Paris

MATTHIEU PARIS

 

GRANDE CHRONIQUE : TOME QUATRIEME : PARTIE III

tome quatrième partie II - tome quatrième partie IV

Œuvre mise en page par Patrick Hoffman

GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

 

TRADUITE EN FRANÇAIS

PAR A. HUILLARD-BRÉHOLLES,

 

ACCOMPAGNEE DE NOTES,

ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION

 

PAR M. LE DUC DE LUYNES,

Membre de l'Institut.

 

TOME QUATRIÈME.

 

PARIS,

PAULIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

33, RUE DE SEINE-SAlNT-GERMAIN.

1840.

 

 

GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

(historia major anglorum).

 

 

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(232) Modestie du légat Othon. — Il réconcilie plusieurs seigneurs. — Massacre de la milice du Temple, près d'Antioche. — Thierry, prieur des hospitaliers, envoyé au secours de la Terre-Sainte. — Cependant le seigneur légat Othon, dont nous avons fait mention plus haut, se conduisait avec prudence et modération, et refusait en grande partie, contre la coutume des Romains, les plus précieux des présents qui lui étaient offerts. La retenue de sa conduite, qui détruisait la mauvaise opinion de plusieurs, dissipa aussi l'indignation que tout le clergé et toute la chevalerie du royaume avaient ressentie de son arrivée.

En effet, il commença par réconcilier quelques seigneurs qui étaient désunis par des haines sourdes et il les détermina à se donner le baiser de paix, comme indice de leur bonne foi. Il rapprocha, par exemple, le seigneur Pierre, évêque de Winchester, (233) et le seigneur Hubert, comte de Kent, ainsi que Gilbert Basset, Étienne de Ségrave, Richard Suard et beaucoup d'autres qui se détestaient auparavant. Cette haine avait failli avoir un résultat déplorable dans le tournoi qui eut lieu à Blithe102, au commencement du carême de cette année, et dans lequel les seigneurs du midi luttèrent contre ceux du nord. Les seigneurs du midi ayant eu enfin l'avantage, et quelques-uns des premiers de leurs adversaires ayant été pris, cette passe d'armes dégénéra en une bataille sanglante. Le comte Bigod s'y distingua entre autres par sa valeur. Après que le seigneur légat eut ainsi rétabli la paix par son adresse, il écrivit à tous les prélats d Angleterre qu'ils eussent à s'assembler à Londres, à l'octave de Saint-Martin, pour y entendre en commun, dans l'église de Saint-Paul, le bref original du seigneur pape, qui lui concédait et lui livrait plein pouvoir dans ses fonctions de légat, pour s'occuper en commun, dans le même lieu, de la réforme de l'église d'Angleterre, et enfin pour y célébrer un concile en sa présence.

Vers le même temps, des bruits lamentables se répandirent, annonçant que toute la Terre-Sainte était plongée dans la confusion. En effet, à la mort du soudan d'Alep, la trêve conclue entre les Templiers et ce même soudan était expirée. Les Templiers voulant donc agrandir leurs possessions en l'honneur (234) du Christ, se préparèrent au combat et résolurent de mettre le siège devant un château, nommé Guasc (?), situé au nord d'Antioche. Ils placèrent leurs tentes non loin du château, dans un lieu couvert d'herbes, et mirent à leur tête le précepteur d'Antioche, Guillaume de Montferrat, natif d'Auvergne. Tandis qu'ils s'approchaient dudit château, rangés en bataille, ils furent aperçus par des captifs chrétiens retenus eu esclavage, et par quelques apostats qui leur crièrent: «Fuyez, malheureux, fuyez. Pourquoi courez-vous à une perte assurée, vous êtes tous morts. Une multitude d'ennemis et tous les habitants de la province voisine se sont réunis sur l'ordre du soudan d'Alep, qui vous a préparé ces embûches, et tous ils conspirent votre ruine.» En entendant ces mots, le précepteur d'Antioche méprisa leurs exclamations menaçantes, les appelant apostats et traîtres; mais plusieurs des chevaliers du Temple, considérant les chances hasardeuses de la guerre, leur petit nombre et la multitude de leurs ennemis, furent d'avis de prévenir cette embuscade en se retirant, jusqu'à ce qu'ils eussent reconnu d'une manière plus certaine les forces des ennemis. Le susdit précepteur répondit à cela, qu'il ne voulait pas avoir avec lui dans un combat douteux ou faire participer à une si glorieuse victoire des gens qui tremblaient, et il les appela menteurs et poltrons. Guidé ainsi par sa précipitation et son imprudence, il provoqua les ennemis au combat, quoique abandonné par plusieurs chevaliers. Bientôt entouré, avant même qu'il, s'y attendit. par une (235) toute d'ennemis auxquels s'étaient joints les gens du pays, et ne pouvant soutenir le poids de la bataille, il prit la fuite et tourna dos contre l'habitude des chevaliers du Temple; plusieurs de ses compagnons, qui dans le principe avaient excité les autres à rester, suivirent son exemple. Plus de cent chevaliers du Temple et trois cents arbalétriers succombèrent dans cette lutte, sans compter les autres séculiers et une troupe de fantassins non petite. Du côté des Turcs, trois mille hommes environ périrent. On eut à regretter dans cette funeste journée un illustre chevalier du Temple, Anglais de nation, nommé Regnault d'Argentan, qui était ce jour-là porteur du Beauséan103, et qui ainsi que tous ceux qui succombèrent avec lui, fit chèrement payer la victoire aux ennemis, il tint élevé l'étendard de l'ordre avec une admirable obstination, jusqu'à ce qu'il eut les bras et les jambes cassés. Leur précepteur aussi, avant d'être massacré, tua à lui seul près de seize ennemis, et envoya leurs âmes aux enfers, sans compter ceux qu'il blessa mortellement. Cette déplorable bataille fut livrée au mois de juin.

A cette nouvelle, les Templiers et les Hospitaliers qui habitaient dans les pays d'Occident prirent intrépidement les armes, brûlant de venger le sang de leurs frères qui avait été versé pour le Christ. Les (236) Hospitaliers, en particulier, envoyèrent au secours de la Terre-Sainte, frère Thierry, leur prieur, Allemand de nation, chevalier accompli, avec une nombreuse chevalerie, une troupe d'hommes d'armes soldés et de grands trésors. Tous les préparatifs à faire ayant été faits, ces hospitaliers partirent de Clarkenwell, maison de leur ordre à Londres, traversèrent la ville, en se dirigeant vers le pont, portant environ trente boucliers découverts, les lances en arrêt et bannière en tête; et ils s'avancèrent en bon ordre pour obtenir la bénédiction de tous ceux qui les verraient passer. Chaque frère, la tête baissée et le capuce rejeté sur les épaules, se recommandait aux prières de tous.

L'empereur rentre en Italie avec une nombreuse armée. — Guerre entre l'empereur et les Milanais. — Bataille de Cortenuova. — Humiliation de la ligue lombarde. — Cette même année, vers la fête de saint Michel, le seigneur empereur, après avoir apaisé la sédition soulevée en Allemagne et avoir tout pacifié dans ce pays, passa en Italie avec de puissantes forces et une armée nombreuse, bien résolu à tirer vengeance, par tous les moyens, des injures multipliées que lui avaient fait subir les habitants de Milan. En effet, quand lui-même peu auparavant retourna en Allemagne, à l'occasion de la sédition intestine que le duc d'Autriche avait fait éclater pour sa propre perte, les habitants de Milan instruits de cette retraite et poursuivant, pour ainsi dire, l'empereur d'une haine inexorable, massacrèrent audacieusement les (237) garnisons qu'il avait laissées dans les châteaux d'Italie nouvellement conquis, et exaspérèrent par ce nouvel outrage l'indignation de l'empereur. Celui-ci, afin de ne pouvoir être accusé de désobéissance, s'adressa au seigneur pape lui-même, tant par des requêtes suppliantes, que par maintes et maintes ambassades solennelles. Il le sollicita humblement, lui qui était la tête de l'église, de l'aider à acquérir puissamment son héritage, à se venger justement des insultes multipliées qu'il avait reçues des Milanais, et à extirper la perversité des hérétiques de toutes les villes d'Italie qui en étaient souillées; surtout, puisqu'il était du devoir de l'église romaine, quand bien même tous les autres se tairaient, de mettre un terme à l'insolence de pareilles gens. Mais le seigneur pape, à cette nouvelle, usa de dissimulation, et se rendit à Rome, comme s'il fuyait devant la face de l'empereur, soit qu'il ne voulût pas, soit qu'il ne pût pas secourir les Milanais. Les Romains le reçurent avec joie quand il entra dans leur ville, et stipulèrent qu'il n'en sortirait plus désormais, comme auparavant. En effet, ils s'étaient aperçus que son absence, qui durait depuis dix ans, leur avait causé de grands dommages sous le rapport pécuniaire.

Cependant les Milanais, apprenant l'arrivée du seigneur empereur, dont ils avaient justement excité la colère, se préparèrent à la guerre par tous les moyens qui étaient en leur pouvoir. Ils garnirent les tours de provisions, les carquois de flèches, et donnèrent des armes à ceux qui n'en avaient pas. L'empe- (238) reur approchant avec sa nombreuse armée, qui dépassait, dit on, cent mille combattants, sans compter ses mercenaires sarrasins, et étant venu à une journée de marche de Milan, les habitants, dont les forces s'étaient augmentées par les forces de tous leurs alliés, formèrent leurs rangs et marchèrent intrépidement à la rencontre de l'empereur; ils plantèrent leurs tentes en attendant que le jour de la bataille fût fixé, fixèrent les quartiers de leurs nombreuses troupes qui s'élevaient à soixante mille hommes, et placèrent au milieu, comme centre et force de l'armée, le carroccio supportant leur étendard. Ce que voyant, le seigneur empereur convoqua ses conseillers et les animant par des paroles guerrières, il leur dit. «Voici que nos insolents ennemis les Milanais ont osé apparaître de loin; ils ne craignent pas de me provoquer au combat, moi qui suis leur seigneur; mais ils sont les ennemis de la vérité et de la sainte église, et le poids de leurs propres crimes les écrasera104. Passez le fleuve» (car il y avait une rivière appelée l'Oglio qui servait d'intermédiaire et de séparation entre les deux armées). «Toi, mon valeureux porte-étendard, élève et déploie mon aigle victorieuse; et vous, mes chevaliers, tirez vos glaives formidables qui se sont tant de fois baignés dans le sang des ennemis. Lancez-vous avec votre fureur ordinaire sur ces rats qui ont osé sortir de leurs trous, et qu'ils éprouvent aujourd'hui ce que valent (239) les lances foudroyantes de l'empereur romain.» Aussitôt les Milanais, se précipitant sur l'armée impériale, commencent par charger intrépidement les Sarrasins qui leur sont opposés, les passent au fil de l'épée, et en un instant en font un affreux carnage. Puis ils s'avancent espérant porter le même désordre dans les rangs serrés de l'armée impériale. L'empereur s'en apercevant, s'entoure des nobles seigneurs de sa suite, hommes vigoureux et invincibles, et ce bataillon compacte se précipite de toute sa force au milieu des assaillants dont il réprime l'impétuosité. Les Milanais, sentant qu'il y va de leur vie, s'exhortent mutuellement à avoir bon courage, repoussent la force par la force, combattent avec acharnement, plongent leurs glaives brillants dans le corps de leurs ennemis, et font du combat qui s'engage une sanglante bataille. Des deux côtés une foule de morts jonchent la terre. Les clameurs de ceux qui s'attaquent, les gémissements des mourants, le fracas des armes, les hennissements des chevaux, les vociférations des cavaliers se serrant les uns les autres, les coups redoublés des glaives tombant comme des éclairs sur les armures, tout cela forme un tumulte épouvantable qui remplit l'air. Cependant après une lutte acharnée de part et d'autre, les Milanais ne pouvant plus soutenir ce jour-là le poids de la bataille, firent retraite et rentrèrent dans leur ville avec l'intention de retourner au combat le lendemain. Ils firent savoir au seigneur empereur que de grand matin ils reviendraient tenter avec courage la chance définitive des combats, (240) et qu'alors, selon la volonté du Dieu des Armées, les Milanais ou leurs adversaires obtiendraient la joie du triomphe sans les désagréments d'un plus long délai, et qu'un fâcheux retard ne tourmenterait pas plus longtemps les esprits en suspens. L'empereur tint conseil à cette nouvelle, et il préféra réprimer la fureur des ennemis prudemment et sûrement que d'avoir la folie d'interrompre le combat pour tenter de nouveau les chances de Mars et pour se livrer lui et ses soldats fatigués à des hasards incertains. Alors commença des deux côtés un massacre d'illustres hommes, massacre digne de pitié et à jamais déplorable. En cette circonstance les Milanais eurent complètement le dessous. Car l'empereur prit trois mille de leurs plus nobles citoyens et passa au fil de l'épée un nombre immense de ceux qui composaient la masse de leur armée: il fit aussi prisonniers trois cents nobles Milanais qui étaient postés en embuscade. Il se saisit de leur carrocchio et fit égorger le podestat, fils du duc des Venètes, qui aurait mieux aimé succomber dans le combat, ainsi que plusieurs autres seigneurs105. L'évéque des Milanais périt-il dans le (241) combat ou fut-il pris? c'est ce que nous ne savons point, faute de détails certains. Dès lors le seigneur empereur fît étroitement garder les voies et les passages tout autour de la ville: il plaça des sentinelles qui jour et nuit veillèrent à ce qu'aucun conducteur de convois106 ou aucun paysan portant des provisions pût entrer dans la ville ou en sortir. Il brisa les ponts, et barra les routes, afin de briser ainsi la rage déchaînée de ses ennemis, et de dompter leur férocité. Mais les Milanais levant le talon contre Dieu, se laissèrent entraîner aux mauvaises pensées et se mirent à désespérer et à se défier de Dieu. Ils suspendirent dans les églises le crucifix par les pieds, et mangèrent de la chair le vendredi et pendant le carême. Beaucoup d'autres en Italie tombant dans le même abîme de désespoir, se répandirent eu injures et en blasphèmes. Ils souillèrent sans pudeur les églises d'immondices, que je n'ose point appeler par leurs noms, polluèrent de préférence les autels et chassèrent les ecclésiastiques. La terreur et l'effroi s'étaient donc répandus sur les cités italiennes. Plusieurs députations de ces villes qui ne voulaient pas être enveloppées dans la ruine des Milanais vinrent trouver l'empereur, lui apportant des présents précieux. Humiliés par l'exemple des chefs de leur ligue107 ces ambassadeurs se remirent à lui, eux et leur villes, et (242) s'avouèrent vaincus. Il s'ensuivit qu'avant la mi-carème le seigneur empereur occupa par de fortes garnisons toute l'Italie, à l'exception de Bologne et de quatre autres cités108 qui étaient hors d'état de résister longtemps. Or, l'université des clercs de Bologne craignait beaucoup pour elle, parce que l'empereur lui avait signifié l'année précédente de se retirer en paix, et qu'elle avait dédaigné d'obéir à ses ordres.

Indignation des nobles d'Angleterre contre le roi. — Le comte Richard lui adresse une remontrance. — Désintéressement du légat. — Henri III appelle le comte de Provence. — Tandis que ces choses se passaient dans les pays d'au delà les Alpes, le roi d'Angleterre Henri III, usant de conseils pervers, devint étranger aux conseils de ses hommes naturels, au mépris des convenances et de ses propres intérêts, et se montra intraitable envers ceux qui avaient de l'amitié pour lui et qui étaient utiles au royaume et à l'état; en sorte qu'il traitait ou faisait par leurs avis peu ou rien de ce qui concernait les affaires de l'état. Voulant donc leur extorquer de l'argent, sous les prétextes les plus spécieux, il affirma avec serment, dans une assemblée à laquelle il avait convoqué les seigneurs de fort loin, que son trésor était complètement vide, et que lui-même se trouvait dans le plus pressant besoin. Il demanda par conséquent, avec beaucoup d'instances, qu'on lui octroyât et qu'on lui donnât le trentième du royaume, (243) afin que la dignité du roi et du royaume fût soutenue plus honorablement et fortifiée plus fermement. Les seigneurs accueillirent fort mal cette demande et répondirent que s'ils étaient grevés si souvent, c'était que les étrangers s'engraissaient de leurs biens; qu'ils voyaient avec douleur la dignité de l'état compromise par cette pauvreté et le royaume menacé de nombreux dangers109. Cependant, après de longues discussions, le roi s'étant humilié et avant formellement promis de s'en remettre alors et désormais à leurs conseils, on lui accorda, non sans de grandes difficultés, le trentième des biens-meubles Le roi fit estimer et lever cet impôt, non d'après le taux royal110, mais selon la valeur commune. Il n'eut pas soin de faire déposer l'argent dans les châteaux et dans les monastères, comme la chose avait été stipulée et confirmée, ni ne lui donna la destination dont les seigneurs étaient convenus. Loin de là, sans avoir recours aux conseils d'aucun homme naturel de la terre, il livra cet argent aux étrangers pour être emporté hors du royaume. Alors il devint comme séduit, n'ayant plus de cœur. Des murmures éclatè- (244) rent parmi le peuple, et l'indignation des grands s'enflamma.

Le comte de Cornouailles, Richard, donna le premier le signal en adressant au roi de violents reproches sur la désolation du royaume, désolation dont il était l'auteur. Il le réprimanda de ce qu'il inventait de jour en jour de nouveaux prétextes et de nouveaux détours pour dépouiller de leurs biens ses seigneurs et ses hommes naturels, de ce qu'il extorquait tout ce qu'il pouvait, et de ce qu'il distribuait imprudemment ces richesses aux ennemis du royaume, gens qui lui tendaient des embûches à lui. le roi, et au royaume. «Vous avez recueilli sous votre règne, ajouta le comte, des revenus immenses, et d'énormes sommes d'argent. Il n'y a eu en Angleterre ni évêché, ni archevêché, à l'exception des évêchés de Bath et de Winchester, et de l'archevêché d'York, qui n'ait été vacant sous votre règne. Vous avez touché semblablement des revenus d'abbayes, de comtés, de baronnies, de gardes et d'autres droits échus, sans que le trésor royal, qui devrait être le nerf et l'appui de l'état, en ait reçu d'accroissement sensible.» Mais le roi, méprisant les avis, tant de son frère que de ses autres hommes naturels, délira de plus en plus comme il avait commencé; et il se soumit avec tant d'empressement à la volonté des Romains, et principalement du légat qu'il avait appelé inconsidérément, qu'il semblait presque adorer la trace de ses pas. Il affirmait tant en public qu'en particulier, qu'il ne pouvait rien dispo- (245) ser, transmuer ou aliéner dans le royaume sans le consentement du seigneur pape et du légat; en sorte qu'on l'appelait, non pas roi, mais feudataire du pape. Telles étaient les folies et beaucoup d'autres par lesquelles le roi s'aliénait cruellement les cœurs de ses barons. Il avait aussi des conseillers mal famés et suspects qui étaient regardés comme les artisans de cette discorde, et que les seigneurs d'Angleterre haïssaient d'autant plus, qu'ils tiraient leur origine du royaume même. C'était Jean, comte de Lincoln; Simon, comte de Leicester; et frère Gilbert, Templier.

Cependant on offrait au seigneur légat des présents précieux, tant en palefrois dignes d'envie qu'en vases précieux, vêtements délicats et doublés, fourrures de vair et de bêtes sauvages; si bien que le seul Pierre, évêque de Winchester, apprenant que le légat devait passer l'hiver à Londres, lui fit passer pour sa table cinquante bœufs de pâturages, cent mesures de blé choisi, chacune chargeant un cheval, et huit tonneaux du vin le plus pur. D'autres lui firent de semblables présents selon leurs moyens et facultés. Mais le légat, modérant l'avarice romaine, reçut gracieusement et avec un visage serein, non pas tous, mais quelques-uns de ces dons; se souvenant sans doute de ces paroles du philosophe Sénêque:

Recevoir tout ce qu'on nous offre, c'est de l'avarice; ne rien recevoir, c'est de l'opiniâtreté; recevoir quelque chose, c'est de la politesse.

Sur ces entrefaites, le roi sollicita par des prières multipliées, tant par lettres que par fréquentes am- (246) bassades, le comte de Provence, père de la reine, à daigner entrer sur la terre de son gendre, pour emporter, à son retour, une partie de son trésor. Aussi était-ce l'opinion commune que le roi avait extorqué le trentième de sa terre pour le distribuer à ce comte et à pareilles gens. Le comte, attiré par l'amour du gain, se rendit sans délai à cet appel; mais avant d'être arrivé au bord de la mer, il ne fut arrêté à son passage par aucune caresse ou aucun présent de la part des Français, quoique leur roi eût épousé la fille aînée dudit comte. Des guerres qui s'élevèrent du côté de la Provence rappelèrent précipitamment le comte. A cette nouvelle le roi lui envoya mille marcs pour fournir aux frais de son voyage et à l'achat de belles parures dans le royaume de France.

Conférence à York entre Henri III et le roi d’Écosse. — Appareil fastueux. — Le légat convoque un concile à Londres. — Tempête furieuse prédite par un clerc. — Réunion et préparatifs du concile. — Ouverture du concile. Cette même année, le roi écrivit à tous les seigneurs pour qu'ils eussent à s'assembler à York, à la fête de l'exaltation de la Sainte-Croix, devant lui et devant le seigneur légat, à l'effet d'y traiter certaines affaires importantes qui concernaient le royaume. Or le roi d'Écosse, appelé par le roi d'Angleterre et par le légat, était venu à leur rencontre à York. Là devait avoir lieu une délibération générale pour le rétablissement de la paix entre eux, et pour une heureuse composition. Avec la grâce de Dieu et (247) l'intervention du droit, tout sujet de discussion devait être apaisé, et satisfaction devait être donnée sur ce qui serait dû justement à chacun des deux rois. Les seigneurs étant arrivés à York, il fut stipulé que le roi d’Écosse recevrait du royaume d'Angleterre trois cents livrées de terre sans avoir droit de construire des châteaux, qu'il ferait hommage au roi d'Angleterre, qu'un traité d'amitié serait conclu entre eux, et qu'il jurerait d'observer et de maintenir avec fidélité cet accommodement envers le roi d'Angleterre; que de cette façon toute querelle et toute revendication de la part du roi d’Écosse cesseraient aussitôt. Cependant le seigneur légat ayant voulu entrer dans le royaume d'Écosse pour s'y occuper des affaires ecclésiastiques comme il avait fait en Angleterre, le roi d'Écosse répondit: «Je ne me souviens pas d'avoir vu un légat dans ma terre, et je ne sache pas qu'il y ait eu besoin d'en appeler aucun. Il n'y en pas non plus besoin maintenant, grâces à Dieu; car tout va bien. Sous le règne de mon père, comme sous le règne de mes prédécesseurs, aucun légat, ce me semble, n'a eu accès dans mes états. Quant à moi, je ne le souffrirai pas tant que j'aurai ma raison. Néanmoins, comme la renommée vous représente comme un suint homme, je vous avertis que si par hasard vous venez à entrer sur ma terre, vous ferez bien d'avancer avec précaution, de peur qu'il ne vous arrive quelque événement fâcheux; car ma terre est habitée par des hommes indomptés farouches, ayant soif de sang humain, (248) gens que, moi-même, je ne puis dompter. S'ils venaient à se jeter sur vous, je serais hors d'état d’arrêter leur fureur. Dernièrement même, ils ont voulu m'attaquer, comme peut-être vous avez pu l'entendre dire, et ils ont cherché à me dépouiller et à me chasser de mon royaume.» En entendant ces paroles, le légat perdit l'ardent désir qu'il avait d'entrer en Écosse, et il ne quitta pas les côtés de son roi, je veux parler du roi d'Angleterre, qui lui obéissait en tout. Mais un certain Italien, parent du légat, resta auprès du roi d'Écosse, qui, afin de ne pas paraître en rébellion ouverte contre le pouvoir de Rome, ceignit à cet homme le baudrier militaire, et l'investit d'un domaine. La conférence étant ainsi terminée, le roi d'Angleterre revint avec son légat du côté du midi.

Le temps du concile approchant, le légat ordonna qu'on lui préparât, dans le côté ouest de l'église de Saint-Paul à Londres. un siège fastueux et fort élevé, appuyé sur de longues poutres et où l'on montait par gradins. Il envoya donc des lettres pour que tous les prélats d'Angleterre qui étaient convoqués, à savoir les archevêques, les évêques, les abbés, les prieurs installés apportassent, tant au nom de leurs couvents et de leurs chapitres qu'en leur nom propre, des lettres leur donnant plein pouvoir d'agir, afin que ce que le légat statuerait dans le concile fût tenu pour bon et valable, tous les prélats se rendirent donc aux ordres du seigneur légat, non sans de grands désagréments et de grandes fatigues souffertes soit par (249) eux-mêmes, soit par leurs chevaux, soit par ceux qui conduisaient leurs bagages; car l'hiver approchait avec toutes les incommodités de la mauvaise saison. Tous les prélats qui faisaient partie de sa légation, mais principalement ceux d'Angleterre, vinrent au concile.

Parmi ceux qui se hâtaient de venir au concile était arrivé un certain clerc qu'on appelait maître Gaultier, surnommé Pruz; cet homme annonça publiquement que toutes les planètes s'étant rassemblées sous un seul signe, à savoir celui du Capricorne, elles causeraient une grande commotion dans les airs et amèneraient des vents violents; et il déclara que ces tempêtes seraient suivies d'une peste terrible qui se jetterait principalement sur les bêtes à cornes, ce que nous appelons troupeaux et bestiaux. Il ajouta aussi en plaisantant: «Plaise à Dieu qu'elle ne s'attaque pas aux hommes à cornes,» désignant ainsi les évêques. Ces pronostics ne furent pas complètement trompés; car aussitôt un vent si violent ébranla l'église de Saint-Paul où l'on était alors rassemblé, que tous et surtout le légat furent saisis d'un grand effroi. Pendant la nuit du jour de sainte Cécile, au premier quartier de la lune, des nuées noires, aussi hautes que des tours, et roulant sans ordre, apparurent du côté de l'occident. Le tonnerre commença à mugir, les éclairs à briller, le vent à tourbillonner. Pendant toute la nuit et le jour suivant, un vent épouvantable se déchaîna, tel qu'on n'en avait point vu de mémoire d'homme. Cet ouragan dura sans interruption quinze jours et même plus. Les chênes (250) furent déracinés et abattus; les maisons, les tours et les édifices éprouvèrent des secousses ou même une ruine complète; eu sorte que l'atmosphère paraissait tout à fait d'accord avec le trouble qui agitait les cœurs des hommes.

Les prélats d'Angleterre se trouvant réunis à Londres dans l'église de Saint-Paul, le premier jour désigné pour le concile, qui était le lendemain de l'octave du saint Martin, le légat ne comparut point, parce que les évêques lui avaient demandé la permission de consacrer ce jour-là à l'examen des statuts qu'il avait l'intention de proposer et à la délibération qu'ils devaient faire entre eux, afin qu'il ne tentât de rien établira leur préjudice. Le second jour, le légat fit placer dans des lieux secrets et cachés des chevaliers et des sergents armés au nombre d'environ deux cents que le seigneur roi avait consenti à lui confier sur ses instantes prières. Car ledit légat craignait beaucoup pour lui-même, parce qu'on avait répandu le bruit qu'il voulait sévir fortement contre ceux qui détenaient plusieurs bénéfices et principalement contre les prélats illégitimes. Or, il se présenta de grand matin, c'est-à-dire au point du jour à la porte de l'église. La multitude de ceux qui attendaient était si serrée, que le légat eut beaucoup de peine à se frayer un passage. Entré dans l'église, il se revêtit de ses habits pontificaux devant le maître-autel, à savoir du surplis et par-dessus de la cape chorale fourrée de peaux de vair, et enfin de la mitre; puis précédé par les archevêques de Cantorbéry et d'York. (251) il fut conduit en procession solennelle, avec la croix et les cierges allumés et au milieu des litanies, vers le siège pompeux qui lui avait été préparé et dont il monta les gradins. Cette estrade était recouverte de belles étoffes et de tapis fastueux. Le seigneur de Cantorbéry se plaça à sa droite et le seigneur d'York à sa gauche; ce qui occasionna entre eux une discussion relativement à la préséance; et l'archevêque d York forma appel à cause du droit qu'il revendiquait pour lui. L'évangile: C'est moi qui suis le bon pasteur... fut lu solennellement selon la coutume; les collectes propres furent recitées par le légat lui-même; l'hymne: Veni Creator spiritus, fut chantée, et après l'appel formé par l'archevêque d'York comme nous l'avons dit, les deux archevêques s'assirent à côté du légat; celui de Cantorbéry à droite, celui d'York à gauche. Le légat voulant apaiser cette querelle, leur dit, sans vouloir cependant infirmer les droits de l'un et de l'autre: «Vous voyez le sceau du seigneur pape: à droite de la croix qui y est figurée au milieu, voici l'image de Paul et à gauche celle de Pierre. Cependant aucune contestation ne s'est jamais élevée entre de si grands saints: car ils sont tous deux dans une gloire égale. Toutefois Pierre, comme le porteur des clefs, comme le prince des apôtres. comme celui qui s'est assis sur le siège cathédral, enfin comme le premier en vocation semblerait avoir des titres pour figurer à droite de la croix; mais comme Paul a cru dans le Christ sans l'avoir vu, il a mérité de figurer à (252) droite: Bienheureux ceux qui n'ont point vu. Ainsi le seigneur de Cantorbéry, primat de toute l'Angleterre, qui gouverne la très-ancienne et très-noble église de Cantorbéry ainsi que celle de Londres, qui est celle de saint Paul, doit être placé à droite et non sans raison.» Pendant tous les jours suivants. l'archevêque de Cantorbéry siégea à droite, celui d York à gauche. Le second jour, à l'ouverture du concile, le seigneur roi envoya en son nom Jean, comte de Lincoln, Jean, fils de Geoffroi et Guillaume de Rale, chanoine de Saint-Paul, pour défendre audit légat, de la part du roi et du royaume, de rien entreprendre dans le concile contre la couronne ou la dignité royale. Et pour que cela fût observé, Guillaume de Rale, au départ de ses collègues, resta dans le concile, vêtu de sa cape canoniale et du surplis. Ce même jour, le seigneur Simon, archidiacre de Cantorbéry, demanda au seigneur légat qu'il donnât lecture, en présence de tous, du bref original par lequel le seigneur pape lui avait conféré les pouvoirs de légation, ce qui fut exécuté. Ce même jour, sur la demande du seigneur roi, on donna lecture d'un privilège relatif aux réjouissances de saint Édouard, qui devaient être célébrées dans toute l'Angleterre; on lut aussi, sur l'ordre du seigneur pape, un bref relatif à la canonisation de saint François et de saint Dominique. Comme le seigneur légat avait appris, lorsqu'il était encore à son hôtel, que beaucoup de bénéficiers investis de plusieurs églises, gens illustres par leur naissance et leurs possessions, ainsi que des (253) prélats illégitimes dont il avait fait mention dans un statut du concile, murmuraient contre lui et lui avaient même tendu des embûches, il se fit entourer en allant au concile et en en revenant, pour la sûreté de sa personne et de ceux qui étaient avec lui, par plusieurs seigneurs, tels que le comte Gilbert Maréchal, le comte de Lincoln Jean, le comte de Montfort Simon, et quelques autres de la maison du seigneur roi, armés d'épées et de bâtons. Au moment où, dans le concile, on prononça le statut dirigé contre ceux qui avaient obtenu plusieurs bénéfices contrairement au concile de Latran, l'évêque de Worcester, Gaultier de Canteloup, se levant au milieu de l'assemblée, déposa sa mitre et s'adressa ainsi au seigneur légat: «Saint père, il est vrai que beaucoup de nobles hommes dont le sang est le nôtre, ont été investis de plusieurs bénéfices sans avoir encore obtenu dispense sur ce point; mais aussi quelques-uns d'entre eux sont déjà d'un âge avancé; jusqu'à présent ils ont vécu honorablement, exerçant les lois de l'hospitalité selon leur pouvoir, distribuant les aumônes sans jamais fermer leurs portes; et il serait bien dur que ces hommes respectables dépouillés de leurs bénéfices, fussent réduits à une ignominieuse pauvreté. D'autres qui sont jeunes, fiers et braves, s'exposeraient aux plus grands périls avant de se laisser dépouiller de leurs bénéfices pour n'en plus garder qu'un seul. Je juge de leurs dispositions d'après moi-même. En effet, avant d'être appelé à la dignité que j'occupe (254) maintenant, j'avais mis dans ma tète que si je perdais un seul bénéfice sous prétexte d'une pareille constitution, je perdrais tout. Aussi doit-on craindre que beaucoup de ceux qui sont présentement dans ce cas ne persévèrent dans les mêmes idées. Puis donc qu'une si grande multitude se trouve en cause, nous supplions votre sainte paternité, au nom de votre salut et du nôtre, de consulter le seigneur pape sur cet article. En outre, comme votre statut s'étend sur tous ceux qui sont dans la règle de saint Benoît sans exception, et qu'il est dur pour plusieurs à cause de la pauvreté de certaines localités et surtout pour les religieuses qui sont femmes débiles et fragiles, d'observer un tel statut, il est nécessaire d apporter à cette rigueur un sage tempérament, A cause de cela encore, nous vous demandons de vouloir bien en référer au seigneur pape. Le seigneur légat répondit à l’évêque que si tous les prélats qui étaient présents, à savoir les archevêques et les évêques, étaient de son avis pour écrire sur ce sujet au seigneur pape, lui-même y consentirait, il faut savoir aussi que quelques-uns ayant l'opinion, comme on le donna à entendre au seigneur légat, que ses statuts n'auraient de force que pendant la durée du temps de sa légation, celui-ci ordonna à un de ses clercs nommé maître Althon de se lever au milieu de l'assemblée. Ce clerc ayant ouvert le livre authentique qui est le registre du seigneur pape, pour plus grande autorité, donna distinctement et ouvertement lec- (255) ture d'une décrétale qui improuvait formellement une pareille opinion. Alors le légat considérant en particulier cette décrétale à laquelle il donna son approbation, s'en appuya pour déclarer publiquement que même après son départ ses statuts devaient être regardés comme bons et valables à jamais. Il ne faut pas non plus passer sous silence que le premier jour du concile, l'archevêque de Cantorbéry ayant été placé à droite comme nous l'avons dit, et celui d'York à gauche, l'évangile: C'est moi qui suis le bon pasteur... ayant été lu, les collectes111 convenables à la circonstance ayant été récitées, le silence ayant été établi, la foule qui se pressait ayant été forcée de se tenir tranquille, le légat, sans se lever, haussa la voix comme une trompette et commença son sermon par ces paroles qu'il prit pour thème: «Au milieu de son siège et autour de lui, il y avait quatre animaux couverts d'yeux devant et derrière.» Dans le courant de son sermon, il fit entendre que les prélats ressemblaient à ces animaux [mystiques] ayant des yeux devant et derrière, qu'ils devaient être prudents dans les affaires séculières et circonspects dans les choses spirituelles, enfin conséquents dans leur conduite, de (256) manière à ce que les suites répondissent aux commencements. Après le sermon, il fit lire à haute et intelligible voix les statuts suivants, dont il recommanda formellement l'observation. Nous avons jugé à propos de les insérer dans ce livre.

«Comme la sainteté convient à la maison du Seigneur et à ses ministres, il a été dit par le Seigneur: «Soyez saints, puisque je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu.» Mais l'astuce de l'ennemi du genre humain parvient à détruire et à faire disparaître la sainteté de toutes parts, en empêchant, dans un grand nombre de lieux, que les églises soient consacrées, en corrompant et pervertissant les mœurs et la vie de beaucoup de ministres, pour qu'ils ne s'acquittent point dignement de leur office, en s'opposant à l'observation des règles et des statuts des saints Pères, et en général à tous les progrès de la religion chrétienne. Il faut donc que tous les fidèles du Christ s'arment fortement dans la foi, pour lui résister en rassemblant toutes leurs forces, et en cherchant de nouveaux secours; de même qu'lsaac commença d'abord par déblayer les puits qu'avaient creusés les fils d'Abraham, et que les Philistins avaient comblés avec de la terre, puis s'occupa d'en creuser de nouveaux. En conséquence nous Othon, par la miséricorde divine, cardinal-diacre de Saint-Nicolas, en prison Tullienne, et légat du saint-siège apostolique, qui avons été envoyé par le saint-siège apostolique, avec office de légation dans le pays d'Angleterre, appuyé sur le secours (257) divin, sur le suffrage et le consentement du concile ici réuni, à l'effet de fortifier et de réformer l'état ecclésiastique dans le pays d'Angleterre, avons jugé à propos, sauf toutefois les autres institutions canoniques, lesquelles nous voulons et désirons être observées avec respect, d'ordonner, en vertu du pouvoir qui nous est confié, l'observation de certains statuts que nous avons fait rédiger et séparer en articles distincts.»

Objets réglés par le concile de Londres. — «On sait que la dédicace des basiliques tire son origine de l'Ancien Testament, et qu'elle a été maintenue par les saints Pères dans le Nouveau. Dès lors elle mérite d'être observée avec d'autant plus de soin que, d'après l'ancienne loi, on offrait seulement dans les temples des sacrifices d'animaux morts, et que d'après la nouvelle c'est l'hostie céleste, vivante et vraie, le fils même de Dieu, seul engendré, qui est offerte pour nous sur l'autel par les mains du prêtre. Aussi les saints Pères ont-ils établi sagement qu'un si sublime sacrifice ne serait point célébré en d'autres lieux que dans ceux consacrés à Dieu, à moins de nécessité urgente. Or, comme nous avons vu par nous-mêmes, et avons appris par plusieurs rapports, que cette recommandation salutaire était méprisée ou du moins négligée par plusieurs, en sorte que nous avons trouvé beaucoup d'églises, et même des églises cathédrales qui, quoique construites depuis longtemps, n'avaient point encore été cependant (258) consacrées par l'huile de la sanctification; voulant obvier à cette périlleuse négligence, nous avons établi et ordonnons en établissant, que toutes les églises cathédrales, conventuelles, ou paroissiales soient consacrées par les évêques diocésains dans le ressort desquels elles se trouvent, ou par d'autres agissant au nom des susdits évêques, dans les deux ans à dater de l'achèvement complet de leur construction. Le même laps de temps fera règle pour celles qui seront construites à l'avenir. Pour qu'un statut si salutaire ne tombe pas dans le mépris, nous établissons que si les susdites églises ne sont point dédiées, dans les deux ans à dater de l'achèvement complet de leur construction, la célébration des messes leur sera interdite jusqu'à ce que cette consécration ait lieu, à moins qu'elles ne fournissent excuse valable. De plus, pour que les abbés, recteurs des églises, ne prennent point sur eux de détruire, sans la permission et le consentement de l'évêque diocésain, les anciennes églises consacrées, sous prétexte de faire des constructions nouvelles plus belles et plus vastes, nous défendons formellement pareille chose par le présent statut. Que le diocésain considère soigneusement s'il convient de donner cette permission ou de la refuser; et s'il la donne, qu'il veille et fasse attention à ce que l'ouvrage soit achevé le plus promptement possible; nous voulons et établissons aussi que cette [dernière] disposition soit étendue aux constructions déjà commencées. Quant aux chapelles de moindre importance nous n'avons pas cru devoir statuer rien (259) de nouveau, laissant aux institutions canoniques le soin de régler la manière dont leur consécration devra être faite, ainsi que l'époque.

«Nous établissons, et ordonnons en établissant, que les sacrements ecclésiastiques dans lesquels sont contenus les remèdes du salut, comme dans des vases célestes, ainsi que l'huile sanctifiée et le saint chrême, soient conférés par les ministres de l'église, purement et dévotement, en évitant tout ce qui pourrait les entacher de cupidité; sans mettre en avant aucune difficulté à la collation des susdits sacrements, sons prétexter aucune coutume par laquelle ceux qui les reçoivent soient obligés de payer quelque chose. Nous avons jugé à propos, en vue des simples, de mentionner quels sont les sacrements principaux et quel est leur nombre. C'est le baptême, la confirmation, la pénitence, l'eucharistie, l'extrême-onction, le mariage et l'ordre. Il a été traité de chacun d'eux et amplement réglé dans les sacrés canons. Mais comme ce n'est pas petite chose que de compiler les volumes des canons, et qu'en même temps il n'est pas moins grave pour un médecin d'ignorer les devoirs médicinaux112, nous établissons que ceux qui voudront être ordonnés et être investis du soin des âmes et du sacerdoce, devront être examinés principalement sur les sacrements. Que les archidiacres aussi, dans les couvents de leurs doyennés, (260) veillent à ce que les prêtres soient surtout instruits dans cette matière, et qu'ils leur enseignent comment ils devront se comporter à l'égard du baptême, de la pénitence, de l'eucharistie et du mariage.

«Quant à la célébration solennelle du baptême, il y a deux époques fixées par les saints canons à cause du mystère [qui va s'accomplir]; c'est le samedi avant la résurrection du Seigneur, et le samedi avant la Pentecôte. Mais quelques-uns dans ce pays, à ce que nous avons entendu dire, trompés par les fraudes du diable, soupçonnent qu'il y a péril si les enfants sont baptisés ces jours-là. Penser pareille chose ou avoir une telle crainte, est complètement contraire à la foi orthodoxe. Ce qui convainc manifestement de fausseté cette opinion, c'est que le souverain pontife en personne solennise ce mystère, et baptise solennellement aux jours fixés plus haut; et que dans toutes les parties du monde l'église observe le même usage. Aussi établissons-nous que le peuple devra être détourné d'une si grande erreur, par des prédications fréquentes, et qu'on doit s'appliquer avec soin à solenniser le baptême ces jours-là, et à faire baptiser les enfants à ces deux époques. Nous établissons en outre que les prêtres paroissiens devront savoir parfaitement la formule du baptême, et la réciter fréquemment à leurs paroissiens, les jours de dimanche, en langue vulgaire, afin qu'en cas de nécessité urgente, où il faille que ces hommes baptisent quelqu'un, ils sachent et puissent observer cette formule; et les prêtres s'enquerront soi- (261) gneusement ensuite si la chose s'est passée ainsi.

«Nous avons appris (chose horrible à entendre et à l'apporter) que quelques-uns, à savoir de misérables prêtres, recevant soit comme bénéfice de vicariat, soit à titre de ferme, soit par quelque autre moyen de gain, des provenances qui viennent soit du sacrement de l'autel, soit du sacrement de pénitence, ne veulent plus admettre au sacrement de pénitence ceux qui viennent se confesser, avant que quelque chose ait été placé par ceux-ci dans le sein de leur avarice; et ils agissent de même pour les autres sacrements. Puis donc que ceux qui se conduisent de telle sorte sont indignes du royaume de Dieu et du bénéfice ecclésiastique, nous établissons et ordonnons formellement qu'une enquête très-exacte soit faite par les évêques, et que celui qui aura été convaincu d'avoir commis pareil scandale, soit privé du bénéfice dont il est en possession et suspendu à perpétuité du ministère qu'il a exercé criminellement.

«Approuvant ce que nous avons trouvé établi dans un concile, nous établissons que dans chaque doyenné, des hommes prudents et fidèles seront institués par l'évêque à titre de confesseurs, afin que les personnes et les clercs d'humble classe qui rougiraient et pourraient craindre de se confesser aux doyens, puissent se confesser à ceux-là. Quant aux églises cathédrales, nous ordonnons que des confesseurs généraux soient institués.

«L'ordination sacrée mérite d'autant plus d'être conférée à qui en soit digne, que les autres sacrements (262) sont conférés par l'ordonné. Aussi comme il est dangereux d'ordonner des indignes, des idiots, des gens illégitimes ou irréguliers, des étrangers, ou des personnes sans titre certain et véritable, nous établissons qu'avant la collation des ordres sacrés, l'évêque devra faire une recherche exacte sur tous ces points. Afin que ceux qui auront mérité d'être réprouvés ne puissent pas, l'ayant été, se mêler secrètement parmi les approuvés, on devra dresser dans l'examen une liste contenant le nombre et les noms des approuvés. Ensuite, au moment de l'ordination, on fera l'appel, avec le plus grand soin, et la liste en main, des noms de ceux qui auront été inscrits. La liste elle-même sera conservée dans l'évêché ou dans l'église.

«Nous ne voulons aucunement fortifier par notre autorité l'usage de donner les églises en fermes ou celui généralement adopté d'y établir un vicaire. Mais considérant la faiblesse de la multitude, qui ici est en cause, et ne voulant pas paraître lui dresser des pièges plutôt que de lui appliquer des remèdes, nous craignons de publier un édit de prohibition contre cet abus Néanmoins quelques scandales qui en sont la suite étant venus à notre connaissance, nous sommes forcé d'y obvier. En effet, il arrive la plupart du temps que ceux qu'on appelle fermiers, désirant plutôt gagner qu'acquitter ce qu'ils doivent, commettent des exactions honteuses, qui deviennent fréquemment des méchancetés simoniaques. Aussi nous établissons et défendons formellement que les dignités ou offices, par exemple les doyennés ou les (263) archidiaconats, et les provenances résultant, suit de l'exercice d'une juridiction ecclésiastique ou spirituelle, soit du sacrement de pénitence, soit du sacrement de l'autel, soit de tout autre sacrement soient désormais concédées en aucune façon à titre de fermes.

«Comme il est complètement inconvenant que les églises soient données en fermes à des laïques, et qu'il serait fâcheux pour les églises qu'elles fussent données à des clercs, quels qu'ils fussent pour un long temps, parce que la continuation d'une possession temporaire n'est pas ordinairement sans inconvénient; nous établissons et ordonnons formellement sur ces deux points, que les églises ne soient jamais concédées en fermes à des laïques, et qu'elles ne soient accordées à des personnes ecclésiastiques elles-mêmes que pour cinq ans: au bout desquels cinq ans les mêmes personnes ne pourront point renouveler; ce qui ne leur sera permis que si d'autres ont eu une possession intermédiaire. Pour que tout soit en sûreté, nous ordonnons que le contrat de ferme soit passé en présence d'un évêque ou d'un archidiacre, qu'il en soit tiré plusieurs copies, et que l'une d'elles reste entre les mains dudit évêque ou dudit archidiacre.

«Nous avons appris d'autre part qu'il arrive que si une église opulente devient vacante, un individu qui désirait l'avoir, mais n'osait pas la recevoir eu personne de peur d'être privé, et à juste titre, des autres bénéfices qu'il avait obtenus, agit alors avec assez (264) d'adresse pour que cette église lui soit affermée à perpétuité: de façon qu'il paie une modique redevance à une autre personne à titre de personnat113, et qu'il garde pour lui le reste du revenu. Agissant d'après cela, nous établissons par édit qu'une église ne pourra être conférée à ferme, en totalité ou en partie, à qui que ce soit et sous aucun prétexte, si ce n'est à titre de bénéfice; déclarant nul et de nul effet tout ce qui tendrait à éluder le présent arrêt.

«Nous ordonnons que personne ne soit admis au vicariat, s'il n'est déjà ordonné prêtre ou s'il n'est au moins diacre, devant être ordonné aux quatre-temps les plus prochains. De plus, il devra renoncer aux autres bénéfices qu'il pourrait avoir et auxquels appartiendrait le soin des âmes; il devra jurer d'y faire sa résidence, et y résider en effet corporellement et sans interruption; faute de quoi, nous déclarons son institution entière- (265) ment nulle, et décidons que le vicariat devra être conféré à un autre. C'est un moyen de prévenir cette ruse par laquelle on assigne souvent une modique portion à quelqu'un, à titre de personnat, tandis que l'église est frauduleusement donnée, sous le faux titre de vicariat, à quelque autre personne qui, craignant de perdre ses autres bénéfices, n'osait point recevoir cette église comme personne. Quant aux vicaires déjà institués qui ne sont pas prêtres, comme les vicaires sont tenus de desservir les personnes et les églises, nous statuons et ordonnons qu'il aient à se faire ordonner prêtres dans le délai d'un an au plus. S'il n'a tenu qu'à eux de se faire ordonner prêtres dans l'année, comme nous l'avons dit, et qu'ils ne l'aient point fait, nous les déclarons gens à être privés dès lors de leurs vicariats. Quant à la résidence de ceux qui sont dans ce cas, on devra appliquer la règle que nous avons établie plus haut pour les vicaires à instituer.

«Pour briser les pièges des pervers, tout homme qui aime la justice a besoin de travailler avec zèle et avec sagacité; de peur que, si l'activité des gouvernants s'endort, la simplicité ne soit supplantée par la fourberie et la vérité ne succombe sous la fausseté. Nous avons appris par les rapports dignes de foi de plusieurs, que certaines gens jetant les yeux sur le bénéfice d'un absent forgeaient des bruits absurdes et assuraient avoir ouï dire que le possesseur du bénéfice était mort ou avait résigné son béné- (266) fice; qu'ils parvenaient ainsi à se faire introduire dans ce bénéfice d une façon ou d'une autre; et que, si par hasard le prétendu mort, ressuscitait et revenait dans son église, on lui répondait: «Frère, je ne te connais pas,» et on lui fermait la porte au nez. Quelques-uns même, brûlant d'une horrible cupidité, ne craignent pas de se glisser secrètement, non-seulement dans le bénéfice des absents, mais encore dans celui des présents, ainsi que partout où ils peuvent faire invasion; et une fois qu'ils sont dedans on ne peut les mettre dehors ni par sentence ni autrement, parce qu'ils se défendent par la puissance des armes. Appliquant donc sur ces deux plaies le meilleur remède que nous pouvons, nous statuons et défendons formellement de conférer en aucune façon le bénéfice d'un absent, sous prétexte de rumeurs ou de bruits tendant à établir la mort de celui-ci ou la résignation de son bénéfice; le prélat devra attendre qu'il ait des nouvelles plus certaines sur l'une ou l'autre de ces assertions. Autrement, nous déclarons que le prélat mal informé sera tenu à réparer le dommage supporté en cette occasion par l'absent, et que l'intrus qui aura réussi à se faire nommer devra non-seulement restituer les biens, mais encore être suspendu sur-le-champ, par le fait même; de son office et bénéfice. Nous voulons que cette mesure s'applique aussi à celui qui aura pris sur lui de s'emparer soit de sa propre autorité, soit plutôt par force, soit par intrigues secrètes, d'un bénéfice ecclésiastique possédé par un autre, ou qui cherchera à se maintenir par les armes dans la possession du même bénéfice, après qu'il aura (267) été déclaré que ce bénéfice appartient à un autre.

«Comme le gouvernement des âmes est l'art des arts, selon le témoignage du bienheureux Grégoire, l'ancien sophiste ne cesse de méditer ses trahisons et d'étudier les tromperies d'une fausse prétention pour renfermer dans des subtilités artificieuses et exclure du salut ceux qu'il trouve mal habiles ou mal précautionnés. Voilà ce qui fait transgresser les commandements de Dieu et contrevenir aux règles des saints pères; puisque ni la parole divine ni les statuts canoniques ne peuvent détourner les pécheurs du sentier tortueux. En effet, notre discipline catholique exige qu'il n'y ait pour une seule église qu'un seul maître114 qui ne laisse rien à désirer sous le rapport de la condition, de l'extérieur, des mœurs, de la science, de la doctrine, et que l'ordination d'église soit pure et simple. Mais les supercheries du diable font dévier beaucoup de gens dans l'observation de ce dogme; puisqu'il arrive souvent par ses suggestions qu'une seule église n'est pas donnée à un seul homme, mais à plusieurs, sous prétexte qu'il y a plusieurs patrons; en sorte qu'il y a plusieurs têtes sur un même corps; ce qui fait un assemblage monstrueux. Quelquefois la personne, quelque soit le prétexte, consent à ce que l'on concède quelque chose à un autre à titre de personnat; en sorte que souvent, ce qui est pis encore, l'église reste sans (268) maître115, parce que ni la personne, ni même le vicaire perpétuel n'y réside, mais qu'on y trouve par hasard quelque simple prêtre qui n'a dans cette église ni droit ni même ombre de droit. S'il arrive que la personne y séjourne par hasard, ce titulaire n'est pas accompli sous le rapport de la condition, puisqu'il n'est pas prêtre, ni de l'extérieur, puisqu'il s'est montré dans un appareil à faire penser qu'il était moins clerc que chevalier: quant aux mœurs, à la science et à la doctrine, il s'en soucie fort peu, hélas! Rarement aussi il arrive qu'une ordination d'église116 soit faite avec franchise et simplicité comme il conviendrait; et les artifices de la fourberie diabolique ne manquent pas en cette occasion. Quelquefois en effet, à ce que nous avons entendu dire, une église est conférée à quelqu'un sous la condition tacite ou expresse que celui qui fait soit l'institution, soit la présentation, y retiendra quelque chose pour lui, ou bien qu'une portion de cette même église sera abandonnée à quelque autre qui se serait sans doute emparé de tout, s'il n'avait été obligé d'y renoncer soit par l'insuffisance de son droit, soit par la crainte de perdre ses autres bénéfices. D'autres fois, quelqu'un se désiste de son personnat et reçoit de l'institué un vicariat dans le même lieu; ce qu'on ne peut avoir la présomption de faire sans être coupable de fraude. Réprouvant donc ces diminutions, ces collations partielles, et ces (269) mutations comme contraires à notre discipline, nous défendons formellement qu'elles aient lieu à l'avenir, et statuons expressément que désormais une seule église ne pourra plus être partagée en plusieurs personnats ou en plusieurs vicariats. Que celles qui ont été divisées jusqu'à présent soient rétablies dans leur intégrité, aussitôt que la possibilité de le faire se présentera; à moins que pareille chose ne subsiste d'après un droit ancien, auquel cas l'évêque du lieu devra pourvoir à ce que les revenus de l'église, ainsi que l'église elle-même, soient partagés en portions et régions congrues entre ces personnes et ces vicaires (?)117. Que les évêques diocésains pourvoient aussi à ce qu'il réside toujours dans l'église quelqu'un qui s'occupe du soin des âmes et qui se conduise d'une manière utile et honorable dans la célébration des divins mystères et dans la collation des sacrements.

«Quant à la résidence que les recteurs doiven tfaire dans leurs églises, il nous paraît bon d'y pourvoir plutôt parce qui a été fait que par de nouveaux statuts. En effet, il existe des décisions de conciles tenus par les pontifes romains. Elles parlent plus clairement que la lumière sur ce point: ce qui fait qu'on doit s'occuper davantage d'exécuter ces décisions que de promulguer de nouveaux statuts qui les appuient. Nous disons aussi et pensons en tous points la même chose que les susdits conciles, relativement à ceux qui osent détenir au péril de leur salut plu- (270) sieurs dignités, personnats, ou bénéfices ayant cure d'âmes, contre les constitutions du concile général et sans dispense spéciale du saint-siège apostolique.

«Comme l'habillement des clercs, qui ne semble point clérical, mais plutôt militaire, occasionne un grave scandale aux yeux des laïques, nous statuons et ordonnons expressément que les clercs soient forcés par les évêques, sous peine de perdre leurs bénéfices, à se contenter de la forme déterminée118 dans le concile général, tant pour les vêtements des clercs que pour les ornements de leurs chevaux; de façon que ceux qui sont entrés dans les ordres sacrés aient des vêtements d'une ampleur convenable et se servent de capes fermées, surtout dans l'église et en présence de leurs prélats: ce qui aura lieu aussi dans les assemblées de clercs, et ce qu'observeront partout dans leurs paroisses ceux qui auront reçu des églises avec charge d'âmes. Afin que les évêques puissent plus facilement rappeler les autres clercs à l'honnêteté des habits, à une tonsure et à une couronne décente, et les décider à orner leurs chevaux d'un manière convenable à leur état, ils devront veiller à ce que leurs propres clercs, vivant chez eux, observent les premiers cette simplicité convenable, et à ce que sur leurs habits, leurs éperons, leurs freins et leurs selles, ils donnent l'exemple de la retenue cléricale.

«Il nous est revenu, d'après le rapport de plusieurs personnes dignes de foi, que des gens d'église (271) oubliant leur propre salut, ne craignaient pas de contracter des mariages clandestins, de garder leurs femmes et leurs églises, d'obtenir des bénéfices ecclésiastiques, et d'être promus de nouveau aux ordres sacrés, contrairement aux statuts des sacrés canons. Puis dans la suite des temps, il devient nécessaire à la progéniture née de cette union de prouver, du vivant des parents ou après leur mort, soit par témoins, soit par actes écrits, qu'un mariage de cette sorte a été contracté. Aussi comme il est évident que la perdition des âmes est occasionnée, leur salut négligé, les choses ecclésiastiques pillées par ces clercs vivant en état de mariage ou de concubinage, nous avons, jugé à propos119 de remédier à cette120 maladie qui a fait, dit-on, beaucoup de progrès. Si l'on trouve que des clercs aient contracté de pareilles unions, qu'ils soient complètement dépouillés et de leurs églises et de leurs bénéfices ecclésiastiques, eux et tous gens d'église mariés, lesquels nous déclarons devoir en être privés en vertu du droit. Et s'ils ont acquis quelques biens, de quelque façon que ce soit, après la conclusion d'un mariage de cette sorte, soit par eux-mêmes, soit par personnes soumises à leur juridiction, ces biens ne devront nullement revenir aux fils ou aux femmes de ces clercs, mais être affectés sur-le-champ aux églises que les susdits clercs avaient possédées, ou dans lesquelles ils avaient eu des bénéfices. Que ces fils eux-mêmes soient répu- (272) tés inhabiles, et ne soient admis en aucune façon aux églises, aux bénéfices ecclésiastiques et aux ordres ecclésiastiques; à moins qu'ils n'aient obtenu une dispense canonique, accordée à l'éminence de leur mérite.

«Quoique les réformateurs ecclésiastiques se soient toujours efforcés de faire fuir loin des pénates de l'église ce fléau contagieux d'ignominie libidineuse qui souille gravement la pureté de l'église, cette perversité n'en existe pas moins et continue à étaler son impudence. Ne voulant donc pas qu'une si grande ignominie de l'église se montre impunément devant nous, qu'on pourrait accuser de complicité, et suivant les statuts des pontifes romains, et surtout la décrétale du pape Alexandre, statuts et décrétale promulgués à ce sujet; nous statuons et ordonnons en statuant que si les clercs, et principalement ceux qui ont reçu les ordres sacrés, n'éloignent d'eux dans un mois au plus tard les concubines qu'ils entretiennent publiquement dans leurs propres maisons ou dans des maisons étrangères, en promettant de n'entretenir à l'avenir, en aucune façon, soit celles-là, soit d'autres, ils seront suspendus de tout office ou bénéfice, en sorte que jusqu'à ce qu'ils aient donné satisfaction convenable sur ce point, ils ne puissent en aucune façon être investis de bénéfices ecclésiastiques; autrement nous décidons qu'ils en seront privés de droit. Nous voulons aussi et ordonnons formellement que les archevêques et les évêques fassent faire, sur ce point, une enquête dans tous les (273) doyennés, et qu'ils fassent observer ce que nous statuons.

«Quoique les saints pères aient condamné l'usage qui permet de posséder les bénéfices ecclésiastiques, par droit héréditaire avec tant de sévérité, qu'ils interdisaient aux enfants, même légitimes, la succession aux susdits bénéfices; quelques-uns cependant, issus de ce concubinage abominable, ne craignent point de fouler l'autorité du droit et de l'honnêteté avec le pied de l'impudence, de faire irruption dans ces sortes de bénéfices que leurs pères n'avaient possédés en aucune façon, et de les détenir avec une audace téméraire. Nous qui sommes venu dans ce pays pour relever la chute de l'honnêteté ecclésiastique, nous avons porté notre attention sur ce point: nous défendons formellement en statuant, et statuons en défendant que les prélats des églises ne prennent plus sur eux à l'avenir d'instituer eu totalité ou en partie, sous quelque prétexte et supercherie que ce soit, ou d'admettre immédiatement de pareilles gens dans ces sortes de bénéfices, à quelque titre que leurs pères les aient possédés. Quant à ceux qui ont obtenu maintenant, mais d'une manière illicite, ces sortes de bénéfices, nous déclarons par le présent statut qu'ils devront en être privés.

«Voulant prévenir les rapines des brigands qui désolent horriblement le pays d'Angleterre, rapines qui cesseraient bientôt si les seigneurs, à ce que nous avons ouï dire, ne défendaient ces brigands et ne les prenaient sous leur protection, nous avons jugé à propos de statuer, que personne n'ose, ou protéger (274) ou défendre ou accueillir dans ses maisons et dans ses manoirs, ceux qui, au su de cette personne ou à la connaissance de tous, feront métier du brigandage. Que ceux qui auront agi contrairement au présent statut, et qui, après avoir été sommés pour la troisième fois par le juge ecclésiastique ordinaire, ne les auront pas éloignés d'auprès d'eux, soient soumis à l'excommunication ecclésiastique. Or, nous voulons et statuons qu'une sommation générale sera suffisante, quand bien même elle serait adressée au sujet de quelqu'un ou à quelqu'un sans désignation de nom; pourvu qu'elle ait été faite avec assez de publicité et de solennité pour qu'elle puisse parvenir à leur connaissance.

«Nous avons appris, et cela avec joie, que les religieux hommes, les abbés de l'ordre de Saint-Benoît institués eu Angleterre, s'étant rassemblés dernièrement en chapitre général, comme des fils121, pour me servir du langage prophétique, avaient statué prudemment, au moment de retourner chez eux, qu'ils devaient s'abstenir désormais de l'usage de la chair, conformément à la règle de saint Benoît; à l'exception des faibles et des infirmes, auxquels on devait pourvoir dans l'infirmerie, conformément à la même règle. Approuvant complètement cette détermination, nous en statuons l'observation inviolable. Nous ajoutons aussi que, quand les novices, l'année d'épreuve étant finie, auront pris l'habit monacal, ils devront (275) être forcés sans délai par l'abbé, sous peine de punition ecclésiastique ou canonique, à faire profession, selon le décret ou la décrétale du pape Honorius, d'heureuse mémoire. Que celui qui n'aura point fait profession ne puisse être admis en aucune façon aux fonctions d'abbé ou de prieur. Cela et ce que nous jugeons à propos d'ordonner sur la profession, après l'expiration du temps d'épreuve, nous jugeons à propos de l'étendre aux chanoines réguliers et aux religieuses. Quant aux autres points que nous aurons reconnu intéresser la correction ou la réformation tant des chanoines que des autres réguliers, nous avons l'intention d'y pourvoir; nous statuerons avec l'aide de Dieu sur ce qui pourra être utile à leurs églises, et salutaire à eux-mêmes, et nous leur ferons passer ces statuts pour être publiés solennellement dans leurs chapitres.

«Quant aux archidiacres, nous statuons qu'ils devront visiter leurs églises utilement et fidèlement, s'occuper des vases sacrés, des vêtements, savoir comment l'église est desservie, et si on y célèbre exactement les offices de jour et de nuit, s'enquérir généralement du temporel et du spirituel, et corriger soigneusement ce qu'ils croiront avoir besoin de correction. Qu'ils ne grèvent point les églises par des dépenses superflues; qu'ils exigent des procurations, mais modérément et seulement quand ils sont en tournée; qu'ils n'amènent point avec eux d'étrangers, et qu'ils agissent avec retenue dans le nombre et l'appareil de leur escorte et de leurs chevaux; qu'ils se (276) gardent bien de rien recevoir de personne, soit pour ne point faire leur visite, soit pour ne point réformer ce qui a besoin de l'être, soit pour ne pas punir les crimes; qu'ils ne prononcent contre personne des sentences iniques, afin de pouvoir extorquer de l'argent. Comme de pareilles choses touchent de près à la perversité simoniaque, nous décidons que ceux qui se seront permis d'agir ainsi seront forcés de donner le double de ce qu'ils auront extorqué, pour être converti à des usages pieux, au gré de l'évêque, sauf néanmoins le recours des peines canoniques contre eux. Que les archidiacres cherchent aussi à assister fréquemment aux chapitres dans chacun des doyennés, et là, entre autres choses, ils devront instruire soigneusement les prêtres, afin que ceux-ci sachent bien et comprennent bien les paroles du canon et du baptême, à savoir celles qui constituent l'essence du sacrement.

«De plus nous avons jugé à propos de défendre formellement que les prélats des églises, et surtout les archidiacres et doyens, ou leurs officiaux, ou même tous autres délégués pour juger l'universalité des causes ou certaines affaires appartenant à la cour ecclésiastique, à raison, soit de la juridiction ecclésiastique, soit de l'office spirituel, osent empêcher en aucune façon que les discordes ou les plaintes cessent par la conclusion de la paix ou de la concorde entre les parties. Que les parties puissent, quand elles le voudront, entrer en composition et se soustraire à un jugement; pourvu que ce soit une affaire telle qu'une (277) transaction ou un accommodement puisse se faire selon le droit, et que l'on n'exige rien des parties pour cela.

«Quant aux vénérables pères les archevêques et les évêques, le titre même qui exprime leur dignité explique assez ce qu'ils ont à faire pour accomplir leur devoir. Le mot d'epi-scopos veut dire sur-veillant. Or, ils doivent être attentifs et garder leur troupeau pendant les veilles de nuit, selon la parole de l'évangile. Ils doivent être aussi le modèle du troupeau, exemple d'après lequel ceux qui leur obéissent reforment leurs mœurs; ce qui ne peut arriver, s'ils ne se montrent comme exemple à tout le monde. Nous les exhortons donc dans le Seigneur et les engageons à séjourner dans les églises cathédrales, à y célébrer convenablement les messes, au moins dans les principales solennités, et les jours de dimanche pendant le carême et l'avent. Qu'ils parcourent en outre leurs diocèses en temps opportun, corrigeant et réformant, consacrant les églises et semant la parole de vie dans le champ du Seigneur. Pour mieux accomplir ces différents devoirs, qu'ils se fassent lire, au moins deux fois par an et pendant le grand carême, la profession qu'ils ont faite au jour de leur consécration.

«Comme on doit rechercher surtout des gens non-seulement capables, mais encore prudents et instruits, pour discerner les affaires [judiciaires], tous ont à se garder soigneusement de déléguer tel juge ou tel connaisseur122 par l'impéritie, la simplicité, ou l'igno- (278) rance duquel une sentence inutile ou injuste soit rendue, un coupable soit absous, ou un innocent condamné. Nous avons en outre jugé à propos de statuer que les causes matrimoniales, qui doivent être traitées entre toutes les autres avec un grand soin et une grande maturité d'esprit, soient confiées à des hommes prudents, dignes de foi, et habiles dans le droit, ou du moins ayant une pratique convenable de ces sortes d'affaires. Si quelques abbés ont un archidiacre ou un doyen, d'après un privilège ou une coutume approuvée, pour connaître avec soin des causes matrimoniales, qu'ils fassent examiner lesdites causes; en sorte toutefois que ni eux ni leurs délégués ne procèdent point à une sentence définitive, sans avoir préalablement délibéré attentivement avec l'évêque diocésain sur les circonstances de la cause, et sans avoir requis et obtenu son conseil. Nous voulons que ceux-là même qui sont exempts ou munis d'un privilège spécial soient tenus à cette communication.

«Pour le serment de réclamation légitime dans les causes ecclésiastiques quelles qu'elles soient, ainsi que pour celui de dire la vérité, également dans les causes spirituelles, serments qui servent à faire découvrir plus facilement la vérité et à terminer les causes avec plus de célérité, nous statuons qu'ils seront prêtés à l'avenir dans le royaume d'Angleterre, selon les statuts canoniques et légitimes, nonobstant toute coutume contraire obtenue. Nous ajoutons utilement à ce statut que les délais judi- (279) ciaires seront laissés à l'arbitrage du juge, selon les statuts légitimes et canoniques.

«La jalousie du vieil ennemi des hommes convertit fréquemment en abus l'usage des procureurs, usage introduit dans l'intérêt de la justice, afin que l'absence de celui qui ne peut s'occuper de sa cause soit déclarée par une autre personne. En effet, c'est la coutume dans ce pays-ci, nous a-t-on dit, que celui qui a été cité pour un jour fixe se borne à instituer un procureur pour ce jour-là sans autre formalité que de lui faire passer des lettres qui no sont point scellées d'un sceau authentique; d'où il arrive que ce procureur, ne voulant pas donner la preuve de son mandat, ni invoquer des témoignages qui fassent foi de sa lettre ou quelque autre obstacle survenant, il n'y a rien de fait ce jour-là, et les pouvoirs du procureur expirant dès lors, cette instance est inutile et sans aucun fruit. Désirant donc opposer un bouclier à cette supercherie fallacieuse, nous statuons pour l'avenir que, dans les causes ecclésiastiques du royaume d'Angleterre, on instituera simplement un procureur; en sorte que, s'il est institué, ce ne soit point pour un jour seulement, mais pour plusieurs jours de suite, en cas de besoin; et nous voulons qu'il soit institué et regardé comme institué à pareil titre. Que son mandat aussi soit prouvé pur un écrit authentique, à moins qu'il n'ait été institué par actes [publics], ou que l'instituant n'ait pu se procurer facilement le sceau authentique.

«Les plaideurs se poursuivent l'un l'autre avec un (280) zèle si rusé, que l'un fait tout ce qu'il peut pour supplanter l'autre, foulant ainsi aux pieds le respect de la justice. Enfin nous avons appris par plusieurs rapports que ceux qui obtiennent des lettres de citation les envoient au lieu du domicile présumé de celui qui est cité, par trois garçons123; deux d'entre eux les posent soit sur l'autel de l'église du lieu, soit en tout autre endroit du même lieu, et le troisième les enlève aussitôt. D'où il vient qu'ensuite ces deux garçons attestant qu'ils ont cité cet homme, selon la teneur de la sentence et la coutume du pays, cet homme est excommunié ou suspendu comme contumax; lui qui n'était pas réellement contumax puisqu'il ignorait la citation. Poursuivant donc avec le zèle de la justice un abus si détestable et d'autres semblables, nous statuons que dans les causes ecclésiastiques du royaume d'Angleterre, les lettres de citation ne seront pas envoyées à l'avenir par ceux qui les auront obtenues ou par leurs messagers; mais le juge, modérant les frais (281) faits par celui qui les aura sollicitées, les enverra par un messager à lui, qui soit fidèle. Ce messager se mettra avec soin à la recherche de celui qui doit être cité; s'il ne le peut rencontrer, il fera lire et afficher publiquement les lettres de citation, un jour de dimanche ou un autre jour férié, dans l'église du lieu où celui qui doit être cité à son domicile ordinaire, et pendant la grand'messe; qu'au moins la citation soit adressée au doyen, dans le doyenné duquel habite celui qui doit être cité. Le messager envoyé par le juge devra exécuter fidèlement ces choses, soit par lui-même, soit par des messagers à lui de la fidélité desquels il soit certain; et il ne devra point différer d'écrire au juge comment l'affaire se sera passée.

«Plus l'usage des écrits qui doivent être munis d'un sceau authentique est nécessaire dans le pays d'Angleterre où il n'y a point de notaires publics, plus on doit veiller avec soin à ce que cette nécessité ne dégénère point en abus par l'impéritie de quelques-uns. En effet, à ce que nous avons ouï dire, les lettres sont faites et sont signées124, non-seulement par des clercs d'un ordre inférieur, mais encore par des prélats, lettres qui garantissent positivement que le signataire a passé contrat, a été présent au contrat ou à l'affaire, a assisté à l'évocation du jugement, ou bien que les lettres de citation ont été mises sous ses yeux; tandis que réellement (282) cette personne n'a été ni présente, ni remontrée, et que peut-être même elle demeurait alors dans une autre province ou dans un autre diocèse. D'ailleurs, comme de pareils écrits sont entachés évidemment du vice de fausseté, nous défendons formellement que pareille ou semblable chose se renouvelle; et nous déclarons, après mure délibération, que ceux qui auront été convaincus d'avoir commis ce délit, et qui auront osé faire de tels écrits et continuer à s'en servir, surtout au préjudice d'autrui, seront regardés comme ayant encouru sciemment le châtiment réservé à ceux qui se servent de pièces écrites, fausses ou falsifiées, et punis comme tels.

«Puisque l'usage des tabellions n'existe point dans le royaume d'Angleterre, ce qui fait qu'il est plus nécessaire qu'on puisse avoir créance dans des sceaux authentiques, nous statuons, afin que le nombre de ces sceaux en multiplie l'usage, que non-seulement les archevêques et les évêques, mais encore leurs officiaux, devront avoir un sceau. De même les abbés, les prieurs, les doyens, les archidiacres et leurs officiaux, les doyens ruraux, ainsi que les chapitres des églises cathédrales, les autres communautés et couvents, conjointement avec leurs recteurs ou séparément, selon leurs coutumes et statuts, devront avoir chacun un sceau nominal, selon la diversité de leurs fonctions, à savoir un sceau contenant l'indication de la dignité de l'office, de la communauté et même le nom particulier, pour ceux qui ont une dignité ou un office à titre perpétuel; lequel (283) sceau sera gravé en lettres et caractères distincts, et ainsi sera réputé authentique. Pour ceux qui n'ont un office que temporairement, à savoir les doyens ruraux et les officiaux, qu'ils aient un sceau où leur nom seulement soit gravé, et qu'à l'expiration de leur office ils le remettent tout de suite et sans délai à celui de qui ils tiennent leur office. Nous recommandons aussi qu'on ait le plus grand soin de la garde de ces sceaux; que chacun garde le sien par lui-même, ou qu'il ne le confie à garder qu'à une seule personne dans la fidélité de laquelle il ait confiance. Cette personne jurera de plus qu'elle le gardera fidèlement, qu'elle ne le remettra à nul autre, qu'elle-même ne s'en servira point pour sceller rien qui puisse tourner au préjudice de quelqu'un, et qu'elle ne scellera que ce que son seigneur lui aura commandé de sceller, après avoir lu préalablement cet écrit et l'avoir examiné attentivement. Quand il s'agira de faire l'application de ce sceau, qu'on agisse avec fidélité et précaution; fidélité, en y ayant facilement recours en faveur de ceux qui en ont besoin; précaution, en le refusant complètement aux faussaires et aux fourbes. Nous voulons aussi qu'au commencement et à la fin de tout écrit on fasse mention suffisante de la date, en désignant le jour, le temps et le lieu.

«Nous avons entendu les cris de la justice qui se plaint de ce que sa marche est entravée par les sophismes et les arguties des avocats; de ce que la plupart du temps des juges inhabiles violent ses lois par (284) ignorance, et de ce que souvent les parties se jouent d'eux en refusant d'obéir. En effet il arrive quelquefois que l'envoyé en possession125 à l'effet de garder la chose, s'efforce de la retenir [pour son compte], quoique son adversaire soit revenu dans l'année et soit prêt à satisfaire au droit en tout point. Quelquefois aussi l'envoyé en possession, quoiqu'il soit institué véritablement possesseur, ne peut obtenir cette possession ni dans l'année, ni après, parce que son adversaire résiste les armes à la main. Nous levant donc pour venir en aide à la justice, nous statuons avec l'approbation du concile, que celui qui voudra généralement obtenir l'office d'avocat126 devra se pré- (285) senter au diocésain dans le ressort duquel il se trouve soit par naissance, soit par domicile, et prêtera serment devant lui que dans les causes dont il sera le patron, il exercera un fidèle patronage; non point en différant ou en détruisant l'action de la justice envers la partie adverse, mais en défendant par les lois et par de bonnes raisons la cause de son client. Qu'il ne soit point admis127 autrement à plaider dans les causes matrimoniales ou dans les élections, s'il n'a voulu prêter, dans lesdites causes, le serment susdit: que même dans les autres causes débattues devant un juge ecclésiastique, il ne soit pas admis, passé trois assises, sans avoir prêté le serment susdit; à moins qu'il n'ait jugé à propos de demander à plaider pour son église, ou pour son seigneur, ou pour un homme qui est notoirement son ami, ou pour un pauvre, ou pour un étranger, ou pour une personne misérable. Que les avocats se gardent bien de suborner des témoins soit par eux-mêmes, soit par d'autres, et d'enseigner aux parties soit à (286) faire de fausses déclarations, soit à altérer la vérité: que ceux qui auront agi contrairement à cette défense soient suspendus par le fait même de tout office ou bénéfice, jusqu'à ce qu'ils aient donné satisfaction convenable sur ce point, sans préjudice de la peine qu'ils auront encourue, et qu'ils devront subir s'ils sont convaincus de pareilles fraudes. S'il arrive que des juges ignorent le droit et qu'il s'élève un cas douteux duquel il pourrait résulter un grave détriment pour l'une ou l'autre des parties, ces juges devront appeler128 auprès d'eux, aux frais des deux parties, quelque homme instruit et de bon conseil.

«Nous statuons en outre qu'on devra observer autant que possible les constitutions du concile général dans les jugements ordinaires ou extraordinaires. Les susdits juges garderont auprès d'eux soigneusement et fidèlement les actes originaux et authentiques, ou les feront garder par leurs scribes, afin qu'on en puisse fournir copies aux parties selon que de droit; nous ordonnons et statuons en ordonnant à ces juges de faire publier tous ces actes après qu'ils auront été écrits; afin que s'il y a eu erreur dans la rédaction, cette erreur soit corrigée, et que la vérité de ce qui aura été mentionné puisse apparaître dans tout son jour.

«De plus, dans le cas où les juges auraient résolu d'envoyer quelqu'un en possession, à cause de l'opi- (287) niâtreté de la partie adverse à refuser la restitution de la possession ainsi que des fruits qu'elle aura pu y percevoir, déduction faite de ses dépenses légitimes, et si l'adversaire revient au commandement avant l'année, les juges susdits devront veiller à recevoir caution suffisante de celui qui aura dû être envoyé. Quant à celui aussi qui aura osé posséder violemment une possession dans laquelle un autre aura été envoyés cause de son opiniâtreté rebelle et dont cet autre aura même été institué véritable possesseur au bout de l'année, nous décidons qu'il devra être privé du droit qu'il aura pu avoir dans ladite possession.» Le troisième jour du concile la publication de ces statuts étant terminée, le seigneur légat entonna solennellement le Te Deum au milieu de toute l'assemblée debout. Il récita ensuite l'antienne: Dans le chemin de la paix, ainsi que le psaume: Béni soit le Seigneur Dieu d’Israël; puis ayant dit les collectes spéciales et ayant donné la bénédiction, il congédia l'assemblée qui se retira avec fort peu de joie.

Lettre de l'empereur au comte Richard, louchant la victoire remportée sur les Milanais. — Lettre adressée au légat en Angleterre sur l'état de l'église romaine. — Les Grecs refusent de se soumettre à l'église romaine. — Lettre de Germain, archevêque de Constantinople, au pape Grégoire. — Du même aux cardinaux. — Réponse du pape. Dissidence des Grecs. — Cette même année, aux approches de la nativité du Seigneur, le magnifique empereur des (288) Romains Frédéric, vainqueur de ses ennemis, envoya les lettres impériales qui suivent, scellées du sceau d'or, selon la coutume, à Richard, comte de Cornouailles, pour l'informer et informer d'autres par lui du triomphe que la grâce divine lui avait accordé en Italie sur les Milanais, comme nous l'avons raconté plus haut:

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains toujours auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, à Richard, comte de Cornouailles, son beau-frère chéri, salut et dileetion sincère. Avec quelle audace et avec quelle témérité les factions des rebelles Liguriens se sont soulevées contre notre excellence, c'est ce que l'expérience et le voisinage des lieux ont fait connaitre aux plus rapprochés et ce que l'ancienne réputation de perversité qu'ont ces gens-là a porté jusqu'aux pays les plus éloignés. Nous ne pensons pas que vous ignoriez ce que le monde entier connaît, à savoir la constance de notre douceur à leur égard; en sorte que notre tolérance alla au point de perdre son vrai nom de patience et qu'au lieu de nous être comptée pour vertu, elle nous fit encourir le reproche de pusillanimité. Enfin, considérant que les plaies qui ne peuvent être guéries par l'application des remèdes doivent être taillées avec le fer, nous nous sommes vu forcé de recourir aux armes et de réveiller l'empire qui dormait. Ni l'année passée ni cette année même, nous n'avions pu attirer nos rebelles aux chances d'une bataille en plaine, afin de remporter sur eux une victoire tant de fois désirée. Il ar- (289) riva cependant par un heureux hasard, que les Milanais et leur séquelle s'étant donné rendez-vous à la forteresse de Brescia, et la barrière d'un certain fleuve se trouvant entre eux et nous et les entourant en quelque sorte comme un rempart, nous posâmes notre camp au delà de la rivière de l'Oglio. Les gens d'armes et les chevaliers des villes qui nous étaient restées fidèles étant retournés chez eux (car l'ennui d'un retard sur lequel ils ne comptaient pas et les incommodités de la saison ne permettaient pas de les retenir plus longtemps), nous nous mîmes aussitôt en route avec une chevalerie légère129 et nous dirigeâmes notre marche en longeant les rives du fleuve du côté opposé aux ennemis vers les ponts par lesquels les nôtres devaient passer pour retourner chez eux. Aussi, quand les Milanais [à leur tour], ne pouvant plus séjourner davantage dans leurs retraites au delà du fleuve, à cause de la pénurie et de la disette qui les pressaient, passèrent l'Oglio, eux et leurs alliés, sur les ponts et à gué, espérant se soustraire à nos yeux par le moyen d'une fuite secrète; ils ne pensaient sans doute pas nous rencontrer si près d'eux. Mais dès que la nouvelle de notre arrivée eut éclaté comme un coup de tonnerre en répandant la terreur et l'effroi, ils n'attendirent pas même l'avant-garde des troupes de notre excellence, et avant d'avoir vu les étendards victorieux des aigles impériales, ils prirent la fuite devant notre face et dans une telle (290) déroute, que jusqu'à leur carroccio, qu'ils avaient envoyé à Corte-Nuova de toute la vitesse de leurs chevaux, aucun des fuyards n'osa regarder la face des nôtres qui les poursuivaient. Taudis que nos troupes auxiliaires et nous-même, à la tête de notre principal corps d'armée, nous marchions à grands pas pour porter secours à notre avant-garde, secours que nous pensions nécessaire croyant la trouver aux prises avec toutes les forces des ennemis, nous aperçûmes la plaine toute couverte de chevaux qui couraient de tous côtés sans cavaliers, ainsi que de chevaliers jetés à terre et de corps morts en grand nombre. Ceux qui gisaient sur le sol et étaient encore en vie, furent relevés et garrottés par les écuyers qui marchaient à la suite de leurs maîtres. Enfin nous arrivâmes non loin du carroccio qui était entouré de retranchements et de fossés, près des murs de Corte-Nuova. A l'alentour était rangé un nombre considérable de chevaliers et toute l'infanterie des Milanais qui se préparaient à faire une vigoureuse défense. Alors nous nous appliquâmes à assiéger et à prendre le carroccio, et nous persévérâmes dans cette entreprise avec une bravoure mémorable; si bien que nous vîmes quelques-uns des nôtres, après avoir réussi à franchir l'orgueilleux fossé, pénétrer presque jusqu'au timon du carroccio. Cependant les ombres ténébreuses de la nuit étant survenues, nuit que les vœux impatients des nôtres craignaient de trouver trop longue, nous différâmes jusqu'au lendemain matin l'attaque que nous avions continuée si longtemps: (291) nous nous débarrassâmes seulement de nos épées pour prendre un peu de repos, mais nous gardâmes nos cottes de maillet; , désirant retourner à la conquête inévitable du carroccio. Mais quand le jour revint, nous trouvâmes le carroccio sans aucune défense, au milieu d'une foule d'autres chariots130 sans valeur. Le haut de la perche qui supportait la croix avait été coupé; et la croix elle-même, ayant paru sans doute trop lourde aux fuyards, avait été laissée par eux au milieu de la plaine131. Le château de Corte-Nuova, derrière les murailles duquel nous pensions qu'ils essayeraient, de se soustraire à nos coups, avait été abandonné par la garnison et par les habitants. Leur podestat, fils du doge de Venise, sous la conduite duquel ils avaient fait cette funeste levée de boucliers, n'a pu échapper à nos mains. Afin de résumer beaucoup de choses en peu de mots, on élève à près de dix mille ceux qui furent tant pris que tués et qui appartiennent pour la plupart aux chefs et aux principaux de la faction milanaise. Nous vous donnons (292) tous ces détails pour vous réjouir; et comme vous avez pensé que cette victoire devait tourner à l'accroissement de l'empire, nous avons jugé à propos de vous la raconter. Donné à Crémone, le quatrième jour de décembre, onzième indiction.» Un certain Italien digne de foi a affirmé en vérité, que Milan avec ses alliés forme une armée de six mille hommes d'armes dont les chevaux sont bardés de fer.

Vers le même temps, non loin des fêtes de Noël, un conseiller influent et particulier de l'église romaine, à savoir le seigneur Jean de Colonna, cardinal, écrivit confidentiellement en ces termes au légat qui séjournait en Angleterre:

«Le frère au frère, le lévite au lévite. le chéri au chéri, salut dans le Christ. Si une lettre écrite pour un pays étranger pouvait contenir un secret, et si elle n'était pas exposée à de grands risques, à cause de la distance des lieux, je confierais à ma plume beaucoup de choses que la langue doit taire et ne peut révéler môme à un ami. Cependant je ne puis celer à votre charité avec quelle avidité ou plutôt quelle imprudence, la mère [église?] s'est plongée dans les flots et s'est jetée d'elle-même dans la gueule des loups. Deux seulement s'y sont opposés; le troisième y a consenti, ou pour mieux dire la démarche a précédé la délibération, et des causes précédentes ont entraîné la manière d'agir. D'où il suit que la liberté (293) est rejetée, que la servitude est préparée, que l'astre du sanctuaire s'est éteint, que le patrimoine est en vasselage, que l'orgueil de ceux qui tonnent est exalté; la prison est achetée, l'honneur est méprisé, la confusion est souhaitée, la tribulation est armée, la tranquillité est évitée; on ne tient pas compte du scandale donné aux frères et aux étrangers, on s'empresse de fournir matière133 aux dérisions, l'aveugle est changé de place, les affaires sont différées; ceux qui font d'instantes prières ne sont payés que de vaines paroles et se fatiguent de la lassitude d'une longue attente. Pour vous, vous avez eu le bonheur d'échapper à tous ces tourments; vous vous êtes en allé dans une région lointaine pour ne pas voir les maux de votre nation et ceux des saints, et vous n'avez pas eu besoin de frapper votre poitrine et de la déchirer sous des coups redoublés. Nous avons voulu réformer l'état comme nous l'avons tenté souvent, et voici qu'un appui nous a malheureusement manqué. C'est en vain que des conseils sont donnés, là où la volonté n'est point réprimée par le frein de la prudence, mais où, entraînée au contraire par son ardeur, elle s'élance vers le but de ses désirs, et ne soutire aucun retard. Pour comble de douleur, il est arrivé de plus que cette noble colonne qui soutenait comme un fort pilier la structure de l'église, (294) à savoir le seigneur de Sabine, de respectable mémoire, s'est écroulée tout à coup au milieu de nous. Frappé d'abord parla douleur et le chagrin, et tourmenté ensuite par une lente infirmité, il est mort et est entré dans les puissances du Seigneur: la ruine de cette colonne, en excitant les gémissements et la douleur, est retombée par contre-coup sur notre mère. Le frères sont revenus du pays rebelle avec le prince, mais les traces de la paix n'ont point reparu avec eux; parce que les sectateurs de la discorde n'ont point obéi aux porteurs de la paix. L'église d'Antioche se sépare de la société [catholique], et ceux qui en reviennent n'en rendent pas un bon témoignage134. Je voudrais que mon ami fût entouré d'une escorte peu nombreuse, afin de n'être un fardeau pour personne, et de ne pas être déchiré par les dents des envieux, lit comme les flots des scandales et des tempêtes furieuses grossissent de jour en jour, vous êtes nécessaire à votre mère, et vous devrez vous préparer au retour. Donné à Viterbe, la jour de la fête de sainte Lucie.»

Cette lettre et d'autres indices semblables prouvent d'une manière, hélas! trop évidente, que l'église (295) romaine avait encouru l'indignation de Dieu. Car ses magistrats et ses recteurs ne s'occupent point de sauver les âmes, mais d'avoir leurs bourses pleines de beaux deniers; non point de gagner des âmes à Dieu, mais de capter les revenus, d'amasser de l'argent, d'opprimer les religieux, et d'usurper impudemment le bien d'autrui au moyen de l'amende, de l'usure, de la simonie et d'autres extorsions. Elle n'a cure ni de la justice, ni de l'honnêteté, ni de l'instruction des simples. Bien plus, lorsque quelqu'un, à quelque titre que ce soit, est investi d'un bénéfice ecclésiastique, elle s'enquiert aussitôt de la somme d'argent qu'elle en pourra retirer: quant à la sainteté ou même au nom de la personne qui obtient une église en titre, c'est la dernière de ses questions, ou plutôt il n'en est pas question. De là s'élèvent des imprécations et des murmures parmi le peuple, et de jour en jour le colère de Dieu est provoquée à juste titre. Or, à la vue d'une si grande malice et d'une pareille oppression, l'église grecque se révolte contre l'église romaine. Les Grecs chassent leur empereur, et obéissent au seul archevêque de Constantinople, appelé Germain. Celui-ci, défendant avec obstination, non-seulement les vieilles erreurs des Grecs, mais encore des erreurs nouvelles et récemment inventées, s'éloigne énormément de la religion catholique. Les Grecs assurent que l'Esprit-Saint procède non point du Fils, mais du Père seulement, parce qu'ils trouvent dans l’Écriture: «l'esprit de vérité qui procède du Père.» En outre, ils accom- (296) plissent le sacrifice avec du pain fermenté135. En beaucoup de points ils ne sont pas du même avis que les Latins, ils les méprisent et condamnent l'église romaine en plusieurs choses, plutôt cependant pour ce qu'elle fait que pour ce qu'elle dit. Semblable à un autre Lucifer, ce fils dégénéré, et cet antipape a établi son siège dans le Nord136, c'est-à-dire à Constantinople, cité métropolitaine des Grecs; il l'appelle son église, assure qu'elle est plus méritoire que l'autre, et prétend que l'église romaine est sa sœur et non point sa mère; parce que le bienheureux Pierre, prince des apôtres, avant de venir à Rome, est jadis allé à Antioche, qui est voisine et dépendante de l'empire grec, et y a établi son siège cathédral. Il ajoute qu'Antioche a comblé de tous les honneurs et de tous les respects qu'elle a pu l'apôtre du Christ, et par là le Christ lui-même, et que pour cette raison elle a mérité d'être appelée Théophile; tandis que Rome, après avoir abreuvé d'outrages et d'humiliations le même apôtre Pierre et son coapôtre Paul, les a condamnés tous deux au supplice de mort. D'un côté, honneur et respect; de l'autre, indignité et insolence; ce qui fait que les Grecs ont mérité d'être appelés fils, et les Romains beaux-fils137. Cependant, comme on peut s'en assurer d'après la teneur des lettres que nous allons rapporter, ledit archevêque Germain dé- (297) sire convoquer ses Grecs et les Latins, c'est-à-dire les Romains, pour que les deux parties, après avoir exposé leurs raisons, se rangent au même avis, à savoir celui qui138 sera soutenu par les meilleures raisons et les plus fortes autorités, afin que toute l'église, qui milite pour Dieu, soit regardée comme un tout entier, et que, selon la décision du Sauveur, il n'y ait dans toute l'étendue du nionde qu'un seul pasteur et qu'un seul troupeau139. Ledit Germain écrivit donc au seigneur pape en ces termes:

(298) «Au très-saint et très-excellent pape de la vieille Rome, et au recteur du siège apostolique, Germain, par la miséricorde divine, archevêque de Constantinople et de la nouvelle Rome. O Seigneur Jésus-Christ, fais que je sois sauvé! O Seigneur, fais que je réussisse! cor c'est toi, comme la pierre angulaire, la pierre glorifiée, la pierre précieuse, In pierre choisie que je pose pour hase de cette négociation qui doit servir au salut du monde entier. En effet, j'ai lu dans ton prophète lsaïe que celui qui croit en toi comme étant la pierre fondamentale, ne sera confondu en aucune façon et ne pourra être ébranlé sur la base de son espérance. Voilà qui est la vérité, et nul n'ose dire le contraire, à moins d'être le disciple du père du mensonge. Or, c'est à toi qu'il appartient, à toi la pierre angulaire, de réunir ce qui est éloigné, et de rassembler dans l'unité de la foi ce qui est séparé ou divisé. Car tu es celui qui as donné l'Évangile de paix à ceux qui étaient loin et près, qui as rapproché dans la piété les bornes du monde par l'élévation de tes mains sur la croix, et qui as porté les hommes sur tes épaules comme un bon père. C'est donc à ta clémence inestimable que s'a- (299) dressent mes supplications; toi qui es le verbe tout-puissant du Père, la sagesse consubstantielle de Dieu, bâtis en moi un édifice dont tu sois à la fois et le fondement et le toit; n'as-tu pas été appelé, selon la parole théologique de Jean, l'alpha et l'oméga, comme étant le principe et la fin illimitée de toutes choses? Mais venons au sujet de notre lettre, et après avoir d'abord élevé les yeux vers les montagnes célestes d'où nous prions que des secours nous descendent, nous tournons maintenant l'exorde de notre discours vers toi, très-saint pape. qui as obtenu la primatie du siège apostolique. Veuille descendre quelque peu de la hauteur de ta gloire, et faire attention à ce que je veux te dire, moi qui ne suis qu'un pauvre homme en actions et en paroles. Si tu es, dis-je, assimilé à celui qui habite au plus haut des cieux, n'oublie pas que Dieu jette un regard sur ce qui est humble. J'entre en matière. La sagesse incommensurable de Dieu qui du néant produisit tout à l'état d'être, qui tient toujours l'univers dans sa main et le gouverne avec prudence, se sert maintes fois de la moindre occasion comme d'une base longtemps préférée pour bâtir ensuite sur elle de grands ouvrages qui tournent à l'utilité et au salut de tous. Joseph vendu en Égypte à prix d'argent, est emmené comme esclave140 et ensuite enfermé dans une prison; mais les événements qui suivirent, combien ils furent (300) glorieux et honorables, et comment Dieu se montra glorifié dans la personne de Joseph, voilà ce qui ne peut échapper au très-sage esprit de ton âme sacrée, très-saint père. Les frères que je t'envoie et qu'une rencontre périlleuse ainsi qu'une injuste prison ont mis en notre présence, exposeront à ta sainteté à quoi tend mon discours et ce qu'il veut signifier. Leur nombre égale le nombre des vierges sages. La lampe de leurs œuvres et la lumière qui sort de cette lampe brillent aux yeux des hommes de la gloire du père céleste; ils y versent avec précaution l'huile des bonnes œuvres, de peur que la lumière de la lampe ne s'éteigne, qu'ils ne soient entraînés eux-mêmes au sommeil de la nonchalance et qu'ils ne soient privés de l'entrée du royaume [des cieux]. Ils sont tous sans bâtons et sans chaussures, et ils ont chacun leurs habits particuliers. Maintenant je regarde leurs pieds comme beaux selon la parole de l'apôtre, puisque ce sont les pieds de ceux qui annoncent l’Évangile de la paix entre les Grecs et les Latins; pour le dire en un mot, ils sont dégagés de tout bagage, très-légers et très-rapides à la course, comme il convient à des gens qui se hâtent d'arriver au Christ qui est le terme de tous les biens; et quand ils seront arrivés vers lui, ils arrêteront leur course, et recevront ce qu'ils désirent. Ces frères qui sont appelés frères Mineurs selon Dieu, qui sont unis par une seule et unanime volonté, et qui sont égaux par le nombre cinq, nous ont apparu comme un heureux signal, et nous ont communiqué la douce (301) espérance de voir, grâce au Seigneur, l'unité et la concorde rétablies entre les cinq patriarches. Les susdits frères guidés, à ce que j'ai pensé, par la divine providence qui dispose toutes choses comme il lui convient, sont venus dans notre maison; et pendant que de nombreux entretiens avaient lieu entre nous, la conversation tombait particulièrement et de préférence sur la trop ancienne déchirure de la tunique de piété, tunique sans couture et tissue dans les cieux; vêtement dont les mains des apôtres avaient revêtu l'église catholique des chrétiens. Ce ne sont pas les mains audacieuses des gens de guerre, mais les dissensions des personnes ecclésiastiques qui ont fendu et déchiré cette tunique en produisant un schisme aussi long que funeste. Il n'y a personne qui ait pitié de l'épouse du Christ dont le vêtement est ainsi déchiré, personne qui veuille compatira cette ignominie. C'est là, à mon avis, ce que déplore David dans le livre des psaumes, quand il dit: «Ils sont divisés et ils ne ressentent point de componction.» Car si nous eussions ressenti de la componction, nous nous serions plaints et nous nous serions attristés; si nous trouvions [en nous] la tribulation et la douleur, nous aurions invoqué le nom du Seigneur, et il se serait rendu à nos prières, et il serait au milieu de nous comme au milieu de ses disciples, pacifiant ceux qui sont depuis longtemps en discorde et faisant disparaître l'amphibologie des pensées. Est-ce que ses entrailles ne sont pas déchirées? Est-ce que son cœur n'est pas attristé par notre discorde? Oui sans au- (302) cun doute, et bien cruellement; car il est le père et le plus aimant de tous les pères, et il souffre de voir ses enfants se désunir et se déchirer les uns les outres avec une fureur ennemie, et se dévorer mutuellement à la manière des poissons, en sorte que le plus grand s'élève contre le plus petit, et que celui qui est plus puissant accable celui qui est plus faible. Tel est l'enseignement de Pierre, de ce pêcheur d'hommes qui, faisant tout le contraire de son ancien métier, rappelait de la mort à la vie ceux qu'il péchait. Hélas! qui donnera de l'eau à ma tète, et à mes yeux une fontaine de larmes afin que je pleure le jour et la nuit sur la contrition de la nouvelle Jérusalem, de l'église tirée d'entre les gentils? Comment nous, peuple choisi de Dieu, avons-nous été divisés en Juda et en Israël, et nos cités en Jérusalem et en Samarie? Il nous est arrivé la même chose qu'à Abel et à Caïn, qu'à Ésaü et à Jacob, qui étaient frères par la nature, mais ennemis par le cœur, et par conséquent rivaux J'hésite à mettre ces choses dans ma lettre, de peur de paraître injurier la primatie de votre fraternité, ou vouloir reprocher quelque chose à mou frère ainé. Cependant mon père n'a pas vieilli, et ses yeux ne sont point obscurcis; mais il est dans les cieux, il voit tout clairement, et il donne sa bénédiction à ceux qui sont opprimés injustement. En effet, ces choses sont amères; elles rongent les os de ceux qui les comprennent, quand on se les remémore fréquemment. Mais ce qui suit et ce qui me reste à dire est plus amer encore, et est le pire de tous les maux; c'est quelque (303) chose de plus acéré encore et de plus coupant qu'un glaive tranchant dos deux côtés, quels que soient les hommes contre lesquels il aura été tiré, soit contre les Grecs, soit contre les Latins. Qu'est-ce donc? Écoutons Paul quand il dit: «Lors même que ce serait un ange des cieux qui vous annoncerait autre chose que ce que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème.» Ce glaive a frappé non-seulement une première fois, mais encore une seconde, en sorte que le second coup a causé une plus grande douleur, et que ceux qui redoutent la mort des âmes se lèvent pour chercher un médecin. Que dirai-je donc? Secouons de nos esprits, ainsi que la poussière de nos pieds, tout outre soin ou toute autre sollicitude, et cherchons, avec le désir de les trouver, ceux qui ont été touchés par ce terrible glaive à deux tranchants, et quels sont ceux qu'il a séparés de l'assemblage des membres ecclésiastiques, dont la tête est le Christ. Si c'est de nous, les Grecs, qu'il s'agit, découvrez la plaie, étanchez le sang de la blessure, appliquez-y les emplâtres spirituels, serrez-la avec des ligaments, et sauvez vos frères qui sont dans le péril, afin qu'ils ne périssent point: justifiez la parole de Salomon, qui dit dans ses Proverbes: «C'est dans l'adversité qu'on éprouve l'amitié de son frère.» Mais écoutez surtout le Seigneur lui-même, qui a donné la sagesse à Salomon lui-même, et qui a dit par la voix de son prophète: «Celui qui aura séparé ce qui est précieux de ce qui est vil, sera comme mon os.» Or, si nous, les Grecs, sommes sans bles- (304) sure, et n'avons pas été frappés par le glaive d'anathème, sa pointe aiguë a été tirée hors du fourreau contre les Italiens et contre les Latins, et il menace d'en massacrer et d'en anéantir quelques-uns. Nous pensons que, par ignorance et mauvaise opiniâtreté, vous ne vous laisserez pas séparer du Seigneur, pour lequel chacun de vous supporterait de bon cœur dix mille morts, si la chose était possible. Puisque ou une grande discorde, ou la contrariété des dogmes, ou l'oubli des canons, ou le changement des rites que les Pères nous ont transmis, a été la cause et la racine de cette haie, qui sépare des choses précédemment unies et liées entre elles par les liens de la concorde et de la paix; le monde entier, devenu comme une seule langue, est là pour crier, le Seigneur est là pour protester et pour invoquer le ciel et la terre en témoignage de ce que nous vous demandons très-instamment et les mains jointes de nous unir à vous et vous à nous, après avoir fait, sous l'invocation du Saint-Esprit, une enquête exacte de la profonde vérité; de ce que nous désirons aussi n'être plus méprisés à tort pour un scandale schismatique, ni être calomniés par les Latins, ni vous être corrompus par les Grecs. Et, pour exposer la vérité jusqu'à la moelle, beaucoup d'hommes nobles et puissants se soumettraient à vous, s'ils ne redoutaient les injustes oppressions, les cruelles extorsions d'argent, et les servitudes imméritées que vous imposez à vos sujets. De là des guerres cruelles des deux côtés, la désolation des cités, les scellés mis sur les portes des églises, et les schismes (305) des frères; de là l'inutilité des efforts du ministère sacerdotal pour que le Seigneur soit loué dans le pays des Grecs, comme il conviendrait. Une seule chose, qui depuis longtemps a été promise aux Grecs par les décrets célestes, leur a manqué jusqu'ici: c'est le temps du martyre. Il approche néanmoins le temps où le tribunal tyrannique s'ouvrira, où la sellette des tortures sera apportée, où le sang coulera par torrents, où nous nous enflammerons du zèle du martyre, et où nous descendrons dans l'arène pour y soutenir le glorieux combat et recevoir des couronnes de la main même du Tout-Puissant. Chypre, l'île fameuse, sait ce que je dis, et pourquoi je le dis141, elle qui connaît et qui a fait de nouveaux martyrs, elle qui a vu les soldats du Christ. Ceux-là ont passé d'abord par l'épreuve de l'eau, tant ils ont versé des larmes de componction et ont été baignés142 de sueur. Enfin ces confesseurs ont vu finir leurs longues fatigues, quand ils ont passé même par l'épreuve du feu, et le Seigneur Dieu des combats les a conduits vers le céleste rafraîchissement. Ne sont-ce pas là des biens, ô très-saint pape, (306) successeur de l'apôtre Pierre? Or, voici ce qu'enjoint Pierre, cet humble et doux disciple du Christ; voici comment il instruit les prêtres dans son épître, quand il leur dit: «Voici la prière que je fais aux prêtres qui sont parmi vous, moi qui suis prêtre comme eux, et de plus témoin des souffrances de Jésus-Christ, et devant avoir part à cette gloire qui doit être un jour manifestée. Paissez le troupeau de Dieu dont vous êtes chargés, veillant sur sa conduite, non par une nécessité forcée, mais par une affection toute volontaire; non par un honteux désir de gain, mais par une charité désintéressée; non en dominant sur l'héritage du Seigneur, mais en vous rendant les modèles du troupeau. Et lorsque le prince des pasteurs paraîtra vous remporterez une couronne de gloire qui ne se flétrira jamais.» Telle est la doctrine de Pierre, et que je rappelle pour ceux qui ne lui obéissent pas. Quant à nous, il nous suffit de cette consolation que nous trouvons dans un passage de son épître, où il recommande la joie à ceux qui sont contristés par diverses tentations: «Afin que votre foi ainsi éprouvée, étant beaucoup plus précieuse que l'or corruptible éprouvé par le feu143, se trouve digne de louange, d'honneur et de gloire, lorsque Jésus-Christ paraîtra.» Je te demande pardon, très-saint seigneur, et le plus clément de tous tes prédécesseurs dans l'ancienne Rome, et te prie de ne pas t'irriter de mes paroles, tout (307) amères qu'elles sont: car ce sont les soupirs d'un cœur languissant, et les gens sages pardonnent beaucoup à ceux qui. dominés par la trop grande tristesse de leur cœur, se laissent entraîner, au milieu de leurs sanglots, à de dures paroles. Ceins donc tes reins avec force, allume le flambeau de ta discrétion, cherche en faveur de l'unité de la foi la dragme qui était perdue, et nous compatirons à ta sainteté. Nous n'épargnerons pas même notre corps infirme, et ne prétexterons pas notre âge avancé, ni ne mettrons en avant l'excuse de vieillesse, ni ne nous excuserons sur la longueur de la route. En effet, plus l'ouvrage que nous entreprenons causera de peines, plus il méritera de couronnes. Car chacun recevra une récompense selon qu'il aura travaillé; comme le dit Paul, ce lutteur dans le grand stade, ce victorieux gagneur de couronnes. Nous n'ignorons pas, très-saint seigneur, que, de même que nous, les Grecs, nous efforçons d'observer en tous points la discipline orthodoxe et pieuse, de manière à ne dévier nullement des statuts établis par les saints apôtres et les saints pères; de même l'église de la vieille Rome s'efforce de son côté, nous le savons bien, afin de ne pas croire se tromper en quelque chose, et assure n'avoir besoin ni de remède ni de réforme: telles sont sans doute les prétentions de l'église grecque et de l'église latine. En effet, personne ne peut jamais voir la saleté qui se trouve sur son propre visage, s'il ne se penche sur un miroir, ou s'il n'a été averti par autrui de l'apparence que présente sa figure, si elle est sale ou non. Or, nous avons (308) beaucoup de miroirs grands et brillants, à savoir: le clair Évangile du Christ, les épîtres des apôtres, les livres des pères théologiens. Regardons-y. Ils nous montreront quelles sont les opinions de chacun, si elles sont bâtardes ou légitimes. Celui qui se sera approché du miroir et qui en aura fait l'épreuve, conviendra en se retirant, quoique malgré lui, de la laideur de son visage. Que le Seigneur Dieu de la paix écrase au plus tôt sous nos pieds Satan, auteur de la discorde; que le pacifique écrase celui qui hait le bien; que celui qui est la cause de tous les biens écrase celui qui cause des scandales. Que le Dieu de la paix envoie vers nous, qui sommes les pasteurs de ses brebis raisonnables, l'ange de la paix annonçant une grande joie; ainsi qu'il a fait précédemment pour les pasteurs des brebis brutes, à l'occasion d'Emmanuel naissant selon la chair: qu'enfin il nous rende dignes de chanter cette admirable action de grâces: « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté: que tous se saluent réciproquement par le saint baiser. Que la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ, que la paix de Dieu le père et que l'inspiration du Saint-Esprit soient avec vous. Ainsi soit-il.»

«Germain, par la miséricorde divine, archevêque de Constantinople et de la nouvelle Rome, aux très saints, très-discrets et très-illustres cardinaux, honneur du siège apostolique. C'est un grand bien pour ce monde, et c'est une résolution sage et fort utile pour tous les hommes. de se rassembler et de déli- (309) bérer ensemble sur ce qui est à faire. En effet, ce que Dieu a caché à l'un, il l'inspire à l'autre: ainsi le bien qu'il révèle à quelqu'un particulièrement, se propage quand il est annoncé en commun, et tourne à l'avantage de la multitude. S'il y a plusieurs conseillers, et que ce soient gens doctes et circonspects, quel profit et quelle utilité il en ressort pour le vulgaire et pour le peuple qui les écoutent. Si l'homme qui agit sans conseil est contraire à lui-même, ainsi que le disent Salomon et la vérité; celui, au contraire, qui a plusieurs conseils et de bons, s'attache des amis par sa grande charité, et même il se concilie ses ennemis. Le prophète Isaïe témoigne que cela est également divin et céleste, quand il appelle et désigne le Verbe consubstantiel du Père et le grand ange du conseil par les mois de conseiller admirable, afin que l'on comprit pour distinguer la différence des personnes, que par ce mot de conseiller du Père, il s'agissait du Seigneur. En effet, selon la nature divine, il n'y a qu'une seule volonté et qu'un seul vouloir dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Il en résulte donc un grand honneur et de grands biens pour les conseillers, puisqu'ils sont désignés par un nom qui leur est commun avec le Seigneur, si du moins (car c'est ainsi qu'on l'entend) ils donnent leurs conseils pour le salut des hommes, puisque sur un geste de la Providence céleste, qui dispose tout selon qu'il lui plaît, la grande et illustre Rome vous a mis à sa tête comme étant les dignes héritiers de sa grandeur et de sa gloire, et comme surpassant en (310) sagesse et en religion tous les autres cardinaux vos prédécesseurs, ainsi que les frères religieux en ont informé notre humilité. Nous supplions donc votre sainteté de vous lever pour le combat spirituel. Revêtez-vous de la cuirasse de l'esprit, et abattez cette haie affligeante de vieille inimitié qui existe entre l'église latine et l'église grecque; car vos armes sont fortes pour détruire des obstacles de ce genre: cette haie étant abattue, pacifiez ce qui est en guerre, et attachez par les liens de la paix, de la charité et d'une foi commune ce qui est séparé depuis tant d'années. Soyez des conseillers admirables et aimés de Dieu auprès du très-saint et très-excellent pape, l'homme des désirs, sachant en esprit qu'il est pacifique, très-doux, et que, selon la signification de son nom, il est toujours veillant et priant, et attendant l'arrivée de son Seigneur, afin qu'il le rende digne de la très-désirable béatitude, lui qui fait paître le peuple du Christ dans la simplicité de son cœur, et qui le conduira vers les pâturages du paradis dans l'intelligence de ses mains. Or, dans la sainte Écriture, la main, comme chez nous, désigne les bonnes œuvres. Nous, de notre côté, mettant notre espérance dans la vraie promesse du Christ tout-puissant, qui accomplit la vérité dans notre faiblesse, nous avons entrepris l'affaire de l'unité, et nous avons envoyé des lettres au très-saint pape. Or, je supplie le roi des cieux, qui a revêtu la figure d'un esclave par amour pour ses esclaves inutiles, qui a paru suspendu sur une croix, et qui a élevé vers lui ceux qui étaient tombés (3111) dans le profond abime de la perversité, d'enlever de vos cœurs toute pensée orgueilleuse qui se soulèverait contre notre projet d'unité fraternelle, et d'illuminer vos consciences de la lumière de la science, afin que nous disions une seule et même chose, et que des schismes n'existent plus entre nous. Restons fortifiés dans une seule et môme pensée, et qu'on ne dise plus parmi nous comme on disait jadis parmi les Corinthiens: «Moi j'appartiens à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas, moi au Christ.» Mais de même que nous sommes tous appelés chrétiens, soyons tous désignés comme appartenant au Christ. Restons fortifiés dans une seule et même pensée; pratiquons la charité qui est selon le Christ, et ayons à la bouche cette parole de l'Évangile, qui dit: «Un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême.» Qu'il nous soit permis de dire la vérité, et revêtez des visages amis pour qu'il nous soit permis de témoigner de la vérité. Or, puisqu'il est écrit: «Les paroles du sage qui dit la vérité, même pour réprimander, sont comme des clous fichés en haut,» et quoique la vérité suscite, la plupart du temps, des ennemis, ce que je crains. je la dirai néanmoins. La séparation de notre unité vient de la tyrannie de votre oppression et des exactions de l'église romaine, qui, de mère étant devenue marâtre, a chassé loin d'elle ses enfants, qu'elle avait longtemps nourris, à la manière de l'oiseau de proie, qui renvoie ses petits. Plus ses enfants lui témoignent d'humilité et d'obéissance, plus elle les foule aux pieds, et les traite avec mépris, ne faisant point (312) attention à ce précepte de l'Évangile: «Celui qui s'abaisse sera élevé.» Que la modération vous impose donc des bornes; que l'avarice romaine, tout innée qu'elle est, s'apaise quelque peu; descendons dans l'examen de la vérité, et après une enquête de vérité, approuvée des deux cotés, rentrons dans une solide unité. Jadis, en effet, nous étions tous, tant Italiens que Grecs, dans la même foi et dans les mêmes observances; nous avions la paix entre nous, nous combattions les uns pour les autres, et nous confondions [ensemble] les ennemis de l'église. Le peuple, qui se précipitait d'Orient pour échapper à la tyrannie des hérétiques, ayant eu auprès de nous un refuge assuré, s'est aussi retiré en partie vers vous, c'est-à-dire vers la grande Rome, se hâtant d'y arriver comme à la tour immobile et inexpugnable: ainsi, des deux côtés, il a reçu des consolations, et par une charité mutuelle, le frère était accueilli et protégé dans le sein du frère. Quand Rome fut occupée maintes fois par les nations, l'empire des Grecs l'a délivrée de leur tyrannie. Jadis aussi Agapet et Vigile se réfugièrent à Constantinople, à cause des dissensions qui déchiraient Rome. Reçus honorablement, ils furent protégés et défendus; taudis que vous ne nous avez jamais, par un retour reconnaissant, fourni secours ou asile quand nous étions dans des positions fâcheuses. Mais nous devons être bons, même pour des ingrats. En effet, la mer ne se soulève pas quand elle porte des pirates, et Dieu fait luire le soleil pour les bons comme pour les (313) méchants. Hélas! hélas! par quelle amère division nous sommes séparés. L'un devient le détracteur de l'autre: l'un évite le contact de l'autre, comme s'il y allait du salut de son âme. Que dirons-nous de plus? Si nous sommes à terre, relevez-nous. Ne vous contentez pas de réparer notre chute corporelle, mais relevez-nous aussi spirituellement, et nous reconnaîtrons peut-être que nous aurons des actions de grâces à vous rendre. Mais si la faute et le commencement du scandale viennent de la vieille Rome et des successeurs de l'apôtre Pierre, lisez alors ces paroles apostoliques que Paul écrit aux Galates quand il dit: «Or Pierre étant venu à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible.» Lisez aussi la suite du récit en ce qui concerne Pierre. Ce n'est pas que cette opposition (à ce que nous devons croire pieusement) ait été cause d'aucune discorde ou d'aucun reproche amer: ce fut plutôt une simple observation et une discussion extrêmement sage à l'occasion d'une trop grande condescendance temporelle. Car ils étaient unis dans le Christ par les liens de la charité, et par la conformité de la foi et de la doctrine; ils n'étaient séparés ni par l'ambition ni par l'avarice. Plut à Dieu qu'en cela nous leur ressemblassions! Or, ce qui fait naître dans nos âmes quelques craintes de rencontrer des obstacles de votre part, c'est qu'ambitionnant uniquement les possessions terrestres, vous ramassez de l'or et de l'argent partout où vous pouvez en extorquer; tandis que vous prétendez être les disciples de celui qui a dit: (314) «L'or et l'argent ne sont pas avec moi.» Vous imposez des tributs aux royaumes: vous multipliez vos trésors au moyen du négoce. Vous détruisez par vos actions ce que vous annoncez par vos paroles. Que la tempérance vous inspire des pensées modérées, afin que vous deveniez144 l'exemple et le modèle de nous et du monde entier. Voyiez combien il est beau que le frère soit aidé par le frère. Dieu seul n'a besoin des secours ni des conseils de personne; mais les hommes ont besoin de s'entraider les uns les autres. Pour moi, si je ne respectais le grand apôtre Pierre, qui est le premier des apôtres du Christ et la pierre de la foi, je rappellerais comment cette pierre fut secouée sur sa base et ébranlée par une misérable femme145, avec la permission du Christ, dont la sagesse prévoit tout, et dont les jugements sont des abîmes profonds; lui qui, par la voix du coq, a rappelé Pierre au souvenir de la parole prophétique et l'a réveillé de sou sommeil de désespoir. Pierre, en se réveillant, a lavé son visage avec ses larmes, et a donné à Dieu et au monde entier l'exemple de la pénitence. [Maintenant], portant les clefs du royaume céleste, il court devant tous les hommes et dit: «Celui qui est tombé ne se relèvera-t-il pas? Vous qui êtes tombés, levez-vous; regardez-moi et obéissez-moi, à moi qui me dirige vers le paradis céleste, dont j'ai reçu pouvoir d'ouvrir les portes.» J'écris et (315) je rapporte ces choses à votre sainteté seulement pour mémoire, car je sais que vous êtes doués de toute sagesse et de toute science, et je me borne à dire, comme Salomon: «Donnez au sage l'occasion d'exercer sa sagesse, et sa sagesse sera augmentée. Instruisez le juste, et il ne tardera pas à recevoir l'instruction.» Je n'ajouterai plus qu'une seule chose en terminant: c'est qu'il y a de grandes et nombreuses nations qui ont les mêmes opinions que nous, et qui s'accordent en tous points avec nous, qui sommes Grecs. En premier lieu, les Éthiopiens, qui habitent sur les confins de l'Orient, ensuite les Syriens, puis d'autres peuples, qui sont plus importants et plus redoutables, à savoir: les Géorgiens, les Mingréliens146, les Alains, les Goths, les Chazares, l'innombrable peuple des Russiens. et le royaume des victorieux Bulgares. Tous, ils obéissent à notre église comme à leur mère, et ils persistent fermement jusqu'ici dans l'antique orthodoxie. Or, que le saint Dieu qui s'est fait homme pour nous, et qui est placé à la tête de l'église formée par les nations, nous réunisse de nouveau dans l'unité de la foi; qu'il daigne permettre à l'église des Grecs de glorifier, de concert avec sa sœur la vieille Rome, le Christ, prince de la paix, au moyen de l'unité de la foi, et par le rétablissement de l'orthodoxie, qui les unissait anciennement. Qu'il vous donne la charité fraternelle, et que la main du Dieu tout-puis- (316) sant vous dirige, très-saints cardinaux, jusqu'à ce que vous puissiez parvenir avec joie au port tranquille. Que la grâce de Dieu soit avec vous. Ainsi soit-il.»

«Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à son vénérable frère Germain, archevêque des Grecs, salut et bénédiction apostolique. Nous avons reçu avec la bienveillance qui convenait les lettres de ta fraternité qui ont été présentées à nous et à nos frères par ton député; et après avoir soigneusement examiné leur contenu, nous nous sommes proposé d'envoyer vers loi des hommes religieux et d'une science éprouvée, qui fussent porteurs de paroles de vie et qui exposassent plus pleinement notre volonté et celle de nos frères. Mais comme la nourriture est venue de celui qui mange; et que la douceur est sortie du fort, nous avons jugé à propos de te récrire quelques mots afin que le rayon de miel tiré de la gueule du lion mort et présenté par le père ne fût point méprisé, ce qui aurait fait venir la rougeur sur ton front, et pour ne point paraître faire peu de cas de ta lettre en négligeant d'y répondre; car le sage qui écoute sera plus sage encore, et celui qui comprend tiendra le gouvernail. Quoique le Christ, ainsi que ta lettre le déclare longuement, soit le premier et le principal fondement de la foi, ce que nous avouons, fondement tel qu'on ne peut en poser un autre, nous lisons cependant que les apôtres et les prophètes viennent en second lieu et comme fondements secondaires; que les fondements de Sion ont été jetés sur les montagnes saintes, et que les cités de la Jérusalem (317) céleste ont été édifiées sur les fondements des apôtres et des prophètes. Le premier et le principal parmi eux, est le bienheureux Pierre; et ce n'est point sans motif, mais d'après une prérogative spéciale, qu'il a mérité d'entendre ces paroles du Seigneur: «Tu seras appelé Céphas, ce qui signifie Pierre.» Or, de même que la plénitude des sens consiste dans la tête et que de là le pouvoir de sentir se communique par des vaisseaux cachés dans chacun des membres comme un ruisseau qui coule d'une fontaine; de même les trois ordres des fidèles dans l'église, Noé, Daniel et Job, c'est-à-dire les prélats, les continents et les unis, qu'Ezéchiel désigne dans sa vision comme devant être sauvés, viennent de Pierre qui est la pierre sur laquelle le Seigneur a construit non point la maison faite avec les bois du Liban, ni le portique des colonnes, ni la demeure de la fille de Pharaon, mais son église pour tous les fidèles enfermés dans ses filets comme des poissons de toute espèce. C'est donc à Pierre, comme au primat des primats, comme à celui qui s'est désaltéré à la source qui coulait de la poitrine du Seigneur, que les fidèles doivent demander les remèdes de leur salut, et, n'essayant soit par dispute, soit par orgueil, de faire aucune résistance, éloigner des ténèbres de leur esprit avec patience et conviction tous les scrupules du doute. Ce que tu nous dis que Paul a résisté à Pierre, en face, ne prouve rien contre cela, puisque lu n'as qu'à bien considérer les temps et les lieux, et qu'à lire la manière dont les pères orthodoxes expliquent ce fait (318) d'une manière dispensative. En effet, Pierre en professant la loi mosaïque, et Paul en évitant la circoncision, faisaient chacun tous leurs efforts, au moyen de cette dissimulation, pour gagner l'un les juifs et l'autre les gentils. D'ailleurs, tu pourrais aussi reprocher à Paul d'avoir circoncis Timothée, fils d'une veuve fidèle et né d'un père gentil, lorsqu'il fut arrivé à Derbe et ensuite à Lystre dans son voyage en Syrie et en Cilicie. Tu pourrais même, une seconde fois et une troisième fois, accuser ou toi ou Paul qui, dans sa traversée pour la Syrie et ayant avec lui Priscilla et Aquilas, se fit couper les cheveux à Cenchrée par crainte des juifs. Or, il se fit couper en ce lieu d'après la loi [juive] les cheveux qu'il avait fait vœu de laisser croître, parce que les Nazaréens avaient coutume de ne pas les couper147, selon le vœu fait d'après la règle de Moïse. Si tu distingues, mon très-cher frère, d'une manière nette et intelligente le mystère de la dignité et l'office de l'autorité, et si tu considères le zèle de Pierre et de Paul qui n'avaient soif que de gagner les âmes, tu trouveras qu'ils n'ont jamais été en désaccord ni dans leur mort, puisque la même foi et la même passion les ont réellement rendus frères, ni dans leur doctrine tant qu'ils vécurent. En effet, quoique Pierre et Paul, en des langues différentes et par des rites divers, travaillassent l'un pour les juifs à la dure cervelle, l'autre pour le peuple gentil, en fournissant le lait aux petits enfants et la nourriture aux plus (319) âgés; quand la plénitude des temps fut arrivée, l'un et l'autre prêchèrent dans un seul et même esprit, qu'il n'y avait qu'un seul Dieu, qu'une seule foi, qu'un seul baptême, et annoncèrent les autres articles de foi selon la grâce qu'ils avaient reçue du Seigneur. Paul a agi d'après la parole du Seigneur qui a dit à Pierre et généralement aux autres apôtres: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et retenus à ceux à qui vous les retiendrez;» il a accompli avec Pierre le mystère de dignité; mais il a reconnu dans Pierre l'office d'autorité d'après les paroles revêtues de la même autorité et dites par le Seigneur à Pierre en particulier: «Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux.» C'est pour cela que Paul est venu vers lui à Jérusalem, comme vers le primat et la source de l’Évangile du Seigneur; et qu'ensuite il a annoncé l'Évangile avec lui et avec les autres d'après la révélation, de peur qu'il n'eût couru dans le vide.» Ce pouvoir est confirmé de nouveau par les paroles du Seigneur, quand il a dit à Pierre seul: «Si ton frère a péché contre toi, tu devras lui remettre son péché, non-seulement sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois;» quand il lui confie à lui seul le soin de toutes ses brebis indistinctement, à lui qui brillait pur un pouvoir si spécial de faire des miracles, que les malades étendus dans les rues, sur des lits et sur des grabats, étaient guéris à l'ombre de son corps. L'autorité de Pierre est confirmée d'une manière en- (320) core plus expresse, par ces puroles du Seigneur qui lui a dit: «Tire en haut,» en ajoutant au pluriel: «Lâchez les filets pour la capture.» Si donc, Pierre pour l'excellence de sa foi par laquelle il a reconnu véritablement deux natures dans le seul Christ, en disant: «Tu es le Christ fils du Dieu vivant,» a seul mérité sur la terre de recevoir les clefs du royaume céleste; s'il n'y a qu'un seul Seigneur, qu'une seule foi, qu'un seul baptême, qu'un seul principe, qu'un seul corps de l'église militante; si un corps avec plusieurs tètes est regardé comme monstrueux, et si un corps sans tête est appelé acéphale; il en résulte que pour le gouvernement de l'église générale rassemblée par Pierre avec Paul et les autres apôtres au milieu des nations grecques, latines et barbares, le Seigneur, d'après ce que nous venons de dire, a montré dans la personne de Pierre la tète de ladite église et son propre successeur. Or, le Seigneur prévoyant que l'église serait foulée aux pieds par les tyrans, déchirée par les hérétiques et divisée par les schismatiques, a dit: «J'ai prié pour toi, Pierre, afin que la foi ne te manque pas. C'est à toi, converti depuis longtemps, de fortifier tes frères.» D'où l'on doit conclure évidemment que toute question relative à la foi doit être déférée au siège de Pierre. Mais pour me servir des termes de ta lettre et pour partager ta douleur à cet égard, la tunique flottante et sans couture du vrai Joseph a été cruellement déchirée, non point par les mains violentes des soldats, mais par les dissensions téméraires des per- (321) sonnes ecclésiastiques. Voyons donc qui a déchiré cette tunique. Quand l'église des Grecs se sépara de l'unité du siège romain, elle perdit aussitôt son privilège de liberté ecclésiastique. Elle qui avait été libre devint la servante du pouvoir séculier148; afin que, par un juste jugement de Dieu, celle qui n'avait pas voulu reconnaître une divine suprématie dans la personne de Pierre, subît malgré elle une souveraineté séculière. Sous cette domination, méprisant ce qui était digne d'un grand respect et tombant peu à peu eu décadence, faisant profession d'une foi altérée, et tiédissant dans la chanté fraternelle, elle s'est donné libre carrière dans le champ de la licence, en sorte qu'elle a caché le licite sous l'illicite n'étant plus réprimandée par personne, et qu'ayant renoncé au sanctuaire de Pierre elle a été rejetée dehors par le Seigneur, comme un vestibule que Jean, sur la défense du Seigneur, ne mesure pas avec son bâton, parce qu'il a été abandonné aux gentils: c'est ce dont tu vois l'accomplissement d'une manière trop manifeste. De même Samarie en renonçant au temple du Seigneur, à Juda, et à la confession de la vraie foi, est devenue idolâtre, a façonné des images, a été (322) écrasée par des guerres et des désastres continuels et ensevelie sous la masse de ses péchés, quoique Élie et Élisée, comme de grands luminaires, y aient brillé comme dans un lieu ténébreux; elle a été abandonnée aux gentils et rejetée dehors en punition de la fornication et de l'idolâtrie par lesquelles elle s'était séparée du Seigneur. Si l'église des Grecs a dessein de s'appuyer sur l'autorité de Paul, qu'elle donne ses preuves ou qu'elle reconnaisse que le successeur de Pierre et le vicaire de Jésus-Christ a donné les siennes avec Pierre, dans la basilique des apôtres, construite par Constantin. Le mystère d'office [conféré à Pierre] a été prouvé aussi, quoique tu insères dans ta lettre, sous forme de reproche, que Pierre, trois fois surpris et éveillé par le chant du coq est devenu le gardien du paradis. C'est qu'il fallait que celui qui devait commander sût pâtir et compatir, et qu'en vertu de l'office d'autorité celui à qui il avait été dit trois fois: «Fais paître, ne faites point paître, mes brebis, et non celles d'autrui,» pût transmettre à son successeur l'exemple du vrai pasteur; afin que ce dernier corrigeât en esprit de douceur les excès de ceux qui lui seraient soumis et qui appartiendraient à l'unité de l'église; afin aussi qu'il ramenât au bercail, même malgré eux, ceux qui ayant fait volontairement profession du culte chrétien s'éloigneraient de l'église, et qu'il châtiât leur rébellion, en les livrant à Satan pour la perdition de leur chair, selon la parole de l'apôtre. Or, si c'est par un sentiment de compassion que tu as recours au primat du siège aposto- (323) lique comme un véritable enfant d'Israël; si les entrailles de ta piété se sont émues sur la contrition que Joseph a ressentie à cause de la déchirure de sa tunique sans couture, nous compatissons à ta passion et nous plaignons ta douleur avec l'apôtre; nous nous élevons vers lui en actions de grâces pour avoir ouvert les yeux de l'aveugle-né. Nous demandons humblement que celui qui a dessillé les yeux de Tobie avec le collyre fait du fiel de poisson, illumine le cœur de l'église grecque avec le tien, et qu'à notre époque comme à la tienne, la Providence divine ramène tous les fidèles vers un seul bercail et un seul pasteur. Reçois, mon très-cher frère, le livre dont il a été parlé à Jean dans l'Apocalypse et dévore-le. Si ce livre te fait éprouver de l'amertume au ventre à cause des aiguillons de la contrition qui piquent dans le principe, il sera cependant aussi doux à ta bouche que le miel le plus précieux, selon la parole de l'époux dans le cantique des cantiques: «que ta voix résonne dans mes oreilles, ta voix qui est si douce». Gouverne149 la conscience de ta prudence sans aucune superstition, et tu verras avec clarté que l'église romaine, qui est la tête et la maîtresse de toutes les églises, en se regardant dans le miroir dont tu, parles, c'est-à-dire dans l’Évangile, les épîtres et les écrits des autres docteurs, ne trouve en elle, ni dispensativement ni interprétativement, aucune contradiction, ni rien qui d'après les canons des saints pères ne s'accorde bien dans l'unité de la loi et de l'esprit. (324) En ouvrant ce livre, tu trouveras que le pontife romain est devenu tout pour tous, afin que tous soient sauvés; qu'il a été élu par ses frères, non point en vue d'un gain honteux ni par un effet de sa volonté, mais par l'inspiration divine; qu'il est aussitôt devenu le serviteur des serviteurs de Dieu, et que pour la défense de la liberté ecclésiastique et pour le salut de ses frères, de ses coévêques et de ceux qui leur sont soumis, il s'oppose, ainsi qu'un mur, lui et ses frères, aux tentatives des hérétiques, des schismatiques et des tyrans. Quoique des ennemis se glissent de temps à autre, l'église romaine n'en est pas moins à l'abri, dans l'état présent des choses, de toute incursion hostile. Au contraire, si l'église des Grecs veut supporter patiemment des paroles de blâme (pour me servir de tes propres expressions), nous dirons aux Grecs, qu'outre le péril de leurs âmes, péril qui provient de leur séparation d'avec nous, les vexations qu'ils souffrent auraient dû suffire pour leur rendre la raison. Entre leurs mains, en effet, l'ordre ecclésiastique est confondu et tiré en divers sens par les nations de l'Orient opposées entre elles; la liberté de l'église est opprimée; la dignité sacerdotale est foulée aux pieds, et il n'y a personne pour les consoler d'avoir perdu tout ce qui leur était cher, parce que se trouvant sans tête, ils ont dédaigné de revenir vers la tête de l'église. «Reviens donc, ô Sunamite, reviens, pour que nous te voyons.» C'est alors que le frère pourra justement être aidé par le frère. Si le fils qui a tout dépensé en vivant d'une manière dissolue est inspiré (325) par le Seigneur, s'il se lève et s'il dit: «Mon père, j'ai péché contre le ciel et devant toi; je ne suis plus digne d'être appelé ton fils; rends-moi comme un de tes mercenaires;» le père ira à sa rencontre, le traitant non point comme un mercenaire, mais comme un fils; il lui portera la plus belle robe et il tuera le veau gras. Il fera un festin solennel pour tous les fidèles du Christ; il annoncera dans l'allégresse et dans la joie, que le frère et le fils qui était mort est ressuscité, et que la dragme qui était perdue a été retrouvée150. Alors nous te recevrons avec honneur dans le sein de la mère église: alors tu verras clairement la vérité dans le miroir de pureté, miroir qui n'a point de rides et n'est terni d'aucune tache. Donné à Rieti, etc..... L'an sixième151, etc.»

«Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, au vénérable archevêque des Grecs, salut et bénédiction apostolique. Comme, d'après le témoignage de la vérité, l'ignorance des saintes Écritures est le motif des erreurs, il convient à tout le monde de les lire ou de les entendre; parce que les choses que l'inspiration divine y a mises pour l'instruction de ceux qui suivraient, doivent aussi donner à ceux qui sont aujourd'hui des pensées de prudence. Sans aucun doute la téméraire séparation des tribus sous Jéroboam qui. dit l'Écriture, fit pécher Israël, pré- (326) sage évidemment le schisme des Grecs, de même que la multitude des abominations de Samarie désigne les diverses hérésies de cette multitude qui a renoncé à la vénération et au respect dus au vrai temple, c'est-à-dire à l'église romaine. Si Chrysostôme, [Grégoire] de Naziance, Basile-le-Grand et saint Cyrille, ont brillé au milieu des dissidents, cela vient de la même hauteur des décrets célestes qui ont voulu qu'Élie, Élisée et les fils des prophètes vécussent au milieu des idolâtres. Déjà dans les autres lettres que nous t'avons envoyées depuis quelque temps, nous avons exposé avec grands détails cette autorité [fondée sur l'Écriture], et les autres arguments qui militent en faveur de la suprématie de l'église romaine. Aujourd'hui nous ajouterons seulement qu'il ressort de la lecture de l'Évangile, que le double glaive appartient au pontife romain. En effet, quand Jésus parla à ses disciples de l'acquisition du glaive spirituel, ceux-ci lui montrèrent deux glaives placés près de là; et le Seigneur jugea qu'ils étaient suffisants pour la répression, tant de l'offense spirituelle que de l'offense corporelle. Si tu accordes que le glaive matériel ait rapport à la puissance temporelle, réfléchis à ce que le Seigneur dit à Pierre, dans l'évangile de Matthieu: «Remets ton glaive en son lieu.» En disant ton glaive, le Seigneur désignait le glaive avec lequel Pierre avait frappé le serviteur du prince des prêtres. Quant au glaive spirituel, nul ne peut douter qu'il n'ait été remis à Pierre, puisque le Seigneur, par une sorte (327) d'investiture spirituelle, lui a confié le pouvoir de lier et de délier. L'un et l'autre glaive sont donc donnés à l'église; mais l'un est employé par l'église elle-même, l'autre doit être tiré pour l'église, par le bras séculier. L'un est levé par le prêtre, l'autre doit être mis en usage par le guerrier sur un geste du prêtre. C'est pour cela et pour d'autres choses encore, qui après une soigneuse enquête de la vérité peuvent contribuer à mettre la charité à la place du schisme, que nous avons jugé à propos d'envoyer vers toi, comme porteurs de la présente, Hugues et Pierre, frères Prêcheurs, Aimon et Raoul, de l'ordre des Mineurs, hommes remarquables par leur religion et leur vertu, célèbres par l'honnêteté de leurs mœurs et versés dans la science des saintes Écritures, pour t'expliquer ce que nous avons eu soin d'insérer dans ladite lettre. Si tu as résolu de l'occuper fidèlement et de conférer avec eux dans l'esprit d'union de tout ce qui est en question, tu pourras entendre la voix du tonnerre, dans la roue qui a été montrée au-dessous de la roue d'Ézéchiel; tu pourras voir, comme dans le miroir des eaux, qu'Adam placé seul à l'œuvre et à la garde du paradis, et obtenant une seule, épouse, signifie à la fois le Seigneur Jésus-Christ, créé dans la justice et dans la science de la vérité, et l'église son unique épouse; que Lamech, qui veut dire humilié, ayant séparé une seule épouse en deux, est devenu sanguinaire et a tué un homme l'ayant blessé152; que la tradition ne parle point d'au- (328) cune autre arche que de celle qui, au moment où le déluge inondait tout, fut guidée par la direction d'un seul patriarche, et sauva un petit nombre d'hommes à cause de leur perfection; que le Seigneur a donné une seconde fois sa loi, sous une autre forme, mais toujours la même; que les deux chérubins qui voilent le propitiatoire153 ne sont point tournés en sens différents, mais se regardent l'un l'autre; que Joseph n'a eu qu'une seule tunique flottante, et notre Sauveur un seul vêtement sans couture. Néanmoins si votre rite, qui diffère du nôtre, introduit le sens de dualité154 dans le sacrement de l'Eucharistie, fais attention que le mystère de notre salut est adoré pareillement par les Grecs et par les Latins, et qu'il n'y a réellement là rien de différent ni de contradictoire, puisqu'il s'agit toujours de l'unité de notre Seigneur Jésus-Christ, d'abord capable de souffrir quand il eut pris un corps pour nous, et ensuite placé sans nul doute hors des atteintes de la mort, comme de toute autre souffrance. Les Grecs embrassant la foi avec le nouvel apôtre155, et se souvenant de la grande grâce qu'ils avaient reçue, ont voulu se souvenir de la bonté avec laquelle Dieu, compatissant à la misère humaine, a daigné se faire homme, et être capable de souffrir; ils ont choisi et établi (329) l'usage de l'hostie fermentée, afin que, selon ces paroles de l'apôtre: «La pâte est corrompue par le levain,» le levain servît à rappeler la corruption à laquelle le corps du Seigneur a pu être soumis avant sa résurrection. Mais les Latins embrassant la foi avec l'ancien apôtre Pierre, sont entrés les premiers dans le monument de la lettre d'où procède le sens spirituel: ils ont considéré les linges qui enveloppaient le très-saint et sacré corps qui signifie l'église, et séparément le suaire qui avait couvert la tête; ils ont préféré célébrer, d'une manière plus admirable dans les azymes du pain sans mélange, le sacrement du corps glorifié. Chacun des deux pains est simplement du pain avant le sacrifice; on ne peut donc l'appeler ni fermenté, ni azyme; quoique celui-ci mérite plutôt d'être regardé comme le pain vivant qui descend du ciel, et qui donne la vie au monde. Telles sont les instructions, et d'autres semblables, que l'onction de l'esprit et la pureté de l'intelligence ont données au siège de Pierre. Plaise à Dieu que toi, qui jadis as suivi le nouvel apôtre, qui as vu et qui as cru, tu rentres enfin [dans l'unité] afin que, tout étant compris, tu chantes également et véritablement avec nous ce psaume de David: «Ah! combien il est bon et combien il est agréable que les frères habitent dans la même maison!» Donné à Latran, le seizième jour avant les calendes de juin, etc.»

Ces salutaires avertissements furent entendus, mais non écoutés; et les Grecs ne se soumirent pas à l'église, romaine, soit qu'ils redoutassent sa tyrannie (330) et son avarice, soit qu'ils se laissassent emporter par un orgueil opiniâtre; semblables à ceux qui, selon la parabole évangélique, étant invités à souper, refusèrent de venir, alléguant toutefois divers prétextes; gens humbles dans la manière de s'excuser, superbes et opiniâtres dans la manière d'agir. Le seigneur pape et les cardinaux ayant délibéré avec soin sur ce sujet, résolurent de faire en masse une levée de croisés, et de les lancer contre les Grecs; et des prédications ayant eu lieu, un grand nombre d'hommes prirent la croix pour faire partie de l'expédition dirigée contre les Grecs, principalement contre ceux de Constantinople. Voici quelle fut l'origine de ce schisme et de cette dissension entre l'église romaine et l'église grecque. Un certain archevêque élu, soit par voie canonique, soit par voie de postulation, à un fameux archevêché de Grèce, se rendit à Rome, pour y être confirmé; mais on ne voulut l'entendre que s'il promettait une énorme somme d'argent pour l'obtention de ce qu'il sollicitait. Alors détestant la simonie d'une cour qui se vendait à prix d'argent, il s'éloigna sans avoir terminé cette affaire, et annonça à toute la noblesse des Grecs ce qui s'était passé. D'autres personnes, qui étaient allées à Rome, jurèrent qu'elles avaient été témoins de simonies pareilles et de pires encore; de cette façon tous les Grecs, à l'époque du pape Grégoire, dont il s'agit ici, renoncèrent à être soumis à l'église romaine. Dans la semaine qui précéda Noël, Edmond, archevêque de Cantorbéry, passa la mer (331) et se rendit à Rome. Mais ayant été rappelé par le légat. il ne voulut pas revenir156: ce qui fit que désormais ils furent ennemis.

Cette année fut remplie de tempêtes et d'ouragans: elle fut pernicieuse pour les hommes et très-funeste à la santé. Jamais, de mémoire d'homme, on n'avait vu tant de gens malades de la fièvre quarte.

Simon de Montfort épouse Aliénor, sœur de Henri III. — Lettre de l'empereur au comte Richard, au sujet de la croisade. — L'an du Seigneur 1238, qui est la vingt-deuxième année du règne du roi Henri III, ledit roi tint sa cour à Londres dans le palais de Westminster. Là, le lendemain de l'Épiphanie, un jour de jeudi, Simon de Monfort épousa solennellement Aliénor, fille du roi Jean, sœur du roi Henri, et veuve de Guillaume Maréchal, comte de Pembroke. Le discours fut prononcé et la messe fut célébrée par Gaultier, chapelain de la chapelle royale de Saint-Étienne, à Westminster, dans la petite chapelle du roi, qui est dans l'angle de la voûte. Le roi présenta sa sœur par la main audit Simon, comte de Leicester. Celui-ci la reçut gracieusement, tant à cause du pur amour qu'il avait pour sa personne seulement et pour sa beauté, qu'à cause des grands honneurs que cette alliance lui procurait, et de l'excellente et royale noblesse de cette dame: car elle était fille de roi et de reine en légitime mariage; elle était de plus sœur d'un roi, d'une impératrice et d'une reine. Enfin (332) [ce mariage plaisait au comte], parce que les enfants qu'il aurait d'une si noble dame seraient de souche royale. Le seigneur pape accorda dispense pour cette union, comme la suite du récit le montrera. Cette même année, on entendit d'horribles coups de tonnerre le quatorzième jour avant les calendes de février. On éprouva aussi un vent très-violent, accompagné de neiges abondantes.

Vers le même temps, Frédéric, empereur des Romains, préoccupé de la prochaine croisade et des moyens de disposer l'expédition, principalement en ce qui touchait le comte Richard, écrivit audit comte en ces termes:

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains, toujours Auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, au comte de Cornouailles, son cher beau-frère, salut et dilection sincère. L'intérêt général de la Terre-Sainte, qui dépend de l'accomplissement de la croisade, nous a déterminé fréquemment à user envers les croisés, tant du royaume de France que des autres parties du, monde, de recommandations et de prières instantes, relativement à la prorogation du passage, qui est remis jusqu'à l'expiration de la trêve, à savoir depuis le plus prochain mois d'août jusqu'à la fin de l'année suivante. Car nous avons considéré qu'il était aussi avantageux à la délivrance de la Terre-Sainte qu'aux intérêts et qu'à l'honneur des passagers, que la traversée d'une si vaillante multitude eût lieu d'une manière régulière et en temps opportun, depuis la prochaine fête du bienheureux Jean-Baptiste jusqu'à la même fête de l'année suivante. Nous n'avons point (333) dû passer sous silence le fardeau qui pèse sur nos épaules, et les occupations relatives à la délivrance de la Terre-Sainte, dont nous sommes chargé, de préférence aux autres princes de la terre; en effet, nous sommes tenu de consacrer notre activité et nos trésors à cette entreprise, d'en délibérer mûrement avec notre conseil, et, tout en nous armant puissamment nous-même pour le service du Christ, de peser attentivement les différentes questions que présente l'expédition, sans oublier les circonstances accessoires. Ceux qui ont dévoué leurs cœurs et leurs corps au service de la croix, et qui désirent contribuer utilement à la croisade, ont été requis à ce sujet par messagers et lettres de notre part; et ils ont répondu à notre demande avec réflexion et prudence que, jusqu'à l'expiration de ladite trêve, ils se tiendraient prêts à exaucer nos prières d'une manière efficace. Nous leur avons rendu les actions de grâces qu'ils méritaient à cet égard, et nous avons approuvé leur résolution pleine de sens et leur réponse. En outre, comme nous désirons avec une affection fraternelle voir votre personne, et fournir libéralement aux frais de votre passage, nous voulons et nous demandons instamment que (Dieu vous prêtant vie) vous passiez en temps opportun par nos états et notre royaume de Sicile; car notre volonté verrait avec déplaisir que vous effectuiez malgré nous votre passage ailleurs. D'autant plus que notre royaume est disposé de façon qu'il offre des moyens de communication avec les contrées d'outre-mer fort faciles et fort commodes. (334) Donné à Verceil, le onze février de la onzième indiction.»

Rappel du légat. — Il ne retourne pas à Rome. — lettre de l'empereur au comte Richard, pour lui annoncer la naissance de son fils. — Vers le même temps, le seigneur pape et toute la cour romaine, apprenant que de grands mécontentements avaient éclaté en Angleterre à cause de la grande quantité d'étrangers que le roi avait appelés inconsidérément auprès de lui, et à cause de la venue du légat en Angleterre, attiré semblablement par lui pour l'appauvrissement de ses sujets; sachant aussi qu'un grand nombre de personnes étaient mal disposées contre le légat lui-même, rappelèrent en toute hâte ledit légat, et modérèrent la sévérité de sa conduite en lui écrivant ainsi: «Grégoire, etc., à son cher fils Othon, diacre, cardinal de Saint-Nicolas en prison Tullienne, et légat du saint siège apostolique, salut et bénédiction apostolique. Comme nous avons appris qu'il y a dans le royaume d'Angleterre une foule de clercs qui ont plusieurs bénéfices à la fois, mais qu'on ne peut procéder contre eux selon les statuts du concile général, à cause de la puissance de leurs parents, et sans troubler le royaume et verser le sang, nous avons fait attention que, si l'on ne doit pas commettre de péché pour éviter le scandale, on peut cependant différer par prudence le bien qu'on devrait faire, pour éviter le scandale. Aussi nous recommandons à votre discrétion, par ce rescrit apostolique, de ne pas pousser (335) plus loin vos moyens de répression, si vous ne pouvez sans scandale procéder contre les clercs susdits.» Par cette même lettre, ou par d'autres qui la suivirent de près, le seigneur pape, craignant qu'il n'arrivât quelque événement fâcheux, rappela son légat. Mais celui-ci, préférant rester en Angleterre, et moissonner là où il n'avait pas semé, réussit habilement à se faire donner un écrit destiné au seigneur pape: et cet écrit fut revêtu des sceaux du roi, de son frère le comte Richard, et de tous les évêques, pour attester la vérité suivante: à savoir que son séjour en Angleterre était très-utile tant au roi qu'au royaume et qu'à l'église d'Angleterre. Cette lettre fut transmise au seigneur pape, et ce qu'elle contenait remit le calme dans son esprit.

Vers le même temps, l'empereur des Romains, Frédéric, écrivit au comte Richard en signe d'affection, et lui annonça la joie qu'il ressentait de ce qu'un fils lui était né de son mariage avec Isabelle, sœur dudit comte et impératrice; voici sa lettre:

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains, toujours Auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, à Richard, comte de Cornouailles, son cher beau-frère, salut et toute prospérité. Nous avons jugé à propos de faire parvenir à votre connaissance une chose agréable, attendue par les désirs de tous, dont la réalisation, par un bienfait de la nature, est souhaitée par les hommes plus que celle de tous leurs autres vœux; qui comble de joie le sceptre des souverains en leur donnant une succession désirée; et cela d'au- (336) tant plus promptement que la nouveauté de la joie que nous ressentons ne souffre point de délai. En effet, nous avons sujet de faire éclater notre allégresse dans la présente lettre, où nous annonçons avec détails à votre attente que, grâce à la providence du Roi des rois, qui donne aux rois la naissance et le salut, un nouveau fils pour nous, et pour vous un nouveau neveu, est sorti le dix-huitième jour du mois de février du sein fécond de notre auguste compagne, votre sœur. La naissance de ce fils tourne à la gloire de son père et de son oncle, renouvelle la joie de sa mère, et fortifie les espérances de nos sujets. Cette naissance resserre l'intégrité de l'affection mutuelle par laquelle nous sommes uni avec vous, ainsi que par les liens de la parenté, et contribue au delà de nos souhaits à l'augmentation de notre prospérité; enfin la valeur, qui anime avant l'âge les Césars, nous promet que, dans la suite des temps, le caractère de cet enfant satisfera à la joie et à la gloire communes. Nous considérons encore avec une nouvelle allégresse le berceau de notre fils, en pensant à nos heureux succès dans l'Italie, qui déjà s'est rangée sous nos lois, et qui accompagne sous d'heureux auspices nos drapeaux victorieux de nos ennemis. Aussi, en voyant que cette naissance tant souhaitée concourt avec nos heureux succès et avec la continuation de nos triomphes, nous mettons notre confiance dans celui qui, après avoir fait naître une fille de votre sœur, notre épousa féconde, nous a accordé un enfant mâle, et qui a voulu dans sa libéralité que la gloire antique (337) de notre empire, menacée dans les temps qui ont précédé, fût rehaussée par cette naissance, qu'elle se relevât, et qu'elle s'augmentât pour notre honneur et celui de notre postérité. C'est pourquoi nous avons voulu vous faire participer à notre allégresse et à celle de notre auguste compagne, vous que nous savions désireux depuis longtemps d'avoir un neveu tant souhaité. Donné à Turin, le 3 mars de la onzième indiction.»

Révolte des grands d'Angleterre contre le roi. — Intervention pacifique du légat. — Conventions pour la paix préparées et demeurées sans résultat. — Mort de la reine d’Écosse. — Simon de Montfort passe secrètement en France. — Le comte Richard, ayant appris cette nouvelle, fut transporté de joie et loua le Seigneur, espérant que dans la suite des temps cet événement serait une source de joie pour lui et pour le royaume d'Angleterre. Mais, comme cela arrive ordinairement dans les affaires de ce monde, il fut d'un autre côté excité à la colère. En effet, ayant été instruit du mariage clandestin [du comte Simon], mariage qui avait été conclu à son insu et sans que le consentement des grands du pays l'eût précédé, il entra à juste titre dans une indignation violente: surtout parce que le roi avait juré maintes fois de ne prendre aucune résolution importante, sans consulter ses hommes naturels et principalement le susdit comte Richard. Il se souleva donc, et adressa au roi des paroles commonitoires et comminatoires; articulant (338) contre lui des reproches et des récriminations, et se plaignant de ce que le roi, livré tout entier aux conseils d'étrangers dont il avait formellement juré le renvoi, n'avait pas craint de prendre illégalement des mesures importantes; qu'il avait écarté d'auprès de lui ses conseillers, à l'exception de Simon de Montfort et de Jean, comte de Lincoln; qu'il avait non-seulement prêté l'oreille à leurs paroles, mais encore consenti à ce que les deux comtes susdits fissent contracter, sans le consentement des nobles, des mariages furtifs, à savoir, le comte Simon un mariage illicite, comme nous l'avons dit, entre lui-même et la comtesse de Pembroke, sœur dudit roi et dudit Richard, et Jean, comte de Lincoln, entre le fils du comte de Glocester157, à savoir Richard de Clare et sa propre fille, à lui, le comte Jean. Le comte Gilbert Maréchal, tous les comtes et barons d'Angleterre avec les bourgeois et la masse du peuple, se joignirent à l'insurrection du comte Richard; et ce fut à cette époque une espérance générale, que ledit comte Richard délivrerait l'état de l'odieuse servitude à laquelle il était condamné, tant par les Romains que par les autres étrangers; aussi tous, depuis l'enfant jusqu'au vieillard, le comblaient-ils sans cesse de bénédictions. Personne ne resta dans le parti du roi, à l'exception du seul comte de Kent Hubert; mais on ne redoutait point qu'il pût arriver de son côté aucun événement fâcheux; d'abord, parce qu'il avait juré de ne (339) jamais porter les armes; ensuite, à cause de son grand âge; enfin, à cause de sa prudence éprouvée tant de fois. Le roi, apprenant cette révolte fut grandement consterné d'esprit et de visage, et il envoya des messagers à chacun des seigneurs de sa terre, pour demander à celui-ci et à celui-là s'il pouvait compter sur son secours dans le soulèvement qui le menaçait. Tous, et principalement les bourgeois de Londres, répondirent unanimement que l'entreprise commencée par le comte Richard était calculée avec circonspection pour l'honneur du roi et l'avantage du royaume, quoique le roi refusât de se rendre aux salutaires conseils de son frère; que par conséquent ils ne mettraient obstacle en aucune façon à ce que le comte jugerait à propos de faire. Le légat, instruit de cela, et voyant que le péril était pressant, usa de la plus grande diligence pour réconcilier le roi avec ses hommes naturels. Il négocia sous main avec le comte Richard, et lui fit entendre que, si lui, qui était le chef de cette insurrection, consentait à se désister de son entreprise, le roi lui conférerait de plus riches possessions, et que cette donation serait confirmée par le seigneur pape. Il ajouta que quand tous les hommes d'Angleterre se soulèveraient contre le roi, lui à titre de frère devrait sans relâche tenir ferme pour le roi contre tous. Le comte Richard répondit à cela: «Seigneur légat, l'investiture et la confirmation des terres des laïques ne vous appartiennent point: mêlez-vous des affaires ecclésiastiques. Il n'y a rien d'étonnant à ce que l'état du royaume (340) m'intéresse, puisque je suis aujourd'hui l'héritier présomptif de la couronne. Or, le roi a eu en garde presque tous les évêchés de son royaume et une foule de terres qui sont venues à échoir; cependant son trésor n'a point paru sensiblement accru, et il ne s'est point servi de ses revenus pour la défense du royaume, dans un moment où nous sommes entourés d'ennemis de toutes parts. En outre, quelques-uns s'étonnent que le roi, qui a surtout besoin de conseils efficaces et sages, ne suive pas les traces de plusieurs princes prudents; de l'empereur par exemple, à qui nous avions donné notre sœur, avec une somme énorme d'argent, espérant en retirer, quelque profit, et qui a gardé la femme, mais nous a renvoyé ceux qui l'avaient escortée, sans donner à aucun d'eux ni terres ni trésors, quoiqu'il abondât en richesses de tout genre. Je puis aussi citer la conduite du roi de France, à qui la sœur ainée de notre reine a été mariée. Contrairement à ces exemples, notre roi d'Angleterre a rassasié de terres, de possessions et de trésors tous les alliés et les parents de son épouse; il s'est marié, non point pour que son trésor fût augmenté, mais bien plutôt pour qu'il fût vidé; de façon qu'en cas de besoin il ne pourrait être soutenu par aucune force militaire. En outre, il permet que les revenus et les benéfices ecclésiastiques conférés par nos pieux prédécesseurs (principalement ceux que nos prédécesseurs ont conférés aux religieux), soient pillés comme si c'était butin de guerre et soient distribués à des (341) étrangers, tandis que le royaume abonde en hommes capables. Enfin, l'Angleterre est devenue comme une vigne, sans enclos, qui est vendangée par tous ceux qui passent sur la route.»

Le légat ayant entendu ce discours, vint trouver le roi avec l'évêque de Winchester, Pierre: tous deux l'avertirent et lui conseillèrent de se soumettre et d'obtempérer désormais à la volonté de ses sujets, qui se soulevaient justement contre lui; et ils cherchèrent à le déterminer, soit par les menaces, soit par les conseils, soit par les prières. Le roi voyant que ses tentatives ne trouvaient point de partisans et que tous se rangeaient du côté de son frère le comte Richard, chercha tous les détours qu'il put, et demanda un délai pour avoir le temps de délibérer et pour donner une réponse plus satisfaisante. Les insurgés se rendirent avec grande peine aux instances qui leur furent faites, et accordèrent au roi un délai jusqu'au lendemain du premier dimanche de carême.

Les seigneurs se réunirent donc à Londres au jour fixé, pour s'occuper avec soin de cette affaire. Beaucoup y vinrent avec une escorte d'hommes d'armes, afin que si le roi, entraîné par sa légèreté habituelle, refusait d'accomplir ce qu'on attendait de lui, on pût l'y forcer. Dans cette assemblée, après de grandes discussions, le roi se soumit à un traité dressé par quelques-uns des hommes les plus respectables et jura qu'il accomplirait leur traité. Cela conclu, le traité fut rédigé par écrit, et on dut y apposer les sceaux, tant du légat que des autres seigneurs, pour (342) faire foi aux yeux de tous. Ces formalités n'étaient point encore terminées, mais on avait néanmoins bon espoir qu'elles le seraient, lorsque Simon de Montfort s'humilia vis avis du comte Richard, et réussit à se faire donner le baiser de paix par ledit comte, à force d'intercessions, et grâce à quelques présents. Les autres seigneurs virent avec regret cette réconciliation qui s'était faite sans leur aveu, tandis que c'était par leurs efforts que l'affaire était aussi avancée. Semblablement, Jean, comte de Lincoln, apaisa la colère du comte, tant par prières qu'à prix d'argent; après avoir toutefois fourni caution qu'il donnerait en tous points satisfaction pour sa conduite. Ces étranges changements, dans l'esprit du comte Richard, nuisirent en grande partie au succès de l'entreprise qui ne fut point menée à sa fin. Les misères du royaume ne cessèrent point, et la renommée du comte Richard en souffrit beaucoup. Désormais il devint suspect, lui qui jusqu'alors avait été regardé comme le bâton de la noblesse anglaise.

Vers le même tempe, Jeanne, reine d'Écosse, sœur du roi d'Angleterre, qui était venue en Angleterre pour visiter le roi son frère, expira le quatrième jour avant les nones de mars. Elle fut enterrée à Tharento, maison de religieuses, que le vénérable évêque de Durham, Richard II, avait fondée et construite, et avait donnée à la reine Aliénor II158, lorsqu'elle arriva en Angleterre.

(343) Cependant Simon de Montfort, voyant que le cœur du roi, le cœur du comte Richard et les cœurs de tous les seigneurs se détournaient de lui, et que le mariage qu'il avait contracté avec la sœur du seigneur roi était déjà regardé comme nul par plusieurs, fut saisi d'une violente douleur, et ayant fait préparer une galère, il s'embarqua secrètement pour passer la mer; mais ce ne fut pas sans avoir extorqué de grosses sommes partout où il put le faire; si bien qu'un bourgeois de Leicester, nommé Simon de Curle-Vache, fut obligé de donner pour sa part cinq cents marcs d'argent. Le comte de Montfort se rendit à la cour romaine, qu'il espérait circonvenir à force d'argent, pour qu'il lui fût permis de jouir d'un mariage illicite. D'abord il s'engagea au service de l'empereur, afin d'obtenir ses bonnes grâces, et il se fit donner par lui des lettres de recommandation auprès du seigneur pape. Pendant ce temps, la comtesse de Pembroke, qui était grosse, se tint cachée à Kenilworth, attendant l'issue de cette affaire.

Sentence du pape en faveur des moines de Rochester. — L'empereur de Constantinople en Angleterre. — Querelle entre le légat et les étudiants d'Oxford. — Réconciliation entre le légat et l'université. — Faits divers. — Cette même année, le seigneur pape donna sentence en faveur des moines de Rochester, au sujet d'une querelle qui s'était élevée entre l'archevêque Edmond et les moines susdits pour l'élection de leur évêque. Les moi nes gagnèrent leur cause, (344) tant pour le pétitoire159 que pour le possessoire, et maître Richard de Wendovre, celui qu'ils avaient élu, fut confirmé le jour de saint Cuthbert. Or, l'archevêque avait poursuivi160 les moines qui étaient à bout de leur argent et de leur peine. De plus, il avait passé les Alpes, pour que cette importante affaire fût décidée selon la justice et par qui de droit. Semblablement, sentence fut donnée à cette époque contre le même archevêque, qui alors se trouvait à la cour de Rome, sur un procès important qui s'agitait entre lui et le comte d'Arondel. L'archevêque fut condamné sur tous points aux dépens, qui s'élevèrent à environ mille marcs, et la sentence que le même archevêque avait prononcée contre le comte susdit fut levée. L'archevêque eut dans cette affaire un redoutable adversaire, en la personne du légat Othon, qui intéressa vivement le roi en faveur du comte.

Cette même année aussi, l'empereur de Constantinople, Baudouin161, fils de Pierre, comte d'Auxerre, alors fort jeune, chassé et proscrit de son empire, vint en Angleterre pour y implorer des secours. Comme il avait abordé à Douvres, on vint lui dire de la part du seigneur roi qu'il avait agi inconsidérément et contre toute bienséance, en s'introduisant dans un royaume indépendant; qu'un prince si haut (345) placé aurait dû consulter préalablement le roi et lui en demander la permission; qu'enfin il y avait dans sa conduite du mépris et de l'orgueil. On se soucia peu de le recevoir en présence du roi et des conseillers royaux. Car on se souvenait des bienfaits et des donneurs qu'on avait rendus au roi Jean de Brienne quand il était venu en Angleterre. On n'avait pas oublié non plus qu'à son retour en France, il avait machiné méchamment et avec ingratitude de mauvais desseins contre le royaume d'Angleterre, et que s'il n'avait pu effectuer les perfides résolutions qu'il méditait contre le royaume d'Angleterre, c'est qu'il avait quitté la France pour prendre possession de l'empire grec, où un triste sort l'attendait. L'empereur de Constantinople ayant appris tout cela de source certaine, se repentit d'être entré en Angleterre; il se hâta de se préparer au départ, fit connaître au roi l'innocence de ses intentions, et lui exposa humblement les motifs de son voyage. Le roi en étant instruit tint conseil, et fit savoir à Baudouin que, puisqu'il n'était point venu à main armée, il pouvait entrer dans le royaume et se rendre à Londres, où lui-même irait honorablement à sa rencontre. L'empereur arriva donc à Londres le dixième jour avant les calendes de mai. Ayant rencontré le roi à Woodstock, et ayant été admis au baiser, il expliqua, tant au roi qu'au comte Richard, les motifs de sa venue. Il s'ensuivit que quand il quitta le roi et le comte Richard, il fut comblé de riches et nombreux présents, et remporta avec lui sept cents marcs d'argent environ.

(346) A la même époque, le seigneur légat étant venu à Oxford, et ayant été reçu avec grand honneur, comme il convenait, logea dans la maison des chanoines, autrement dite l'abbaye d'Oseney. Les clercs écoliers firent remettre au légat, avant l'heure du dîner, un cadeau convenable en aliments et en boissons, et après le dîner ils se rendirent à son logis pour le saluer et le visiter respectueusement. A leur arrivée, le portier, qui était Italien, voulut faire le mauvais plaisant: ce qui était aussi inconvenant que dangereux; et élevant la voix selon la coutume des Romains, il leur dit en tenant la porte entrouverte: «Que cherchez vous-ici? — Le seigneur légat, répondirent les clercs: nous venons pour le saluer.» En effet, ils croyaient bonnement qu'on allait leur rendre honneur pour honneur. Mais le portier se mit à leur dire des injures et leur refusa obstinément l'entrée avec orgueil et en abusant [du nom de son maître]. Ce que voyant, les clercs se poussèrent les uns contre les autres et entrèrent de force: les Romains voulant s'y opposer, on en vint aux coups de poings et aux coups de bâtons. Au milieu de ce conflit de coups et d'invectives, il arriva qu'un pauvre chapelain irlandais ayant pénétré à la porte de la cuisine, demanda avec instance, comme le font les pauvres et les affamés, qu'on lui donnât quelque chose de bon pour l'amour de Dieu. Alors le chef des cuisiniers du légat (qui était le propre frère du légat et à qui celui-ci avait confié cet office comme à l'homme le plus capable de le remplir, et de peur qu'on ne lui servît quelque mets (347) empoisonné, ce qu'il redoutait par-dessus tout), entendit, mais n'exauça pas la demande de ce pauvre homme, et se mettant en colère contre lui, il lui jeta au visage de l'eau bouillante puisée dans une casserole où des viandes grasses étaient en train de cuire. A la vue de cet outrage, un clerc, qui était né sur les confins du pays de Galles, s'écria: «Quelle honte! Comment souffrons-nous cela?» Aussitôt tendant un arc qu'il portait (car pendant que le tumulte augmentait, quelques-uns des clercs avaient saisi les armes qui leur étaient tombées sous la main), il perça de part en part avec sa flèche le corps du cuisinier, que les clercs appelaient, par raillerie, Nabuzardan, c'est-à-dire prince des cuisiniers. Le légat, stupéfait de cet événement et saisi d'une crainte bien naturelle en pareil cas chez l'homme même le plus ferme, se retira, vêtu de sa chape canoniale, dans le clocher de l'église, et fit fermer les portes derrière lui. Puis quand les ombres d'une nuit épaisse eurent mis fin au tumulte du combat, le légat, se dépouillant de ses habits canoniaux, monta lestement sur son meilleur cheval, et se mettant sous la conduite de gens qui connaissaient les gués les plus secrets, il traversa, non sans péril, un fleuve qui se trouve près d'Oxford, afin de se réfugier au plus vite sous la protection des ailes du roi. De leur côté, les clercs, transportés de fureur, cherchaient sans relâche le légat dans les retraites les plus cachées de la maison, criant et disant: «Où est-il cet usurier, ce simoniaque, ce ravisseur de revenus, cet homme (348) qui a soif d'argent, qui séduit l'esprit du roi, bouleverse le royaume, et enrichit les étrangers avec nos dépouilles?» Les clameurs de ceux qui le menaçaient parvenaient jusqu'au légat dans sa fuite, et il dut répéter en lui-même:

Quand la fureur est en course, il faut céder à la fureur qui court.

Ainsi souffrant tout avec patience, il devint comme un homme qui n'entend pas et qui n'a pas dans la bouche de quoi répliquer. A peine eut-il traversé le fleuve, comme nous l'avons dit, accompagné de peu de monde (car le passage était difficile et le reste de sa suite se tenait caché dans l'abbaye), il courut vers le roi, sans reprendre haleine, et tout troublé: alors il lui exposa en pleurant, et avec des paroles entrecoupées de sanglots, ce qui s'était passé, et se plaignit amèrement de cet attentat, tant auprès du roi qu'auprès de ceux qui l'entouraient. Le roi étonné de ce rapport et de ces plaintes, compatit à sa douleur, et chargea le comte de Warenne de se rendre en toute hâte à Oxford, avec une troupe de gens d'armes, pour délivrer les Romains qui se tenaient cachés, et se saisir des écoliers. Parmi ceux qui furent entraînés violemment et ignominieusement enchaînés dans le château de Wallingford, à quelque distance d'Oxford, se trouvait maître Eudes, légiste, et trente autres avec lui. Le légat, de son côté, débarrassé de la corde [qui lui serrait déjà le cou?] convoqua quelques évêques et mit la ville d'Oxford en interdit, excommuniant tous ceux qui avaient participé à cette violence. Les (349) prisonniers lurent ensuite transférés à Londres sur des chariots, comme des brigands, remis à la disposition du légat, enfermés dans une prison, sous bonne garde et aux fers, dépouillés de leurs revenus, et placés sous le poids de l'anathème.

Alors le légat, qui avait eu l'intention de se diriger vers le nord de l'Angleterre, changea d'avis et revint à Londres. Ce fut à peine s'il osa loger dans l'hôtel royal de l'évêque de Durham, où il demeurait ordinairement. Aussi le roi signifia aux bourgeois de Londres qu'ils eussent à veiller soigneusement, et à main armée, autour du logis du légat; ordonnant au maire de la ville et à tous les citoyens, de le garder comme la prunelle de leurs, yeux.

Le légat convoqua donc, eu vertu de l'autorité dont il était revêtu, et en termes précis, l'archevêque d'York, et tous les évêques d'Angleterre, leur enjoignant de se rassembler à Londres, pour le seizième jour avant les calendes de juin, afin d'y traiter en commun de l'état de l'église et du clergé qui était en péril. Tous étant réunis au jour fixé, les évêques s'occupèrent avec le plus grand soin d'assurer le sort de l'université cléricale, comme s'il s'agissait d'une seconde église; et le légat condescendit à leurs vœux, sauf toutefois l'honneur de l'église romaine, pour qu'on ne pût dire avec le ton du blâme que lui, qui était venu pour réformer le clergé et l'église, avait plutôt contribué à les déformer. Enfin les évêques, et généralement le clergé qui assistait à cette assemblée, firent entendre au (350) légat que c'étaient ses propres domestiques qui avaient commencé le combat; qu'en définitive les clercs avaient eu le dessous; que de plus une grande partie d'entre eux avait été emprisonnée selon son désir; que le reste obéissant à ses ordres, était disposé à se retirer humblement dans un lieu éloigné d'Oxford, de trois journées de marche environ; qu'enfin sur la demande de tant et de si respectables personnages, il devait pencher vers la clémence. Il fut donc convenu que le légat leur octroierait merci aux conditions suivantes: à savoir que tous les écoliers réunis à Londres iraient à pied, accompagnés par les évêques aussi à pied, depuis l'église de Saint-Paul qui était éloignée d'un mille environ de l'hôtel du légat, jusqu'à l'hôtel de l'évêque de Carlisle; qu'arrivés là ils s'avanceraient sans capes, sans manteaux et sans chaussures jusqu'à l'hôtel du légat, qu'ils lui demanderaient humblement pardon; qu'ils obtiendraient alors merci et pardon, et qu'ils se réconcilieraient avec lui: ce qui fut fait. Or, le seigneur légat, voyant cette humiliation, les reçut en grâce, rétablit l'Université dans l'ancien lien de sa résidence, leva, avec miséricorde et bonté, l'interdit et la sentence d'excommunication, et accorda même aux clercs des lettres [de réhabilitation] pour que nul désormais ne put leur faire outrage ou reproche.

Cette même année, aussitôt après Pâques, le seigneur roi d'Angleterre envoya au seigneur empereur, pour l'aider dans sa guerre contre les rebelles d'Italie, un corps de troupes sous le commandement (351) de Henri de Trubleville, homme très-noble dans l'art militaire. Il envoya aussi avec lui Jean Mansel et Guillaume Hardel, clerc et citoyen de Londres, qui étaient porteurs de l'argent destiné à ces auxiliaires. L'armée du roi se comporta vaillamment au service de l'empereur, pendant tout l'été; elle triompha de la résistance de quelques villes qui refusaient de se soumettre, et qui rentrèrent sous les lois de l'empire. En cette occasion le susdit Jean Mansel se distingua beaucoup. Le pape vit avec peine cette intervention, et vers le même temps le roi ayant envoyé au pape une fort belle lettre où il le priait de se montrer plus traitable envers le seigneur empereur, le pape fut très-peu satisfait de cette missive, et répondit avec une aigreur inconvenante. Il se laissa même entraîner à une si grande colère, que pendant quelque temps toutes les affaires, particulièrement celles des Anglais, furent suspendues. L'évêque élu a Valence, ayant appris que ce corps d'armée devait partir pour l'Italie, eut l'adresse de se faire associer au commandement de ces troupes, avec le seigneur Henri de Trubleville, et passa la mer en même temps que lui.

Vers le même temps, le seigneur Baudouin, empereur de Constantinople, dont nous avons parlé plus haut, ayant obtenu cinq cents marcs du roi, et une grosse somme d'argent du comte Richard, retourna dans ses états. A la même époque, l'évêque élu à Valence, voyant que son séjour en Angleterre ne plaisait à personne, passa la mer bon gré, mal gré, (352) mais du moins après avoir eu l'adresse de bien remplir ses coffres, et de se faire donner par le roi de l'or, de l'argent et des joyaux, formant la charge de plusieurs chevaux.

suite

(102Blithe (?), Market-Town avec un château, Nottinghamshire. (Camden.) Au reste, il y a en Angleterre plusieurs lieux du nom de Blith.

(103 Bauséan était le nom de la bannière des templiers qui était moitié noire et moitié blanche, pour signifier, dit-on, qu'ils étaient noirs c'est-à-dire terribles contre les infidèles, mais qu'ils étaient doux et bienveillants à l'égard des chrétiens. (Walter-Scott, note d’Ivanhoé.)

(104) Labefactabat. Je propose et traduit labefactabit.

(105) A cette bataille de Cortenuova, Frédéric, en effet, fit prisonnier Pietro Tiépolo, fils de Jacobo, doge de Venise, son plus plus grand ennemi, qui était podestat et gouverneur de Milan. Le vainqueur, à l'imitation des anciens Romains, monta dans un char de triomphe, et fit son entrée dans Crémone avec toute la pompe possible. Tiépolo était attaché par le cou avec une corde et suivait le char. Il fut pendu quelque temps après. Frédéric avait rapporté de la croisade des habitudes sanguinaires, à en juger par sa cruauté envers son fils Henri, et par les sanglantes exécutions d'Ezzelino de Romano.

(106) Je propose et traduis: institorum au lieu d'institutorum.

(107) Priorum exemplis humiliati. Le sens est douteux.

(108) Milan, Faënza, Plaisance, Brescia.

(109) Nous pensons que Matt. Pâris revient ici sur l'impôt dont il a été question au commencement de l'année, et reprend les faits pour en faire mieux comprendre la suite.

(110) Nous présumons qu'on entendait par taux royal (régate pretium) cette forme de collecte dont il est question au commencement de l'année (Voy. page 201) et dont le détail est donné par le bref de Henri III (pag. 502 et suiv. du troisième volume); tandis que l'estimation approximative désignée par ces mots commun» valor, laissait aux collecteurs une plus grande latitude pour léser les intérêts dés contribuables.

(111) «Collecte signifie aussi une oraison qui se dit à la messe après l'offrande, eo quod colligantur oblationes, collecta. En général, toutes les oraisons qu'on dit à la messe ou à l'office, s'appellent collectes, soit parce que le prêtre parle au nom de tout le peuple dont il ramasse les sentiments et les désirs par ce mot oremus (prions), comme le remarque le pape Innocent III, soit parce que ces prières se font lorsque le peuple est assemblé, comme dit Pamélius sur Tertullien.» (Dict. de Trévoux.)

(112) Adopté pour cette phrase l'addition volumina, en rétablissant la ponctuation fautive.

(113 La distinction des personnes et des vicaires est d'une date incertaine; on la trouve établie au concile d'Oxford, en 1222; c'est ce qui fait dire au légat qu'il se bornera à restreindre cet abus déjà invétéré. Le terme honorifique de personne, s'introduisit dans l'église pour désigner le curé primitif, c'est-à-dire celui dont le bénéfice ayant charge d'âmes, a été converti en bénéfice simple, tandis que le soin des âmes a été laissé à un vicaire perpétuel avec portion congrue. Aussi personatus s'employait-il indifféremment pour désigner le titre ou le bénéfice lui-même. Cependant on trouve aussi fort souvent persona dans le sens de curé (rector, capellanus, parochus); mais tel n'est point son sens dans tout le passage. A mesure que l'église se réforma, le titre de persons ou parsons, en Angleterre, fut affecté aux seuls curés, et non aux curés primitifs dont la qualité était odieuse parce qu'elle était donnée généralement à des étrangers.

(114) Maître équivaut, je pense, à notre mot curé: Magister dans le sens de recteur.

(115) Je change la ponctuation qui me semble inadmissible.

(116) C'est-à-dire la nomination à la cure d'une église.

(117) Adopté les variantes pour cette phrase.

(118Adopté la variante editam au lieu d'edicta.

(119) Diximus. Duximus. Édition de 1571.

(120) Sub. Nom proposons huic.

(121) Filii au lieu de fidelii, édition de 1571. Je ne serais pas éloigné de croire que ces mots: ad terminos suos revertentes retombent sur filii, et présentent une allusion à l'enfant prodigue.

(122) Cognitor, celui qui agit pour la partie présente; procurator, celui qui agit pour la partie absente.

(123) Ce terme générique serrait à désigner les valets et surtout ceux qui suivaient l'année. Foote voye, Horle voye, auj. boy. Bien que l'on trouve quelquefois le garcio sur la même ligne que le scutifer, les désordres et la licence de cette classe d'hommes les firent assimiler aux ribauds et coureurs de filles {mauvais garnements). C'était une épithète des plus insultantes, comme le prouvent une foule de passages, et entre autres celui-ci, digne de Rabelais: «disant, qu'ils n'estoient que merdailles et garçonnailles.» Au treizième siècle, ce mot n'avait pas encore un sens aussi grossier, ou du moins s'employait surtout pour désigner un novice, sans expérience, un apprenti, un garçon dans le sens moderne. Nous verrons les templiers donner ce nom au propre frère d'Henri III.

(124) Adopté la variante ac signantur, au lieu de assignantur.

(125 Ce terme est resté dans notre droit civil. [Voy. le titre des Absents.) On trouve quelquefois, dans les chartes du moyen âge, le mot missus employé seul pour désigner des fonctions analogues, c'est-à-dire le procureur qui administre la chose d'autrui (le miseur).

(126) Tout en donnant la traduction exacte du latin, faisons remarquer qu'il s'agit ici de ce que l'on appelait au moyen âge les advoués, et que le terme d'avocat, restreint à ceux qui plaidaient dans les tribunaux civils, ne s'introduisit que beaucoup plus tard. Au temps de la conquête, les Romains et tous les ecclésiastiques qui suivaient la loi romaine, se choisirent des défenseurs parmi les principaux des barbares, on les appela advocati, avoués. (Se aucuns savoé hons le roy. Si quis nostram commendationem expectivit. Ordonnances passim.) Mais ils doivent leur origine aux avocats, et ils en faisaient réellement les fonctions. Les prélats, les abbés, et même les abbesses étaient obligés d'avoir un advocatus pour leurs causes. Cet advocatus conduisait aussi à l'armée les troupes que fournissaient les fiefs ecclésiastiques; et il paraît, du moins en France, avoir eu une sorte de juridiction en matière de police; ce qui se rapproche des advocati magistrats municipaux, dont on retrouve encore aujourd'hui le nom dans les avoyers des villes suisses. Spelmann distingue deux sortes d'avoués des églises; les uns qu'il appelle avoués des causes et des procès (advocati causarum), ce sont évidemment ceux dont il est question dans le texte, les autres, qu'il nomme avoués du territoire (advocati soli); ceux-ci étaient héréditaires, ceux-là étaient élus par le prélat ou l'abbé qui parait avoir eu la facilité de les destituer et d'en nommer d'autres. Les avoués de la seconde classe étaient les fondateurs des églises ou leurs héritiers désignés généralement sous le nom de patrons. En ce sens, les femmes étaient aussi avouées et avaient droit de présentation. Nous n'insisterons pas sur plusieurs titres particuliers, tels que ceux d'avoués libres, d'avoués matriculaires (c'est-à-dire de l'église cathédrale), d'avoués des grains (granarii), etc. [Voy. Ducange, Carpentier, Gloss. supp., et le Dict. de Trévoux.)

(127Admitttantur. Probablement admittatur, et de même au singulier dans la suite de la phrase.

(128) Nous adoptons pour cette phrase l'addition, la rectification et la ponctuation de la variante.

(129) Expedita militia, dit le texte.

(130) Cartium. L'édition de 1571 donne carrium.

(131 Frédéric II fit présent au Capitale de ce carroccio, et c'est à cette époque qu'il fit nommer à Rome un sénateur dévoué à ses intérêts. Muratori qui rapporte ce fait curieux d'après deux chroniques italiennes, cite les vers qui accompagnèrent le présent impérial.

Ave decus orbis, ave! Victus tibi destinor, ave!
Cwrrus ab Augusto Frederico Cœsare justo.
Vae Medioianum! jam sentis spernere vanum
Imperii viret, proprias tibi tollere vires.
Ergo triumphorum urbe potes memor esse priorum
Quos tibi mittebant reges qui bella gerebant.

On retrouva, en 1737, une copie en marbre de ce carroocio.

(132) Duorum tantum fuit consilio, tertio annuente, quin verius gressu prœcedende consilium, et cocis prœcedentibus cum tractatu. Cocis. Probablement causis. Tout ce passage est indéchiffrable.

(133) Innidetur. Probablement innititur. Nous avons essayé de traduire aussi littéralement que possible cette singulière épitre, dont le sens général seulement peut être clair pour nous, et qui est un monument assez curieux du style diplomatique de l'époque.

(134) Nous pensons, avec Guillaume Watts (advers. hic), qu'il s'agit ici des agents pontificaux envoyés à Antioche pour suivre la négociation entamée au sujet de la réunion des églises, et qui étaient retenus peu satisfaits du résultat de leur mission. Le patriarche d'Antioche alla même jusqu'à excommunier le pape, au commencement de l'année 1238, et du consentement de Germain, archevêque de Constantinople; mais il rentra ensuite dans l'église catholique, puisqu'il assista bientôt au concile de Lyon, en 1243.

(135Je crois deviner, mais le texte est fautif: conficiunt de fermentator. Probablement fermentato.

(136) Pourquoi dans le Nord?

(137) Privigni, dit le texte.

(138)  Je propose et traduis quam au lieu de quos.

(139Le sixième concile général, tenu à Constantinople, en 681, consacra les deux volontés en Jésus-Christ, et prépara la réunion des deux églises en ce qui touche le dogme de l'incarnation. La question des images vint ensuite troubler une bonne harmonie qui ne pouvait être durable, et les papes se séparèrent définitivement des Grecs, en donnant l'empire à Charlemagne. Aussi l'animosité ne tarda pas à s'enflammer au sujet de la procession du Saint-Esprit et de variations plus ou moins importantes dans la discipline. Les papas, c'est-à-dire le clergé paroissial de Constantinople, jouissaient de la société conjugale des femmes qu'ils avaient épousées avant d'entrer dans les ordres sacrés. Le clergé grec repoussait l'usage du pain azyme, le jeûne du samedi, l'usage des viandes d'animaux étouffés on étranglés, l'anneau des évêques, la barbe rase des prêtres, etc. A la fin du neuvième siècle, le patriarche Photius refusa de reconnaître la suprématie du pape de Rome. Michel Cérularius, un de ses successeurs qui avait excommunié les Latins comme azymites, fut excommunié solennellement à son tour, dans l'église de Sainte-Sophie, par les légats romains, le 16 juillet 1054, et la sentence s'appuya sur les sept mortelles hérésies des Grecs. Ceux-ci montrèrent au temps des croisades leur antipathie invétérée. Les patriarches ne craignirent point de prêcher qu'on pouvait tuer les Latins pour obtenir la rémission des péchés, et on purifia les autels qu'avaient souillés les prêtres occidentaux. Manuel Comnène, par politique, annonça le désir de réunir les deux églises; mais le massacre des Latins, qui signala l'élévation d'Andronic (1183), prouva les difficultés d'une pareille réconciliation. Quand les Latins devinrent maîtres de Constantinople, la présence des vainqueurs ne dut point changer les dispositions de la masse du peuple, et la haine contre les Latins vécut à Trébisonde et à Nicée, entretenue par des patriarches que la conquête tenait écartés de leur siège. Jean Ducas Vatacès, allié des Turcs et de Frédéric II, autorisa les négociations dont il est ici question, probablement pour arrêter les projets de croisade dont le pape le menaçait, et donna un exemple suivi sans plus de succès ou de bonne foi, par Michel Paléologue (1277-1283.)

(140) Le texte ajoute in lacum, ce que je ne puis comprendre; peut-être est-ce une allusion à la citerne.

(141) Le patriarche fait allusion ici à quelques moines grecs de l'Ile de Chypre qui, après trois ans de prison, avaient été brûlés. Depuis que cette ile était sous la domination des Latins, le clergé latin persécutait cruellement le clergé grec, et la nécessité de fixer les rapports des deux clergés ainsi que l'exercice du culte grec entraîna de longues négociations sous Grégoire IX et Innocent IV. Saint Louis s'occupa des affaires de l'ile pendant son séjour en Chypre. Cette affaire fut terminée vers 1254, et l'archevêque de Nicosie, avec ses suffragants latins, eut ordre de ne pas inquiéter les évêques grecs.

(142) Loci. Loti dit l'édition de 1571.

(143) Digne. Igne. Adopté pour ces citations la traduction de Sacy.

(144) Sicut. Probablement sitis.

(145) Allusion à l’Évangile et au reniement de saint Pierre: «Une servante lui dit: Vous étiez avec Jésus de Galilée, etc.»

(146) Ces deux noms se rapprochent peu des mots latins Hiberi, Lazi. Mais Iberia (Eoa) veut dire la Géorgie, et Lazica, la Mingrélie. (Vosgien et Chaudon, Dict. Géog.)

(147) Je propose et traduit secando au lieu de secundo, en ajoutant non.

(148) Le pape fait ici allusion à la dépendance constante de l'église grecque à l'égard des empereurs de Constantinople qui dominaient les conciles rendaient des édita pour régler la foi, et disposaient à leur gré des dignités et surtout du patriarchat. Il oppose tacitement à cette servitude la liberté conquise par les pontifes romains, et la puissance qu'ils ont obtenue même contre les empereurs allemands, successeurs des Césars et de Charlemagne.

(149) Regira. Probablement regus.

(150) Saint Luc, 15.

(151) Pourquoi l'an sixième? le pontificat de Grégoire IX dura de 1227 à 1241; or, cette date nous reporte à l'an 1233 qui est sans doute le commencement des négociations.

(152) Genèse, IV.

(153) C'est le nom de la couverture de l'arche d'alliance dans la Bible.

(154) Le pape fait sans aucun doute allusion aux controverses théologiques sur les deux natures, et s'explique dans le sens du concile de Chalcédoine: Le Christ en une personne, mais en deux natures.

(155) Saint Paul évidemment.

(156) Remanere. Probablement remeare.

(157) Adopté Gloverniœ au lieu de Boloniœ.

(158) Il dit Aliénor II parce que Aliénor Ire était la femme de Henri II.

(159) Pétitoire, action en demande de fonds on de propriété; possessoire, en demande de possession.

(160) Convenue: citare in jus. Vieux mot convenir.

(161) Troisième fils de Pierre de Courtenay et d'Ioande de Namur, sortir des deux premiers empereurs latins.