reproche qu'il avoit chassé une femme auprès de laquelle il estoit envieilly, se mocquant clamamment en passant de ce qu'il avoit esté homme oiseux, qui ne s'estoit jamais party de sa maison, ny n'avoit esté en guerre pour faire service à la chose publique. Peu de temps après qu'il eut espousé cette seconde femme, sa fille mourut en travail d'enfant en la maison de Lentulus146, auquel elle avoit esté mariée en secondes nopces après la mort de Piso, son premier mary, si le vindrent veoir les philosophes et les gens de lettres de tous costez, pour le reconforter: mais il porta si impatiemment ceste mort, qu'il en repudia sa seconde femme, pource qu'il luy fut advis qu'elle se resjouit de la mort de sa fille. Voilà l'estat auquel estoient les affaires de sa maison.

LXIX. Quant à la conjuration à rencontre de Cæsar, il n'en fut point participant, encore qu'il fust des plus grands amis de Brutus, et qu'il fust desplaisant de veoir les choses reduittes en l'estat qu'elles estoient, et qu'il regretast le passé autant que nul autre: mais les conjurez eurent peur de sa nature, qui avoit faulte de hardiesse, et de son aage, auquel bien souvent l'asseurance vient à faillir aux plus fortes et plus constantes natures. Toutefois la conspiration ayant esté executée par Brutus et par Cassius, les amis de Cæsar s'estans bendez ensemble, ou eut grande double que la ville ne tumbast de rechef en guerres civiles. Et Antonius qui lors estoit consul feit assembler le senat: là où il parla quelque peu de réduire les choses à concorde: mais Ciceron ayant fait plusieurs remonstrances propres au temps, proposa finablement au senat de decerner à l'exemple des Athéniens une générale abolition147 et oubliance des choses failles à l'encontre de Cæsar, et de distribuer à Brutus et à Cassius quelques gouvernemens de provinces: mais il ne s'en feit du tout rien: car le peuple de luy mesme s'esmeut à pitié et compassion quand il veit porter le corps à travers la place. Et quand Antonius davantage leur monstra sa robbe toute pleine de sang, percée et détaillée de coups d'espée, adonc devindrent ilz presque furieux de courroux, cherchans par la place s'ilz trouveroient aucuns de ceux qui l'avoient tué: et prenans des tizons de feu s'en coururent vers leurs maisons pour les y brusler; mais eulx ayans bien preveu ce danger s'en sauverent: et se doubtans que s'ilz demouroient à Rome ilz auraient beaucoup de telles alarmes, ilz abandonnèrent la ville.

LXX. Parquoy Antonius incontinent leva la teste haulte, et devint redoutable à tous, comme pretendant à se faire monarque, mais plus encore a Ciceron qu'à nul autre: car Antonius voyant que Ciceron commenceoit à rentrer en authorité au maniement des affaires, et scachant qu'il estoit familier amy de Brutus, ne le voyoit point voulunliers auprès de luy, et si avoit encore d'ailleurs souspeçon entre eulx deux pour la diversité de leurs meurs et la difference de leurs natures: ce que craignant Ciceron, fut premièrement en propos de s'en aller au gouvernement de la Syrie soubz Dolabella, comme l'un de ses lieutenans: mais ceulx qui estoient désignez pour estre consulz l'année ensuivant après Antonius, deux hommes de bien, grands zelateurs de Ciceron, Hircius et Pansa, le prièrent de ne les abandonner point, prenans sur eulx qu'ils aboliroient ceste trop grande puissance d'Antonius, pourveu qu'il voulust demourer avec eulx. Parquoy Ciceron ne les croyant, ny ne les descroyant pas aussi du tout, laissa aller Dolabella, et promeit à Hircius et Pansa (lxxxiv) qu'il passeroit son esté à Athenes, et que si tost qu'ilz auroient pris possession de leur consulat, il s'en retournerait à Rome: et en ceste resolution monta sur mer tout seul pour s'en aller en la Grece.

LXXI. Mais ainsi qu'il advient souvent, il y eut quelque empeschement qui le retarda qu'il ne peut faire voile, et luy venoient tous les jours nouvelles de Rome, comme est bien la coustume, que Antonius s'estoit merveilleusement changé, et qu'il ne faisoit plus rien, sinon avec l'authorité et le consentement du senat, et qu'il ne tenoit plus qu'à sa presence que toutes les choses n'allassent bien. Adonc luy mesme condemnant sa trop grande crainte, s'en retourna de rechef à Rome, là où il ne se trouva point deceu de sa première esperance, tant il sortit de gens qui allèrent au devant de luy, de sorte qu'il consuma presque tout un jour à embrasser et toucher en la main de ceulx qui par honneur l'estoient venu rencontrer tant à la porte de la ville, que par le chemin jusques en sa maison. Le lendemain Antonius feit assembler le senat, et le feit nommeement appeller: il n'y voulut pas aller, ains se meit au lict, feignant se trouver mal pour le travail qu'il avoit enduré le jour précèdent: mais la vraye cause pour laquelle il n'y alloit pas, estoit la crainte et le souspecon d'une embusche que l'on luy avoit dressée sur le chemin s'il y fust allé, ainsi qu'il luy avoit esté revelé par un de ses amis. Antonius fut marry de ce qu'on le calumnioit à tort de le faire aguetter, et envoya des soudards en sa maison, ausquelz il commanda de l'amener comment que ce fust, ou de mettre le feu dedans sa maison: toutefois plusieurs s'en entremirent, qui le prièrent de n'en faire rien, et se contenta de faire seulement prendre des gages en sa maison148.

LXXII. Depuis çeste heure là, ils continuerent toujours à s'entreharceler tout doulcement neantmoins, en se donnant garde l'un de l'autre, jusques à ce que le jeune Cæsar, retournant de la ville d'Apollonie, se porta pour héritier de Julius Cæsar, et vint en différent avec Antonius pour la somme de deux millions cinq cent mille escus149, qu'il retenoit riere luy des biens de Cæsar. A l'occasion de quoy Philippus qui avoit espousé la mère de ce jeune Cæsar, et Marcellus, qui estoit mary de sa sœur, s'en allèrent avec luy devers Cicéron, et convindrent ensemble que Ciceron presteroit au jeune Cæsar la faveur de son authorité et de son eloquence, tant envers le senat qu'envers le peuple, et que le jeune Cæsar en recompense asseureroit Ciceron par le moyen de son argent et de ses armes: car le jeune homme avoit desjà autour de luy plusieurs des vieux soudards qui avoient esté à la guerre soubz Cæsar. Et davantage il y avoit une autre cause que faisoit que Ciceron acceptait bien vouluntiers l'amitié de ce jeune Cæsar: c'est que du vivant de Pompeius et de Julius Cæsar, il luy fut advis une nuict en songeant, que lon feit appeller les enfans des sénateurs au Capitole, pource que Jupiter avoit ordonné de monstrer celuy qui devoit un jour estre chef et prince de Rome, et que tous les Romains, de grand désir qu'ilz avoient de veoir qui ce seroit, estoient tous accourus autour du temple: et que tous les enfans semblablement estoient là attendans avec leurs belles robbes bordées de pourpre, jusques à ce que soudainement les portes du temple s'ouvrirent: et adonc les enfans se levèrent les uns après les autres et allèrent passer au long de la statue de Jupiter, qui les regarda tous et les renvoya bien mal contents, excepté ce jeune Cæsar, auquel quand il vint à passer devant luy, il tendit la main, et dit: «Seigneurs Romains, cest enfant icy est celuy qui mettra fin à vos guerres civiles, quand il sera vostre chef.» Lon dit que Ciceron eut ccste vision en dormant, et qu'il imprima bien fermement en sa mémoire la forme du visage de l'enfant, mais qu'il ne le cognoissoit point, et que le lendemain il s'en alla expressément au champ de Mars, où se souloient aller esbatre les jeunes gens, là où il trouva que les enfans ayans achevé leurs exercices, s'en retournoient en leurs maisons, et qu'entre eulx il apperceut le premier celuy qu'il avoit veu en songeant150, et le recogneut fort bien, dequoy estant encore plus esbahy, il luy demanda qui estoit son père et sa mère. Il estoit filz d'un Octavius, homme non autrement de grand renom, et de Aecia151, (lxxxv) sœur de Julius Cæsar, lequel n'ayant point d'enfant, l'institua par testament son héritier, en luy laissant ses biens et sa maison. Depuis ce temps là, on dit que Ciceron estoit bien aise de parler à luy quand il le pouvoit rencontrer, et que luy aussi recevoit aimablement le bon recueil et la chère que luy faisoit Ciceron; car encore de bonne adventure il avoit esté né l'année mesme de son consulat.

LXXIII. Voilà les causes que lon allègue de l'inclination que Ciceron avoit à ce jeune Cæsar: mais, à la vérité, la haine grande qu'il portoit à Antonius premièrement, et puis sa nature qui estoit ambitieuse, furent, à mon advis, les principales causes qui luy donnèrent ce goût pour Cæsar, estimant que le port de sa puissance en armes luy servirait à fortifier son authorité au maniement des affaires, avec ce que le jenne homme le scavoit si bien flatter qu'il l'appelloit son père152, de quoy Brutus se courrouceant fort es epistres qu'il escrit à Atticus, reprent aigrement Ciceron, disant «que pour la crainte qu'il avoit d'Antonius, il se soubmettoit à ce jeune Cæsar, et monstroit ne tascher pas tant à remettre Rome en liberté, comme il prochassoit d'avoir un maistre doulx et gracieux.» Toutefois, Brutus ne laissa pas pour cela d'emmener avec luy le filz de Ciceron, qui estudioit à Athènes en la philosophie, et luy donner charge de gens auprès de luy, et de s'en servir en plusieurs endroits esquelz il se porta très bien. Mais l'authorité et la puissance de Ciceron fut alors en vigueur plus grande qu'elle n'avoit encore jamais esté153: car il faisoit et obtenoit tout ce qu'il vouloit, et embrouilla si bien Antonius qu'il le chassa de la ville, et envoya contre luy pour le combattre tous les deux consulz Hircius et Pansa, et feit que le senat ordonna au jeune Cæsar des sergens pour porter les haches devant luy, et tout l'autre ornement et equippage de præteur, comme combatant pour le bien public. Mais après qu'Antonius eut perdu la bataille, et que tous les deux consulz y eurent esté tuez, toutes les armées se rengerent ensemble à Cæsar. Le senat adonc ayant peur de ce jeune homme qui avoit la fortune si grande, tascha de rappeller par honneurs et par presens les armées qu'il avoit autour de luy154, et luy distraire ceste si grande puissance, disant qu'il n'estoit plus besoing de force pour la defense de la chose publique, puisque l'ennemy Antonius s'en estoit enfuy. Ce que craignant Cæsar, envoya secrettement devers Ciceron gens pour luy suader et le prier de procurer qu'ilz fussent eulx deux eleus ensemble consulz, et que quand ilz seraient en l'estat, il ordonnerait de toutes choses ainsi que bon luy semblerait, et manierait ce jeune homme à son plaisir, lequel n'en désirait avoir que le tiltre et l'honneur seulement. Cæsar mesme confessa depuis que, craignant d'estre tout à plat ruiné et de demourer tout seul, il s'estoit servi bien à poinct à son besoin de l'ambition de Ciceron, et qu'il l'avoit exhorté et solicité de demander le consulat avec le port et la faveur qu'il luy ferait155.

(lxxxvj) LXXIV. Là fut Ciceron bien abuzé et affiné tout vieil qu'il estoit, par ce jeune homme, quand il se laissa conduire à favoriser sa poursuitte du consulat, et luy rendre le senat favorable, dont sur l'heure mesme il fut grandement repris par ses amis, et peu après il s'apperceut bien qu'il s'estoit ruiné luy mesme, et avoit quant et quant perdu la liberté de son païs: car ce jeune homme se trouvant grand par son moyen, si tost qu'il se veit prouveu du consulat, le planta là, et s'accorda avec Antonius et Lepidus; et assemblant ses forces avec les leurs, partagea avec eulx l'empire romain, ne plus ne moins que si c'eust esté un héritage commun entre eulx, et fut fait un rolle de plus de deux cents personnes que lon devoit faire mourir; mais le plus grand différent et plus mal aisé à accorder qu'ilz eurent entre eulx, fut de la proscription de Ciceron: car Antonius ne vouloit entendre à appointement quelconque que celny là premièrement ne mourust: Lepidus estoit de son advis: et Cæsar leur contredisoit à tous deux. Leur entreveuë fut auprès de la ville de Boulogne156, là où ilz furent trois jours à parlementer eulx trois tout seulz eu secret dedans un lieu environné tout à l'entour d'une petite rivière, et dit on que les deux premiers jours Cæsar teint bon pour Ciceron, mais que le troisième il se laissa aller, et qu'il l'abandonna. Le contre eschange qu'ilz feirent entre eux fust tel: Cæsar abandonna Ciceron, et Lepidus son propre frère Paulus, et Antonius bailla aussi Lucius Cæsar, qui estoit son oncle, frère de sa mère157, tant ilz se jetterent hors de toute raison et de toute humanité pour servir à la passion de leur furieuse haine et enragé courroux, ou, pour mieulx dire, ilz monstrerent qu'il n'y a beste sauvage au monde si cruelle que l'homme, quand il se treuve en main la licence et le moyen d'exécuter sa passion.

LXXV. Pendant que ces choses se faisoient, Ciceron estoit en une de ses maisons aux champs près la ville de Thusculum, ayant son frère Quintus Ciceron avec luy, là où leur estant venue la nouvelle de ces proscriptions, ilz résolurent de descendre à Astyra158, qui est un lieu joignant la marine, où Ciceron avoit une maison, pour là s'embarquer et s'en aller en Macedoine devers Brutus: car il estoit ja bruit qu'il se trouvoit fort et puissant; si se feirent porter tons deux en littieres, estans si affoiblis d'ennuy et de douleurs, qu'à peine eussent ilz peu autrement aller; et par les chemins faisans approcher leurs littieres coste à coste l'une de l'autre, alloient deplorans leurs misères, mesmement Quintus qui perdoit patience. Si luy souvint encore qu'il n'avoit point pris d'argent au partir de la maison, et Ciceron son frère en avoit luy mesme bien petit, et à ceste cause qu'il valoit mieulx que Ciceron gaignast tousjours le devant, ce pendant que luy iroit un tour courant jusques eu sa maison pour prendre ce qui luy estoit nécessaire, et s'en recourir incontinent après son frère159. Ilz furent tous (lxxxvij) deux de cest advis, et s'entrembrassans en plorant tendrement, se departirent l'un de l'autre. Peu de jours après, Quintus ayant esté trahy et decelé par ses propres serviteurs à ceulx qui le cherchoient, fut occis luy et son fils: mais Ciceron s'estant fait porter jusques à Astyra, et y ayant trouvé un vaisseau, s'embarqua incontinent dedans, et alla cinglant au long de la coste jusqu'au mont de Circé avec bon vent: et de la voulans les mariniers incontinent faire voile, il descendit en terre, soit ou pource qu'il craignist la mer, ou qu'il ne fust pas encore du tout hors d'espérance que Cæsar ne l'auroit point abandonné, et s'en retourna par terre devers Rome bien environ six lieues; mais ne sçachant à quoy se resouldre et changeant d'advis, il se feit de rechef reporter vers la mer, là où il demoura toute la nuict en grande destresse et grande agonie de divers pensemens: car il eut quelquefois fantasie de s'en aller secretteraent en la maison de Cæsar, et de se tuer luy mesme à son foyer, pour luy attacher les furies vengeresses de son sang: mais la crainte d'estre surpris par le chemin et tourmenté cruellement le destourna de ce propos; parquoy reprenant de rechef autres advis mal digerez pour la perturbation d'esprit en laquelle if estoit, il se rebailla à ses serviteurs à conduire par mer en un autre lieu nommé Capites160, là où il avoit maison et une fort doulce et plaisante retraitte pour la saison des grandes chaleurs, quand les vents du nord, que l'on appelle Etesiens, souflent au cueur de l'esté, et y a un petit temple d'Apollo tout sur le bord de la mer, duquel il se leva une grosse compagnie de corbeaux161, qui avec grands cris prindrent leur vol vers le bateau dedans lequel estoit Ciceron, qui voguoit le long de la terre; si s'en allèrent ces corbeaux poser sur l'un et l'autre bout des verges de la voile, les uns crians, les autres becquettans les bouts des cordages, de manière qu'il n'y avoit celuy qui ne jugeast que c'estoit signe de quelque malheur à venir.

LXXVI. Ciceron neantmoins descendit à terre, et entra dedans le logis, où il se coucha pour veoir s'il pourroit reposer: mais la plus part de ces corbeaux s'en vint encore jucher sur la fenestre de la chambre où il estoit, faisant si grand bruit que merveille, et y en eut un entre autres qui entra jusques sur le lict où estoit couché Ciceron, ayant la teste couverte, et feit tant qu'il lui tira petit à petit avec le bec, le drap qu'il avoit sur le visage: ce que voyans les serviteurs, et s'entredisans qu'ilz seraient bien lasches s'ilz attendoient jusques à ce qu'ilz veissenit tuer leur maistre devant leurs yeux, là où les bestes luy vouloient aider et avoient soing de son salut, le voyans ainsi indignement traitté, et eulx ne faisoient pas tout ce qu'ilz pouvoient pour tascher à le sauver: si feirent tant moitié par prières, moitié par force162, qu'ilz le remeirent en sa littiere pour le reporter vers la mer: mais, sur ces entrefaittes, les meurtriers qui avoient charge de le tuer, Herennius un centenier, et Popilius Lena, capitaine de mille hommes, que Ciceron avoit autrefois défendu en jugement, estant accusé d'avoir occis son propre père, ayans avec eulx suitte de soudards, arrivèrent, et estans les portes du logis fermées, les meirent à force dedans, là où ne trouvans point Ciceron, ils demandèrent à ceux du logis, où il estoit. Ilz respondirent qu'ilz n'en scavoient rien. Mais il y eut un jeune garson, nommé Philologus163, serf affranchy par Quintus, à qui Ciceron enseignoit les lettres et les arts libéraux, qui descouvrit à cestuy Hereunius, que ses serviteurs le portoient dedans une littiere vers la mer par des allées qui estoient couvertes et umbragées d'arbres de costé et d'autre. Le capitaine Popilius incontinent prenant avec lui quelque nombre de ses soudards, s'en courut à l'entour par dehors pour l'attraper au bout de l'allée, et Herennius s'en courut tout droit par les allées. Ciceron qui le sentit aussi tost venir, commanda à ses serviteurs qu'ilz posassent sa lit- (lxxxviij) tiere164, et prenant sa barbe avec la main gauche, comme il avoit accoustumé, regarda franchement les meurtriers au visage, ayant les cheveux et la barbe tout hérissez et pouldreux, et le visage desfaict et cousu pour les ennuis qu'il avoit supportez, de manière que plusieurs des assistens se bouchèrent les yeux pendant que Herennius le sacrifioit: si tendit le col hors de sa littiere, estant aagé de soixante et quatre ans165, et luy fut la teste couppée par le commandement d'Antonius, avec les deux mains166, desquelles il avoit escrit les oraisons (lxxxix) Philippiques contre luy: car ainsi avoit Ciceron intitulé les harengues qu'il avoit escrittes en haine de luy, et sont encore ainsi nommées jusques aujourd'huy.

LXXVII. Quand on apporta ces pauvres membres tronçonnez à Rome, Antonius estoit d'adventure occupé à présider l'election de quelques magistrats, et l'ayant ouy et veu, il s'escria tout hault«que maintenant estoient ses proscriptions executées,» et commanda que lon allast porter la teste et les mains sur la tribune aux harengues, au lieu qui se nommoit Rostra.

LXXVIII. Ce fut un spectacle horrible et effroyable aux Romains, qui n'estimèrent pas veoir la face de Ciceron, mais une image de l'âme et de la nature d'Antonius, lequel entre tant de mauvais actes, en feit un seul où il y eut quelque apparence de bien, c'est qu'il meit Philologus entre les mains de Pomponia, femme de Quintus Cicero, et elle l'ayant en sa puissance oultre les autres cruelz tourmens quelle luy feit endurer, le contraignit de coupper luy mesme de sa chair propre par morceaux, et les rostir, et puis les manger. Ainsi l'escrivent aucuns des historiens: toutefois Tiro, qui estoit serviteur affranchy de Ciceron, ne fait aucune mention de la trahison de ce Philologus. Mais j'ay entendu que Cæsar Auguste longtemps depuis alla un jour

(xc) veolr un de ses nepveux, lequel tenoit en ses mains un livre de Ciceron, et que luy craignant que son oncle ne fust mal content de luy trouver ce livre en la main, le cuida cacher soubz sa robbe. Cæsar le veit, et le luy prit, et en leut tout de bout une grande partie, puis le rendit au jeune garson en luy disant: «C'estoit un scavant homme, mon filz, et qui aimoit fort son païs.»Et après qu'il eut desfait Antonius estant consul, il choisit pour son compagnon au consulat, le filz de Ciceron, du temps duquel le senat ordonna que les statues d'Antonius seroient abbatues, et priva sa mémoire de tous autres honneurs, adjouxtant davantage à son décret que lors en avant nul de la famille des Antoniens ne pourroit porter le avant nom de Marcus. Ainsi la justice divine feit encore tumber la fin extreme de la punition d'Antonius en la maison de Ciceron167.

La comparaison de Ciceron avec Demosthenes168.

I. Voila ce qui est peu venir à nostre cognoissance, touchant les choses notables et dignes de (xcj) mémoire que lon a mis par escript de Ciceron et de Demosthenes. Au demeurant, laissant à part la comparaison de la similitude ou différence de l'éloquence qui est en leurs oraisons, il me semble que je puis bien dire jusques là, que Demosthenes employa entièrement tout tant qu'il avoit de sens et de science ou naturelle ou acquise en l'art de rhétorique, et qu'il surpassa en force et vertu d'éloquence tous ceulx qui de son temps se meslerent de harenguer et advocasser: et en gravité et magnificence de stile, tous ceulx qui escrivent seulement pour monstre et pour ostentation: et en diligence exquise et artifice, tous les sophistes et maistres de rhétorique. Et que Ciceron estoit homme universel meslé de plusieurs sciences, et qui avoit estudié en diverses sortes de lettres, comme lon peut cognoistre, par ce qu'il a laissé plusieurs livres philosophiques qui sont de son invention, escrits à la manière des philosophes académiques: et si peut on voir encore ès oraisons qu'il a escrittes en quelques causes pour s'en servir en jugement, qu'il cherchoit les occasions de monstrer en passant qu'il avoit cognoissance des bonnes lettres.

II. Et davantage peut on aussi veoir a travers leurs stiles quelque umbre de leur naturel: car le stile de Demosthenes n'a rien de gayeté169 rien de jeu ny d'embellissement, ains est par tout serré, et n'y a rien qui ne presse et qui ne poigue à bon esciant, et ne sent pas seulement la lampe, comme disoit Pytheas en se mocquant, ains sent un beuveur d'eau, un grand travail, et ensemble une aigreur et austérité de nature. Là où Ciceron bien souvent usoit du mocquer jusques à approcher bien fort du plaisant et du gaudisseur: et tournant en ses plaidoyers des choses de conséquence en jeu et en risée, pource qu'il luy venoit à propos, oublioit quelquefois le devoir bien seant à un personnage de gravité et de dignité telle qu'il estoit: comme eu la defense de Celius, là où il dit qu'il ne falloit point trouver estrange, si en une si grande afflueuce de richesses et de délices, il se donnoit un peu de bon temps, et que c'estoit une folie de n'user pas des voluptez qui estoient licites et permises, attendu mesmement qu'il y avoit eu des plus renommez philosophes qui avoient colloqué la souveraine felicité de l'homme en la volupté170: et dit on que ayant Marcus Caton accusé Murena, Ciceron estant consul le défendit, et qu'en son plaidoyer il brocarda plaisamment toute la secte des philosophes stoïques à cause de Caton, pour les estranges opinions qu'ilz tienent que lon appelle paradoxes, de sorte que tous les assistens s'en mettans à rire hault et clair, jusques aux juges mesmes, Caton aussi se soubriant un petit se prit à dire à ceulx qui estaient assis auprès de luy, «Que nous avons un grand rieur et un grand mocqueur de consul, seigneurs»! Mais sans cela il semble que Ciceron a tousjours fort aimé à rire et à se mocquer, tellement que sa face mesme, seulement à la veoir, promettoit bien une nature joyeuse, gaye et enjouée: là où au visage de Demosthenes on lisoit tousjours une activité, un chagrin resveur et pensif qui ne le laissoit jamais, de manière que ses ennemis, comme il dit luy mesme, l'appelloient fascheux et pervers.

III. Davantage en leurs compositions on voit (xcij) que l'un parle sobrement à sa louange, de manière que lon ne s'en seauroit offenser, et non jamais, sinon qu'il en soit besoing, pour le regard de quelque chose de conséquence, au demourant fort reservé et modeste à parler de soy mesme: et au contraire les demesurées repetitions d'une mesme chose, dont usoit Ciceron à tout propos en ses oraisons, monstroient une excessive cupidité de gloire quand il crioit incessament,

Cède la force armée à la prudence,
Le triumphal laurier à l'eloquence171.

Il y a plus, qu'il ne louoit pas seulement ses actes et ses faicts, mais aussi les harengues qu'il avoit escrittes ou prononcées, comme s'il eust eu à s'esprouver alencontre d'un Isocrates ou d'un Anaximenes, maistre d'eschole de rhétorique, et non pas à manier et redresser un peuple romain,

Champion ferme armé pesantement,
Pour l'ennemy attendre ouvertement172.

Car il est bien necessaire qu'un gouverneur d'estat politique acquière authorité par son eloquence: mais d'appeler gloire de son beau parler, ou, qui pis est, la mendier, c'est acte de cueur trop bas: et pourtant en ceste partie il faut confesser que Demosthenes est plus grave et plus magnanime, qui luy mesme alloit disant «que toute son éloquence n'estoit qu'une rotine acquise par long exercice, laquelle avoit encore besoing d'auditeurs qui voulussent ouïr patiemment, et qu'il reputoit sots et impertinents, comme à la vérité ilz sont, ceulx qui s'en glorifioient.»

IV. Cela ont ilz bien egalement commun entre eulx, que tous deux ont en grand crédit et grande authorité à prescher le peuple, et à obtenir ce qu'ilz ont voulu proposer, de sorte que les capitaines et ceulx qui avoient les armes en main ont eu affaire de leur eloquence, comme Chares, Diopithes et Leosthenes se sont aidez de Demosthenes: et Pompeius et le jeune Cæsar de Ciceron, ainsi que Cæsar mesme le confesse en ses commentaires qu'il a escripts à Agrippa et à Mæcenas. Mais ce qui plus espreuve et qui plus descouvre la nature de l'homme, comme lon dit, et comme il est vray, c'est la licence et l'authorité d'un magistrat, laquelle remue tout tant qu'il y a de passions au fond du cueur d'un homme, et fait venir en évidence tous les vices secrets qui y sont cachez: Demosthenes ne l'a point eu, ny n'a point donné aucune telle preuve de soy, par ce qu'il ne fut jamais en magistrat de grande authorité ny dignité: car il ne conduisit pas comme capitaine général l'armée que luy mesme avoit dressée contre Philippus: là où Ciceron fut envoyé quæsteur en la Sicile, et proconsul en la Cilicie et Cappadocie, en un temps que l'avarice et convoitise d'avoir estoit si effrénée, que les capitaines et gouverneurs que l'on envoyoit pour régir les provinces, estimans que c'estoit couardise de desrobber, ravissoient ouvertement par force, et auquel temps le prendre n'estoit pas réputé mal fait, ains celuy qui le faisoit modereement en estoit aimé: luy au contraire y monstra un grand mespris d'argent, et feit cognoistre une grande humanité, doulceur et debonnaireté qui estoit en luy. Et dedans Rome ayant esté eleu en apparence consul, mais à la vérité dictateur, avec souveraine authorité et puissance de toutes choses alencontre de Catilina et de ses complices, il porta tesmoignage de vérité à l'oracle de Platon, lequel a dit, «Que lors les villes seront à la fin de leurs misères et malheurs, quand par quelque bonne et divine fortune, puissance grande conjoincte avec sapience et justice, se rencontreront en un mesme subject»

V. Lon blasme Demosthenes d'avoir fait gaing mercenaire de son éloquence, et qu'il escrivit secrettement une oraison pour Phormion, et une autre pour Apollodorus en une mesme cause où ils estoient parties contraires: et fut aussi noté de recevoir argent du roy de Perse, et de faict attaint et condemné pour l'argent qu'il avoit pris de Harpalus. Et si d'adventure lon vouloit dire que ceulx qui escrivent cela, qui sont plusieurs, ne disent pas la vérité, pour le moins est il possible de réfuter ce poinct, que Demosthenes n'a pas esté homme de cueur assez ferme, pour oser franchement regarder alencontre des presens, que les roys lui offraient, en le priant de les accepter pour l'honneur d'eux, et pour leur faire plaisir: aussi n'estoit ce pas acte d'homme qui prestoit à usure navale la (xciij) plus excessive de toutes. Et à l'opposite comme nous avons ja dit, il est certain que Ciceron refuza les presens que luy offrirent les Siciliens pendant qu'il y estoit quæsteur, et le roy des Cappadociens, pendant qu'il estoit en Cilicie proconsul, et mesme ceulx que luy presenterent et le pressèrent d'accepter ses amis, en bonne et grosse somme de deniers, quand il sortit de Rome à son bannissement.

VI. Davantage le bannissement de l'un luy fut honteux et infâme, attendu qu'il fut banni par sentence comme larron: et à l'autre fut aussi glorieux que acte qu'il ait oncques fait, estant chassé pour avoir osté des hommes pestilentieux à son païs: pourtant ne parla on point de celuy là depuis qu'il s'en fut en allé: mais pour cestuy cy le senat changea de robbe et se vestitde dueil, et arresta qu'il n'interposeroit son authorité à decret quelconque, que premièrement le rappel de Ciceron ne fust passé par les voix du peuple. Vray est que Ciceron passa en oisifveté le temps de son bannissement estant à ne rien faire en la Macédoine: et l'un des principaulx actes que feit oncques Demosthenes en tout le temps qu'il s'entremeit des affaires publiques, fut pendant qu'il estoit en exil: car il alla par toutes les villes aidant aux ambassadeurs des Grecs, et reboutant ceulx des Macédoniens: en quoy faisant il se monstra bien meilleur citoyen que ne feirent Themistocles ny Alcibiades en pareille fortune. Et soudain qu'il fut rappellé et retourné, il se meit de rechef à suivre le mesme train qu'il avoit suivy par avant, et continua tousjours de faire la guerre à Antipater et à ceulx de Macédoine: là où Lælius en plein senat dit injure à Ciceron de ce qu'il se tenoit coy sans mot dire173, lorsque le jeune Cæsar requit qu'il luy fust permis de demander le consulat contre toutes les loix, en aage qu'il n'avoit encore poil aucun de barbe: et Brutus mesme luy reproche par lettres qu'il avoit nourry et eslevé une plus griefve et plus grande tyrannie que celle qu'eulx avoient ruinée.

VII. Et après tout, la mort de Ciceron est misérable, de veoir un pauvre vieillard, que par bonne affection envers leur maistre ses serviteurs trainnoient ça et là, cherchant tous les moyens de pouvoir eschapper et fouir la mort, laquelle ne le venoit trouver gueres de temps avant son cours naturel, et puis encore à la fin luy veoir, tout vieil qu'il estoit, ainsi piteusement trencher la teste: là où Demosthenes, quoy qu'il s'abaissast un petit quand il supplia celuy qui estoit venu pour le prendre, si est ce, que avoir préparé le poison de longue main, l'avoir tousjours gardé, et en avoir usé comme il en usa, ne peut estre sinon grandement louable. Car puisqu'il ne plaisoit pas au dieu Neptune qu'il jouist de la franchise de son autel, il eut recours, par manière de dire, à une plus grande, qui est la mort, et s'y en alla, en se tirant soy mesme hors des mains et des armes des satellites d'un tyran, et se mocquant de la cruaulté d'Antipater.

 

(Notes de la Vie de Cicéron)

(96C'est-à-dire, qu'il avait fait mourir plus d'hommes en rendant témoignage contre eux.

(97) Gâteau.

(98) Ricard, qui a traduit comme Amyot, avoue qu'il n'a pas entendu le sens de cette plaisanterie que M. Leclerc a traduite ainsi: «Car demain tu ne seras plus rien.» Ne signifie-t-elle pas: Parle aujourd'hui tout à ton aise, puisque tu y prends un si grand plaisir; car la circonstance qui te le permet, ce rôle d'accusé qui fait aux autres une obligation de t'écouter, tout cela aura disparu demain, et, rentré dans la vie ordinaire, tu seras réduit ou à ne rien dire ou à parler sans auditeurs?

(99Ce mot est sans doute une allusion à ce voyage de Syrie fait si rapidement, que Metellus avait semblé voler plutôt que marcher; peut-être aussi Metellus avait-il mérité le reproche d'infidélité dans le maniement des deniers publics, et la voracité du corbeau est assez connue.

(100) Adraste avait marié ses deux filles à Étéocle et à Polynice, tous deux bannis.

(101) Dacier, Ricard et Coray prétendent que c'est un vers de Sophocle parlant d'Œdipe. Mais on ne le trouve nulle part dans les tragédies de ce poète.

(102On fit une infinité de recueils des bons mots de Cicéron, qui se répandirent dans toutes les maisons de Rome. C. Trébonius, son intime ami, se crut obligé, par l'intérêt qu'il prenait à sa gloire, d'en donner une édition authentique. Furius Bibaculus, poète satirique, en publia une autre. Jules César les réunit en grande partie dans ce recueil d'apophthegmes, dont, suivant Suétone, Auguste défendit la publication. Mais le recueil le plus connu en fut fait par son affranchi Tullius Tiron, recueil que Ciceron avait revu, s'il ne l'avait pas composé luimême (Macrobe, ii, 1). De toutes ces collections de bons mots, il paraît que c'était la plus volumineuse. Elle comprenait trois livres; mais, au rapport de Quintilien, il eût dû mettre plus de goûta les choisir que de zèle à les ramasser tous. Il ne nous reste aucun de ces livres, et nous n'avons point d'autre monument de ces saillies du facétieux consul, comme l'appelait Caton, que ce qui s'en trouve dispersé dans ses ouvrages et dans ceux de quelques anciens: Quintilien (de la Plaisanterie, vi, 3); Pline l'ancien (xxxiv, 8, xxxvi, 6); Aulu-Gelle (xii, 12); Plutarque (Apophthegmes; Vie de Caton d'Utique, 6; Vie de César, 59; outre tous ceux qu'il rapporte dans sa Vie de Cicéron]; Macrobe (Sat. ii, 3, vii, 3).

(103 Le texte grec porte en effet Αὔραν, mot auquel Reiske propose de substituer Ἄβραν. qui est le nom de cette même esclave dans la Vie de César (c. 10, éd. de Reiske). Presque tous les traducteurs ont traduit Abra; mais ces deux noms, prononcés à la manière des Grecs modernes, offrent le même son.

(104) D'après le texte grec: καὶ δίλην... ἀπεγράψατο, c'est César lui-même qui aurait traduit Clodius eu jugement; ce qui est contre la vérité historique, puisque cette action fut intentée par le tribun du peuple Fufius Calénus. Dusoul veut lire ici ἀπεγράψατο. César, loin d'accuser Clodius, ne voulut même pas témoigner contre lui.

(105) Aucuns vieux textes lisent Tertia. Amyot. Cette dernière leçon est celle qu'ont adoptée la plupart des traducteurs.

(106) Le quadrin ou quadrans faisait la quatrième partie de l'as romain, et n'était pas la plus petite des monnaies de cuivre qui eussent cours à Rome. Il parait par Varron, de Ling. lat., liv. v, c. 36, qu'il y avait encore le sextula, qui faisait la sixième partie de l'as.

(107) Ces lettres étaient A, absolvo; C, condemno; NL, non liquet. Dacier croit ce passage corrompu, parce qu'il trouve ridicule cette manière de donner son avis en brouillant et confondant les lettres; mais, dit Ricard, dans les affaires de la nature de celles de Clodius, où les juges avaient à craindre la fureur du peuple, s'ils le condamnaient, il n'est pas étonnant qu'ils cherchassent à cacher l'avis qu'ils donnaient, et qu'ils se contentassent de proclamer la sentence d'absolution.

(108) Voyez Ep. ad Att., i, 16.

(109) Plutarque, César, c. 10.

(110) Cicéron, dans son discours sur les Provinces consulaires, c. 17, dit que César ne lui avait pas seulement proposé cet emploi, mais qu'il l'avait instamment prié de l'accepter.

(111) Clodius avait convoqué le peuple au cirque Flaminien, hors des murs de Rome, afin que César, qui en était déjà sorti avec le titre de proconsul, pût se trouver à l'assemblée. Le tribun y avait fait appeler aussi tous les jeunes nobles et les chevaliers, pour qu'ils eussent à rendre compte de leur conduite et à se justifier de l'intérêt qu'ils prenaient à Cicéron. Mais, dès qu'ils parurent, il ordonna à ses esclaves et à ses mercenaires de fondre sur eux; et l'attaque fut si brusque, qu'Hortensius fut presque tué, et que Vibiénus, autre sénateur, mourut peu de temps après de ses blessures, (pro Sext., c. 12; pro Milon., c. 14). Alors Clodius produisit les deux consuls, pour déclarer au peuple leur sentiment sur le consulat de Cicéron. Gabinius dit avec beaucoup de gravité qu'il condamnait sans exception tous ceux qui avaient mis un citoyen à mort sans lui avoir fait son procès Pison dit seulement qu'il avait toujours été du parti de l'indulgence, et qu'il avait beaucoup d'aversion pour la cruauté. (Post redit, in sen., c. 6, 7; in Pison., c. 6). César, prié de donner son avis sur la même question après les consuls, déclara que la forme des procédures contre Lentulus et ses complices avait été irrégulière et contraire aux lois, et que personne n'ignorait quelle avait été alors son opinion, mais qu'il n'approuvait pas qu'on fit maintenant une loi sur dès affaires qui remontaient à plusieurs années. (Dion, xxxviii, 17). Cette réponse adroite obligeait Clodius en confirmant le fondement de sa loi, et Cicéron pouvait croire aussi qu'il y était traité avec modération; elle mettait d'un côté les apparences du service, et de l'autre la réalité. Middleton.

(112) Caton et Hortensius. Voyez Ciceron, ad Att iii, 15; ad Q. Fr. i, 3. Dion, xxxviii, 17.

(113 De Leg. ii, 17; pro Dom., c. 57; Ep.fam. Xii, 25; ad. Attic. vii, 3, etc. Ne pouvant plus défendre Rome par son éloquence, Cicéron voulut la mettre ainsi sous la protection de Minerve. Cette petite statue fut renversée et mise en pièces par la foudre, quatorze ans plus tard (709), après la mort de César. Quoique Cicéron et les écrivains de son temps n'aient rien attaché d'extraordinaire à cet événement, quelques historiens des siècles suivants assurent qu'il fut regardé comme le présage de sa ruine. Mais le sénat, par considération pour un citoyen aussi illustre, ordonna que la statue serait rétablie aux frais de l'État.

(114) On peut consulter, pour toutes les circonstances de l'exil de Cicéron, ses discours: Post reditum, pro dom.; sur la Réponse des artipices; sur les Provinces consulaires; l'Invective contre Pison, les plaidoyers pour Plancius, pour Sextius, pour Milon, et un grand nombre de ses lettres.

(115) Clodius lui fit interdire l'usage du feu et de l'eau. — Voici comment on a conçu la loi portée par Clodius contre Cicéron, d'après les fragments qu'on en a recueillis. «Comme il est notoire que M. T. Cicéron a mis à mort des citoyens romains sans qu'ils eussent été entendus ni jugés, et qu'abusant dans cette vue de l'autorité du sénat, il a forgé un décret, vous êtes suppliés d'ordonner qu'il ait été interdit de l'eau et du feu; que, sous peine de mort, personne n'ose le recevoir et lui accorder un asile, et que tous ceux qui proposeront son rappel, ou qui parleront, qui donneront leur suffrage, enfin qui feront pour cela quelque autre démarche, goient traités comme ennemis publics; à moins qu'ils n'aient commencé par rendre la vie aux citoyens que Ciceron a fait mourir injustement.» — Cette loi avait été dressée par Sept. Clodius, proche parent du tribun, quoique Vatinius s'attribuât l'honneur d'y avoir aussi mis la main, et qu'il fût le seul de l'ordre des sénateurs qui l'eût ouvertement approuvée. Dans le fond et dans la forme, elle blessait également toutes sortes de règles. 1° On lui donnait mal à propos le nom de loi. C'était uniquement ce qu'on devait appeler à Rome privilegium, ou un acte contre un particulier; ce que les lois des douze Tables défendaient expressément, à moins que cet acte n'eût été précédé de l'instruction formelle du procès. 2° Les termes en étaient absurdes et contradictoires; car on ne demandait point que Cicéron fût interdit, mais qu'il l'eût été; ce qui était impossible, dit-il lui-même, puisqu'il n'y a point d'autorité sur la terre, qui puisse faire qu'une chose qui n'a pas été exécutée, l'ait néanmoins été réellement. 3° La clause pénale étant fondée sur une disposition manifestement fausse, qui était que Cicéron eût forgé quelque décret du sénat, il était clair qu'elle devait tomber d'elle même. 4° Quoique cette loi défendît de recevoir le coupable, elle n'ordonnait point à ceux qui l'auraient reçu de le chasser, ni à lui-même de quitter la ville de Rome. Enfin c'était l'usage, dans toutes les lois qui étaient portées par les tribus, d'inserer le nom de la première tribu dont on avait demandé les suffrages, et le nom du premier citoyen qui avait donné son approbation à la loi. Cet honneur était tombé ici sur un certain Sédulius, homme sans aveu et sans demeure fixe, qui déclara dans la suite qu'il n'était point alors à Rome, et qu'il avait même ignoré ce qui s'y passait.

(116) Dion (xxxviii, 17) dit à 3750 stades de Rome et non de l'Italie, de sorte que Ciceron eût pu se retirer sur les frontières de la Péninsule. Mais on peut conclure de quelques passages de Ciceron lui-même (Ep. ad Att. iii, 6, 7) que Dion s'est trompé. Toutefois l'exilé dit: quatre cents milles (Ibid. in, 4); et c'est cent milles de moins que dans Plutarque. Dacier, dans sa traduction, a substitué le mot de Rome à celui d'Italie, sans en donner la raison.

(117)  Comme Ciceron désigne par le surnom de Sica l'ami qui lui offrit sa terre auprès de Vibone (Ep. ad Att. iii, 2, 4, etc.), et chez lequel il logea encore quelques années après (Ibid. xvi, 6.), on a conjecturé que Vibius n'était autre que ce Sica, et s'appelait conséquernment Vibius Sica. Aussi, au lieu de Οὐίβιος, Σικελὸς ἀνὴρ, M. Leclerc a-t-il proposé, peut-être un peu témérairement, de lire: Οὐίβιος, Σῖκας, )ανὴρ ἄλλα τε πολλὰ, etc.

(118 II y a dans le texte Verginius (Οὐεργῖνος); mais Ciceron ne laisse aucun doute sur le nom de ce préteur, qu'il nomme partout Virgilius (pro Planc., c. 40; Ep. fam. ii, 19; ad Q. Fr. i, 2, etc.), et presque tous les traducteurs ont adopté cette orthographe.

(119) Ciceron ne parle nulle part de ce présage; mais dans son traité de la Divination (i, 28; ii, 67), il raconte et explique le songe fameux qui lui avait annoncé son retour, et dont Valère Maxime a parlé après lui (i, 7). Voyez aussi le plaidoyer pro Sext., 54, 56.

(120) Ainsi Démosthène, qui passait le temps de son exil à Égine ou à Trézène, pour être moins éloigné de sa patrie, tournait sans cesse du côté d'Athènes ses yeux baignés de larmes (Plutarque, Démosth., c. 26).

(121) «On a reproché à Cicéron trop de sensibilité, trop d'affliction dans ses malheurs. Il confie ses justes plaintes à sa femme et à son ami, et on impute à lâcheté sa franchise. Le blâme qui voudra, d'avoir répandu dans le sein de l'amitié les douleurs qu'il cachait à ses persécuteurs; je l'en aime davantage. Il n'y a guère que les âmes vertueuses de sensibles. Cicéron, qui aimait tant la gloire, n'a point ambitionné celle de paraître ce qu'il n'était pas. Nous avons vu des hommes mourir de douleur pour avoir perdu de très-petites places, après avoir affecté de dire qu'ils ne les regrettaient point: quel mal y at-il donc à avouer à sa femme et à son ami, qu'on est fâché d'être loin de Rome qu'on a servie, et d'être persécuté par des ingrats et par des perfides? Il faut fermer son cœur à ses tyrans, et l'ouvrir à ceux qu'on aime.» Voltaire.

(122) Le jour que le sénat rendit le décret qui rappelait Cicéron, mais que Clodius empêcha longtemps encore d'être adopté par le peuple, le fameux acteur Ésope représentait Télamon, banni de son pays, dans une tragédie d'Accius. Avec un peu d'emphase qu'il mit dans sa voix, et par le changement d'un mot ou deux dans quelques vers, il eut l'adresse de faire tomber la pensée des spectateurs sur Cicéron. «Lui! ce courageux citoyen, qui a défendu si constamment la république, qui dans un temps de troubles a prodigué sa vie et sa fortune!. Quel ami! que de mérite et de talents!.. o père de la patrie!... J'ai vu tous ses biens consumés par les flammes... Grecs ingrats, peuple inconstant, sans mémoire pour les bienfaits... Le voir banni, chassé, le laisser dans cet état!...» A chacun de ces passages, les applaudissements recommencèrent, et semblaient ne pouvoir finir. Dans une autre tragédie du même poète, dont le titre était Brutus, l'auteur ayant prononcé au lieu de ce nom celui de Tullius, on lui fit répéter plusieurs fois le même endroit au milieu des plus vives acclamations. Ces allusions étaient passées en habitude, au théâtre, depuis le temps de l'exil de Cicéron; chaque passage des poètes, qui paraissait avoir quelque rapport à lui, était toujours applaudi et redemandé.

(123) Le texte dit, en effet, Βιαίως; mais comme Plutarque emploie rarement cet adverbe, Dusoul a propose de lire Βιαίων, et le sens serait alors que Milon accusa Clodius de violence. Cette correction, adoptée par Coray, est d'ailleurs conforme au texte de Ciceron pro Mil. 15; pro Sext. 41.

(124) Plutarque parle ici du jour où le rappel fut ordonné; car Cicéron ne rentra dans Rome que dix-sept mois après en être sorti.

(125).Voyez le discours prononcé par Cicéron après son retour (in Sen. c. 15). Vatinius, si souvent plaisanté par lui, l'interrompit à ce passage de sa harangue, en lui disant: Pourquoi donc alors avez-vous des varices? Unde ergo tibi varices? (Macrobe, Sat. ii, 3).

(126) Dion (xxxix, 21) parle d'une première tentative de ce genre, qui avait échoué, Clodius, alors à Rome, s'y étant opposé avec son frère Caius, et lui ayant arraché des mains les tables de ses lois. Dans la seconde, Cicéron profita de l'absence de son ennemi, s'empara des tables, et ne les détruisit pas dans le temple même, comme le dit Plutarque, mais les emporta chez lui, aidé de ses amis.

(127Clodius, pour parvenir au tribunal, s'était fait adopter par une famille plébéienne. C'était un cas sans exemple et contraire à toutes les formes établies; un cas qui renfermait des contradictions sur chaque point, et qui ne conduisait à aucune des fins qu'on devait se proposer dans les adoptions régulières. Aussi dès la première demande qu'en fit Clodius, il ne put persuader qu'il parlait sérieusement. Le tribun Hérennius fut le premier qui ouvrit cette proposition dans le sénat et devant le peuple. Il y trouva si peu d'encouragement, que le consul Métellus, quoique beau-frère de Clodius, s'y opposa de toute sa force, et protesta même qu'il le tuerait plutôt de sa propre main que de le souffrir. Cependant Clodius l'emporta, soutenu secrètement par César et par Pompée. Il y avait trois conditions nécessaires pour que ces actes fussent réguliers. La première, que celui qui adoptait fût plus âgé que le fils d'adoption, et que non-seulement il eût passé l'âge d'avoir des enfants, mais qu'il n'en eût point eu déjà; en second lieu, que la dignité des deux familles n'en reçussent aucune atteinte; enfin qu'il n'y eût ni fraude, ni collusion, et qu'on ne se proposât point d'autre but que les effets naturels d'une véritable adoption. Aucune de ces conditions n'avait été observée dans celle de Clodius. On n'avait pas même consulté le collége des prêtres, qui prononçait d'abord sur de pareilles propositions. Fontéius, qui adoptait, était un homme marié, qui avait encore sa femme et ses enfants, qui était d'une naissance obscure, et dont l'âge ne passait pas vingt ans, tandis que Clodius en avait trente-cinq, et tenait un des premiers rangs à Rome par sa qualité de sénateur et par la noblesse de sa naissance. D'ailleurs celui-ci n'avait pas d'autre but que d'éluder la loi qui regardait les tribuns, et en effet, l'adoption ne fut pas plutôt prononcée qu'il fut émancipé, c'est-à-dire délivré par le père même qu'il venait de se donner, de toutes les obligations qu'il avait contractées envers lui. Ainsi, Cicéron fut poursuivi, exilé, ruiné par un tribun que toutes les lois empêchaient de le devenir.

(128) Coray, lisant ἐπαύετο, donne à cette phrase un autre sens: «A peine cessait-il de trembler en parlant, même lorsque son discours était déjà loin de l'exorde.» L'interprétation d'Amyot est celle de tous les traducteurs et nous semble préférable. Voyez Ciceron in Cæcil, 13; pro Cluent., 18; Dion (xlvi, 7).

(129) Muréna avait trois défenseurs, Hortensius, Crassus et Ciceron. Hortensius avait déjà parlé pour lui avec beaucoup d'éloquence: Ciceron, jaloux de le surpasser, se donna tant de peine pour y réussir, que cet excès de travail nuisit à sa cause, et le fit paraître inférieur à lui-même, quoique son plaidoyer soit loin de passer aujourd'hui pour un ouvrage médiocre. Il paraît d'ailleurs que Cicéron attachait une grande importance à préparer longtemps ses discours. «Il avoit à orer en publicque, dit Montaigne d'après Plutarque, et estoit un peu pressé du temps pour se préparer à son ayse. Éros, l'un de ses serfs, le vint advertir que l'audience étoit remise au lendemain: il en fut si aise, qu'il lui donna la liberté pour ceste bonne nouvelle.»

(130) Les augures avaient pour marques distinctives: 1° une espèce de robe rayée de pourpre qu'on appelait trabea; 2° une coiffure de forme conique semblable à celle des pontifes; 3° un petit bâton courbé qu'ils portaient à leur main droite pour désigner les diverses régions des cieux. et qu'on nommait lituus. — Cette dignité était fort recherchée à cause de la considération qu'elle donnait, et parce qu'on en gardait toute la vie le titre et les priviléges. Dans tous les autres sacerdoces, dit Plutarque (Quæst. rom.), lorsqu'on avait été condamné à la mort ou au bannissement, on était interdit de toutes fonctions, et la place passait à un autre: l'augure, tant qu'il vivait, eût-il été condamné pour les plus grands crimes, n'était point dépouillé de cet honneur religieux. C'était, comme on le suppose, afin qu'ils n'eussent aucun prétexte, pas même celui de la mort civile, pour se dispenser de garder le secret de leur art, qu'ils avaient juré à leur réception; et comme il n'y a pas d'exemple dans toute l'histoire qu'aucun d'eux l'ait révélé, on demanderait inutilement quel en était l'objet, ou quels étaient les principes sur lesquels ils décidaient que telle ou telle chose était un présage, si un présage était heureux ou malheureux, et de quelle manière, dans ce dernier cas, il devait être expié. Le Traité de la Divination, était le livre où Cicéron aurait pu nous en apprendre quelque chose, s'il n'avait pas été lié par son serment; et il est assez étonnant que, des deux livres que nous avons de lui sur cette matière, ayant employé le premier à faire parler son frère, qui n'était pas augure, d'après l'opinion des stoïciens sur la fatalité, il se fût réservé le second pour le combattre, et pour faire triompher le système académique. Ce n'était assurément pas pour donner du crédit à l'art des augures ni pour en faire valoir le métier, puisqu'il laisse une liberté pleine et entière d'en croire ce qu'on voudra. Morabin.

(131Le texte dit deux mille six cents,  δισχιλίων ἑξακοσίων; et c'est ainsi qu'ont traduit Dacier, Ricard et M. Leclerc. —Les deux légions n'étaient pas complètes quand Cicéron partit, mais il reçut ensuite des secours.

(132) Cette punition ignominieuse était très-ancienne; on la voit pratiquée chez les Ammonites, dès le temps de David. Reg., ii, 10, 4. Dacier.

(133) II faut lire Cælius, alors édile curule (Ep. fam. 11, 11)

(134) Ego ad urbem accessi pridie nonns januar... Incidi in ipsam. flammam civilis discordiæ, vel potins belli.»..(Ep. fam. xvi, 11.)

(135Cicéron parle lui-même (Philipp., ii, 15) de cette tristesse profonde qui le suivait partout, lorsqu'il était dans le camp de Pompée, et il l'attribue au pressentiment funeste qu'il avait de l'avenir. Il se justifie ensuite (c. 16) de toutes ces plaisanteries qu'Antoine lui avait reprochées, «et qu'il ne s'était permises, disait-il, que pour distraire les autres des chagrins et des inquiétudes dont ils étaient tourmentés.»

(136) Domitius, d'abord assiégé dans Corfinium, et renvoyé libre par César après la prise de cette place (Cas., de Bell, ci»., i, 23), était venu joindre Pompée, et périt à Pharsale (Ibid., iii, 99; Philipp., 11, 39).

(137) Théophane de Mitylène, dans l'île de Lesbos, avait écrit l'Histoire des guerres de Pompée, auprès duquel il jouissait d'un très-grand crédit; qui lui avait donné le droit de bourgeoisie en présence de l'armée, et qui avait, à sa considération, rendu la liberté aux Mityléniens (pro Arch., 10); mais Ciceron ne parait pas en faire grand cas dans une lettre à Atticus'(ix, 1). On voit dans la Vie de Pompée, par Plutarque, que ce fut Théophane qui donna à ce général le funeste conseil de se retirer auprès de Ptolémée, roi d'Egypte, après la perte de la bataille de Pharsale.

(138) C'est-à-dire, d'avoir un Grec pour intendant, pour chef des ouvriers.

(139Il faut entendre: parce qu'il restait 7 aigles, λελεῖφθαι. C'est ainsi que lit Xylander avec raison.

(140) Le bonheur que Pompée avait eu de plaire à Sylla, et ensuite de se soutenir par la bonne opinion qu'il donna de lui, et par les actions véritablement grandes qu'il exécuta, semblaient lui promettre un tout autre sort que celui qui l'accueillit; mais la fortune l'ayant aveuglé, elle l'abandonna au moment où il crut ne lui rien devoir, et où il voulut la régler suivant ses propres lumières. Une première faute fut suivie de plusieurs, qui le firent passer d'un état digne d'envie à un autre qui lui attira la pitié de ses admirateurs, et fit enfin, à ce que l'on croit, verser des larmes à son plus grand ennemi. Ciceron nous a laissé sur Pompée des témoignages très-différents les uns des autres. Ceux qu'il lui rend dans ses discours publics sont si brillants et si glorieux, qu'ils ont passé pour exagérés. Dans ses lettres à Atticus, il le traite moins favorablement, et l'on croirait qu'il ne lui rend pas justice. Ces inégalités ont leur cause. Devant un peuple extrêmement prévenu pour Pompée, l'orateur n'avait qu'à rapporter à la prudence, à l'activité, et aux autres vertus guerrières de ce général, un enchaînement de prospérités qui seules auraient suffi à remplir la mesure de son surnom: il était difficile qu'on ne trouvât pas quelque excès dans ses éloges. Lorsqu'il s'adresse à un ami pour qui il n'avait rien de caché, et dans des lettres qui roulaient presque toutes sur des actions privées, le jugement qu'il en porte et les plaintes qu'il en fait n'ajoutent rien aux impressions qui nous resteraient s'il s'en était tenu au simple récit. La raison de cette différence est donc dans Pompée, et non dans Cicéron, historien également fidèle, quand il a placé Pompée au-dessus des héros précédents par l'importance et le nombre de ses expéditions militaires, et quand il l'a rapproché du niveau des hommes ordinaires par le récit de ses petitesses et de ses fautes. Ainsi, que l'on ne confonde point les louanges prodiguées à Pompée par quelques écrivains, pour avoir été à la tête du parti qu'on appelait le meilleur, avec celles qui lui étaient personnelles; que l'on songe ensuite aux préventions de ces écrivains attachés au même parti: alors on. se désabusera d'idées vagues, communément fausses, qui ne peuvent subsister contre celles que Ciceron en avait, et qu'il n'aurait certainement pas exprimées avec tant d'assurance et d'uniformité, dans ses lettres à Atticus, si cet ami et toutes les personnes sensées n'en avaient point jugé de la même façon. Cicéron plaignit le sort de Pompée, et il le plaignit de très-bonne foi, parce qu'il aimait sa personne, et lui reconnaissait d'honorables qualités. Non possum ejus casum non dolere; hominem enim integrum, et castum, et gravem cognovi (ad Att., xi, 6). Voilà à quoi se réduisait, dans l'opinion des hommes sages, ce surnom de Grand, qu'on s'était trop pressé de lui donner. Cicéron (Tuscul., i, 35), Sénèque (Consol. ad Marc., c. 20), et Juvénal (Sat. x, 283), se rencontrent dans la même pensée, qu'il avait trop vécu pour sa gloire. Morabin.

(141) Quoi que l'on ait dit de la diligence de César après Pharsale, dit Montesquieu, Ciceron l'accuse de lenteur avec raison. Il dit à Cassius (Ep.fam. xv, 15) qu'ils n'auraient jamais cru que le parti de Pompée se fût ainsi relevé en Espagne et en Afrique, et que, s'ils avaient pu prévoir que César se fut amusé à la guerre d'Alexandrie, ils n'auraient pas fait leur paix, et qu'ils se seraient retirés avec Scipion et Caton en Afrique. Ainsi, un fol amour lui fit essuyer quatre guerres; et, en ne prévenant pas les deux dernières, il remit en question ce qui avait été décidé à Pharsale.

(142) Dusoul a remarqué qu'après μεταρράζειν, quelques manuscrits ajoutent τινὰ τοῦ Πλάτωνοϲ; mots qui feraient particulièrement allusion à la traduction du Timée et du Protagoras de Platon par Cicéron.

(143) Τὴν φαντασίαν, l'objet, visio, (Acad, ii, 6); τὴν συγκατάθεσιν, l'assentiment, assensio. (Acad, ii, 12; de Fato., c. 28); assensus, (Acad., ii, 33); approbatio (ibid., ii, 12, 17); τὴν ἐποχὴν, l'époque, ou incertitude entre deux opinions, assensionis retentio, (Acad. ii, 18); τὴν κατάληψιν, la catalepsie ou compréhension, comprehensio, (ibid., ii, 47); τὸ ἄτομον, les atomes, atomi, id est, corpuscula, corpora individua, (de Fin., i, 6; de Natur. Deor., i, 20); τὸ ἀμερὲς, le simple, l'indivisible, individuum, simplex corpus, (de Fin., ii, 23; de Fato. c. 11); τὸ κενὸν, le vide, inane vacuum (de Fin., i, 6). Cicéron a enrichi la langue philosophique des Romains de bien d'autres mots empruntés à celle des Grecs, et que l'usage consacra. Voyez Sénèque (Ep. 58).

(144) Cette allusion au père d'Ulysse ne se trouve nulle part dans les lettres qui nous restent de Cicéron.

(145) Les dilapidations de Térentia commencèrent dès le séjour de son époux en Cilicie, et peut-être même dès le temps de son exil. Mais la confiance que Cicéron avait en elle lui avait fermé les yeux sur ces premiers dérangements; et à l'égard de ceux qui étaient survenus depuis, il était aussi aisé à une femme adroite, qui connaissait la faiblesse de son mari, et qui pouvait compter sur les intendants de sa maison, de s'entendre avec eux, qu'il était difficile à lui de s'en apercevoir, surtout après avoir été plusieurs années absent de chez lui. Morabin

(146) Plutarque se trompe en disant que Tullia mourut en couche chez son mari Lentuluz (P. Cornélius Lentulus Dolabella); il est certain que celui-ci l'avait répudiée quelque temps avant qu'elle mourût. Aussi Tunstall veut qu'on traduise τίκτουσα παρὰ Λέντλῳ, étant épouse de Lentulus, et non chez Lentulus. Mais c'est forcer la signification de παρὰ devant le cas qui suit. M. Leclerc a proposé de lire τίκτουσα παρὰ Λέντλου, pariens ex Lentulo, leçon ingénieuse. En outre, Plutarque ne donne ici que deux maris à la fille de Cicéron; il oublie Crassipès, qu'elle avait épousé après la mort de Pison, son premier mari.

(147) Lorsque Thrasybule, parti de Thèbes avec les citoyens bannis comme lui d'Athènes, eut défait les trente tyrans, et se fut rendu maître de la ville, il publia une amnistie générale pour tout ce qui s'était passé depuis l'établissement de la tyrannie.

(148) Lorsqu'on envoyait un licteur à un sénateur ou à un magistrat, pour lui porter l'ordre de se trouver au sénat ou au conseil, s'il refusait de s'y rendre, on faisait emporter de chez lui quelque meuble, qui était comme un témoin de sa désobéissance, et on appelait cela prendre des gages, pignora capere. Voyez la première Philippique de Cicéron, c. 5, et son troisième livre de l'Orateur, c. i.

(149)  Le grec dit vingt-cinq millions de drachmes.

Cette somme, d'après l'évaluation de Ricard, faisait environ vingt-trois millions de notre monnaie — Ruauld (Animadvers. xxxiii) avait cru découvrir ici une grave erreur. Barton l'a victorieusement réfuté (éd. Reiske, p. 953.).

(150) Cicéron ne parle de ce songe dans aucun des ouvrages qui nous restent de lui.

(151) Le texte dit Attia, et en fait une sœur de César (ἀδελφῆς Καίσαρος); mais c'est vraisemblablement une faute de copiste, et plusieurs critiques l'ont corrigée (ἀδελφιδῆς). D'après Plutarque lui-même, dans la Vie de Brutus, où elle est appelée nièce de César, ainsi que dans un endroit de la Vie d'Antoine (quoique dans un autre il la nomme sa sœur), il est certain qu'Attia était femme d'Octavius, mère d'Auguste, et fille de M. Attius Balbus, et de Julie, sœur de César.

(152) «Licet patrem appellet Octavius Ciceronem.» (Ep. Brut. 17).

(153) On pourrait reprocher à Plutarque, dit Secousse (dans ses remarques critiques sur la vie de Cicéron, Mémoires de l'Acad. des belles-lettres, tom. vii), de ne s'être pas assez étendu sur le temps le plus brillant de la vie de Cicéron: ce fut celui qui suivit la mort de César. Il joua pendant quelque temps le premier rôle; il était la seule ressource de la république; Antoine le craignait et le ménageait beaucoup. Le jeune César avait besoin de lui, et paraissait ne vouloir rien faire que par ses conseils. Ce temps-là ne fut pas, il est vrai, de longue durée. Cicéron, le premier orateur de son temps, n'était pas le plus habile politique, quoiqu'il eût d'ailleurs de grandes parties d'un homme d'État. Il se laissa abuser par César et par Antoine, et finit par être la victime de sa crédulité. Plutarque n'a fait qu'indiquer ces événements, et ce qu'il en dit ne suffit pas pour en donner une juste idée

(154) Le sénat, suivant Dion Cassius (xlvi, 40), ne voulut pas récompenser tous les soldats, de peur de leur inspirer trop de fierté et trop de confiance dans leur chef, ni leur donner à tous des marques d'improbation et de mépris, dans la crainte de les aliéner du sénat et d'augmenter leur union. Il prit donc un parti moyen; ce fut de décerner aux uns des témoignages publics d'estime et d'en priver les autres; de permettre, par exemple, à un certain nombre de porter, dans les assemblées, des couronnes d'olivier, et de leur faire une distribution d'argent, tandis que les autres n'auraient aucune de ces distinctions. Le sénat ne doutait pas que cette préférence accordée aux uns sur les autres n'excitât quelque dissension parmi eux et ne les affaiblit. Il envoya des députés aux soldats pour leur parler hors de la présence de César; mais les troupes refusèrent de les entendre s'il n'était présent, et déjouèrent ainsi la politique du sénat. Voyez aussi Velléius, ii, 62, et Appien, Guer. civ. iii. Ricard.

(155) «Quelques anciens auteurs, que les modernes ont suivis sans précaution, rapportent, dit Middleton, que, séduit par les flatteries et les promesses d'Ootave, Cicéron favorisa ses prétentions au consulat, dans l'espérance de devenir son collègue et de le gouverner pendant leur administration. Mais plusieurs de ses lettres prouvent que ces auteurs se trompent, et que de tous les Romains il était non seulement le plus opposé aux desseins ambitieux du jeune César, mais le plus ardent à l'en détourner.»

(156) Bologne. Cette entrevue eut lieu dans une île, appelée depuis l'île des Triumvirs, et formée par le Reno.

(157) L. Æmilius Paullus, frère de Lépide. avait été consul en 703, et César lui avait fait de grands avantages pour l'attirer dans son parti (Suétone, Caes., 29). Mais, après la victoire de Modène, il avait proposé au sénat de donner à D. Brutus deux légions, et de déclarer son frère Lépide ennemi public. — L. Julius César, oncle maternel d'Antoine et consul en 689, s'était montré bon citoyen dans des occasions importantes, soit en condamnant Lentulus, le mari de sa sœur, à l'époque de la conjuration de Catilina (Philipp., ii, 6), soit en proposant des résolutions vigoureuses contre Antoine, son neveu (Ibid., viii, 1); mais ils ne périrent ni l'un ni l'autre. L. Paullus, sauvé par des centurions, alla joindre M. Brutus; et après le désastre de Philippes, se retira à Milet (Dion, xlvii, 8), où il résista aux offres qui lui furent faites par les vainqueurs, de rentrer dans sa patrie. L. César fut sauvé par sa sœur, mère d'Antoine (Appien, iv); ce qui prouve la fausseté de ce que dit Orose, liv. vi, qu'Antoine, après avoir sacrifié son oncle, mit le comble à son crime en proscrivant sa mère. Barton.

(158) Voyez plus haut, dans l'énumération des maisons de campagne de Cicéron, ce qui concerne celle-ci.

(159) Sénèque le Rhéteur nous a laissé (Suasoriæ, c. 7) un fragment de Tite-Live, où cet historien décrit la fuite de Cicéron d'une manière qui ne s'accorde point tout à fait avec le récit de Plutarque. Selon lui, Cicéron alla par des chemins détournés de Tusculum à Formies, et de là au port de Caiète, qui n'en est pas très-éloigné. Il monta sur un vaisseau qui prit le large, mais que les vents repoussèrent quelque temps après sur la côte. Cicéron, que la mer avait rendu fort malade, et qui était d'ailleurs ennuyé de la vie et de l'agitation qu'il se donnait pour la conserver, descendit à terre et retourna à sa maison de Formies, éloignée d'un mille du rivage. «Je mourrai, s'écria-t-il, dans patrie que j'ai souvent sauvée. Moriar in patria sæpe servata.» Tite-Live ajoute tout de suite qu'il fut tué dans sa litière. Il faut remarquer cependant, si l'on veut mettre en balance ces deux autorités, que l'on s'aperçoit, à la lecture du fragment de Tite-Live, que ce n'est qu'un extrait; et l'on peut croire que si l'on avait le passage entier, on y trouverait la confirmation de quelques-unes des circonstances rapportées par Plutarque, circonstances qu'il avait sans doute empruntées aux Mémoires de Tiron. Extr. des Rem. de Fr. Secousse.

(160) Aucuns lisent Caïète. Amyot. On lit Καπίτας dans les anciens textes. L'interprète latin y a substitué Capoue, et plusieurs critiques Caiéte; leçon qui, d'après la position des lieux, paraît la plus vraisemblable. Valère-Maxime dit, en effet (i, 4), in villa Caietana, et (v, 3), en parlant de Popillius: gaudio exsultans Caietam cucurrit.

(161) Valère-Maxime (i, 4) ne parle que d'un seul corbeau, auquel il fait jouer d'ailleurs un autre rôle que celui que Plutarque attribue plus bas (c. lxxvi) au plus tenace de tous ceux de cette «grosse compagnie.»

(162) «Cremutius Cordus ait Ciceronem, quum cogitasset, utrumne Brutum, an Cassium, an Sext. Pompeium peteret, omnia illi displicuisse, præter mortem.» Sénèque, Suasor., 7.

(163) II paraît, par une lettre de Ciceron à Quintus, que cet affranchi s'appelait Philogonus.

164) On a prétendu qu'il lisait alors, dans sa litière, la Médée d'Euripide. Ptolém. Héphest., lib. v, Var. Hist. ap. Phot.

(165) En rassemblant tous les traits sous lesquels Cicéron nous est représenté par les anciens, on trouve qu'il avait la taille haute mais menue, le cou assez long, le visage mâle, et les traits réguliers; l'air si ouvert et si plein de sérénité, qu'il inspirait tout à la fois l'amour et le respect. Son tempérament était faible, mais il l'avait fortifié si heureusement par la frugalité, qu'il l'avait rendu capable de toutes les fatigues d'une vie fort laborieuse et de la plus constante application à l'étude. La santé et la vigueur étaient devenues sa disposition habituelle. Le soin qu'il prenait pour les conserver était de se baigner souvent, de se faire frotter le corps, et de prendre chaque jour, dans son jardin, l'exercice d'une courte promenade, où il se rafraîchissait la voix. Dans la belle saison, il s'était accoutumé à visiter régulièrement toutes les maisons qu'il avait dans différentes parties de l'Italie. Mais le principal fondement de sa santé était la tempérance.—Dans les habits et la parure, il observait ce qu'il a prescrit dans son traité des Offices, c'est-à-dire, toute la modestie, toute la décence qui convenait à son caractère et à son rang. Il aimait la propreté sans affectation. Il évitait avec soin les singularités, également éloigné de la négligence grossière et de la délicatesse excessive. L'une et l'autre, en effet, sont également contraires à la véritable dignité: l'une suppose qu'on l'ignore ou qu'on la méprise; l'autre qu'on y prétend par des voies puériles.—Rien n'était plus fait pour plaire que sa conduite et ses manières dans sa vie domestique et dans la société de ses amis. C'était un père indulgent, un ami zélé et sincère, un maître sensible et généreux. Sa bonté s'étendait, dans une juste proportion, jusqu'à ses esclaves, lorsque leur fidélité et leurs services avaient mérité quelque part à son affection. On le remarque surtout dans l'exemple de Tiron. — Il avait les plus sublimes notions de l'amitié. L'ouvrage qu'il nous a laissé sur cette matière ne contient point de règles et de maximes qu'il ne pratiquât continuellement. Dans cette variété de liaisons où l'emmenée de son rang et la multitude de ses relations l'avaient engagé, jamais on ne l'accusa d'avoir manqué de droiture ou de constance, ou même de zèle et de chaleur pour le moindre de ceux à qui il avait une fois accordé le titre d'amis, et dont il estimait le caractère. Il faisait ses délices de servir à l'avancement de leur fortune, et de les secourir dans l'adversité. L'opinion qu'on avait à Rome de son zèle pour ses amis, était telle, que l'un d'eux, pour s'excuser de l'importunité avec laquelle il lui demandait quelque faveur, lui faisait observer à lui-même «qu'il avait accoutumé ses amis, non à le prier, mais à lui ordonner familièrement de leur rendre service.» — Le moindre témoignage de regret et de soumission de la part de ses ennemis lui faisait perdre le souvenir des plus cruelles injures. Quoique le pouvoir et l'occasion ne lui manquassent point pour se venger, c'était assez pour lui d'avoir cette certitude, pour qu'il cherchât des raisons de pardonner. Jamais il ne rejeta des offres de réconciliation, de la part même de ses plus mortels ennemis; l'histoire de sa vie est remplie de ces exemples, et c'était une de ses maximes ordinaires, «que les haines devraient être passagères, et les amitiés immortelles.» — L'état de sa maison répondait par sa splendeur à la dignité de son caractère. Sa porte était ouverte aux étrangers qui lui paraissaient dignes de quelque distinction par leur mérite, et à tous les philosophes de l'Asie et de la Grèce. Il en avait constamment plusieurs auprès de lui qui faisaient partie de sa famille, et qui lui furent attachés dans cette familiarité pendant toute sa vie. Ses appartements étaient remplis le matin d'une multitude de citoyens qui se faisaient honneur de venir le saluer, et Pompée même ne dédaigna pas de se faire voir quelquefois dans cette foule. La plupart y venaient non seulement pour lui rendre un devoir de politesse, mais pour l'accompagner ensuite au sénat et au forum, où ils attendaient la fin des délibérations pour le reconduire jusqu'à sa maison. Les jours où l'intérêt public ne l'appelait pas hors de chez lui, son usage, après les visites du matin, qui finissaient ordinairement avant dix heures, était de se retirer dans sa bibliothèque, et de s'y tenir renfermé, sans mêler d'autre amusement à ses occupations que l'entretien et les caresses de ses enfants, qu'il y recevait dans quelques intervalles de loisir. — Son principal repas était le souper, suivant l'usage de ce siècle, où les grands aimaient à voir leurs amis rassemblés à leur table, et prolongeaient ces réunions assez avant dans la nuit, ce qui n'empêchait point Cicéron de sortir régulièrement du lit avant le jour, quoiqu'il ne dormît jamais à midi, suivant l'habitude que tout le monde observait à Rome, et qui s'y est conservée depuis. Dans ces réunions, il animait ses convives par les charmes de son esprit, naturellement enjoué, et même un peu tourné à la raillerie. Ce talent lui avait été fort utile au barreau pour réprimer l'insolence de ses adversaires, pour se concilier l'attention et la faveur des juges, en égayant les sujets les plus graves, et pour les forcer quelquefois d'adoucir une sentence, en les faisant rire aux dépens de l'accusateur. L'usage qu'il fit de la plaisanterie dans les affaires publiques fut toujours assez mesuré pour ne lui attirer aucun reproche; mais dans les conversations particulières, il fut quelquefois accusé d'avoir poussé trop loin la raillerie, et de s'être abandonné à la vivacité de son esprit, sans faire attention au chagrin que ses bons mots pouvaient causer. Cependant, de tous ceux qui nous ont été transmis par l'antiquité, le plus grand nombre ne tombent que sur des sots, dont il méprisait les ridicules, ou sur des méchants, dont il détestait les vices. S'il irrita quelquefois la malignité de ses ennemis, plus qu'il ne l'aurait dû pour son propre repos, il ne paraît point qu'il ait jamais blessé ou perdu un ami, ni personne à qui il dût de l'estime, par une raillerie inconsidérée. Middleton.

Dans une Vie de Ciceron, publiée d'après deux manuscrits du quinzième siècle, on lit que les restes mutilés de Ciceron furent ensevelis par un nommé Lamia: Cadavere Ciceronis tumulato per quemdam Lamiam nomine; et trois anciennes épitaphes qui font partie de l'Anthologie latine, semblent ne devoir laisser aucun doute sur ce fait et sur ce nom. Cependant, on a prétendu anciennement (dit Schœll, Hist. de la littér. rom., ii, 86) que les esclaves de Cicéron avaient eu le soin de brûler le corps de leur maître, et de transporter ses cendres dans l'île de Zante (Zacynthus), où, en creusant, en 1544, les fondations d'un monastère, on trouva, dit-on, un ancien monument sépulcral avec cette inscription: M. Tvlli. Cicero. have. et. tu. Tertia. Antoma; et les quatre vers suivants:

llle oratorum princeps, et gloria linguæ
Romanæ, jacet hoc cum conjuge Tullius urna1
Tullius ille, inquam, de se qui scripserat olim2
O fortunatam natam me consule Romam!

Dans le tombeau, il y avait deux urnes de verre; l'une plus grande renfermait les cendres; l'autre. était de cette espèce de vases qu'on appelle lacrymatoires, et qui étaient destinés à contenir des essences odoriférantes. Au fond de l'urne cinéraire, on lisait cette inscription: Ave. Mar. Tul. Un dominicain de Padoue, Desiderius Lignaminoeus, publia, en 1557 à Venise, sous le titre de Faciès sepulcri M. Tulli Ciceronis in Zacyntho reperti, la description du tombeau et des urnes, conservés dans une église de Zante. En rapportant ce faite la suite de la Vie de Cicéron, Fr. Fabricius exprime des doutes sur l'authenticité du monument, et Ernesti, dans ses deux premières éditions de Cicéron, où cette Vie a été réimprimée, les confirme par le témoignage de Spon, célèbre voyageur, dont il rapporte le passage suivant: «Au-dessus de la ville (de Zante) en allant à la forteresse, il y a une église appelée St-Élie, où, selon que quelques-uns ont écrit, on avait trouvé le tombeau de Cicéon et de Tertia Antonia, sa femme; mais je n'y remarquai autre chose qu'une espèce d'urne de porphyre, et je ne pus apprendre aucune nouvelle du reste.» Cependant P. Schryver (Scriverius), dans une note rapportée par P. Burman Second (Anthol. lat., vol. I, p..348; c'est aussi Burman qui donne l'épitaphe précédente, dont Lignaminœus ne parle pas) cite un voyageur hollandais, H. J. Van Balen, qui affirme avoir vu ce monument en 1545. L'itinéraire de Van Balen n'a pas été imprimé, ou du moins ne l'était pas du temps de Scriverius, mort en 1660. Le même Burman, tout en convenant que le monument lui paraît suspect, cite un autre voyageur hollandais, J. Cootwyck, qui, dans son itinéraire de Jérusalem, assure avoir vu ce monument, non, à la vérité, dans l'église de Zante où Van Balen l'avait visité, mais à Venise, dans le palais Contarini où il avait été transporté. Le voyage de Cootwyck a paru en 1619; il n'est donc pas surprenant que, plus de cinquante ans après, Spon n'ait pas trouvé ce tombeau dans l'île de Zante. C'est à Venise qu'il faudrait le chercher, si l'on voulait examiner de, nouveau cette question. Nous ferons observer cependant que le nom d'Antonia donné à celle qui paraît avoir été la femme du Ciceron enterré à Zante, ne permet en aucun cas de regarder ce tombeau comme celui du célèbre orateur. On ne sait rien d'un troisième mariage qu'il aurait contracté après avoir répudié Publilia, et sans doute il en serait fait mention dans sa correspondance.

(166) Le texte dit: la main, καὶ τὴν χεῖρα.

(167) Il ne sera sans doute pas inutile d'ajouter ici quelques détails sur Quintus, le frère de Ciceron, sur son fils, et sur Atticus, son plus fidèle ami. La biographie qui précède cette vie de Cicéron par Plutarque, montre Quintus lié aux plus importantes circonstances de la vie de son frère. Il était avec lui à Tusculum quand la première nouvelle des proscriptions leur parvint, et Quintus résolut de retourner avec son fils à Rome, pour y recueillir de quoi subvenir à leurs besoins dans quelque pays éloigné. Il échappa quelque temps aux satellites d'Antoine; mais leur diligence et l'ordre qu'ils avaient reçu particulièrement de surprendre les Cicérons, l'emportèrent sur toutes les précautions de la prudence. Son fils étant tombé le premier entre leurs mains, refusa de dire où était caché son père, et, pour vaincre sa résistance, on le mit à la torture. Il continua de se taire au milieu des supplices Le père, instruit de son sort, vint se livrer à ses bourreaux, et implora l'unique faveur de mourir le premier. Son fils sollicita la même grâce. On les tua en même temps. — Après la bataille de Philippes et la mort de Brutus, le fils de Cicéron (Marcus) alla joindre Sextus Pompée, maître de la Sicile, et continua d'y soutenir la cause de la liberté, jusqu'à ce que Pompée, dans un traité de paix avec le triumvirat, obtint, parmi les conditions, le pardon et le rétablissement de tous les citoyens exilés ou proscrits, qui avaient porté sous lui les armes. Marcus alors rentra dans Rome avec le reste de son parti. Il retomba dans ses dérèglements passés, comme s'il eût entrepris, suivant la remarque de Pline l'ancien, de ravir à Marc-Antoine, l'assassin de son père, la gloire d'être le plus grand ivrogne de l'empire romain. Toutefois, Auguste le fit recevoir dans le collège des Augures, et le mit au nombre des magistrats qui présidaient à la fabrication de la monnaie (Treviri ou Triumviri monetales). Il nous reste une médaille qui porte d'un côté le nom de Marcus Cicéron et de l'autre celui d'Appius Claudius, un de ses collègues dans cette charge. Plus tard, Auguste le choisit pour son collègue dans la dignité de consul. Les lettres par lesquelles il informa le peuple romain de la victoire d'Actium, et de la conquête de l'Egypte, furent adressées à Cicéron, consul, qui eut la satisfaction de les lire au sénat et au peuple, et celle de porter ce fameux décret qui ordonnait que toutes les statues et les autres monuments d'Antoine seraient renversés, et que sa famille ne prendrait plus le nom de Marcus; et le peuple regarda comme une disposition admirable de la Providence que la ruine d'Antoine et de tous les restes de sa fortune eût été réservée au consulat du fils de Cicéron. Marcus fut ensuite nommé proconsul d'Asie, ou, suivant le témoignage d'Appius, proconsul de Syrie, et son nom ne se trouve plus dans l'histoire. Les écrivains anciens nous ont conservé deux traits qui prouvent du moins que la ruine de son parti et de sa fortune n'avait point abattu son courage. Dans une partie de débauche, il jeta un verre à la tête d'Agrippa, qui tenait le premier rang dans l'empire après Auguste, et l'on a présumé que cette querelle venait de quelque vive contestation sur les anciens intérêts qui avaient divisé la république, ou de quelque expression insultante d'Agrippa contre les héros du parti vaincu. Une autre fois, pendant son gouvernement d'Asie, Cestius, qui fut élevé ensuite à la préture, flatteur d'Auguste et ennemi déclaré de la réputation de Cicéron, eut la hardiesse de se présentera sa table. Marcus, qui ne le connaissait point, n'eut pas plutôt appris que c'était l'homme qui outrageait perpétuellement la mémoire de son père, jusqu'à l'accuser d'ignorance, qu'il le fit enlever de sa présence, et donna l'ordre de le fouetter publiquement. — Pour ce qui est d'Atticus, l'art qu'il avait trouvé de mener une vie paisible et calme, dans des temps si difficiles et si tumultueux, confirme l'idée que l'on a de ses principes, et doit le faire regarder comme un maître consommé dans cette doctrine, qui proposait le plaisir et le repos pour souverain bien. On s'imaginerait naturellement que ses liaisons avec Ciceron et Brutus, jointes à la renommée de ses richesses, devaient le faire envelopper dans les proscriptions du second triumvirat. Il en fut lui-même si alarmé, qu'il demeura quelque temps caché; mais ses craintes étaient sans fondement L'intérêt de son repos lui avait fait prévoir les maux dont Rome était menacée. Il avait fait assidûment sa cour à Marc-Antoine, et dans le temps même de la disgrâce de celui-ci, lorsqu'il était chassé de l'Italie, et que ses affaires paraissaient désespérées, il avait rendu d'importants services à ses amis de Rome. Il avait protégé sa femme et ses enfants, et les avait aidés de ses richesses. Aussi le triumvir, en arrivant à Rome, et dans la chaleur du massacre, s'empressa-t-il de faire chercher Atticus; et dès qu'il eut découvert le lieu de sa retraite, il lui écrivit de sa propre main pour calmer toutes ses craintes et l'inviter à venir le trouver. Il lui envoya même une garde, pour le mettre à couvert de l'insulte et de la violence des soldats. C'est encore aux précautions d'Atticus pour assurer son repos, qu'il faut attribuer la suppression de toutes ses lettres dans le recueil de celles de Cicéron. On est étonné qu'après une si longue correspondance entre ces deux amis, il ne se trouve pas une seule lettre d'Atticus. Il n'en faut pas chercher d'autre cause que le soin qu'il eut de redemander toutes les siennes à Tiron, après la mort de son maître, et de les supprimer sans exception, dans la crainte qu'elles ne pussent lui nuire, ou diminuer son crédit auprès du parti vainqueur. Sa tranquillité et sa fortune furent bientôt établies sur un fondement plus solide que celui de son mérite personnel, par le mariage de Pomponia, sa fille unique, avec Marcus Agrippa. Il fut redevable à Antoine de cette haute alliance, qui le fit admettre à la familiarité d'Auguste, par la faveur d'Agrippa son ministre et son favori; et, dans la suite, il devint lui-même l'allié du maître de l'empire, en mariant sa petite-fille à Tibère. Mais s'il vit encore dans la mémoire des hommes, il ne le doit qu'à l'amitié de Cicéron; car, ainsi que s'exprime Sénèque, ni son gendre Agrippa, ni Tibère, mari de sa petite-fille, ni Drusus, son arrière-petit-fils, n'auraient pas servi beaucoup à sa gloire, si le nom de Cicéron, emportant celui d'Atticus à sa suite, ne l'eût comme associé à son immortalité (Extr. de Middleton).

(168) On trouve aussi ce parallèle littéraire dans Quintilien (x, 1) et dans Longin (c. 10), pour ne citer que les anciens.

(169) Démosthène ne se refusait cependant pas toujours le plaisir ou les avantages de la plaisanterie. Cicéron, dans son Brutus, reconnaît que rien ne sent plus l'urbanité que les traits de ce genre que l'on trouve dans ses ouvrages.

(170) Plutarque exagère beaucoup ce que Cicéron dit dans son plaidoyer pour Celius; l'orateur excuse un peu le goût de cet accusé pour les plaisirs, mais il est loin de l'approuver.

(171) Pison avait fait un crime à Ciceron de ce vers si connu:

Cedant arma togæ, concedat laurea linguæ,

ou laudi, comme il le rapporte lui-même, et suivant Quintilien (xi, 1). Pison prétendait que par la première partie de ce vers, l'auteur avait entendu que les plus grands généraux devaient céder à la toge de Ciceron; et que par la seconde partie, il désignait Pompée, lequel en avait été très-blessé, et était devenu son ennemi. Cicéron expliqua sa pensée (in Pis. 29; de Off. i, 22), et se justifia avec une rare adresse de cette double accusation.

(172) Vers d'Eschyle, au témoignage de Plutarque lui- même, qui l'a cité plusieurs fois dans ses OEuvres mêlées. C'est dans le traité sur la Fortune d'Alexandre (c. 2) qu'il nomme l'auteur de ce vers.

(173) Quel autre parti avait-il à prendre que le silence, dit Ricard, lorsque le centurion Cornélius, ayant rejeté sa robe, avait montré la garde de son épée en disant dans le sénat: «Celle-ci le lui donnera?» (Suet. Aug. 26). Cependant, suivant Dion, xlvi, 43, Cicéron lui répondit: «Si vous demandez le consulat de cette manière, César l'obtiendra.»

en donner une juste