Paris

MATTHIEU PARIS

 

GRANDE CHRONIQUE : TOME QUATRIEME : PARTIE IV

tome quatriè partie III - tome quatrième partie V

Œuvre mise en page par Patrick Hoffman

GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

 

TRADUITE EN FRANÇAIS

PAR A. HUILLARD-BRÉHOLLES,

 

ACCOMPAGNEE DE NOTES,

ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION

 

PAR M. LE DUC DE LUYNES,

Membre de l'Institut.

 

TOME QUATRIÈME.

 

PARIS,

PAULIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR,

33, RUE DE SEINE-SAlNT-GERMAIN.

1840.

 

 

GRANDE CHRONIQUE

DE

MATTHIEU PARIS

(historia major anglorum).

 

 

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Mort du Soudan d'Egypte. — Simon de Montfort fait autoriser son mariage par le pape. — Invasion des Tartares dans le nord. — Vers le même temps, le très-puissant soudan qui, au moment de mourir, légua libéralement de très-riches revenus et une forte somme d'argent aux chrétiens pauvres et malades demeurant dans la maison des Hospitaliers, qui avait rendu à la liberté une foule d'esclaves détenus dans les fers, et qui avait fait plusieurs autres œuvres de charité, rendit le dernier soupir, non sans exciter de nombreux regrets. En effet c'était un homme aimant la vérité, quoique païen, fort généreux, et disposé à épargner les chrétiens, autant que la sévérité de sa loi et la jalousie de ses voisins le lui permettaient. L'empereur des Romains Frédéric, ayant appris cette nouvelle, fut inconsolable de la mort du soudan, et cet événement lui fit verser longtemps des larmes amères. En effet il espérait que le Soudan, comme il le lui avait promis, recevrait le sacrement du baptême, et que la chrétienté tirerait un jour grand profit et grande prospérité de cette conversion.

Cependant Simon de Montfort, secondé par la faveur de l'empereur et muni de lettres de recommandation, s'était transporte à la cour romaine. Là, (353) à force d'argent et en en promettant plus encore, il obtint du pape que, nonobstant le vœu fait solennellement devant Edmond, archevêque de Cantorbéry, il lui serait permis de jouir d'embrassements illicites. Le seigneur pape écrivit au légat Othon qu'il prononçât sentence solennelle en faveur dudit Simon de Montfort. A cette nouvelle, frère Guillaume d'Abingdon, de l'ordre des Prêcheurs, et beaucoup d'autres, gens de mérite et ayant le zèle de Dieu devant les yeux, s'élevèrent contre cette sentence, déclarant en vérité que la sainteté du pape était circonvenue, que les âmes étaient en péril, et qu'on se jouait de Jésus-Christ. «En effet, disaient-ils, il est vrai, comme le prétend la partie adverse, que la femme dont il s'agit n'a pris ni l'habit ni le voile; mais cependant elle a reçu l'anneau par lequel elle s'est soumise, ou plutôt mariée au Christ: ainsi elle est unie d'une manière indissoluble au Christ son époux.» Le passage suivant, tiré du livre des Sentences de maître Pierre [Lombard], au chapitre des vœux, dans le livre quatrième, le prouve d'une manière authentique. Dans ce passage, après avoir donné ses raisons, et cité les autorités des saints Pères et des canons, il ajoute: «Il résulte évidemment de cela que les vierges ou les veuves liées par le vœu. de continence, soit qu'elles aient pris le voile ou non, ne peuvent en aucune façon contracter mariage. La même décision est applicable à tous ceux qui ont fait vœu de continence.» Or, ce qui était permis avant le vœu, n'est plus permis (354) après le vœu. Mais sans doute la cour romaine sut user de subtilités qu'il ne nous est pas donné de comprendre.

Vers le même temps, une ambassade solennelle de Sarrasins fut envoyée au roi de France pour lui annoncer et lui raconter en vérité, principalement de la part du Vieux de la Montagne, qu'une certaine race d'hommes monstrueux et cruels était descendue des montagnes du nord; qu'elle avait envahi une vaste et riche étendue de terres en Orient; qu'elle avait dépeuplé la Grande Hongrie et qu'elle avait envoyé partout des lettres comminatoires et des ambassades terribles. Leur chef se disait l'envoyé du Très-Haut pour dompter les nations rebelles. Ces barbares ont de grosses têtes tout à fait disproportionnées pour leurs corps: ils se nourrissent de chair crue et même de chair humaine. Ce sont d'incomparables lanceurs de flèches; ils traversent les fleuves, quels qu'ils soient, sur des barques de cuir qu'ils portent avec-eux; ils sont robustes et de grande taille, impies et inexorables; leur langue ne se rapproche d'aucune de celles que nous connaissons, ils sont fort riches en bestiaux, en grands troupeaux et en montures; ils ont des chevaux très-rapides, qui peuvent en un, seul jour parcourir l'espace de trois journées de marche; ils sont bien armés par devant et sans armure par derrière pour que la fuite leur soit interdite. Leur chef, qui est très-féroce, s'appelle Caan162. (355) Ils habitent les contrées du septentrion et viennent soit des montagnes Caspiennes, soit des montagnes voisines; on les appelle Tartares, du nom du fleuve Tar. Trop nombreux pour le malheur des hommes, ils semblent sortir de terre en bouillonnant: déjà ils avaient fait des incursions à plusieurs reprises, mais cette année ils se répandirent avec plus de fureur qu'à l'ordinaire. Aussi ceux qui habitent la Gothie et la Frise, redoutant163 les invasions de ces barbares, ne (356) vinrent point en Angleterre selon leur coutume, à l'époque de la pèche du hareng, denrée dont ils chargeaient ordinairement leurs vaisseaux à Yarmouth. Il s'ensuivit que cette année-là, le hareng se donna pour rien en Angleterre, à cause de son abondance; en sorte que dans les contrées même éloignées de la mer, on en vendait pour une seule pièce d'argent, jusqu'à quarante et cinquante à la fois et des plus frais. L'ambassadeur sarrasin, homme puissant et d'illustre naissance, s'était donc rendu auprès du roi de France, avec mission, de la part de tous les princes orientaux, d'annoncer ce qui se passait et de demander secours aux Occidentaux, afin d'être plus en état de repousser la fureur des Tartares. Cet ambassadeur chargea aussi un des Sarrasins qui l'avaient accompagné, d'aller trouver le roi d'Angleterre, de lui raconter ce qui se passait, et de lui dire que si les Sarrasins ne parvenaient point à arrêter l'invasion de ces barbares, ceux-ci n'auraient plus qu'à dévaster les pays de l'Occident, selon cette maxime du poëte: «Quand brûle la maison du voisin, songe alors à la tienne.» Le député demanda donc dans une circonstance si pressante et qui intéressait le monde entier, que les Sarrasins soutenus. par les secours des chrétiens, pussent repousser les attaques de l'ennemi commun. L'évêque de Winchester, qui avait pris la croix et qui assistait pur hasard à cette entrevue, prit la parole et répondit avec esprit: «Laissons ces chiens se dévorer les uns les autres et s'exterminer réciproquement. Quand à notre tour nous en viendrons aux mains avec (357) ceux de ces ennemis du Christ qui auront survécu, nous les massacrerons, nous en purgerons la face de la terre; afin que le monde entier soit soumis à la seule église catholique, et qu'il n'y ait plus qu'un seul pasteur et qu'un seul troupeau.»

Mort de Pierre des Roches, évêque de Winchester. — Siège de Milan. — Retour de Rome de l'archevêque de Cantorbéry. — Motifs de son voyage. — Cette même année, le cinquième jour avant les ides de juin, mourut l'évêque de Winchester, Pierre des Roches; ce prélat, après avoir gouverné noblement l'église de Winchester pendant près de trente-deux ans, après avoir accompli d'une manière louable, de concert avec l'évêque d'Exeter, son vœu de pèlerinage en Terre-Sainte, après avoir construit plusieurs maisons de religieux, rendit plein de jours le dernier soupir dans son manoir de Fernham, non sans avoir eu le temps d'écrire son testament. Il fut enterré dans son église de Winchester où, même de son vivant, il s'était choisi une humble sépulture. La mort de cet évêque causa une perte irréparable à tous ceux qui composaient en Angleterre, tant le conseil du roi que le conseil ecclésiastique. Il ne faut pas oublier que dans la Terre-Sainte, à l'arrivée de l'empereur Frédéric, tout ce qui tourna à l'honneur ou au profit de l'église, soit par paix, soit par trêve, soit même par guerre, fut magnifiquement amené et prudemment effectué par le conseil et l'aide de ce même évêque. Plus tard, quand des dissensions s'élevèrent (358) entre le seigneur pape et l'empereur, et menacèrent de ruiner l'église entière, le même évêque, par la grâce de Dieu, rétablit heureusement la paix entre de si nobles personnages. Voici les noms des maisons religieuses qu'il fonda et qu'il enrichit en possessions, en édifices, en revenus, après les avoir fondées: le monastère de Hales, de l'ordre des Prémontrés, celui de Tikeford, du même ordre; celui de Selburn, de l'ordre de Saint-Augustin, occupé par des chanoines réguliers, et le bel hôpital de Porstmouth. Dans la Terre-Sainte il transféra l'église du bienheureux Thomas martyr, d'un lieu incommode dans un lieu mieux disposé; il changea la règle des frères de cette église en une règle plus convenable; et, aidé par le concours du patriarche de Jérusalem, il fit en sorte que ces frères, qui auparavant étaient entièrement séculiers par les observances et par l'habit, porteraient désormais une croix sur la poitrine et seraient soumis à l'ordre des Templiers; il fortifia Joppé, cet illustre refuge des chrétiens. Dans le magnifique testament qu'il rédigea, il légua à chacune des fondations susdites de fortes sommes d'argent; si bien qu'il assigna, par exemple, cinq cents marcs à la maison de Saint-Thomas, à Acre; et ce fut celle à qui il donna le moins. En outre, il laissa à son successeur un riche évêché en plein état de prospérité: le nombre même des troupeaux de labour n'avait subi aucune diminution. Le roi, à la nouvelle de la mort de l’évêque Pierre, songea à lui donner pour successeur dans le même évêché, Guillaume, élu à (359) Valence; mais le couvent de Winchester, à qui appartient le droit d'élection, fit choix, contre le gré du roi, du chancelier Raoul de Nevil, évêque de Chicester, et le postula selon les règles. Le roi, sans respect pour la qualité du postulé, l'éloigna de son conseil et de sa cour, et lui enleva même le sceau royal qui avait été confié au chancelier susdit par l'assemblée générale du royaume: il réussit encore, au moyen de ses légistes appelés Romipètes164, à faire casser la postulation par le seigneur pape, non sans dépenser beaucoup d'argent.

A la même époque de l'année, presque tous les princes chrétiens envoyèrent des troupes auxiliaires à l'empereur, qui continuait à tenir les Milanais assiégés. Le roi d'Angleterre, son beau-frère, lui envoya cent chevaliers bien pourvus d'armes et de chevaux, ainsi qu'un fort subside en argent, sous la conduite de Henri de Trubleville. L'évêque élu à Valence, qui se connaissait mieux en armes matérielles qu'en armes spirituelles, conduisit aussi en toute hâte, au secours de l'empereur, les chevaliers que le comte de Toulouse ainsi que le comte de Provence avaient destinés à cet effet. Cependant l'empereur, entouré et secondé par de si vaillants hommes, étonna tout le monde par ses lenteurs, et perdit à ce siége un temps précieux. Il n'y eut qu'un seul combat important où Henri de Trubleville portant l'étendard triomphal du (360) roi d'Angleterre repoussa vigoureusement avec les Anglais qu'il commandait les efforts des ennemis, et força, contre toute espérance, les assaillants à prendre la fuite. Aussi l'empereur écrivit au roi pour le remercier, assurant que cette charge brillante lui avait sauvé et la vie et l'honneur. Peu de temps après, l'empereur se porta avec toute son armée au siège de Brescia qui donnait secours aux Milanais dans tous leurs besoins. Pendant ce temps les Milanais, ne prenant point de repos, entourèrent leur ville de retranchements extrêmement profonds, et n'en cessèrent pas moins de secourir fréquemment les habitants de Brescia. Ainsi s'écoula et se perdit la saison d'été; la saison d'hiver approchant, une trêve fut conclue du consentement des deux partis; et ceux qui étaient venus en aide à l'empereur, se retirèrent sans avoir rien fait. Or l'empereur, qui n'avait pu ni prendre d'assaut, ni soumettre à sa domination la ville de Brescia, petite en comparaison des autres, devint moins redoutable pour ses ennemis et moins respectable pour ses amis.

Vers le même temps, l'archevêque de Cantorbéry, Edmond, revint de la cour romaine en Angleterre. Il était allé à Rome, quoique avec l'agrément du couvent, pour y plaider contre les moines de Cantorbéry, et il avait obtenu du seigneur pape sentence en sa faveur. Il en résulta une discorde tout à fait scandaleuse et indécente entre le troupeau et le pasteur; et l'église eut à souffrir par une suspension ignominieuse de grands dommages et de la honte. Le légat, (361) ayant été appelé pour mettre ordre à ce désordre, et présidant le chapitre de Cantorbéry, s'occupa d'un certain écrit qui contenait un privilège obtenu au temps du bienheureux Thomas, et qui avait été brûlé témérairement. Il déposa, au sujet de cette affaire, le prieur de Cantorbéry, lui imposa un genre de vie plus rigoureux, avec ordre de faire pénitence perpétuelle dans le couvent, et dispersa quelques-uns des moines. Or ou prétendait que le prieur avait, par une fraude coupable, fait disparaître dans le susdit privilège des phrases qui le condamnaient évidemment et leur en avait substitué d'autres qui militaient en sa faveur. Mais comme de pareilles altérations dans un écrit si authentique ne pouvaient échapper à un examen attentif, un des frères eut la témérité de brûler cet écrit pour que le couvent n'encourût point l'accusation de fourberie et de faux. Aussi le légat, à qui l'archevêque avait parlé de cet écrit, ayant demandé qu'on le lui présentât, et les moines, qui ne pouvaient le montrer, ayant avoué malgré eux ce qu'ils en avaient fait, le légat, irrité à juste titre, voulut tirer vengeance d'un pareil attentat. Il priva le prieur, comme nous l'avons dit, de l'administration du couvent, dispersa quelques-uns des frères dont la culpabilité fut prouvée, et leur enjoignit de vivre dans l'austérité et dans une pénitence perpétuelle. Dans la suite, comme le prieur, contre la coutume ordinaire de la maison, était entré dans le chapitre, accompagné de séculiers, pour procéder à l'élection, et que le couvent s'était élu un prieur sans l'assentiment de l'archevêque, (362) l'archevêque, à cette nouvelle, réprouva et cassa l'élection, et enveloppa dans les liens, non-seulement de la suspension, mais encore de l'anathème, tout le couvent, principalement l'élu et les électeurs. Le couvent, de son côté, porta hardiment appel à la cour du seigneur pape contre l'archevêque.

Henri III s'efforce de faire nommer un étranger à l'évèché de Winchester. — Opposition des moines. — Nomination à l'évèché de Raoul, annulée à la demande du roi. — Dans le même temps, le roi, quoiqu'il eût déjà maintes lois juré d'abaisser les étrangers et non de les élever, s'employa le plus qu'il put, et avec plus de zèle qu'il ne fallait, pour que l'évêque élu à Valence, qui passait pour un homme de sang, fût promu et élu à l'évêché de Winchester. Les moines, à qui il est avéré que l'élection appartient d'après un droit antique, se promirent bien les uns aux autres de repousser un pareil choix, et, s'étant rendus auprès du roi, selon la coutume, ils lui demandèrent la permission de procéder à l'élection. Le roi, avant de leur répondre, les sollicita vivement au sujet de l'élection et de la promotion de l'évêque élu à Valence, qu'il appelait son oncle. Les moines, usant de dissimulation, demandèrent un délai pour délibérer sur ce sujet de concert avec le couvent, à qui appartenait l'élection. Mais le roi, sentant que le délai demandé était un moyen d'éluder ses prières, eut recours à ses sophismes ordinaires, et répondit aux moines: «Il m'a été rapporté que les deux archidiacres de l’é- (363) vêché de Winchester sont tenus d'assister à votre élection. Or je ne les vois point ici présents; donc je ne dois pas accéder à votre demande.» A cela les moines répondirent: «Quoique les archidiacres doivent assister à l'élection (ce qui déjà semble fort peu en harmonie avec la raison et avec la justice), ce n'est pas un motif pour qu'ils doivent assister à la postulation d'élection.» Ainsi le roi, quoiqu'il leur opposât de longs refus, ne put cependant résister à leur juste demande. Mais ensuite, ayant appris par des rapporta certains que les moines avaient, d'un commun accord, jeté les yeux sur Guillaume de Rale, homme recommandable en tous points, afin de l'élire pour évêque, et que tous déjà avaient donné leur consentement à cette élection, le roi, furieux, répondit avec emportement: «Vous avez repoussé l'évêque élu à Valence, disant que c'était un homme de sang, et vous avez choisi Guillaume de Rale, qui a tué bien plus de monde avec sa langue que l'autre avec l'épée.» Puis il jura dans un esprit d'orgueil et d'abus qu'il ne souffrirait jamais cela eu aucune façon. Les moines donc, redoutant l'indignation royale, renoncèrent à leur projet. Pendant ce temps, le roi fit démolir des édifices et des établissements qui appartenaient à l'évêché, et vint séjourner à plusieurs reprises, accompagné d'un nombreux corps de troupes, dans les manoirs de l'évêché.

Les moines de Winchester, voyant combien la vacance de leur église leur était funeste, s'occupèrent très-activement d'élire un pasteur. Le roi, en étant (364) instruit, accourut en toute hâte, et, entrant dans le chapitre avec une précipitation qui n'était ni convenable ni utile, il adressa des menaces au couvent, et promit de les effectuer, si son oncle, l'élu à Valence, n'était élu pour évêque. Les moines, voulant échapper avec prudence à l'indignation royale, essayèrent d'adoucir par des délais cette violente colère; mais, décidés aussi à ne pas cédera d'injustes exigences, ils postulèrent, d'un consentement unanime, pour évêque et pour pasteur de leurs âmes Raoul de Nevil, évêque de Chicester et chancelier du roi. Or le roi, voyant que ses sollicitations et ses prières avaient une seconde fois manqué d'effet, s'opposa à la juste postulation des moines, et prodigua les noms les plus injurieux audit évêque, disant que c'était un homme emporté, colère et méchant, et appelant imbéciles ceux qui l'avaient postulé pour évêque. De plus, le roi lui enleva violemment le sceau royal, que ledit évêque avait été chargé de garder, sur l'avis de rassemblée générale du royaume, et il le confia à frère Geoffroy, templier, et à Jean de Lexinton. Néanmoins il rendit et assigna audit évêque, à titre de chancelier, les émoluments qui étaient affectés à la chancellerie. Le roi, poursuivant l'effet de son ressentiment, envoya à la cour de Rome Simon le Normand et un séculier nommé Alexandre, qui tous deux étaient des légistes à ses gages. Ceux-ci, à force d'argent et de promesses, réussirent à priver un homme juste de son droit et à annuler un juste jugement en faisant casser à tort la susdite postulation.

(365) Tentative des Milanais pour se réconcilier avec l'empereur. — Célébrité de frère Jean, de l'ordre des Prêcheurs. — Un fou tente d'égorger le roi dans son lit. — Vent furieux. — Retour de Simon de Montfort en Angleterre. — Vers le même temps, les Milanais, redoutant la majesté impériale, envoyèrent une députation vers l'empereur, leur seigneur, lui demandant avec toutes les instances qu'ils purent de détourner d eux son indignation, lui qu'ils reconnaissaient ouvertement pour leur vrai et naturel seigneur, de cesser de les assiéger, et enfin de les aimer comme ses féaux, et de les protéger sous les ailes de sa magnifique protection; promettant, de leur côté, de le servir désormais comme leur empereur et seigneur avec le respect qui lui était dû; et s'engageant à lui concéder libéralement tout ce qu'ils possédaient en or et en argent, comme témoignage de leur obéissance, afin d'être reçus dans les bras de sa dilection, et afin qu'il ne se souvînt plus de leur ancienne rébellion; ils devaient de plus apporter tous leurs étendards aux pieds de l'empereur, et les brûler à ses yeux en signe de leur soumission, de leur obéissance et de leur défaite par l'empereur; ils consentaient enfin à lui fournir comme secours dans sa croisade de Terre-Sainte, et cela dans l'année, dix mille hommes d'armes pour contribuer à la grandeur de l'église et à l'honneur de l'empereur; à la seule condition qu'il chérirait les Milanais sans avoir contre eux aucun ressentiment, et que rien ne serait changé dans l'état de la cité et des citoyens. Mais le seigneur (366) empereur repoussa tontes ces propositions avec arrogance, et exigea d'une manière absolue que tous les citoyens sans exception se remissent eux, les leurs, leur ville et tous leurs biens à sa discrétion souveraine. Alors les Milanais répondirent unanimement à cet ordre tyrannique qu'ils ne s'y soumettraient en aucune façon, disant: «Nous savons trop par expérience quelle est ta férocité, et nous en avons peur: nous aimons mieux mourir derrière nos boucliers, soit par l'épée, soit par la lance, soit par la flèche guerrière, que de périr par la corde, par la faim, ou par les flammes.» Dès lors l'empereur commença à perdre la faveur d'un grand nombre de ses partisans, parce qu'il était devenu un tyran inexorable; et les Milanais méritèrent par leur humilité d'être relevés et fortifiés; selon cette maxime: «Dieu résiste aux superbes, mais il accorde sa grâce aux humbles.» Les habitants, voyant donc qu'il y allait de leurs têtes, redoublèrent d'activité pour bien se munir d'armes, pour fortifier leur ville par des retranchements, et pour resserrer leur alliance avec les autres villes.

Vers le même temps, un frère de l'ordre des Prêcheurs, nommé Jean, homme d'une science profonde, d'une grande éloquence, et doué du talent de convaincre en prêchant, avait acquis en Italie une brillante célébrité. Il apaisait les guerres qui divisaient les villes, et avait mérité que Dieu fît des miracles pour lui; il passait les fleuves à pied sec, et forçait d'un mot à descendre sur le sol les vautours volant au plus haut des airs. Mais enfin, par les arti- (367) fices du diable, il se laissa enivrer par sa réputation, et énerver par la société de ses amis charnels; et bientôt il perdit l'amour de Dieu, la vénération des hommes et l'estime des prélats.

Cette même année, le roi courut un danger dont le récit causa partout le plus grand étonnement. Le lendemain de la nativité de la bienheureuse Marie, un certain écuyer ès-lettres, à ce qu'on dit, se présenta à la cour du roi à Woodstock, et feignant d'être fou, dit au roi: «Rends-moi le royaume que tu as usurpé injustement et que tu détiens depuis longtemps;» et il ajouta qu'il portait sur l'épaule un signe royal. Les officiers royaux s'étant saisis de cet homme et voulant le jeter dehors après l'avoir bâtonné, le roi arrêta ceux qui s'étaient précipités sur lui et dit: «Laissez ce fou divaguer tout à son aise: les paroles de ces gens-là manquent de poids et de vérité.» Mais voilà qu'au milieu de la nuit, ce même individu s'introduisit par la fenêtre dans l'appartement du roi, et se dirigea comme un furieux vers le lit du roi en tenant à la main un couteau nu. Confus de ne l'avoir point trouvé en cet endroit, il se hâta de le chercher dans plusieurs chambres de l'appartement. Or il arriva, par une grâce de la Providence, que le roi en ce moment reposait tranquillement à côté de la reine. Cependant une jeune fille attachée au service de la reine, veillait par hasard cette nuit-là et récitait son psautier à la lueur d'une chandelle; car c'était une sainte fille consacrée à Dieu, qu'on appelait Marguerite Biset. A la vue de (368) ce furieux qui fouillait dans tous les coins de l'appartement pour égorger le roi, et qui répétait sans cesse d'une voix terrible: «Où est-il? est-il?» cette fille, saisie d'effroi, se mit à pousser des cris. Les officiers royaux, réveillés par ces cris d'alarme, accoururent en toute hâte, brisèrent la porte que ce misérable avait fermée solidement avec la barre, se saisirent de lui malgré sa résistance, le chargèrent de chaînes et le mirent à la torture. Il finit par avouer qu'il avait été envoyé en ce lieu par Guillaume du Marais, fils de Geoffroi du Marais, pour tuer le roi à la manière des Assassins; et il affirma que d'autres personnes encore étaient entrées dans ce complot. Instruit de cela, le roi ordonna qu'il fût tiré à quatre chevaux, comme coupable de meurtre sur la personne royale, dans la ville de Coventry, afin qu'il fournît un exemple terrible et un spectacle lamentable à tous ceux qui oseraient méditer de pareils crimes. Ce misérable fut d'abord écartélé, ensuite décapité, et son corps fut coupé en trois parties qui furent traînées dans chacune165 des principales villes d'Angleterre, et suspendues ensuite à la potence destinée aux brigands.

Vers la fête de saint Matthieu, il s'éleva un vent si violent et si funeste que, sans compter les autres dommages inestimables et irréparables qu'il causa, il submergea près de Porstmouth plus de vingt navires.

(369) Le jour de saint Calixte, Simon de Montfort revint des pays d'outremer. Le roi et tous les conseillers royaux l'embrassèrent et témoignèrent une grande joie de son retour. Mais lui se hâta d'aller joindre sa femme Aliénor qui était sur le point d'accoucher et qui demeurait à Kenilworth.

Les abbés de l'ordre Noir cités devant le légat. — Réforme des statuts de cet ordre. — Nouveaux statuts — Cette même année, le seigneur légat Othon convoqua, en vertu de l'autorité du seigneur pape, tous les abbés de l'ordre noir en Angleterre, leur ordonnant de se présenter devant lui à Londres dans l'église de saint Martin pour y entendre la lecture de plusieurs statuts que le seigneur pape avait établis après mûre délibération, et qui étaient relatifs à la réformation de l'ordre monastique.

Les abbés de l'ordre noir étant donc rassemblés, le seigneur légat ouvrit la séance par un beau discours, et après avoir exhorté tout le monde à la patience, il commença ainsi: «Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Comme c'est une œuvre grande et difficile que de protéger par des remparts nouveaux et élevés à neuf la cité de Dieu qui est la religion, contre lès embûches de l'ennemi rusé qui cherche sans cesse à s'en emparer, tant par les vieilles que par les nouvelles machinations; nous, Othon, par la miséricorde divine, cardinal-diacre de Saint-Nicolas en prison Tullienne, et légat du saint-siége (370) apostolique, d'après les devoirs de légation qui nous ont été imposés, et nous regardant comme capable de contribuer selon nos forces à une œuvre si utile, avons fait recueillir et rédiger quelques statuts tirés soit de la règle du saint père Benoît, soit des sacrés conciles et des sanctions canoniques, soit des statuts faits par les abbés de ce même ordre du bienheureux Benoît. Et si l'on observe les présents statuts, ils viendront en aide et en protection à notre sainte religion.

«Nous avons donc jugé d'abord à propos d'établir que nul ne devra être admis à l'avenir dans un monastère avant vingt ans accomplis, s'il s'agit de profession, et avant dix-neuf ans, s'il s'agit d'épreuve.

«Item, celui qui aura été admis pour épreuve devra faire profession aussitôt que l'année d'épreuve sera écoulée, ou bien sortir du monastère. Autrement, que l'abbé ou le prieur qui aura souffert que quelqu'un reste sans faire profession après ce terme d'une année, soit puni sévèrement par les présidents du chapitre, et que le novice n'en soit pas moins forcé à faire profession et qu'il soit déjà rangé au nombre des profès.

«Item, qu'on n'exige absolument rien de quiconque voudra entrer dans un monastère; mais que ceux qui devront être admis soient admis au simple nom de Dieu, et sans aucun pacte d'argent. On pourra cependant recevoir l'impétrant et ne point être en faute, si celui-ci offre quelque chose gratis sans y être tenu par aucun pacte, aucune exaction et aucune taxe.

(371) «Item, un moine à l'avenir ne devra rien avoir en propre, et s'il a quelque chose, qu'il le remette sans délai entre les mains de son supérieur.

«Item, qu'à l'avenir aucun moine ne prenne sur lui de recevoir de son supérieur aucun manoir ou autre possession à ferme; autrement il devra être regardé comme possédant quelque chose en propre, et puni comme tel.

«Item, que les moines ne séjournent point dans les manoirs, ni même dans les églises, à moins qu'ils ne soient plusieurs, deux pour le moins.

«Item, que des moines discrets et dignes de foi soient promus aux différents offices; qu'ils rendent fidèlement compte à leur supérieur, au moins trois fois l'an et en présence de quelques-uns des plus âgés, de leurs offices et de la manière dont ils auront administré; s'il y a alors quelque reliquat consistant soit en argent, soit en toute autre chose, qu'ils le rendent et qu'ils le remettent sans aucune difficulté et sans user d'aucun subterfuge entre les mains de leurs supérieurs: ceux qui iraient à l'encontre encourront la peine portée contre ceux qui ont quelque chose en propre.

«Que l'abbé ou que le prieur n'ayant pas d'abbé, rende pleinement compte de l'état du monastère et de la manière dont il a administré, au moins une fois l'an, en présence du couvent ou de quelques-uns des plus âgés délégués à cet effet par le couvent.

«Item, nous statuons que les prélats166. au moins une (372) fois l'an devront publiquement porter sentence d'excommunication dans le couvent contre tous ceux qui auront quelque chose en propre; et qu'ils les punissent, s'ils ne viennent point à résipiscence, surtout par le refus de la sépulture chrétienne.

«Item, nous statuons que le silence devra toujours être observé dans les lieux où cela se doit, ainsi qu'aux époques et qu'aux heures fixées. Tous les moines devront chercher à connaître tous les signes [extérieurs] nécessaires.

«De plus, comme l'usage des viandes est interdit aux moines de l'ordre noir, par la règle du bienheureux Benoît, par les statuts de nos pontifes (?)167, et par ceux des abbés d'Angleterre séants en chapitre général; et voulant enlever occasion et sujet de murmurer aux moines qui ont pris l'habitude mauvaise de se nourrir de viandes, nous enjoignons aux abbés et aux prieurs de chercher et de veiller à ce qu'à la place de cet aliment défendu une autre nourriture convenable soit fournie aux moines, selon les moyens de la maison.

«Item, que les moines, tant pour les habits que pour les couvertures de lit, se servent d'étoffes suffisantes et convenables, selon la règle et les moyens de la (373) maison; qu'ils ne fassent point usage de chemises et de capes de nuit en lin.

«Item, que les moines dorment tous ensemble, et qu'ils aient des lits disposés selon la règle; qu'une lumière soit toujours entretenue dans leurs dortoirs.

«Nous statuons et recommandons que l'hospitalité soit observée avec charité et gaieté, tant par les supérieurs que par les inférieurs, selon les statuts de la règle et les moyens de la maison; qu'un moine d'un caractère bienveillant et affectueux soit toujours chargé de cet office: nous statuons aussi l'observation de la même chose à l'égard des frères infirmes.

«Item, que tous les moines soient présents à toutes les heures consacrées au service divin, et surtout à collation et à complies; à moins que quelqu'un d'entre eux, retenu par un motif honorable, par les devoirs de l'hospitalité, par exemple, et muni d'une permission spéciale de son supérieur, ait cru nécessaire de s'absenter. Que les supérieurs s'efforcent de modérer autant qu'ils le pourront le nombre des chevaux et de la suite.

«Item, nous statuons que les abbés et les prieurs devront faire écrire continuellement, d'après la règle, les constitutions des souverains pontifes, surtout celles qui regardent eux et leurs ordres; lesquelles constitutions sont contenues dans la compilation du seigneur pape Grégoire IX, sous les titres qui suivent, à savoir: 1° Des séculiers qui passent en religion... de ta part. etc.. — 2° Nous statuons... — 3° De (374) peur que les religieux, etc. — 4° De l'état des moines... Que les moines... — 5° Quand... Au monastère, etc. — 6° Dans chaque province... — 7° Les choses qui... pour l'honneur de la religion... — 8° De la simonie. Puisque la contagion simoniaque... — 9° Les moines... — 10° De la sentence d'excommunication... De tous tant que vous êtes... 11° Comme l'absolution de ceux... — 12° Des religieuses... 13° Des cautions... Ce qui... à ceux qui... — 14° Des paiements... si... de quelques-uns...168

«Item, nous ordonnons formellement aux abbés et aux prieurs de faire leurs efforts pour savoir ladite règle de saint Benoît, et les décrétales et les constitutions susdites, de les avoir toujours avec eux, et même de veiller avec soin à ce que ceux qui leur sont soumis ne les ignorent pas.

«item, nous statuons et voulons que cela soit formellement observé, à savoir que, dans les couvents de quelques moines que ce soit, on fera tous les jours, à une heure convenable, une lecture, soit de ladite règle, soit desdites constitutions; et que cette lecture sera expliquée aux moins intelligents.

«1° Décrétale d'Honorius sur les séculiers qui passent en religion (dite ex parte tuà).

«Nous avons reçu avis de ta part, [disait] Honorius III à l'évêque d'Arezzo, et nous savons qu'il y a (375) certains individus qui n'ont point fait profession monastique, quoiqu'ils aient porté l'habit monacal pendant plusieurs années. Aussi, quand ils sont accusés, soit par toi, soit par d'autres, de posséder des biens en propre, et de vivre irrégulièrement sous les autres rapports, ils ne rougissent point de dire qu'ils ne169 sont tenus ni à la privation des biens possédés en propre, ni à la continence, ni aux autres observances régulières, puisque ce n'est point l'habit, mais la profession régulière qui fait le moine, etc.. C'est pourquoi nous recommandons à ta fraternité de forcer par la censure ecclésiastique tous ceux, sans distinction, qui te sont soumis en vertu de la loi diocésaine, et qui ne craignent point, en se conduisant ainsi, de marcher dans deux routes tout opposées; de les forcer, dis je, à faire profession selon les formes de l'ordre, et à observer la règle, dès qu'ils auront porté pendant une année l'habit monacal.

«2° Décrétale de Grégoire IX (dite Statuimus).

«Nous statuons que les novices faisant leur temps d'épreuve pourront librement revenir à leur ancien état avant d'avoir pris l'habit religieux, qui est donné ordinairement à ceux qui font profession, ou avant d'avoir fait profession; à moins qu'il n'apparaisse évidemment que ce soient gens qui veulent170 absolument changer leur genre de vie, et servir Dieu en religion perpétuelle: auquel cas ils pourront renon- (376) cer à ce qui aura été notoirement apporté par eux. Néanmoins nous statuons, pour faire disparaître complètement toute ambiguïté, que, puisque dans certaines maisons religieuses, l'habit des novices n'est point distingué de l'habit des profès, les habits qui sont donnés à ceux qui font profession seront bénis au temps de la profession, afin que l'habit des novices soit distingué de l'habit des profès.

«3° Décrétale de Grégoire (dite ne religiosi...)

«De peur que les religieux, trouvant l'occasion d'être errants, n'encourent détriment pour leur propre salut, et que leur sang ne soit redemandé aux mains de leurs supérieurs, nous statuons que les présidents des chapitres qui doivent être célébrés, selon le statut du concile général, soit pères, soit abbés, soit prieurs, s'enquièrent avec soin chaque année de ceux gui seront fugitifs ou qui auront été chassés de l'ordre. Si les religieux qui sont dans ce cas peuvent être reçus dans leurs monastères, selon l'ordre régulier, les susdits présidents devront forcer par les censures ecclésiastiques les abbés ou les prieurs de ces religieux à les recevoir, sauf la discipline de l'ordre. Si la règle de l'ordre ne permet point cela, nous leur donnons pouvoir de veiller à ce que ces religieux soient renfermés en des lieux convenables des mêmes monastères, si la chose peut avoir lieu sans causer un grand scandale. Autrement qu'ils soient retenus dans les autres maisons religieuses du même ordre pour y faire pénitence, et qu'on leur fournisse toutes les choses nécessaires à la vie. S'ils trouvent dans ces (377) religieux une désobéissance opiniâtre, qu'ils les excommunient, et qu'ils fassent publier et renouveler l'excommunication par les prélats des églises, jusqu'à ce que les rebelles soient revenus humblement se soumettre à leurs ordres.

«4° Décrétale de Grégoire sur l'état des moines (dite Monachi...).

«Que les moines ne soient point reçus dans les monastères à prix d'argent, et qu'ils n'aient point de pécule. Qu'ils ne soient point placés seuls dans les villes, dans les bourgs ou dans les églises paroissiales quelles qu'elles soient; mais qu'ils attendent le conflit des ennemis spirituels au milieu des séculiers en nombreuse réunion ou accompagnés de quelques frères, et non pas seuls. selon ce qu'a dit Salomon: «Malheur à celui qui est seul, car s'il tombe, il n'y aura personne pour le relever.» Si quelqu'un y étant forcé, a donné quelque chose pour sa réception, qu'il ne soit point promu aux ordres sacrés; et que celui qui l'aura reçu soit puni par la suspension de son office. Que celui qui aura un pécule, sans que l'abbé le lui ait permis en lui confiant (par exemple) des fonctions administratives, soit éloigné de la communion de l'autel. Si quelqu'un étant à l'extrémité est découvert comme ayant un pécule, et s'il ne se repent point dignement, qu'on ne fasse aucune oblation en sa faveur, et qu'il ne soit point admis à reposer au milieu des frères. Cette mesure est applicable à tous les religieux sans distinction. Que l'abbé qui n'aura point exercé une assez grande surveil- (378) lance sur ce point sache qu'il encourra la perte de son office. Que les prieurés ou les obédiences ne soient livrés à personne à prix d'argent: autrement que ceux qui auront donné et ceux qui auront reçu soient dépouillés de leur ministère. Que les prieurs qui auront été institués canoniquement dans les églises conventuelles par élection de leurs chapitres ne soient point changés, si ce n'est pour motif manifeste et raisonnable; par exemple, s'ils sont dilapidateurs, incontinents, ou souillés de quelque autre vice pour lequel ils semblent mériter d'être écartés; ou bien si l'avis commun des frères a décidé qu'ils devaient être transférés, comme étant nécessaires pour remplir un emploi plus important.

«5° Décrétale de Grégoire (dite Cùm ad monasterium...)

«Nous défendons formellement qu'aucun moine se serve, à l'avenir, de chemises de lin. Nous défendons aussi expressément, en vertu de l'obédience et en invoquant le jugement divin, qu'aucun moine possède en aucune façon quelque chose en propre: et si quelqu'un a quelque chose en propre, qu'il le résigne incontinent. Si dans la suite quelqu'un est trouvé possédant quelque chose en propre, qu'il soit d'abord admonesté régulièrement et ensuite expulsé du monastère; et qu'il n'y soit reçu plus tard, que dans le cas où il fera pénitence selon la discipline du monastère. Si à la mort de quelqu'un, on trouve quelque chose qui soit en sa possession propre, que cette chose soit enfouie dans le fumier avec le corps du défunt (379) lui-même; selon ce que dans le Dialogue, le bienheureux Grégoire assure avoir fait. Aussi, dans le cas où quelque chose aurait été spécialement destinée à quelqu'un, qu'il ne prenne point sur lui de recevoir ce don. mais qu'il le remette à l'abbé ou au prieur. Qu'un silence continuel soit observé dans l'oratoire, dans le réfectoire et dans le dortoir; et même dans le cloître aux heures et aux lieux déterminés, selon l'ancienne coutume du monastère. Que dans le réfectoire, personne, sans exception, ne mange de la chair: qu'à certains jours solennels, le couvent n'aille point dehors avec l'abbé, comme c'est parfois la coutume, pour manger de la chair hors du réfectoire, en se contentant de laisser audit réfectoire quelques uns des frères171; puisque c'est en ces jours là surtout que la discipline régulière doit être observée avec le plus de zèle. Qu'on ne croie pas qu'il est permis de manger de la chair hors du réfectoire, si ce n'est à l'infirmerie; quoique de temps en temps, et par indulgence, l'abbé puisse faire venir quelques-uns des frères, tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là, selon que le besoin l'exigera, et les traiter dans sa chambre avec plus de délicatesse et d'abondance. Quant aux faibles et aux malades qui ont besoin de fortifiant ou de quelque remède, on devra les soigner, non point séparément dans leurs cellules, mais tous ensemble dans l'infirmerie et leur fournir convenablement tout ce qui leur sera nécessaire tant en viandes qu'en autres (380) choses. Si quelqu'un se trouve trop faible ou même trop délicat pour pouvoir se contenter de la nourriture commune, qu'on y pourvoie de la façon suivante, sans exciter les murmures des autres: l'abbé, par exemple, ou le prieur, s'il veut user d'une compassion spéciale, fera apporter dans le réfectoire quelque nourriture convenable qui sera placée devant lui et non devant le religieux; et sur cette nourriture le religieux prendra sa pitance nécessaire au soutien de la nature. Que pour remplir les différents offices du monastère on choisisse des gens fidèles et prudents; et que l'on ne confie à personne aucune obédience pour la posséder perpétuellement, comme si on la lui louait sa vie durant; mais que cet obédiencier soit écarté sans aucun obstacle, quand il faudra l'écarter. Que le prieur l'emporte sur tous les autres, après l'abbé, par l'autorité de ses œuvres et de ses discours; afin que, par l'exemple de sa vie et la parole de sa science, il puisse instruire ses frères dans le bien et les détourner du mal; qu'il ait le zèle de la religion selon la science, afin de reprendre et de corriger ceux qui sont en faute, d'animer et de réconforter ceux qui sont obéissants. Que l'abbé, à qui tous doivent obéir en tout, soit avec les frères dans le couvent aussi souvent qu'il le pourra. Qu'il s'occupe de tous les frères avec un soin vigilant et une ardente. sollicitude, afin qu'il puisse rendre un digne compte à Dieu de l'office qui lui aura été confié. S'il arrive qu'il soit prévaricateur, qu'il méprise la règle, qu'il soit négligent ou relâché, qu'il sache pour sûr que (381) non-seulement il sera déposé de son office, mais encore qu'il sera puni d'une autre manière, selon son péché, puisqu'on lui demandera compte non-seulement de sa propre faute, mais encore des fautes d'autrui. Qu'un abbé ne pense point avoir le droit d'accorder dispense à aucun moine pour posséder quelque chose en propre. Car la renonciation à posséder quelque chose en propre, aussi bien que l'observation de la chasteté, fait partie si inhérente de la règle monacale, que le souverain pontife lui-même ne pourrait accorder dispense ou indulgence à cet égard.

«6° Décrétale de Grégoire (dite In singulis provinciis...).

«Que dans chaque royaume, ou dans chaque province, un chapitre général soit tenu de trois ans en trois ans, sauf le droit des pontifes diocésains. Ce chapitre sera composé des abbés et des prieurs qui n'ont point d'abbés particuliers, et qui n'ont point coutume d'assister à pareil chapitre; tous devront y venir, sans mettre en avant aucun empêchement canonique, et se réunir dans un monastère convenable pour cette assemblée, en agissant avec assez de modération pour que chacun n'amène pas avec soi plus de six voitures et de huit personnes. Que, dans les commencements de cette nouveauté, [l'assemblée (?)] appelle dans son sein deux abbés voisins appartenant à l'ordre de Citeaux, qui lui fournissent aide et conseil opportun; parce qu'une longue habitude a déjà familiarisé les abbés de cet ordre avec ces sortes de chapitres. Que les deux abbés susdits puissent, sans que nul y mette (382) obstacle, s'associer deux de leurs confrères, ceux qui leur sembleront les plus convenables. Que ces quatre abbés président le chapitre général, en sorte que, dans toute l'assemblée, personne ne prenne pour soi l'autorité supérieure. [Toutefois] cela pourra être changé après mûre délibération, quand ou le jugera avantageux. Que ce chapitre général soit célébré pendant plusieurs jours, sans interruption, selon l'usage de l'ordre de Cîteaux. Qu'on s'y occupe avec grand soin de la réformation de l'ordre et de l'observance régulière; et ce qui aura été statué avec l'approbation de ces quatre abbés devra être inviolablement observé, nonobstant toute excuse, toute opposition et tout appel. Cependant ou déterminera en quel lieu ce chapitre devra être célébré la fois prochaine. Que ceux qui se seront réunis mènent une vie commune, et que tous ensemble fassent proportionnellement des dépenses communes: en sorte que si tous ne peuvent demeurer dans les mêmes maisons, plusieurs au moins demeurent ensemble dans des maisons séparées. Que, dans ce même chapitre, on fasse choix de personnes religieuses et circonspectes qui s'empressent de visiter en notre nom chaque abbaye, tant de moines que de religieuses, située dans ce même royaume ou dans cette même province, selon la règle qui leur est fixée; corrigeant et réformant ce qui leur paraîtra avoir besoin de correction et de réforme: en sorte que s'ils apprennent que le recteur de quelque lieu doive être absolument privé de l'administration, ils le dénoncent à l'évêque diocésain, pour que (383) ce dernier procède à la déposition. Si l'évêque n'en fait rien, les inspecteurs devront en référera l'examen du saint-siége apostolique. Nous voulons et ordonnons que cette mesure soit applicable aux chanoines réguliers, selon leurs [divers] ordres. S'il s'élève dans cette nouveauté quelque difficulté qui ne puisse être tranchée par les susdits inspecteurs, qu'on la soumette sans scandale au jugement du saint-siége apostolique; quant à tout ce qui aura été décidé d'un commun accord, nous eu ordonnons l'observation inviolable. Que les évêques diocésains s'efforcent de réformer les monastères qui leur sont soumis, de façon que, quand les susdits inspecteurs y viendront, ils y trouvent beaucoup plus de choses à louer qu'à corriger. Les évêques devront aussi faire grande attention172 à ce que les monastères ne soient pas grevés, par les inspecteurs, de charges indues: car si nous voulons que les droits des supérieurs soient maintenus, nous ne voulons pas que les inférieurs aient des injustices à souffrir. En outre, nous ordonnons formellement tant aux évêques diocésains qu'aux personnes qui présideront les chapitres généraux, de forcer par la censure ecclésiastique, et nonobstant tout appel, les avocats, les patrons, les recteurs non (?) diocésains, les comtes, les seigneurs, les chevaliers ou tous autres, à ne point se permettre de léser les monastères, soit dans les personnes, soit (384) dans les choses. Ils ne devront point négliger de les obliger à donner satisfaction, dans le cas où ceux-ci auraient lésé les monastères, afin que les moines puissent servir Dieu plus librement et plus tranquillement.

«7° Décrétale de Grégoire (dite Ea quœ pro religionis honestate...)173.

«Quand les inspecteurs, choisis selon le statut du concile général, seront partis du chapitre général des abbés pour remplir leurs devoirs d'inspection, qu'ils s'enquièrent avec soin de l'état des moines et des observances régulières; qu'ils corrigent et qu'ils réforment, tant dans le spirituel que dans le temporel, ce qui leur semblera mériter correction. Qu'ils fassent corriger les moines délinquants par l'abbé du lieu, selon la règle du bienheureux Benoit et les institutions apostoliques, et non point d'après la forme d'une mauvaise coutume qui s'est introduite dans les églises et y a pris force de loi. Que les inspecteurs, eux-mêmes frappent en notre nom d'une censure régulière, selon la mesure de la faute, les moines qu'ils trouveront opiniâtres et rebelles; et cela sans exception de personne et sans épargner les rebelles, soit à cause de leur opiniâtreté, soit à cause de la puissance de leurs amis: rien ne peut les empêcher de chasser du bercail une brebis malade qui pourrait corrompre les brebis saines. Si les abbés se montrent (385) négligents à se corriger eux-mêmes ou à corriger leurs moines selon l'ordre des inspecteurs et les institutions régulières, qu'ils soient cités en justice, qu'ils soient saisis et qu'ils soient si bien punis publiquement dans le chapitre général, que leur châtiment puisse servir d'exemple aux autres. Si quelque abbé non exempt est trouvé par les inspecteurs ou trop négligent ou trop relâché, ils le dénonceront sans délai à l'évêque diocésain du lieu qui devra lui donner un coadjuteur fidèle et prudent, jusqu'au chapitre général. Si les inspecteurs trouvent qu'il soit dilapidateur ou qu'il mérite d'être cassé pour un autre motif, ils devront le dénoncer à l'évêque diocésain, qui le dépouillera de l'autorité abbatiale et du gouvernement du monastère, sans avoir recours à l'importun fracas des jugements. Pendant ce temps on aura soin de fournir un administrateur capable, qui veille sur le temporel jusqu'à ce qu'on ait pourvu à la nomination d'un abbé pour le monastère. Si par hasard l'évêque se refuse à agir ainsi ou néglige de le faire, les inspecteurs ou les présidents du chapitre général devront faire connaître sans délai au saint-siége apostolique cette désobéissance de l'évêque.

«Nous ordonnons que les inspecteurs ou les présidents du chapitre général suivent la même conduite à l'égard des abbés exempts; seulement leur déposition devra être laissée à la décision du saint-siége apostolique; en sorte toutefois que, l'abbé qui aura mérité d'être déposé ayant été pendant ce temps sus- (386) pendu de l'administration et de son office par les inspecteurs ou par les présidents du chapitre, un administrateur capable soit donné au monastère. Que les présidents nous fassent savoir les excès des abbés, et les autres choses dont ils s'occuperont dans le chapitre, par des messagers fidèles et prudents, qui seront convenablement défrayés par une cotisation des abbés, à laquelle chacun aura contribué selon ses moyens. Les inspecteurs qui suivront examineront soigneusement la conduite des inspecteurs précédents, et feront savoir au chapitre général suivant leurs négligences ou leurs abus de pouvoir, afin qu'ils subissent publiquement un châtiment proportionné à la faute. Nous enjoignons aux abbés présidant le chapitre général, d'observer cette règle de conduite. Nous ordonnons aussi que, dans aucun monastère, les abbés ou les moines n'admettent aux prébendes des clercs séculiers. Que ceux qui ont déjà été admis, ne prétendent réclamer pour eux ni place ni voix dans le chapitre, dans le dortoir, dans le réfectoire, ou dans le cloître; qu'ils n'essaient point de se mêler irai à propos aux sociétés de moines; mais qu'ils se conduisent honnêtement, contents des bénéfices qui leur ont été accordés; qu'ils payent fidèlement aux monastères les redevances en temps opportun, et qu'ils n'exigent ou n'usurpent rien au delà dans les susdits monastères, sous le rapport soit du spirituel soit du temporel. Si quelques-uns de ces prébendiers, sont reconnus par les inspecteurs, comme ayant commis quelque excès, qu'ils soient privés de leurs bé- (387) néfices, à cause de cela, par l'évêque diocésain, si c'est dans des monastères non exempts, et par les inspecteurs ou les présidents du chapitre général, si c'est dans des monastères exempts. Or nous ordonnons que tout cela soit observé dans les monastères qui n'ont point d'abbés propres, mais des prieurs, ainsi que dans les monastères de religieuses, quant aux articles qui peuvent s'appliquer aux abbesses et aux religieuses.

«8° Décrétale de Grégoire sur la simonie (dite Quoniam simoniaca labes...).

Puisque la contagion simoniaque a infecté la plupart des religieuses, en sorte que c'est à peine si elles reçoivent quelques sœurs sans exiger d'elles de l'argent; et qu'elles veulent pallier, sous le prétexte de pauvreté, ce vice intolérable et ce scandale pour toute la religion, nous défendons formellement que pareille chose ait lieu à l'avenir. Nous statuons, que toute religieuse qui aura commis une pareille simonie, tant celle qui aura reçu que celle qui aura été reçue, qu'elle ait de l'autorité dans le monastère ou qu'elle n'en ait point, sera expulsée du monastère sans espoir d'y pouvoir rentrer, et devra être renfermée, pour y faire pénitence, dans quelque lieu d'une règle plus sévère et plus rigoureuse. Quant à celles qui ont été reçues de cette façon avant ce statut synodal, voici ce que nous avons jugé à propos de décider; elles seront éloignées des monastères où elles seront entrées et auront été reçues d'une manière perverse, et seront pincées dans d'autres lieux ap- (388) partenant au même ordre. Si par hasard, à cause de leur trop grande multitude, elles ne peuvent être placées commodément ailleurs que dans leurs monastères, qu'on les y reçoive pour les empêcher d'errer de nouveau dans le siècle, à la perdition de leur âme; mais dispensativement, en changeant de nouveau les places qu'elles occupaient et en leur en désignant et assignant d'inférieures. Nous avons décidé que la même chose serait observée à l'égard des moines et des autres réguliers. Mais pour que nul ne puisse s'excuser, en prétextant sa simplicité ou son ignorance, nous ordonnons que les évêques diocésains fassent chaque année publier fidèlement, et mot à mot, cette décrétale dans leurs diocèses.

«9° Décrétale de Grégoire (dite Monachi...).

«Les moines et les chanoines réguliers, de quelque manière qu'ils se soient battus dans le cloître, ne doivent pas être envoyés pour cela au saint-siége apostolique; mais qu'on leur applique la peine disciplinaire, selon la haute prudence de leur abbé; et si la prudence de l'abbé ne suffit point pour leur correction, on devra s'en référer à la sagesse de l'évêque diocésain.

«10° Décrétale de Grégoire sur la sentence d'excommunication (dite Universitatis...).

«Nous avons reçu une consultation de vous tous tant que vous êtes, par laquelle vous demandez si un laïque encourt édit d'excommunication quand, sur l'ordre ou d'après la volonté de celui dans le vasselage duquel il se trouve, il n'a pas craint de porter des mains (389) téméraires sur un clerc, sur un moine ou sur un frère convers; surtout s'il n'y a point de motif pour que ce dernier doive être maltraité. Or, voici notre opinion: à moins que le laïque n'ait agi ainsi pour faire observer la discipline régulière, l'abbé en personne, ou bien, si la nécessité presse, au moyen d'un petit-clerc ou d'un moine, devra faire la déclaration suivante, à savoir: que celui qui aura ordonné que les personnes plus haut spécifiées soient maltraitées, aussi bien que ceux qui les auront maltraitées, quand bien même ils auraient eu des motifs pour agir ainsi, ne pourront en aucune façon ni jamais échapper à la sentence d'excommunication et d'interdit, jusqu'à ce qu'ils se soient adressés au saint-siége apostolique lui-même.

«11° Décrétale de Grégoire (dite Cùm illorum absolutio...).

«Comme l'absolution de ceux qui ont encouru la tache d'excommunication pour avoir porté des mains violentes sur des clercs, est réservée au siège apostolique, excepté quelques cas prévus par nos prédécesseurs; quelques-uns, négligeant la sentence ecclésiastique, ne craignent point de recevoir les ordres ecclésiastiques, quoi qu'ils soient sous le poids de l'excommunication. On implore souvent l'oracle apostolique pour savoir comment il faut agir à leur égard. Nous croyons que dans cette question il faut distinguer. En effet, ceux qui sont dans ce cas, ou savent qu'ils sont arrêtés par les liens de l'excommunication, ou ne se souviennent plus du fait pour (390) lequel ils ont encouru la sentence portée contre eux, ou enfin, sachant le fait, ignorent le droit et ne se croient point retenus par cet obstacle. Quant aux premiers, s'ils sont séculiers, nous pensons qu'ils doivent être cassés à perpétuité, et dépouillés de tous les ordres qu'ils ont reçus. Dans les autres cas, que les archevêques aussi bien que les évêques sachent qu'ils n'ont point pouvoir d'accorder dispense sans un mandat spécial du saint-siége apostolique. Il leur est même interdit d'absoudre les personnes ci-dessus spécifiées, et il va sans dire que le plus est défendu à ceux à qui le moins n'est pas permis. Cependant les personnes ci-dessus spécifiées pourront en référer aux oreilles du pontife romain, pour que, d'après la rigueur ou l'équité, il leur donne une réponse telle que sa discrétion aura jugé à propos de la faire. Mais si des religieux cloîtrés sont dans ce cas, quoique le seigneur pape Alexandre ait établi que les moines et les chanoines réguliers, de quelque manière qu'ils se soient battus dans le cloître, ne doivent pas être envoyés au saint-siége apostolique, mais qu'on doit leur appliquer la peine disciplinaire selon la haute prudence de leur abbé; et que si la prudence de l'abbé ne suffit point pour leur correction, on devra s'en référer à la sagesse de l'évêque diocésain; quoiqu'il dise ailleurs que ceux qui, fuyant le siècle, ont reçu dans un monastère l'habit religieux, et qui confessent ensuite entre autres choses, qu'ils ont commis un délit, de telle nature qu'ils ont encouru par le fait même sentence d'ex- (391) communication, ne peuvent ni ne doivent être absous par l'abbé, sans la permission du pontife romain, quoique ledit abbé ait pouvoir de punir l'audace des délinquants par le châtiment mérité; nous voulons, dans les intérêts de la religion et pour ôter à ces religieux un sujet d'être errants, user envers eux d'une plus grande faveur, et nous accordons à leurs supérieurs la permission de leur octroyer, même dans ce cas, bénéfice d'absolution; a moins que le crime de ces religieux ne soit embarrassant et énorme: par exemple s'ils ont eu l'audace de porter des mains violentes sur un évêque ou un abbé, en le blessant et jusqu'à mutilation de membres ou effusion de sang; auquel cas on ne peut passer sous silence, sans scandale, de tels excès ou des excès de même nature. Si quelque religieux cloîtré a porté des mains violentes sur un religieux d'un autre cloitre, qu'il soit absous par son abbé et par l'abbé de celui qui aura souffert l'outrage. Si un séculier a frappé un clerc, il ne pourra mériter la grâce d'absolution qu'en s'adressant au sainl-siége apostolique, et cela pour éviter le scandale. S'il arrive que ceux-là soient promus aux ordres [sacrés], qui, selon la distinction plus haut établie, se sont fait ordonner sciemment et en mépris de la discipline ecclésiastique, nous décidons qu'ils resteront suspendus, tant pour les ordres qu'ils ont reçus que pour leur office. Quant aux deux autres classes, à savoir: ceux qui n'ont point souvenir du fait ou ceux qui n'ont point connaissance du droit, nous (392) consentons, en considérant l'utilité qu'en tireront les monastères, à ce que les abbés leur accordent dispense, à moins qu'il ne s'agisse d'un fait grave et notoire; ou bien que le coupable ne soit d'un âge assez avancé et d'un esprit assez éclairé pour qu'on ait grandement lieu de révoquer en doute son oubli ou son ignorance. Or, nous ordonnons aux abbés d'observer fidèlement la conduite que nous leur traçons, de peur que celui qui viendrait à abuser du pouvoir qui lui est confié ne méritât de perdre son privilège.

«12° Décrétale de Grégoire (dite de Monialibus...).

«Quant aux religieuses, ta fraternité nous a demandé par qui le bénéfice d'absolution doit leur être accordé et conféré, si elles se sont battues entre elles, ou si elles ont porté des mains audacieuses et violentes sur leurs convers174 ou sur leurs converses, ou même sur des clercs. Nous répondons sur ce point à ta consultation, et nous décidons et statuons, d'une manière absolue, qu'elles devront être absoutes par l'évêque dans le diocèse duquel leurs monastères seront situés.» — Décision du pape Innocent IlI, au concile général.

«13° Décrétale de Grégoire sur les cautions (dite Quod quibusdam...).

«Nous voulons et recommandons que ce qui a été défendu par le saint-siége apostolique à quelques religieux, soit appliqué à tous sans exception, et soit (393) observé par tous et par chacun, à savoir: qu'aucun religieux ne devra, sans la permission de la majeure partie du chapitre et celle de son abbé, ni se porter caution pour personne, ni contracter d'emprunt envers personne, au delà de la somme fixée par délibération commune. Autrement, que le couvent ne soit ni tenu ni obligé de répondre, en aucune façon, pour celui qui se sera porté caution ou qui aura emprunté, à moins qu'il ne soit évidemment résulté de cela avantage et profit pour la maison elle-même. Que celui qui osera, en aucune façon, aller à l'encontre de ce statut, ou agir contre ce qu'il ordonne, soit soumis à une forte peine disciplinaire.

«14° Décrétale de Grégoire sur les paiements (dite Si quorumdam...) et plus bas:

«....Nous défendons expressément que personne ose grever l'église qui lui aura été confiée pour payer des dettes étrangères, ou livrer à quelqu'un des lettres ou des sceaux avec lesquels les églises pourraient être grevées; décidant et statuant formellement que si quelqu'un se permet d'agir contrairement à cette défense, les églises ne seront point tenues au paiement de pareilles dettes. Or, si quelqu'un ose, à l'avenir, aller à l'encontre de ce que nous venons d'établir, qu'il sache qu'il sera suspendu quant à l'administration spirituelle.»

Lorsque tous ces statuts eurent été lus, les abbés et les prieurs rassemblés [à Londres] apprenant que la sainte religion subirait ainsi de grandes réformes et y gagnerait d'heureux accroissements, accueilli- (394) rent, avec allégresse et d'un accord unanime, le discours du légat, comme une hostie venue du ciel. Ils firent publier ces statuts dans tous leurs chapitres, et frappèrent sévèrement, par les peines disciplinaires régulièrement établies, ceux qui violeraient ces statuts! Le plus grand nombre même les fit écrire dans le martyrologe, afin qu'ils fussent lus fréquemment dans le chapitre, comme a coutume de l'être la règle du bienheureux Benoît, et qu'ils se gravassent fortement dans le cœur de ceux qui les entendraient.

Valence assiégée par le roi d'Aragon. — Dédicace de trois églises. — L'empereur de Constantinople Baudouin fait une expédition en Grèce. — Naissance d'un fils de Simon de Montfort. — L'archevêque d'Antioche excommunie le pape. — Inondation. — Cette même année, le mi très chrétien, très-magnifique et très-vaillant dans les armes, je veux parler du seigneur roi d'Aragon, resserra tellement, à l'aide de ses amis et par une guerre acharnée, la grande ville de Valence, que se trouvant pressée de tous côtés, elle se vit bientôt réduite aux dernières extrémités.

Vers le même temps eut lieu la dédicace de trois belles églises conventuelles, situées au diocèse de Lincoln dans le Marécage175, à savoir: celles de Ram- (395) sey, du Bourg et de Sauterey (?). La cérémonie fut faite par le vénérable évêque de Lincoln, Robert. L'église de Ramsey fut dédiée le dix avant les calendes d'octobre, jour de la fêle de saint Maurice et de ses compagnons; l'église du Bourg, le quatrième jour avant les calendes d'octobre; l'église de Sauterey, la même semaine. Plusieurs autres églises dans toute l'Angleterre furent dédiées aussi, conformément à la constitution publiée à Londres par le légat Othon.

A la même époque, l'empereur de Constantinople, Baudouin, partit pour les provinces de la Grèce, avec l'intention de soumettre ceux qui s'étaient révoltés contre lui et contre l'église romaine, Il emmenait avec lui de grandes forces et une nombreuse chevalerie, composée de tous ceux que les amis et les parents de Baudouin avaient pu armer pour sa défense.

Cet empereur pour augmenter son trésor vendit au roi de France des reliques très-précieuses et très authentiques et mit aussi en gage quelques-unes des choses qui lui étaient les plus chères. Or il appartenait par sa naissance, comme nous l'avons dit, à la première noblesse de France. Le pape, en haine de (396) l'empereur des Romains Frédéric son adversaire, lui tendit une main secourable par tous les moyens qui étaient à sa connaissance et en son pouvoir.

Cette même année, pendant l'avent, tandis que l'évêque de Chester, Alexandre, se hâtait de se rendre à Londres, où il était mandé par le seigneur roi, un fils aîné naquit à Simon de Montfort, de son mariage avec sa femme Aliénor. Cet enfant vit le jour à Kenilworth, pour la gloire et la consolation du royaume; car on craignait que la reine ne fût stérile. L'évêque s'arrêta quelque temps à Kenilworth, et pour se concilier davantage la faveur dudit roi, il baptisa lui-même le fils du comte de Montfort. Ce même jour il tomba gravement malade, et se mit au lit. Cette maladie devait le conduire au tombeau.

Cette même année, l'archevêque d'Antioche, secondé par Germain, archevêque de Constantinople, qui agissait au nom des Grecs, et jouait le rôle d'antipape, se laissa emporter par une audace téméraire à une si grande insolence, qu'il excommunia, par une folle prétention, le seigneur pape ainsi que toute la cour et l'église romaine. Il blasphémait, se vantait solennellement lui et son église, se plaçait bien plus haut, en fait d'ancienneté et de dignité, que le seigneur pape et que l'église romaine; assurant que son église était et avait été de beaucoup préférable à l'église romaine, parce que le bienheureux apôtre Pierre avait primitivement gouverné en toute gloire et honneur l'église d'Antioche pendant (397) sept ans; qu'il y avait été reçu avec tout le respect qui convenait, et qu'il y avait été installé avec les mêmes honneurs; tandis qu'à Rome, il avait été abreuvé maintes fois d'injures et d'outrages; qu'enfin il y avait souffert [le martyre] sous l'empereur Néron, conjointement avec son coapôtre Paul, le docteur spécial des Grecs, et que là une mort cruelle avait terminé leur vie. Par conséquent la ville et la contrée d'Antioche, avec leurs citoyens et leurs habitants doivent être, à juste titre, considérées comme plus nobles et plus aimables par le bienheureux apôtre Pierre à qui elles ont rendu honneur et respect, que la ville qui ne lui a fait subir que des ignominies et des tourments. Il a dû aussi concéder le pouvoir de lier et de délier à l'église grecque do meilleur cœur et bien plutôt qu'à l'église romaine qui paraît à tous les yeux couverte de simonie, d'usure, d'avarice et d'une foule d'autres souillures.

Telles étaient les raisons superficielles, et d'autres encore, par lesquelles le susdit antipape cachait ses cicatrices pour sa propre perte. et cherchait des excuses dans ses péchés mêmes. Mais le seigneur pape, colonne de l'église, et véritable successeur du divin Pierre (s'il n'était point son imitateur en tout), s'inquiétait peu de ces prétentions, réservant toute sa vengeance pour le temps de la rétribution.

Cette même année aussi, des ruisseaux jaillirent impétueusement, d'une manière inaccoutumée et contre les lois ordinaires de la nature, dans plusieurs (398) champs, dans des roules tracées176, dans des lieux arides et sans eau. Bientôt ces ruisseaux s'accrurent au point de devenir des torrents rapides et improvisés, capables de nourrir des poissons. La rigueur de la température et un brouillard contre nature engendrèrent diverses maladies, afin que l'inclémence de l'air s'accordât avec les péchés du siècle, et que le peuple et les laboureurs, aussi bien que les chevaliers, les seigneurs et même les prélats, sentissent généralement la main vengeresse du Seigneur.

Robert, surnommé Bougre, sévit contre les hérétiques. — Ses cruautés. — Sa punition. — Impiété de l'empereur Frédéric. — Miracle de Robert l'ermite. — Faits divers. — Pendant que les choses du monde avaient ainsi leur cours, un moine de l'ordre des Prêcheurs appelé Robert et surnommé Bougre177, homme convenablement instruit dans les lettres, et remplissant avec adresse et succès l'office de prédication, reconnut qu'il y avait, dans le royaume de France, un grand nombre de personnes entachées de la perversité hérétique, principalement dans la (399) Flandre, dont les habitants, selon leur usage ordinaire, méritaient d'être poursuivis du reproche d'usure plus que toutes les autres nations. Le susdit frère Robert, aidé par le bras séculier et fortifié par le secours du seigneur roi de France, fit brûler et réduire en cendres tous ceux qu'il trouva ou vacillants ou se trompant énormément, après les avoir d'abord examinés soigneusement dans la foi. La plupart de ces malheureux étaient désignés sous le nom générique de Bougares, soit qu'ils fussent Patarins, ou Joviniens, ou Albigeois, ou souillés d'autres hérésies. Le susdit Robert lui-même, avant d'avoir pris l'habit religieux, avait été bougare; c'est pourquoi il connaissait tous les adhérents de ces hérétiques, et il devint leur accusateur, leur marteau, et comme leur ennemi domestique. Enfin, abusant du pouvoir qui lui avait été confié, et dépassant les bornes de la modération et de la justice, Robert fut enorgueilli de sa puissance et de l'effroi qu'il inspirait; il confondit les bons avec les mauvais, les enveloppa [dans la même rigueur], et punit les simples et les innocents. Aussi l'autorité papale lui donna l'ordre précis de ne plus fulminer ni agir si cruellement en s'acquittant de son office. Dans la suite, ses fautes, que j'aime mieux passer sous silence que de raconter ici, ayant été reconnues d'une manière évidente, Robert fut condamné à une réclusion perpétuelle.

Vers la même époque, la renommée de l'empereur Frédéric reçut de graves atteintes et fut noircie par (400) ses ennemis envieux et jaloux. En effet, on le représentait comme vacillant ou même se trompant étrangement dans la foi catholique. On lui prêtait plusieurs paroles qui auraient pu faire conjecturer et soupçonner que non-seulement la foi catholique était fort chancelante en lui, mais encore (ce qui est beaucoup plus grave et plus affreux) qu'il était entaché d'une hérésie abominable et manifeste, et qu'il ne craignait point de prononcer d'horribles blasphèmes dont l'énormité doit être détestée et tout à fait exécrée par tous les fidèles. En effet, on prétendait que l'empereur Frédéric avait dit (j'ai peine moi-même à le redire après lui): «Il y a trois charlatans qui, à force d'adresse et d'imposture, ont séduit la généralité de leurs contemporains, afin de dominer dans le monde: ces trois charlatans sont Moïse, Jésus et Mahomet178. On disait aussi qu'il avait proféré sur la très-sacrée Eucharistie quelques absurdités incroyables et des blasphèmes impies et atroces. Que tout honnête homme, et qu'à plus forte raison tout chrétien se garde bien d'ouvrir la bouche et de (401) prêter sa langue à répéter un si furieux blasphème. Les ennemis de l'empereur Frédéric lui reprochaient aussi d'avoir plus de penchant et de foi pour la loi de Mahomet que pour celle de Jésus-Christ, et même d'avoir pris pour concubines quelques courtisanes sarrasines. Le bruit s'était répandu parmi le peuple (ce dont Dieu garde un si grand prince), que depuis fort longtemps l'empereur avait fait alliance avec les Sarrasins, et qu'il était leur ami plus que celui des chrétiens. Voilà ce que cherchaient à prouver, par plusieurs indices, les envieux qui cherchaient à obscurcir sa renommée. Leurs imputations étaient-elles vraies ou fausses? celui-là seul le sait qui n'ignore rien.

Cette même année, brilla d'un vif éclat la réputation de saint Robert, ermite à Knaresborough. On raconte que de sa tombe coulait abondamment une huile qui avait la propriété de guérir [les malades].

Cette année-là fut brumeuse et pluvieuse dans son commencement, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la saison du printemps. Aussi on perdit tout espoir de voir pousser les semailles. Pendant plus de deux mois de la saison d'été, il y eut une sécheresse et une chaleur immodérées et extraordinaires. Mais quand approcha la saison d'automne, l'année devint pluvieuse et humide: aussi les fruits de la terre, fortifiés par de nouveaux sucs, reprirent de la vigueur contre toute attente, et la récolte des céréales fut très-abondante. Cependant à la fin de l'automne ceux qui (402) avaient tardé à faire la moisson se trouvèrent frustrés des fruits sur lesquels ils comptaient. En effet, il tomba une pluie si violente et si continuelle, que la paille fut pourrie, aussi bien que le grain, et cet automne extraordinaire, qui était tenu d'être naturellement sec et froid, engendra divers périls de maladies. Il en résulta une foule d'incommodités179, et personne ne se souvint d'avoir vu en une seule année tant de gens malades de la fièvre quarte. Il faut remarquer aussi que cette même année, la lettre dominicale se trouvant ètre B, le jour de la Parascève, c'est-à-dire le vendredi qu'on appelle saint, par antonomase, et qui précède Pâques de près, fut à la fois le jour de l'Annonciation du Seigneur et de la Passion du même Seigneur, et le troisième jour suivant fut le vrai Pâques, c'est-à-dire le jour de la résurrection du Seigneur. Car le Seigneur ressuscita le sis avant les calendes de mai et souffrit la passion le troisième180 jour précédent, c'est-à-dire le huit des ca- (403) lendes de mai: c'est ainsi que toute cette année-la concordait avec les années de Jésus-Christ.

Discorde entre le roi et le comte Maréchal. — Faits divers. — L'an de grâce 1239, qui est la vingt-troisième année du règne du seigneur roi Henri III, le même seigneur roi Henri tint sa cour aux fêtes de Noël dans la ville de Winchester. Cette cérémonie se passa avec tout le faste et la somptuosité qui convenait. En effet, l'église de Winchester, en cette occasion, offrit et fournit audit roi ce qui était nécessaire pour toutes les dépenses de table, et cela non-seulement d'une manière suffisante, niais encore avec excès: ce que le seigneur roi ne refusa en aucune façon. Le roi aurait bien mérité d'être vivement réprimandé pour en agir ainsi, s'il eût eu auprès de lui quelqu'un pour lui faire des observations sévères, et quelqu'un d'assez fidèle et d'assez puissant pour lui infliger un châtiment; et si les aumônes qu'il ne cesse de répandre libéralement et largement, et qui ont coutume d'effacer la trace des péchés, comme l’Écriture nous l'enseigne, n'étaient là pour racheter de pareils abus, le roi pourrait craindre d'avoir attiré un grand péril sur lui et sur son royaume, en excitant le courroux de Dieu. Or, le jour de la naissance du Sauveur, quand les offices divins eurent été célébrés et termi- (404) nés solennellement et magnifiquement comme il convenait, il arriva, pour que les joies de ce monde ne fussent point exemptes de nuages, qu'un événement imprévu vint troubler toute l'allégresse de cette fête.

En effet, au moment où le seigneur roi s'était rendu à son palais royal pour présider au repas, le comte Gilbert Maréchal, accompagné de ses amis, se présenta à la porte pour entrer. A son arrivée, et au moment où le comte voulait entrer, les huissiers du roi et du maréchal [du palais?] lui barrèrent insolemment le passage, et, tenant à la main de gros bâtons au lieu de verges, ils repoussèrent son escorte et se répandirent en injures. Ce que voyant, le comte réfléchit que sans nul doute quelque esprit brouillon avait semé la discorde entre lui et le seigneur roi, et qu'un pareil refus ne pouvait venir que d'un ordre du seigneur roi. Alors, dissimulant sa douleur, il retourna à l'hôtel qu'il avait dans la ville. Puis il fit inviter à son de trompe, pour que la sérénité d'une pareille fête ne fût point troublée, non-seulement les siens, mais même tous ceux qui voulurent, à venir manger à sa table. Le lendemain, le comte envoya au roi des personnes honorables et lui fit demander pourquoi il lui avait fait essuyer un pareil affront dans un pareil jour et sans nulle offense de sa part, à lui qui était de si haute naissance et son féal. Il promit en même temps de se purger par justice de toutes les imputations répandues contre lui par ceux qui avaient excité méchamment la haine entre des personnes d'une si haute naissance. A cela le seigneur roi ré- (405) pondit avec emportement: «D'où vient que le comte Gilbert me montre les cornes? d'où lui vient cette audace de menacer et de lever, comme ou dit, le talon contre moi, contre qui il doit savoir qu'il est dangereux de ruer? Le comte Richard son frère a été un traître couvert de sang et un rebelle envers moi et envers mon royaume: je l'ai pris en Irlande, combattant contre moi à main armée dans une lutte acharnée. Blessé et ayant encouru à juste titre la perte de son héritage, il était détenu dans une prison, quand la vengeance du Seigneur a mis fin à ses jours. Quant au comte Gilbert qui se plaint aujourd'hui, grâce à l'importunité des prières de l'archevêque de Cantorbéry Edmond, je lui ai octroyé son héritage par faveur et sans qu'il l’eût mérité, quoi que j'eusse voulu l'en priver.» En apprenant cette réponse, le comte, grandement troublé, s'aperçut qu'il avait encouru l'indignation manifeste du roi, et se retira dans le nord de l'Angleterre. Désormais ni lui ni son frère Gaultier ne chérirent le roi d'un amour sincère, comme ils faisaient auparavant: et tous deux n'étaient point favorisés de la fortune.

Le jour de saint Etienne, Edmond181, évêque de Chester, rendit le dernier soupir.

Le jour de la Purification de la bienheureuse Vierge, le seigneur roi conféra le comté de Leicester à Simon de Montfort et lui en donna l'investiture, après avoir préalablement fait venir le comte Amaury, (406) frère aîné dudit Simon, et avoir obtenu de lui sa renonciation à toute prétention sur ce comté.

Vers le même temps, le seigneur roi fit rentrer dans son conseil Etienne de Ségrave.

Vers le même temps, le seigneur légat convoqua tous les évêques d'Angleterre, à l'effet de se rassembler à Londres le jour où l'on chante: «Réjouis-toi, Jérusalem,» pour y traiter des affaires de l'église. Dans cette réunion il promulgua, après mure délibération, quelques statuts d'une brièveté succincte, applicables aux moines de l'ordre noir, et dont il recommanda expressément l'observation. Dans ces statuts il tempéra en plusieurs points une imprudente sévérité.

A la même époque, deux sentences de cassation furent rendues sur les intercessions du roi qui n'avait point réussi selon ses vœux dans l'affaire de Guillaume, élu à Valence, qu'il avait voulu faire élire [à Winchester]. La première de ces sentences annulait l'élection faite à Norwich en faveur du prieur du chapitre de cette ville, homme sage et recommandable. en toutes choses; l'autre, la postulation faite à Winchester, en faveur de l'évêque de Chicester, à savoir: le seigneur Raoul, chancelier, homme fidèle et discret, et qui. Presque seul au milieu de tous les courtisans, restait comme une colonne inébranlable de vérité.

À cette même époque aussi, vers la fête de saint Matthieu, les moines de Coventry, voyant que le roi ne cessait d'empêcher avec obstination qu'on procé- (407) dât canoniquement aux élections, et qu'il ne consentait à accepter aucun de ceux qu'ils élisaient, à moins que cet élu ne fût dans ses bonnes grâces royales, songèrent à pourvoir à leur église, à qui une longue et importune attente ferait souffrir des pertes et des dommages irréparables. Ils élurent donc unanimement et d'un commun accord pour leur évêque et pour pasteur de leurs âmes le seigneur Guillaume de Rale, clerc spécial du seigneur roi, homme discret et fort habile dans les lois civiles; pensant bien que ce choix ne pouvait raisonnablement présenter aucun prétexte de réprobation ou d'opposition.

Le légat rappelé à Rome est retenu en Angleterre à la demande du roi. — Pierre Sarrasin offre à l'empereur Frédéric une grosse somme pour sa rançon. — La Sardaigne se donne à l'empereur. — Contestations entre l'archevêque de Cantorbéry et son clergé.Vers le même temps, le seigneur pape, instruit par des rapports fréquents et presque quotidiens, que le scandale augmentait de jour en jour davantage en Angleterre, à cause de la cupidité insatiable et de l'avarice inextinguible des Romains, rappela son légat, le seigneur Othon, lui enjoignant de revenir à Rome en toute hâte. A cette nouvelle, le seigneur légat convoqua tous les évêques d'Angleterre, à l'effet de se rassembler à Londres le jour où l'on chante: «Réjouis-toi, Jérusalem!» pour s'y occuper en commun de son retour et du sauf-conduit à lui accorder. Mois le seigneur roi ayant appris le dessein du légat, et (408) redoutant les exigences du prochain parlement182, qui devait s'ouvrir dans l'octave de Pâques, et pour lequel il comptait sur l'arrivée de l'élu à Valence, fut saisi d'un violent chagrin: car la présence du seigneur légat servait à le rassurer. En effet, il craignait que les grands ou les seigneurs d'Angleterre ne se soulevassent unanimement contre lui, à cause de ses fréquents abus de pouvoir, sous toutes les formes, et de la manière dont il violait ses propres constitutions, tant de fois jurées et promises. Le seigneur roi fit donc tant par ses instances, qu'un message très-pressé fut expédié au seigneur pape, pour que ledit légat demeurât en Angleterre, parce que son influence pouvait servir à apaiser les troubles qui se préparaient. Le seigneur légat, de son côté, ne voulant point contrister le roi qui lui demandait cette faveur, consentit à rester et à attendre.

Vers le même temps, Pierre Sarrasin, que le sei- (409) gneur empereur Frédéric retenait dans les fers pour le mettre à rançon, offrit dix mille livres sterling de bonne monnaie, pour se racheter, être mis en liberté et regagner les bonnes grâces de l'empereur. Le seigneur empereur y consentit, si le roi d'Angleterre, son ami, voulait se porter garant pour lui, en cautionnant le paiement d'une si forte somme, et en répondant que ni ledit Pierre Sarrasin, ni aucun des siens n'offenserait une seconde fois la dignité impériale si l'occasion venait à se présenter. Ledit Pierre Sarrasin écrivit alors au seigneur pape et à ses amis, pour qu'ils exhortassent ledit seigneur roi d'Angleterre, par l'entremise du seigneur légat et des autres familiers du même roi, à s'engager, ainsi que son royaume, pour le paiement de cette somme, lui qui était toujours prêt et disposé à donner son argent pour les intérêts des Romains. Le seigneur légat s'étant donc porté pour médiateur dans cette affaire, la poussait vivement et disait qu'il ne pouvait en aucune façon, sans manquer à l'honneur, abandonner son messager dans les fers. Mais le seigneur roi, s'apercevant du piège qu'on lui tendait, et voyant quel péril menaçait son royaume, tandis que les Romains, ses bons amis, s'en souciaient peu, pourvu qu'ils missent à l'abri leurs personnes et leurs biens, se laissa emporter à des paroles de colère, et jura qu'il se repentait fort d'avoir appelé le légat dans son royaume (410) pour dissiper les richesses de sa terre, confondre le juste et l'injuste, et écarter les honnêtes gens qui étaient Anglais. A cette époque donc, et sous de pareils potentats, l'Angleterre devint comme une vigne qui est vendangée par tous les passants, et qui n'a ni muraille pour lui servir d'enclos, ni gardien fidèle et soigneux pour veiller sur elle. En effet, ce que la tiédeur ecclésiastique défendait un jour, elle le permettait le lendemain.

Cette même année, tandis que le seigneur empereur passait l'hiver en Italie, il reçut la soumission d'îles très-opulentes, situées dans la mer Méditerranée, non loin de la ville de Pise, et entre autres de la plus grande et de la plus riche partie de la Sardaigne. Il est avéré que la possession de cette île appartient spécialement au patrimoine du bienheureux Pierre; mais l'empereur assura qu'elle appartenait à l'empire d'après d'anciens droits; que les empereurs détournés par différentes occupations, et par les autres affaires importantes de l'empire, avaient perdu cette île; et que lui, usait de son droit en la faisant rentrer dans le corps impérial. «J'ai fait le serment, disait-il, et le monde en a déjà fait l'expérience, de reconquérir les différentes possessions détachées de l'empire. Je ferai tout pour exécuter ma promesse.» Et en même temps, le seigneur empereur envoya son propre fils183, malgré la défense du seigneur pape, pour (411) prendre possession de la portion de l'ile qui lui était offerte. Le seigneur pape reçut cette nouvelle avec la plus vive indignation, et désormais se prépara à une vengeance éclatante; car il regardait la soumission de la Sardaigne comme une grande perte pour lui. En effet, l'île de Sardaigne est l'entrepôt des marchands, le refuge des naufragés, l'asile des proscrits; elle est gouvernée par quatre princes qu'on appelle juges. La perte était grande; mais ce qui la rendait plus sensible encore, c'était la manière dont l'empereur s'y était pris pour accomplir ce qui pa- (412) raissait une injustice: et la haine qui divisait depuis longtemps le pape et l'empereur commençait à jeter du pus comme une blessure invétérée. — Vers le même temps, le seigneur archevêque Edmond appesanti sa main sur ses moines. L'interdit fut jeté sur l'église des moines de Cantorbéry, et une sentence d'excommunication enveloppa le nouveau prieur, que le couvent avait élu, ainsi que les électeurs eux-mêmes. L'évêque de Lincoln devint aussi dans son diocèse le marteau et le persécuteur implacable des religieux. En effet, se soulevant contre les chanoines de sa propre église cathédrale, contre ceux-là mêmes qui l'avaient fait évêque, il voulut opiniâtrement que ce fût lui-même qui les visitât contrairement aux droits qu'une coutume de cette église, existant depuis un temps immémorial, avait réservés au doyen de Lincoln. Les chanoines eurent recours à l'appel, afin de gagner du temps; enfin, après de violentes altercations, ils acceptèrent un compromis et consentirent à s'en remettre à l'arbitrage du seigneur Gaultier, évêque de Worcester, de l'archidiacre dudit évêque, et de maître Adam (?) de Beccles. Il fut convenu que si les arbitres ne procédaient point canoniquement, il serait permis à chacune des deux parties d'en appeler de nouveau au seigneur pape; le droit de visite cessant d'être exercé, pendant ce temps, par l'une et l'autre des deux parties. Cette addition: le droit de visite cessant d'être exercé, pendant ce temps, par l'une et l'autre des deux parties, parut dangereuse à une partie des chanoines. En effet, l'évêque qui n'a (413) jamais eu droit de visite ne peut cesser de faire ce qu'il n'a pas commencé à faire; pas plus que Diogène ne peut perdre ses cornes, n'en ayant jamais eu184. Le doyen de son côté, dont les chanoines soutenaient les droits, cesserait de visiter et paraîtrait, même pour une heure, être privé d'une chose qui lui appartenait. Aussi, les murmures augmentèrent et il en naquit un affreux scandale. La discussion s'étant aigrie jusqu'à amener une controverse pleine de colère, les chanoines ne voulurent point permettre que l'évêque entrât dans le chapitre, ni exerçât aucun droit d'inspection sur eux. Ils se repentirent grandement d'avoir tiré un pareil homme de son obscurité pour le faire évêque, et ils ne craignirent point dédire hautement la même chose devant l'évêque lui-même. Enfin, après de longues discussions et de grandes sommes d'argent inutilement dépensées de part et d'autre, la cause fut portée au tribunal du seigneur pape, et le chapitre établit pour son avocat, dans cette affaire, maître Eudes de Kinkelni185. Un jour il arriva un événement fort étonnant. Un des chanoines défendant la cause du chapitre et prêchant devant le peuple au milieu de cette magnifique église de Lincoln, porta plainte auprès de tous les assistants contre les vexations de l'évêque, et s'écria: «Nous garderions le silence, que les pierres parleraient» pour nous.» A ces mots, une partie de l'église se détacha et tomba.

(414) Faits divers. — Le roi cherche à rappeler Raoul à son office de chancelier. — Refus de celui-ci. — Mariage du roi d’Écosse avec la fille d'Enguerrand de Coucy. — Le légat du pape rappelé de nouveau et de nouveau retenu par le roi. — Élection de Guillaume de Rale à l'évèché de Norwich. — Fortification de la tour de Londres. — Aux approches de la saison du printemps, c'est-à-dire du temps pascal, cessèrent les vents et les pluies épouvantables qui pendant les quatre mois précédents avaient sans discontinuer détrempé la terre, au point d'en faire de la boue, avaient agrandi les marais, étouffé les semailles et troublé l'atmosphère.

Cette même année, le mardi après le jour de Pâques, le roi de Castille, frère de Blanche, reine de France et mère du roi, fit un grand carnage des Sarrasins du côté de Cordoue.

Vers le même temps, c'est-à-dire le 7 avant les ides d'avril, un noble baron, Guillaume de Canteloup, père de l'évêque de Worcester, mourut plein de jours.

Vers le même temps, c'est-à-dire dans la semaine suivante, le roi se repentit de la conduite arbitraire et imprudente qu'il avait tenue envers le seigneur chancelier, évêque de Chicester, qui avait rempli depuis fort longtemps son office d'une manière irréprochable, et à qui il avait enlevé le sceau royal contre toute bienséance, en l'éloignant de sa personne et de sa cour. Aussi, à force de caresses et de promesses, s'efforça-t-il de le rappeler. Mais le chan- (415) celier, préférant le repos aux soucis et les émoluments de sa charge aux dangers qu'elle lui attirait, ne voulut186 point retomber dans les pièges dont il s'était tiré. Il se souvenait d'ailleurs avec quelle animosité, quand il avait été appelé et postulé instamment pour l’évêché de Winchester, le seigneur roi avait fait casser la postulation, tandis que lui avait rendu de si longs et de si fidèles services audit roi, ainsi qu'à son père dans un autre emploi.

Vers le même temps, le roi d'Ecosse, Alexandre, contracta mariage avec une jeune vierge d'une grande beauté, nommée Marie, qui était fille d'Enguerrand de Coucy, noble baron du royaume de France187. Les noces furent célébrées solennellement à Roxbourg, le jour de la Pentecôte.

Le légat, sur le point de partir pour la cour de Rome, lit humblement ses adieux, comme s'il ne devait plus revenir, au roi, aux archevêques, aux évêques et aux bourgeois de Londres, dans un discours qu'il avait composé spécialement pour cette occasion. Il vendit ensuite de beaux chevaux, qui lui avaient été (416) donnés, gagna sur ce marché, et acheta à leur place des montures de peu de valeur, sur lesquelles il fit charger ses coffres et disposer ses bagages. Mais le roi, qui croyait ne pouvoir plus, vivre quand le légat serait parti, travailla de toutes ses forces à ce qu'il restât encore un peu en Angleterre. Il avait donc envoyé à la cour romaine un de ses légistes (car il en entretenait une troupe nombreuse, comme un chasseur une meute de chiens de chasse, pour les lancer sur les électeurs des prélats): ce messager, nommé Simon le Normand, était chargé d'obtenir du pape qu'il donnât ordre au légat de rester encore en Angleterre pour obvier à de nombreux dangers. Et le roi ne fut point trompé dans son espoir: car voici qu'au moment où tout le bagage et les autres provisions de voyage du seigneur légat étaient préparés, Simond le Normand arriva et lui présenta les lettres qu'il avait obtenues selon le désir du roi. Le seigneur légat ayant consenti à ce que le pape exigeait de lui, le roi en sauta de joie. A cette nouvelle, les seigneurs qui étaient venus à Londres, voyant que les choses tournaient mal pour eux, craignant les embûches du légat, et comprenant que le roi avait autant de détours dans l'esprit qu'un renard dans sa tanière, se retirèrent avec indignation et détestèrent les paroles du roi comme autant de sophismes.

Les moines de Coventry, qui, d'accord avec les chanoines de l'église de Lichfield, s'étaient arrêtés à un honorable projet d'élection, avaient élu d'une voix unanime, comme nous l'avons dit, Guillaume de (417) Rale pour leur évêque. Car ils craignaient que s'ils faisaient choix d'un homme qui ne fût pas le familier du roi, le roi ne s'opposât en face à leur dessein, et ne les inquiétât selon sa coutume. Cependant le nouvel élu, Guillaume, restait depuis longtemps incertain, et comme c'était un homme d'une prudence admirable, il pesait les événements futurs dans la balance de sa raison. Les moines de Norwich, de leur côté, voyant qu'ils avaient déjà trop attendu, et qu'ils avaient eu tort de ne pas élire le même Guillaume pour leur évêque, élection qui n'aurait offensé ni le roi, ni aucun autre, se réunirent aussitôt, et élurent le susdit Guillaume de Rale pour leur évêque. Alors Guillaume, dédaignant l'autre évêché qu'il avait obtenu par faveur, opta pour l'évêché de Norwich. En effet, il aimait mieux demeurer avec des Anglais et en Angleterre, que d'avoir affaire sur les confins du pays de Galles avec les Gallois indomptés.

Cette même année, la tour de Londres fut fortifiée. Les bourgeois de Londres craignirent que cette précaution ne fût prise à leur détriment. Et comme ils en avaient porté plainte au roi, le roi répondit aux bourgeois: Vous ne devez point considérer cette mesure ni comme humiliante, ni comme dangereuse pour vous; mais, semblable à mon frère, à qui le bruit public attribue plus de prudence qu'à moi, je chercherai désormais à l'imiter dans la réédification de mes châteaux.»

La mésintelligence et la haine sont au comble entre (418) le pape et l'empereur Frédéric. Excommunication de l'empereur. — Colère de celui-ci. — Cette même année, pendant le carême, le seigneur pape, ayant vu que les actions de l'empereur passaient toutes bornes, et qu'il cherchait par ses paroles à excuser sa faute, disant et assurant avec obstination qu'il avait reçu et occupé la terre et les châteaux de l’évêque de Sardaigne, par la cession de quelques seigneurs et des juges sardes; que cette île faisait partie du corps impérial; que, dans son serment fondamental et solennel, il avait juré de. maintenir les droits de l'empire selon son pouvoir, et d'en rassembler les membres épars; le pape, dis-je, très-violemment irrité contre l'empereur, répandit des accusations et des plaintes contre lui, lui écrivant lettres sur lettres, et cherchant à lui persuader, par des ambassades fréquentes et solennelles, composées de personnes d'un caractère respectable, de rendre ce qu'il avait enlevé, et de cesser de dépouiller l'église des possessions auxquelles une longue prescription de temps lui donnait des droits incontestables. Imitant l'exemple d'un médecin habile, qui tantôt se sert de remèdes simples, tantôt emploie le tranchant du fer, tantôt a recours à la cautérisation, le pape entremêlait ses paroles menaçantes de paroles douces, et ses paroles amicales de paroles terribles; mais l'empereur, s'étant obstinément refusé à toute réparation et ayant excusé ses actes par des arguments fondés en apparence sur la raison, le seigneur pape, dans un accès de colère bouillante, entouré d'un grand (419) nombre de cardinaux, excommunia solennellement ledit Frédéric, comme s'il était déjà abattu du faîte impérial, et, par une imprécation terrible, le livra à Satan au jour de la mort. Voici les termes de la sentence qu'il prononça en frémissant de fureur, et qui plongea dans la consternation et dans l'effroi tous ceux qui l'entendirent:

«Au nom du Dieu tout-puissant, Père, Fils et Saint-Esprit, et en vertu de l'autorité des apôtres Pierre et Paul, nous excommunions et anathématisons ledit empereur Frédéric, parce qu'il a fomenté à Rome même contre l'église romaine une sédition, à l'aide de laquelle il cherchait à chasser de leurs sièges le pontife romain et ses frères, et à fouler aux pieds la liberté du saint-siége apostolique, aussi bien que la liberté ecclésiastique, au mépris des privilèges, dignités et honneurs188 de l'église, et en allant audacieusement à l'encontre des serments qu'il est tenu d'observer sur ce point envers l'église romaine. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il a fait en sorte, au moyen de gens à lui, d'empêcher notre vénérable frère, l'évêque de Préneste, légat du saint-siége apostolique, de procéder à l'office de légation que nous lui avions confié pour les pays occupés par les Albigeois, à l'effet d'y corroborer la foi catholique. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il n'a (420) point permis qu'on pourvût à quelques églises cathédrales et autres vacantes dans son royaume, et qu'en cette occasion la liberté de l'église est en danger et la foi périt, puisqu'il n'y a personne pour annoncer la parole de Dieu, ni pour gouverner les âmes, faute de pasteurs. Or voici les noms desdites églises vacantes: les évêchés de Catania, de Reggio, d'Ariano (?), de Squillace, de Rossano, de Potenza, d'Otrante, de Policastro, de Sarno, d'Aversa, de Valva, de Monopoli, de Polognagno, de Melfi, de Rappella, d'Alife, de Mazara, de Cributo189, de Biseglia, de Fricento. Quant aux monastères, en voici les noms: celui de Venouse et celui de Saint-Sauveur à Messine. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que, dans son royaume, les clercs sont saisis et incarcérés, proscrits et massacrés, Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que, dans son royaume, les églises consacrées au Seigneur sont détruites et profanées. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il ne permet pas que l'église de Sora soit réparée. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il retient et empêche d'arriver jusqu'à nous le neveu du roi de Tunis, qui venait vers l'église romaine pour recevoir le sacrement de baptême. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il a pris et qu'il retient enfermé dans une prison Pierre Sarrasin, noble ci- (421) toyen romain, envoyé par le roi d'Angleterre vers le saint-siége apostolique. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il s'est emparé de terres appartenant à l'église, à savoir: Ferrare, Fusignagno (?)190, Bologne191, le diocèse de Ferrare, le diocèse de Bologne, le diocèse de Lucques, et la terre de Sardaigne, en violant audacieusement le serment qu'il est tenu d'observer sur ce point envers l'église romaine. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il a occupé et dévasté les terres de quelques seigneurs de son royaume, qui les tenaient sous la suzeraineté de l'église. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce qu'il a dépouillé de leurs biens certaines églises cathédrales, telles que celles de Mont-Reale, de Céphaledi, de Catane, de Squillace, et certains monastères, tels que ceux de Mileto, de Santa Euphemia, de Terra Maggiore et de Saint-Jean à Lamentano192. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que beaucoup d'églises cathédrales et autres, ainsi que des monastères de son royaume, ont été dépouillés de presque tous leurs biens par des exactions iniques. Item, nous excom- (422) munions et anathématisons le même Frédéric, parce que, dans son royaume, les templiers et les hospitaliers, dépouillés de leurs biens meubles et immeubles, n'ont point été rétablis dans l'intégrité de leurs possessions, selon la teneur du traité de paix. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que, dans son royaume, les prélats des églises et les abbés de l'ordre de Citeaux et des autres ordres sont forcés chaque mois de donner une somme d'argent déterminée, pour aider à la construction de nouveaux châteaux. Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que, contre la teneur du traité de paix, ceux qui ont pris parti pour l'église sont dépouillés de tous leurs biens, et forcés d'errer en exil comme des proscrits, tandis que leurs femmes et leurs enfants sont retenus captifs. (Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que des tailles et des exactions sont extorquées en son nom aux églises et aux monastères de son royaume, contre la teneur du traité de paix.) Item, nous excommunions et anathématisons le même Frédéric, parce que c'est par lui que sont entravées les affaires de la Terre-Sainte et le rétablissement de l'empire de Romanie193. Nous déclarons tous ceux qui sont tenus envers lui par les liens du serment de fidélité, dégagés de l'observation dudit serment: leur dé- (423) fendant formellement de lui être aucunement fidèles, tant qu'il sera enveloppé dans les liens de l'excommunication. De plus, à cause des oppressions et des antres vexations qu'il a fait souffrir aux nobles, aux pauvres, aux veuves, aux orphelins, et autres gens de son royaume, dans l'intérêt desquels ledit Frédéric avait juré jadis d'obéir aux ordres de l'église, nous nous proposons de le déposer, et nous procéderons à cette entreprise, avec la grâce de Dieu, selon qu'il sera juste de procéder. Nous enveloppons donc dans les liens de l'excommunication et de l'anathème le même Frédéric, généralement et particulièrement, à cause de tous les excès ci-dessus mentionnés, et à l'occasion desquels ledit Frédéric a reçu de nous des avis diligents et fréquents, sans qu'il se soit mis en peine de les écouter. Enfin, comme le même Frédéric, d'après ses paroles et ses actions, est grandement accusé par la voix publique, et presque dans tout l'univers entier, d'avoir des opinions erronées sur la foi catholique, nous nous occuperons en temps et lieu, avec la grâce du Seigneur, de ce nouveau crime, et dans les formes que l'ordre du droit ordonne de suivre en pareil cas.»

A cette nouvelle, le seigneur empereur ressentit une violente indignation, se répandant en récriminations et en reproches, accusant l'église et ceux qui la gouvernaient, d'avoir été tous ingrats à son égard et de lui avoir rendu le mal pour le bien. «Faut-il leur rappeler, disait-il, que je me suis exposé aux flots de la mer et à des dangers de toute espèce pour la (424) dignité de l'église et l'accroissement de la foi catholique? Tout ce que l'église a gagné en Terre-Sainte, n'est-ce pas à mes travaux et à mes soins qu'elle le doit? mais le pape est jaloux que l'église ait vu sa puissance augmentée par les victoires d'un laïque. Lui qui recherche bien plus (et ses œuvres en font foi) l'or et l'argent que la prospérité de la foi, cherche à me supplanter! lui qui extorque de grosses sommes à toute la chrétienté sous le titre de dixième, fait maintenant tous ses efforts pour me dépouiller de mon héritage, moi qui ai combattu pour Dieu, moi qui ai exposé mon corps aux traits meurtriers, aux maladies, aux embûches des ennemis, et d'abord aux dangers des flots en courroux qui n'épargnent personne! Voilà quel secours nous trouvons chez [celui qui devrait être] notre père! voilà quel appui nous offre le vicaire de Jésus-Christ dans nos tribulations! Et pour lui ce n'est point encore assez de la fureur du persécuteur. Car il a soulevé contre moi, qui certes ne méritais194 point pareille chose, et pour ma confusion et ma perte, Jean de Brienne, jadis roi de Jérusalem, très-expérimenté dans l'art militaire et par-dessus tout mon ennemi juré. Il l'a même enrichi avec de grosses sommes qu'il avait extorquées sans pudeur dans le monde entier aux pauvres prélats des églises. Il est difficile d'exprimer combien de soupirs et combien de larmes cette douleur a engendré dans mon (425) cœur, quand de pareilles nouvelles me sont parvenues par le rapport de mes féaux. Mais celui-là le sait qui n'ignore rien. Cependant je me suis hâté de cacher sous un visage serein la douleur qui était au fond de mon âme, de peur que si mes ennemis s'apercevaient de ma tristesse, ils ne triomphassent en s'enorgueillissant et ne devinssent plus acharnés à me nuire; puis je me suis occupé de traiter de la paix, et après avoir conclu une trêve j'ai pressé mon retour. Revenu dans mes états, j'ai trouvé ma terre occupée par les parents et les amis du pape; ils avaient pour chef et pour capitaine le susdit Jean de Brienne; secondé par la vengeance divine, je nie suis emparé d'eux et je les ai a récompensés selon leurs mérites, c'est-à-dire en les punissant pour avoir mis obstacle aux affaires de la croisade. Que Dieu soit juge entre moi son chevalier et le pape son vicaire. Car le Christ sait, l'univers sait aussi, que je ne dévie point du sentier de la vérité.» Voilà quelle fut la racine et la semence de haine. Il en résulta un schisme qui divisa le peuple. Mais en peu de temps l'empire fut rétabli dans sa force par la présence du seigneur naturel, c'est-à-dire de l'empereur.

Les moines du Mont-Cassin viennent trouver le pape. — Écrit miraculeux. — Éclipse de soleil. — Naissance d'Édouard, fils aîné de Henri III. — Départ de Raoul de Thony pour la Terre-Sainte. — Maitre Nicolas de Fernham élu évêque de Chester. — Cette (426) même année, les moines du Mont-Cassin (où saint Benoît avait établi le siège de son ordre monastique) vinrent trouver le pape. Ils étaient treize, députés par leur couvent. Des habits vieux et déchirés les couvraient; ils avaient la barbe et les cheveux mal en ordre et le visage couvert de larmes. Ayant été introduits auprès du pape, ils se jetèrent à ses pieds et se plaignirent de ce que l'empereur les avait chassés de leurs possessions du Mont-Cassin. Or, c'était une montagne inexpugnable, inaccessible même pour qui que ce fût, sans la permission des moines et de ceux qui y habitaient avec eux. Cependant Robert Guiscard195 s'était emparé une fois du Mont-Cassin par stratagème, en contrefaisant le mort et en s'y faisant porter dans une bière. Le pape, en apprenant cette nouvelle, dissimula la douleur qu'il en ressentait et leur demanda la cause d'un pareil traitement. A cela les moines répondirent: «C'est parce que, pour vous obéir, nous avons excommunié le seigneur empereur. — Votre obéissance vous sauvera,». reprit le pape; et les moines se retirèrent, sans avoir reçu d'autre consolation.

Vers le même temps, un moine de Cîteaux aperçut une main blanche qui écrivait ces mots sur le corporal: «Le haut cèdre du Liban sera coupé. Mars prévaudra sur Saturne et sur Jupiter. Mais Saturne tendra de toutes les manières des embûches à Jupiter. (427) Il n'y aura qu'un seul Dieu, c'est-à-dire un monarque. Le second Dieu est venu. Les fils d'Israël seront délivrés de la captivité avant onze ans. Une nation regardée comme sans tête viendra en errant. Malheur au clergé: s'il tombe, un ordre nouveau est tout prêt. Malheur à la foi, aux lois, et aux royautés; il y aura des mutations, et toute la terre des Sarrasins sera bouleversée.»

Cette même année, le troisième jour du mois de juin, à la sixième heure, il y eut une éclipse de soleil. Vers le même temps, Guillaume, élu à Valence, fut appelé à l'évêché de Liège, par les soins du pape: (car le bruit courait que le pape se proposait de lui donner le commandement de son armée contre l'empereur). Ledit Guillaume conserva la procuration de l'évêché de Valence, comme si ce n'eût pas été un homme accusé d'avoir commis un homicide. Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner si tous ceux qui apprirent cela furent grandement surpris de voir que ledit Guillaume aspirât avec tant d'empressement à l'évêché de Winchester, et eût chargé le roi d'Angleterre de poursuivre vivement cette affaire. Hélas! hélas! combien il fallut d'argent pour arracher à la cour romaine son consentement et sa permission.

Pendant la nuit qui suivit le seizième jour avant les calendes de juillet, la reine Aliénor donna au roi un enfant mâle, à Westminster. Tous les seigneurs du royaume félicitèrent le roi de cet événement, mais particulièrement les citoyens de Londres, parce que l'enfant était né dans leur ville. Il y eut des (428) danses publiques au son des sistres et de tambours. Pendant plusieurs nuits les rues furent illuminées avec de gros lampions. L'évêque de Carlisle catéchisa196 l'enfant; le légat le baptisa quoiqu'il ne fût point prêtre, et l'archevêque de Cantorbéry Edmond le confirma. Le roi voulut qu'on lui donnât le nom d'Edouard. Une foule de messagers partirent pour répandre cette nouvelle, et revinrent chargés de présents magnifiques, En cette occasion, le roi ternit beaucoup sa magnificence royale. En effet, au retour de chaque messager, le roi l'interrogeait pour savoir ce qu'il avait reçu; et quand il en trouvait qui avaient reçu moins que les autres, quoiqu'ils rapportassent des présents précieux, il leur ordonnait de les rejeter avec mépris. Sa colère ne s'apaisa que quand ces messagers étant repartis de nouveau rapportèrent tout ce qu'il leur avait plu de demander. Un homme natif de Normandie dit plaisamment à ce sujet: «Dieu nous a donné cet enfant, mais le seigneur roi nous le vend.» Le légat, prodigue de la moisson qu'il n'avait pas semée, enrichit avec le bien d'autrui celui qui lui apporta cette bonne nouvelle. Le susdit enfant, fils du roi, fut baptisé le quatrième jour après sa naissance, dans l'église conventuelle, par le seigneur légat Othon, quoique l'archevêque fût présent. Les seigneurs Roger, évêque de Londres, et Gaultier, (429) évêque de Carlisle, ainsi que Guillaume élu à Norwich, le seigneur Richard, frère du roi et comte de Cornouailles, Simon de Montfort, comte de Leicester, Hugues de Bohun, comte d'Hereford et d'Essex, Simon le Normand, archidiacre de Norwieb, et les seigneurs Pierre de Maulac et Amaury de Saint-Amand, tinrent l'enfant sur les fonts baptismaux. De nobles dames assistaient aussi à la cérémonie.

Vers le même temps, un noble baron qui avait pris la croix et qu'on appelait Raoul de Thomey197, dit adieu aux siens et s'embarqua en grand appareil avec plusieurs seigneurs dont le plus grand nombre était du royaume de France, pour faire le pèlerinage de Jérusalem, à l'effet de mériter la palme de la récompense éternelle au jour de l'éternelle rétribution.

Vers le même temps, Guillaume de Rale ayant été postulé ou élu au gouvernement de l'église de Norwich, et le peuple aussi bien que le clergé y ayant donné son consentement, les moines de Coventry s'occupèrent activement de mener à terme l'affaire qu'ils avaient entreprise, à savoir: de se choisir un pasteur convenable, afin que l'élection ne pût être réprouvée à juste titre, ni leur causer de nouveaux embarras. Ils élurent donc maître Nicolas de Fernham, homme d'une érudition profonde, et, ce qui vaut mieux encore, décoré par toutes les vertus, d'un extérieur agréable, éloquent et sage dans ses (430) discours, grave et réservé dans sa physionomie et dans ses gestes; espérant qu'aucun motif de cassation ne pourrait empêcher leur projet. Le roi, le clergé et le peuple furent d'accord pour ratifier ce choix; mais maître Nicolas, homme d'une prudence profonde, voyant que la chose était sujette à discussion, que l'évêché [de Chester] était situé sur la limite du pays anglais, se regardant, en homme prudent et humble, comme insuffisant pour un si grand fardeau, enfin considérant sur combien d'âmes il aurait à veiller et quel compte périlleux il aurait à rendre, ne voulut en aucune façon consentir à son élection, et refusa formellement le fardeau et l'honneur qu'on lui offrait. En effet, la chose était en discussion entre les moines et les chanoines, parce qu'une partie des chanoines prétendait que, d'après le traité qui avait terminé la controverse jadis soulevée entre eux, l'élection leur appartenait cette fois, et que les moines ayant fait la première élection, la seconde devait raisonnablement être dévolue aux chanoines. Les moines répondirent à ces prétentions des chanoines, que l'élection qu'ils avaient faite ne s'était trouvée annulée et n'avait pu obtenir le résultat désiré que par un événement que nul ne pouvait prévoir; événement qui n'était dû à aucune démarche de leur part, mais à un arrangement de la Providence qui dispose tout selon sa volonté. Les chanoines dirent à leur tour: «Nous ne voulons pas que vous ignoriez que celui qui a été élu par vous nous plaît et qu'il est homme à remplir une dignité encore plus importante; mais ce qui nous (431) déplaît, c'est le mode d'élection, puisque le bon droit attribue l'élection à nous et non à vous, et nous avons déjà prouvé nos prétentions par le fait même: car nous avons élu, quant à nous, notre doyen pour évêque et gardien de nos âmes.» Alors la querelle devint bruyante, et le tumulte allait enfanter une discorde funeste, lorsque le doyen, homme pieux et qui voulait mettre un terme à la discorde, éleva publiquement la voix et s'écria: «Arrêtez, arrêtez. Je ne sais pour quel motif vous m'avez choisi, moi qui suis insuffisant pour les fonctions épiscopales: je m'y oppose de toute mon âme et de tout mon cœur, et je déclare y renoncer; que ce tumulte s'apaise, et réunissons cette fois d'un commun accord tous nos suffrages sur cet homme de bien, dont on fait tant l'éloge.» Alors d'un accord unanime, tous, tant chanoines que moines, députèrent, sauf toutefois le droit de leur église pour les deux parties, vers le susdit maître Nicolas, lui signifiant que tous ceux qui étaient d'abord désunis avaient rassemblé unanimement leurs suffrages sur lui seul; et le suppliant avec instance de daigner accepter gracieusement l'honneur, tout lourd qu'il était, qui lui était offert pour le Seigneur et dans le Seigneur. Maître Nicolas leur répondit: «O mes amis et seigneurs, tant chanoines que moines, je vous rends à mains jointes des actions de grâces multipliées, à vous, aux yeux de qui j'ai valu assez pour que vous me choisissiez pour pasteur, moi qui ne suis qu'un homme fort ordinaire. Mais ma condition actuelle (432) me suffit, ô mes amis: le fardeau qui m'a été confié me pèse déjà assez lourdement. Jugez combien le soin et la garde des âmes, ainsi que le compte qu'il en faudrait rendre, doivent m'inquiéter et m'effrayer. Cessez donc, cessez, mes très-chers frères, de me presser plus vivement à ce sujet: car je vous le dis en termes formels, soit que vous y consentiez ou non, je ne veux point être évêque.» Ayant appris ce refus, ceux qui étaient restés tinrent conseil et élurent avec la clause susdite le seigneur Hugues de Pateshulle, fils de l'illustre seigneur Simon de Pateshulle, dont la sagesse avait jadis gouverné toute l'Angleterre. Ledit Hugues, qu'ils choisirent pour évêque et gardien de leurs âmes, était chanoine de Saint-Paul de Londres et chancelier du seigneur roi. Celui-ci, en homme honorable et discret, tint longtemps conseil avec lui-même et réfléchit à ce passage de l'apôtre: «Celui qui administre bien gagne pour lui un bon rang.» Et cet autre passage: «Celui qui désire l'épiscopat, désire une œuvre qui est bonne.» Enfin, ému et touché de compassion à cause de la désolation de cette église et déterminé par les larmes, les travaux, les soins et les dépenses de ceux qui le sollicitaient, il donna son consentement afin que leur tristesse se changeât en joie.

Persécution contre les Juifs. — Arrestation de Ranulf le Breton. — Excommunication de l'empereur Frédéric publiée. — Lettre de l'empereur au sénat (433) et au peuple romain. — Autre lettre aux cardinaux. — Cette même année, le jour de la fête de saint Albans, premier martyr d'Angleterre, et le lendemain, les juifs furent en butte à une persécution violente et à l'extermination. Le templier Geoffroi, conseiller spécial du roi, les poursuivit, les emprisonna et leur extorqua de l'argent. Enfin, après avoir été mis à la torture, les misérables juifs, à leur grande ruine et confusion, payèrent au roi le tiers de tout leur argent consistant tant en créances qu'en biens meubles, afin d'avoir la vie et la paix pour un temps. La cause de ce déchaînement général contre eux fut un homicide commis secrètement par les juifs dans la cité [de Londres (?)]. Peu après, un enfant ayant été circoncis par les juifs, quatre juifs, convaincus manifestement de ce crime, furent pendus à Norwich: c'étaient les plus riches de la ville.

Pendant que ces choses se passaient, et après que Dieu eut accordé au roi transporté d'allégresse un enfant mâle pour combler ses vœux et les désirs de plusieurs, il arriva un événement qui prouva que dans les choses de ce monde, il y a toujours du fiel amer au fond du calice. Un certain messager du roi, appelé Guillaume, convaincu d'attentats multipliés, forgea de fausses accusations contre un grand nombre de seigneurs anglais, et chercha à les faire soupçonner du crime de lèse-majesté pour prolonger sa misérable vie: car il était en ce moment condamné à mort et enchaîné dans un cachot. Il porta même une accusation criminelle contre Ranulf le Breton, clerc (434) et chanoine de l'église de Saint-Paul de Londres qui avait jadis été le familier du seigneur roi et de plus son trésorier. Le roi, ayant eu connaissance de cette accusation, envoya un message au maire de Londres Guillaume Goimer (d'autres disent Girard Bat), par lequel il lui donnait ordre de s'emparer de Ranulf et de le mettre aux fers dans la tour de Londres. Le maire obéissant avec plus de zèle au roi qu'à Dieu, se hâta d'exécuter les ordres qu'il avait reçus. En effet, il arracha violemment Ranulf de sa maison qui était voisine de l'église de Saint-Paul, et il l'enferma dans la tour de Londres après l'avoir chargé de ces chaînes de fer qu'on appelle vulgairement anneaux. A cette nouvelle, maître Gilbert de Luci, doyen de Londres, conjointement avec les chanoines ses collègues (car l'évêque n'était point alors présent), lança sur-le-champ une sentence générale d'excommunication contre tous les audacieux auteurs d'un pareil attentat et mit l'église de Saint-Paul en interdit. L'évêque adressa des remontrances au roi qui, loin de réparer son erreur, se laissa emporter à des menaces et redoubla de sévérité. Cependant voyant que l’évêque était sur le point de mettre en interdit toute la ville de Londres soumise à sa juridiction, et que de plus l'archevêque de Cantorbéry ainsi que le légat, l'évêque de Londres et beaucoup d'autres prélats étaient disposés à appesantir leurs bras, ledit roi, quoiqu'à contre cœur, ordonna que Ranulf fût relâché et s'en allât en paix. Mais comme il avait voulu ajouter cette condition que Ranulf serait gardé à Saint-Paul pour (435) être représenté sur-le-champ quand il plairait à lui, le roi, de l'accuser, le chapitre répondit qu'il ne consentirait en aucune façon à retenir Ranulf prisonnier pour ainsi dire par suite d'une pareille clause, mais que l'église voulait qu'il rentrât parmi les chanoines dans l'état de liberté absolue où il se trouvait, au moment où les satellites du roi vinrent l'enlever violemment de sa maison. Ranulf fut donc mis en liberté; mais il se retira de la cour du roi après avoir reçu une sévère leçon et avoir appris par expérience avec quelle légèreté la fortune traite les courtisans. Cependant Étienne de Ségrave qui n'avait pas été exempt des mêmes vexations, ne craignit point, malgré son âge avancé, de jouer un rôle qui lui convenait peu, en se livrant de nouveau aux soucis des cours; et il devint à cette époque le principal conseiller du roi; mars comme c'était un homme naturellement adroit, il sut tenir les rênes du conseil royal avec plus de modération qu'auparavant. Peu de temps après, ce misérable chargé de crimes dont nous avons parlé qui avait accusé une foule de seigneurs, et diffamé entre autres le susdit Ranulf, fut pendu ignominieusement hors de Londres à cette machine de supplice qu'on appelle gibet. Or, quand il vit que la mort était proche, il confessa publiquement, par un aveu tardif, en présence du peuple et des bourreaux, qu'il n'avait eu, en inventant ces imputations calomnieuses, d'autre motif que celui de prolonger sa vie.

A cette époque eut lieu, dans l'église de Saint-Paul de Londres, sur un ordre du pape, la déclaration de (436) l'excommunication lancée contre ledit empereur Frédéric. Il en fut fait de même dans tout l’évêché de Londres et ensuite dans tout le royaume; et il n'y avait personne qui élevât la voix ou qui opposât le bouclier de la contradiction, quoique le roi plutôt qu'aucun autre prince du monde eût un motif honorable de prendre la défense d'un prince qui lui était uni par les liens du sang.

Vers le même temps, le seigneur empereur, s'étonnant que le courage des Romains fût assez amolli pour qu'ils renonçassent à persévérer dans la soumission qu'ils lui devaient ainsi que dans la fidélité qu'ils lui avaient si formellement promise, et pour qu'ils eussent souffert que la sentence d'excommunication lancée contre l'empereur, leur seigneur naturel, fût promulguée dans leur propre ville, écrivit tant aux cardinaux de la cour romaine, qu'au sénateur de Rome et aux Romains des lettres où il exprimait la douleur profonde qu'il ressentait au fond du cœur.

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains, toujours Auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, au sénateur de Rome et à ses concitoyens les Romains, salut. Puisque Rome est la tète et la source de notre empire, et que l'empereur romain tire son nom du nom de Rome, pour que nous devions à ce nom de bon augure l'accroissement de notre grandeur et de notre dignité, nous avons lieu de nous étonner grandement que là même où notre dignité devrait être maintenue et nos injures réprimées, nous (437) ayons à souffrir les attaques de nos ennemis au milieu de ceux qui sont tenus et doivent, dans l'intérêt de notre grandeur, s'opposer comme un mur de défense à nos adversaires se soulevant contre nous; ils ont été témoins de ces insultes, et ils n'ont rien dit. C'est pourquoi nous sommes forcé de nous attrister vivement, parce que le pontife romain s'est emporté contre le prince romain à Rome même, ce qu'il n'aurait point osé faire ailleurs, à ce qu'on dit, et parce qu'il a proféré des blasphèmes impies contre l'empereur romain, protecteur de Rome et bienfaiteur des Romains, sans que ceux-ci s'y soient opposés. Aussi après tous nos bienfaits, sommes-nous en droit d'appeler ingrats tant les seigneurs romains que les Romains en masse, eux sur qui nous avions cherché à veiller spécialement et communément avec une munificence libérale et spontanée; eux dont nous avions toujours eu en vue l'accroissement et la prospérité. Nous pouvons aussi les regarder comme plongés dans le sommeil de l'inertie, puisqu'il n'est pas sorti du trébuchet un seul maillet pour frapper, et que parmi tant de seigneurs ou dans la foule des Quirites, parmi tant de milliers de citoyens romains, il n'y en a pas eu un seul qui se levât pour nous, qui prononçât un seul mot en notre faveur, qui compatît à notre injure; tandis que, de notre côté, nous honorions par nos victoires récentes cette ville illustrée partant d'anciens triomphes, et que nous nous efforcions, par de continuels travaux, de rétablir le nom romain tel qu'il était dans les jours antiques, et de rendre (438) plus grand encore l'éclat de l'empire romain. C'est pourquoi nous regardons comme nécessaire d'employer auprès de vous prières instantes, avis pressants et exhortations afin que s'il y a eu de votre part un peu de négligence et de torpeur, vous vous montriez aujourd'hui ce que vous devez être, excitant les autres par vos recommandations et votre exemple à se lever d'un zèle ardent tous en général et chacun en particulier pour tirer vengeance de notre commune injure. Faites en sorte que ce blasphémateur, qui n'aurait point osé répandre ailleurs de si atroces calomnies contre nous, ne puisse tirer gloire de sa présomption en disant qu'il a entrepris pareille chose contre nous sans s'inquiéter que les Romains le voulussent ou non; puisqu'on pourrait vous faire le reproche d'ingratitude, si après avoir pu honorablement empêcher ce qui a été fait, vous dédaigniez, la chose étant faite, de venger notre injure et la vôtre. En effet, comme nous sommes tenus, chacun de notre côté, nous à défendre l'honneur romain; et les Romains à défendre la dignité de notre nom, si nous les trouvions vous et eux négligents dans cette affaire, nous nous souviendrions que ce n'est aucune crainte, mais une grâce spéciale qui nous a décidé à combler les Romains de bienfaits, et nous nous verrions forcé, quoiqu'à regret, par cette ingratitude, de leur retirer à tous notre faveur [et leurs privilèges]. Donné à Trévise, le vingtième jour du mois d'avril.» Or, le même seigneur empereur Frédéric avait écrit peu de temps auparavant aux cardinaux. Déjà il avait (439) soulevé les Romains en partie; mais sa dernière lettre fit sur leurs esprits une impression beaucoup plus vive. Voici sa lettre aux cardinaux.

«Frédéric, par la grâce de Dieu, empereur des Romains, toujours Auguste, roi de Jérusalem et de Sicile, à tous les cardinaux de la très-sainte et sacrée église romaine, ses amis chéris, salut et assurance de dilection sincère. Comme le Christ est la tête de l'église et qu'il a fondé son église sur Pierre par analogie avec la pierre [qui sert de base], il vous a établis comme successeurs des apôtres afin que, Pierre étant le serviteur de tous, vous, qui êtes les lampes de l'église placées sur la montagne et non sous le boisseau, vous donniez en vérité votre lumière à tous ceux qui sont dans la maison par l'éclat des bonnes œuvres, et que vous ne cherchiez pas à vous soustraire aux opinions généralement reçues et qui font parler le monde [en notre faveur]. Car une égale participation vous rend complices de tout ce que celui qui est assis sur le siège de Pierre se propose de statuer ou a déjà déclaré et décidé [contre nous], à moins que la considération de l'état de la religion et le zèle ardent d'éviter un scandale général ne vous suggère pour l'avenir une modération prudente. En effet, n'a-t-on pas lieu d'être étonné et stupéfait qu'au milieu d'une réunion de pères si vénérables qui sont comme les remparts de l'église, celui qui siège sur le trône (et plût à Dieu que ce fût un juge équitable), veuille agir d'une manière inconsidérée, et se laissant entraîner par ses mouvements [de colère], s'efforce par amour (440) pour les rebelles Lombards, de tirer le glaive spirituel contre le prince romain, l'avocat de l'église, celui qui a été établi pour la prédication de l'Évangile. Cette inimitié est fort injuste, s'il nous est permis de le dire198, puisque toutes les vexations souffertes parles églises et qu'il nous reproche, nous a-t-on dit, en les détaillant spécialement comme des chefs d'accusation, ont déjà été réparées ou doivent l'être prochainement sur délibération de notre conseil, délibération provoquée à bon droit par un ordre de nous, et qui sera suivie d'une réparation complète. En effet, pareil témoignage est rendu par les lettres patentes des prélats qu'un mandat apostolique avait chargés de nous avertir199. De plus, notre constitution précédente relative à la réhabilitation des prélats qui ont souffert des dommages, et à la satisfaction entière qui doit leur être rendue, rend évidemment témoignage à la vérité, comme le prouvent les lettres du vénérable archevêque de Messine, transmises à notre assesseur institué ad hoc. C'est pourquoi nous nous affligeons, non sans raison, de ce que le père apostolique cherche à nous offenser si grièvement. Aussi puisqu'une si violente injure tombe sur un homme de cœur, et quoique nous voulions la supporter avec patience, la grandeur de l'outrage ne permet pas que nous ne soyions poussé par tant d'affronts à ces vengeances auxquelles les Césars ont ordinairement re- (441) cours. Cependant quand nous considérons l'emportement de celui qui attaque, et quand nous réfléchissons aux embarras de celui qui se défend, nous trouverions notre position plus tolérable s'il était permis, selon l'équité, d'exercer des vengeances privées, de façon que nous puissions les répandre sur l'homme qui est l'auteur de ce scandale ainsi que sur ceux qui sont de son sang, et que l'injure qui est venue de son siège retombât sur lui et sur les siens. Mais comme en pareille occasion ni lui ni toute sa famille, dût-elle souffrir avec lui, ne sont gens d'assez haute importance pour que la grandeur impériale soit jalouse d'en tirer vengeance; comme l'autorité du siège de Rome ne connaît plus de bornes à son audace; comme enfin la réunion de tant de vénérables frères paraît le favoriser dans ses projets orgueilleux, nous ressentons dans l'âme un trouble encore plus grand, parce qu'en cherchant à nous défendre contre celui qui nous persécute, il nous faudra, en nous défendant, offenser plus grièvement ceux qui résistent, sauf néanmoins en toutes choses la sainteté de l'église que nous vénérons avec un culte sacré et le respect qui lui est dû. C'est pourquoi nous supplions affectueusement votre vénérable assemblée d'apaiser, avec votre modération prudente, les emportements du souverain pontife, que par des raisons évidentes, le monde entier attribue non point à sa justice, mais à sa mauvaise volonté pour nous, et d'empêcher que les scandales ne troublent l'état général et la présente tranquillité des âmes. Car si nous désirons avec bien- (442) veillance que vous soyez tous sauvés, nous ne pourrions pousser la magnanimité jusqu'à épargner ceux qui nous auraient outragé; et n'ayant pu arrêter le mal dans son principe, il nous deviendrait licite de repousser par les violences des violences qu'il nous a été impossible de détourner. Donné à Padoue200, le dixième jour de mars, onzième indiction.»

Pronostics au sujet des affaires du temps. — L'empereur se justifie par ses délégués. — Lettres de ceux-ci. — Objections et réponses. — Plaintes de l'empereur contre le pape. — A cette époque, quelques écrits qui paraissaient pronostiquer les choses futures revinrent en mémoire, turent transcrits et répandus dans le monde, à l'occasion des dangers qui menaçaient, et de la discorde qui venait d'éclater entre des personnages si haut placés qu'ils n'ont point de supérieurs ni même d'égaux. Voici un de ces écrits:

«Rome se soulèvera contre le Romain, le Romain sera substitué au Romain, et Rome diminuera le Romain: la verge des pasteurs sera moins lourde et leur consolation sera dans le repos. Les zélés seront troublés et prieront, et la tranquillité de plusieurs sera dans les larmes. L'humble se jouera du furieux, et la fureur, s'éteignant, se laissera tomber. Un nouveau troupeau arrivera au faîte, et ceux qui sont fiers (443) de leurs titres anciens se nourriront d'aliments grossiers. L'espérance de ceux qui espéraient a été frustrée, ainsi que le repos de ceux qui consolaient, repos dans lequel ils mettaient leur confiance. Ceux qui ont marché dans les ténèbres reviendront à la lumière. Ce qui était divisé et dispersé sera consolidé. Un gros nuage fera tomber de la pluie, parce qu'est né celui qui doit changer le siècle. L'agneau sera substitué au lion, et les agneaux feront du butin sur les lions. La fureur s'élèvera contre la simplicité, mais la simplicité affaiblie [d'abord] respirera. L'honneur se changera en déshonneur, et la joie de plusieurs en deuil.» Ces mots mystérieux qui avaient déjà paru l'an de grâce 1119 semblaient annoncer que les menaces qu'ils contenaient allaient se réaliser. On répandit aussi un autre écrit qu'on croit devoir attribuer à l'empereur. Quoi qu'il en soit, il parait certain que ces vers se trouvèrent écrits dans la chambre même du pape. Comment la chose eut-elle lieu? Quel fut l'auteur de ces vers? C'est ce qu'on ignore absolument:

«Les destinées enseignent, les étoiles avertissent et le vol des oiseaux prédit qu'il n'y aura pour le monde entier qu'un seul marteau, Rome, qui chancelle depuis longtemps et qui marche dans les différents sentiers de l'erreur, cessera d'être la capitale de l'univers.»

Ces vers furent interprétés par le seigneur empereur, et par beaucoup d'autres, comme s'appliquant à la ruine et à la désolation du pape et de la cour ro- (444) maine. Le pape, de son côté, retournait contre le même empereur les vers suivants:

Le bruit public raconte, l’Écriture enseigne et tes péchés disent clairement que ta vie sera courte et ta punition éternelle.

Cependant le seigneur empereur, voyant que dans ces circonstances sa réputation était en péril, chercha à prouver son innocence, et fit en sorte que des délégués solennellement choisis comme gens d'un grand poids, écrivissent au seigneur pape pour témoigner de leur innocence et de celle de l'empereur, et pour présenter sa justification.

«A leur très-saint Père en Jésus-Christ, Grégoire, par la grâce de Dieu, souverain pontife, ses dévoués les évêques de Wirtzbourg, de Worms, de Verceil et de Parme, humble mention d'eux-mêmes et respect aussi mérité que dévoué. Nous avons reçu en toute révérence et dévotion les lettres de votre sainteté, par lesquelles nous avions mission d'admonester notre seigneur le prince romain, relativement à quelques griefs qui se trouvaient inclus dans les mêmes lettres. Alors, pour acquitter la dette d'obédience que nous sommes tenus de payer envers un si grand seigneur201, nous sommes allés le trouver avec respect et dévotion, mais non sans hésitation, craignant qu'il n'accueillit pas nos avis avec patience. Nous lui avons exposé vos griefs, article par article; lui-même a pris connaissance de vos lettres; (445) puis, grâce au Seigneur qui tourne et dirige où il le veut le cœur des rois, il s'est montré avec une admirable dévotion et une humilité inespérée, tout à fait disposé à nous écouter, et, est descendu pour nous de sa hauteur impériale. Quand nous avons comparu devant lui, les vénérables archevêques de Palerme et de Messine étaient présents, ainsi que les évêques de Crémone, de Lodi, de Novare et de Modène, et l'abbé de Saint-Vincent; un grand nombre de frères de l'ordre des Mineurs et des Prêcheurs avaient été aussi convoqués. Alors il a répondu, article par article, à tout ce que nous lui avions exposé, comme vous pouvez le voir pleinement et clairement dans la suite de notre lettre; et d'après votre ordre apostolique nous déclarons, en rendant témoignage à la vérité, que ses réponses catégoriques à tous vos griefs sont exactement contenues dans les présentes lettres adressées à votre excellence. L'église se plaint de ce que les églises de Mont-Réale, de Céphalédi, de Catania et de Squillace, ainsi que les monastères de Miléto, de Santa-Euphémia, de Terra Maggiore et de Saint-Jean à Lamentuno, ont été dépouillés de presque tous leurs biens; item de ce que presque toutes les églises cathédrales et autres, ainsi que les monastères, sont dépouillés de presque tous leurs honneurs par des enquêtes iniques. L'empereur nous a répondu: «Quant aux vexations souffertes par les églises, et qu'on désigne d'une manière vague, quelques-unes ont été commises par ignorance, et j'ai donné ordre de les réparer sans aucun retard (446) fâcheux. Quelques-unes ont déjà été réparées par les soins d'un messager fidèle et industrieux délégué spécialement à cet effet, à savoir: Maître Guillaume de Tocto, notre notaire, qui même a reçu ordre de passer par la cour romaine, de s'entendre avec le vénérable archevêque de Messine, et de procèder, d'après son avis, à la correction des abus qui lui sembleraient évidemment commis. Il a si bien accompli sa mission qu'à son entrée dans notre royaume, ayant trouvé sur la frontière quelques possessions qui étaient occupées par des gens du vasselage impérial, il ne les a point épargnés, mais les en a expulsés sur-le-champ, y rétablissant ceux qui en avaient été dépouillés, quoiqu'il eût pouvoir de s'adresser au fisc impérial, dans le cas où il aurait à réparer des violations de propriété. Le bruit de la manière dont il agissait est arrivé jusqu'à la cour romaine, et l'on assure que le seigneur pape a approuvé la prudence de celui qui avait donné pareille mission, et l'exactitude de celui qui l'avait reçue. Comme le royaume est divisé en plusieurs provinces, ledit Guillaume n'a pu encore les parcourir toutes, afin de corriger ce qui lui semblera mériter correction. On parle de l'église de Mont-Réale; mais elle n'a éprouvé aucune vexation de la part du seigneur empereur, à moins qu'on ne veuille lui reprocher la conduite des Sarrasins qui se sont emparés, par la voie des armes, des biens de cette église, eux qui ne reconnaissaient ni le seigneur empereur ni l'église, et qui leur faisaient sans cesse (447) autant de mal qu'ils pouvaient. Ce sont eux qui ont pillé et dévasté le territoire de cette église, jusqu'aux murs mêmes de cette église, et qui n'épargnaient personne en Sicile; en sorte que peu ou point de chrétiens n'osaient demeurer dans ce pays. C'est pour cela que le seigneur empereur déclare qu'il les a fait sortir de Sicile, avec beaucoup de peines et de dépenses. Si c'est des Sarrasins que l'église de Mont-Réale se plaint [l'empereur convient qu'elle a raison;] mais autrement il n'a pas connaissance de l'avoir jamais grevée, ni ne veut la grever, il donne les mêmes explications relativement à l'église de Céphalédi, à moins qu'il ne soit question do château de Céphalédi, que les rois de Sicile ont toujours occupé comme une citadelle fortifiée, dominant la mer et située sur la marche des Sarrasins. Le pape Innocent, de bonne mémoire, donna ordre à son légat qui, à cette époque, se trouvait en Sicile pour notre service, de se faire remettre ce château par l'évêque, aux mains de qui il était venu par suite de perturbations et non légitimement, et de le faire tenir et garder pour nous pendant le temps de notre enfance. Actuellement ce château ne sera point restitué à l'évêque, ni ne doit lui être restitué en bonne justice, parce qu'il n'y a point droit. D'ailleurs, comme le témoignage public prouve que c'est un faussaire, un homicide, un traître et un schismatique, je ne serais point tenu à le lui restituer, quand bien même il y aurait droit: ce qui n'est pas.» Item. il s'est expliqué aussi sur l'église de (448) Catania, à moins qu'il ne soit question des hommes des domaines du seigneur empereur, qui, à l'époque de la guerre, se sont retirés à Catania, à cause de la tranquillité et de la fertilité du lieu. L'empereur avoue qu'il les a fait rentrer dans ses domaines, selon la teneur de la constitution du royaume qui donne droit aux comtes, aux barons et à tous les hommes du royaume de rappeler les gens de leurs domaines, partout où ils les trouveront, soit sur les terres des églises, soit dans les villes de l'empereur lui-même. Néanmoins une mesure a été prise à leur égard, et la prescription d'un certain temps a été acceptée sur la requête du souverain pontife; comme la chose est constante d'après les lettres du patriarche d'Antioche et des archevêques de Palerme et de Messine qui en font foi. Quant à l'église de Miléto et de Santa-Euphemia, un échange convenable a été fait avec l'abbé et les moines de Terra Maggiore de l'aveu des prélats eux-mêmes et des couveuts, selon forme juridique; et aujourd'hui ils tiennent et possèdent leurs terres dans l'état où cet échange les a mises. Quant au village202 de San-Severino, qui n'appartenait pas en entier à l'abbé de Terra Maggiore, à Ancône, puisqu'il y avait certains droits qu'il tenait en fief de l'empereur lui-même, ce village a été justement détruit par jugement, parce que les hommes de ce lieu, à l'époque de la perturbation [du royaume], ont massacré Paul de Longothan, bailli de l'empereur, et ont volé les (449) troupeaux impériaux. Néanmoins, comme il est dit plus haut, un échange a été fait avec l'abbé et le couvent, pour leur portion, et ils jouissent aujourd'hui de la possession. Le territoire de Lamentano a été enclos de murs, d'après sentence, par l'abbé de Saint-Jean de monte Rotundo, qui a donc pu et dû être sommé de comparaître en cour impériale, en vertu du droit civil et du droit canonique, au sujet de ce lieu, qui est chose tenue en fief. L'église se plaint de ce que les Templiers et les Hospitaliers, dépouillés de leurs biens meubles et immeubles, n'ont point été rétablis dans l'intégrité de leurs possessions, selon la teneur du traité de paix. L'empereur nous a répondu: Quant aux Templiers et aux Hospitaliers, il est vrai que, d'après un jugement et d'après l'ancienne constitution du royaume de Sicile, on les a privés de certains droits, tant féodaux que roturiers203, qu'ils possédaient, comme en ayant été investis par les envahisseurs de notre royaume, à qui ils fournissaient abondamment des chevaux, des armes, des provisions de bouche, du vin et toutes les choses nécessaires, tandis qu'ils faisaient la guerre à l'empereur, et refusaient absolument tout secours au susdit empereur, qui n'était alors qu'un roi en tutelle, abandonné de tous. Mais les autres droits, tant féodaux que roturiers, de quelque manière qu'ils les eussent acquis et possédés avant la mort du roi Guillaume second, (450) leur ont été abandonnés, ainsi que ceux dont ils avaient été investis par quelqu'un des prédécesseurs dudit Guillaume. Certains droits roturiers qu'ils ont achetés leur ont été retirés selon la forme de l'antique constitution du royaume de Sicile, d'après laquelle ils ne peuvent point traiter de droits roturiers entre vifs, sans le consentement du prince, ni les mourants leur léguer par testament de pareils droits, que sous la condition expresse de les vendre et de les céder à d'autres bourgeois séculiers au bout d'un an, d'un mois, d'une semaine et d'un jour. Et cette restriction a été établie anciennement, parce que, s'il leur était permis d'acheter et de recevoir librement et à perpétuité les droits roturiers, ils achèteraient et acquerraient au bout de quelques temps tout le royaume de Sicile204; ce qu'ils regarderaient comme plus facile là que partout ailleurs. Pareille constitution a aussi force de loi de l'autre côté de la mer. L'église se plaint de ce qu'il n'a point permis qu'on pourvût à quelques églises cathédrales et autres, vacantes dans son royaume, et de ce qu'en cette occasion la liberté de l'Église est en danger, et la foi périt, puisqu'il n'y a personne pour annoncer la parole de Dieu, ni pour gouverner les âmes, faute de pasteurs. L'empereur nous a répondu: Le seigneur empereur veut et désire de bon cœur qu'on pourvoie aux églises cathédrales et aux autres églises vacantes, (451) sauf les privilèges et dignités que les rois, ses prédécesseurs, ont possédés jusqu'à lui, et dont lui-même a fait usage jusqu'ici avec plus de modération que ses prédécesseurs: du reste, il n'a jamais été contre l'ordination des églises. L'église se plaint des tailles et des exactions qui sont extorquées aux églises et aux monastères contre la teneur du traité de paix. L'empereur nous a répondu: Les tailles et les collectes imposées aux clercs et aux personnes ecclésiastiques ne le sont point à cause de leurs biens ecclésiastiques, mais à cause de leurs possessions féodales et patrimoniales, comme c'est le droit commun, et comme la chose a lieu dans le monde entier. L'église se plaint de ce que les prélats n'osent point procéder contre les usuriers, par suite de la constitution impériale. L'empereur nous a répondu: La nouvelle constitution impériale promulgée par l'empereur contre les usuriers a été rendue publique. Cette constitution, qui les frappe hautement dans tous leurs biens, a été lue en présence des prélats, et elle n'interdit nullement aux prélats le pouvoir de procéder contre eux. L'église se plaint de ce que les clercs sont saisis, incarcérés, proscrits et massacrés. L'empereur a répondu: «Je n'ai connaissance d'aucune saisie ou d'aucun emprisonnement de ce genre, si ce n'est dans le cas où quelques clercs auraient été saisis par les officiaux impériaux, pour être ensuite remis au jugement des prélats, selon la mesure de leurs excès. Des clercs ont été proscrits, dit-on: en effet, je sais que quelques-uns ont été bannis du royaume; mais (452) c'est parce qu'ils étaient coupables du crime de lèse-majesté. D'autres ont été massacrés. Mais de tels événements ne sont dus qu'à l'impunité dont jouissent les clercs et les moines. L'église de Venouse, par exemple, pleure la perte de son évêque tué par un de ses moines. Dans l'église de Saint-Vincent, un moine a tué un autre moine, et l'on n'a tiré aucune vengeance de ces attentats. Il n'a pas même été question de peines canoniques. L'église se plaint de ce que les églises consacrées au Seigneur sont profanées et détruites. L'empereur a répondu qu'il n'a connaissance d'aucun fait de cette nature, à moins qu'on ne veuille parler de l'église de Lucera, qui, dit-on, est tombée d'elle-même par vétusté. Or, l'empereur, bien loin de s'opposer à sa réédification, est prêt pour l'honneur de Dieu et de l'église, à aider, sur ses propres biens et d'une manière convenable, l'évêque de Lucera dans la réédification de ladite église. L'église se plaint de ce qu'il ne permet point que l'église de Sora soit rebâtie. L'empereur a répondu: Qu'il veut bien que l'église de Sora soit rebâtie, mais elle seulement, et non point la ville, du moins tant qu'il vivra, parce que ladite ville a été détruite par suite d'un jugement. L'église se plaint de ce que, malgré la teneur du traité de paix, ceux qui ont embrassé le parti de l'église à l'époque des troubles ont été dépouillés de tous leurs biens, et sont forcés de rester en exil. L'empereur a répondu: Ceux qui ont adhéré au seigneur pape contre le seigneur empereur à l’époque des troubles, vivent paisiblement dans le (453) royaume. Il n'y a que ceux qui ont exercé des offices ou des juridictions, qui demeurent hors du royaume, soit qu'ils craignent d'avoir des comptes à rendre, soit qu'ils redoutent d'être cités pour causes civiles ou criminelles. A leur égard, le seigneur empereur consent à ce qu'ils rentrent dans le royaume, sans être inquiétés, à condition toutefois qu'ils voudront rendre compté à lui et aux autres plaignants, excepté pour leur adhésion ou à cause de leur adhésion au parti de l'église. A propos de ce traité de paix, l'empereur rappelle que le seigneur pape, contre ce traité lui-même, et contre l'avis de la plus grande partie des frères [cardinaux], occupe encore la ville de Castellana. Pour occuper cette ville, au préjudice de l'empire, le pape a reçu de l'argent, à l'époque même où le seigneur empereur lui a rendu de bons offices contre les Romains, en dépensant dans cette occasion au delà de cent mille marcs d'argent; en sorte que l'église en a tiré un grand avantage, d'abord par la terre enlevée aux Romains, et qui lui a été restituée, ensuite par la liberté ecclésiastique rétablie dans Rome même au moyen des bons offices susdits. L'église se plaint de ce qu'il ne permet point que le neveu du roi de Tunis, qui était venu pour recevoir le sacrement de baptême, se rende à la cour apostolique, et de ce qu'il le retient prisonnier. L'empereur a répondu: Le neveu du roi de Tunis est venu de Barbarie en Sicile, non point pour se faire baptiser, mais pour échapper à la mort dont son oncle le menaçait. Il n'est point tenu captif, mais il va et (454) vient librement dans l'Apulie; et quand on lui a soigneusement demandé s'il voulait être baptisé, il s'y est absolument refusé. Au reste, s'il veut être baptisé, le seigneur empereur ne s'y oppose point et s'en réjouit, comme il s'en est déjà expliqué à cet égard avec les archevêques de Païenne et de Messine. L'église se plaint de ce qu'il retient captif Pierre Sarrasin, féal de l'église, ce qui est injurieux pour elle, et de ce qu'il retient aussi captif frère Jourdain. L'empereur a répondu: Que Pierre Sarrasin a été pris par ses ordres, comme étant l'ennemi du seigneur empereur et son détracteur, tant à Rome qu'ailleurs; de plus, il n'est point venu pour, faire les affaires du roi d'Angleterre, mais seulement pour apporter des lettres de ce roi, par lesquelles ledit roi suppliait vivement l'empereur d'épargner le susdit Pierre, dans le cas où il le ferait prisonnier; mais l'empereur n'a pas dû obtempérer à ces lettres, parce que le roi ne savait point quelles embûches cet homme avait tendues à l'empereur. Quant à frère Jourdain, l'empereur ne l'a ni pris ni fait prendre, quoiqu'il l'eût diffamé dans ses discours. Mais comme quelques-uns des féaux de l'empereur, qui connaissent le caractère et les artifices dudit frère Jourdain, ont été d'avis que ses démarches et son séjour dans la marche de Trévise et dans la Lombardie ne pouvaient être que suspects et nuisibles au seigneur empereur, le seigneur empereur l'aurait fait remettre en liberté, et aurait ordonné qu'on le confiât au seigneur archevêque de Messine, après qu'il aurait prêté caution (455) de ne point séjourner dans la marche ou dans la Lombardie; mais l'archevêque n'a point voulu prendre sur soi la garde dudit frère à une pareille condition. L'église se plaint de ce qu'il a fomenté à Rome, même contre l'église romaine, une sédition à l'aide de laquelle il cherchait à chasser de leurs sièges le pontife romain et ses frères, et à fouler aux pieds la liberté ecclésiastique, au mépris des privilèges, dignités et honneurs du saint-siège apostolique. L'empereur a répondu: L'empereur nie qu'il y ait eu à Rome une sédition soulevée par lui contre l'église. Mais comme il a ses féaux dans la ville de Rome, ainsi que ses prédécesseurs, tant princes romains que rois de Sicile ont eu coutume d'en avoir, et que les sénateurs, jadis élus par le pouvoir de ses adversaires, ont fait leurs efforts pour opprimer ses féaux, l'empereur a dû tenir ferme pour leur défense, de même qu'il tiendrait ferme toutes les fois que pareilles circonstances exigeraient pareille conduite. Quand la cause a cessé, c'est-à-dire quand un autre sénateur a été élu en commun, la sédition dont il est parlé a cessé aussi; ainsi que la chose est constatée évidemment par le témoignage des archevêques de Palerme et de Messine. L'église se plaint de ce qu'il a donné ordre à quelques-uns de ses féaux d'arrêter l'évêque de Préneste, légat du saint-siège apostolique. L'empereur a répondu: Quant à l'ordre d'arrêter l'évêque de Preneste, le seigneur empereur, non-seulement ne l'a jamais donné, mais n'y a pas même songé, quoiqu'il eût pu agir ainsi selon la justice, puisque c'était son (456) ennemi. En effet, quoiqu'il fût envoyé par le seigneur pape comme un saint homme, il n'en a pas moins, sur l'ordre du seigneur pape, à ce qu'il a dit lui-même, soulevé en grande partie la Lombardie contre le seigneur empereur insidieusement et pernicieusement, et animé autant qu'il a pu les Lombards contre ledit empereur. L'église se plaint de ce que les affaires de la Terre Sainte sont arrêtées par lui, à cause de la discorde qui existe entre lui et quelques-uns des Lombards, tandis que l'église est prête à fournir œuvre et aide efficace pour qu'une satisfaction convenable soit donnée à l'empereur et à l'honneur de l'empire, au sujet de tout ce qui a été fait par les Lombards contre ledit empereur. Les Lombards, de leur côté, sont disposés à lu même réparation. Que l'empereur soit averti de tout cela, et qu'on vous fasse savoir sa réponse. L'empereur a répondu: Le seigneur empereur a dit que, quant à l'affaire de Lombardie, il s'en était maintes fois rapporté à l'arbitrage de l'église, et n'en avait jamais retiré aucun avantage. La première fois, les Lombards furent condamnés à fournir quatre cents chevaliers, dont le seigneur pape se servit de telle façon, qu'il les envoya dans le royaume contre l'empereur lui-même. La seconde fois, ils furent condamnés à fournir cinq cents chevaliers, qui ne furent point employés au service de l'empereur, envers qui l'injure avait été commise, mais qui durent faire le voyage d'outre-mer sous la protection et à la requête du seigneur pape et de l'église, qui n'avaient point été offensés; du reste, la (457) chose n'eut jamais lieu. La troisième fois, à la requête des cardinaux, à savoir, l'ancien évêque de Sabine et maître Pierre de Capoue, l'affaire fut remise à l'arbitrage de l'église, avec les pleins pouvoirs que le seigneur pape demandait; et depuis il n'en fut plus question. Mais quand le seigneur pape apprit que l'empereur, voyant qu'on s'était moqué si souvent de lui, se préparait à descendre de Germanie en Italie avec une armée, il demanda instamment que l'affaire lui fût encore une fois confiée. Quoique l'empereur eût éprouvé dans ces sortes de commissions le naufrage de ses espérances, il consentit cependant à lui remettre l'affaire, mais pour un jour fixe et à condition qu'elle serait terminée à son honneur et à l'avantage de l'empire. Le seigneur pape ne voulut pas accepter cette condition, comme ses propres lettres le prouvent, quoiqu'il prétende aujourd'hui, par ses lettres, que l'église serait prête à terminer cette affaire de manière à respecter le droit et l'honneur de l'empire. II ressort de là que les lettres du pape sont évidemment en contradiction les unes avec les autres. Et pour qu'on ne puisse pas prétendre que ce soit au préjudice de la Terre-Sainte que le seigneur empereur veut rétablir en Italie les droits de l'empire, on peut voir que le seigneur empereur s'occupe de l'affaire de la Terre-Sainte et ne néglige rien pour cela dans les lettres qu'il a adressées en réponse aux rois du monde et aux croisés de France, qui l'ont choisi pour seigneur et pour chef de l'armée. Dans ces lettres, il est allé même jusqu'à répondre aux susdits croisés qu'il (458) voulait régler l'expédition avec l'avis de l'église. Enfin, pour réparer toutes les vexations souffertes par les églises, un notaire du seigneur empereur a été envoyé comme délégué spécial, ainsi qu'il a été dit plus haut. En outre, l'empereur nous a déclaré dans sa réplique qu'il s'était passé un fait fort étrange, qui devait plonger dans l'admiration et dans la stupeur tous ceux qui en auraient connaissance. C'est qu'après le départ des susdits archevêques de Palerme et de Messine, à qui le seigneur pape avait promis pour le seigneur empereur la faveur de l'église, déclarant qu'il voulait qu'il n'y eût plus entre eux qu'un seul et même esprit; tandis que le seigneur empereur tendait, avec un empressement bien légitime, à obtenir la bonne harmonie, après que réponse suffisante leur avait été donnée sur quelques articles rédigés par eux, comme leur attestation en fait foi; voilà que, quand les susdits archevêques eurent le dos tourné, à leur grande confusion, et sans qu'ils s'en doutassent aucunement, ces205 lettres furent envoyées aux prélats avec des articles inclus; et ces lettres, quoique présentées sous forme d'admonition, n'en contiennent pas moins, d'une manière manifeste, une atteinte portée à la renommée impériale. Pour en finir, le seigneur empereur nous a répondu et déclaré d'une manière générale qu'ayant été longtemps absent du royaume, et ne sachant pas bien exactement ce qui s'y (459) est passé, il donnera ordre de réparer intégralement et sans s'arrêter à aucune difficulté, toutes les vexations que les églises pourraient avoir souffertes et qui resteraient à réparer. Néanmoins, à cause du bien universel qui ne peut manquer de provenir de son union entre l'église et lui, il est prêt à donner à l'église toute sûreté possible, à la bienséance de l'église et de l'empire lui-même, parce que, dans tout ce qui touche à l'honneur et à l'exaltation de la foi chrétienne, ainsi qu'à la conservation de l'honneur et de la liberté ecclésiastiques, il n'a qu'une seule et même pensée avec l'église, et que toutes ses forces et tout son pouvoir sont tournés entièrement vers ce but. Donné, etc., etc.»

Lorsqu'on eut porté cette lettre à la connaissance du seigneur pape, il entra dans une violente colère, et, se justifiant à son tour, il traita toutes les raisons que nous venons de voir de discours frivoles et inutiles, et les méprisa comme choses contraires à la vérité. Il écrivit donc à tous les princes et seigneurs de la chrétienté tant laïques qu'ecclésiastiques, et délia tous ceux qui étaient tenus de fidélité envers le même Frédéric, leur défendant de le regarder comme leur seigneur et de lui obéir. De plus, il fit publier solennellement et d'une manière capable d'inspirer l'effroi la sentence portée contre Frédéric dans tous les pays qui. reconnaissaient l'autorité papale, et principalement en Angleterre, répandant contre lui d'odieuses imputations, et l'appelant ennemi déclaré de Dieu et de l'église. Le seigneur empereur, ayant été bientôt informé de cette conduite du pape, fut saisi (460) de douleur au fond de l'âme, et fit entendre de profonds soupirs. Puis, adressant à ses amis des plaintes amères, il écrivit en ces termes:

«Frédéric, etc.. Nous parlons à regret, mais nous ne pouvons nous taire. En effet, la hache déjà enfoncée dans la racine de l'arbre et le glaive pénétrant presque jusqu'aux sources de la vie, nous font ouvrir les lèvres. Nous vous le disons, le crime a libre carrière; un peuple opiniâtre tourne sa main droite contre ses propres entrailles: voilà ce dont nous nous plaignons. L'injustice est préférée au bon droit, et les intentions de la justice sont méconnues. Les peuples s'efforcent de repousser le seigneur de l'Italie et le sceptre de l'Empire: oubliant leurs propres intérêts, ils remplacent la tranquillité de la paix par la licence d'une liberté vagabonde qu'ils préfèrent à l'équité et à la justice. Ne pensez point que cette rébellion ait pris son commencement sous notre règne: nous avons à venger les injures de notre grand-père et de notre père, et nous cherchons à étouffer des idées de liberté jalouse, qui déjà se propagent et se répandent dans les autres pays. Ne croyez point non plus que nous ayons jusqu'ici, en aucune façon, passé sous silence pareille chose ou que nous l'ayons vue avec des yeux de connivence. En effet, dès que nous sommes arrivé à l'âge de puberté, et que la force de l'âme et du corps s'est échauffée en nous; dès que nous sommes monté au faîte de l'empire romain, contre l'espérance des hommes, et seulement par la volonté de la Providence divine; dès que le royaume (461) de Sicile, noble héritage que nous avait laissé notre mère, a reconnu nos lois, nous avons sans relâche dirigé toute notre attention vers cet objet. Dans l'intention de mettre à exécution les projets que nous avait inspirés la perte lamentable de Damiette, nous avons eu une entrevue à Véroli avec notre vénérable père, le souverain pontife Honorius; et nous avons jugé à propos, d'après l'avis commun, de convoquer à Vérone une cour solennelle à l'effet de pourvoir aux intérêts de la Terre-Sainte et à la réformation de l'empire: nous pensions qu'il serait bon que le seigneur pape et nous fussions présents à cette assemblée. Ce projet ayant été changé tant par l'inconstance qui préside aux conseils humains que par les événements qui se passaient à cette époque, nous n'avons pas voulu renoncer à notre louable dessein, et après avoir eu une seconde conférence à Férentino avec le pape susdit206, nous avons annoncé que nous tiendrions notre cour à Crémone, et nous avons engagé notre propre fils, ainsi qu'un grand nombre des premiers de notre empire, à s'y rendre, accompagnés d'une escorte convenable de chevaliers. Nous, de notre côté, devions y conduire une troupe de chevaliers pris dans les pays d'Italie, selon qu'il convenait à l'excellence de la majesté impériale et à une si grande affaire. Mais les Lombards, rebelles envers nous et envers notre grandeur, se sont soulevés en esprit de contradiction; et, interprétant mal nos in- (462) tentions, ils ont mis en avant la crainte qu'ils ressentaient de nous voir entouré d'un cortège d'hommes d'armes; ils ont dédaigné de nous obéir, à nous qui sommes leur légitime seigneur, et en rendant impraticables les chemins qui donnent entrée en Italie, ils ont empêché notre fils et les seigneurs [d'Allemagne] de parvenir jusqu'à nous. Pour combler leur méchanceté encore secrète et leur perfidie, ils y ont ajouté l'insolence et une malice manifeste en tramant, en notre présence même et par mépris pour nous, des complots impies contre nous et contre l'empire. Alors, frustré de la vue souhaitée de notre fils, nous revînmes dans l'Apulie, parce qu'à cette époque nous étions rappelé par les préparatifs de la traversée d'outre mer à laquelle nous étions tenu d'après notre vœu. En parlant, nous confiâmes à l'arbitrage du souverain pontife la détermination de la satisfaction qui devait être donnée à nous et à l'empire. Ledit pontife les condamna par sentence arbitrale à nous fournir cinq cents chevaliers pour l'affaire de la Terre-Sainte, et à les entretenir à leurs dépens pendant deux années. Mais semant207 la discorde entre l'empire et l'église au moment même où la paix commençait, ils les firent passer contre nous dans l'Apulie; et ainsi, au lieu de nous donner satisfaction, ils redoublèrent leurs précédentes injures. Or, à notre retour des pays d'outre-mer, quand la dissension entre l'église et nous eut été apaisée, nous, qui tenons tou- (463) jours à notre ancien projet de rétablir les droits impériaux, nous déclarâmes de nouveau, sur l'avis de notre bienheureux père Grégoire, souverain pontife, qu'une assemblée générale s'ouvrirait à Ravenne, et que nous nous y rendrions avec un cortège de serviteurs seulement et sans appareil militaire, pour ne pas donner lieu à de vaines craintes et à des prétextes frivoles. Alors les Lombard susdits, bien loin de nous donner des signes de dévouement et d'obéissance, essayèrent presque sous nos yeux d'attaquer violemment les citoyens de Vérone et Eccelino de Romano208, qui, à cette époque, venaient de rentrer sous notre souveraineté; ils leur enlevèrent même leurs chars de bataille, et cela sans aucun égard pour le respect dû à notre présence. Ils empêchèrent, même pour la seconde fois, que notre fils arrivât jusqu'à nous, ou nous jusqu'à lui, par les terres et les routes de l'empire, qui, bien qu'étant à nous en (464) propre, n'en sont pas moins à tout le monde; en sorte que, dans cette occasion, l'œil d'un père n'aurait point vu son fils, si nous n'eussions eu recours aux vaisseaux de transport, et si, stimulé par l'amour paternel auquel nous ne pouvions ne pas céder, nous ne nous étions rendu à Aquilée en affrontant les dangers de la mer, pour voir notredit fils et les seigneurs qui venaient fidèlement vers nous. Nous eûmes encore, même alors, une clémence assez persévérante pour renoncer aux fureurs d'une agression hostile, et pour confier de nouveau notre cause à l'arbitrage et à la décision de l'église. Croyant désormais leur avoir fourni assez longtemps l'exemple de sentiments humains, nous sommes décidé à lever contre eux les cornes de la colère, puisque nous n'avons recueilli de leur part que de la perfidie au lieu de la foi qu'ils nous devaient, et du mépris au lieu d'affection, sans qu'aucune vexation soufferte par eux puisse nous faire comprendre les motifs qui les font agir.»

suivant

 

(162) Le titre de khan, kha-han, était commun à tous les chefs tartares. Il fut introduit, d'après Deguignes, par un souverain des Avares, nommé Touloun, l'an de J.-C. 402. Matt. Pâris revient à plusieurs reprises sur les Mongols, et transcrit arec soin tous les renseignements qui lui sont fournis et qui sont quelquefois empreints de l'exagération de la peur. Il leur a même consacré une longue note dans ses Additamenta. Le portrait qu'il en fait se rapporte presque exactement à ce que nous savons des Huns d'Attila d'après Zozime, Jornandès et surtout Ammien Marcellin. Fischer, dans un ouvrage assez récent (Quœst. Petrop.), donne aux Mongols les mêmes traits. Ceux-ci sortaient des vastes montagnes situées entre la Chine, la Sibérie et la mer Caspienne, anciennes résidences des Huns et des Turcs auxquels les unissait la communauté d'origine. De 1206 à 1227, le génie de Témoudgin (Zingiskhan) soumit à ses lois toute l'Asie septentrionale, le nord de la Chine, le Carisme, la Transoxiane et la plus grande partie de la Perse. Une horde s'avançant au nord de la mer Caspienne, parut en Russie. Octaï, fils et successeur de Zingiskhan, envoya une armée sous les ordres de Gayouk et de Batou, conquérir le Kaptschak et la Russie (1237). C'est cette multitude composée, dit-on, de cinq cent mille hommes, qui dévasta la Pologne et la Hongrie et menaça l'Europe. L'empire des Mongols fut à son plus haut point d'élévation sous Kubtaï, fils de Tuli et petit-fils de Zingis, vers la fin du treizième siècle. Il s'étendit alors du sud au nord depuis la mer de la Chine et les Indes jusqu'au fond de la Sibérie, et de l'orient à l'occident depuis la mer orientale et le Japon, jusque dans l'Asie Mineure et aux frontières de la Pologne. Le grand khan, envers qui les khans subalternes étaient tenus à une dépendance étroite, fixa sa résidence à Caracorum, environ à six cents milles N.-O. de Péking.

(163) Je propose et traduis pertimescentes au lieu de pertinentes.

164) Romipeda, romipeta. Terme générique appliqué à ceux qui vont à Rome solliciter des bénéfices. Gloss. de Carpentier.

165) Suam. Je propose et traduit singulam.

(166) Les abbés crossés et mitres avaient le titre des prélats. Or, il est évident qu'il s'agit ici des supérieurs de couvents plutôt que des évêques en visite; d'ailleurs le terme de prœlati avait au moyen âge un sens fort étendu.

(167) Nostrorum sans autre désignation; ne serait-ce pas plutôt: des abbés d'Italie?

(168) Nous avons corrigé tout ce passage dont la ponctuation est très-fautive d'après le commencement de chacune des décrétales qui suivent. Au reste, nous nous sommes décide à les séparer en leur donnant à chacune leur titre latin.

(169) Le sens me parait demander la négation.

(170) Noluerint dit le texte; vuluerint est plus juste.

(171) Je traduis cotte phrase en changeant la ponctuation.

(172) Le participe présent prœcaventes peut aussi se rapporter aux inspecteurs. Mais le sens me paraîtrait de cette façon moins naturel.

(173) Voir à la lettre de Grégoire IX sur ce même sujet, troisième vol., pag. 512 et suiv.

(174) Probablement les frères lait de leur couvent.

(175) Mariscus: le marais ou les marais; en anglais surrounded lands. On trouve dans Pline le mot mariscus employé pour désigner une espèce de jonc, et l'on sait que les joncs aiment à croître dans les lieux marécageux. Matt. Pâris emploie ce mot pour désigner tantôt le Marshland du comté de Norfolk, tantôt le grand terrain marécageux qui s'étendait au delà du Norfolkshire, formait l'Ile d'Ély, et couvrait les deux provinces de Lincoln et d'Hundington, et même de Northampton et de Cambridge. Les religieux avaient de bonne heure, dans le onzième siècle, défriché une partie de ce terrain qui présentait alors l'apparence d'un vaste lac parsemé d'iles, et l'on y trouvait des abbayes plus qu'en aucune autre partie de l'Angleterre.

(176) Stratis dit le texte; en anglais strert.

(177) On ignore la patrie de ce Robert. Fleury, d'après la chronique d'Albéric, rapporte qu'a l'époque du grand concile de Latran (1215), Robert fut amené à Milan par une femme manichéenne, qu'il y embrassa l'hérésie des Bougares et y demeura vingt ans, passant pour un des parfaits (χαθαροι), qu'ensuite il se convertit et entra dans l'ordre des prêcheurs, ou son érudition et son éloquence lui acquirent une grande réputation. Une des plus sanglantes exécutions dues à ce fanatique, fut le supplice de cent quatre-vingt-trois Bougares, brûlés à Monthémé en Champagne (1239).

(178) «On a attribué à Frédéric II et à Pierres des Vignes, son chancelier, le livre imaginaire: De tribus imposturibus; mais ni cet empereur ni son ministre, ni aucun de ceux à qui cette production à été attribuée, n'en est l'auteur; du moins elle a échappé à la recherche des savants. Le livre qui a paru sous la date de MDIIC (1598) in-8°, composé de quarante-six pages sans titre, est une imposture moderne. On attribue cette fraude à Straubius, qui fit imprimer ce livre à Vienne en Autriche, en 1753. La prétendue ancienne édition sans date, d'après laquelle celle-là a été faite, n'a jamais été vue de qui que ce soit.» (Dict. hist., art. Pierre des Vignes) Voyez la note II à la fin du volume.

(179) Dyscrasia, indisposition: terme générique. Dyscrasia (capitis, stomachi, etc).

(180) Quarta dit le texte, nous lisons tertia. Mais cette dernière phrase nous parait fautive; en effet. la concordance dont parle ici Matt. Pâris n'existerait plus, s'il était vrai que Jésus-Christ fût mort le 24 avril (VIII cal. maii.). Nous proposons donc VIII cal. aprilis (25 mars), qui est la date généralement adoptée et confirmée par un document tout récent, dont toutefois nous ne garantirons pas ici l'authenticité. (Voir le n° du Siècle, 22 avril 1839.) Car nous n'ignorons pas qu'un grand nombre d'autorités placent la passion du Christ au 3 avril. Ce qui nous confirme dans cette opinion, c'est que la date reconnue de l'Annonciation est un vendredi, 25 mars; il devait donc arriver fréquemment que la fête de l'Annonciation se trouvait dans la semaine sainte. Aussi la plupart des églises, pour éviter la célébration d'une fête joyeuse dans un temps de pénitence, avaient adopté l'usage de remettre la fête de l'Annonciation après Pâques, quand elle arrivait dans la quinzaine de Pâques On cite la cathédrale de Notre-Dame du Puy-en Velay, comme ayant obtenu le privilège de célébrer l'Annonciation à son jour, quand bien même elle tomberait le vendredi saint.

(181) Lisez Alexandre de Stavensby.

(182) C'est la première fois que ce mot se trouve employé dans Matt. Pâris pour désigner le conseil des grands tenanciers (commun conseil). On trouve bien sous Henri 1er et sous Henri II de fréquentes assemblées délibératives; mais rien ne prouve qu'elles portassent le nom de parlement, terme apporté par les Normands dans le sens de pourparler. Il est au contraire plus certain que le conseil des grands tenanciers ne prit le nom de parlement, qu'après que la grande charte l'eut constitué en corps de l'état en lui réservant le vote des subsides. Mais la date précise est impossible à fixer. Bien que l'on trouve parfois clero et populo convocatis (ce qu'il faut entendre par les clercs et les laïques avant droit d'assister à l'assemblée), il paraît hors de doute que les communes ne firent point partie du parlement jusqu'au grand soulèvement de 1262. Les lettres de convocation de 1265, rédigées sous l'influence de Simon de Montfort victorieux, ouvrirent la voie à une nouvelle organisation du parlement anglais, et à l'admission des députés des villes et des bourgs. Remarquons toutefois avec le père d'Orléans, que l'histoire ne fait mention de la chambre des communes comme séparée dé la chambre haute, que longtemps après Henri III. (En 1345, sous Édouard III.)

(183)Gènes et Pise, républiques rivales, se disputaient la Sardaigne et la corse, qui éprouvèrent à peu près les mêmes révolutions. «A la destruction du royaume des Vandales, la Sardaigne passa sous la domination des Grecs. Ceux-ci ayant abandonné l'île qu'ils étaient dans l'impuissance de défendre, les Arabes ou Maures essayèrent à différentes reprises de s'en rendre maîtres. C'est ce qui engagea les Sardes à se donner aux Francs qui réussirent pendant quelque temps à repousser les attaques des Arabes; mais ces derniers revinrent toujours à la charge, et on les voit encore établis dans l'Ile vers le milieu du onzième siècle, où les Génois et les Pisans, en réunissant leurs forces, parvinrent à les en chasser. Cette conquête occasionna de vives contestations entre les deux républiques dont chacune aspirait à la domination exclusive de l'ile. L'empereur Frédéric Barberousse, pour complaire aux Génois, déclara Barisone, juge d'Arborea, et leur vassal, roi de toute la Sardaigne, et le couronna en cette qualité à Pavie, le 5 août 1164; mais, dès l'année suivante, le même empereur accorda l'investiture de l'Ile tout entière aux Pisans. En 1175, les Génois et les Pisans soumirent la décision de leur différend à l'empereur, qui ordonna alors le partage de l'Ile entre les deux républiques. Caffari, Ann. Gen. dans Muratori, tom. VI. L'empereur Frédéric II couronna, en 1238, son fils naturel Henri ou Enzio, roi de Sardaigne, en lui faisant épouser Adelasie, héritière des deux judicatures de Torri et de Galluri, laquelle, deux années auparavant, avait fait au pape Grégoire IX la donation de tous ses biens. (Voy. Kœleri, Entius sive Henricus.) La Sardaigne passa ensuite sous la domination de la maison d'Aragon.» (Note de Koch, Tabl. des Rév., Pér. IV.)

(184) C'est probablement une forme d'argumentation scolastique.

(185) Probablement Kilkenni en Irlande.

(186) Nous lisons noluit au lieu de voluit qui est dans le texte. Matt. Pâris emploie fréquemment laqueos pour embarras, difficultés. Tel est aussi le sens des mots ambages, anfractus (barres et chicanes). Voy. la dissertation VIII de Ducange sur l'histoire de saint Louis; ou y trouve de curieux renseignements au sujet de l'origine des jeux qui portent ces noms.

(187) Nous ne savons où Puffendorf (Hist. Univers. Ecosse) a pris qu'Alexandre II épousa, après la mort de Jeanne d'Angleterre, la fille d'Ingelram Comyn. Il fonde sur ce mariage l'ascendant des Comyn pendant la minorité d'Alexandre III.

(188) Homines dit le texte; nous adoptons constamment honores, en comparant cette lettre à cette des évêques chargés d'examiner Frédéric.

(189) Sic. Peut-être Cariati.

(190) Pingnogoma. Nous ne trouvons dans cette partie du patrimoine de saint Pierre aucun lieu qui reproduise le mot du texte. Nous traduisons approximativement.

(191) Bondoniam. Evidemment Boloniam.

(192) Sancti Joannis in Lamis. Nous adoptons cette traduction parce qu'on lit plus bas: Sanctus Joannes Rotundus. Lamentano, à cinq lieues sud de Rome, est situé prés de Monte Rotundo.

(193) C'est-à-dire le rétablissement de l'empereur latin Baudouin qui mendiait des secours dans toutes les cours de l'Europe pour arrêter les progrès de Jean Ducas Vatacès, empereur de Nicée, allié et gendre de Frédéric II.

(194) Verentes. Je propose et traduis merentis.

(195) Les chroniques normandes attribuent la même ruse les unes à Hastings, les autres à Bobémond.

(196) C'est-à-dire en fit un catéchumène. Ce reste ou plutôt ce reflet du catéchuménat primitif subsistait encore dans l'église, comme une solennité préparatoire avant le baptême. Le prêtre bénissait l'enfant et priait pour lui. (Note du gloss. du texte.)

(197 Lisez de Thony. Voir la note III à la fin du volume.

(198) Je propose et traduis dicere, au lieu de decere.

(199) Voyez un peu plus bas, pag. 444 et suiv., la lettre des évêques chargés d'examiner la conduite de l'empereur.

(200) Podoiiii dit le texte. Patavii (?). Nous croyons voir Padoue dans ce mot, parce que Frédéric était à Padoue, quand il fut informé de son excommunication.

(201) En adoptant la variante dominum.

(202) Tasale. Lisez Casale (Voy. Ducange)

(203) Burgasatica, ou plutôt burgensatica, domaines qui peuvent être possédés par des bourgeois.

(204) On voit ici l'origine de l'amortissement des héritages tombant en main morte et de la taxe des nouveaux acquêts. (Note de Fleury, Hist. Ecclés., XVI° volume.)

(205) lstœ. Probablement celles qui motivent la présente lettre des évêques allemands et italiens.

(206) Prœstito. Nous lisons prœdicto.

(207) Seminante. Probablement seminantes.

(208) Ezzelin, surnommé de Romano, était d'une famille originaire d'Allemagne, et était né à Onera dans la Marche Trévisane. Dès sa jeunesse, son instinct féroce fit dire qu'il avait été engendré par le démon. A la tête du parti gibelin, il servit puissamment la cause de la maison de Souabe, exerça à Vérone et à Padoue, sous le titre de podestat, une impitoyable tyrannie, et finit par succomber sous les efforts de la ligue lombarde. Il mourut de désespoir dans sa prison à Soncino, en 1239. Ce barbare, par un singulier hasard, s'appelait le petit Attila; car le nom germanique d'Attila est Etzel, dont le diminutif est Etzelein d'où Ezelino, Eccelino. Un jour il ordonna d'enfermer douze mille hommes dans une enceinte de bois et d'y mettre le feu. Dante a marqué au monstre sa place dans le cercle des violents, et l'a plongé pour l'éternité dans le sang où il s'était baigné durant sa vie. (fnferno, XII, 109. — Voy. M. Ampère, Voyage dantesque, Revue des deux Mondes, 1839.)