ŒUVRES COMPLÈTES DE CICÉRON AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD PROFESSEUR D'ÉLOQUENCE LATINE AU COLLÈGE DE FRANCE. - TOME PREMIER
TOME I. VIE DE CICÉRON, PAR PLUTARQUE, TRADUITE PAR AMYOT. (partie I - partie II)
Œuvre numérisée et mise en page par Patrick Hoffman
Vie de Cicéron - TABLEAU SYNCHRONIQUE...
ŒUVRES
COMPLÈTES
DE CICÉRON,
AVEC LA TRADUCTION EN FRANÇAIS,
PUBLIÉES
SOUS LA DIRECTION DE M. NISARD,
DE L'ACADEMIE FRABCAISE
INSPECTEUR GENERAL DE
L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR.
TOME PREMIER
PARIS,
CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, FILS ET CIE, LIBRAIRES,
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT DE FRANCE
RU JACOB, 56
M DCCC LIX
(xlix) VIE
DE CICÉRON,
PAR PLUT ARQUE,
TRADUITE PAR AMYOT.
SOMMAIRE DE LA VIE DE CICÉRON.
I. De la famille de Cicéron. II. Offrande faite par cet orateur aux dieux. III. Époque de sa naissance. IV. Son aptitude à toutes les sciences, et en particulier à l'éloquence et à la poésie. V. Études de Cicéron au sortir de ses premières écoles. VI. Il plaide la cause de Sextus Roscius. VII. Ses précautions pour se mettre à l'abri des proscriptions de Sylla. VIII. Ses nouvelles études pour se perfectionner dans l'éloquence. IX. Il s'en va en Asie et à Rhodes entendre les orateurs les plus célèbres. X. Il devient tout à coup le premier orateur de son temps. XI. Il cherche à imiter, dans sa prononciation, les acteurs Roscius et Æsopus. XII. Il exerce la questure en Sicile. XIII. Aventure qui lui arrive en revenant à Rome. XIV. Il apprend les noms de tous les hommes de quelque qualité, même des lieux où ils avaient quelque possession. XV. Il se charge de la cause des Siciliens contre Verres qu'il fait condamner. XVI. Légers obstacles qu'il éprouve dans cette affaire. XVII. Fortune de Cicéron, et sa manière de vivre. XVIII. Il est nommé préteur. Comment il se conduit dans cette charge à l'égard de Licinius Macer. XIX. Il plaide pour Manilius. XX. Il est nommé consul. XXI. Ses grands travaux au commencement de son consulat: il engage Antoine à entrer dans ses vues. XXII. Il fait rejeter la loi agraire que les tribuns proposaient. XXIII. De tous les orateurs, Cicéron est le premier qui ait fait sentir aux Romains quel charme l'éloquence ajoute à la beauté de la morale. XXIV. Il fait approuver parle peuple la distinction des places au théâtre, donnée par Othon aux chevaliers romains. XXV. Cicéron fait appeler Catilina au sénat, et s'arme d'une cuirasse pour la sûreté de sa personne. XXVI. Il fait échouer Catilina dans la demande du consulat. XXVII. Découverte de la conjuration de Catilina. XXVIII. Cicéron assemble le sénat. XXIX. Il est prévenu par Fulvie que Marcius et Célhégus doivent se rendre un matin chez lui avec des dagues couvertes pour l'assassiner. XXX. Il ordonne à Catilina de sortir de Rome. XXXI. Portrait de Cornélius Lentulus XXXII. Son projet pour faire entrer les Allobroges dans la conspiration est heureusement découvert par Cicéron. XXXIII. Ce consul fait assembler le sénat dans le temple de la Concorde, et lui donne connaissance des lettres qu'il avait interceptées. XXXIV. Il délibère sur le parti qu'il y avait à prendre dans cette affaire. Sa femme Térentia et son frère Quintus l'encouragent à faire punir les coupables. XXXV. Ils sont condamnés à mort par décret du sénat. XXXVI. Cicéron les fait exécuter. XXXVII. Haute réputation où cet événement élève Cicéron. XXXVIII. Le peuple lui donne le titre de sauveur et de second fondateur de Rome. XXXIX. Vanité de Cicéron; elle le rend odieux à beaucoup de monde. XL. Il rendait volontiers justice nu talent des autres. XLI. Son opinion sur Théophraste et sur Démosthène. XLII Excès auquel le porte l'ambition de faire valoir son éloquence. XLIII. Bons mots de Cicéron sur Crassus. XLIV. Sur Vatinius et sur Lucius Gellius. XLV. Sur Publius Sextius. XLVI. Sur Appius Clodius. XLVII. Clodius s'introduit chez la femme de César. XLVIII. Cicéron dépose contre lui. XLIX. Clodius est absous. L. Cicéron est accusé d'avoir fait mourir, contre les lois, Lentulus et les autres complices de Catilina. LI. Il quitte sa robe ordinaire, laisse croître sa barbe et prend des habits de deuil. LII. Tristesse du sénat et des chevaliers romains en voyant Clodius à la tête d'une troupe d'hommes armés. LIII. Cicéron va volontairement en exil. LIV. Clodius le fait bannir par décret du peuple. LV. Il brûle sa maison. LVI. Rappel de Cicéron. LVII. Il défend et perd la cause de Milon qui avait tué Clodius. LVIII. Il est nommé augure et proconsul de Cilicie. LIX. Sa conduite dans son gouvernement. LX. Il passe à Athènes en retournant à Rome. LXI. Cicéron, piqué contre César, va trouver Pompée. LXII. Plaisanteries ou épigrammes de Cicéron dans le camp. LXIII. Il ne paraît pas et ne se trouve (l) point à la journée mémorable de Pharsale; il refuse même, malgré les prières de Caton, d'être utile au reste de l'armée de Pompée. LXIV. Il va joindre César qui le reçoit avec honneur. LXV. Il défend devant le vainqueur de Pharsale la cause de Ligarius, et la gagne. LXVI. Il enseigne la philosophie. LXVII. Il cultive la poésie pendant son séjour auprès de Tusculum. LXVIII. Il répudie Térentia; se remarie à une jeune femme, et la répudie aussi. LXIX. Après la mort de César, il propose au sénat de faire un décret d'abolition générale. LXX. Il forme le dessein d'aller à Athènes. LXXI. Il revient à Rome, et est mandé au sénat par Antoine. LXXII. Il épouse avec chaleur le parti du jeune Octave. LXXIII. Il fait chasser Antoine de Rome, et envoie contre lui les consuls Hirtius et Pansa pour le combattre. LXXIV. Octave le sacrifie à Antoine. LXXV. Cicéron s'enfuit avec son frere Quintus. LXXVI. il est tué. LXXVII. Antoine fait attacher sa tète et ses mains à la tribune aux harangues. LXXVIII. A ce triste spectacle, les Romains croient avoir devant les yeux, non le visage de Cicéron, mais une image fidèle de l'âme d'Antoine.
CICERO1.
I. Quant à la mère de Cicéron, qui s'appelloit Helvia2, on dit bien qu'elle estoit née noblement et qu'elle a toujours vescu honorablement: mais quant à son pere, on en parle fort diversement et sans moyen, pource que les uns disent qu'il nasquit et fut nourry en l'ouvrouer d'un foulon3: les autres le font descendre de Tullius Attius4, qui en son temps fut honoré comme roy entre les Volsques, et feit la guerre fort et ferme aux Romains5: bien me semble il que le premier de cette race, qui fut surnommé Ciceron, fut quelque personnage notable, et que pour l'amour de luy, ses descendans ne rejetterent point ce surnom, ains furent bien aises de le retenir, encore que plusieurs s'en mocquassent, pource que Cicer en langage latin signifie un poy chiche, et celuy là avait au bout du nez, comme un poireau, ou une verrue, qui sembloit proprement un poy chiche, dont il fut pour cela surnommé Cicéron6. Mais cestuy duquel nous escrivons presentement respondit bien un jour gaillardement à quelques siens amis, qui lui conseilloient de laisser et changer ce nom là au premier magistrat qu'il (lj) demanda, et quand il commencea à s'entremettre du gouvernement de la chose publique: car il leur dit qu'il mettroit peine de rendre le nom des Cicerons plus clair et mieulx luysant que ceulx des Scaures ni des Catules7.
II. Et depuis estant questeur, e'est-à-dire, superintendant des finances eu la Sicile, il donna une offrande de quelque vase d'argent aux dieux, sur lequel il feit engraver tout du long ses deux premiers noms, Marcus Tullius, et au lieu du troisième commanda, par jeu, à l'ouvrier qu'il y entaillast, la forme d'un poy chiche. Voilà ce que l'on treuve pas escript quant à son nom.
III. Au demourant, ou dit que sa mere l'enfanta sans peine ne douleur quelconque, le troisième jour de janvier8: au quel jour les officiers et magistrats de Rome ont maintenant accoustumé de faire tous les ans solemnelles prières et sacrifices pour la santé et prospérité de l'empereur9: et dit on plus, qu'il apparut en esprit à sa nourrice, lequel luy prédit qu'elle nourrissoit un enfant qui seroit un jour cause d'un grand bien à tous les Romains: et combien que telles choses. semblent à plusieurs estre songes et resveries, si est ce que luy mesme bien tost après montra que c'estoit prophétie veritable incontinent qu'il fut parvenu en l'aage d'apprendre, tant il acquit de bruit et de renom entre les enfans, pour la vivacité de son bon entendement: de maniere que les peres des autres enfans venoient eulx mesmes aux escholes pour le veoir au visage, et pour sçavoir plus asseureement s'il estoit vray qu'il eust l'esprit si agu et si vif à apprendre, comme lon disoit: mais quelques uns qui estoient plus rustiques, s'en courrouceoient, et tensoient leurs enfans de ce qu'en allant parmy les rues ilz le mettoient tousjours au milieu d'eulx par honneur.
IV. Or avoit il l'entendement et la nature toute telle comme Platon la demande10 pour estre propre aux lettres, et idoine à l'estude de la philosophie: car il embrassoit toute sorte de sçavoir, et n'y avoit art ny science quelconque libérale qu'il dedaignast, mais neantmoins si estoit il en ses premiers ans plus enclin à l'estude de la poësie qu'à nul autre, et treuve lon jusques aujourd'huy un petit poëme qu'il escrivit estant encore enfant, qui se nomme Pontius Glaucus11, en vers iambiques de huit pieds: et depuis s'estant addonné plus chauldement à cest estude, il fut tenu nou seulement pour le meilleur orateur, mais aussi pour le meilleur poëte des Romains de son temps: toutefois la gloire de l'eloquence, et l'honneur de bien dire12 luy est tousjours demouré jusques icy, encore qu'il y ait eu depuis grande mutation en la langue latine: mais sa poésie a perdu tout bruit et toute réputation, pource qu'il y en a eu depuis d'autres beaucoup plus excellons que luy.
V. Sorty qu'il fut de l'estude des premières et puériles lettres13, il fut auditeur de Philon, philosophe académique, celuy de tous les disciples de Clitomachus, que les Romains estimerent pour son éloquence, et aimerent le plus pour ses meurs et ses façons de faire. Il hanta aussi alentour de Mutius Scævola, qui pour lors estoit homme d'affaire et la première personne du senat, duquel il apprenoit le droit et l'intelligence des lois, et si suyvit encore les armes quelque temps sous Sylla en la guerre Marsique14: mais voyant que les affaires estoient tumbées en séditions et guerres civiles, et de guerres civiles en monarchie, il se rendit à l'estude et à la vie (lij) contemplative, hantant les hommes grecs sçavans, et estudia tousjours aux sciences jusques à ce que Sylla fut demeuré vaincueur, et que les troubles de la chose publique commencèrent à se rasseoir.
VI. Mais environ ce temps là ayant Sylla fait mettre en criée et subbastation les biens d'un que lon disoit avoir esté occis, pource qu'il estoit du nombre des proscripts (c'est à dire, bannis par affiches15), Chrysogonus, un des serfs affranchis de Sylla, favorisé de son maistre, les achepta pour la somme de deux mille drachmes16; de quoy le fllz et héritier légitime du deffunct, appelle Roscius, estant fort desplaisant, monstra que c'estoit un manifeste abus, pource que le bien de son père montoit jusques à la somme de deux cents cinquante talents17. Sylla se sentit picqué de cela, se voyant convaincu d'avoir fait ceste fraude au public pour gratifier à un sien valet; si feit mettre sus à cestuy Roscius par la subornation de ce Chrysogonus, que c'estoit luy mesme qui avoit tué son propre père. Il n'y avoit orateur qui s'ozast presenter pour défendre ce pauvre Roscius, ains s'en tiroit chacun arriere, pource qu'ilz craignoient l'austérité et la cruaulté de Sylla. Parquoy le pauvre jeune homme Roscius, se voyant destitué de tous autres, fut contrainct de recourir à Ciceron, auquel ses amis conseillèrent qu'il entrepris! hardiment ceste défense, pource qu'il ne recouvreroit jamais une si belle occasion ne si honorable commencement de se mettre en réputation, que celuy là: si se résolut de prendre en main ceste cause, et la plaida si bien qu'il obteint tout ce qu'il voulut, dont il fut merveilleusement estimé.
VIL Mais redoubtant l'indignation de Sylla18, il s'absenta de Rome, et s'en alla en la Grèce, faisant courir le bruit que c'estoit pour se faire panser de quelque indisposition qu'il sentoit en sa personne; car, à la vérité, il estait aussi fort maigre et fort descharné, et mangeoit bien peu, et encore sur le tard, pour l'imbécillité et la foiblesse grande de son estomac: toutefois, il avoit la voix bonne et forte, mais elle estoit un peu rude, et non encore bien formée: et pour la véhémence et l'affection de son parler montoit tousjours, et esclattoit jusques aux plus haults tons, de manière qu'il y avoit danger que un jour cela ne luy apportast quelque notable accident en sa personne.
VIII. Arrivé qu'il fut à Athenes19, il ouit Antiochus, natif de la ville d'Ascalone, prenant plaisir à la doulceur coulante et à la bonne grace de son langage, encore qu'il n'approuvast pas les nouvelletez qu'il avoit introduittes en la philosophie20; car Antiochus avoit ja abandonné les opinions de la secte de philosophie, que lon appelloit la nouvelle Académie, et avoit laissé la ligue de Carneades, soit ou pource que l'evidence manifeste des choses, et la certaineté des sens le feist fleschir et changer d'opinion, ou, comme aucuns veulent dire, pource que par jalouzie et envie de contredire aux escholiers et adherens de Clitomachus et de Philo, il eust reprouvé les resolutions des academiques, qu'il avoit longtemps defendues, pour adhérer à celles des stoïques en la plus part. Mais Ciceron aimoit plus les académiques21, et y estudioit plus qu'aux autres, faisant son compte, que s'il se voyoit de tout poinct forclos et privé du maniement des affaires, il s'en iroit vivre à Athenes, loing de toute plaiderie, et de toute administration de la chose publique, pour user ses jours au repos de l'estude de la philosophie: mais quand la nouvelle luy fut venue, que Sylla estoit mort, (liij) qu'il veit que son corps estant renforcé par exercices, s'en alloit estre d'assez bonne et forte, complexion, et que sa voix se façonnant tous les jours de plus en plus, venoit à emplir l'oreille d'un son doulx et gracieux, et si estoit assez forte pour la proportion de la puissance de son corps, avec ce qu'il recevoit tous les jours lettres de ses parens et amis, qui luy escrivoient de Rome, et le prioient qu'il s'en retournast au païs, et que Antiochus aussi, d'autre costé, l'admonestoit fort de se mettre à l'action et au maniement des affaires, il se remeit de rechef à estudier en rhétorique, et à cultiver son éloquence comme un util nécessaire à qui se veult entremettre du gouvernement de la chose publique, en s'exercitant continuellement à faire des harengues sur argumens supposez, et s'approchant des orateurs et maistres d'éloquence qui pour lors estoient les plus renommez.
IX. Car pour cest effect, il s'en alla en Asie et à Rhodes, et entre les orateurs asiatiques il hanta Xenocles Adramettin, et Dionysius Magnésien, et estudia aussi avec Menippus Carien, et à Rhodes il ouit Apollonius Molon, et le philosophe Posidonius; et dit on que Apollonius, n'entendant pas la langue romaine, le pria qu'il voulust, par manière d'exercice, déclamer en grec devant luy: ce que Ciceron feit fort vouluntiers, estimant que par ce moyen ses faultes en seraient mieulx corrigées. Quand il eut achevé de harenguer, tous les autres assistans se trouvèrent fort esbahis, et le louèrent tous à l'envy l'un de l'autre; mais Apollonius, pendant qu'il parla, ne monstra oncques semblant de joyeuse chere, et quand il eut achevé, demoura longuement assis tout pensif sans mot dire. De quoy Ciceron estant mal content, Apollonius à la fin luy dit: «Quant à moi, Ciceron, non seulement je te loue, ains, qui plus est, je t'admire aussi: mais bien ay-je compassion de la pauvre Grece, voyant que le sçavoir et l'éloquence, les deux seulz biens et honneurs qui nous estoient demourez, sont par toy conquis sur nous et attribuez aux Romains22.»
X. Ainsi estant Ciceron en voulunté et en train de s'en aller gayeinent et avec bonne espérance jetter au gouvernement de la chose publique, il en fut un peu refroidy par un oracle qui luy fut respondu. Car ayant enquis le dieu Apollo Delphique, comment et en quelle sorte il pourrait acquérir très grande renommée, et se rendre fort Illustre, la prophetesse Pythie luy respondit, «qu'il le feroit moyennant qu'il suyvist pour la guide de sa vie plus tost sa nature que l'opinion populaire23:» au moyen de quoy, quand il fut à Rome du commencement, il se gouvernoit assez reserveement, et s'approchoit mal vouluntiers des magistrats; encore quand il y alloit, n'en faisoit on pas grand compte: car on l'appelloit communément le Grec et l'escholier24, qui sont deux paroles que les artisans, et telle manière de gens mechaniques à Rome, ont assez accoustumé d'avoir en la bouche. Mais estant de sa nature désireux d'honneur, et poulsé par les exhortemens de son père et de ses amis, il se meit à la fin à advocasser, là où il ne parvint pas au premier lieu petit à petit et par le menu, ains tout aussi tost qu'il s'y fut mis, reluisit en estime de bien dire par dessus tous les autres orateurs qui se mesloient de plaider en ce temps là, et les laissa tous derrière luy.
XI. Si dit on neantmoins qu'ayant eu au commencement les mesmes defaults de nature, quant au geste et à la pronunciation, qu'avoit eu Demosthenes, pour les emender, il estudia soigneusement à imiter Roscius25, qui estoit excel- (liv) lent joueur de comœdies, et Æsopus joueur de tragœdies, du quel Æsopuson escrit, que jouant un jour en plein theatre le rolle d'Atreus, qui délibère en. soy meesme comment il se pourra venger de son frere Thyestes, il y eut d'adventure quelqu'un des serviteurs qui voulut soudain passer en courant par devant luy, et que luy estant hors de soy mesme pour l'affection vehemente, et pour l'ardeur qu'il avoit de bien representer au vif la furieuse passion de ce roy, luy donna sur la teste un tel coup du sceptre qu'il tenoit en la main, qu'il le rua mort sur la place: aussi ne donnoit pas la grâce de la pronunciation peu de force de persuader aux paroles de Ciceron, lequel se mocquant des orateurs qui en harenguant crioient à pleine teste, souloit dire qu'ilz faisoient comme les boitteux, lesquelz montent à cheval26, pource qu'ilz ne peuvent aller à pied: aussi eulx (ce disoit-il) crient, pource qu'ilz ne scavent pas parler. Or quant à ceste joyeuseté de se mocquer, et rencontrer ainsi plaisamment, c'est bien chose séante à qui se veult mesler de plaiderie, et qui part de bon esprit: mais par en user trop souvent et à tout propos, il faschoit beaucoup de gens, et se faisoit estimer homme picquant et maling.
XII. Il fut eleu quaesteur en temps de cherté, qu'il y avoit faulte de blez à Rome, et luy advint la Sicile pour sa province, là où du commencement il fut mal voulu des Siciliens, à cause qu'il les contraignit d'envoyer du bled à Rome: mais depuis quand ils eurent un peu essayé sa diligence, sa justice et sa clémence, ils l'honorèrent et aimèrent autant ou plus que gouverneur qu'ilz eussent onc eu de Rome. Or y avoit il plusieurs jeunes hommes romains de bonnes et n0bles maisons, qui estans accusez d'avoir laschement fait faulte à leur honneur et devoir contre les ordonnances de la guerre, avoient esté renvoyez par devant le præteur de la Sicile: Ciceron parla pour eulx et les défendit excellentement, de sorte qu'ilz furent absouls.
XIII. Au moyen de quoy se promettant beaucoup de soy, quand son temps fut achevé, il s'en retourna à Rome, et luy advint par le chemin, une chose digne de risée: car en passant par le païs de la Champagne27, autrement ditte terre de Labour, il rencontra d'adventure l'un des principaux Romains, qui estoit de ses amis, au quel il demanda quel compte lon faisoit de luy à Rome, et quelle opinion on avoit de ses faicts, pensant bien avoir emply toute la ville de la gloire de son nom et de ses gestes: l'autre luy demanda, «Et où estois tu cependant que nous ne t'avons point veu, Ciceron?» Cela le descouragea fort sur l'heure, quand il veit que le bruit de son nom entrant en la ville de Rome comme en une mer infinie, s'estoit ainsi evanouy sans qu'il en fust mention notable28. Mais depuis quand il vint à considérer en luy mesme avec discours de raison, qu'il se travailloit pour acquérir une chose infinie que la gloire, où il n'y (lv) avait but ne terme quelconque prefix, auquel l'homme peust advenir, cela luy retrancha beaucoup de l'ambition qu'il avoit mise en sa teste. Toutefois l'estre extrêmement joyeux de se sentir louer29, et l'estre passionné du désir d'honneur luy demoura tousjours tant qu'il vescut jusques à la fin, et le feit plusieurs fois dévoyer du droit chemin de la raison.
XIV. Au demeurant quand il commencea de s'entremettre à bon esciant des affaires de la chose publique30, il luy sembla mal seant que les artisans mechaniques eussent plusieurs instrumens et utilz sans ames, desquelz ilz sçavent tous les noms, les lieux où ilz les doivent prendre, et l'usage auquel ilz servent, et qu'un homme d'estat qui fait ses actions avec l'aide et le service des hommes, fust négligent et paresseux d'apprendre et retenir les noms de ses citoyens: à l'occasion de quoy il s'accoustuma à scavoir non seulement les noms des hommes de quelque qualité, mais aussi les quartiers de la ville où ilz demeuroient, les beaux lieux qu'ilz avoient aux champs, les amis avec lesquelz ilz hantoicnt et les voisins qu'ilz frequentoient: de manière qu'en allant par l'Italie en quelque endroit que ce fust, Ciceron pouvoit monstrer et nommer les possessions et maisons de ses amis.
XV. Il n'avoit pas beaucoup de biens, et si eu avoit assez pour fournir à sa despense, dont on s'esbahissoit, et l'estimoit on grandement de ce qu'il ne recevoit salaire ny présent quelconque31, pour cause qu'il plaidast, mesmement lorsqu'il entreprist de plaider la cause contre Verres. Cestuy Verres avoit esté præteur et gouverneur de la Sicile, là où il avoit commis plusieurs meschancetez, pour lesquelles les Siciliens l'avoient appellé en justice, et Ciceron ayant pris en main la cause pour eulx, le feit condemner, non en plaidant, mais, par manière de dire, en non plaidant, pour autant que les præteurs qui estoient comme les presidens es jugemens, vouloient gratifier à Verres, et avoient tant donné de remises et de delais, qu'ilz avoient rejeté la cause jusques au dernier jour plaidoyable. Par quoy Ciceron voyant que le jour ne suffirait pas à prononcer tout ce qu'il avoit à dire contre luy, et que par ce moyen le procès ne serait point vuidé ne la cause jugée, il se leva en pieds, et dit qu'il n'estoit point autrement besoing de harengues, ains produisit seulement ses tesmoings aux juges: et les ayant fait interroguer, leur requit qu'ilz jugeassent sur les dépositions des tesmoings qu'ilz avoient ouïs. Toutefois, on compte encore plusieurs plaisantes rencontres qu'il dit en ceste cause là. Les Romains appellent un pourceau qui n'est point chastré Verres, c'est-à-dire, un verrat.
XVI. Or y avoit il un nommé Cecilius filz d'un serf affranchy, qui estoit souspeçonné d'adhérer à la loi des juifz. Cestuy Cecilius32, vouloit deboutter les Siciliens de ceste accusation de Verres, et que la charge de l'accuser luy fust baillée à luy seul. Ciceron se mocquantde ceste siene poursuitte, lui dit: «Quelle chose peult avoir un juif à demesler avec un verrat33?» Cestuy Verres avoit un filz qui estoit ja à l'entrée de son adolescence, et avoit le bruit de peu honestement user de sa beaulté: parquoy un jour que Verres se cuida mocquer de Ciceron, disant qu'il estoit trop délicat, «C'est à ses enfans, dit-il, qu'il fault faire ces reproches là, en secret, à la maison.» En ceste cause l'orateur Hortensius n'oza pas directement prendre la défense de Verres: mais (lvj) quant à la condemnation de l'amende, il se laissa bien induire à comparoir pour luy, et pour ce faire en eut en don une image de sphinx d'yvoire34 que Verres luy donna, de quoy Ciceron luy jetta quelque mot picquant à la traverse: et Hortensius ne l'ayant pas entendu, dit qu'il n'avoit point appris à souldre les énigmes: «Si as tu un sphinx en ta maison35, luy respondit incontinent Ciceron.» A la fin Verres ayant esté condemné en la somme de soixante et quinze mille escus pour l'amende, Ciceron fut souspeçonné de s'estre laissé gaigner et corrompre par argent pour conclure contre luy en si petite somme36: ce neantmoins quand il vint à estre eleu Ædile, les Siciliens se sentans ses redevables, luy apporterent et envoyèrent plusieurs présens de leur isle, dont il ne tourna chose quelconque à son particulier profit, et uza de leur libéralité seulement à faire ravaller les prix des vivres en la ville.
XVII. Il avoit un beau lieu dedans le territoire de la ville d'Àrpos37, et une autre possession au près de Naples, et une autre alentour de la ville de Pompéï, qui n'estoient pas gueres grandes38: (lvij) et depuis eut encore le douaire de sa femme Terentia39, qui pouvoit monter à la somme de Douze mille escus40, et une succession qui pouvoit valoir environ neuf mille escus41, dont il (lviij) vivoit honestement et sobrement sans superfluité avec ses familiers Grecs et Romains qui aimoient tes lettres, se mettant à table bien peu souvent avant le coucher du soleil, non tant pour occupations grandes qu'il eust, que pour la foiblesse et imbecilité de son estomac: car il estoit au demourant exquis et diligent au soing de sa personne, jusques à user de frottement et de tours de promenemens en nombre certain: et par ce moyen traittant et gouvernant son corps, il se le mainteint non seulement sans maladie, mais aussi fort et robuste pour supporter plusieurs grands labeurs et travaux qu'il luy convint soustenir depuis. Il céda la maison paternelle à son frère42, et luy s'en alla tenir au mont Palatin, (lix) à celle fin que ceulx qui le viendraient visiter par honneur, et qui luy feraient la cour, ne se travaillassent pas tant d'aller si loing: car il n'y avoit pas moins de gens tous les matins à sa porte, qu'à celle de Crassus pour ses richesses, ou de Pompeius pour l'authorité et le crédit qu'il avoit entre les gens de guerre, qui estoient les deux plus puissans hommes qui fussent pour lors à Rome: et, qui plus est, Pompeius luy mesme luy faisoit la cour, à cause que l'entremise de Ciceron lui servoit de beaucoup à l'accroissement de sa gloire et de son authorité.
XVIII. Quand il vint à briguer et demander l'estat de præteur, qui est comme juge ordinaire, encore qu'il eust beaucoup et de grands compétiteurs, il fut le premier de tous déclaré eleu: en l'exercice duquel estat il se gouverna si honestement, qu'il ne fut jamais souspeçonné de corruption ny de concussion quelconque. Et à ce propos on racompte que Licinius Macer, homme qui pouvoit beaucoup de luy mesme, et qui oultre cela estoit encore porté et soustenu par Crassus, fut accusé devant luy de larcin et de maleversation en son estat, et que se confiant au crédit qu'il cuidoit avoir, et à la brigue grande que faisoient ses amis pour luy, il se retira en sa maison avant que la sentence de son procès fust donnée, estans encore les juges sur les opinions, et que là il feit en diligence sa barbe, et vestit une belle robbe neufve, comme se tenant tout asseuré d'avoir gaigné son procès, puis s'achemina vers la place: mais Crassus luy alla au devant, et le rencontrant, luy dit comme il avoit esté condemné par toutes les sentences de tous les juges, dont il fut si desplaisant, qu'il s'en retourna tout court, et s'alla mettre au lit, dont il ne releva oncques puis43. Ce jugement apporta grande réputation à Ciceron, pource que lon luy donna la louange d'avoir diligemment tenu la main à ce que la justice eust lieu. Un autre nommé Vatinius44, homme effronté, et qui portait peu de révérence aux magistrats en plaidant, ayant au demourant le col tout plein d'escrouelles, se presentoit un jour arrogamment devant Ciceron estant en son siège prætorial, et luy demandoit quelque chose, que Ciceron ne luy vouloit point ottroyer sur le champ, ains s'en vouloit conseiller à loisir: et Vatinius luy dit, qu'il ne feroit point de difficulté de cela s'il estoit præteur. Ciceron se tournant vers luy, luy respondit: «Aussi n'ay je pas le col si gros que toy45.»
XIX. Environ la fin de son magistrat, deux ou trois jours avant que son temps expirast, il y eut quelqu'un qui meit en justice par devant luy Manilius, l'accusant semblablement d'avoir desrobbé la chose publique. Cestuy Manilius estoit bien voulu et favorisé du peuple, lequel avoit opinion que lon le persecutoit non tant pour sa faulte, que pour faire desplaisir à Pompeius, de qui il estoit particulièrement amy. Il demanda quelques jours pour respondre aux charges qu'on luy mettoit sus, et Ciceron ne luy bailla pour tout delay que le jour ensuivant seulement, dont le peuple se courroucea fort, à cause que les autres præteurs avoient accoustumé de donner en telz cas dix jours de delay pour le moins. Le lendemain, comme les tribuns du peuple le tirassent en jugement, et proposassent leur accusation contre luy, il pria Ciceron de le vouloir patiemment ouïr: et Ciceron respondit, que sa coustume estant de user de toute la gracieuseté, douceur et humanité, qui luy estoit loisible par les loix, envers ceulx qui estoient accusez, il luy sembloit qu'il tiendrait grand tort à Manilius s'il ne faisoit le semblable à son endroit, et que pour ceste cause n'ayant plus qu'un seul jour à estre en son office de præteur, il luy avoit expressement donné ce jour là, à fin qu'il peust respondre devant luy, pource qu'il luy sembloit, que haine publique dont il fut l'objet, ses écrouelles et son consulat, passèrent en proverbe. Sénèque en fait un portrait frappant (de Const. cap. ii, 6.). (lx) de remettre le jugement de ceste cause, et le renvoyer par devant un autre præteur, n'eust pas esté fait en homme qui eust eu envie de luy faire plaisir. Ces paroles changerent merveilleusement l'opinion et l'affection du peuple envers luy, et en disant tous les biens du monde de luy, le prièrent de prendre la protection et defense de Manilius: ce qu'il feit bien vouluntiers, et se présentant en jugement comme orateur, pour plaider pour luy, feit une belle harengue, en laquelle il parla bien aigrement et franchement à rencontre des gros de la ville, et de ceulx qui portoient envie à Pompeius.
XX. Et néantmoins quand il vint à demander et prochasser l'office du consulat, il ne trouva pas moins de port et de faveur envers les nobles et les principaux de la ville, qu'envers le menu peuple: car ilz luy aidèrent à obtenir ce qu'il demandoit pour le regard du bien et de l'utilité publique, à cause de telle occasion: la mutation du gouvernement qu'avoit introduit Sylla, du commencement avoit semblé bien estrange au peuple, mais lors s'y estans jà les hommes accoustumez par traict de temps, elle commenceoit à prendre pied et à n'estre plus trouvée mauvaise: toutefois il y avoit quelques particuliers qui vouloient changer et renverser tout sans dessus dessoubz pour servir à leur propre avarice, et non point pour aucun bien publique, attendu mesmement que lors Pompeius estoit encore en Levant, où il faisoit la guerre aux roys de Pont et d'Arménie, et qu'il n'estoit demouré à Rome aucune force qui fust suffisante pour résister à ces séditieux, qui cherchaient de, faire quelque nouvelleté, lesquelz avoient pour leur chef Lucius Catilina, homme hardy et hazardeux à entreprendre toute grande chose, cauteleux et malicieux de nature, et que l'on chargeoit entre autres forfaittures enormes dont il estoit souspeçonné, d'avoir dépucelle une siene fille propre, et d'avoir tué son frère germain, duquel meurtre craignant d'estre appelle en justice, il pria Sylla de le faire mettre au nombre des condamnez et proscripts, comme s'il eust encore esté vivant. Ces meschans seditieux doncques ayans un tel homme pour leur capitaine, s'estoient asseurez et obligez les uns aux autres par plusieurs moyens, et entre autres, avoient tué un homme, duquel ilz avoient mangé la chair ensemble46, et avoient corrompu une grande partie de la jeunesse: car le capitaine leur subministroit à chascun tous les plaisirs ausquelz la jeunesse est encline, comme banquets, amours de folles femmes, et leur fournissoit argent largement pour soustenir toute celle despense. Davantage toute la Thoscane estoit en branle de se rebeller, et la plus grande partie de la Gaule aussi, qui est entre les Alpes et l'Italie: et si estoit la ville de Rome d'elle mesme en grand danger de mutation pour l'inegalité des biens des habitans, à cause que ceulx des plus nobles maisons, et qui avoient le cueur plus grand, avoient despendu tous leurs patrimoines enjeux et en festins, ou en edifices qu'ilz faisoient bastir à leurs despends pour gaigner la grâce du peuple, à fin d'obtenir les magistrats, de sorte qu'ilz en estoient devenus pauvres, et les richesses estoient devoluës entre mains de petits personnages qui avoient les cueurs bas, de maniere qu'il falloit bien peu de chose pour faire tourner l'estat des affaires sans dessus dessoubz, et estoit en la puissance de quiconque l'eust ozé entreprendre, de remuer le gouvernement, tant la chose publique estoit corrompue et gastée au dedans de soymesme. Toutefois Catilina voulant encore se saisir d'un fort, pour mieux pouvoir parvenir au but de son entente, demanda le consulat, ayant grande esperance qu'il serait eleu consul avec Caius Antonius, homme qui de soymesme n'estoit pas pour commencer à faire ny grand bien ny grand mal, mais qui pouvoit adjouxter beaucoup de force à un autre qui l'eust mené: ce que prevoyans plusieurs gens de bien et d'honneur, solliciterent Ciceron de demander le consulat, et le peuple l'ayant aggreable, Catilina vint par ce moyen à decheoir de son esperance, et Antonins et Ciceron furent déclarez consulz, combien que Ciceron fust seul entre les poursuivans, né de père chevalier seulement47, et non sénateur romain, et si ne sçavoit pas encore la commune les secrettes menées de Catilina.
XXI. Mais dès le commencement de son consulat, il eut de grands travaux et grands affaires, pource que d'un costé ceulx à qui il estoit defendu par les ordonnances de Sylla de tenir magistrats à Rome, qui n'estoient point foibles ny en petit nombre, alloient prattiquans la bienveillance du peuple, en disant et alléguant plusieurs choses justes et véritables contre la vio- (lxj) lente domination et tyrannie de Sylla, mais en temps qu'il n'estoit pas seur de rien changer ny remuer au gouvernement de la chose publique48: et d'autre costé les tribuns du peuple mettoient en avant des loix et des edicts servans à ce propos; car ilz vouloient que lon eleust dix commissaires avec puissance et authorité souveraine par toute l'Italie, par toute la Syrie, et encore par tous les païs et provinces, que Pompeius avait nouvellement acquises à l'empire romain, de vendre et aliéner ce qui appartenoit à la chose publique, faire le procès à qui bon leur semblerait, bannir et envoyer en exil, peupler villes, prendre argent au trésor de l'espargne, lever des gens de guerre, les entretenir et soudoyer tant et si longtemps que bon leur semblerait. Pour ceste grande puissance il y avoit plusieurs hommes de qualité qui adhéraient et favorisoient à ces loix, mesmement Antonius compagnon de Ciceron, pource qu'il avoit espérance d'estre l'un de ces dix commissaires: et si pensoit on qu'il sçavoit bien la menée de Catilina, et qu'il n'en estoit pas mal content, pource qu'il se trouvoit fort chargé de debtes: ce qui donnoit plus de crainte aux gens de bien que nulle autre chose: et pourtant Ciceron, voulant premièrement remedier à ce danger, feit que la province du royaume de Macédoine luy fut destinée49, et luy estant à luy mesme presentée celle de la Gaule, il s'en excusa: et par le moyen de ce bénéfice gaigna Antonius comme un joueur de farces mercenaire, luy faisant promettre pour le bien de la chose publique, qu'il le seconderait, et ne dirait sinon ce qu'il lui nommerait.
XXII. Quand il eut gaigné celuy là, et qu'il l'eut rendu maniable à sa voulunté, il se commencea à asseurer davantage, et à resister plus hardiment à ceulx qui mettoient en avant ces nouvelletez: car en plein senat il se prit un jour à réprouver et condemner la loy que les tribuns50 vouloient faire passer, et estonna tellement ceulx qui en estoient authcurs, qu'il n'y eut personne d'eulx qui luy ozast contredire. Ce neantmoins les tribuns attenterent encore une autre fois depuis de la faire authoriser, et donnèrent assignation aux consulz de comparoir devant le peuple: mais Ciceron ne s'estonna point pour cela, ains commandant au senat de le suyvre, non seulement felt rejetter la loy de ces tribuns au peuple, mais davantage leur feit perdre esperance de pouvoir rien conduire à chef de tout ce qu'ilz avoient entrepris: tant il les abaissa et supplanta par son éloquence.
XXIII. Car ce a esté le personnage qui plus a fait cognoistre aux Romains combien l'éloquence adjouxte de plaisir et fait trouver doulx ce qui est honeste, et que le droit et la raison sont invincibles quand on lesscait bien dire, et qu'il fault que celuy qui veult faire devoir d'homme sage au gouvernement d'une chose publique, voyse tousjours de faict préférant ce qui est utile à ce qui chatouille et qui flatte la multitude: mais de paroles qu'il doit aussi chercher de faire, que ce qui est utile ne soit desplaisant51.
XXIV. Auquel propos on peult aussi alleguer, pour monstrer combien il avoit de grâce en son parler, ce qu'il feit du temps de son consulat, touchant l'ordre de seoir au théâtre à veoir jouer les jeux; car au paravant les chevaliers romains seoient pesle mesle parmy le menu peuple ainsy que chascun se rencontrait, et le premier qui y meit distinction fut Macus Otho52, lors præteur, lequel feit un edict, par lequel il ordonna des sieges separez pour les chevaliers romains, de là où ilz verraient des lors en avant jouer les jeux. Le peuple prit cela à cueur, comme estant fait à son deshonneur, de sorte que depuis, quand Otho entra dedans le théâtre, tout le menu peuple se prit à le siffler pour lui faire honte, et au contraire les chevaliers lui feirent place entre eulx avec grands batemens de mains, en signe d'honneur: à l'occasion de quoy le peuple de rechef commencea à siffler plus que devant, et les chevaliers a batre des mains, et de là se tournèrent à s'entredire villanie les uns (lxij) aux autres, de manière que tout le theatre estoit en confusion; ce qu'entendant Ciceron s'y en alla luy mesme, et appellant le peuple au temple de la déesse Bellone, le tensa et le prescha si bien, que retournant sur l'heure mesme au theatre, ils honorèrent et recueillirent aussi de batemens de mains Otho, et feirent à l'envy des chevaliers à qui plus luy feroit de caresse et d'honneur.
XXV. Mais les complices de la conjuration de Catilina, qui du commencement s'estoient un petit refroidiz pour la peur qu'ilz avoient eue, recommencerent de nouveau à prendre cueur en se trouvant ensemble, et s'entre encourageant de mettre la main à l'œuvre plus hardiment, devant que Pompeius fust de retour; lequel on disoit estre ja en chemin pour s'en retourner avec son armée: mais surtous, les soudards qui jadis avoient esté à la guerre soubs Sylla, estans escartez cà et là par toute l'Italie, et plus part d'iceulx, mesmement les plus belliqueux, estans espandus et semez par les villes de la Thoscane, solicitoieut et hastoient Catilina, se promettans bien qu'ilz auroient encore une autre fois des richesses toutes prestes à piller et à robber à leur plaisir. Ces soudards ayans pour leur capitaine un nommé Manlius, qui autrefois avoit eu charge notable soubz Sylla, estoient bandez avec Catilina, et s'estoient trouvez à Rome pour luy aider à sa brigue: car il s'estoit mis à demander de rechef le consulat, ayant délibéré de tuer Ciceron durant le bruit et le tumulte de l'élection. Les dieux monstroient assez évidemment par tremblemens de terre, par foudres et tonnerres, et par visions de fantasmes53 qui apparoissoient, les menées secrettes qui se machinoient, et en avoit on des indices véritables par personnes qui les venoient révéler: mais ilz n'estoient pas encore suffisans pour procéder à rencontre d'un homme noble, et qui pouvoit beaucoup, comme Catilina. Parquoy Ciceron dilayant le jour de l'élection, feit appeller Catilina au senat, là où il l'interrogua sur ce qui se disoit contre luy; et luy se persuadant qu'il y en avoit beaucoup dedans le senat mesme, qui ne demandoient autre chose que la nouvelleté et la mutation, et aussi se voulant monstrer prest à ceulx qui estoient de sa conjuration, feit une response molle54 à Ciceron, disant: «Quel mal fais-je, si y ayant deux corps en ceste ville, l'un gresle, maigre et tout pourry, qui a un chef, et l'autre grand, gros et fort, qui n'en a point, je lui en mets un?» Voulant, par ceste response enveloppée et couverte, signifier le peuple et le senat. Ceste response ouye, Ciceron eut encore plus grande crainte que devant, de sorte qu'il s'arma d'un corps de cuirace pour la seureté de sa personne, et fut accompagné par tous les gens de bien, et grand nombre de jeunes hommes, à l'aller de son logis jusques au champ de Mars, où se faisoient les elections, et avoit expressement laissé son saye lasche au collet, à fin qu'on peust voir le bout de la cuirace qu'il avoit sur son dos, pour faire cognoistre à ceulx qui le regarderaient le danger auquel il estoit.
XXVI. Ce que tout le monde trouvoit fort mauvais, et se rangeoit on autour de lui pour le défendre de qui l'eust voulu assaillir. Si fut la chose à tant conduitte, que par les voix du peuple Catilina fut une autre fois débouté de l'office du consulat, et furent eleuz consulz Syllanus et Murena.
XXVII. Peu de temps après ceste élection, estans ja ensemble les soudards de la Thoscane qui dévoient venir à Catilina, et estant le jour prochain qu'il avoit prefix pour executer leur entreprise, environ la minuict vindrent en la maison de Ciceron55 trois des principaux et plus puissans hommes de la ville, Marcus Crassus, Marcus Marcellus et Scipio Metellus, et batant à la porte, appelleront le portier, et luy dirent qu'il allast esveiller son maistre, et luy faire entendre comme ilz estoient eulx trois à la porte, et qu'ils avoyent à parler à luy pour une telle occasion56: Le soir après soupper. le portier de la maison de Crassus lui avoit baillé un pacquet de lettres qu'un homme incogneu avoit apportées, lesquelles s'adressoient à diverses personnes, et y en avoit une qui n'estoit point (lxiij) soubscripte, laquelle s'addressoit à Crassus mesme. Ceste lettre portait que bientost il se devoit faire un fort grand meurtre en la ville par Catilina, à raison de quoy il l'admonestoit et conseilloit de sortir de la ville. Crassus ayant leu ceste lettre ne voulut point ouvrir les autres, ains s'en alla tout droit vers Ciceron, meu de la crainte du danger, et en partie aussi pour se justifier de quelque souspeçon qu'on avoit sur luy pour l'amitié qui estoit entre luy et Catilina.
XXVIII. Ciceron doncques ayant deliberé avec eulx sur ce qui estoit à faire en tel cas, le lendemain au plus matin feit assembler le senat, et portant avec soy les lettres, les distribua à ceulx à qui elles s'addressoient, leur commandant de les lire tout hault. Ces lettres toutes également et conforméement descouvroieut la conjuration: et davantage Quintus Arrius57, homme d'authorité, comme celuy avoit autrefois esté præteur, dit publiquement les amas de gens de guerre qui se faisoient par la Thoscane: et rapporta lon encore que Manlius avec une grosse trouppe de soudards tenoit les champs alentour des villes de la Thoscane, n'attendant autre chose que les nouvelles de quelque mouvement qui se devoit faire à Rome. Toutes lesquelles choses considerées, il fut fait un arrest et decret au senat, par lequel on remettoit entierement les affaires entre les mains des consulz, à celle fin qu'eulx en prenant la charge prouveussent avec authorité souveraine ainsi que mieulx ilz pourraient et scauroient faire, à ce que la chose publique ne tumbast en aucun inconvénient. Ceste manière de decret et de conclusion ne se souloit pas souvent prendre au senat, ains seulement alors qu'ilz redoubtoient quelque grand danger évident58. Parquoy Ciceron ayant ceste pleine puissance, commeit les affaires de dehors à Quintus Metellus et reteint à luy la charge du dedans de la ville: et le jour en allant par la ville estoit environné d'un si grand nombre d'hommes, que quand il passoit à travers la grande place, elle estoit presque toute remplie de la trouppe qui l'acconipagnoit. A l'occasion de quoy Catilina ne pouvant plus différer ni attendre, résolut de s'en aller luy mesme devers Manlius, là où estoit leur armée; mais avant que partir il attiltra un nommé Marcius et un autre Cethegus59 ausquelz il commanda s'en aller le matin à la porte du logis de Ciceron avec des dagues couvertes pour le tuer, soubz couleur de lui venir donner le bonjour et le saluer.
XXIX. Mais il y eut une dame de noble maison nommée Fulvia, qui la nuict de devant en alla avertir Ciceron, l'admonestant qu'il se gardast de ce Cethegus, lequel ne faillit pas à venir le lendemain de bon matin, et luy estant l'entrée de la maison defendue, commencea à se courroucer et à crier devant la porte, ce qui le rendit encore plus suspect. A la fin, Ciceron sortant de sa maison, feit appeller le senat au temple de Jupiter Stator, qui vault autant à dire comme, Arresteur, lequel est situé à l'entrée de la rue Sacrée, ainsi que lon monte au mont Palatin.
XXX. Là se trouva Catilina avec les autres, comme pour se justifier des choses dont on le souspeçonnoit, mais il n'y eust pas un des autres senateurs qui se voulust asseoir auprès de luy, ains se leverent tous du banc sur lequel il avoit pris place, et quand il cuida commencer à parler ne peut oncques avoir audience pour le bruit qui se leva contre luy, jusques à ce que finablement Ciceron se leva, et lui commanda de sortir de la ville60, et qu'il falloit necessairement qu'il y eust separation de murailles entre eulx, attendu que l'un se servoit de paroles, et l'autre vouloit user d'armes et de voye de faict.
XXXI. Parquoy Catilina, sortant incontinent de la ville avec trois cents hommes armez, ne fut pas plus tost hors de l'enceinte des murailles, qu'il feit par des sergens porter devant luy des verges liées avec des haches, comme s'il eust esté magistrat legitime, et feit lever des enseignes de gens de guerre, et en cest equippage s'en alla rendre la part où estoit Manlius, n'ayant pas moins de vingt mille hommes, avec lesquelz il alloit essayant de pratiquer et gaigner les villes, de sorte que la guerre estant par ce moyen declarée ouvertement, Antonius le compagnon de Ciceron au consulat y fut envoyé pour le com- (lxiv) battre. Ce pendant Cornélius Lentulus surnommé Sura, homme de noble maison, mais de mauvais gouvernement, et qui pour sa meschante vie avoit paravant esté jetté hors du senat, assembla le demeurant de ceulx qui, ayans esté corrompus par Catilina, estoient encore demourez en la ville après luy, elles admonesta de ne s'estonner de rien. Il estoit lors præteur pour la seconde fois, comme la coustume est, quand quelqu'un vient à recouvrer de nouveau la dignité de sénateur qu'il a perdue61: et dit on que le surnom de Sura lui fut donné par une telle occasion: Estant quæsteur du temps que Sylla avoit le gouvernement de la chose publique en main, il despendit et consomma follement une bonne grosse somme d'argent du public; dequoy Sylla estant courroucé contre luy, et luy en demandant compte devant le senat, il se tira en avant fort nonchalamment, et en homme qui monstroit bien ne s'en soucier gueres, et dit qu'il ne scauroit autrement rendre compte, mais qu'il presentait le gras de sa jambe, comme font les enfans quand ilz ont failly au jeu de la paulme. De là vint que depuis on le surnomma toujours Sura, parce que Sura en latin signifie le gras de la jambe62. Une autre fois estant appellé en justice pour quelque autre maléfice, il corrompit par argent aucuns des juges, et ayant esté absouls par deux voix de plus tant seulement, qu'il eut en sa faveur, il dit qu'il avoit perdu l'argent qu'il avoit baillé à l'un de ces deux juges là, pource que ce luy estoit assez d'estre absouls par une seule voix de plus. Cest homme doncques estant de telle nature, avoit premièrement esté esbranlé par Catilina, et achevé de guaster par certains pronostiqueurs et faulx devins qui l'avoient abuzé de vaine espérance, en luy chantant des vers qu'ils avoient feincts et controuvez, et des faulses propheties, qu'ilz disoient estre extraittes des livres de la sibylle, par lesquelles estoit porté qu'il devoit avoir trois Corneliens monarques à Rome, desquelz les deux avoient ja accomply la destinée, Cinna et Sylla: et que au reste la fortune luy presentoit à luy, comme au troisième, la monarchie, et qu'il la falloit embrasser chaudement, et non pas laisser perdre les occasions en trop dilayant, comme avoit fait Catilina.
XXXII. Si n'avoit pas cestuy Lentulus entrepris chose petite ne legere, ains avoit proposé de tuer tout le senat entièrement, et des autres citoyens autant qu'ilz en pourroient occire, de brasier toute la ville, sans pardonner à personne quelconque, sinon aux enfans de Pompeius, desquelz ils se devoient saisir et les garder pour gages et ostages, de faire puis après leur appointement avec luy: car il estoit ja grand bruit, et le tenoit on pour tout asseuré, qu'il retournoit des grandes guerres et conquestes qu'il avoit failles es pais d'Orient. Si prirent assignation pour exécuter leur entreprise à une nuict des Saturnales, et avoient porté force estouppe et souffre, avec grande quantité d'armes en la maison de Cethegus, et oultre ce, avoient député cent hommes eu cent quartiers de la ville63, afin que le feu estant mis tout à coup en plusieurs en (lxv) droits, elle en fust tant plus tost embrazée de tous costez. Il y avoit d'autres hommes commis pour estoupper les canaulx et conduits par où l'eau venoit en la ville, et occire aussi ceulx qui vouldroient prendre de l'eau pour esteindre le feu. Mais en ces entrefaittes, il se trouva d'adventure à Rome deux ambassadeurs de la nation des Allobroges, laquelle pour lors estoit très mal contente, et portoit fort impatiemment le joug de la domination des Romains. Lentulus pensa que c'estoient personnes idoines pour emouvoir et faire soublever toute la Gaule: si feit tant qu'il les gaigna et les tira à leur conspiration; et leur donna lettres addressantes au conseil de leur païs, par lesquelles il leur promettait toute franchise: et d'autres addressantes à Catilina, par lesquelles il l'admonestoit de proposer liberté aux serfs, et de s'en venir le plus tost qu'il pourroit droit à Rome: et envoya quant et eulx un nommé Titus64 natif de la ville de Crotone, qui avoit la charge de porter les lettres: mais tous leurs conseils et toutes leurs délibérations, comme d'hommes estourdis, qui ne se trouvoient jamais ensemble sinon en yvrognant avec folles femmes, estoient facilement descouverts par Ciceron, qui les alloit espiant et recherchant avec grande sollicitude, sobre jugement, et sens fort agu et clairvoyant: car il avoit mis plusieurs gens au guet hors de la ville, qui les guettaient et les suivoient aussi à la trace pour descouvrir tout ce qu'ilz projettoient: et si parloit encore secrettement à quelques uns, desquelz il se fioit, que les autres cuidoient estre participans de leur conspiration: par le moyen desquelz il sceut comme les conjurez avoient eu pratique et communication avec ces ambassadeurs estrangers: et fmablemcnt les feit espier la nuict, si bien qu'il surprit les ambassadeurs et le Crotoniate avec les lettres qu'il portoit, à l'aide des ambassadeurs allobroges, lesquelz s'entendirent secrettement avec luy.
XXXIII. Le lendemain au poinct du jour il feit assembler le senat dedans le temple de Concorde, là où il leut publiquement les lettres, et ouit les dépositions des complices et tesmoings. Il y eut davantage un senateur Junius Syllanus65 qui tesmoigna que quelques uns avoient ouy dire à Cethegus, qu'ilz dévoient occire trois consulz et quatre præteurs. Piso aussi senateur, qui autrefois avoit esté consul, déclara presque semblables choses. Et Gaius Sulpitius, l'un des præteurs, qui fut envoyé en la maison de Cethegus, rapporta qu'il avoit trouvé force traicts, force armes, grand nombre de dagues et d'espées toutes freschement emoulues. Finalement le senat ayant promis impunité à ce Crotoniate pour deceller ce qu'il scavoit de ceste conjuration, Lentulus se trouva par luy convaincu, et fut contraint de renoncer à son magistrat de præteur devant tout le senat, et changeant sa robbe de pourpre en prendre une autre convenable à sa malheureté. Cela fait, luy et ses consorts furent baillez en garde par les maisons des præteurs: et le soir estant ja venu, tout le peuple attendant alentour du lieu où le senat estoit assemblé, Ciceron sortit à la fin,et déclara à l'assistance du peuple comme les choses estoient allées: si fut reconvoyé par tout ce peuple jusques en la maison d'un sien amy son voisin, à cause que les dames de la ville occupoient la siene, y faisans en secret une feste et un sacrifice solennel en l'honneur d'une déesse que les Romains appellent la Bonne Déesse, et les Grecs la nomment Gynœcia, comme qui diroit féminine, à la quelle tous les ans se fait un solennel sacrifice par la femme ou mère du consul dedans sa maison66, en présence des vierges religieuses vestales.
XXXIV. Ciceron doncques estant entré en la maison de celuy sien voisin, se meit à penser en soy mesme ayant bien peu de gens autour de luy, comment il se devoit gouverner en ceste affaire: car de punir les criminelz à la rigueur selon que leurs mesfaicts l'avoient deservy, il doubtoit et craignoit de le faire, tant pource qu'il estoit doulx et humain de sa nature, que pource qu'il ne vouloit pas sembler avoir vouluntairement embrassé l'occasion d'employer sa puissance absolue, pour aigrement punir à la rigueur des citoiens qui estoient des plus nobles maisons de la ville, et qui y avoient beaucoup d'amis. Et au contraire aussi, s'il se portoit en cest affaire trop mollement, il redoubtoit le danger qui pendoit de leur temerité, se doublant bien que s'il leur faisoit souffrir punition moindre que le mort, ilz ne se chastieroient pas pour cela, faisant compte d'en estre echappez à bon marché, ains en deviendroient plus audacieux et plus temeraires que jamais, adjouxtans un aiguillon de nouveau courroux à leur ordinaire meschanceté: et luy en seroit reputé couard et homme de peu de cueur, avec ce que d'ailleurs il n'estoit pas tenu pour fort hardy. Ainsy que Ciceron estoit en ces doubles, il apparut aux dames qui sacrifioient en sa maison un miracle: car le feu semblant ja estre du tout amorty sur l'autel où l'on avoit sacrifié, il se leva soudainement des cendres d'es- (lxvj) corces que l'on y avoit bruslées une grande et claire flamme, dequoy les autres femmes furent fort esbahies: mais les vierges sacrées Vestales dirent à Terentia la femme de Ciceron, qu'elle s'en allast incontinent devers son mary l'advertir qu'il ne faignist point d'exécuter hardiment ce qu'il avoit en pensée pour l'utilité de la chose publique, et que la déesse avoit fait sourdre ceste grande lumière, pour luy monstrer que cela luy devoit ressortir a grand bien et grand honneur67. Terentia qui n'estoit point femme molle ny craintive de sa nature, ains ambitieuse, et qui plus avoit tiré de son mary touchant la cognoissance des affaires publiques, qu'elle ne luy avoit monstre ny communiqué des affaires du mesnage et domestiques, ainsi que Ciceron luy mesme le tesmoigne68, lui alla faire ce rapport, et le sollicita de faire la punition de telles gens: autant en feit Quintus Ciceron son frère, et semblablement Publius Nigidius69, qui estoit son familier pour la conférence qu'ilz avoient ensemble des estudes de la philosophie, et du conseil duquel il usoit fort au maniement des principaux affaires.
XXXV. Le lendemain, le propos estant mis en dlibération du senat, comment on devoit punir les malfaiteurs, Silanus, auquel premier en fut demandé l'advis, dit que lon les devoit mener en la prison pour illec estre puniz de l'extrême supplice; les autres qui opinèrent consécutivement après luy furent tous de son avis, jusques à Caius Cæsar, qui depuis fut dictateur, et lors estoit encore jeune70, et ne faisoit que commencer à venir, mais qui ja, en tous ses deportemens et en son espérance, prenoit le chemin suivant le quel depuis il tourna la chose publique romaine en monarchie; car alors mesme Ciceron eut plusieurs souspecons sur lui, mais nulle suffisante preuve pour le convaincre; et y en avoit qui disoient qu'ayant approché bien près d'estre attainct et convaincu, il s'en estoit sauvé; les autres disent au contraire que Ciceron sciemment ne feit pas semblant d'ouïr ny de scavoir les indices que lon luy vint descouvrir contre luy, pour crainte qu'il eut de ses amis et de son credit, pource qu'il estoit tout apparent que si lon mettoit Cæsar au nombre des accusez, il seroit plus tost cause de leur faire sauver la vie à eulx, que eulx de la faire perdre à luy. Quand doncques ce vint à luy à dire son opinion à son tour touchant la punition des prisonniers, il se leva en piedz, et dit qu'il n'estoit point d'advis qu'on les feist mourir, ains que lon confisquast leurs biens, et quant à leurs personnes, qu'on les gardast en prison l'un deçà l'autre delà, par les villes d'Italie, telles qu'il plairoit à Ciceron, jusqu'à ce que la guerre fut achevée contre Catilina71. Cette sentence estant plus doulce, et l'autheur d'icelle très eloquent pour la faire trouver bonne, Ciceron luy mesme y adjouxta encore un grand poids, inclinant en l'une et l'autre opinion, en approuvant en partie la première et en partie celle de Cæsar72. Ses amis mesmes, pensans que la sentence de Cæsar estoit plus seure pour Ciceron, à cause qu'il seroit moins subject à estre calumnié quand il n'auroit point fait mourir les prisonniers, suivirent plus tost la seconde; de manière que Silanus mesme se reprit de ce qu'il avoit dit, et interpreta son opinion, disant qu'il n'avoit point entendu qu'on les deust faire mourir, pource qu'il estimoit le dernier supplice à un sénateur romain estre la prison. Mais le premier qui con- (lxvij) tredit à ceste sentence fut Catulus Luctatius, et après lui Caton, lequel, avec une grande véhémence de parler, rendit Cæsar fort suspect73, et remplit au demeurant tout le senat de courroux et de hardiesse, tellement que sur l'heure mesme fut arresté à la pluralité des voix qu'ilz seroient executez à mort; mais Cæsar de rechef s'opposa à la confiscation de leurs biens, ne voulant pas que lon rejettast ainsi tout ce qu'il y avoit d'humanité en son opinion, et que l'on n'en retinst que ce qu'il y avoit de sévérité seulement; mais pource que le plus grand nombre le gaignoit et l'emportoit contre luy, il appella à son aide les tribuns du peuple, à fin qu'ilz s'opposassent; toutefois, ils n'y voulurent point entendre74.
XXXVI. Mais Ciceron, cedant de luy mesme, remeit la confiscation des biens, et avec le senat s'en alla trouver les prisonniers, lesquels n'estoient pas en une seule maison: car les præteurs en avoient en garde chascun un75; si alla prendre Lentulus le premier, qui estoit au mont Palatin, et le mena tout le long de la rue Sacrée à travers la place, accompagné des plus gens de bien et des plus apparens de la ville, qui l'environnoient tout a l'entour et luy tenoient la main forte; ce que voyant, le peuple se herissoit et trembloit de peur, et passoit oultre sans mot dire, mesmement les jeunes hommes qui cuidoient proprement que ce fust comme quelque mystère solennel pour le salut du pais76, qui se jouast de puissance absolue par les plus gros personnages de la ville avec terreur et frayeur. Quand il eut passé à travers la place, et qu'il fut arrivé à la prison, il delivra Lentulus entre les mains du bourreau, et lui commanda de le faire mourir, puis après Cethegus, et consequemment tous les autres, qu'il conduisit tous luy mesme en la prison, et les y feit desfaire.
XXXVII. Et en voyant encore plusieurs de leurs complices en trouppe sur la place, qui ne scavoient rien de ce qui s'estoit fait, et attendoient seulement que la nuict fut venuë pour cuider aller prendre par force leurs compagnons là où ilz seroient, pensant qu'ilz fussent encore vivans, il se tourna vers eulx et leur cria tout hault: Ilz ont vescu. Ce qui est une façon de parler, dont usent quelquefois les Romains quand ilz veulent éviter la dureté de ceste rude parole de dire: Il est mort.
XXXVIII. Quand le soir fut venu, et qu'il se voulut retirer en sa maison, passant par la place, le peuple le reconvoya non ja plus en silence sans mot dire, ains avec grandes clameurs à sa louange et batemens de mains partout où il passoit, en l'appellant sauveur et second fondateur de Rome, et y avoit à toutes les portes des maisons force flambeaux, torches et lumières, de sorte qu'il faisoit clair comme de jour parmy les rues77. Les femmes mesmes esclairoient du plus hault des maisons, pour luy faire honneur et pour le veoir accompagné et reconvoyé fort honorablement d'une longue suitte des principaux hommes de la ville, desquelz plusieurs avoient achevé de grosses guerres, dont ils estoient retournez en triomphe, et avoient fait de grandes conquestes à l'empire romain, tant par mer que par terre, confessant entre eulx les uns (lxviij) aux autres que le peuple romain devoit bien à plusieurs capitaines et chefz d'armée de leur temps le grand mercy de beaucoup de richesses, de despouilles et d'accroissement de puissance qu'ilz luy avoient acquises; mais que la grace de son salut et de sa conservation, il la devoit toute à Ciceron seul, lequel l'avoit preservé d'un si grand et si extrême danger; non que ce leur semblast acte si admirable d'avoir empesché que l'entreprise des conjurés ne sortist à effect, et d'avoir puny ceulx qui la vouloient executer; mais pource qu'estant la conjuration de Catilina la plus grande et plus dangereuse qui eust jamais esté faitte contre la chose publique, il l'avoit esteinte et assopie avec si peu de maulx, et sans tumulte, trouble ne sédition quelconque: car la plus part de ceulx qui s'estoient amassez autour de Catilina, quand ils entendirent comme Lentulus et les autres avoient esté desfaicts, se retirèrent incontinent; et luy combatant en bataille rengée avec ceulx qui luy estoient demourez contre Antonius, fut mis en pièces sur le champ, luy et son armée.
XXXIX. Ce neantmoins encore y en avoit il qui pour ce faict mesdisoient de Ciceron, et se preparoient pour l'en faire repentir, ayans pour leurs chefs Cæsar, qui ja estoit designé et eleu præteur pour l'année ensuivant, et un Metellus et Bestia, qui dévoient aussi estre tribuns du peuple, lesquelz soudain qu'ilz furent entrez en possession de leurs magistrats, ne voulurent jamais souffrir ne permettre que Ciceron harenguast devant le peuple, quoy qu'il eust encore quelques jours à estre en son office de consul: et pour l'empescher feirent mettre leurs bancs dessus la tribune des harengues que l'on appelloit à Rome Rostra, et ne l'y voulurent jamais laisser entrer, ny le souffrir parler au peuple, sinon pour se déposer de son magistrat seulement78, et cela fait, en descendre tout incontinent: à quoy il s'accorda, et y montant soubz ceste condition: et lui estant preste silence, il feit un serment, non tel comme les autres magistrats ont accoustumé de jurer quand ilz se deposent de leur authorité, et renoncent à leurs estais, mais un tout nouveau et non usité, jurant qu'il avoit préservé la ville de Rome, et gardé de ruiner l'empire romain. Tout le peuple assistant le confirma, et jura le mesme serment79: de quoy Cæsar et les autres tribuns du peuple ses malveuillans estans encore plus irritez contre luy s'estudierent à luy machiner et susciter d'autres nouveaux troubles: et entre autres, meirent en avant que l'on rappellast Pompeius, avec son armée, pour refrener la tyrannie de Ciceron. Mais Caton, qui lors estoit aussi tribun du peuple, luy servit beaucoup et à toute la chose publique, s'opposant à leurs menées, avec pareille puissance que la leur, à cause de son magistrat, et avec meilleure réputation qu'eulx; de sorte que non seulement il rompit aiseement tous leurs coups, mais en une belle harengue qu'il feit en pleine assemblée devant tout le peuple, il magnifia et haultloua tellement le consulat de Ciceron et les choses faittes en iceluy, que lon luy decerna les plus grands honneurs que jamais eussent auparavant esté decrettez et ottroyez à personne du monde: car il fut appelé par décret du peuple, père du païs, ainsi que Caton l'avoit nommé en sa harengue80, ce que jamais homme n'avoit esté auparavant luy, et eut pour lors plus grande authorité que nul autre en toute la ville. Mais il se rendit luy mesme odieux, et acquit la male grace de plusieurs gens, non pour aucun mauvais acte qu'il eut fait ou attenlé de faire, ains seulement pource qu'il se louoit et magnifloit trop luy mesme: car il ne se faisoit assemblée ny du peuple, ny du senat, ny du jugement, là où lon n'eust la teste rompue d'ouïr à tout propos ramener en jeu Catilina et Lentulus, jusques à emplir ses livres et les œuvres qu'il composoit de ses propres louanges, ce qui rendoit son langage et son stile, qui autrement estoit si doulx et si aggreable, fascheux, ennuyeux et desplaisant à tous ceulx qui l'entendoient: car il falloit toujours que ceste fascherie y fust attachée comme un malheur fée81 qui luy ostoit toute sa bonne grâce.
XL. Toutefois quoy qu'il eust ceste extreme ambition et convoitise d'honneur en la teste, il ne portoit envie quelconque à la gloire des autres, ains estoit fort libéral à louer les hommes excellens, tant ceux qui avoient esté par avant luy, que ceux qui estoyent de son temps, comme l'on peult voir par ses escripts.
XLI. Et lon a encore mis par memoire quelques mots notables qu'il dit d'aucuns des anciens, comme d'Aristote, que son stile estoit un (lxix) fleuve d'or coulant82; et de Platon, que si Jupiter mesme vouloit parler, il parleroit comme luy83; et de Theophrastus, qu'il appelloit ses delices; et des oraisons de Demosthenes, un jour qu'on luy demanda la quelle lui sembloit la meilleure, il repondit: La plus longue84. Toutefois, il y en a quelques uns qui, pour monstrer qu'ilz sont grands zélateurs de Demosthenes, s'attachent à une parole que Ciceron met enquelque epistre qu'il escrit à l'un de ses amis85, disant que Demosthenes s'endort en quelques unes de ses oraisons, et cependant ils oublient à dire les grandes et merveilleuses louanges qu'il lui donne ailleurs, et qu'il appella les oraisons qu'il escrivit contre Antonius, es quelles il employa plus de peine et plus d'estude qu'en nulles autres, Philippiques86, à l'imitation de celles que Demosthenes escrivit contre Philippus, roi de Macedoine. Et des hommes qui de son temps ont esté renommez ou en éloquence ou en scavoir, il n'y en a pas un duquel il n'ait encore esclarcy87 la renommée en escrivant ou parlant honorablement de luy, comme il impetra de Cæsar ayant ja la monarchie en sa main, que Cratippus, philosophe peripateticien, fust fait citoyen romain, et feit encore que par arrest et ordonnance de la cour d'Aréopage, il fut requis et prié de demourer à Athènes pour enseigner et instruire les jeunes gens, comme faisant grand honneur, et estant un singulier ornement de leur ville; et treuve lon encore des lettres missives de Ciceron escriptes à Herodes88, et d'autres à son propre fils, par lesquelles il lui commande de hanter et de conférer de ses estudes avec Cratippus; et une autre au rhetoricien Gorgias, par laquelle il luy défend de frequenter à l'entour de son fils, pource qu'il avoit entendu qu'il le desbauchoit en l'induisant à yvrogneries et à voluptez deshounestes89.
XLII. Il n'y a entre ses epistres grecques que celle là seule qui soit escritte en cholere, et une autre qu'il escrit à Pelops Byzantin90; et quant à Gorgias, il avoit raison de se courroucer à luy et le piquer par sa lettre, s'il estoit homme de mauvaise vie et de mauvaise conversation, comme il semble qu'il estoit; mais quant à ce qu'il escrit à Pelops, se plaignant de luy de ce qu'il n'avoit tenu compte de prochasser envers les Byzantins, qu'ilz feissent quelques ordonnances publiques à son honneur et à sa gloire, cela procedoit de sa trop grande ambition, la quelle, en plusieurs endroits, le transportoit jusques à luy faire oublier le devoir d'homme de bien, pour s'attribuer la gloire de bien dire; comme ayant quelquefois défendu en jugement Munatius91, lequel, peu de temps après, meit en justice un sien amy nommé Sabinus, on dit qu'il s'en courroucea à luy si aigrement qu'il ne se peut tenir de luy dire: «Ne sçais tu pas bien, Munatius, que tu ne fus pas dernièrement absoulz en jugement pour ton innocence, mais pour ce que je jettay de la poudre aux yeux de tes juges, tellement qu'ilz ne peurent voir la vérité de ton forfaict?»
XLIII. Une autre fois, ayant loué publiquement en chaire Marcus Crassus avec paisible audience de tout le peuple, peu de jours après, au contraire, il dit au mesme lieu tous les maulx du monde de luy. Crassus adonc luy dit: «Com- (lxx) ment, ne me louas tu pas l'autre jour si hautement toy mesme en ce mesme lieu? — Oui, luy respondit Ciceron, pour plus exciter mon eloquence, j'avois pris un mauvais subject à louer.» Quelque autre fois il advint a ce mesme Crassus de dire en pleine assemblée devant le peuple que nul de la maison des Crassus n'avoit oncques passé l'aage de soixante ans; et depuis s'en repentant, il le nia très bien, disant: «Je ne scay à quoy je pensois quand j'allay dire cela.» Ciceron lui respondit: «Tu scavois bien que ce seroit un propos aggreable au peuple, c'est ce qui te le feit dire, pour gaigner la grâce de la commune.» Une autre fois, comme Crassus dist que les raisons des philosophes stoïques luy plaisoient, en ce qu'ilz disoient que l'homme sage estoit riche, Ciceron luy respondit: «Regarde que ce ne soit plus tost pour ce qu'ilz disent que tout est au sage.» Or estoit ce Crassus mal nommé, pource qu'il estoit extrêmement avaricteux. Il y avoit un des enfans de ce Crassus, qui ressembloit fort à un qui se nommoit Actius; et pour ceste cause en estoit la mère souspeconnée d'avoir forfait à son honneur avec cestuy Actius. Et un jour ce filz feit une harengue devant le senat, que plusieurs trouvèrent bonne; si fut demandé à Ciceron qu'il luy en semblait: «Il me semble, respondit-il, qu'il est «Actius92 de Crassus.» Environ le temps que Crassus estoit sur le point de partir pour s'en aller en Syrie, il voulut avoir Ciceron pour amy plus tost que pour ennemy; et à ceste cause un soir en le caressant luy dit qu'il avoit envie de soupper avec luy. Ciceron s'offrit bien voulunticrs à luy en donner.
XLIV. Quelque peu de jours après, il y eut de ses amis qui luy parlèrent de Vatinius, disans qu'il cherchoit de faire son appointement avec luy, et de devenir son amy, car il estoit son ennemy. «Veult-il point doncques, dit-il, soupper aussi chez moi?» Voilà comment il se déporta envers Crassus. Au demeurant, ce Vatinius avoit des escrouelles au long du col, à raison de quoy Ciceron l'ayant un jour ouy plaider, l'appella orateur enflé. Une autre fois, ayant ouy dire qu'il estoit mort, et tout incontinent après ayant entendu certainement qu'il estoit vivant: «Mâle mort, dit-il, viene à celuy qui a si mal menty.» Et comme Cæsar eust fait passer par les voix du peuple, que les terres du pays de la Campagne93 seroient departies entre les gens de guerre, plusieurs en furent très mal contens, et Lucius Gellius entre autres, lequel estoit fort vieil, dit qu'il n'endureroit jamais que cela se feit tant qu'il vivroit. «Attendons un petit, dit adonc Ciceron, car le bonhomme Gellius94 ne demande pas long delay.» II y avoit un autre nommé Octavins, que l'on souspecounoit estre natif de l'Afrique95; cestuy dit un jour ainsi que Ciceron plaidoit une cause, qu'il ne l'oyoit point. Ciceron luy respondit tout promptement: «Si tu as l'oreille percée.»
(Notes de la Vie de Cicéron)
(1) La seule vie de Cicéron qui nous soit restée de l'antiquité est celle de Plutarque. Cornélius Népos, ami de cet orateur, l'avait aussi composée, ainsi que Tullius Tiron, son affranchi, dont l'ouvrage est cité par l'historien grec. Cicéron lui-même avait écrit en grec l'histoire de son consulat, et des Mémoires secrets qui ne devaient être publiés qu'après sa mort. Ce consulat avait aussi été le sujet des compositions de quelques-uns de ses amis; par exemple, d'Atticus, d'Hérode d'Athènes, de Posidonius, de L. Luccéius. — Dans le moyen âge, cet vie fut souvent écrite, et l'on trouve encore dans les bibliothèques de ces biographies inédites. — Chez les modernes, de semblables travaux, presque tous en latin, se multiplièrent dès le quinzième siècle, à un point qui en rend l'énumération presque impossible. — Les historiens les plus complets qu'ait eus Cicéron dans des temps plus rapprochés, sont, chez nous, Morabin (1745), et, chez les Anglais, Middleton (1743), dont l'ouvrage, justement estimé, et traduit par l'abbé Prévôt (1743), nous a été du plus grand secours pour la Vie placée au commencement de ce volume.
(2) On lisait dans Plutarque Olbia; mais Jos. Scaliger, dans ses observations sur Eusèbe, au n° mdccccxi, a corrigé ce nom en celui d'Helvia, nom d'une famille connue à Rome, et à laquelle appartenaient les Cinna. Cicéron ne parle de sa mère dans aucun endroit de ses écrits; Quintus son frère est le seul qui nous la fasse connaitre par un petit trait d'économie domestique (Ep. fam. xvi, 26): «Elle avait coutume, écrit-il à Tiron, de cacheter jusqu'aux bouteilles vides, afin qu'on ne pût prétendre que celles qu'on lui vidait à la dérobée fussent de ce nombre. — Elle eut une sœur, mariée à C. Aculéon, chevalier romain d'un mérite distingué, ami intime du célèbre orateur L Crassus, et célèbre lui-même par une connaissance approfondie du droit civil, dans lequel ses fils, cousins germains de Cicéron, s'acquirent aussi dans la suite une réputation extraordinaire.
(3) Fufius Calénus adresse ce reproche à Cicéron dans la longue invective rapportée par Dion Cassius (xlvi, 4).
(4) II y a dans le grec Tullius Appius; mais tous les interprètes ont lu Tullus Attius; c'est le roi des Volsques auprès duquel se retira Coriolan, banni de Rome (T.-Liv. ii; Dionys. viii.). Cicéron était loin de prétendre lui-même à une haute noblesse. «C'est, dit-il, comme si je me disais issu de M. Tullius, patricien, qui fut consul avec Serv. Sulpicius dix ans après l'expulsion des rois.» Voyez, sur son père, de Leg. ii, 1; sur son aïeul,ibid. iii, 16; de Orat. ii, 66.
(5) Ce dernier membre de phrase manque dans la plupart des manuscrits et dans quelques éditions de Plutarque (Καὶ πολεμήσαντα Ῥωμαίοις οὐκ ἀδύνατος). Clavier et Coray approuvent cette addition, qu'on trouve dans un manuscrit anonyme, et Dacier l'a traduite comme Amyot.
(6) Les anciens ne sont pas d'accord sur l'origine de ce surnom. Pline l'ancien (1, xviii, c. 3) le fait venir de la culture du pois chiche, comme ceux des Fabius, des Lentulus, etc., sont venus de la culture des fèves et des lentilles. Quintilien (i, 4) pense, comme Plutarque, que ce surnom fut donné à un des ancêtres de Cicéron, à cause d'une marque qu'il avait au visage.
(7) Les Scaurus et les Catulus étaient deux des plus anciennes et des plus illustres maisons de Rome.
(8) Plutarque dit, le troisième jour des nouvelles calendes; ce qui répond au troisième jour de janvier, l'an de Rome 647. Ad Att. ep. vii, 5; xiii 42; Aul. Gell. Xv, 28.
(9) Voyez Jules Capitolin, Pertinax, c. 6; et Lucien, Apophr., c. 3.
(10) Platon, liv. v, de la Répub., et le commencement du sixième.
(11) Ce Glaucus, si célèbre chez les poètes grecs, était un pécheur de la ville d'Anthédon, près de l'Euripe en Eubée; on prétend que l'usage d'une herbe merveilleuse lui procura l'immortalité. Il en avait découvert la vertu en voyant un lièvre presque mort de fatigue recouvrer sa force et son agilité par le contact de cette herbe. Athénée (liv. vii, c. 12) a rassemblé tout ce qu'on a dit de curieux sur ce Glaucus.
(12) Une anecdote, rapportée par Aulu-Gelle, prouve que Cicéron était à Rome l'arbitre du langage, et aussi quels étaient ses scrupules jusque dans les plus petites choses. Pompée préparait une inscription pour le frontispice du nouveau temple qu'il avait élevé, près de son théâtre, à Vénus la Conquérante. Mais il s'éleva une question de grammaire sur le terme par lequel on voulait exprimer dans l'inscription son troisième consulat. Les uns voulaient que ce fût consul tertium; les autres, consul tertio. Cette question fut déférée aux savants de Rome, qui ne s'accordèrent point dans leur décision. Pompée déclara à Cicéron qu'il ne s'en rapporterait qu'à lui. Cicéron refusa de prononcer. Enfin Varron fit recevoir son avis, parce qu'il éludait la difficulté. Il conseilla d'abréger le mot, et de mettre seulement tert.
(13) Voyez, pour toute cette époque, le Bnutut, c. 89 et suiv.
(14) On l'appela aussi la guerre sociale et italique.
(15) Ceci n'est point dans le grec. La proscription n'était pas le bannissement, mais une condamnation à mort.
(16) Deux cents escus. Amyot. Cette somme a été évaluée par Ricard à 1800 livres.
(17) Cent cinquante mille escus. Amyot. Ricard évalue cette somme à 1,250,000 livres. Scaliger avait reproché à Plutarque de s'être trompé dans l'évaluation qu'il avait faite de la somme marquée par Ciceron dans son plaidoyer pour Roscius c. 2); mais Ruauld l'a justifié de cette inculpation dans sa vingt-septième observation critique sur Plutarque, et il a prouvé que la somme énoncée par Ciceron avait été bien évaluée à deux cent cinquante talents.
(18) Il ne paraît point que la crainte ait obligé Ciceron à s'absenter de Rome; il dit lui-même (Brut. 90, 91) que la cause de Roscius fut la première cause publique ou criminelle qu'il plaida; qu'il défendit depuis plusieurs autres accusés, et qu'après avoir consacré deux années entières aux exercices du barreau, il partit pour la Grèce.
(19) On présume que c'est alors qu'il se fit initier aux mystères d'Eleusis; initiation qu'on ne peut en effet mieux rapporter qu'à l'époque de ce voyage philosophique et littéraire.
(20) Antiochus s'était jeté dans les sentiments de la vieille académie et avait abandonné Carnéade, qui était fort attaché à la nouvelle, et grand ennemi des stoïciens. On le voit dans un passage de Cicéron de son premier livre des Académiques, c. 4.
(21) Amyot et Dacier ont entendu que Cicéron aimait cette nouvelle académie, et qu'il s'attachait de plus en plus à ses principes; Ricard a suivi le sens donné par Xylander à ce passage (la philosophie en général), sens adopté par Barton, et fondé sur ce que Cicéron ne s'attacha à cette nouvelle académie que dans un âge beaucoup plus avancé.
(22) Ciceron, à qui l'on a tant reproché sa vanité, n'a parlé nulle part, au moins dans ce qui nous reste de lui, de cet hommage rendu par Apollonius a son incomparable éloquence.
(23) On ne trouve rien dans Ciceron qui ait rapport à cette tradition.
(24) Xylander entend ce dernier mot (Σχελαστικὸς) dans le sens d'oisif (otiosvs), quoique la plupart des traducteurs lui aient conservé le sens que lui donne Amyot. Le mot grec a, il est vrai, ces deux significations; et la première nous semble préférable dans ce cas-ci. — Cette apostrophe injurieuse se trouve aussi parmi les injures que Dion Cassius (xlvi, 18) prête à Calénus contre Ciceron. —Le fondement de cette dénomination méprisante donnée à Ciceron était son goût pour la philosophie et la littérature grecques, auxquelles il consacrait alors beaucoup de temps. Les Romains regardaient comme un emploi inutile de la vie de s'appliquer à l'étude des sciences et des lettres; ils n'estimaient que celle qui regardait les soins du gouvernement et le service militaire. L'oracle avait donc raison, dit Ricard, de conseiller à Cieéron de ne pas se conduire d'après l'opinion du peuple, qui lui marquait son mépris par ses injures, puisqu'en la suivant il se serait rebuté, et n'aurait pas acquis la gloire que son éloquence et ses ouvrages philosophiques lui procurèrent.
(25) Macrob. Saturnales iii, 14. — «Suivant Macrobe, il se faisait entre Cicéron et Roscius une espèce de défi, qui confondrait, je crois, dit la Harpe, nos plus habiles pantomimes. L'orateur prononçait une période, et le comédien en rendait le sens par un jeu muet. Ciceron en changeait ensuite les mots et le tour, de manière que le sens n'en était pas énervé, et Roscius l'exprimait par de nouveaux gestes. Il y a bien dans Cicéron tel morceau dont je crois la traduction possible en langage d'action, et ce sont, par exemple, tous ceux d'un certain pathétique; mais comment rendre les phrases de raisonnement? comment rendre une grande pensée? Il n'y a point d'art qui n'ait ses bornes naturelles; et si tous les sujets ne sont pas propres à la poésie, comment le seraient-ils tous à la pantomime?» — Un des plus graves historiens de Cicéron, Middleton, révoque en doute tout ce qu'on a dit des leçons données par Roscius et Ésope à l'orateur. «Il les estimait singulièrement, dit-il, et les témoignages qu'il rend de leur habileté, marquent la haute opinion qu'il en avait. Mais, quoiqu'il les honorât de son amitié, il aurait dédaigné de les prendre pour maîtres. Il s'était formé sur un plan plus noble. Les règles de son action avaient leur source dans la nature et la philosophie, et sa pratique dans l'imitation des orateurs les plus parfaits. Son sentiment était que l'école du théâtre ne convenait pointa un orateur, parce que les gestes sont trop détaillés, trop efféminés, et plus proportionnés à l'expression des mots qu'à la nature des choses. Il raillait quelquefois Hortensius de son action trop théâtrale. Cependant Hortensius était si éloigné d'avoir emprunté son action du théâtre, que le théâtre au contraire le prenait pour exemple de la sienne; et l'on rapporte qu'Ésope et Roscius assistaient à toutes ses harangues, pour se former sur un si grand modèle. Il est naturel en effet que les comédiens, qui ne représentent que des actions feintes, s'attachent à l'imitation de ceux dont l'objet continuel est de représenter la vérité. Au reste, il n'en est pas moins vraisemblable que Ciceron prenait quelquefois plaisir à s'exercer avec Roscius, et qu'ils essayaient ensemble quel était le plus capable d'exprimer toutes les variétés d'une passion, l'un par le discours, l'autre par le geste.»
(26) Plutarque a cité ce même mot dans ses apophthegmes: «Il disoit que les orateurs qui crioient haut à pleine tête, parce qu'ils se sentoient faibles de suffisance, avoient recours au haut braire, ne plus ne moins que les boiteux montent sur des chevaux.» (Traduction d'Amyot).
(27) Grec, la Campanie.
(28) Ciceron parle en plusieurs endroits de ses ouvrages de la manière honorable dont il exerça la questure en Sicile; le récit qu'il fait lui-même (pro. Planc. 26) de l'aventure de Pouzzol, diffère un peu de celui de Plutarque, et offre d'ailleurs plus d'interêt.
(29) «On l'a blâmé surtout des éloges qu'il se donne; on le blâmera encore: je ne l'accuse, ni ne le justifie. Je remarquerai seulement que plus un peuple a de vanité au lieu d'orgueil, plus il met de prix à l'art important de flatter et d'être flatté, plus il cherche à se faire valoir par de petites choses au défaut des grandes, et plus il est blessé de cette franchise altière, ou de la naïve simplicité d'une âme qui s'estime de bonne foi, et ne craint pas de le dire. J'ai vu des hommes s'indigner de ce que Montesquieu avait osé dire: Et moi aussi je suis peintre. Le plus juste aujourd'hui, même en accordant son estime, veut conserver le droit de la refuser. Chez les anciens, la liberté républicaine permettait plus d'énergie aux sentiments et de franchise au langage. Cet affaiblissement du caractère, qu'on nomme politesse, et qui craint tant d'offenser l'amour-propre, c'est-à-dire la faiblesse inquiète et vaine, était alors plus inconnu. On aspirait moins à être modeste, et plus à être grand. Ah! que la faiblesse permette quelquefois à la force de se sentir elle-même, et, s'il nous est possible, consentons a avoir de grands hommes, même à ce prix.» (Thomas, Essai sur les éloges, c. 10).
(30) La questure donnait alors entrée au sénat. (Cicér. Act., in Verr. 15; Ep. fam. ii, 7; Vell. ii, 94).
(31) Ciceron se conforma toujours à la loi (Cincia) qui défendait aux avocats de recevoir aucun salaire; on pourrait le prouver par une foule de citations. Nous nous bornerons à celle d'un passage de l'opuscule de son frère Quintus sur la demande du consulat, c. 9: Quoniam nulla impensa per te alii rem, alii honestatem, alii salutem ac fortunas omnes obtinuerunt....
(32) C'est contre cette prétention de Cécilius Niger de Sicile, et qui avait été questeur de Verres, qu'est dirigé le discours de Ciceron, intitulé Divinatio. (lre Verrine.)
(33) Pour autant que les juifs ne mangent point de chair de pourceau. Amyot.
(34) Ce sphinx était d'argent, suivant Plutarque, dans ses Apophthegmes; d'airain, suivant Quintilien (vi, 3); d'airain de Corinthe, suivant Pline (xxxiv, 8), qui ajoute qu'Hortensius aimait tant ce sphinx, qu'il le faisait porter partout avec lui.
(35) On pourrait dire que ce mot n'est pas entièrement juste; car le sphinx proposait les énigmes et ne les expliquait pas. Mais le sphinx, qui proposait des énigmes, devait être fort habile à les expliquer. Dacier.
(36) Le reproche aurait été très-fondé, dit Ricard; en effet, les sept cent cinquante mille drachmes (qu'Àmyot traduit par soixante et quinze mille escus) ne font guère que sept cent mille livres de notre monnaie. Ainsi, Ruauld, dans la trentième remarque critique sur la Vie de Cicéron, a raison de relever cette absurdité, parce qu'il est impossible de supposer que Cicéron, après avoir demandé à Verres dix-huit millions sept cent cinquante mille livres, ait conclu contre lui à une restitution de sept cent mille livres; d'où Ruauld établit qu'il faut lire, dans le texte de Plutarque, au lieu de sept millions cinq cent mille drachmes, neuf millions sept cent cinquante mille, somme à peu près équivalente à celle de neuf millions de notre monnaie, ou à dix millions de drachmes, que les Siciliens prouvaient leur avoir été volée par Verres. Cela posé, sur quoi pourrait tomber le soupçon dont parle ici Plutarque? Sur ce que Cicéron ayant demandé à Verres environ vingt millions de livres, on prétendait que ce ne pouvait être que par collusion que Verres n'en eût payé que neuf. Gautier de Sibert a parfaitement justifié Cicéron de ce reproche dans un mémoire lu à l'Académie des belles-lettres.
(37) Il y a dans le texte Arpos ou Arpi, au lieu d'Arpinum; mais Arpi était dans la Pouille, à l'orient de l'Italie; Arpinum, au contraire, la patrie de Cicéron, était dans la Campanie, à l'occident de l'Italie, aussi bien que les deux villes nommées ensuite. Cette ville, qui appartient aujourd'hui au royaume de Naples, avait été agrégée à la tribu Cornélia de Rome. Le territoire d'Arpinum était rude et montagneux. Cicéron lui applique dans une de ses lettres la description qu'Homère fait de l'Ile d'Ithaque. Mais la maison de Cicéron, éloignée de la ville d'environ une lieue, était dans une agréable situation. Elle était environnée de bois et d'allées couvertes qui conduisaient jusqu'aux bords d'une rivière nommée Fibrenus, divisée en deux bras d'égale grandeur par une petite ile ornée d'un grand nombre d'arbres et d'un portique, où l'on avait réuni tout ce qui était nécessaire pour l'étude et pour les exercices du corps. C'était dans ce beau lieu que Cicéron se retirait ordinairement, quand il avait quelque ouvrage important à finir. Atticus fut charmé de cette habitation dès qu'il la vit, et il parut surpris que Cicéron ne la préférât point à toutes ses autres maisons. Cicéron nous apprend que l'édifice était encore fort bas et de peu d'étendue pendant la vie de son grand-père, «se ressentant, comme la ferme sabine du vieux Curius, de la frugalité de l'ancien temps,» mais que son père l'embellit et l'augmenta jusqu'à la changer en la grande et belle habitation qui fit l'admiration d'Atticus. Elle appartient aujourd'hui à un ordre de moines.
(38) Ciceron possédait un grand nombre de belles maisons dans les différentes parties de l'Italie; quelques écrivains en comptent dix-huit, qu'il avait achetées ou bâties lui-même, à la réserve de celle d'Arpinum qui lui était venue de ses ancêtres; d'autres portent ce nombre à vingt et une; d'autres enfin à vingt-trois; c'étaient: Anagninum (2), Antium (2), Arpinas, Astura, Calenum, Cluvianum, Cumanum, Faberianum, Formianum, Frusinas, Fundanum, Horti svburbani, incerti nominis, Lacus (Baianum), Lanuvium, Pompeianum, Puteolanum, Sinuessanum, Tusculanum, Vestianum, Vicus, outre tous les fonds de terre appelés prædia; il faut toutefois remarquer que plusieurs de ces maisons n'étaient que des maisons de passage, comme celle de Sinuesse, et que Ciceron ne les posséda pas toutes à la fois, s'étant défait de quelques-unes pour en acheter d'autres. — Elles étaient situées généralement dans le voisinage de la mer, à des distances raisonnables, le long de la Méditerranée, entre Rome et Pompéi, qui n'était éloigné de Naples que de quelques milles. Il ne devait rien manquer à l'élégance des édifices, ni à l'agrément de leur situation, puisqu'il les appelle lui-même les délices de l'Italie. On ne doit pas oublier que la magnificence des Romains éclatait surtout dans leurs maisons de campagne. Quelques-unes de ces demeures ressemblaient à des villes, au dire des anciens mêmes (Sall., Cat., 12; Sénèq., Benef., vii, 10, ép. 90; Horat., Od., ii, 15, etc.). Celles que Cicéron habitait le plus volontiers et où il passait régulièrement quelque partie de l'année, étaient Tusculum, Antium, Astura, Arpinum, Formies, Cumes, Pouzzol et Pompéi, où Ton déterra, en 1764, une habitation recouverte depuis, et qui est ordinairement appelée Maison de Cicéron. «Mais, dit M. Mazoia dans ses Ruines de Pompéi (p. 55), cette dénomination me paraît hasardée. Cicéron avait bien à Pompéi une maison de plaisance qu'il affectionnait beaucoup, et où il composa en grande partie ses Traités des Devoirs, de la Divination et de la Vieillesse, mais elle devait être plus éloignée de la ville. Il écrivait lui-même à Atticus: «Je suis ici dans un endroit très-agréable, mais surtout fort retiré; un homme qui compose y est à l'abri des importuns.» Or, cette habitation-ci, placée aux portes de la ville, au bord de la grande route et tout proche du port, n'aurait pu lui offrir cette tranquillité qu'il vante plus d'une fois dans ses lettres, et il n'eût pu l'appeler un lieu retiré. Au surplus, elle est vaste, bien située; les décorations qui y furent trouvées font présumer qu'elle dut appartenir à quelqu'un des principaux habitants.» — Toutes ces maisons de campagne de Cicéron avaient assez d'étendue pour recevoir, avec sa famille, un grand nombre de ses amis, dont plusieurs, qui tenaient le premier rang à Rome, s'y arrêtaient ordinairement, quelques jours avec lui, quand ils avaient quelque voyage à faire dans les environs. Mais, outre ces maisons qui pouvaient être regardées comme autant de terres, et qui étaient entourées d'un parc et de champs cultivés, il en avait de moins considérables sur la route, qu'il appelle lui-même de petites hôtelleries, ou des lieux de repos, bâtis apparemment pour la commodité de ses voyages lorsqu'il passait d'une terre à l'autre. — Celle de Tusculum avait appartenu au dictateur Sylla. Elle était à quatre milles de Rome, sur le sommet d'une agréable colline, couverte d'un grand nombre d'autres maisons, et d'où la vue embrassait Rome et toute la campagne voisine. A si peu de distance du centre des affaires, il pouvait y aller respirer l'air de la campagne à toutes les heures, et se délasser avec sa famille ou ses amis des travaux du forum et du sénat. Aussi passait-il ses plus agréables moments dans cette délicieuse retraite, et le goût qu'il y prenait l'avait porté à l'orner avec plus de soin que toutes ses autres maisons. Elle appartient aujourd'hui à des moines, dont le couvent s'appelle Gratta Ferrata, et ils montrent encore les restes des colonnes et des édifices de Cicéron, et les aqueducs qui portaient l'eau dans ses jardins. — Lorsqu'il se sentait quelque dégoût extraordinaire pour la ville, ou que le redoublement de ses travaux l'avait disposé à souhaiter un asile encore plus paisible, il se retirait dans sa maison d'Antium ou dans celle d'Astura. Il avait dans la première sa meilleure collection de livres, et n'y étant qu'à trente milles de Rome, il pouvait être informé tous les jours de ce qui s'y passait. Astura était une petite île à l'embouchure d'une rivière du même nom, éloignée d'environ deux lieues de la côte, entre les promontoires d'Antium et de Circéum. Elle était couverte d'un bois épais, partagé par des allées sombres, où Cicéron passait les moments fâcheux et mélancoliques de sa vie. — Dans les plus grandes chaleurs, sa maison d'Arpinum et la petite île qui l'avoisinait, avec ses bosquets et ses cascades, servaient à le défendre contre les ardeurs de l'été. — Ses autres maisons étaient situées dans les lieux les plus fréquentés de l'Italie. Il en avait deux à Formies, une haute et une basse; celle-ci proche du port de Caiète, et l'autre sur les montagnes voisines. Il en avait une troisième sur le rivage de Baies, entre le lac d'Averne et Pouzzol; c'est celle qu'il appelait la Putéolane. Elle avait été bâtie sur le plan de l'Académie d'Athènes. C'est dans cette dernière qu'Adrien mourut en adressant à son âme les petits vers si connus que nous a conservés Spartien. —Toutes les maisons de Cicéron étaient meublées avec une élégance proportionnée à la délicatesse de son goût, et à la magnificence des édifices. Ses galeries étaient ornées des plus belles statues et des meilleurs tableaux de la Grèce. Sa vaisselle et tous ses meubles répondaient à cette richesse par la beauté de la matière et par l'excellence de l'ouvrage. Pline parle d'une table de cèdre qui existait encore de son temps. C'était, dit-il, la première qu'on eût vue à Rome, et Cicéron l'avait payée 200,000 sesterces (environ 91,375 fr.). — Atticus ayant fait longtemps son séjour à Athènes, Cicéron se procura par son entremise un grand nombre de statues pour l'ornement de ses maisons de campagne, principalement pour celle de Tusculum. Il y avait fait construire des salles et des galeries, à l'imitation des écoles et des portiques d'Athènes. Il leur avait donné les noms antiques de gymnasium et d'académie, et il les avait de même consacrées à ses conférences philosophiques avec ses amis. Atticus avait reçu de lui, en général, la commission, de lui acheter toutes les statues et tous les tableaux grecs qu'il jugerait propres à orner son académie. Il s'en acquitta avec autant de goût que de zèle. On voit par leurs lettres qu'il lui envoya, dans plusieurs occasions, un grand nombre de statues, lesquelles arrivèrent heureusement au port de Caiète, d'où sa maison de Formies n'était pas éloignée, et elles lui furent si agréables, que chaque fois qu'il en recevait quelque-sunes, il en demandait aussitôt de nouvelles. «J'ai conçu, lui écrivait-il, tant de passion pour ces raretés, qu'au risque d'en être blâmé, je vous supplie toujours de la satisfaire.» Son ardeur pour l'embellissement de Tusculum alla jusqu'à lui faire envoyer à son ami le plan de ses plafonds, qui étaient de stuc, pour y faire ajouter dans les compartiments des ornements de sculpture et de peinture. Il lui envoya aussi le dessin des sommets de ses puits ou de ses fontaines, qui étaient ornés, suivant l'usage de ces temps, de figures en relief, et composées sur les meilleurs modèles. — Les soins d'Atticus ne lui furent pas moins utiles pour recueillir des livres grecs et pour former sa bibliothèque. Cet illustre ami qui avait la même passion, profitait du libre accès qu'il avait dans toutes les bibliothèques d'Athènes, pour faire copier les ouvrages des meilleurs écrivains par ses esclaves. Il était parvenu ainsi à se faire une collection fort nombreuse des livres les plus curieux, dans le dessein, à la vérité, de les vendre, et l'on voit par une de ses lettres qu'il s'ouvrit là-dessus à Cicéron; mais il lui faisait entendre qu'il en espérait une plus forte somme que celle qu'il pouvait attendre de lui; ce qui engagea Cicéron à le prier dans plusieurs lettres de les garder tous pour lui, jusqu'à ce qu'il fût en état d'en payer la valeur. «Je vous demande en grâce, lui écrit-il, de me conserver vos livres; si je me ruine en les achetant, je me croirai plus riche que Crassus, et je mépriserai les plus belles maisons de campagne. Gardez-moi ces livres; je mets à part tout ce que-je puis épargner de mon revenu pour me procurer cette consolation dans ma vieillesse.»
Quand on songe à la médiocrité de son patrimoine, on a peine à comprendre quelle était la source d'un revenu assez vaste pour fournir à la construction de tant d'édifices, et aux frais continuels de leur entretien et de ce magnifique ameublement. Mais l'étonnement doit cesser, si l'on considère quelles grandes occasions il avait eues d'augmenter sa fortune. Les premiers citoyens de Rome avaient deux voies toujours ouvertes pour acquérir des richesses: premièrement, les magistratures publiques et les gouvernements des provinces; ensuite les présents des rois, des princes et des États étrangers, qu'ils s'étaient attachés par leurs services et par leur protection. Quoique Cicéron eût usé de ces avantages avec une admirable modération, ce qu'il en avait tiré suffisait à un homme si réglé, si supérieur aux plaisirs frivoles. Il y avait d'ailleurs une troisième voie pour s'enrichir, qui était estimée la plus honorable, et qui avait procuré à Cicéron de fréquents secours; c'étaient les legs qu'on recevait de ses amis à leur mort. Par un usage particulier aux Romains, les clients et tous ceux qui avaient fait profession de quelque attachement pour une famille illustre, laissaient à leurs patrons une partie considérable de leur bien, comme le témoignage le plus certain de leur respect et de leur gratitude; et le crédit d'un citoyen augmentait a mesure que ses richesses s'accroissaient par cette voie. Cicéron avait reçu un grand nombre de ces présents testamentaires. Il s'en félicite lui-même dans plusieurs de ses lettres; et lorsque Antoine lui reprocha faussement d'avoir été négligé dans ces occasions, il déclara dans sa réponse que son bien s'était accru par ce seul moyen de plus de vingt millions de sesterces, dont il était redevable à des donations libres et volontaires, et non, comme il en accusait Antoine, à des testaments forgés, dont les auteurs étaient inconnus. Middleton.
(39) Elle était sœur de la vestale Fabia Terentia, dont parle Plutarque dans la Vie de Caton d'Utiqve, c. 19, éd. de Reiske. On ne sait rien de plus de la famille de Térentia; mais on peut conclure de son nom, de ses richesses et de la condition de sa sœur, qu'elle appartenait à une des plus illustres maisons de Rome.
(40) Lisez cent vingt mille deniers. Ricard évalue cette somme à 108,000 livres.
(41) Lisez quatre-vingt-dix mille deniers. 81,000 livres, d'après l'évaluation de Ricard.
(42) La maison paternelle de Cicéron est placée, par P. Victor, dans le quatrième quartier de Rome, qu'on appelait le Temple de la Paix, et près de la maison de Pompée. Celle qu'il alla occuper était dans le dixième quartier, qu'on nommait le Palais (Palatium), dans le voisinage du temple de Jupiter et de la maison de Catulus. Il la tint d'abord à loyer de Crassus, mais il l'acheta après son consulat, comme il le dit lui-même, Ep. fam., v, 6.
C'est en 691 de Rome que Cicéron, alors âgé de quarante-cinq ans, acheta cette maison, qui lui coûta une somme considérable, et semble avoir été une des plus belles de Rome. Elle avait été bâtie trente ans auparavant par le tribun Liv. Drusus. On rapporte que l'architecte ayant offert de la construire avec tant d'art qu'on n'y pourrait être vu du voisinage, Drusus répondit: «Faites plutôt que tout le monde puisse voir ce que j'y ferai.» Elle était située dans la partie la plus élevée de la ville, presqu'au centre de toutes les affaires, avec la vue fort libre sur le forum et sur la tribune aux harangues, et elle touchait au beau portique de Catulus. Aulu-Gelle raconte que Cicéron étant résolu d'acheter cette maison, et n'ayant point la somme qu'on lui demandait, l'emprunta secrètement de Sylla, son client, dans le temps même qu'il travaillait à sa défense; mais que le bruit s'en étant répandu, il nia également et l'emprunt et le dessein qu'il avait d'acheter la maison. Il ne laissa pas de l'acheter quelques jours après, et répondit à ceux qui lui reprochaient sa dissimulation, qu'il fallait être fou pour s'imaginer qu'ayant l'intention de se procurer une maison, il dût l'apprendre à tout le monde, au risque de faire naître des concurrents qui en augmentassent le prix.
(43) Valère-Maxime raconte ce fait autrement (ix, 12). Voyez aussi Cicéron (pro Rab. perd. c. 2; ep. ad Att. I, 4.).
(44) Voyez l'invective contre Vatinius; Catulle, Carm, xiv, 13; Macrob. Saturn. ii, 6, etc. La haine publique dont il fut l'objet, ses écrouelles et son consulat, passèrent en proverbe. Sénèque en fait un portrait frappant (de Const. cap. ii, 6)
(45) C'est ainsi que Xylander interprète les mots: οὐκ ἔχω τηλικοῦτον τράχηλον. C'est aussi le sens que leur donne Ricard. M. Leclerc, dans son excellente traduction, a adopté un sens un peu différent: «C'est, fait-il dire à Cicéron, que je n'ai pas une tête aussi forte que toi.» Un autre passage de Plutarque dans la Vie de Marius nous apprend qu'aux yeux des Romains un cou épais indiquait une disposition à parler de tout avec assurance. «Atque etiam Marius in senatu respondit: Non ita latum esse collum, ut de tanta re quicquam afirmare ausit: de lege saturniana loquens.» Le sens d'Amyot nous semble donc préférable. Vatinius d'ailleurs n'avait pas ses écrouelles à la tête, mais au cou.
(46) Salluste (Cat. 22) parle moins affirmativement de ce pacte des conjurés.
(47) Ciceron avait eu six compétiteurs au consulat: deux patriciens, P. Sulp. Galba, et L. Serg. Catilina; deux d'extraction noble, Antoine, fils du célèbre orateur de ce nom, et Cassius Longinus; deux qui, sans être nobles, étaient fils de sénateurs, Q. Cornificius et C. Licinius Sacerdos. Ciceron était le seul de l'ordre équestre. Asconius, Argum. orat. in, Tog. cand.
(48) Il ne reste qu'un fragment du discours de Protcriptorum liberit.
(49) A Caius Antonius
(50) Nous avons encore les trois discours de Ciceron contre Servilius Rullus, qui était à la tête des tribuns; mais le dernier est fort mutilé.
(51) Voici comment Ricard a rendu ce passage de Plutarque, un peu obscur dans Amyot. Cicéron est de tous les orateurs celui qui a le mieux fait sentir aux Romains quel charme l'éloquence ajoute à la beauté de la morale; de quel pouvoir invincible la justice est armée quand elle est soutenue de celui de la parole. Il leur montra qu'un homme d'État qui veut bien gouverner doit, dans sa conduite politique, préférer toujours ce qui est honnête à ce qui flatte; mais que, dans ses discours, il faut que la douceur du langage tempère l'amertume des objets utiles qu'il propose.
(52) Aultres le nomment Lucius Roscius Otho, tribun du peuple. Amyot. — C'est ainsi qu'il faut lire,suivant Ciceron (pro Muren. c. 19); Tite-Live (Epitom. lib. 99); Velléius (ii, 32); Acron. (in Horat. Epod. 4, etc.). La loi Roscia avait été portée quatre ans auparavant (Dion, xxxvi, 25). Il ne reste que deux ou trois mots du discours prononce alors par Cicéron.
(53) Ciceron (in Catil. iii, 8; de Divin, i, 11) raconte fort au long tous ces prodiges, que Plutarque ne fait qu'indiquer ici. Ils sont aussi rapportés par Dion (xxxvii), Julius Obséquens, et Arnobe.
(54) Ce passage a donné lieu à beaucoup d'interprétations diverses; les uns ont voulu que le grec signifiât, une réponse qui n'était point molle, qu'Amyot ait écrit: une réponse non molle, et que sa petite particule négative ait disparu à l'impression; les autres ont corrigé le texte même de Plutarque; les interprètes latins ont traduit: respondit Ciceroni leniter, et M. Leclerc: «Il fit cette réponse détournée,» en prévenant qu'il n'adopte ni le changement fait par Reiske, οὐ μαλακὴν ἀπόκρισιν, ni la leçon de Coray, μανικήν.
(55) Salluste ne dit rien de cette visite nocturne de Crassus à Ciceron, et des indices qu'il s'empressa de lui fournir.
(56) Dans le grec, ceci est une autre phrase, qui signifie: Voici quel était le sujet de leur visite.
(57) Il est nommé Marius par Salluste, et par d'autres, Martius et Attius.
(58) La formule de ces décrets était celle-ci: Videant consules ne quid detrimenti respublica patiatur. Voyez sur cette formule Ciceron, (in Cat. i,2; pro Rabir. perd. 1,1; Philippic. ii, 21; v, 12; viii, 4, 5; Ep. fam. xiv, 11). César (de Bell. civ. i, 5); Dion (xxxvii, 31, etc.).
(59) Plutarque, en nommant les deux Romains apostés pour tuer Ciceron, n'est point d'accord avec Salluste, qui lui-même ne l'est pas avec Ciceron.
(60) Cette assertion n'est pas exacte. Ciceron n'ordonna pas à Catilina de sortir de Rome; il aurait craint, en le faisant, de paraître agir avec une autorité trop absolue. Il fit mieux, et tel fut le pouvoir de son éloquence, que Catilina, effrayé, prit de lui-même le parti de quitter Rome. Ricard.
(61) Ce passage avait été mal traduit par las interprètes. Il est cependant d'une grande importance; car il nous atteste bien formellement un usage remarquable des Romains, qu'il ne sera pas inutile d'expliquer ici, en montrant par quelles voies un sénateur, qui avait été chassé du sénat, pouvait y rentrer. Ce n'était que par une décès cinq voies: il fallait, ou qu'il fût retenu par le collègue du censeur qui l'avait chassé, ou qu'il fût rappelé par les censeurs suivants, ou que, par le jugement des commissaires qu'on lui donnait, il eût été lavé des accusations dirigées contre lui, ou que le peuple l'eût absous, ou qu'enfin, après avoir repassé par les charges inférieures qu'il avait déjà exercées, il se fût élevé à une des charges curules qui, seule, le rétablissait de droit dans le sénat. Mais sur ce dernier moyen, voici la différence qui s'observait: si le sénateur, avant d'être chassé, avait eu quoique magistrature curule, il n'était pas obligé de repasser par les charges moins élevées; il suffisait qu'il revînt à la charge curule qu'il avait exercée, et qu'il l'obtint de nouveau des suffrages du peuple. C'est ce que confirment deux exemples célèbres, celui de Salluste, et celui de Lentulus, dont Plutarque parle ici. Salluste n'avait été que questeur, lorsqu'il fut chassé du sénat par les censeurs Appius Claudius et Pison. Il obtint une seconde fois la questure, et il fut rétabli dans le sénat, non par le bénéfice de cette charge, qui pourtant donnait quelquefois l'entrée au sénat (Cic. in ferr. v, 14; Ep. fam. ii, 7), mais par la faveur et le crédit de César. Lentulus Sura, qui avait été chassé du sénat par les censeurs Cn. Lentulus et L. Gellius, après avoir été consul en 682, ne fut point réduit à passer par les moindres charges, qu'il avait déjà exercées, comme la questure; il suffit qu'il briguât et qu'il obtînt de nouveau la préture, qui de plein droit lui ouvrait l'entrée du sénat. C'est ce que Dion fait fort bien entendre lorsqu'il écrit, xxxvii, 30, que P. Lentulus, un des adhérents de Catilina, ayant été chassé du sénat, après avoir été consul, était alors préteur pour recouvrer ainsi son rang de sénateur. Ce passage de Dion explique parfaitement bien celui de Plutarque. Dacier.
(62) Ce surnom de Sura est beaucoup plus ancien que Plutarque ne le dit; car on trouve dans Tite-Live, liv. xxii, c. 31, un P. Sura, lieutenant du préteur Émilius en Sicile.
(63) Salluste, avec plus de vraisemblance, n'en met que douze.
(64) T. Volrurcius. (Sali., Catil., c. 44)
(65) Junius Silanus, consul désigné.
(66) Ou dans la maison du préteur. (Plutarque, César, c. 9; Dion, xxxvi, 45).
(67) On trouve des récits presque semblables dans Pausanias, v, 27; Suétone, Tib., 14; Solin, c. 5; Servius, ad.Æn., xii, 200; Ammien Marcellin, xxxiii, 6, etc. Le consulat de Cicéron fut précédé d'un pareil présage; Cicéron apprit cela de sa femme et l'inséra dans son poème (Serv. ad Eclog., viii, 106), mais ces vers ne nous sont point parvenus. «Il aurait pu aisément connaître, dit Bayle, qu'il n'y avait rien là de surnaturel: il n'est point rare que si l'on jette du vin sur des cendres chaudes, parmi lesquelles il y a presque toujours un peu de braise, les esprits du vin prennent feu; voilà tout le prodige que la femme de Cicéron rapporta à son mari. D'autres disent que ce prodige se fit voir aux femmes qui célébraient la fête de la bonne déesse: le feu qui était allumé sur l'autel paraissait éteint, et cependant il s'éleva tout d'un coup du milieu des cendres et des tisons une grande flamme. Cela pouvait être fort naturel: nous voyons tous les jours que des restes d'un fagot qui ne rendaient plus de flammes, se rallument d'eux-mêmes... Ceci a bien l'air d'un conte brodé sur un autre. On aura changé les circonstances du fait dont Cicéron décora son poëme, et ainsi, pour un prodige, on en aura donné deux.»
(68) Cet aveu ne se trouve pas aujourd'hui dans les œuvres de Cicéron.
(69) P. Nigidius Figulus, le plus savant des Romains après Varron, selon Aulu-Gelle (iv, 9), est qualifié de sénateur par Dion (xlv, 1). Cicéron, au rapport du même Aulu-Gelle (xi, 11), avait pour lui la plus grande estime, à cause de son esprit et de ses connaissances.
(70) II avait trente-sept ans, étant né l'an de Rome 654.
(71) Il conclut à la prison perpétuelle, comme l'atteste Cicéron lui-même (in Cat. iv, 5.); Salluste (Cat. 51); Dion (xxxvii, 36).
(72) Plutarque ne fait pas assez entendre que Cicéron, dans la quatrième Catilinaire, tout en balançant l'opinion de César et celle de Silanus, laisse voir clairement qu'il préfère la seconde.
(73) Salluste n'a pas même parlé du discours de Cicéron dans cette délibération du sénat. Catulus, sur lequel cet historien garde le même silence, se prononça pour le dernier supplice. Enfin, Caton entraîna les suffrages par l'admirable harangue que nous lisons dans le Catilina (c. 52), et qui contenait contre César de courageuses invectives dont Plutarque fait mention, et que Salluste a dissimulées.
(74) Quand César sortit du senat, où il avait parlé avec tant de chaleur pour soustraire les conjurés au supplice, les chevaliers qui étaient de garde lui présentèrent d'un air menaçant la pointe de leurs épées. Ils l'auraient tué, si Cicéron, sur lequel ils avaient les yeux attachés comme pour lui demander ses ordres, ne leur eût fait signe de le laisser échapper. Voy. Plutarque, César.
(75) Appien, liv. ii, des Guerres civiles, dit, comme Plutarque, que les conjurés furent distribués dans les maisons des préteurs,qui leur servirent de prison; mais Salluste, qui nous a conservé les noms de ceux à la garde desquels ils furent confiés, ne donne à aucun d'eux la qualité de préteur. Bien plus, Lentulus, second chef de la conjuration, fut détenu chez Publius Lentulus Spinther alors édile; Gabinius, chez M. Crassus, qui avait été consul; Céparius chez Cn. Térentius, senateur; et Stalilius fut confié à César, qui, selon Cicéron, n'était encore que préteur désigné.
(76) C'est une métaphore prise des mystères d'Éleusis, dans lesquels on éprouvait les initiés par les spectacles les plus effrayants, par des alternatives de lumière et de ténèbres, par des tremblements qui secouaient les murs du temple, par des apparitions et des fantômes (Meursius, Eleusinia, c. 11). On les préparait ainsi au dernier acte de l'initiation, qu'on nommait l'époptée, ou la vue même et la révélation du vrai but des mystères. Barton.
(77) C'était la coutume, dans les occasions importantes, d'allumer des flambeaux dans toutes les rues et de faire de grandes illuminations. Cet usage était venu de la célébration des mystères, où l'on allumait une infinité de flambeaux parce qu'on les célébrait la nuit. Ces illuminations étaient fort honorables pour ceux quiobtenaient cette distinction, et on les regardait comme un acte de religion.
(78) Quand les consuls entraient en charge, ils juraient entre les mains du consul qui les avait proclamés, qu'ils observeraient fidèlement les lois, et lorsqu'ils en sortaient, ils juraient de nouveau, en présence du peuple, qu'ils avaient rempli leur premier serment.
(79) Ep. fam. v, 2; in Pison. c. 3.
(80) Q. Catulus fut le premier qui donna à Cicéron, dans le sénat, le titre de sauveur de Rome (in Pis. c. 3); plusieurs autres suivirent son exemple; mais Caton, étant tribun, le lui donna devant le peuple assemblé.
(81) Un malheur fatal.
(82) Dacier a substitué ici le nom de Démosthène à celui d'Aristote: un passage des Académiques (ii, 38) prouve l'exactitude de la citation de Plutarque. «Flumen orationis aureum fundens Aristoteles.»
(83) «Jovem sic aiunt philosophi, si græce loquatur, loqui.» (Brutus, c. 31).
(84 Pline le jeune (i, 20) a transporté le même éloge aux discours de Ciceron: «M. Tullium, cujus oratio optima fertur esse, quæ maxima.»
(85) Nous n'avons plus cette lettre; mais Quintilien atteste la même chose (x, 1; xii, 1). Toutefois personne n'a parlé de Démosthène d'une manière plus honorable que Ciceron; et quoiqu'il dise (orat. c. 29) que l'orateur grec ne remplit pas entièrement l'idée qu'il s'est faite d'un orateur parfait, il convient qu'il en approche de très-près, et que personne ne peut lui être comparé.
(86) Ce nom de Philippiques avait d'abord été donné par Ciceron à ses harangues contre Antoine, sans aucune vue sérieuse. «J'ai lu vos deux discours, lui écrivait Brutus (ii, 5). Je vous passe à présent de leur donner ce nom de Philippiques, comme vous paraissez me le faire entendre en plaisantant dans une autre lettre.» Ce nom fut si bien reçu, qu'il est devenu un titre fixe sous lequel tous les siècles suivants nous ont conservé ces harangues. On trouve néanmoins quelques auteurs qui les ont appelées indifféremment Antoniennes et l'hilippiques (Aul. Gell. xiii, 1).
(87) Augmenté.
(88) Cicéron, dont le fils étudiait alors à Athènes, l'avait confié à cet Hérode, sinon pour l'instruire, car il paraît que c'était un écrivain médiocre, au moins pour le tenir au courant des progrès que faisait son fils.
(89) La lettre grecque au rhéteur Gorgias ne s'est point conservée, non plus que les autres lettres grecques de Cicéron.
(90) Voyez Ep. ad Attic. xiv, 81.
(91) C'est probablement Munatius Plancus Bursa, tribun du peuple l'an 701 de Rome, ennemi de Cicéron et de Milon, qui, après avoir été défendu par Cicéron, fut ensuite condamné, sur l'accusation de cet orateur, comme coupable de violence (Ep. fam. vii, 11; Philipp., vi, 4).
(92) Actius (Axius) est un nom propre romain, et ἄξιος en grec signifie digne: ainsi la grâce de la rencontre est en l'ambiguïté de ce mot axius. Amyot. «Digne de Crassus,» ou «c'est l'Axius de Crassus.» Le sens de cette plaisanterie, fondée sur une équivoque, est intraduisible en français, et Cicéron n'a dû la prononcer qu'en grec.
(93) Campanie.
(94) Gellius Publicola avait été consul l'an de Rome 681. Étant à Athènes, il assembla tous les philosophes de cette ville, et fit tous ses efforts pour leur persuader de mettre enfin un terme à leurs disputes. Croyant que toutes ces opinions diverses pouvaient se soumettre, comme une affaire civile, à un arbitrage volontaire, il leur offrit sa médiation. Il vivait encore l'an de Rome 697, et mourut extrêmement vieux.
(95) Pour ce que les Africains ont ordinairement les oreilles percées. Amyot.. 26). Cependant, suivant Dion, xlvi, 43, Cicéron lui répondit: «Si vous demandez le consulat de cette manière, César l'obtiendra.»