DICTYS DE CRETE.
Histoire de la Guerre de Troie
LIVRE II
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ARGUMENT DU LIVRE SECOND. LIVRE SECOND. CHAPITRE I La flotte, poussée par un vent favorable, était arrivée sur les côtes de la Mysie (01). Sans perdre de temps, nos vaisseaux, à un signal donné, s'approchent du rivage. Nous allions prendre terre, lorsqu'une troupe armée se présente à nous. Télèphe, qui régnait sur ces contrées l'avait placée en cet endroit pour défendre le pays contre toute attaque du côté de la mer. Nous nous trouvons donc ainsi arrêtés, et l'on ne veut point nous laisser débarquer avant de savoir qui nous sommes. D'abord nous faisons peu de cas d'une pareille défense, et chacun des nôtres sort de son vaisseau. Mais nos chefs voyant que les garde-côtes ne se relâchaient en rien de leurs prétentions, et qu'ils continuaient de s'opposer de toutes leurs forces au débarquement, regardent cet obstacle comme une insulte, se saisissent de leurs armes, et sortent furieux de leurs vaisseaux; ils fondent sur les gardes, les enfoncent, et taillent en pièces tous ceux qu'ils peuvent atteindre dans leur fuite. CHAPITRE II. Cependant ceux qui, les premiers, avaient échappé aux armes des Grecs , accourent vers Télèphe, lui annoncent qu'une multitude d'hommes armés étaient descendus sur les côtes, qu'ils avaient tué les gardes, et s'étaient rendus maîtres du rivage. Chacun ajoute à ce récit tout ce que la crainte lui suggère. Télèphe, à cette nouvelle, prend avec lui les troupes qui étaient auprès de sa personne, rassemble celles qu'il trouve à sa disposition, et marche droit aux Grecs. Aussitôt les deux armées se choquent avec violence; bientôt on se saisit corps à corps, on se mêle; chacun presse son adversaire et en est pressé à son tour. La chute de ses compagnons tués à ses côtés inspire à chaque soldat une nouvelle fureur. Dans ce combat, Thessandre, fils de Polynice (02), ayant osé se mesurer avec Télèphe, tomba percé de sa main, après avoir immolé lui-même beaucoup d'ennemis, entre autres le compagnon d'armes de Télèphe, que ce prince comptait au nombre de ses meilleurs officiers pour sa valeur et ses talents, et qui ne succomba qu'après s'être couvert de gloire. Thessandre, enflé de ce succès, avait entrepris plus que ses forces ne lui permettaient, et fut la victime de sa témérité. Diomède, uni avec lui dès l'enfance, persévérant dans sa constante amitié, le prit sur ses épaules, et après avoir livré au feu sa dépouille mortelle, il en recueillit les restes, et leur donna, suivant l'usage, les honneurs de la sépulture. CHAPITRE III. Cependant Achille et Ajax, fils de Télamon, s'apercevant que l'issue du combat tournait au désavantage des Grecs, partagent l'armée en deux corps. Leur présence fut pour nous un nouveau renfort. Placés à la tête des troupes, et après une courte harangue, convenable à la circonstance, ils pressent l'ennemi plus vivement qu'auparavant. Tantôt ils opposent à son attaque un rempart inexpugnable, et tantôt ils poursuivent les fuyards sans leur donner un instant de relâche. Enfin, toujours vainqueurs partout où ils se trouvent, toujours aux premiers rangs, ils donnent à leurs compagnons, ainsi qu'à leurs ennemis, une idée imposante de leur bravoure, et rétablissent le combat. Dans ce moment, Teutranius (03), fils de Teutras et d'Augé, frère utérin de Télèphe, voyant Ajax combattre les siens avec tant d'avantage, dirige ses efforts contre lui. Bientôt il est atteint d'un trait lancé de la main du guerrier. Télèphe, irrité de la mort de son frère, et voulant le venger, se précipite au fort de la mêlée, renverse tout ce qui s'oppose à son passage, et poursuit, l'épée dans les reins, Ulysse à travers des vignes qui avaient été plantées en cet endroit (04). Alors il tombe lui-même embarrassé dans les ceps. Aussitôt Achille l'aperçoit et décoche un trait qui vient percer la cuisse gauche du roi. Ce prince se relève avec courage, arrache le trait, et, protégé par les siens, il échappe à la mort qui le menaçait. CHAPITRE IV. Déjà le jour était sur son déclin, et les deux armées combattaient encore; mais l'action, trop longtemps prolongée et soutenue en vain de toute la valeur des chefs, ne faisait plus que languir. De notre côté, la fatigue d'une longue navigation et surtout la présence de Télèphe, nous avaient considérablement affaiblis. Ce prince, en effet, digne fils d'Hercule, était d'une taille gigantesque : doué d'une force divine, il avait par ses hauts faits presque atteint à la gloire de son père. La nuit qui survint mit donc fin au combat, à la grande satisfaction des deux partis. Les Mysiens se retirèrent dans leur ville, et les Grecs remontèrent sur leurs vaisseaux. Dans cette journée, nombre de guerriers périrent de part et d'autre; mais la plus grande partie fut blessée, et très peu se retirèrent sans avoir eu leur part du danger. Le jour suivant, on s'envoya réciproquement des députés pour convenir d'une trêve, afin d'ensevelir les morts. Tout le temps qu'elle dura, on s'occupa de ce soin. Les corps furent rassemblés, livrés aux flammes, et les cendres déposées dans des urnes funèbres. CHAPITRE V. Cependant Tlépoléme, et Phidippus avec son frère Antiphus, fils de Thessalus, et petit-fils d'Hercule, comme nous l'avons dit ci-dessus, avaient appris que Télèphe régnait sur ces contrées. Pleins de confiance en la parenté qui les unissait avec ce prince, ils se rendent auprès de sa personne, lui annoncent qui ils sont et avec qui ils sont venus. Après plusieurs discours de part et d'autre, ils reprochent à Télèphe d'avoir agi en ennemi envers des princes qu'il devait regarder comme des parents, lui font observer qu'Agamemnon et Ménélas, descendants de Pélops, qui commandent l'armée des Grecs, ne lui sont pas non plus étrangers (05). Ils passent ensuite aux attentats commis par Alexandre contre la maison de Ménélas, et à l'enlèvement d'Hélène, et concluent qu'un double motif, la parenté qui les unit et la violation des droits de l'hospitalité, droits qui sont communs à tous, doivent l'engager à favoriser les Grecs dans leur entreprise. Suivant eux , il y était d'autant plus obligé que la Grèce entière se trouvait couverte de monuments des travaux que son père Hercule avait entrepris en faveur de leur commune patrie (06). Téléphe, quoique souffrant considérablement de sa blessure, répondit avec douceur que s'il avait méconnu en eux des amis et des parents, c'était leur faute et non la sienne; qu'il leur fallait d'abord envoyer des député pour l'instruire de leur arrivée, qu'ainsi prévenu, il se serait fait un devoir d'aller au-devant d'eux, de les recevoir avec honneur, de leur donner tous les secours qui dépendaient de lui , et de les renvoyer ensuite chargés de présents, lorsqu'ils auraient jugé à propos de le quitter. Quant à la guerre contre Priam, il leur dit qu'il ne pouvait s'en mêler, parce qu'il avait épousé Astyoché, fille de ce prince (07), et qu'Eurypyle, son fils, qu'il avait eu d'elle , ajoutait à la force du lien qui l'unissait à son beau-père. Il envoie ensuite à ses troupes un ordre exprès de cesser toute attaque, et laisse ainsi aux nôtres l'entière liberté de descendre à terre. Tlépolème et ceux qui l'accomgagnaient, sont confiés à Eurypyle. Bientôt, satisfaits d'avoir réussi dans leur négociation, ils retournent aux vaisseaux, annonçant à Agamemnon et aux autres rois que la paix était faite avec Télèphe. CHAPITRE VI. A cette nouvelle, on cesse avec plaisir toute disposition hostile. D'après l'avis du conseil, Achille et Ajax sont envoyés vers le roi. Ils le trouvent accablé de sa blessure; ils le consolent et l'exhortent à supporter son mal avec courage. Télèphe, dans les moments de liberté que sa douleur lui laissait, accusait les Grecs de ne lui avoir pas même envoyé un courrier pour l'instruire de leur arrivée. Il s'informait d'eux quels étaient les Pélopides, et combien il y en avait alors à l'armée. Sur leur réponse, il les pria instamment de les lui faire voir tous. Nos députés lui promettent de le satisfaire, et font prévenir leurs compatriotes du désir de ce prince. Les Pélopides en corps viennent à la cour, excepté Agamemnon et Ménélas. Leur présence causa au roi beaucoup de satisfaction, et leur attira de sa part des marques de reconnaissance. Il les combla de riches présents, et remplit à leur égard les devoirs de l'hospitalité. Les soldats, de leur côté, qui étaient restés sur les vaisseaux reçurent aussi des témoignages de sa générosité. Ce prince fournit avec abondance à chaque navire du blé et tout ce qui était nécessaire à la subsistance des troupes. Lorsque Télèphe se fut aperçu qu'Agamemnon et Ménélas n'étaient point auprès de lui, il pria instamment Ulysse d'aller les chercher. Ceux-ci vinrent bientôt. Ces deux princes et le roi se saluèrent réciproquement, et après les présents d'usage, on envoya à Machaon et à Podalire, fils d'Esculape, l'ordre de se rendre auprès dé Télèphe, et d'apporter un remède à son mal : ce qu'ils firent promptement, après avoir examiné la blessure. CHAPITRE VII. Plusieurs jours s'étaient déjà écoulés; la mer commençait à s'enfler, les vents à souffler avec violence, et l'occasion de mettre à la voile à devenir moins favorable. Nos chefs vont trouver Télèphe, et le consultent sur le temps le plus propice pour se mettre en mer. Instruits par lui que le printemps était la seule époque où l'on pût de ce lieu se rendre en sûreté dans les ports de la Troade (08), parce qu'en toute autre saison la navigation devenait pénible et dangereuse, ils reprennent d'un commun accord le chemin de la Béotie, et après avoir mis leurs vaisseaux en rade, chacun retourne chez soi pour y prendre son quartier d'hiver. Pendant que dura cette suspension d'armes, Agamemnon put à loisir manifester son ressentiment contre Ménélas, qu'il soupçonnait d'être l'auteur de la mort d'Iphigénie et la cause de sa douleur. CHAPITRE VIII. Dans le même temps, des marchands scythes, qui parcouraient l'Hellespont et les mers voisines pour commercer avec les habitants des contrées maritimes, répandirent le bruit de l'armement des Grecs. Cette nouvelle remplit la ville de Troie de tristesse et de crainte. Ceux-là surtout qui, dans l'origine, avaient désapprouvé l'action d'Alexandre, répétaient sans cesse qu'on avait grièvement offensé les Grecs, et que, pour soutenir l'insatiable avidité de quelques individus, on courait à une perte certaine. Ces inquiétudes et ces craintes n'empêchèrent pas Alexandre et ceux de son parti d'envoyer des députés choisis dans toutes les classes des citoyens, pour tirer des secours des pays voisins, avec ordre de revenir aussitôt qu'ils auraient réussi dans leur négociation. L'intention des Priamides, en agissant ainsi, était de rassembler une année pour prendre l'avance, et de porter dans la Grèce même la guerre dont on les menaçait. CHAPITRE IX. Pendant ces préparatifs des Troyens, Diomède, de son côté, bien instruit de leurs projets, parcourait la Grèce avec célérité, entretenait les chefs les uns après les autres, leur découvrait les conseils de l'ennemi, les pressait, les conjurait de préparer promptement tout ce qui était nécessaire pour l'expédition, et de hâter leur départ. En, effet, sans perdre de temps, ils se rendent tous à Argos. Là, Achille, toujours courroucé contre Agamemnon, qui, à cause de la perte de sa fille (09), refusait de partir, fut réconcilié avec ce prince par l'entremise d'Ulysse. Agamemnon, d'abord enseveli dans sa profonde douleur, refusait toute consolation, mais Ulysse releva son courage et son espoir en lui donnant à comprendre ce qui était arrivé à la princesse, Tous les alliés étaient donc présents , et tous montraient les meilleures dispositions, et mettaient beaucoup d'activité dans leurs préparatifs, mais Achille, Ajax et Diomède l'emportaient sur eux tous par les soins qu'ils se donnaient, et par l'empressement qu'ils témoignaient de voir cette guerre commencer. Ils furent d'avis de préparer une flotte, outre celle que l'on avait déjà, pour faire des courses sur différents points des côtes ennemies, et, en peu de jours, ils en équipèrent une de cinquante navires bien pourvus et bien approvisionnés. Cependant, depuis le jour où l'entreprise avait été résolue jusqu'à l'époque dont nous parlons, huit années s'étaient écoulées (10), et la neuvième commençait. CHAPITRE X. Aussitôt que la flotte fut prête, la mer favorable à la navigation, et qu'il n'y eut plus aucun sujet de retard, les chefs prirent pour guides, en les payant, des marchands scythes qui se trouvaient alors dans le port pour leur commerce. A la même époque, Télèphe, toujours souffrant de la blessure qu'il avait reçue dans le combat qu'il avait soutenu contre les Grecs, et qu'aucun remède ne pouvait guérir, averti par l'oracle d'Apollon de recourir à Achille et aux fils d'Esculape, fit voile vers Argos. D'abord on fut étonné de le voir; mais lorsqu'il eut donné connaissance du sujet de son voyage, et prié ses amis de ne pas lui refuser un remède prescrit par Apollon, Achille, Machaon et Podalire se rendirent à ses instances, et, par une prompte guérison, confirmèrent la vérité de l'oracle (11). Cependant les Grecs, après avoir immolé nombre de victimes aux dieux immortels pour se les rendre favorables dans leur expédition, se réunissent avec leur flotte dans le port d'Aulide, de là, ils mettent à la voile, et Télèphe, en reconnaissance du bienfait signalé qu'il a reçu d'eux, leur sert de conducteur. Les vents leur étant favorables, ils arrivent en peu de jours sur les côtes de la Troade. CHAPITRE XI. Dans le même temps, le Lycien Sarpédon, fils de Xanthus et de Laodamie, déjà averti par les fréquents messages de Priam, et apercevant de loin une flotte considérable qui approchait de terre, vit à quels ennemis il avait à faire. Il range ses troupes en bataille et tombe sur les Grecs, qui commençaient à opérer leur descente. Bientôt après les Troyens, avertis du danger, prennent les armes et se joignent aux Lyciens. Les Grecs, attaqués par tant d'ennemis à la fois, et pressés sur tous les points, ne pouvaient, sans risque de se perdre, sortir de leurs vaisseaux ; la confusion qui régnait partout les empêchait également de s'armer. A la fin pourtant, ceux qui purent le faire, s'étant encouragés mutuellement, marchèrent avec courage à l'ennemi. Dans cette action, Protésilas, dont le vaisseau avait le premier touché la terre, tomba percé d'un javelot parti de la main d'Énée, en combattant à la tête des siens. Deux fils de Priam éprouvèrent le même sort; et la multitude, des deux côtés, eut sa part du danger. CHAPITRE XII. Cependant Achille et Ajax Télamon, dont l'audace soutenait celle des Grecs, se couvrirent de gloire dans cette occasion, et, par leur intrépidité, inspirèrent autant de terreur à leurs ennemis que de courage à leurs soldats. Déjâ les Troyens n'opposaient plus qu'une faible résistance ; et bientôt lâchant pied, leur retraite se changea en une déroute complète. Débarrassés des ennemis (12), les Grecs rangent en ordre leurs vaisseaux et les mettent en sûreté dans la rade. Ensuite ils choisissent, entre tous, Achille et Ajax Télamon, dont la valeur inspirait la plus grande confiance, pour veiller â la sûreté de la flotte; et, dans la distribution qu'ils firent des troupes, ils donnèrent à ces deux guerriers le commandement des deux ailes. Après ces dispositions, Télèphe, qui avait servi de guide aux Grecs jusqu'à Troie, se retira dans son pays, emportant avec lui les regrets et les remerciements de toute l'armée. Peu de jours après, pendant que nous étions occupés à rendre à Protésilas les derniers devoirs, et que nous croyions n'avoir rien à craindre de la part de l'ennemi; Cycnus (13), dont le royaume touchait à celui de Troie, informé de notre arrivée, tombe secrètement et à l'improviste sur ceux d'entre nous qui s'occupaient de ce pieux devoir, et met en fuite nos gens, qui erraient çà et là, sans ordre et sans observer aucune discipline. Une attaque aussi imprévue les avait doublement épouvantés. A cette nouvelle, ceux qui ne prenaient point part à la cérémonie, se réunissent et marchent en force à l'ennemi. Parmi eux était Achille; il s'attache au roi, le tue (14), fait un grand carnage de ces nouveaux ennemis, et délivre ainsi les nôtres qui fuyaient. CHAPITRE XIII. Cependant ces attaques réitérées et les pertes que nous éprouvions continuellement, inquiétaient beaucoup nos chefs. Pour y mettre fin, on se résout à presser, avec une partie de l'armée, les villes voisines de Troie, et à faire des incursions sur tous les points de leur territoire. On commence par le royaume de Cycnus. Nos troupes s'en emparent et le ravagent. Arrivés, sans avoir éprouvé de résistance, sous les murs de Mentore, capitale du pays et patrie des enfants de ce prince, nous nous préparions à la réduire en cendres, lorsque les citoyens se jetant à nos genoux, nous conjurent, les larmes aux yeux, par tout ce qu'il y a de plus sacré, d'épargner une malheureuse ville, innocente du crime de son roi, et qui s'engage à nous demeurer fidèle. La compassion l'emporte, et la ville obtient son pardon. Cependant les fils du roi, Cobis et Corian (15), avec leur soeur Glaucé, sont livrés aux Grecs, qui les avaient demandés. Ceux-ci mirent la princesse â part, et l'accordèrent â Ajax en récompense de ses belles actions. Ensuite des députés de la ville de Mentore se rendent au camp des Grecs, demandent la paix et s'engagent â satisfaire à tout ce qu'on leur ordonnerait. Cette entreprise terminée, les Grecs attaquèrent la ville de Cille (16) et l'emportèrent d'assaut. Ils ne touchèrent pas à Corone (17), voisine de cette dernière, en faveur des Méandriens, qui en étaient les maîtres, et qui avaient jusqu'alors persévéré dans notre alliance. CHAPITRE XIV.
Au même instant, on communique aux Grecs un oracle de l'Apollon
pythien qui impose à tous d'accepter que Palamède offre un sacrifice en
l'honneur de CHAPITRE XV. A cette époque, Diomède et Ulysse formèrent le complot de perdre Palamède. Ils suivaient, dans cette occasion la pente ordinaire de l'esprit humain : lâche quand il s'agit de supporter les contrariétés, dévoré du poison de l'envie, l'homme se voit avec peine surpassé par les autres en vertus et en talents. Ils feignent donc qu'ils ont découvert un trésor au fond d'un puits (21), et qu'ils veulent le partager avec lui. Ils écartent ensuite les témoins, et persuadent à ce prince de descendre lui-même. Celui-ci le fait sans méfiance. Alors ils ôtent la corde, et comblent le puits avec des pierres qui étaient auprès. Ainsi périt d'une manière cruelle, et par la perfidie de ceux dont il devait avoir le moins à craindre, un homme juste, cher à toute l'armée, dont la prudence et la valeur lui avaient toujours été utiles. On ne manqua pas de soupçonner Agamemnon d'avoir eu part à ce complot. L'amour que Palamède portait aux troupes, dont une grande partie désirait d'être sous sa conduite, et parlait même de lui déférer le pouvoir suprême (22), donna vraisemblablement lieu à ces bruits. Ses funérailles, malgré les soins que l'on prit pour les tenir cachées, furent, pour ainsi dire, publiques; tous les Grecs se firent un devoir d'y assister; son corps reçut les honneurs du bûcher, et ses cendres furent renfermées dans une urne d'or. CHAPITRE XVI. Sur ces entrefaites, Achille, persuadé que les villes voisines de Troie fournissaient à cette puissance les moyens de prolonger la guerre, en lui servant de magasins et d'arsenaux, prend avec lui quelques vaisseaux, attaque Lesbos, et s'en empare sans difficulté, tue le roi Phorbas, qui faisait aux Grecs tout le mal qu'il pouvait, emmène captive Diomédée, sa fille, et sort de l'île chargé d'un riche butin. De là, à la prière des troupes, il se porte en force sur Phyre et Hiérapolis (23), villes remplies de richesses, et s'en rend maître en peu de jours. Partout où Achille dirigeait ses pas, des campagnes fertiles et enrichies pendant le cours d'une longue paix, étaient dévastées. Rien de ce qui paraissait ami des Troyens n'était épargné. Les peuples voisins, au bruit de ses exploits, accouraient vers lui, demandant la paix, et rachetant, au prix de la moitié du revenu de leurs terres, la liberté et la tranquillité. Après ces expéditions, Achille revint à l'armée, couvert de gloire et chargé de butin. Dans le même temps, le roi des Scythes, sur le bruit de notre arrivée, tint au-devant de nous avec de riches présents. CHAPITRE XVII. Cependant Achille, peu content de ce qu'il avait fait , attaque les Ciliciens (24), prend d'assaut en peu de jours la ville de Lyrnesse, tue le roi Eétion, remplit ses vaisseaux de richesses , et emmène captive Astynome, fille de Chrysès, qui, dans le même temps, avait été donnée en mariage à ce prince, De là, il tombe sur Pédase (25), principale ville des Lélèges, et s'en empare. Brisès, qui en était roi, avait été témoin, pendant le siège, de la valeur des Grecs, Persuadé qu'il lui était impossible de résister à de pareils ennemis, de défendre les siens et d'échapper lui-même à la mort, il profite du moment où ses troupes étaient encore occupées à soutenir notre attaque, rentre dans son palais, et s'étrangle de ses propres mains. La ville fut bientôt prise ; la majeure partie des habitants fui passée au fil de l'épée, et Hippodamie, fille du roi, devint la proie du vainqueur. CHAPITRE XVIII. Ajax portait alors la désolation dans la Chersonèse de Thrace, Le roi Polymestor, qui connaissait la valeur et la réputation de son ennemi, et se défiait du succès de la résistance, proposa un accommodement. Il acheta la paix en nous livrant Polydore (26), fils de Priam, encore enfant. Ce prince le lui avait confié pour le faire élever sous ses yeux. Il ajouta, pour se concilier la faveur des Grecs quantité d'or, d'argent et d'autres effets précieux. Il promit en outre de fournir l'armée de grains pendant une année entière, et en remplit des vaisseaux de transport qu'Ajax avait amenés avec lui à cet effet. Il renonça ensuite solennellement et avec imprécations, à l'alliance qu'il avait jadis contractée avec Priam, et par ce moyen il obtint sa grâce. Ajax, après cette expédition, tourne ses armes victorieuses contre les Phrygiens. Il pénètre sur leur territoire, et tue de sa propre main, dans un combat singulier, leur roi Teuthras (27). Peu de jours après, il prend la ville capitale, la réduit en cendres après en avoir tiré un immense butin. Au nombre des captives se trouvait Tecmessa , fille de Teuthras. CHAPITRE XIX. Ainsi nos deux héros, après avoir ravagé ou conquis une grande étendue de pays, et porté la gloire de leur nom dans tant de contrées différentes, reviennent dans le même temps à l'armée, comme s'ils se fussent concertés ensemble. Alors tous les chefs et l'armée entière s'assemblent à la voix du héraut. Achille et Ajax s'avancent au milieu de l'assemblée, offrant à leurs camarades les preuves certaines de leurs travaux et de leur valeur. A cette vue, les Grecs font éclater leur joie, les couvrent d'applaudissements, et les plaçant au milieu d'eux, les couronnent de branches d'olivier. On délibéra bientôt sur le partage des dépouilles. Nestor et Idoménée ouvrirent à ce sujet les meilleurs avis aussi, d'un consentement unanime, on tira du butin qu'avait apporté Achille, Astynome, femme d'Eetion et fille de Chrysès, et on l'offrit à Agamemnon, en sa qualité de roi. Achille, outre Hippodamie, retint encore Diomédée, parce que ces princesses, toutes deux du même âge et nourries du même lait, ne pouvaient être, dans un vif chagrin, séparées l'une de l'autre. Elles s'étaient peu auparavant, jetées aux pieds de leur vainqueur, et tenant ses genoux embrassés, elles l'avaient conjuré avec larmes de les garder toutes deux ensemble. Le reste des dépouilles fut partagé entre tous, et on récompensa chacun suivant ses services. Ensuite Ulysse et Diomède, sur la demande d'Ajax, présentent à l'assemblée les richesses que ce prince avait rapportées de ses courses. On en tire une somme considérable d'or et d'argent que l'on donne à Agamemnon. Tecmessa, fille du roi Teuthras, est cédée à Ajax en récompense de ses exploits. On partage le reste entre les autres chefs, et on, distribue le blé à toute l'armée. CHAPITRE XX. Cette opération terminée, Ajax donna connaissance à l'assemblée du traité conclu avec Polymestor, et de la remise qui lui avait été faite de Polydore. On arrêta à cet égard qu'Ulysse et Diomède iraient vers Priam pour redemander Hélène et les richesses enlevées, et qu'ils offriraient de lui rendre Polydore à cette condition. Ménélas, en faveur duquel cette négociation s'entamait, se joignit à eux. Polydore est gardé à vue (28), et les députés arrivent à Troie. Ceux qui y tenaient le parti du peuple virent avec joie arriver des personnages aussi distingués par leur mérite et par leur naissance, et convoquèrent aussitôt l'assemblée des anciens, dont on avait coutume de prendre les avis, dans les affaires importantes. Pour Priam, il était retenu prisonnier par ses fils dans son propre palais. Ménélas, à la tête des Grecs, dit en présence de tous qu'il venait, pour la seconde fois, se plaindre des violences exercées sur lui et sur sa famille, répandre en leur présence des larmes bien amères sur le sort de sa fille, privée des soins et de la tendresse maternelle, et leur découvrir le trait mortel dont son coeur avait été percé de la main d'un perfide, jadis son hôte et son ami. Les vieillards répondaient à ses plaintes par des soupirs, et prenaient autant de part que lui à son malheur. CHAPITRE XXI. Alors Ulysse, debout au milieu de l'assemblée, prononce le discours suivant : « Troyens, vous ne l'ignorez pas, les Grecs n'agissent jamais légèrement, et n'entreprennent rien sans avoir mûrement délibéré. Ils ont appris de leurs ancêtres à mesurer tellement leurs paroles et leurs actions, qu'elles méritent après l'événement plus de louange que de blâme. Et, sans parler de la prudence que nous avons déjà montrée dans plusieurs occasions, il est un point essentiel que vous ne pouvez contester. La Grèce offensée la première, et attaquée dans ce qu'elle avait de plus cher par l'audace d'Alexandre, n'a point couru d'abord aux armes ; ce que semblait permettre une juste vengeance. Députés du conseil, nous sommes venus ici, qu'il vous en souvienne, avec Ménélas, redemander Hélène; et, pour toute satisfaction, nous n'avons apporté dans notre patrie, de la part de Priam et de ses fils, que des paroles orgueilleuses, des menaces et des injures. On a même osé nous tendre des piéges pour nous faire périr ! N'ayant rien obtenu, il était, je pense, bien naturel de recourir aux armes, et de vouloir ressaisir par la force un droit qu'on avait espéré en vain de recouvrer par les voies de la douceur et de l'amitié. Une grande armée est sur pied, des chefs couverts de gloire et habiles dans l'art des combats, sont à notre tête ; et cependant notre intention n'est pas de vous faire la guerre. Toujours constants dans nos principes, toujours modérés, nous venons une seconde fois vous faire la même demande. Vous tenez, Troyens, votre sort entre vos mains. Nous ne nous repentirons point d'avoir traité avec vous, si vous revenez à des sentiments plus justes, et si , par une sage décision, vous réparez la faute que vous avez commise. CHAPITRE XXII.
» Dieux immortels ! quelle désolation, quels fléaux prépare â la
terre l'exemple pernicieux que vous avez donné ! Qui désormais ayant une femme â
garder, et sous les yeux le crime d'Alexandre, se croira en sûreté, et ne sera
pas forcé de tout craindre de la part d'un ami ? Quel frère osera ouvrir à son
frère la porte de sa maison ? Qui ne redoutera pas un hôte, un parent à l'égal
d'un ennemi ? Oui, si, contre mon attente, vous approuvez un tel forfait, il n'y
a plus rien de sacré ; tous les liens qui unissent les Grecs aux barbares sont
rompus. Troyens, revenez, je vous en conjure, à la vertu, votre intérêt l'exige
; rendez aux Grecs ce que la violence leur a ravi ; traitez-les comme des amis;
renvoyez-les dans leur patrie satisfaits et contents, mais n'attendez pas pour
le faire que deux nations, unies jusqu'à présent par l'amitié la plus sincère,
en viennent aux mains. CHAPITRE XXIII. Lorsque ULysse eut cessé de parler, un silence profond régna dans l'assemblée. Chacun, comme il arrive en pareil cas, attendait l'avis de son voisin, et personne ne voulait donner le sien le premier. Panthus (29) alors dit à haute voix : « Ulysse, vous parlez devant une assemblée remplie de bonne volonté, mais qui n'a nullement le pouvoir de remédier au mal. » Anténor ensuite prend la parole « Nous pourrons bien, comme vous le dites, être victimes de l'action d'Alexandre; nous nous y attendons, et si nous avions la liberté de délibérer, vous seriez satisfaits ; mais, vous le voyez, d'autres sont en possession de la puissance, et ces gens ne connaissent d'autres lois que leurs passions. » A ces mots, il fait entrer tous ceux qui étaient attachés â Priam, et ceux qui, payés par lui, étaient venus à Troie en qualité d'auxiliaires. Lorsqu'ils ont pris place, Ulysse les traite d'hommes injustes et pervers, semblables en tout à Alexandre, dont ils étaient bien dignes de suivre les traces, après s'être écartés du sentier de l'honneur. Il ajoute, ce que tout le monde sait bien, c'est qu'un pareil exemple, s'il est approuvé, ne manquera pas de se répandre par toute la terre, et que ceux mêmes qui l'écoutent en ce moment seront un jour les victimes d'une semblable violence. Ces reproches étaient durs; chacun en soi-même en sentait la justice; et tous étaient indignés d'une action qui pouvait avoir les suites les plus funestes. Ensuite, selon l'usage, on prit l'avis des anciens. Tous déclarèrent que Ménélas avait été grièvement offensé, et qu'il lui fallait une satisfaction. Le seul Antimaque (30), partisan d'Alexandre, fut d'un avis contraire. Aussitôt on députe vers Priam deux membres de l'assemblée pour l'instruire de tout ce qui se passait. Les envoyés s'acquittent de leur commission, et lui apprennent le sort de Polydore. CHAPITRE XXIV. A cette nouvelle, le roi, interdit, tombe sans connaissance : on le fait revenir peu â peu et on le rassure. Il voulait se rendre â l'assemblée ; mais ses fils l'en empêchèrent. Eux-mêmes, quittant leur père, entrent brusquement dans la salle du conseil, au moment où Antimaque était aux prises avec ses adversaires. Après avoir fait aux Grecs des reproches sanglants, les avoir accablés d'injures, il avait demandé que l'on retînt Ménélas jusqu'à ce que Polydore fût rendu, et qu'on le traitât de la même manière que le serait le jeune prince. Tout le monde gardant le silence, Anténor seul s'était opposé de tout son pouvoir à ce que cette proposition fût mise en délibération. Après une longue et vive altercation, ils en étaient déjà venus aux voies de fait; déjà les conseillers s'étaient levés ; ils avaient déclaré Antimaque brouillon, séditieux, et l'avaient chassé de l'assemblée, lorsque les Priamides entrèrent. CHAPITRE XXV. Panthus alors s'adressant à Hector, à qui, parmi ses frères, sa valeur et sa prudence avaient acquis la réputation d'un bon et vertueux citoyen , le conjure de faire rendre au plus tôt Hélène aux Grecs, qui étaient venus exprès, et qui la redemandaient avec instance, offrant leur amitié à ce prix. Il observe qu'Alexandre a bien eu le loisir de satisfaire sa passion, supposé qu'il en ait jamais conçu pour cette princesse. Il le prie d'avoir égard à la présence des rois grecs, à la gloire dont ils venaient de se couvrir, en détruisant des villes alliées et voisines de Troie. Il ajoute que cette même horreur pour l'action d'Alexandre avait engagé Polymestor à livrer Polydore aux Grecs; qu'il était â craindre qu'un pareil exemple ne fût bientôt suivi par tous les peuples voisins ; que dans la circonstance, à la veille de soutenir un siège, rien n'était sûr, et qu'on avait tout à craindre de la trahison; qu'enfin, si les Troyens pesaient bien ces considérations, ils ne devaient point différer de satisfaire les députés; que cet acte de justice rétablirait la paix, et resserrerait les noeuds qui unissaient les deux nations. A ce discours, Hector, que l'idée du crime de son frère affectait sensiblement, sentit couler ses larmes. Il ne fut pourtant pas d'avis de rendre Hélène (31), elle s'était, selon lui, mise sous la sauvegarde de la maison de Priam, et il y aurait de la lâcheté à lui refuser la protection sur laquelle elle avait compté. Il dit encore que si l'on avait pris avec elle des richesses qui ne lui appartinssent pas, il fallait les abandonner sans difficulté ; qu'en place d'Hélène, on pouvait offrir en mariage à Ménélas ou Polyxène ou Cassandre, au choix des députés, avec une dot digne de ce prince. CHAPITRE XXVI. Ménélas, à ces mots, ne put retenir son courroux : « En vérité, dit-il, vous me faites là une belle réparation ! Ce n'est donc pas a assez de m'avoir enlevé mon bien, il faut encore que je change de femme au gré de mes ennemis ! - Vous n'aurez pas même celle que l'on vous offre, interrompt brusquement Énée (32) ; je m'y oppose, moi, tous les parents et les amis d'Alexandre. Priam ne manquera pas de bras pour défendre sa maison et son trône. Polydore perdu, il lui reste encore des fils en grand nombre, et, » j'ose le dire, assez courageux. Les Grecs sont-ils les seuls auxquels le rapt et le viol soient permis ? ont-ils eu seuls le droit d'enlever impunément Europe de Sidon (33) et de la transporter en Crète ? Ganymède aura pu être arraché à son père et à sa patrie sans vengeance ! Grecs, ne vous souvient-il plus de Médée ? Ignorez-vous que Io (34), pour premier outrage, fut amenée du pays des Sidoniens et fit voile vers Argos ? Mais c'est assez contester. Si vous ne sortez promptement de ces lieux, si vous ne retirez votre flotte de nos ports, prenez- y garde, vous éprouverez bientôt la valeur des Troyens. Grâces aux dieux immortels, nous avons aussi des troupes habiles, exercées et nombreuses, et nous ne manquerons pas d'alliés; il nous en vient tous les jours. » Ulysse, sans s'émouvoir, lui dit : « Vous n'avez pas même la prudence de cacher les sentiments de haine qui vous animent. Donnez donc dès à présent le signal du combat (35), et puisque vous avez été les premiers à commettre le crime, soyez-le donc aussi à commencer l'attaque : nous sommes prêts à sous répondre. » A ces paroles, les députés sortent du conseil. Bientôt le bruit du discours d'Énée se répandit parmi le peuple. On l'accusa d'être la cause de la ruine prochaine de la maison de Priam par la haine qu'il accumulait contre elle, et par l'exemple qu'il donnait d'une opposition dangereuse aux avis les plus sages. CHAPITRE XXVII.
Les députés, de retour au camp, font le récit des paroles et des actions que
les Troyens s'étaient permises à leur égard. En conséquence, on arrête que
Polydore sera mis à mort (36) en présence de tous, et sous les murs mêmes de la
ville. On procède de suite à l'exécution, et Polydore, amené au milieu de la
plaine, est lapidé â la vue d'un grand nombre de ses concitoyens, qui , du haut
des murs, étaient témoins de son supplice. Il porta ainsi la peine due â
l'impiété de son frère. Bientôt après un héraut fut envoyé aux Troyens pour
leur annoncer qu'ils pouvaient venir chercher le corps de leur
prince ; et Idée étant sorti de la ville, accompagné de plusieurs esclaves du
roi, rapporta à Hécube le corps de son fils sanglant et déchiré par les
pierres. CHAPITRE XXVIII. Pendant le même temps, Chrysès, prêtre d'Apollon Sminthius (37), dont nous avons déjà parlé, instruit de la captivité de sa fille Astynome, qui était échue en partage â Agamemnon, et plein de confiance en la grandeur du dieu dont il était le ministre, se rendit sur nos vaisseaux. Il portait empreinte sur son visage la majesté d'Apollon ; il était revêtu de ses ornements sacrés, afin d'inspirer à nos rois plus de respect, en se présentant à eux avec tout l'appareil de la religion. Il offre d'abord une somme considérable pour la rançon de sa fille, et nous conjure d'honorer en sa personne la divinité qui les sollicitait en faveur de son ministre. Il rappelle à combien d'injures et de violences il est continuellement exposé de la part d'Alexandre et de ses parents, pour avoir offert, au nom des Grecs, une victime à Apollon. A ce discours, tous les assistants, saisis d'un saint respect pour le dieu, et ravis d'obliger en Chrysès un ami qui s'était toujours montré fidèle, furent d'avis de lui rendre sa fille et de refuser la rançon (38). Instruits par l'expérience et par le récit des habitants, nous nous étions confirmés dans l'idée qu'il fallait en tout obéir à Apollon. CHAPITRE XXIX. Agamemnon s'oppose seul au voeu général; et jetant sur le prêtre un oeil enflammé de colère, il le menace de la mort s'il ne se retire, et repousse hors du camp ce malheureux vieillard épouvanté, et désespéré de n'avoir rien obtenu. L'assemblée dissoute de cette manière, tous les chefs vont trouver Agamemnon, l'accablent de reproches, l'accusent avec justice d'avoir méprisé leur avis, et, ce qui est bien pins condamnable, d'avoir outragé, pour l'amour d'une captive, un dieu aussi grand qu'Apollon. Indignés de cette conduite, ils le quittent tous, se rappelant avec amertume la mort de Palamède, prince chéri de toute l'armée, massacré indignement par Ulysse et Diomède, sans doute à l'instigation d'Agamemnon. Achille principalement, en présence de tous, vomissait contre ce prince et contre Ménélas , un torrent d'invectives. CHAPITRE XXX. Cependant Chrysès s'était retiré chez lui. Peu de temps après, soit par hasard, soit, comme on le crut assez généralement, par un effet de la colère d'Apollon, une maladie pestilentielle se répandit dans toute l'armée. Elle n'attaqua d'abord que les animaux; mais bientôt, croissant de jour en jour, elle en vint jusqu'aux hommes. Des milliers de soldats atteints de ce fléau, succombèrent et périrent dans des souffrances inexprimables. Cependant, aucun des rois n'en avait encore ressenti les effets (39); mais lorsqu'ils s'aperçurent que le mal n'avait plus de bornes, et que chaque jour ils virent augmenter le nombre des victimes ils commencèrent à craindre pour eux-mêmes. Ils s'assemblent donc et vont trouver Calchas, aux yeux duquel, comme nous l'avons dit, l'avenir n'avait rien de caché, et le pressent de déclarer la cause d'un si grand mal. Celui-ci répond qu'il ne l'ignore pas ; mais que personne n'ayant la liberté de parler, il se gardera bien de la dire, pour ne pas s'attirer la haine du prince puissant qui les commande. Achille aussitôt fait jurer à tous les rois qu'ils ne souffriront pas que Calchas soit recherché en aucune manière pour ce qu'il pourrait dire. Ainsi assuré de la disposition des esprits en sa faveur Calchas annonce la colère d'Apollon, dit que ce dieu, irrité contre les Grecs, à cause de l'injure faite â son ministre, leur a envoyé ce fléau pour les punir. Achille lui en demande le remède; il répond qu'il n'y en a point d'autre que la restitution de la jeune captive. CHAPITRE XXXI. Agamemnon craignant de son côté ce qui arriva bientôt en effet, sort secrètement du conseil, et fait prendre les armes à ses amis. Achille, qui s'aperçut de ce mouvement, fut indigné de tant d'opiniâtreté, et en même temps touché du péril que courait l'armée. Il fit rassembler tous les corps dont le fléau avait horriblement défiguré les traits, et les exposa à la vue des troupes. A ce spectacle, les rois et les soldats, sur la proposition formelle d'Achille, déclarent qu'il faut marcher contre Agamemnon lui-même, et, s'il persiste, le contraindre à se rendre aux voeux de tous. L'état affligeant de l'armée justifiait assez une pareille démarche. A cette nouvelle, le roi, soit fierté, soit amour pour sa captive, résolut de tout tenter, et de ne rien relâcher de ses prétentions. CHAPITRE XXXII. Les Troyens eurent bientôt connaissance de ce qui se passait dans le camp. La vue des corps que l'on brûlait, et les funérailles nombreuses qu'ils apercevaient de leurs remparts, les mirent bientôt au fait de l'état languissant de notre armée. S'étant donc encouragés mutuellement, ils prennent les armes, et s'avancent contre nous avec un corps d'auxiliaires. Arrivés dans la plaine, ils forment de leur armée deux divisions. Hector est à la tête des Troyens, et Sarpédon commande les alliés. Les nôtres, au même moment, se saisissent de leurs armes, se rangent en bataille le plus promptement possible, et donnent, selon la circonstance, la forme la plus simple à leur armée. Achille, avec Antiloque, occupe la site; Ajax Télamon et Diomède la gauche ; l'autre Ajax et Idoménée le centre. Les deux armées, ainsi disposées, s'avancent l'une contre l'autre, et les chefs, après avoir exhorté leurs troupes, se présentent au combat et engagent l'action. Elle dura assez longtemps; de part et d'autre nombre de guerriers trouvèrent un trépas glorieux. Entre les barbares se distinguèrent Hector et Sarpédon ; de notre côté, Diomède et Ménélas. La nuit qui survint, rendant le repos nécessaire aux deux partis, mit fin au combat. Chaque armée se retira et prit le soin d'ensevelir ses morts. CHAPITRE XXXIII. Ces devoirs rendus, les Grecs prennent entre eux la résolution d'élire pour leur général, Achille, dont la tendre sollicitude pour l'armée se faisait principalement remarquer dans ces temps de calamités. Agamemnon craignant pour sa dignité, dit en plein conseil que le salut de l'année lui avait toujours été cher; qu'il ne refusait point de rendre Astynome si par ce moyen, il pouvait détourner le fléau qui pesait sur les Grecs ; mais qu'en échange de cette captive il demandait Hippodamie, échue à Achille, pour tenir la place de celle qui avait été déférée à son rang. La malignité et l'injustice de cette demande n'échappèrent. à personne ; cependant elle fut entendue sans opposition, même de la part d'Achille (40), à qui pourtant Hippodamie était bien due pour prix de ses glorieux exploits; tant l'amour du bien public et le salut de l'armée occupaient de place dans le coeur de ce brave guerrier. Agamemnon cependant, contre la volonté générale, prenant le silence forcé de l'assemblée pour une marque d'approbation, ordonne à ses licteurs de lui amener Hippodamie, et ceux-ci obéissent sans différer. Alors les Grecs renvoient à son père, avec nombre de victimes pour les autels d'Apollon, Astynome, sous la conduite de Diomède et d'Ulysse. Le sacrifice est à peine achevé que la violence du mal s'apaise. Ceux mêmes qui étaient déjà attaqués se sentent soulagés, comme si un remède efficace leur eût été envoyé du ciel. Aussi, en peu de temps, les troupes reprirent leur santé et leur vigueur accoutumées. On fait passer ensuite à Philoctète, dans l'île de Lemnos, la part qui lui revenait du butin qu'Achille et Ajax avaient apporté, et qui avait été distribué à toute l'armée. CHAPITRE XXXIV. Cependant Achille, n'oubliant pas l'injustice commise à son égard, cessa de paraître au conseil, et, n'écoutant plus que sa haine contre Agamemnon, il s'efforça d'étouffer dans son coeur l'amour qu'il portait aux Grecs. C'était en effet par leur lâcheté qu'il venait de perdre Hippodamie, le prix de ses travaux, et la plus douce récompense de tant de victoires remportées pour des ingrats. Il fit plus : il défendit l'entrée de sa tente aux chefs qui venaient pour le voir. Il ne pardonna pas même à ses amis de l'avoir laissé en butte aux injures d'Agamemnon, au lieu de le défendre comme ils auraient dû le faire. Restant donc enfermé dans sa tente, il ne retint auprès de sa personne que Patrocle, son gouverneur, Phénice, son ami, et Automédon, qui conduisait son char. CHAPITRE XXXV.
En même temps, chez les Troyens, les alliés et les auxiliaires voyaient avec
peine la guerre traîner en longueur; et, soit ennui, soit regret d'avoir quitté
leur patrie, ils soupiraient après leur retour. Hector s'en aperçut, et,
contraint par la nécessité, ordonna aux troupes de se tenir prêtes à le suivre
au premier signal; puis trouvant bientôt une occasion favorable, il fit prendre
à tous les armes, et sortit de la ville avec l'armée qu'il commandait. CHAPITRE XXXVI. Les Grecs les voyant s'avancer vers la plaine, se rangent en bataille suivant les principes de l'art militaire : Mnestée d'Athènes commandait les évolutions. Les troupes furent disposées en ordre par peuples et par régions. Achille resta à l'écart avec ses Myrmidons. Sa haine contre Agamemnon n'était rien moins qu'affaiblie; il se ressouvenait toujours de l'injure qu'il avait reçue à l'occasion d'Hippodamie. Un nouveau sujet de ressentiment se joignait au premier. En invitant tous les chefs à sa table, le prince avait affecté de l'oublier et de ne faire aucun cas de lui (54). Cependant notre armée était sous les armes, et, de leur côté, les ennemis avaient, pour la première fois, déployé toutes leurs forces ; mais aucun des deux partis n'osait engager l'action le premier : aussi, après avoir tenu pendant quelques heures les soldats en suspens dans l'attente du signal, les chefs, comme s'ils se fussent concertés, firent de part et d'autre sonner la retraite. CHAPITRE XXXVII. Déjà nous étions retournés à nos vaisseaux ; nous avions quitté nos armes, et chacun de son côté s'occupait du soin de réparer ses forces par une nourriture abondante, lorsque Achille désirant de venger son injure, conçoit le hardi projet de tomber sur les Grecs, qui, ignorant un pareil dessein, ne se tenaient nullement sur leurs gardes. Mais Ulysse, prévenu par les sentinelles, qui avaient quelques soupçons de ce qui se tramait, parcourt le camp, appelant les chefs à haute voix, les oblige de prendre aussitôt les armes , et les instruit de l'entreprise d'Achille. Aussitôt un cri général s'élève, les Grecs courent aux armes, et chacun, de son côté, se met en état de défense. Ainsi Achille, voyant son projet découvert et les Grecs préparés à le recevoir, ne va pas plus loin, et rentre dans son camp sans avoir rien tenté contre nous. Bientôt nos chefs prévoyant que les Troyens, réveillés au bruit qui venait de s'élever, se mettraient en mouvement et formeraient quelque nouvelle attaque, envoient, pour renforcer nos postes avancés, les deux Ajax, Diomède et Ulysse. Ceux-ci se partagent entre eux les endroits par où les ennemis pouvaient pénétrer. Cette précaution ne fut pas inutile; en effet, Hector, curieux de connaître la cause des cris qu'on venait d'entendre, avait envoyé Dolon, fils d'Euméle, avec ordre de se rendre au camp des Grecs, de s'y introduire par adresse pour s'informer de ce qui s'y passait, lui promettant à son retour une grande récompense (55). Celui-ci, pressé de remplir sa mission et de prendre des renseignements exacts, s'approche des vaisseaux. Il n'en était pas éloigné, lorsqu'il tomba entre les mains de Diomède, qui, avec Ulysse, gardait cet endroit (56). Les princes se saisissent de sa personne , lui font tout avouer et le tuent ensuite. CHAPITRE XXXVIII. Après quelques jours de repos, les Grecs et les Troyens se préparent à sortir. Ils partagent entre eux la plaine qui séparait la ville des vaisseaux, et aussitôt que le temps le permet, couverts de leurs armes, les deux armées s'avancent l'une contre l'autre en colonne serrée. Le signal donné, elles se choquent avec violence. Les Grecs exécutent avec beaucoup de précision les mouvements ordonnés par leurs chefs, les Barbares, au contraire, se précipitent sans ordre et sans précaution. Dans cette occasion, nombre de guerriers périrent des deux côtés, chacun se faisant un point d'honneur de ne point céder à son adversaire, et de rivaliser de gloire avec son voisin. Cependant plusieurs chefs, dangereusement blessés, furent contraints de quitter le champ de bataille. Parmi les Barbares, on comptait Énée, Sarpédon, Glaucus, Hélénus, Euphorbe et Polydamas, parmi les Grecs, Ulysse, Mérion et Eumèle. CHAPITRE XXXIX. Au fort de la mêlée, Ménélas aperçut de loin, par hasard Alexandre, et courut aussitôt à lui : Alexandre l'évite, et n'a point le courage de soutenir son aspect. Hector le voyant fuir, le joint avec son frère Déiphobe; tous deux l'arrêtent, lui reprochent sa lâcheté, le forcent de retourner au combat et de se mesurer seul avec Ménélas, tandis que les demi armées resteraient spectatrices du combat. Alexandre, ainsi ramené et placé à la tète des troupes, ce qui paraissait être de sa part un signe de provocation (57), est bientôt remarqué par Ménélas, qui, ravi de trouver une occasion favorable d'atteindre son plus cruel ennemi, et de laver dans son sang l'opprobre dont il avait été couvert, dirige contre lui seul tous les efforts de sa rage. Les deux armées les voyant ainsi animés et prêts â se battre, se retirent au signal qu'on leur donne. CHAPITRE XL. Les deux rivaux s'avancent à grands pas, et se trouvent bientôt â la portée du trait. Alexandre vent prévenir son ennemi, et, persuadé que le premier coup porterait sa blessure avec lui, il lance sa javeline, qui vient se briser sur le bouclier de son adversaire. Ménélas, avec plus de vigueur encore, lance la sienne, mais avec aussi peu de succès. Alexandre attentif s'efface ; et le trait rencontre la terre (58). Bientôt ils se saisissent d'autres armes, et recommencent le combat. Enfin Alexandre frappé â la cuisse tombe aux pieds de son vainqueur (59). Par une perfidie sans exemple, on ne donna pas à celui-ci le temps de compléter sa vengeance; car, au moment où Ménélas tirant son épée allait trancher les jours du ravisseur, une flèche partie, sans qu'on s'en aperçût, de la main de Pandarus (60) l'arrêta sur le coup. Nos Grecs poussent un cri de rage et d'indignation en voyant que les Troyens, toujours constants dans le crime, s'opposaient à ce que la querelle élevée entre les deux nations fût terminée par les seules personnes qui en étaient les objets. Un gros de Barbares se précipite sur le champ de bataille et enlève Alexandre. CHAPITRE XLI. Dans cette mêlée, tandis que les nôtres hésitent, Pandarus, qui se tenait éloigné, perça de ses flèches nombre de Grecs, et il en aurait tué davantage, si Diomède, irrité d'une telle barbarie, ne se fût avancé sur lui et ne l'eût percé de son javelot. Ainsi Pandarus, qui avait rompu l'accord et fait périr par une indigne trahison tant de braves guerriers, fut puni de cette infraction aux lois de la guerre. Cependant les Priamides s'emparèrent de son corps, le brûlèrent et en confièrent les restes â ses compagnons pour les remporter avec eux dans la Lycie, leur commune patrie. Ensuite, le signal donné de nouveau, les deux armées en vinrent aux mains et combattirent avec acharnement, sans que la fortune se déclarât, jusqu'au coucher du soleil. Alors la nuit approchant, lés chefs de part et d'autre firent retirer leurs troupes non loin du champ de bataille, et, pour éviter toute surprise, ils établirent des postes avancés dans les endroits où cela était nécessaire. Ils tinrent pendant quelques jours leurs troupes en haleine, cherchant une occasion favorable pour renouveler l'attaque; mais on l'attendit en vain, car l'hiver approchait, et les pluies fréquentes avaient inondé les campagnes. Les Barbares se renfermèrent dans leur ville; les nôtres ne voyant plus d'ennemis, s'en retournèrent à leurs vaisseaux et se disposèrent à y passer l'hiver. Bientôt faisant deux parts de l'espace qui ne paraissait point propre aux combats, ils labourèrent l'une et l'autre, et les ensemencèrent de blé et d'autres grains suivant que la saison le permettait. Alors Ajax Télamon fit prendre les armes au corps qu'il commandait, et recevant dans son armée jusqu'à des soldats de la division d'Achille, il entra dans la Phrygie, y porta le ravage, prit des villes, et, chargé de butin, revint peu de jours après rejoindre l'armée. CHAPITRE XLII. Dans le même temps les Barbares, s'apercevant que les Grecs se fiaient trop sur la saison et paraissaient ne craindre aucun mouvement hostile, se préparèrent à tomber sur eux. Hector avait conçu ce projet et s'en était réservé l'exécution. Il fait donc sortir de la ville, au point du jour, toutes ses troupes bien armées, et leur donne l'ordre de courir sans s'arrêter jusqu'aux vaisseaux des Grecs, et de charger vigoureusement l'ennemi. Notre avant-garde, peu nombreuse et en désordre, est bientôt mise en fuite, et ceux que les Troyens avaient repoussés, fuyant à la hâte, empêchent les autres de prendre les armes. Dans cette confusion, il périt beaucoup de monde, et le corps d'armée fut facilement enfoncé. Alors Hector s'avance jusqu'aux vaisseaux, lance des torches ardentes et y met le feu : personne n'osait lui résister (61). Les nôtres, au contraire, pâles et tremblants à l'aspect d'un danger si pressant, venaient en foule se jeter aux pieds d'Achille, qui leur refusait ses secours, tant était grand et subit le changement qui s'était opéré dans le coeur des Grecs et des Troyens. CHAPITRE XLIII.
Ex ce moment arrive Ajax. Apprenant qu'Hector attaquait la flotte, il se
présente à lui avec toutes ses forces, l'atteint, le presse de toutes parts, et
le repousse, quoique avec beaucoup de peine, depuis les vaisseaux jusqu'au-delà
des retranchements. Ensuite, devenu plus entreprenant à mesure que les Troyens
se retiraient, il lance une pierre énorme sur Hector, qui s'était promptement
opposé â lui, l'en frappe et le renverse à terre (62). Les Troyens accourent en grand nombre, couvrent ce prince de leurs armes, l'arrachent
à la fureur d'Ajax, et le portent mourant dans la ville, et désespéré d'avoir
si mal achevé une expédition si heureusement commencée. Ajax, de son côté, se
voyant enlever sa proie, n'en devient que plus furieux. Il prend avec lui
Diomède, Idoménée, l'autre Ajax, poursuit les Troyens épouvantés, et tantôt
perçant les fuyards de ses traits, tantôt les écrasant sous le poids de ses
armes, il ne laisse échapper aucun de ceux qui se présentent à ses coups. Dans
cette déroute, Glaucus, fils d'Hippoloque, Sarpédon et Astéropée, qui avaient
osé lui résister quelques instants, accablés eux-mêmes de blessures, sont forcés
de quitter le champ de bataille. Leur fuite ne laissait aux Barbares aucune
espérance : ceux-ci, abandonnés de leurs chefs, couraient cà et là sans tenir de
route certaine, et se précipitaient tous à la fois vers les portes. CHAPITRE XLIV. Ainsi les Troyens, d'abord victorieux, payèrent bien cher leur attaque inconsidérée, lorsque l'arrivée d'Ajax et la fuite de leurs chefs eurent changé la face du combat. Comme la nuit approchait, le signal de la retraite fut donné et les vainqueurs retournèrent pleins de joie à leurs vaisseaux. Bientôt les chefs sont invités à souper par Agamemnon. Là, en présence de tous, ce prince complimenta Ajax et le combla de riches présents. Les autres chefs ne cessaient de rappeler les hauts faits de ce brave guerrier. Tant de villes prises et renversées par lui dans la Phrygie; un butin immense apporté dans le camp; une victoire éclatante remportée sur Hector lui-même à la vue des vaisseaux; enfin la flotte entière arrachée aux flammes par son courage. Tous, sans difficulté, mettaient en ce grand homme toutes leurs espérances, et ne doutaient pas que le succès de la guerre présente ne reposât entièrement sur lui. Cependant Epéus eut bientôt rétabli les deux proues de navires sur lesquelles le feu d'Hector avait porté, et qui seules avaient été endommagées; et les Grecs, persuadés qu'après un pareil échec, les Troyens n'oseraient plus rien entreprendre, se renfermèrent dans leur camp, sans rien craindre de la part de l'ennemi. CHAPITRE XLV. Dans le même temps Rhésus, fils d'Eione (63), ami de Priam, arrivait de Thrace avec une forte année à la solde des Troyens. Ce prince s'arrêta sur le soir auprès de la péninsule qui, située en avant de la ville, tient à son territoire (64). Vers la seconde veille, il entre dans la campagne de Troie, et déploie ses tentes pour attendre le jour en cet endroit. Diomède et Ulysse, auxquels était confiée la garde de ce côté, s'aperçoivent du mouvement qui se faisait, et croyant que c'était un corps d'éclaireurs envoyés par Priam (65) , ils prennent les armes et s'avancent à grands pas vers l'armée des Thraces, regardant autour d'eux avec attention. Les sentinelles ennemies, fatiguées d'une longue marche, étaient ensevelies dans un profond sommeil. Ulysse et son compagnon les égorgent sans peine, et palmait plus avant ils tuent le roi lui-même dans sa tente (66). Ils ne jugèrent pas à propos d'en faire davantage, et se contentèrent d'emmener son char, ainsi que ses chevaux (67) avec leurs équipages, et de les conduire au camp. Arrivés dans leur tente, ils s'y reposent le reste de la nuit. Au point du jour, ils vont trouver les autres chefs, leur apprennent l'entreprise avec la réussite. Persuadés que les Barbares, irrités de la mort de leur roi, viendraient bientôt se jeter sur les Grecs pour la venger, ils font prendre les armes à toute l'armée et lui ordonnent d'attendre l'ennemi. CHAPITRE XLVI. Les Thraces en effet aperçoivent à leur réveil leur roi percé de coups et défiguré d'une manière affreuse. Ils voient aussi les marques certaines de l'enlèvement du char. Aussitôt ils se mettent à courir de côté et d'autre, suivant que le hasard les réunissait, et se dirigent vers les vaisseaux des Grecs. Ceux-ci les apercevant de loin, serrent les rangs, et attentifs au commandement, marchent à l'ennemi. Cependant les deux Ajax, qui avaient pris les devants, tombent sur les premiers qu'ils rencontrent et les enfoncent aisément. Les autres chefs, chacun à leur poste, attaquent les Thraces, les chargent avec vigueur, deux à deux ou même davantage, selon qu'ils se trouvaient rassemblés, les dispersent, les poursuivent et font un horrible carnage : on ne voulait pas qu'il restât aucun vestige de cette armée. Tous ceux qui avaient osé se mesurer avec nous avaient mordu la poussière. Nous dirigeons alors, au signal donné, notre marche vers les tentes. Ceux qui étaient restés à la garde du camp, épouvantés à notre aspect, abandonnent leur poste et s'enfuient dans le plus grand désordre vers la ville. Nous pénétrons de tous côtés dans le camp : armes chevaux, bagages, trésors, tout tombe en notre pouvoir : chacun se saisit de ce qui se trouve sous sa main. CHAPITRE XLVII.
Ainsi les Grecs vainqueurs, après avoir détruit cette grande
armée de Thraces avec leur général, s'en retournent à leurs vaisseaux, couverts
de gloire et chargés de butin. Les Troyens du haut de leurs murs cherchaient des
yeux leurs alliés, et s'agitaient en vain pour eux dans l'enceinte de leur
ville. Accablés par tant de coups à la fois, ils envoient des députés aux Grecs
pour demander une trêve. Ceux-ci y consentent, et un sacrifice solennel appose
au traité le sceau de la religion. CHAPITRE XLVIII. Sur ces entrefaites, un jour que les Grecs tenaient conseil, Ajax s'avançant au milieu de l'assemblée, proposa d'envoyer une députation à Achille pour lui porter les paroles des chefs et les voeux de toute l'armée, pour l'inviter à mettre un terme à sa colère et à reprendre son rang et sa faveur parmi ses compagnons. Il fit aussi observer qu'un tel guerrier n'était point à mépriser, surtout au moment où les Grecs vainqueurs sembleraient, par la démarche proposée, céder plutôt à l'estime qu'ils avaient conçue pour le héros, qu'à la crainte et à la nécessité. Il conjura même Agamemnon de concourir à cet acte de générosité, et d'employer tous les efforts de sa bonne volonté pour faire réussir la négociation. « Dans la circonstance où nous sommes, ajouta-t-il, a éloignés de notre patrie, dans un pays étranger et ennemi, engagés dans une guerre longue et difficile, il n'y a que l'accord parfait de toutes les volontés qui puisse nous servir de sauvegarde contre les dangers qui nous environnent. » Lorsqu'il eut cessé de parler, tous les chefs donnèrent de grands éloges à la sagesse de son conseil. Ils élevèrent jusqu'au ciel la gloire de ce prince qui, non content de surpasser les autres en valeur, l'emportait encore sur eux par sa prudence consommée. Agamemnon apprend à l'assemblée qu'il a déjà envoyé pour ce sujet plusieurs personnes à Achille, et que la réconciliation proposée était maintenant plus que jamais l'objet de ses désirs. Il prie ensuite Ulysse et Ajax (69) lui-même de se charger de ce soin, et d'aller le trouver au nom de tous; ajoutant qu'Ajax, eu égard à la parenté qui l'unissait à ce prince (70), lui paraissait plus propre qu'aucun autre à calmer sa colère. Ceux-ci promettent de ne rien épargner, et Diomède dit qu'il se joindra volontiers à eux. CHAPITRE XLIX. Alors Agamemnon se fait amener une victime par ses licteurs. Cette victime est élevée au-dessus de terre (71), soutenue par deux ministres commandés à cet effet. Le roi tire son épée, la fend en deux; les deux parts sont mises à terre en présence de tous, chacune dans la position et elle avait été coupée, et Agamemnon passe au milieu, tenant en main son épée qu'il trempe dans le sang de la victime. Cependant Patrocle, instruit du projet que l'on méditait, entre dans l'assemblée. Le roi, dans la position que nous venons d'indiquer, jure qu'Hippodamie est demeurée intacte jusqu'à ce moment; que s'il a été si loin dans sa querelle avec Achille, il n'avait été poussé ni par le désir de jouir de cette captive, ni par aucun autre motif déshonorant, mais par la colère, mauvaise conseillère et cause de beaucoup de désordres. Il ajoute, pour montrer sa sincérité, qu'Achille peut choisir entre ses filles celle qui lui plaira davantage, et qu'il l'obtiendra en mariage avec la dixième partie de ses états et une dot de cinquante talents. Tous les témoins admirèrent la magnificence du roi, surtout Patrocle, qui, joyeux d'une offre si généreuse, et surtout de ce qu'Hippodamie était restée pure entre les mains d'Agamemnon, se rendit aussitôt vers son ami , et lui annonça tout ce qui venait de se passer. CHAPITRE L. Achille, à cette nouvelle, devient rêveur mille pensées différentes roulaient dans son esprit, lorsque Ajax se présente à lui avec ses collègues. A leur entrée dans sa tente, il les salue avec grâce, les invite à s'asseoir, et fait placer Ajax auprès de lui. Celui-ci saisissant l'occasion de lui parler familièrement, lui reproche avec beaucoup de franchise et de liberté cette insensibilité qu'il avait montrée à la vue des malheurs de ses concitoyens; le blâme de d'avoir point mis de bornes à sa colère et d'avoir pu souffrir, sans en être touché, les pertes de l'armée, dans le moment où ses amis, ses parents même étaient à ses pieds. Ulysse après lui, et plus adroitement, rejette sur les dieux tout ce qui s'était passé; il expose avec ordre ce qui venait d'avoir lieu dans le conseil des Grecs, les promesses d'Agamemnon, ses serments et ses offres ; le supplie enfin de se laisser fléchir et de ne point refuser le parti avantageux qui lui est offert. CHAPITRE LI. Alors Achille, dans un long discours, fait l'énumération de ses exploits, leur met sous les yeux ses travaux entrepris pour l'intérêt commun, les villes prisés par lui, les peines qu'il se donnait pendant que l'on se reposait sur sa valeur; ses veilles, ses fatigues, les dangers qu'il a bravés lui et ses soldats, le butin immense qu'il a apporté pour être partagé entre tous. Pour tant de bienfaits , il avait été seul en butte à un outrage sanglant; on lui avait enlevé Hippodamie, le prix de tant de travaux. Agamemnon n'était pas le seul coupable; tous les Grecs étaient des ingrats, puisqu'au mépris de tant de services reçus , ils avaient souffert une telle injustice. Lorsqu'il eut cessé de parler, Diomède lui dit : « Achille, il faut oublier le passé. La prudence ne veut pas que l'on revienne sur des faits qui ne sont pas moins avenus, quelque désir qu'on ait de les anéantir. » Cependant Phénix et avec lui Patrocle, qui étaient présents, couvraient leur jeune prince de baisers, tenaient ses mains étroitement serrées, embrassaient ses genoux, le conjuraient de mettre un terme à sa colère, de rendre aux Grecs son affection, d'avoir égard à la présence des héros qui étaient venus lui faire une telle prière, et à l'amour que le reste de l'armée lui avait toujours porté. CHAPITRE LII.
Achille ne put résister à tant d'instances. La vue des princes
grecs, les prières de ses amis, l'idée des malheurs et de l'innocence de
l'armée, fléchirent son âme altière ; enfin, il promit tout ce qu'on exigea de
lui. A la demande d'Ajax, il se rendit, pour la première fois depuis sa
retraite, au conseil des Grecs. Là, il fut salué par Agamemnon avec tous les
honneurs dus à sa dignité royale. Les autres chefs ne pouvaient retenir les
transports de leur joie, et le couvraient d'applaudissements. Agamemnon, prenant
Achille par la main, le conduisit à table, où furent invités tous les rois. Au
milieu du repas, et de la joie qui animait les convives, et des politesses
réciproques qu'ils se faisaient, Agamemnon pria Patrocle de conduire à la tente
d'Achille Hippodamie, avec tous Ies bijoux dont elle avait été parée par ses
soins. Celui-ci s'acquitta de cette commission avec beaucoup de plaisir.
Cependant les Grecs et les Troyens, tout le temps que dura l'hiver, chacun à
leur tour, ou plusieurs à la fois, suivant que le hasard les rassemblait, se
trouvèrent mêlés et confondus ensemble dans le bois sacré d'Apollon Thymbréen.
(02)
D'après notre auteur, Thessandre ne fut pas du nombre de ceux qui se cachèrent
dans le cheval, ainsi que l'a dit Servius, Énéid. liv. II. (03) Aucun auteur ne parle de Teutranius; et il n'est pas vraisemblable que Teuthras eût laissé son royaume à Télèphe s'il eût eu des enfants d'Augé.
(04) Suivant
Tzetzès, un tronc de vigne sortit sur-le-champ de la terre par l'ordre de
Bacchus.
(05)
Tantale, père de Pélops, était fils de Jupiter, et par conséquent frère
d'Hercule, qui donna le jour à Télèphe; Pélops et Télèphe se trouvaient donc
cousins. Agamemnon et Ménélas étaient fils de Plisthène, Plisthène d'Atrée, et
ce dernier de Pélops.
(06) Il
lui dit que plusieurs des travaux d'Hercule avaient en pour but l'utilité des
Grecs : il voulait, en lui présentant l'exemple de son père, l'engager dans le
parti ; mais que ne lui représentait-il plutôt qu'Hercule avait lui même fait la
conquête de Troie, et qu'il avait tué Laomédon?
(07)
Eustathe, dans l'Odyssée, λ', dit qu'Astyoché était épouse de Télèphe, mais
qu'elle était soeur et non fille de Priam. D'autres la nomment avec plus de
raison Laodicé, et on sait que Priam eut une fille de ce nom. (08) Il y a ici une erreur; car la Mysie, où régnait Télèphe, était près de la Troade, et pour arriver de là à Troie, les Grecs n'auraient eu qu'à suivre les côtes. Mais notre auteur a supposé cette circonstance pour compléter les neuf ans de préparatifs, et réduire la durée de cette guerre à une année seulement.
(09)
Agamemnon ne croyait rien de
l'histoire qu'on lui avait faite sur la biche immolée en place de sa fille, et
il regardait cela comme un conte inventé pour donner le change à sa douleur. . (10) Notre auteur persiste toujours dans son sentiment, et donne toujours neuf ans aux préparatifs de cette guerre, en faisant expirer cet espace de temps à l'arrivée des Grecs à Troie
(11)
Quelques historiens croient qu'Achille blessa de nouveau
Télèphe de sa lance et le guérit. Hygin explique ainsi la manière dont il s'y
prit : Cum Graeci ab Achille peterent ut Telephum sanaret, Achilles respondit
se artem medicam non posse ( lege : se arte medica non posse). Tunc Ulysses ait,
non te dicit Apollo, sed auctorem vulneris hastam nominat; quam cum rasissent,
remediatus est. « Lorsque les Grecs priaient Achille de guérir Télèphe,
Achille répondit qu'il ne le pouvait par le moyen de la médecine. Alors Ulysse
lui dit : ce n'est point vous que l'oracle d'Apollon a voulu nommer, mais la
lance a fait la blessure; ils la raclèrent, et trouvèrent en elle un remède au
mal. »
Voici ce que dit Euripide à ce sujet : (12) Toutes mes éditions portent : Ita libero ab hostibus tempore. Je crois qu'il faudrait lire : Ita libero ab hostibus littore, le rivage débarrassé d'ennemis. (13) Cycnus, fils de Neptune et de Calycé, fille d'Hécaton. Il y en eut quatre du même nom qui se sont rendus illustres : le premier fut Cycnus fils de Sténélus, roi de Ligurie, dont parle Ovide, Métamorph. livre II, le second Cycnus fils d'Apollon et de Hyrie : Ovide en fait aussi mention, Métam. liv. VII , ainsi que Ant. Liberalis. Le troisième était fils de Mars et de Pyrène: Apollod. Hygin. Enfin le quatrième, fils de Mars et de Pélopie fut tué par Hercule. Hygin, fable 97 , parle encore d'un fils d'Ocitus et d'Antophile, qui porta ce nom. (14) Ovide a décrit avec élégance le combat d'Achille et de Cycnus, Métam. liv. XII. Suivant lui, Cycnus ne put ètre blessé d'aucun trait; mais Achille l'ayant renversé, lui serra fortement le cou avec les courroies de son casque, et l'étrangla. Arist. liv. II, Rhet., chap. XXII. Mais suivant le scoliaste de Lycoph., il ne put être blessé qu'à la tête, et fut tué d'un coup de pierre dont Achille le frappa en cet endroit. (15) Les autres auteurs ne parlent nullement de ces princes; ils font seulement mention de Ténen, fils de Cycnus, , qui donna son nom à l'île de Ténédos, nommée auparavant Leucophrys. Ténédos ou Τένου ἕδος signifie terre de Ténen. Aristot. Heracl, Strab. Diod. Paus. Plutar. Le savant Bochart conclut que cette fable n'est pas d'une très haute antiquité, parce qu'aucun poète ne parle de ce Ténen, et qu'on ne le trouve point cité dans Apollod., Hyg., Paléphat, et les autres mythologues ; et que des mots Τένου ἕδος on ne ferait point Ténédos, mais Ténovédos. Il nous apprend aussi que les Phéniciens l'ont appelée Ténédos, c'est-à.dire Tin-edom, ce qui signifie terre rouge; on en faisait un grand usage dans les poteries : les vases de Ténédos étaient alors d'un grand prix. Au reste, on ne voit nulle part de fille de Glaucus qui ait porté le nom de Glaucé ; on la nomme ordinairement Hémithéa; le scoliaste d'Homère lui donne le nom de Leucothée. (16) Cille, ville de la Troade, consacrée à Apollon. Homère l'appelle Κίλλαν τε ζαθέην, la divine Cille; Strabon la place dans l'Adramyttène. (17) On croit que Corone est la même que celle dont parle Strabon, sous le nom de Colonas, voisine de Larisse. On se voit point où Dyctis a pu apprendre que cette ville était sous la domination des Méandriens.
(18)
Cet oracle portait que les Grecs ne renverseraient pas les
murs de Troie avant d'avoir offert un sacrifice sur l'autel de Chryse.
(19)
Il dit que Philoctète fut mordu près de l'autel de Chryse,
ville de Troade; d'autres historiens prétendent que cette ville était dans l'île
de Lemnos: de ce nombre est l'interprète d'Homère ; d'autres la placent près de
cette île. Le scoliaste de Sophocle: Ἔστι δὲ καὶ πόλες Χρ´θση πλησίον Λέμνου,
ἔνυα ὑπὸ τοῦ ὄφεος ἐδήχθη, τὸν βωμὸν ζητῶν ἐν ᾧ ἔθυσεν Ἡρακλῆς ἠνίκα κατὰ Τροίας
ἐστράτευσεν. « La ville de Chryse est située près de Lemnos; Philoctète y fut
mordu par un serpent,lorqu'il cherchait l'autel sur lequel avait sacrifié
Hercule partant pour le siége de Troie.
»
(20) Eustathe, Iliad, β' Ἤδεσαν γὰρ τοῦ Ἡφαίστου ἱερεῖς θεραπεύειν τοὺς ὀφιοδέκτους. « Ils avaient appris que les prêtres de Vulcain connaissaient le secret de guérir la morsure des serpens. » Ceci est fabuleux; ce qu'il y a de certain, c'est que Philoctète fut porté à Lemnos, parce que la terre de cette île avait la vertu de fermer et de guérir les plaies, et principalement celles qui étaient envenimées. Galénus s'étant rendu à Lemnos pour reconnaître la vertu de la terre, dit avoir rencontré un homme qui ἐπὶ τραυμάτων παλαίων, καὶ δὺς ἐπυλώτων ἐχινοδήκτων τε καὶ ὅλως θηροοδήκτων, ἐπί τε τῶν θανασίμων φαρμάκων, οὐ προδιδοὺς μόνον, ἀλλά τε καὶ ἐπιδιδοὺς ἐχρῆτο τῖη σφανίδι, « se servait d'un morceau de cette terre non seulement pour guérir les blessures tant anciennes que nouvelles, les morsures des vipères, et tous les maux envenimés qui causent la mort, mais encore pour en faire des cachets. » Le savant Bochart nous a donné l'étymologie du mot Lemnos : il vient du phénicien Lam-nasis, c'est-it-dite remède contre les blessures; à moins qu'il ne dérive plutôt du phénicien libno ou lebno, blanc, parce que, dans une partie de l'île, la terre est blanche. (21) Les auteurs rapportent de différentes manières la mort de Palamède. Cependant la plus grande partie d'entr'eux s'accorde à dire qu'Ulysse ayant été envoyé en Thrace pour chercher du blé, ne put en fournir à l'armée, et fut pour ce sujet repris par Palamède; qu'il lui répondit que ce n'était pas sa faute, et que si Palamède lui-même s'y rendait, il ne pourrait en apporter : ce dernier partit, et ramena la quantité de blé nécessaire à l'armée. Ce fait ne fit qu'augmenter la haine d'Ulysse, qui écrivit une lettre supposée dans laquelle Priam mandait à Palamède qu'il le remerciait de sa bonne volonté, et lui envoyait la somme dont ils étaient convenus ; il la remit à un esclave qu'il ordonna de faire périr. Dans le chemin, cette lettre ayant été interceptée, fut remise, selon l'usage, au roi, et lue devant les chefs assemblés. Alors Ulysse, feignant de vouloir prendre le parti de Palamède, dit que, pour s'assurer de la vérité, il fallait voir si l'argent était réellement dans sa tente. Les chefs s'y rendirent, trouvèrent la somme qu'Ulysse y avait mise pendant la nuit en corrompant les esclaves, et Palamède fut lapidé. Servius, Énéide, livre II. Selon Dictys, Diomède s'entendit avec Ulysse. Vide Pausaniam in Phocicis. Il joint encore à eux Agamemnon, sur l'autorité de quelques historiens, tels que Tzetzès et le scoliaste d'Euripide.
(22)
Constantin Manassès et Philostrate, en parlant de
Palamède, donnent la même cause à sa mort. Selon eux, Achille et Palamède
étaient unis par. l'amitié la plus sincère, et allèrent ensemble ravager les
villes voisines de Troie. Pendant ce temps, celui-ci fut accusé par Ulysse
auprès d'Agamemnon de mettre tout en oeuvre pour faire nommer Achille chef de
l'armée, et Palamède, rappelé chez les Grecs, fut massacré à coups de pierres
par les soldats. (23) Hiérapolis, ville de Phrygie. Voy. Vitr. liv. VII , chap. III. (24) Les Ciliciens habitaient le pays où furent ensuite les Adramytsènes, les Atarnéens, les Pitanéens, jusqu'à l'embouchure du fleuve Caïcus. Ils formaient deux peuples, dont l'un avait pour roi Eétion, et l'autre Mynétus. Lyrnessus était fils de Mynétus, et Théha d'Eétion.
(25)
Les Léléges habitaient près des Ciliciens. Ayant été vaincus par Achille, ils se
retirèrent dans la Carie, et s'établirent aux environs d'Halicarnasse. Mais la
ville de Pédase, abandonnée par ses habitants, n'existait plus du temps de
Strabon; elle était située près du détroit d'Adramyttène sur la rive du fleuve
Satnioïs. Hom. Iliad. , φ'
(26)
Dictys n'est point ici d'accord avec les autres historiens, qui disent que
Polydore fut tué par Polymestor. Virg. Enéid. III,
(27)
Sophocle fait dire à Tecmessa que son père Teuthras descendit aux
enfers de sa mort naturelle. (28) J'ai rendu habentes Polydorum par ces mots : Polydore est gardé à vue; parce qu'il n'est pas probable que les députés grecs aient emmené avec eux Polydore, comme la construction de la phrase semble l'indiquer. D'ailleurs les deux passages suivants sont formels : page 131, Nam captum Polydorum, atque apud Graecos retineri cognitum vobis est ; et page 135) Tum demum dimitti Menelaum aiebat, si Poydorus redderetur. (29) Suivant Darès, Panthus était fils d'Euphorbe; dans Virgile il est surnommé Orthryades. Il était grand-prêtre de l'Apollon de Delphes; mais le fils d'Anténor, envoyé à Delphes par Priam, l'enleva et le conduisit à Troie, où il devint lui- même grand-prêtre d'Apollon, et épousa Pronome, fille de Clytius, dont il eut Polydamas. Homère s'étend avec complaisance sur sa prudence et ses profondes connaissances dans l'art de prédire l'avenir. Voy. Eust. Serv. (30) Il est faux qu'Antimaque fut le seul qui s'opposa à ce qu'on rendît Hélène; car Hélénus, Déiphobe, Polydamas et plusieurs autres étaient de cet avis. Mais on ne sait quel est cet Antimaque, dont aucun auteur ne fait mention, excepté Dictys : on pense qu'il faudrait substituer Anchemachus, un des fils de Priam.
(31)
Cependant Hector était plus propre au combat qu'au
conseil; Homère dit, en parlant d'Hector, et de Polydamas, fils de Panthus :
(32)
Tite-Live dit au contraire qu'Énée ne cessa de conseiller aux Troyens de rendre
Hélène. Jam primum omnium, inquit, satis constat Troja capta in caeteros
saevitum esse Trojanos, duobus Enea Antenoreque, et vetusti jure hospitii, et
quia pacis reddendaeque Helenae semper auctores fuerant, omne jus belli Achivos
abstinuisse.
«
Il est assez constant, dit-il, qu'après la prise de Troie, les Grecs ont puni
cruellement les Troyens, à l'exception d'Énée et d'Anténor, qu'ils respectèrent
à cause de l'hospitalité qu'ils avaient exercée à leur égard, et parce qu'ils
avaient toujours été d'avis de rendre Hélène. » (33) Ici Dictys commet une faute contre l'histoire. Il est vrai que les Crétois enlevèrent Europe, de Sidon; mais il est faux qu'ils enlevèrent Ganymède de la Troade. Dictys fait parler ainsi les Troyens pour justifier leur conduite. (34) Io, au contraire, fut conduite sur mer par des Phéniciens. Mais notre auteur, qui avait lu ce fait quelque part, pensa que les Troyens pourraient par là donner quelque apparence de justice à leur cause que toute l'Asie défendait, et qu'en même temps on croirait que les Grecs les avaient offensé. les premiers. Cependant Darès, qui a écrit la guerre de Troie, rappelle les affronts qu'ils eurent à essuyer de la part des Argonautes, et ensuite la servitude d'Hésione.
(35)
C'était la coutume chez les Anciens de donner le signal du combat. Ceux qui
pour en venir aux mains avaient assemblé leurs soldats, déployaient du haut des
murs leurs drapeaux et leurs étendarts, ou employaient tout autre moyen pour
faire connaître à leurs ennemis qu'ils se préparaient à les attaquer. C'est
ainsi que Virgile, Éneid. 8 , dit : (36) Dictys oublie sans doute qu'il vient de louer avec excès la sagesse et la modération des Grecs, lorsqu'il fait inhumainement lapider par eux Polydore. Mais en cet endroit il s'écarte de la vérité; en effet Polymestor lui trancha la tête, comme je l'ai dit plus haut. Homère est le seul qui ait dit qu'il mourut de la main d'Achille. (37) Voyez ce passage dans Hom. Ilad. liv. I. (38) Ici notre auteur s'écarte d'Homère. Le prince des poètes dit que les Grecs furent d'avis non seulement de respecter le prêtre, mais encore le recevoir l'argent. (39) Dictys dit que cette peste n'exerça ses ravages que sur le peuple, et il est vrai qu'aucun chef marquant n'en mourut; quoique Homère dise le contraire, dans le dessein sans doute de rendre la colère d'Achille plus intéressante.
(40) Bien
loin de consentir à cette action, Achille en fut tellement indigné, qu'il se
retira dans sa tente, et ne parut plus ni au conseil ni dans les combats.
(41) Il
est ici d'accord avec Homère qui dit :
(42)
Dictys s'est trompé ici, parce qu'ils entendu cet endroit
d'Homère : (43) Cet Acamas était fils d'Eussore; il y avait un autre Acamas, fils d'Anténor, et un troisième, fils d'Acamante. Pins, Πείρος, fils d'Imbrasus.
(44)
Euphémus, suivant Homère, était aussi fils de Trézène. (45) La Paphlagonie, contrée de l'Asie, s'étendait depuis le Pont-Euxin jusqu'au fleuve Halys. C'est là qu'Homère place les Hénétiens, parce qu'ils occupèrent d'abord le pays des Paphlagoniens. Après la prise de Troie et la perte de leurs chefs, ils traversèrent la Thrace, et parvinrent dans la Vénétie, sous la conduite d'Anténor. C'était dans la Paphlagonie qu'était le fleuve Parthénius et la ville d'Héraclée. Les villages de Cytore, Sésame et Cromna étaient arrosés par ce fleuve. Amastris, épouse de Denis, tyran d'Héraclée, forma de ces bourgs la ville d'Amastris. C'était à Cytore que se tenait le marché général du pays : Sésame était la forteresse d'Amastris. Près de cette ville, il y avait sur le rivage un bourg nommé Aegialus à cause de sa position, aux environs duquel étaient deux rochers que leur couleur rouge fit nommer Erythini. (46) Les Anciens ne sont point d'accord sur le pays qu'habitaient les Alizoniens; les uns les placent dans la Scythie européenne, d'autres dans la Mysie. Strabon assure qu'ils étaient autrefois appelés Chalybes, et qu'ils habitaient la Paphlagonie, au-delà du fleuve Iris. Voy. Strab. liv. 12, et Eusth. D'autres lisent Filii Minoi Azanorum regis.
(47)
On est porté à croire qu'au lieu de Solème, il faut écrire Solyme;
car, suivant Homère, les Solymes habitaient la Lycie, et il y avait la
ville et le tombeau, de Solyme. (48) La Carie était située près du fleuve Méandre.
(49)
Homère dit ·
(50)
Homère dit : (51) Les Péoniens habitaient les rives du fleuve Strymon, près le fleuve Axius qui divise la Bottiée de l'Amphaxine, et se réunissant au fleuve Erigone, coule entre Chalestre et Therme. Amydon était placée sur les bords de ce fleuve. Foy. Strab. et Eustath. Hesychius dit : Ἀξιὸς ποταμὸς Παιονίας, Axius, fleuve de Péonie. (52) Adrestine ou Adrastée est située au-delà de l'Ésopus, près du Granique. La ville de Pityée était dans la campagne de Paros, et le mont Téréia non loin de Cyzice ; d'autres soutiennent qu'il était distant de Lampsaque de quarante stades.
(53)
Homère parle ainsi d'Asius : (54) Achille n'était point tant indigné de ce qu'on lui avait ravi Hippodamie, que de ce qu'il n'avait point été invité à un repas par Agamemnon. Dictys se souvenait sans doute que, pour un semblable mépris, les dieux autrefois avaient envoyé à différents peuples des fléaux cruels. Il paraît avoir emprunté ce passage d'Aristote, Rhet., chap. XXIV. ἢ εἴ τις φαίη τὸ ἐπὶ δεῖπνον κληθῆναι τιμιώτατον: διὰ γὰρ τὸ μὴ κληθῆναι ὁ Ἀχιλλεὺς ἐμήνισε τοῖς Ἀχαιοῖς ἐν Τενέδῳ: ὁ δ' ὡς ἀτιμαζόμενος ἐμήνισεν, συνέβη δὲ τοῦτο διὰ τὸ μὴ κληθῆναι. « On peut dire que c'était un honneur insigne d'être invité à un. repas; car Achille, ayant été oublié, s'emporta contre les Grecs dans l'île de Ténédos, et sa colère fut l'effet du mépris inséparable d'un tel oubli. » (55) Suivant Homère, Dolon fut le premier à s'offrir, et, demanda seulement pour récompense les chevaux et le char d'Achille, mais. ayant été pris par Ulysse et Diomède, il feignit qu'Énée l'avait engagé par de grands présents à se rendre aux vaisseaux. (56) Ici notre auteur differe d'Homère; ce poète dit qu'Ulysse et Diomède, étant sortis pour examiner le camp des ennemis, rencontrèrent Dolon qui voulait aussi s'instruire de ce qui se passait chez les Grecs. (57) Notre auteur dit que Pâris fit comprendre à Ménélas qu'il acceptait le défi en s'avançant à la tête des troupes; mais, suivant Homère, les Grecs et les Troyens convinrent que celui des deux qui serait vainqueur posséderait Helène et toutes les richesses enlevées avec elle. (58) Homère dit que le trait de Ménélas perça le bouclier d'Alexandre, déchira sa tunique, et que ce dernier n'évita la mort qu'en faisant un mouvement en arrière. (59) Dans Homère, Alexandre ne fut point blessé; mais Ménélas le saisit par son casque, et, était sur le point de l'étrangler en le tirant à lui, lorsque Vénus rompit la courroie du casque, et l'arracha ainsi à sa fureur. Mais Dictys a changé certaines circonstances, et omis celles qu'il a cru invraisemblables. (60) Tel est aussi le sentiment d'Homère, à quelques changemens près; car il dit qu'après le combat de Ménélas et de Pâris, lorsque les Greco demandaient Hélène, comme on en était convenu, Pandarus, fils de Lycaon, par une trahison sans exemple, lança à Ménélas un trait qui l'atteignit seulement à l'extrémité de l'oreille. Iliad. δ'. (61) Ce passage est contraire au récit d'Homère, qui dit que si les Troyens attaquaient vivement, les Grecs leur résistaient aussi avec beaucoup de valeur.
(62) Ce
qu'avance Dictys n'est pas exact; car ce fut dans ce combat qu'Hector tua
Patrocle, qui arriva lorsqu'Ajax, las du carnage, était pressé de toutes parts.
Voy. Homère, Iliad. π'. Suivant Dictys, Hector fut blessé d'un coup de pierre,
parce qu'Homère dit qu'Énée fut frappé d'un coup de pierre par Diomède, près du
corps de Pandarus. Iliad. ε'. (63) Dictys fait arriver Rhésus à Troie après l'embrasement des vaisseaux; mais, suivant Homère et d'autres historiens, il vint la nuit que Dolon fut pris et tué par Ulysse et Diomède. Iliad. Eurip. Rhes. (64) Je ne sais où Dictys a pu voir près de Troie une péninsule, car il n'en existe point , à moins qu'il ne veuille parler d'un promontoire. Rhésus traversa le Bosphore sur des vaisseaux, et fit à pied le reste du voyage. (65) Notre auteur diffère ici de tous les historiens, comme nous l'avons déjà dit : suivant eux, Ulysse et Diomède, sortis pour considérer le camp des ennemis, se saisirent de Dolon, qui les instruisit de tout. (66) Pindare seul dit que Rhésus se battit pendant tout le jour contre les Grecs, qu'il les harcela beaucoup, et que la nuit suivante Ulysse et Diomède, avertis par Junon, entrèrent dans la tente de ce roi et lui donnèrent la mort.
(67) Il n'est pas certain qu'ils
emmenèrent son char, car, dans Euripide, Minerve dit à Diomède qu'ils n'ont
point d'endroit pour le placer. (68) Dictys n'est point ici d'accord avec les autres auteurs, qui disent que les Grecs envoyèrent à Lemnos des députés qui ramenèrent Philoctète. Hygin dit que ce furent Ulysse et Diomède; suivant Ovide, Ulysse s'y rendit seul; et, suivant Pausanias, Diomède. Sophocle prétend que Pyrrhus et Ulysse allèrent le trouver. (69) Suivant notre auteur, Ulysse, Ajax et Diomède se rendirent à la tente d'Achille ; suivant Homère, Phénix, Ulysse et Ajax, suivis des hérauts Hodius et Eurybates. (70) Achille et Ajax étaient cousins germains comme fils des deux frères Pélée et Télamon.
(71) C'était
pour signifier qu'on l'immolait à Jupiter. Quelquefois ils n'élevaient pas la
victime entière au-dessus de la terre; mais ils tournaient seulement vers le
ciel la tête et le cou, et lorsqu'ils sacrifiaient à Pluton ou aux dieux des
enfers, ils appliquaient contre la terre la tête de l'animal. |