ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE TITE-LIVE TITE-LIVE Ab Urbe Condita, Livre XLI
[ 1] [1] <lacune> Son père avait tenu ses peuples en paix; mais lui leur avait mis les armes à la main, ce qui l'avait, dit-on, rendu l'idole d'une milice avide de pillage. Dans un conseil que tint le consul au sujet de la guerre d'Histrie, les uns furent d'avis de la faire sur-le-champ, avant que les ennemis pussent réunir leurs troupes, les autres, de consulter préalablement le sénat. [2] L'avis préféré fut celui qui n'admettait pas de délai. Le consul partit d'Aquilée, et alla camper au bord du lac Timave, qui est à peu de distance de la mer: là se rendit aussi avec dix bâtiments, C. Furius, duumvir naval. [3] C'était contre l'escadre des Illyriens qu'avaient été créés ces duumvirs des flottes, pour défendre avec vingt bâtiments les côtes de la mer supérieure en s'appuyant sur Ancône; à partir de ce point, à droite, jusqu'à Tarente, la flotte était sous les ordres de L. Cornélius; à gauche, jusqu'à Aquilée, sous ceux de C. Furius. [4] Ces bâtiments furent envoyés au port d'Histrie le plus rapproché avec des navires de charge et un convoi abondant; et le consul le suivant avec ses légions, campa environ à cinq milles de la mer.[5] Le port fut bientôt transformé en un marché très peuplé, d'où l'on portait au camp toutes les provisions. On assura les communications par des postes établis sur tout le pourtour du camp; [6] du côté de l'Histrie fut placée à demeure une cohorte levée à la hâte dans Plaisance, pour garder l'espace entre le camp et la mer; et pour qu'elle pût couvrir ceux qui viendraient au fleuve faire de l'eau, M. Aebutius, tribun des soldats de la seconde légion, reçut l'ordre d'y conduire un renfort de deux manipules. [7] Les tribuns T. et C. Aelius, avaient mené la troisième légion par la route d'Aquilée, pour protéger ceux qui iraient au fourrage et au bois. [8] C'était de ce même côté, à mille pas environ, qu'était le camp des Gaulois; Catmelus y remplaçait le roi, avec trois mille combattants seulement sous ses ordres. [2] [1] Les Histriens, dès que le camp romain eut été transporté sur le lac du Timave, se postèrent derrière une colline, à l'insu des nôtres, [2] et suivant leur marche par des chemins détournés, ils épiaient toutes les occasions d'inquiéter les Romains, et rien ne leur échappait de ce qui se passait sur terre et sur mer. [3] Frappés de la faiblesse des postes qui gardaient le camp, de la foule de trafiquants qui couvraient, désarmés, le marché et la route du camp à la mer, sans un seul ouvrage de fortification terrestre ou maritime, ils attaquent à la fois les deux corps, la cohorte de Plaisance et les manipules de la seconde légion. [4] Une brume matinale prêtait son ombre à leur entreprise; quand les premiers rayons du soleil la dissipèrent, la lumière qui perçait, mais encore incertaine et qui multipliait à l'œil les objets, abusa les Romains, et leur fit voir l'armée ennemie beaucoup plus nombreuse qu'elle n'était. [5] Saisis d'effroi, les soldats des deux corps s'enfuirent vers le camp avec une extrême précipitation, et l'alarme s'y répandit beaucoup plus vive qu'ils ne l'avaient eux-mêmes apportée. [6] En effet, dire pourquoi ils avaient fui, répondre aux questions qu'on leur adressait leur était impossible; on entendait des cris aux portes comme de gens qui ne voient plus de poste devant eux pour les couvrir, et dans ce pêle-mêle d'hommes qui, par le brouillard, se heurtaient les uns contre les autres, on ne savait pas si l'ennemi n'était pas dans le retranchement. [7] On n'entendait qu'une voix: « À la mer! » Ce mot lâché au hasard par une seule bouche, fut bientôt répété par tous les échos du camp. [8] Les voilà donc qui, comme s'ils en eussent reçu l'ordre, courent quelques-uns armés, la plupart sans armes, du côté de la mer; puis un plus grand nombre, enfin tous, et le consul lui-même, après bien des efforts pour ramener ses troupes en fuite, et quand il vit que, commandement, autorité, prières même en désespoir de cause, tout était inutile. [9] Il ne resta que M. Licinius Strabon, tribun de la deuxième légion, qui était demeuré en arrière de sa légion avec trois étendards. En se jetant sur le camp qu'on leur laissait vide, les Histriens, sans avoir trouvé d'autres combattants pour leur barrer le passage, le trouvèrent dans le prétoire, qui formait et haranguait sa petite troupe. [10] Le combat fut très acharné, vu le petit nombre d'hommes qui le soutint: il ne finit que quand le tribun et tout son monde furent tués. [11] L'ennemi abat le prétoire, pille tout ce qu'il y trouve, et arrive au forum questorien et à la via quintana. [12] Les barbares y trouvèrent préparées et étalées des provisions de toute espèce, et des lits tout faits dans le questorium; le roi s'y coucha et se fit servir un repas. [13] Bientôt tous les autres en font autant, sans plus s'occuper d'armes ni d'ennemis, et en hommes peu accoutumés au luxe d'une bonne table, ils se surchargent l'estomac de viandes et de vin. [3] [1] Du côté des Romains, c'est une scène toute différente: alarme générale à terre et sur mer; les marins détendent leurs pavillons et rembarquent à la hâte les provisions débarquées; [2] les soldats, dans leur effroi, se précipitent dans les canots et dans l'eau; les matelots, craignant de voir leurs embarcations surchargées de monde, ou bien repoussent cette multitude, ou bien quittent le rivage et gagnent la haute mer. [3] Une lutte s'ensuit, et bientôt un combat entre les soldats et les matelots; le sang coule, et quelques-uns succombent jusqu'à ce que par l'ordre du consul l'escadre s'éloigne de la terre. Il fit ensuite le triage de ceux qui étaient sans armes, et de ceux qui en avaient. [4] C'est à peine, sur un si grand nombre, s'il en trouva douze cents qui les eussent; les cavaliers qui avaient emmené leurs chevaux étaient le plus petit nombre. Le reste n'était qu'une misérable foule, pareille à une troupe de valets et de goujats, faite pour être la proie de l'ennemi, s'il avait su la guerre. [5] Enfin l'on envoya un messager à la troisième légion et au corps d'armée gaulois pour les rappeler, et de toutes parts à la fois l'on s'occupa de marcher à la reprise du camp, pour laver la tache dont on s'était souillé. [6] Les tribuns des soldats de la troisième légion font jeter le fourrage et le bois; ils ordonnent aux centurions de mettre deux à deux sur le dos des mulets qu'on avait déchargés, les soldats appesantis par l'âge; aux cavaliers de prendre chacun en croupe un des plus jeunes fantassins. [7] « Quel honneur pour leur légion, si, par sa valeur, elle reconquiert le camp perdu par la terreur panique de la seconde, et la tâche est facile si l'on tombe sur les barbares tout à coup, pendant qu'ils ne songent qu'à piller; comme ils ont pris, on peut les prendre. » [8] Cette exhortation enlève les soldats. Les enseignes sont déployées à l'instant, et les combattants ne se font pas attendre des porte-enseignes; pourtant le consul et les troupes qu'on ramenait de la mer, arrivent les premiers au pied du retranchement. [9] L. Acius, premier tribun de la seconde légion, ne se bornait pas à exhorter les soldats, [10] il leur faisait encore sentir « que si les Histriens vainqueurs eussent voulu, avec les mêmes armes qui leur avaient servi à prendre le camp le retenir, ils eussent d'abord poursuivi jusqu'à la mer l'ennemi qui n'avait plus de camp, et qu'ensuite ils eussent établi des avant-postes en tête du retranchement; que vraisemblablement ils étaient plongés dans l'ivresse et dans le sommeil. [4] [1] Après ce peu de mots, il ordonna à son porte-enseigne, A. Baeculonius, bien connu par son courage, d'entrer, son enseigne en main. [2] Cet officier s'écria que, si on était disposé à le suivre, il allait accélérer la manœuvre; puis, faisant un effort, il jette son enseigne par dessus le retranchement, et franchit le premier la porte. [3] D'un autre côté, T. et C. Aelius, tribuns des soldats de la troisième légion, arrivent avec de la cavalerie; puis, les hommes qu'ils avaient chargés par couples sur les bêtes de somme, puis le consul avec toute sa troupe. [4] Des Histriens en petit nombre, qui n'avaient que peu de vin, songèrent à fuir; les autres passèrent du sommeil à la mort, et les Romains retrouvèrent tout ce qu'ils avaient laissé, à l'exception de ce qui avait été consommé de vin et de viandes. [5] Les malades même, qu'on avait laissés dans le camp, dès qu'ils virent leurs camarades rentrés, prirent les armes et firent un grand carnage. [6] On cite surtout le cavalier C. Popilius, pour sa belle conduite; son surnom était Sabellus. Rentré au camp par une blessure au pied, ce fut lui qui tua le plus d'ennemis, de beaucoup. [7] Il y eut environ huit mille Histriens massacrés; pas de prisonniers; le ressentiment et la colère étaient tels qu'on ne songeait pas à faire du butin. Toutefois leur roi, qui s'était enivré à table, fut mis à la hâte sur un cheval par les siens, et s'enfuit. [8] Les vainqueurs perdirent deux cent trente- sept hommes, mais plus à la déroute du matin qu'à la reprise du camp. [5] [1] Le hasard voulut que Cn. et L. Gavillius Novellus, des habitants d'Aquilée, qui arrivaient avec des provisions, tombassent presque sans s'en douter au milieu des Histriens maîtres du camp. [2] Ils abandonnèrent leurs bagages, et dans leur fuite regagnèrent Aquilée, que bientôt ils eurent remplie d'une terreur et d'une consternation qui, peu de jours après, s'étendait jusqu'à Rome. [3] Là, ce n'était plus seulement la prise d'un camp par l'ennemi, une fuite que l'on annonçait, mais un échec complet, une armée anéantie. [4] Aussi, comme c'est l'usage dans le cas du tumultus, une levée extraordinaire fut proclamée, non seulement pour la ville, mais même pour toute l'Italie. Deux légions de citoyens romains furent enrôlées, et dix mille hommes d'infanterie avec cinq cents de cavalerie furent commandés aux alliés du nom latin. [5] Le consul M. Junius reçut l'ordre de passer en Gaule, et d'exiger des cités de cette province autant de soldats qu'elles en pourraient fournir chacune. [6] II fut en même temps décrété que le préteur Ti. Claudius fixerait Pise comme rendez-vous aux soldats de la quatrième légion à cinq mille hommes de cavalerie, et à deux cents d'infanterie de nos alliés latins, et qu'il couvrirait cette province en l'absence du consul: [7] le préteur M. Titinius devait indiquer Ariminum comme point de réunion à la première légion et à pareil nombre d'auxiliaires latins, infanterie et cavalerie. [8] Néron partit pour Pise et sa province, le harnais sur le dos. Titinius envoya le tribun des soldats C. Cassius à Ariminum, pour prendre le commandement de la légion et resta à Rome pour procéder à la levée. [9] Le consul M. Junius, étant passé de chez les Ligures dans la province de Gaule, se hâta de commander des renforts aux cités du pays et aux colonies militaires, et vint à Aquilée. [10] Là, informé que l'armée avait été sauvée, il écrivit à Rome pour y faire renaître le calme; lui-même il congédia les renforts qu'il avait demandés aux Gaulois, et alla trouver son collègue. [11] À Rome, ce bonheur inattendu causa une grande joie; les soldats qui avaient prêté serment en furent déliés, et l'armée, qu'une épidémie avait frappée à Ariminum, fut renvoyée dans ses foyers. [12] Les Histriens, qui, avec de nombreuses troupes, occupaient une position rapprochée du camp du consul, apprenant l'arrivée de l'autre consul à la tête d'une nouvelle armée, se dispersèrent dans leurs cités respectives; les consuls ramenèrent leurs légions prendre leurs quartiers d'hiver à Aquilée. [6] [1] L'Histrie pacifiée, un sénatus-consulte parut qui prescrivait aux consuls de se concerter pour que l'un d'eux revînt à Rome tenir les Comices. [2] Manlius, pendant son absence, était déchiré par les discours d'A. Licinius Nerva et de C. Papirius Turdus; ils promulguèrent même une motion tendant à ce que Manlius ne gardât pas son commandement plus tard que les ides de Mars [car on avait prorogé les consuls pour un an dans leurs provinces], pour qu'il pût, aussitôt démis de sa charge, venir plaider sa cause. [3] Q. Aelius, leur collègue, s'opposa à leur motion, et il obtint à grande peine qu'elle ne fût pas poussée plus loin. [4] Dans le même temps, Ti. Sempronius Gracchus et L. Postumius Albinus revenaient d'Espagne à Rome, et le sénat, sous la présidence du préteur M. Titinius, leur donnait audience dans le temple de Bellone, pour qu'ils eussent à exposer leur gestion accomplie, à demander les honneurs qu'ils avaient mérités, et à réclamer pour les dieux immortels des actions de grâces. [5] À cette époque aussi, une dépêche du préteur Aebutius, apportée au sénat par son fils, apprit qu'on avait eu en Sardaigne une vive alerte. [6] Les Iliens, secondés par un corps de Balares, avaient envahi, eu pleine paix, la province, et, avec une armée affaiblie et décimée par une épidémie on ne pouvait leur résister. [7] Même récit dans la bouche des députés des Sardes qui suppliaient le sénat de secourir au moins les villes, les campagnes étant déjà ruinées. Cette ambassade et toute l'affaire de Sardaigne furent renvoyées aux nouveaux magistrats. [8] Une égale pitié était due aux Lyciens: leurs députés venaient aussi se plaindre de la cruauté des Rhodiens que L. Cornélius Scipion leur avait donnés pour maîtres. [9] « Ils avaient été sujets d'Antiochus; le despotisme de ce prince, en comparaison de leur situation présente, était une noble indépendance, Ce n'était pas seulement la nation en général, mais les individus qui souffraient sous des tyrans une servitude réelle. [10] Leurs femmes, leurs enfants étaient traités comme eux; des peines corporelles, le fouet, leur étaient infligés; leur réputation, pour comble d'indignités, était salie et vilipendée; on consommait effrontément les actes les plus odieux pour établir son droit, et pour ne pas leur laisser l'ombre d'un doute qu'il n'y avait pas de différence entre eux et des esclaves achetés à prix d'argent. » [11] Touché de ces plaintes, le sénat donna aux Lyciens une lettre pour les Rhodiens: « Rome n'entendait pas faire des Lyciens les esclaves des Rhodiens, ni placer dans la servitude de qui que ce fût des personnes nées libres; [12] de ce que les Lyciens avaient été placés à la fois sous l'autorité et sons la tutelle des Rhodiens, ce n'en étaient pas moins deux nations alliées, soumises à la domination du peuple romain. » [7] [1] Nos succès en Espagne donnèrent lieu à deux triomphes consécutifs. [2] Le premier fut celui de Sempronius Gracchus sur les Celtibères et leurs alliés; le lendemain, ce fut L. Postumius qui triompha des Lusitaniens et des autres Espagnols de la même contrée. Quarante mille livres d'argent furent versées dans le trésor par Ti. Gracchus, vingt mille par Albinus. [3] Ils abandonnèrent chacun également vingt-cinq deniers aux soldats, le double aux centurions, le triple aux chevaliers; les alliés furent traités comme les Romains. [4] Le hasard voulut que, vers la même époque, le consul M. Junius vînt d'Histrie à Rome, pour les comices. [5] Après bien des questions dont l'accablèrent en plein sénat les tribuns du peuple, Papirius et Licinius, au sujet des événements d'Histrie, ils l'appelèrent devant le peuple. [6] Le consul répondait qu'il n'avait passé que onze jours dans la province, « qu'il avait su comme eux, par la renommée, ce qui s'était passé en son absence. » [7] Ils insistaient alors: « Pourquoi n'était-ce pas plutôt A. Manlius qui était venu à Rome pour rendre compte au peuple romain des motifs qui l'avaient fait passer de la province de Gaule, que le sort lui avait attribuée, en Histrie? [8] Quand cette guerre avait-elle été décrétée par le sénat, ordonnée par le peuple? Sans doute que l'ayant entreprise par l'inspiration de ses seules lumières, le général l'avait conduite avec habileté et courage. [9] Au contraire, il était impossible de dire s'il y avait eu plus d'impertinence dans la conception, que de maladresse dans la conduite de cette guerre. Deux postés surpris par les Histriens, deux camps romains pris, et avec le camp ce qu'il soutenait de cavaliers et de fantassins, [10] le reste désarmé, en désordre, le consul à leur tête, avait fui vers la mer et les vaisseaux. Redevenu homme privé, il rendrait de ces faits le compte qu'il avait refusé étant consul. » [8] [1] On tint ensuite les comices. Les consuls nommés furent C. Claudius Pulcher, Ti. Sempronius Gracchus, et le lendemain la préture fut conférée à P. Aelius Tubéron pour la seconde fois, à C. Quinctius Flamininus, à C. Numisius, à L. Mummius, à Cn. Cornélius Scipion, à C. Valérius Laevinus. [2] À Tubéron échut la juridiction de la ville, à Quinctius celle des étrangers; à Numisius la Sicile; à Mummius la Sardaigne; mais cette dernière, à cause de l'importance de la guerre, fut élevée au rang de province consulaire, et donnée par le sort à Gracchus; Claudius eut l'Histrie; [3] Scipion et Laevinus se partagèrent la Gaule, qui forma deux départements. [4] Aux Ides de mars, le jour où Sempronius et Claudius entrèrent en charge, il ne fut question que des provinces de Sardaigne et d'Histrie, ainsi que des deux ennemis qui, dans ces provinces, avaient allumé la guerre. [5] Le lendemain, les députés des Sardes, dont on avait différé l'audition jusqu'au renouvellement des magistrats, et L. Minutius Thermus, qui avait été lieutenant du consul Manlius en Histrie, furent admis devant le sénat. Leur témoignage révéla au sénat toute l'importance des guerres de ces contrées. [6] Le sénat s'émut aussi des plaintes articulées par les députations des alliés latins, qui, après avoir fatigué les censeurs et les consuls précédents, avaient obtenu une audience du sénat. [7] En somme ils trouvaient mauvais que leurs concitoyens recensés à Rome eussent émigré à Rome. Si on tolérait cet abus, en peu de lustres on verrait leurs villes, leurs campagnes désertes, hors d'état de pouvoir fournir un soldat. [8] Les Samnites et les Péligniens se plaignaient aussi, que quatre mille familles les eussent quittés pour aller habiter Frégelles, et qu'ils n'en fournissaient pas pour cela, ni les uns ni les autres, de moindres contingents aux armées. [9] Or il s'était introduit deux sortes de fraudes pour passer individuellement d'une cité dans une autre. La loi accordait à ceux des alliés latins qui laissaient une descendance dans leur patrie primitive, de devenir citoyens romains. Mais par une fausse interprétation de cette loi, ils faisaient tort, les uns à leurs compatriotes, les autres au peuple romain. [10] Car ils échappaient à l'obligation de laisser de leurs enfants dans leur pays, en donnant comme mancipia ces enfants à n'importe quel citoyen romain, à condition qu'ils leur donneraient la liberté et en feraient des affranchis; et des gens qui n'avaient pas d'enfants à laisser devenaient citoyens romains. [11] Plus tard on dédaigna même ces apparences de légalité, et l'on entra dans la cité romaine malgré la loi, sans avoir d'enfants, par une simple migration et l'inscription sur les rôles. [12] Les députés demandaient que ces abus ne se renouvelassent plus; qu'on ordonnât aux alliés de rentrer dans leurs cités, et qu'ensuite on fit une loi interdisant à toute personne d'en recevoir une autre en sa puissance, ou d'en aliéner la propriété peur faciliter un changement de cité, et portant que tout homme qui userait de cette fraude pour devenir citoyen romain ne serait pas reconnu comme tel. Ces demandes furent accordées par le sénat. [9] [1] On décréta ensuite les provinces qui étaient en guerre, la Sardaigne et l'Histrie. [2] Pour la Sardaigne fut ordonnée la levée de deux légions, de cinq mille deux cents hommes d'infanterie et de trois cents de cavalerie chacune; plus, de douze mille hommes d'infanterie et de six cents de cavalerie à demander aux alliés latins; enfin de dix quinquérèmes, si le consul voulait les prendre dans les chantiers. [3] On décréta pour l'Histrie les mêmes forces en infanterie et en cavalerie, que pour la Sardaigne. Les consuls reçurent ordre également d'envoyer à Titinius en Espagne, une légion avec trois cents chevaliers, et cinq mille hommes d'infanterie alliée, accompagnés de deux cent cinquante hommes de cavalerie. [4] Avant le tirage au sort des provinces consulaires, on annonça des prodiges. [5] Des pierres étaient tombées du ciel, au pays de Crustuminum, dans le bois de Mars; il était né dans la campagne de Rome un enfant au corps incomplet, et on avait vu un serpent avec quatre pattes; à Capoue, dans le Forum, beaucoup d'édifices avaient été frappés du feu du ciel; à Pouzzoles, un coup de tonnerre avait réduit deux navires en cendres. [6] Au milieu de tous ces bruits de prodiges, un loup poursuivi dans Rome même en plein jour, après être entré par la porte Colline, s'échappa par la porte Esquiline, suivi de tout un peuple en émoi. [7] À l'occasion de ces prodiges, les consuls immolèrent de grandes victimes, et il y eut un jour de supplications autour des autels. [8] Après les sacrifices obligés, les provinces furent tirées au sort; Claudius obtint ainsi l'Histrie, et Sempronius la Sardaigne. [9] C. Claudius porta ensuite, en vertu d'un sénatus-consulte, la loi relative aux alliés, et promulgua l'ordre à tous ceux des alliés latins, qui, eux ou leurs ancêtres, pendant la censure de M. Claudius et de T. Quinctius, et depuis, avaient été recensés parmi les alliés latins, de se faire réintégrer tous dans leurs cités respectives avant les calendes de novembre. [10] Le soin d'informer contre ceux qui ne se soumettraient pas fut laissé par décret au préteur L. Mummius; [11] à la loi et à la proclamation du consul fut adjoint un sénatus-consulte portant que le dictateur, le consul, l'interroi, le censeur, le préteur de l'année, à chaque cas de manumission et d'affranchissement qui se présenterait, devait exiger du maître libérateur le serment que cette manumission n'avait pas pour but un changement de cité; faute de prêter ce serment, la manumission ne pouvait avoir lieu. [12] La décision de ces cas et cette juridiction furent pour l'avenir assignées par décret à C. Claudius. [10] [1] Tandis que ces événements se passaient à Rome, M. Junius et A. Manlius, qui avaient été consuls l'année précédente, après un hiver passé à Aquilée, firent entrer, au début du printemps, leurs troupes sur le territoire de l'Histrie. [2] Ils commirent tant de ravages et de désordres, que les Histriens, plus par colère et par ressentiment des déprédations qui se commettaient sous leurs yeux et à leurs dépens, que par l'espoir assuré de tenir tête à deux armées, se mirent en campagne. [3] La milice entière de toutes leurs tribus tout à coup soulevée, bataillons improvisés et réunis à la hâte, montra plus de vigueur au premier choc, que de persévérance à soutenir le combat. [4] Quatre mille hommes de leur monde restèrent sur le champ de bataille; les autres, renonçant à la guerre, prirent la fuite de toutes parts, et regagnèrent leurs cités. De là ils envoyèrent d'abord des députés au camp romain pour demander la paix, et puis les otages qu'on leur commanda de donner. [5] Dès qu'on l'apprit à Rome par une dépêche des proconsuls, le consul C. Claudius craignant, par suite de ces événements, de voir la province et l'armée lui échapper, part de nuit sans prononcer les voeux, sans costume, sans licteurs, sans en prévenir personne que son collègue, et se rend précipitamment dans sa province: là sa conduite fut encore plus étourdie que son départ. [6] En effet il réunit l'assemblée, et, reprochant à A. Manlius sa fuite du camp, devant les soldats qui devaient l'entendre avec déplaisir, eux qui avaient fui les premiers, faisant honte à M. Junius de s'être associé au déshonneur de son collègue, il finit par leur ordonner à tous deux de sortir de la province. [7] Les soldats crièrent qu'ils se soumettraient à la volonté du consul, une fois que, suivant l'antique usage, il aurait prononcé les voeux dans le Capitole et serait sorti de Rome en costume, et précédé de licteurs: [8] transporté de rage alors, il appelle l'officier qui tenait lieu de questeur à A. Manlius, lui demande des chaînes et menace d'en charger Junius et Manlius pour les envoyer ainsi à Rome. [9] Cet officier n'écouta pas davantage l'ordre du consul, et l'armée qui l'environnait, toute dévouée à la cause de ses chefs, et animée contre le consul, l'encourageait à la désobéissance. [10] Enfin, excédé de leurs injures, et des moqueries de la multitude, qui joignait en effet la risée à l'outrage, il reprend le chemin d'Aquilée sur le même bâtiment qui l'avait amené. [11] De là il écrit à son collègue de donner ordre à cette portion des nouvelles levées qu'on destinait à l'Histrie, de se réunir à Aquilée; ne voulant trouver à Rome rien qui l'empêchât, ses voeux prononcés, de sortir, en costume, de Rome. [12] Le collègue s'y prêta de bonne grâce, et la réunion fut indiquée dans un bref délai. Claudius arriva presque en même temps que sa dépêche. [13] Il réunit le peuple en arrivant, pour l'entretenir de Manlius et de Junius, ne passe que trois jours à Rome, et, après les voeux prononcés au Capitole, il prend son costume, fait marcher devant lui ses licteurs, et regagne sa province avec la même précipitation que la première fois. [11] [1] Peu de jours avant, Junius et Manlius livrèrent un violent assaut à la ville de Nesattium qui servait de retraite aux principaux Histriens et à leur roi Épulon. [2] Claudius y amena ses deux légions nouvelles, licencia l'ancienne armée avec ses chefs, investit lui-même la place, et se mit en devoir de l'attaquer avec les mantelets. [3] Un fleuve baignait le pied des remparts, et gênait la manoeuvre des assiégeants, en même temps qu'il fournissait de l'eau aux assiégés; plusieurs jours furent employés à creuser un nouveau canal pour en détourner le cours. [4] Cette opération, qui coupait l'eau aux barbares, les terrifia à l'égal d'un prodige, mais sans leur inspirer la pensée d'une capitulation; au contraire, ils se mirent à massacrer leurs femmes et leurs enfants, et même, pour offrir à l'ennemi le spectacle de ces révoltants attentats, ils les égorgeaient sur le rempart même, et les précipitaient du haut en bas. [5] Ce fut au milieu des lamentations des femmes et des enfants, au milieu de cet abominable massacre, que nos soldats franchirent le mur, et entrèrent dans la place. [6] Quand le roi, aux cris d'effroi de ceux qui fuyaient, reconnut le désordre d'une ville prise d'assaut, il se passa son épée au travers du corps, pour n'être pas pris vivant; le reste fut pris ou tué. [7] Deux villes encore, Mutila et Faveria furent emportées d'assaut et détruites. [8] Le butin fut plus considérable qu'on ne pouvait l'attendre, vu la pauvreté de ce peuple, et on l'abandonna tout aux soldats. Cinq mille six cent trente-deux captifs furent vendus à l'encan; les instigateurs de la révolte, battus de verges et frappés de la hache. [9] Toute l'Histrie, par la ruine de trois de ses places, et par la mort de son roi, fut pacifiée; toutes les tribus des environs donnèrent des otages et se soumirent. [10] La guerre d'Histrie se terminait, lorsque chez les Ligures commencèrent à se tenir des assemblées dont la guerre était le but. [12] [1] Le proconsul Ti. Claudius, qui avait été préteur l'année précédente, commandait à Pise, avec une seule légion pour garnison. [2] Informé du fait par une dépêche de lui, le sénat décide de renvoyer la dépêche à C. Claudius [car l'autre consul était déjà passé en Sardaigne], [3] et ajoute un décret qui l'autorise, n'ayant plus affaire dans sa province d'Histrie, à faire passer, s'il le trouve bon, son armée en Ligurie. [4] En même temps, d'après la dépêche du consul où il exposait sa campagne en Histrie, on décréta une supplication de deux jours. Ti. Sempronius, l'autre consul, eut également du succès en Sardaigne. [5] II fit entrer son armée sur les terres des Sardes Iliens, qui avaient reçu de grands secours des Balares. Il combattit avec l'une et l'autre nation en bataille rangée. Les ennemis furent mis en déroute et prirent la fuite; ils perdirent leur camp, et douze mille combattants restèrent sur le champ de bataille. [6] Le lendemain, le consul fit un choix d'armes qu'il fit mettre en tas et qu'il brûla en l'honneur de Vulcain. Il ramena son armée victorieuse en quartiers d'hiver, dans des villes alliées, [7] et C. Claudius, au reçu de la dépêche de Ti. Claudius et du sénatus-consulte, fit passer ses légions d'Histrie en Ligurie. [8] Les ennemis, descendus en plaine, avaient leur camp au bord de la rivière Scultenna. Ce fut là qu'on leur livra bataille. Ils perdirent quinze mille hommes tués, et plus de sept cents prisonniers qu'on leur fit, soit dans le combat, soit dans leur camp, qui fut enlevé aussi; on leur prit encore cinquante et une enseignes. [9] Ceux des Ligures qui échappèrent au carnage se dispersèrent dans les montagnes, et le consul eut beau battre la plaine, nulle part il ne vit d'armes s'offrir à ses regards. [10] Claudius, vainqueur de deux nations en une année, après avoir [succès bien rare!] pacifié, dans son consulat, deux provinces, revint à Rome. [13] [1] Des prodiges furent annoncés cette année. C'était, dans le Crustuminum, un de ces oiseaux appelés avis sanqualis, qui d'un coup de bec avait entamé une pierre sacrée; en Campanie, un boeuf qui avait parlé; [2] à Syracuse, une vache de bronze qu'un taureau sauvage égaré de son troupeau avait couverte et arrosée de sa semence. [3] Dans le Crustuminum on célébra sur le lieu même une supplication d'un jour; en Campanie on mit la nourriture du boeuf au rang des dépenses publiques; le prodige de Syracuse fut expié par des sacrifices offerts aux dieux que les haruspices désignèrent. [4] On perdit cette année-là le pontife M. Claudius Marcellus, qui avait été consul et censeur. Il eut pour successeur dans le pontificat son fils M. Marcellus. On conduisit aussi à Luna une colonie de deux mille citoyens romains: [5] ce fut la mission des triumvirs P. Aelius, Lepidus, Cn. Sicinius. Il fut attribué à chaque colon cinquante et un arpents et demi sur le territoire pris aux Ligures. Il avait été aux Étrusques avant d'être à ceux-ci. [6] Le consul C. Claudius vint aux portes de la ville: l'exposé qu'il fit au sénat de ses succès en Histrie et chez les Ligures, lui obtint, sur sa demande un décret de triomphe. Il triompha, encore consul, de deux nations à la fois. [7] L'argent porté dans ce triomphe se montait à trois cent sept mille deniers, et à quatre-vingt-cinq mille sept cent deux victoriats. Les soldats eurent quinze deniers par tête sur cet argent, les centurions le double, les chevaliers le triple. [8] Les alliés eurent moitié moins que les citoyens. Aussi le silence qu'ils gardèrent en suivant le char témoigna-t-il assez de leur mécontentement. [14] [1] Pendant la célébration de ce triomphe sur les Ligures, ces mêmes Ligures s'aperçurent que non seulement l'armée consulaire avait été emmenée à Rome, [2] mais que Ti. Claudius avait même licencié sa légion à Pise; affranchis de toute crainte, ils s'entendent secrètement pour rassembler une armée, passent les monts par des chemins de traverse, descendent dans la plaine, ravagent le territoire de Modène, et, grâce à la promptitude de leur attaque, prennent la colonie elle-même. [3] Quand on le sut à Rome, le sénat intima l'ordre au consul C. Claudius de tenir les comices au premier jour, et, aussitôt les magistrats nommés pour l'année, de retourner dans sa province et de reprendre la colonie sur les ennemis. [4] Les comices furent tenus conformément à la décision du sénat. Les consuls nommés furent Cn. Cornélius Scipion Hispalus et Q. Pétilius Spurinus. [5] Les préteurs nommés furent, ensuite, M. Popilius Laenas, P. Licinius Crassus, M. Cornélius Scipion, L. Papirius Maso, M. Aburius, L. Aquilius Gallus. [6] On prorogea le consul C. Claudius pour un an dans son commandement et dans sa province de Gaule: et, pour empêcher les Histriens d'imiter les Ligures, il dut envoyer en Histrie les alliés latins qu'il avait tirés de la province à l'occasion de son triomphe. [7] Quand les consuls Cn. Cornélius et Q. Pétilius, le jour de leur entrée en charge, immolèrent, selon l'usage, chacun un boeuf à Jupiter, la victime que sacrifia Pétilius se trouva avoir un foie sans tête. Il en fit rapport au sénat, qui lui ordonna de recommencer le sacrifice. [8] Consulté ensuite sur la distribution des provinces, le sénat assigna par un décret Pise et les Ligures aux deux consuls. [9] Celui à qui le sort donnerait Pise, devait, quand serait venue l'époque du renouvellement des magistratures, revenir pour les comices. [10] On ajouta au décret qu'ils lèveraient deux légions nouvelles et trois cents cavaliers, et qu'ils commanderaient aux alliés latins dix mille hommes d'infanterie et six cents de cavalerie. [11] Ti. Claudius fut prorogé dans son commandement jusqu'au moment oû le consul arriverait dans sa province. [15] [1] Pendant que ces affaires se traitent dans le sénat, Cn. Cornélius étant sorti du temple sur l'invitation que lui en apporta un messager, revint un instant après, la confusion sur le visage, et exposa aux Pères conscrits que le boeuf de six cents livres qu'il avait immolé n'avait pas de foie. [2] Ne s'en rapportant pas, disait-il, au témoignage du victimaire, il avait fait vider toute l'eau de la chaudière où l'on faisait cuire les entrailles, et s'était assuré que parmi tous les autres intestins bien entiers, le foie seul, par un incroyable mystère, était anéanti. [3] Ce prodige effrayait déjà les Pères, lorsque l'autre consul vint accroître leurs appréhensions en révélant qu'après avoir trouvé un foie sans tète, il n'avait pas poussé jusqu'à parfaite réussite le sacrifice de trois boeufs. [4] Le sénat ordonna l'immolation de grandes victimes jusqu'à complète expiation. Tous les dieux agréèrent, dit- on, ces offrandes, sauf la déesse Salus, auprès de laquelle Pétilius n'eut pas de succès. Puis les consuls et les préteurs tirèrent les provinces au sort. [5] Ce fut Pise qui échut à Cornélius,et les Ligures à Pétilius. Au préteur L. Papirius Maso la juridiction de la ville, à M. Aburius celle des étrangers. M. Cornélius Scipion Maluginensis eut l'Espagne ultérieure, L. Aquilius Gallus la Sicile. [6] Deux d'entre eux demandèrent à n'avoir pas de province. M. Popilius refusait ainsi la Sardaigne. « Gracchus, disait-il, pacifiait cette province, et le sénat lui avait donné pour aide le préteur T. Aebutius. [7] Dans une opération où l'unité de système et un ensemble de vues invariable étaient essentiels, il était déplacé d'en rompre la suite. [8] La remise du commandement, l'inexpérience novice du successeur, qui doit s'appliquer à connaître avant d'agir, font souvent perdre les bonnes occasions d'une sage politique. » L'excuse de Popilius fut admise. [9] P. Licinius Crassus s'autorisait de certaines solennités pour ne point aller dans sa province. C'était l'Espagne citérieure qui lui était échue. [10] Au reste, on lui enjoignit de s'y rendre, ou de jurer devant l'assemblée du peuple qu'il en était empêché par un sacrifice solennel. Ce point arrêté à l'égard de P. Licinius, M. Cornélius demanda aussi qu'on reçût de lui le même serment, qui le dispensât d'aller en Espagne. Les deux préteurs firent le serment dans la même formule. [11] M. Titinius et T. Fontéius reçurent ordre de rester dans l'Espagne ultérieure avec le même titre et le même commandement; et on décréta pour eux l'envoi supplémentaire de trois mille citoyens romains avec deux cents chevaliers, et de cinq mille hommes d'infanterie latine alliée, avec trois cents de cavalerie. [16] [1] Les féries latines eurent lieu trois jours avant les nones de mai; et comme le magistrat de Lanuvium avait immolé une des victimes sans faire la prière pour le peuple romain des Quirites, on en eut un religieux scrupule. [2] Le sénat, sur le rapport qui lui en fut fait, renvoya l'affaire au collège des pontifes; les pontifes, attendu que les féries latines avaient été manquées, les firent renouveler; mais ils décidèrent que Lanuvium, étant cause qu'on les renouvelait, fournirait les victimes. [3] Le scrupule s'était aggravé de l'accident arrivé au consul Cn. Cornélius, lequel, en revenant du mont Albain, était tombé paralysé d'un côté du corps, et, comme le mal faisait des progrès, était allé aux eaux de Cumes, où il était mort. [4] On l'en ramena, et arrivé à Rome on lui fit des funérailles et une sépulture magnifiques. [5] Il avait aussi été pontifes. Le consul Pétilius, à qui les auspices le permettaient enfin, fut chargé de tenir les comices pour remplacer son collègue et de promulguer les féries latines. Il fixa pour les comices le trois d'avant les nones de sextilis, et pour les Latines le trois d'avant les ides. [6] Au milieu de ces scrupules religieux survint l'annonce de nouveaux prodiges: à Tusculum, on avait vu une torche dans les cieux; à Gabies, le temple d'Apollon et beaucoup de maisons particulières, à Gravisque un muret une porte avaient été touchés par le feu du ciel. Les Pères voulurent que l'expiation en fut faite d'après l'avis des pontifes. [7] Pendant les embarras suscités aux consuls par des irrégularités religieuses, puis à l'un d'eux par la mort de l'autre, par les comices et le renouvellement des féries latines, C. Claudius faisait approcher son armée de Modène, que les Ligures avaient prise l'année précédente. [8] Il ne lui fallut pas trois jours d'attaque pour la reprendre sur les ennemis et la rendre aux colons. Huit mille Ligures y furent tués dans l'intérieur; [9] et aussitôt une dépêche partit pour Rome, où, ne se bornant pas à exposer le fait, il se glorifiait de ce que, grâce à son courage et à son bonheur, le peuple romain n'avait plus un ennemi en deçà des Alpes, se vantant d'avoir conquis un territoire assez vaste pour satisfaire les prétentions de plusieurs milliers d'hommes. [17] [1] Ti. Sempronius aussi, à la même époque, remporta sur les Sardes plusieurs avantages qui amenèrent leur complète soumission. [2] Il leur tua quinze mille hommes. Tous les peuples de Sardaigne qui s'étaient révoltés furent réduits. On commanda aux anciens tributaires une contribution double et on la leva: les autres s'acquittèrent par des fournitures de blé. [3] La province était pacifiée; deux cent trente otages avaient été obtenus de l'île entière; des députés furent envoyés à Rome pour y porter ces nouvelles, et demander au sénat qu'en récompense des succès obtenus sous la conduite et sous les auspices de Ti. Sempronius, on célébrât une fête en l'honneur des dieux immortels, et qu'on permît à ce chef de ramener avec lui son armée en quittant sa province. [4] Le sénat, après une audience accordée aux députés dans le temple d'Apollon, décréta deux jours de supplications et ordonna aux consuls d'immoler quarante grandes victimes; au proconsul Ti. Sempronius et à son armée de rester encore cette année dans sa province. [5] Les comices pour le remplacement d'un consul, qui avaient été fixés au trois des nones de sextilis eurent lieu ce même jour. [6] Le consul Q. Pétilius, en nommant C. Valérius Laevinus, eut un collègue qui put entrer aussitôt en charge. Ce personnage, qui depuis longtemps désirait une province, profita de l'occasion que lui offrait une dépêche annonçant une révolte des Ligures: il prit le costume de guerre le jour des nones de sextilis, et, après l'audition de la dépêche, en raison de la révolte, il ordonna à la troisième légion d'aller rejoindre en Gaule le proconsul C. Claudius, [7] aux duumvirs navals de se rendre à Pise avec une flotte, pour croiser devant les côtes des Ligures et les effrayer aussi par une démonstration du côté de la mer. [8] Le consul Pétilius avait fixé le même lieu pour rendez-vous à son armée. [9] Pareillement le proconsul C. Claudius, à la nouvelle du soulèvement des Ligures, avait, indépendamment des troupes qu'il commandait à Parme, organisé sur-le-champ une nouvelle levée, et il s'approcha des frontières de Ligurie avec son armée. [18] [1] À l'arrivée de Claudius, les ennemis qui se souvenaient d'avoir été par lui battus et mis en déroute sur les bords du Scultenna, crurent, après l'épreuve fatale qu'ils avaient faite de la vigueur de ses attaques, devoir moins compter sur leurs armes que sur leurs remparts naturels; ils prirent donc position sur les monts Letus et Ballista, et s'entourèrent même d'une muraille. [2] Les retardataires, surpris avant d'avoir évacué les campagnes, périrent au nombre de quinze cents. [3] Les autres se tenaient sur leurs montagnes, où la frayeur ne leur fit pas oublier leur barbarie native. Le butin qu'ils ont fait à Modène devient l'objet de leur fureur; ils font mourir leurs captifs qu'ils hachent en morceaux; ils massacrent les bestiaux dans les temples, bien loin d'en faire des sacrifices réguliers; [4] puis, rassasiés du sang des êtres vivants, ils s'en prennent aux choses inanimées et lancent contre les murs les vases de toute espèce, objets d'utilité plutôt que d'ornement et de luxe. [5] Le consul Q. Pétilius, ne voulant pas que la guerre s'achevât sans lui, écrivit à C. Claudius de venir en Gaule avec son armée; qu'il l'attendrait aux Campi Macri. [6] Au reçu de la dépêche, Claudius leva le camp, partit de la Ligurie, et remit son armée au consul aux Campi Macri. Là se rendit également au bout de quelques jours C. Valérius, l'autre consul: [7] c'est là qu'ils partagèrent leurs troupes; mais, avant de se séparer, ils firent en commun la lustration de leurs armées. Puis, comme ils avaient arrêté de ne pas attaquer tous deux l'ennemi du même côté, ils tirèrent au sort les positions qu'ils devaient prendre. [8] Il est constant que Valérius y procéda d'une manière régulière, s'étant tenu dans le templum. Plus tard les augures déclarèrent que Pétilius avait commis une irrégularité, attendu qu'il n'était pas personnellement dans cet espace lorsqu'il avait jeté le bulletin dans l'urne qu'on y avait portée. [9] Ils se dirigèrent ensuite sur deux points différents. Pétilius établit son camp en face de l'escarpement dont la croupe élevée forme l'enchaînement qui unit le mont Ballista au Letus. [10] Dans une exhortation à ses troupes assemblées, il prédit, assure-t-on, sans penser à l'ambiguïté de l'expression, que « le jour même il occuperait le Letus. » [11] Puis il se mit en devoir d'escalader la montagne par deux côtés à la fois. La division où il était gravissait sans sourciller; l'autre fut culbutée par l'ennemi. Le consul courut au galop de son cheval pour ranimer le combat, et réussit à ramener les fuyards; mais pendant qu'il caracole sans précaution en tête de la troupe, un javelot vient lui traverser le corps et le tue. [12] Les ennemis ne s'aperçurent pas de sa mort; et le petit nombre des siens qui en avaient été témoins eurent grand soin de cacher le corps, sachant bien que la victoire en dépendait. [13] Le reste de la troupe, infanterie et cavalerie, délogea l'ennemi, et prit les hauteurs sans commandant. Il y eut environ cinq mille Ligures tués; l'armée romaine ne perdit que cinquante-deux hommes. [14] Cette issue manifeste d'un funeste présage provoqua de la part du gardien des poulets la révélation d'une irrégularité dans les auspices, que le consul n'aurait pas ignorée. [15] C. Valérius, ayant appris <lacune> [16] Les hommes versés dans les matières religieuses et de droit public disaient que, vu la mort des deux consuls ordinaires de cette année, l'un emporté par une maladie, l'autre tué à la guerre, le consul nommé en remplacement n'avait pas qualité pour tenir les comices. [ 19] [1] <lacune> les établit comme colons. En deçà de l'Apennin étaient primitivement les Garules, les Lapicins et les Hergates; les Briniates étaient de l'autre côté, de ce côté-ci de la rivière Audena. P. Mucius fit la guerre contre ceux qui avaient dévasté Luna et Pise, les soumit tous et les dépouilla de leurs armes. [2] En raison de ces exploits, accomplis dans la Gaule et en Ligurie sous la direction et les auspices des deux consuls, le sénat ordonna trois jours de supplications et un sacrifice de quarante victimes. [3] Le soulèvement des Gaulois et des Ligures, qui avait éclaté au commencement de cette année, fut apaisé en peu de temps et sans beaucoup d'efforts. [4] On commençait à s'inquiéter de la guerre de Macédoine, à cause des luttes dont Persée entretenait l'animosité entre les Dardaniens et les Bastarnes: les commissaires même, délégués pour prendre sur les lieux connaissance des faits, étaient de retour à Rome et avaient annoncé que la guerre était en Dardanie. [5] En même temps il était venu de la part du roi Persée des ambassadeurs chargés de dire pour sa justification que ce n'était pas lui qui avait appelé les Bastarnes, et qu'il n'était pour rien dans leurs entreprises. [6] Le sénat ne se prononça point sur la culpabilité ou sur l'innocence du roi; seulement il le pria de se tenir pour averti et d'apporter une attention toujours nouvelle à l'observation religieuse du traité par lequel il pouvait se trouver engagé à l'égard des Romains. [7] Les Dardaniens voyant que les Bastarnes, bien loin d'évacuer leur pays, comme ils l'avaient espéré, leur faisaient tous les jours plus de mal, avec l'aide des Thraces leurs voisins et des Scordisques, crurent devoir tenter un coup de main, fût-il téméraire, et se réunirent de toutes parts en armes près d'une ville qui avoisinait le camp des Bastarnes. [8] C'était l'hiver, et ils avaient choisi cette époque de l'année, parce qu'alors les Thraces et les Scordisques rentraient chez eux. Cela fait, et quand ils apprirent que les Bastarnes étaient seuls, ils partagèrent leurs troupes en deux divisions: l'une devait aller à découvert les attaquer de front; l'autre les tourner par un circuit et les prendre par derrière. [9] Du reste le combat s'engagea avant qu'on eût pu tourner le camp ennemi, et les Dardaniens vaincus furent poussés l'épée dans les reins jusque dans la ville qui était à douze milles de là. [10] Les vainqueurs investirent aussitôt cette ville, bien sûrs que le lendemain les ennemis, dans leur frayeur, capituleraient, ou que l'assaut leur livrerait la place. [11] Cependant la seconde division des Dardaniens, qui avait pris le détour, ignorant l'échec qu'avait éprouvé son parti, s'empara sans la moindre difficulté du camp des Bastarnes, resté sans défense. <lacunes> [20] [1] <lacunes> suivant l'usage des Romains, Antiochus s'asseyait sur une chaise d'ivoire, et entamait des discussions sur les plus minces sujets; [2] et dans ces divers personnages auxquels son esprit se complaisait il avait si peu de fixité, qu'il était difficile à lui comme aux autres de le bien définir. [3] À ses amis, pas un mot; à peine un sourire à ses connaissances: inconséquence extrême dans ses libéralités, qui le ridiculisaient lui-même autant que les autres; cadeaux puérils, tels que jouets ou friandises, offerts à des hommes considérés et qui croyaient avoir droit à de sérieux hommages; à d'autres un don inattendu qui les enrichissait. [4] Tout cela faisait penser à bien du monde qu'il ne savait pas ce qu'il voulait. Les uns ne voyaient là dedans qu'un jeu naïf; d'autres une démence avérée. [5] Il y avait toutefois deux grandes et nobles choses où il montrait une âme vraiment royale, c'étaient ses cadeaux aux villes et le culte des dieux. [6] Il promit aux habitants de Mégalopolis, en Arcadie, d'entourer leur ville d'un mur, et fournit à la majeure partie de la dépense. Il entreprit à Tégée la construction d'un magnifique théâtre en marbre. [7] Au Prytanée de Cyzique [lieu révéré, au centre de la ville, où sont nourris aux frais de l'état ceux qui ont été jugés dignes de cet honneur], il offrit un service en vaisselle d'or. Aux Rhodiens il ne fit aucun cadeau marquant; mais il leur en fit beaucoup de toute espèce, suivant leurs divers besoins. [8] Sa magnificence envers les dieux serait attestée ne fût-ce que par le temple de Jupiter Olympien, qu'il fit commencer à Athènes, le seul au monde qui réponde à la grandeur de ce dieu. [9] Mais Délos lui doit encore les riches autels et cette quantité de statues dont il l'embellit; Antioche, un temple magnifique à Jupiter Capitolin, où non seulement les plafonds étaient dorés, mais les murailles même couvertes de lames d'or; mais la courte durée de son règne l'empêcha de l'achever, ainsi que beaucoup d'autres travaux qu'il avait promis à d'autres localités. [10] Les spectacles de tout genre qu'il célébra effacèrent la magnificence de tous les rois précédents, tant par les divertissements conformes à ses goûts et propres au pays que par la présence d'une foule d'artistes grecs. [11] Il emprunta la mode romaine des combats de gladiateurs, lesquels causèrent d'abord plus de frayeur que de plaisir à des peuples qui n'en avaient pas l'habitude; [12] puis en les faisant répéter fréquemment, tantôt jusqu'au premier sang, et tantôt même à mort, il les familiarisa avec ce spectacle, qui finit par les charmer et par répandre parmi la jeunesse le goût des armes. [13] Aussi, après avoir fait venir de Rome des gladiateurs qu'il payait fort cher, finit-il par en trouver <lacune> [21] <lacune> [1] À L. Cornélius Scipion échut la préture des étrangers, et à M. Atilius la province de Sardaigne; [2] mais il lui fut enjoint de passer en Corse avec une légion nouvelle, levée par les consuls, forte de cinq mille hommes de pied et de trois mille chevaux. Pendant qu'il faisait la guerre, le commandement fut prorogé entre les mains de Cornélius pour lui conserver la Sardaigne. [3] Cn. Servilius Caepio, désigné pour l'Espagne ultérieure, et P. Furius Philus, pour la citérieure, eurent, par décret, trois mille hommes d'infanterie romaine et cent cinquante de cavalerie; et cinq mille hommes d'infanterie avec trois cents de cavalerie à prendre chez les alliés latins; la Sicile fut décrétée à L. Claudius sans nouvelles troupes. [4] Les consuls furent en outre chargés de lever deux légions complètes en infanterie et en cavalerie, et de commander à nos alliés latins dix mille hommes de pied et six cents chevaux. [5] Cette levée fut d'autant plus difficile pour les consuls, qu'une épidémie, qui, l'année précédente, avait frappé la race bovine, s'attaqua cette année-là à l'homme. Les malades allaient rarement au-delà du septième jour; ceux qui l'avaient dépassé demeuraient longtemps dans un état de langueur, occasionnée principalement par la fièvre quarte. [6] La mortalité était terrible sur les esclaves: on en rencontrait dans les rues des monceaux sans sépulture. L'administration des funérailles suffisait à peine aux obsèques des personnes libres. [7] Les chiens ni les vautours ne touchaient pas aux cadavres, que la putréfaction consumait; et c'est un fait bien établi, que, ni cette année, ni la précédente, malgré cette énorme destruction de bestiaux et d'hommes, on ne vit pas paraître un seul vautour. [8] Ce fléau enleva les prêtres publics Cn. Servilius Caepio, pontife, père du préteur; Ti. Sempronius Longus, fils de Tibérius, décemvir des sacrifices; P. Aelius Paetus, augure, ainsi que Ti. Sempronius Gracchus, C. Mamilius Atellus, grand curion, M. Sempronius Tuditanus, pontife. [9] On créa pontifes C. Sulpicius Galba, en place de Tuditanus; augures, T. Véturius Gracchus Sempronianus, en remplacement de Gracchus, et Q. Aelius Paetus au lieu de P. Aelius; décemvir des sacrifices, C. Sempronius Longus; grand curion, C. Scribonius Curio. [10] Le fléau ne cessant pas ses ravages, le sénat décréta qu'on consulterait les livres sibyllins. [11] D'après leur décision il y eut un jour de supplications; et, sous la dictée de Q. Marcius Philippus, le peuple prononça dans le Forum la formule du voeu: « Si la maladie et la peste s'éloignent du territoire romain, on célébrera deux jours de féries et de supplications. » [12] Il naquit sur le territoire de Véies un enfant à deux têtes, un autre à Sinuessa, avec une seule main; à Auximum, une petite fille avec des dents; un arc-en-ciel parut en plein jour et par un temps serein au- dessus du temple de Saturne, dans le Forum romain; trois soleils brillèrent à la fois, [13] et, dans la même nuit, plusieurs météores glissèrent dans le ciel au-dessus du territoire de Lanuvium. Les Cérites affirmaient aussi que, dans leur ville, un serpent à crinière et avec des taches d'or sur le dos était apparu, et il est hors de doute qu'un boeuf avait parlé dans le territoire campanien. [22] [1] Aux nones de juin les députés revinrent d'Afrique: ils s'étaient d'abord rendus auprès du roi Masinissa et puis à Carthage, et du reste ils avaient su avec un peu plus de certitude, de la bouche de ce prince, ce qui s'était passé à Carthage que de celle des Carthaginois eux-mêmes. [2] Ils assurèrent toutefois avoir acquis la conviction que des députés étaient venus de la part du roi Persée, et qu'une audience de nuit leur avait été accordée dans le temple d'Esculape. Des députés avaient été aussi envoyés de Carthage, de l'aveu même du roi; et si les Carthaginois le niaient; c'était bien timidement. [3] Le sénat fut d'avis d'envoyer aussi des députés en Macédoine; il en choisit trois: C. Laelius, M. Valérius Messala, Sex. Digitius. [4] Pendant le même temps, Persée, irrité de la désobéissance des Dolopes et de la prétention qu'ils avaient, dans le litige qui les divisait, d'en appeler du roi aux Romains, marcha contre eux à la tête d'une armée, et fit passer la nation tout entière sous son empire et sous ses lois. [5] Puis il traversa les montagnes de l'Oeta, et, dans le but de lever quelques scrupules religieux qui tourmentaient son âme, il monta au temple de Delphes pour consulter l'oracle. Son apparition soudaine au coeur de la Grèce ne répandit pas seulement une grande terreur dans les villes au voisinage, mais elle y causa une alerte dont le bruit parvint jusqu'au roi Eumène, en Asie. [6] Après un séjour à Delphes de trois jours seulement, il reprit par la Phthiotide, l'Achaïe et la Thessalie, le chemin de son royaume, sans faire le moindre mal ni dommage aux territoires qu'il traversa. [7] Il ne se borna pas à se concilier l'affection des cités qu'il devait traverser; il leur adressa des dépêches ou leur envoya des députés pour leur demander « de ne pas se souvenir plus longtemps des querelles qu'ils avaient eues avec son père; qu'elles n'avaient pas été assez envenimées pour n'avoir pu et dû se terminer avec Philippe lui-même; [8] rien n'empêchait qu'avec lui, Persée, ils n'engageassent sur de nouveaux frais une solide amitié. » C'était avec les Achéens surtout qu'il cherchait un moyen de renouer. [23] [1] Seule de toute la Grèce, cette nation, ainsi que l'état d'Athènes, avait poussé l'animosité jusqu'à fermer son territoire aux Macédoniens. [2] Aussi la Macédoine servait-elle de refuge à tous les esclaves qui s'enfuyaient de l'Achaïe; car, ayant interdit leurs frontières aux Macédoniens, les Achéens n'osaient pas de leur côté mettre le pied sur les terres du royaume. [3] Quand Persée en eut fait la remarque, il fit arrêter tous les esclaves; et écrivit « Qu'au reste ils devaient songer aussi de leur côté à prévenir désormais de semblables fuites. » [4] Cette lettre fut lue par le préteur Xénarque, qui cherchait à s'ouvrir, lui personnellement, une porte à la faveur royale, et la majorité trouva cette lettre écrite dans un esprit remarquable de modération et de bienveillance, ceux principalement qui se voyaient sur le point de recouvrer contre toute attente les esclaves qu'ils avaient perdus. [5] Mais Callicratès, un de ceux qui faisaient reposer le salut de la nation sur le maintien d'une amitié inviolable avec les Romains, s'exprima en ces termes: « Quelques personnes, Achéens, ne voient dans ce qui s'agite qu'une question sans importance, [6] et moi je pense que c'est une décision du plus haut intérêt qui se prépare, ou plutôt qui est déjà prise. En effet, nous avions interdit l'accès de nos frontières aux rois de Macédoine et aux Macédoniens mêmes; un décret subsiste [7] où nous prenons l'engagement de ne pas admettre de députés, de messagers de ces rois, envoyés pour sonder les dispositions de quelques-uns d'entre nous, et voici que nous prêtons en quelque sorte l'oreille à une harangue de ce roi, bien qu'absent, et que, s'il plaît aux dieux, nous approuvons cette harangue. [8] Tandis que les bêtes sauvages dédaignent le plus souvent les appâts disposés pour les tromper et s'en éloignent, nous sommes assez aveugles pour nous laisser leurrer par l'apparence d'un mince bienfait; et, dans l'espoir de faire rentrer quelques mauvais esclaves sans valeur, nous laissons battre en brèche et miner notre indépendance. [9] Ne voit-on pas en effet qu'on cherche un moyen de former avec le roi une alliance qui compromettrait ce traité avec Rome qui est toute notre existence? à moins qu'on ne doute que la guerre doive éclater entre les Romains et Persée, et qu'un événement qu'on attendait du vivant de Philippe, et dont sa mort a suspendu l'accomplissement, se réalise enfin après lui. [10] Philippe, ainsi que vous le savez, eut deux fils, Démétrius et Persée. La naissance de Démétrius du côté de sa mère, sa valeur, sa haute intelligence, la faveur des Macédoniens, lui donnaient une grande supériorité. [11] Mais, ayant fait de sa couronne le prix de la haine pour les Romains, le père fit mourir Démétrius, sans avoir à lui reprocher d'autre faute qu'un commencement de liaison avec Rome; quant à Persée, que le peuple romain savait prêt à hériter des haines de Philippe avant d'hériter de son trône, il le fit roi. [12] Aussi, après la mort de son père, ce prince ne s'occupa-t-il d'autre chose que de préparatifs de guerre. Pour commencer, et afin d'effrayer tout le monte, il lâcha les Bastarnes sur la Dardanie; s'ils eussent gardé cette position, la Grèce eût eu là de plus fâcheux voisins que ne le sont les Gaulois pour l'Asie. [13] Forcé de renoncer à cet espoir, il ne renonça pourtant pas à ses projets de guerre; et même, pour dire toute la vérité, il entama la guerre. Il soumit la Dolopie les armes à la main, sans l'écouter lorsqu'elle appelait l'intervention du peuple romain dans la querelle. Puis franchissant l'Oeta, comme pour se faire voir tout à coup au coeur même de la Grèce, il monta à Delphes. [14] Que pensez-vous de ce chemin nouveau qu'il prit et de son but? Ensuite il parcourut la Thessalie. Si ce fut sans faire aucun mal à un peuple qu'il déteste, je n'en crains que plus ses tentatives. [15] De là il nous a envoyé une lettre avec un prétendu présent, et il nous engage à faire en sorte de nous ménager pour l'avenir la continuation de ce présent, c'est-à-dire d'abolir le décret qui exclut les Macédoniens du Péloponnèse, [16] de voir encore chez nous des délégués du roi, les maisons de nos premiers citoyens ouvertes à ses agents, puis bientôt les armées macédoniennes et Persée lui-même passant de Delphes dans le Péloponnèse [qu'est-ce, en effet, que le détroit qui les sépare?], et de nous voir nous-mêmes mêlés aux Macédoniens armés contre les Romains. [17] Je suis d'avis, quant à moi, qu'il n'y a pas de nouveau décret à porter; qu'il faut tout maintenir jusqu'à ce que nous ayons pu nous assurer si nos craintes sont chimériques ou fondées. [18] Si la paix se soutient entre les Romains et les Macédoniens, continuons avec ceux-ci notre amitié et nos rapports; mais pour le moment je trouve dangereux et, prématuré d'y songer. » [24] [1] Après lui Archon, fils du préteur Xénarque, prononça ce discours: « Callicratès a rendu la tâche difficile pour moi et pour tous les orateurs qui comme moi ne partagent pas son avis. [2] À force de plaider la cause de l'alliance romaine, de dire que c'est elle qu'on bat en brèche et qu'on sape, lorsque personne ne songe à la saper ni à la battre en brèche, il a fait si bien qu'on ne peut combattre son avis sans paraître l'adversaire des Romains. [3] Et d'abord, ne dirait-on pas qu'il n'était pas ici avec nous, mais qu'il arrive de l'enceinte du sénat de Rome ou du conseil privé des rois pour savoir et révéler si bien les actes accomplis dans le secret? [4] Il va jusqu'à deviner ce qui serait arrivé si Philippe eût vécu, pourquoi c'est Persée qui a hérité de sa couronne, ce que préparent les Macédoniens, ce que méditent les Romains. [5] Pour nous qui ne savons ni le pourquoi ni le comment de la mort de Démétrius, ni ce que Philippe eût fait s'il eût vécu, nous devons régler nos résolutions sur ce qui se fait aux yeux de tous. [6] Or nous savons que Persée, en recevant la couronne, envoya des ambassadeurs à Rome, que Persée fut appelé du nom de roi par le peuple romain; il est à notre connaissance que des délégués de Rome sont venus trouver le roi et qu'ils ont été bien reçus. [7] Je vois dans tout cela des indices de paix plutôt que de guerre; et je ne pense pas que les Romains se blessent, si, après les avoir suivis à la guerre, nous suivons les exemples de paix qu'ils nous donnent. Pourquoi serions-nous les seuls à faire au royaume de Macédoine une guerre à outrance? Je ne le vois pas. [8] Sommes-nous exposés, par le fait de notre proximité de la Macédoine, ou sommes-nous le plus faible des peuples, comme ces Dolopes qu'il vient de subjuguer? Mais au contraire notre puissance, la bonté des dieux, l'intervalle qui nous sépare, font notre garantie. [9] Mais nous sommes soumis à l'égal des Thessaliens et des Étoliens. Les Romains ne nous accordent pas plus de confiance et plus de crédit, après une si longue et si fidèle amitié, qu'aux Étoliens, naguère leurs ennemis. [10] Ayons, pour nos rapports avec les Macédoniens, les mêmes droits que les Étoliens, les Thessaliens, les Épirotes, toute la Grèce enfin. Quel est cet exécrable abandon du droit des gens qu'on nous imposerait à nous seuls? [11] Quand Philippe eût mérité par quelque entreprise à main armée, par quelque guerre réelle, que nous prissions contre lui une pareille résolution, qu'a fait Persée, prince nouveau sur le trône, pur de tout attentat, et qui efface par un bienfait personnel les torts de son père? [12] J'aurais pu dire toutefois que les bienfaits que nous devons aux rois de Macédoine sont assez grands pour faire oublier les torts du seul Philippe, s'il en a eu, surtout après sa mort. [13] Quand la flotte romaine stationnait à Cenchrée, et que le consul était à Élatée avec son armée, nous demeurâmes trois jours en séance à nous consulter pour savoir si nous prendrions le parti de Philippe ou celui des Romains. [14] Admettons que la crainte des Romains ait influé sur nos votes; il y avait quelque chose qui avait rendu cette délibération si longue: c'étaient d'anciens rapports avec les Macédoniens, de vieux et importants services que les rois nous avaient rendus. [15] Ces mêmes motifs n'auront-ils pas la force, sinon d'établir une amitié, au moins d'empêcher une inimitié de premier ordre? Gardons-nous, Callicratès, d'élever fictivement une question étrangère à la cause. Personne ne parle d'une alliance nouvelle, d'un nouveau traité que nous signerions, et qui nous engagerait dans des liens téméraires. [16] Il ne s'agit que d'un droit d'extradition réciproque, qui, levant l'interdiction de nos propres frontières, fasse lever celle qui nous écarte du royaume, afin que nos esclaves n'aient plus de refuge. Qu'y a-t-il là-dedans qui contrarie les traités avec Rome? [17] Pourquoi d'une petite question en faire une grande, et remplacer la publicité par le mystère? [18] Pourquoi susciter de vaines alarmes? Pourquoi, dans le but d'avoir une occasion de flatter les Romains, mettre les autres en état de suspicion et de haine? Soit le cas de guerre, Persée lui-même ne doute pas que nous ne suivions les Romains. Que la paix, si elle ne met pas un terme aux haines, y fasse au moins trêve. » [19] Cette harangue réunit les mêmes voix que la dépêche royale; mais les hommes influents s'indignèrent à l'idée que Persée obtiendrait par une lettre de quelques lignes ce qui ne lui avait pas même paru valoir la peine d'une ambassade; aussi le décret fut-il ajourné. [20] Postérieurement des députés furent envoyés par le roi à une session du congrès qui se réunit à Mégalopolis; et ceux qui avaient à coeur de ne pas blesser les Romains mirent leurs soins à empêcher leur admission. [25] [1] À cette époque les Étoliens, tournant leurs armes contre eux-mêmes, furent possédés d'une fureur de meurtres réciproques, qui semblait faite pour anéantir leur race. [2] De guerre lasse enfin, les deux partis envoyèrent à Rome, en même temps qu'ils traitaient entre eux du rétablissement de la concorde; mais un nouvel attentat, qui vint troubler ces pourparlers, ranima aussi de vieux ressentiments. [3] Les exilés d'Hypata, du parti de Proxène, avaient obtenu la promesse qu'on les laisserait rentrer dans leur patrie, et Eupolème, le chef de la cité, leur avait engagé sa foi; [4] quatre- vingt personnages illustres revinrent donc, et trouvèrent Eupolème lui-même qui venait, confondu dans la foule, à leur rencontre. Ils furent bien reçus, bien fêtés; les mains se serrèrent, et au moment où ils mettaient le pied dans la ville, malgré la foi jurée, et au mépris des dieux, dont ils invoquaient le nom, ils furent massacrés. La guerre recommença de plus belle. [5] C. Valérius Laevinus; Ap. Claudius Pulcher, C. Memmius, M. Popilius, L. Canuléius, s'y étaient rendus, de la part du sénat. [6] Dans une explication vive, qui eut lieu devant eux, à Delphes, entre les deux partis, la supériorité parut acquise à Proxène, tant pour la bonté de sa cause que pour l'habileté de sa défense; mais au bout de quelques jours il fut empoisonné par sa femme Orthobula, qui, pour ce crime, fut condamnée à l'exil. [7] Les mêmes fureurs donnaient lieu, en Crète, aux mêmes déchirements; puis l'arrivée de Q. Minucius, délégué avec dix vaisseaux pour apaiser leurs sanglants débats, avait fait renaître l'espoir de la paix; il y avait eu du reste antérieurement une trêve de six mois: bientôt la guerre se ralluma avec une nouvelle furie. [8] Les Lyciens avaient à se plaindre, à la même époque, des vexations des Rhodiens. Mais il n'est pas de notre sujet d'exposer le détail particulier des guerres que se livrèrent entre eux les peuples étrangers: c'est un fardeau assez lourd et même au-dessus de nos forces, que d'écrire l'histoire du peuple romain. [26] [1] En Espagne, les Celtibères, que Ti. Gracchus avait amenés à capitulation et soumis, étaient demeurés paisibles tant que le préteur M. Titinius eut cette province. Ils se révoltèrent à l'arrivée d'Ap. Claudius, et débutèrent par une attaque soudaine contre le camp romain. [2] Le jour venait de poindre, quand les sentinelles du retranchement et les soldats de garde aux portes aperçurent de loin l'ennemi venir, et crièrent aux armes. [3] Ap. Claudius donna le signal du combat, adressa quelques mots d'exhortation à ses troupes, et les fit sortir par trois portes à la fois. La résistance des Celtibères, au moment de la sortie, rendit tout d'abord égales les chances du combat, parce que les Romains, comprimés dans ces étroits passages, ne pouvaient pas combattre tous; [4] mais, à force de se pousser et de suivre, ils finirent par déboucher tous hors du retranchement, développer leur ligne et l'étendre à la longueur des ailes de l'ennemi qui les débordaient; et leur élan fut si impétueux, que les Celtibères n'eurent pas la force d'y résister. [5] Avant la seconde heure ils étaient en déroute; il y en eut environ quinze mille de tués ou de pris, et trente-deux enseignes d'enlevées. Leur camp fut pris le même jour et la guerre achevée, car ceux qui s'échappèrent du combat se dispersèrent dans leurs places, et ils furent désormais des sujets paisibles. [27] [1] Q. Fulvius Flaccus et A. Postumius Albinus, qui furent créés censeurs cette année-là, renouvelèrent la liste des sénateurs; le prince élu du sénat fut le grand pontife M. Aemilius Lépidus. Neuf membres en furent chassés. [2] Les exclusions qui firent le plus de sensation furent celles de M. Cornélius Maluginensis, préteur en Espagne deux ans avant, de L. Cornélius Scipio, préteur, alors chargé de la juridiction entre les citoyens et les étrangers, et de L. Fulvius, frère germain et même consort du censeur, au rapport de Valérius Antias. [3] Les consuls, après le prononcé des voeux dans le Capitole, partirent pour leurs provinces. L'un d'eux, M. Aemilius, reçut commission du sénat de mettre fin, dans la Vénétie, à une sédition des habitants de Patavium, chez qui une lutte de partis avait allumé la guerre civile, ainsi que l'avaient annoncé leurs propres députés. [4] Des députés, envoyés en Étolie pour réprimer de semblables mouvements, écrivirent que la rage de ce peuple ne se pouvait modérer. Ceux de Patavium furent sauvés par l'arrivée du consul; celui-ci, n'ayant rien de plus à faire dans sa province, revint à Rome. [5] Les censeurs adjugèrent pour la première fois le pavage des rues de la ville, le cailloutage et l'encaissement des routes, ainsi que la construction de ponts sur une foule de points; ils disposèrent un théâtre à l'usage des édiles et des préteurs, [6] firent faire des barrières dans le cirque, des oeufs pour marquer les courses dans la carrière, des chars, des bornes, des cages de fer pour introduire des bêtes féroces; [7] ils firent paver la montée du Capitole, le portique qui s'étend du temple de Saturne au sénaculum, dans le Capitole, et de plus la curie. [8] Le marché, en dehors de la porte Trigémina, fut pavé et entouré de pieux; le portique d'Aemilius réparé, et des degrés placés pour monter du Tibre au marché. [9] Hors de la même porte on pava le portique qui mène à l'Aventin, et du revenu de ce marché on le continua à partir du temple de Vénus. [10] Ils adjugèrent aussi la construction des murs de Calatia et d'Auximum; et, avec l'argent des terrains qu'ils y vendirent, ils firent entourer le Forum de boutiques. [11] L'un d'eux, Fulvius Flaccus [car Postumius disait que sans l'ordre du sénat et du peuple il ne ferait aucun emploi de leur argent], fit bâtir un temple de Jupiter à Pisaurum et à Fundi; donna un aqueduc à Potentia, une rue pavée à Pisaurum et à Sinuesse. [12] Dans ces mêmes villes il fit faire des égouts et une enceinte, des galeries et des boutiques qui enfermaient le Forum, et trois Janus. [13] Tous ces travaux, ouvrage d'un seul censeur, excitèrent, chez les colons, une vive gratitude. En ce qui touche à la morale publique, cette censure fut vigilante et sincère. Beaucoup de chevaliers perdirent leurs chevaux. [28] [1] Il y eut, presque à la fin de l'année, un jour de supplications pour les succès obtenus en Espagne, sous la conduite et les auspices du proconsul Ap. Claudius, et un sacrifice de vingt grandes victimes; [2] une autre supplication d'un jour aux temples de Cérès, de Liber et de Libéra, sur la nouvelle qu'on reçut d'un grand tremblement de terre chez les Sabins, et de la chute d'une multitude de maisons. [3] Au retour d'Ap. Claudius d'Espagne à Rome, le sénat décréta qu'il entrerait avec l'ovation. [4] Déjà les comices consulaires approchaient: la brigue y fut animée à cause du grand nombre de compétiteurs. Les choix tombèrent sur L. Postumius Albinus et M. Popilius Laenas. Puis on créa les préteurs N. Fabius Buteo, C. Matienus, C. Cicereius, M. Furius Crassipes, pour la seconde fois, A. Atilius Serranus et C. Cluvius Saxula, pareillement. [6] Les comices terminés, Ap. Claudius Cento, rentrant de l'Espagne celtibérienne à Rome avec l'ovation, porta au trésor dix mille livres d'argent et cinq mille d'or. [7] Cn. Cornélius fut installé flamine de Jupiter. [8] La même année un tableau fut placé dans le temple de Mater Matuta, avec cette inscription: « Sous les ordres et sous les auspices du consul Ti. Sempronius Gracchus, la légion et l'armée du peuple romain a subjugué la Sardaigne. Plus de quatre-vingt mille ennemis ont été tués ou pris dans cette province. [9] Après une administration des plus heureuses, après avoir rétabli des tributs dont on s'était affranchi, il a ramené son armée saine et sauve dans sa patrie, avec un riche butin. Il est rentré à Rome avec les honneurs d'un second triomphe. En reconnaissance, il a consacré ce tableau à Jupiter. » [10] La carte de Sardaigne y était dessinée, et les batailles représentées en peinture. [11] Cette année-là vit quelques autres petits combats de gladiateurs; le plus remarquable de tous fut celui que T. Flamininus fit célébrer à l'occasion de la mort de son père; avec la distribution de viande, le festin et les jeux scéniques, il dura quatre jours. Toutefois cette grande solennité se réduit à un total de soixante-quatorze combattants pour trois jours.
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