ALLER A LA TABLE DES MATIERES DE TITE-LIVE TITE-LIVE Ab Urbe Condita, Livre XLII
SOMMAIRE. — Le censeur Q. Fulvius Flaccus dépouille le temple de Junon Lacinia du toit de marbre qui le couvrait pour en revêtir celui dont il avait fait la dédicace. Un sénatus-consulte l'oblige de le rétablir.— Eumène, roi d'Asie, vient au sénat se plaindre de Persée, roi de Macédoine. Sur l'exposé des outrages que ce prince a faits au peuple romain, on lui déclare la guerre. Le consul P. Licinius Crassus, chargé de la conduire, passe en Macédoine, tente quelques entreprises peu importantes, et livre de légers combats de cavalerie, où Persée a l'avantage. — Le sénat donne un jour â Masinissa et aux Carthaginois afin de terminer leur démêlé au sujet d'un territoire en litige. — Des ambassades sont envoyées aux rois et aux villes alliées pour les engager à rester fidèles. — Les Rhodiens sont incertains. — Clôture du lustre. — Les censeurs y trouvent deux cent cinquante-sept mille deux cent trente et un citoyens. — Avantages remportés sur les Corses et les Liguriens. [1] [1] L. Postumius Albinus et M. Popilius Laenas firent, avant tout, leur rapport au sujet des provinces et des armées, [2] et ils obtinrent un décret qui leur assigna la Ligurie à l'un et à l'autre. Ils avaient à lever chacun les deux nouvelles légions que le décret leur accordait pour l'occupation de ce pays; de plus, chacun dix mille hommes d'infanterie, et six cents de cavalerie à prendre parmi les alliés du nom latin; enfin trois mille hommes d'infanterie romaine, et deux cents chevaliers, destinés comme renfort à l'armée d'Espagne. [3] On ordonna en plus la levée de quinze cents hommes d'infanterie romaine, et de cent cavaliers: le préteur à qui la Sardaigne serait dévolue les conduirait faire la guerre en Corse, [4] tandis qu'Atilius, l'ancien préteur, aurait la Sardaigne pour province. [5] Les préteurs tirèrent ensuite les provinces au sort: A. Atilius Serranus eut la ville, C. Cluvius Saxula les débats d'étrangers à citoyens, N. Fabius Buteo l'Espagne Citérieure., M. Matienus l'Ultérieure, M. Furius Crassipes la Sicile, C. Cicereius la Sardaigne. [6] Avant le départ des magistrats, une décision du sénat envoya en Campanie le consul L. Postumius pour fixer les limites du territoire public et des terrains particuliers: il était avéré que ceux-ci, par des empiétements lents et successifs, s'étaient considérablement agrandis aux dépens de l'état. [7] Le consul s'était offensé de la négligence des Prénestins, qui lors d'un voyage qu'il avait fait chez eux sans aucun caractère public pour offrir un sacrifice, ne lui avaient, soit en particulier, soit en public, rendu aucun honneur. Avant de partir de Rome, il écrivit à Préneste que le magistrat eût à sortir au-devant de lui, qu'il lui fît préparer un logement aux frais de la ville, et qu'il tînt un équipage de mules à sa disposition pour sa sortie de Préneste. [8] Aucun de ses prédécesseurs, en aucun cas, n'avait imposé de charge ni de dépense aux alliés. [9] Aussi les magistrats partaient-ils pourvus de mulets de bât, de tentes et de tout l'attirail militaire, pour ne rien commander de pareil aux alliés. [10] Ils logeaient chez les particuliers; ils usaient de l'hospitalité avec discrétion et bonté; leurs maisons à Rome étaient ouvertes aux hôtes chez lesquels ils avaient l'habitude de descendre. [11] Les ambassadeurs qu'on envoyait inopinément quelque part commandaient une mule à chacune des villes qu'ils avaient à traverser; c'était là la seule dépense que les alliés eussent à faire pour les magistrats romains. [12] La vengeance d'un consul, qui, fût-elle juste, était déplacée durant sa magistrature; le silence que par modération ou par timidité gardèrent les Prénestins, semblèrent consacrer le fait, et donnèrent le droit aux magistrats de renouveler ces exigences avec une tyrannie chaque jour plus révoltante. [2] [1] Au commencement de l'année, les ambassadeurs qu'on avait envoyés en Étolie et en Macédoine firent savoir « qu'ils n'avaient pu venir à bout de s'aboucher avec le roi Persée, les uns le disant absent, les autres malade; mensonge de la part des uns et des autres. [2] Ils n'avaient pas eu de peine à se convaincre néanmoins qu'on préparait la guerre, et qu'il ne tarderait pas longtemps à prendre les armes. En Étolie également la sédition faisait des progrès, et ils n'avaient pu réussir à contenir par leur ascendant les chefs des partis soulevés. » [3] Dans l'attente d'une guerre avec la Macédoine, on décida, avant de l'entreprendre, d'expier les prodiges et d'apaiser les dieux par des prières conformes aux prescriptions des livres sibyllins. [4] À Lanuvium, disait-on, on avait vu en l'air l'apparence d'une grande flotte; à Privernum de la laine noire était sortie de terre; dans le pays de Véies, près de Remens, il avait plu des pierres; [5] tout le territoire pontin avait été couvert de nuées de sauterelles; dans le pays gaulois, le soc de la charrue, en fendant la terre, avait, des glèbes qu'il soulevait, fait jaillir des poissons. [6] Ces prodiges firent ouvrir les livres des destins, et une révélation des décemvirs apprit quelles victimes il fallait immoler, et à quels dieux; ils prescrivirent en outre une supplication pour expier les prodiges, [7] plus la célébration de celle qui avait été votée l'année précédente dans l'intérêt du peuple, à l'occasion d'une maladie; enfin des féries. On sacrifia donc, pour obéir au texte sacré révélé par les décemvirs. [3] [1] Cette même année-là, le toit du temple de Junon Lacinia fut emporté. Q. Fulvius Flaccus, alors censeur, faisait bâtir un temple à la Fortune équestre en exécution d'un voeu qu'il avait formé en Espagne, où il dirigeait comme préteur la guerre contre les Celtibères: il mettait tout son zèle à en faire le plus vaste et le plus magnifique temple qui se vît à Rome. [2] Il crut ne pouvoir mieux faire pour l'embellir que de le couvrir en tuiles de marbre, et il se rendit au pays des Bruttiens, où il fit découvrir environ la moitié du temple de Junon Lacinia: cette quantité lui paraissait suffisante pour la couverture de son édifice. [3] Des vaisseaux avaient été disposés pour en opérer le chargement et l'enlèvement; c'était un censeur qui l'ordonnait ainsi; cette considération empêcha les alliés de s'opposer à la consommation du sacrilège. [4] Au retour du censeur, les tuiles furent débarquées et portées à son temple. Malgré le silence qu'il gardait sur leur origine, on ne put la tenir secrète. [5] Toute la curie retentit de murmures: de toutes parts on demandait que les consuls fissent de cette affaire l'objet d'un rapport au sénat. Quand le censeur y comparut sur mandat officiel, tous les membres individuellement et en masse lui lancèrent en face les plus sanglants reproches: [6] « Voilà un temple, le plus révéré de la contrée, que Pyrrhus, qu'Hannibal ont épargné; et lui, non content d'y porter une main sacrilège, il le découvre indignement; il en consomme presque la ruine. [7] Le temple est sans couverture; rien ne protège plus sa charpente contre les pluies qui vont le pourrir. Et c'est un censeur, créé pour le redressement des moeurs, à qui la tradition de nos vieilles coutumes impose le devoir de réparer les toits des édifices publics et d'assurer au culte un abri; [8] c'est lui qui va par les villes alliées, démolissant les temples et détruisant les toits des édifices religieux; qui commet, en s'attaquant aux temples des dieux immortels, une indignité assez grave déjà quand elle ne tomberait que sur les maisons particulières des alliés; [9] il viendra recevoir les serments du peuple romain, celui auquel il faut des débris de temples pour bâtir ses temples! comme si les dieux immortels n'étaient pas les mêmes partout! comme s'ils avaient besoin des dépouilles les uns des autres pour rehausser l'éclat de leur culte! » [10] Bien avant le rapport, l'opinion des sénateurs était manifeste; après le rapport tous furent unanimes pour ordonner la restitution et le replacement des tuiles, ainsi que des sacrifices expiatoires à Junon. [11] En ce qui regarde la religion, cette décision fut exécutée avec soin. Quant aux tuiles, les entrepreneurs annoncèrent qu'ils les avaient laissées dans la cour du temple, faute d'ouvriers capables de les replacer. [4] [1] L'un des préteurs partis pour les provinces, N. Fabius, meurt à Marseille, comme il se rendait en Espagne citérieure. [2] Sur la nouvelle qui en fut transmise par les députés marseillais, le sénat décréta que P. Furius et Cn. Servilius, que l'on remplaçait, tireraient au sort à qui serait prorogé dans son commandement, pour l'exercer dans l'Espagne citérieure. [3] Le sort servit bien la république, en décidant que Furius, qui avait cette province, y resterait. Cette même année-là, quelque portion du territoire de Ligurie et de celui de Gaule, conquis à la guerre, se trouvant disponible, un sénatus-consulte en ordonna une distribution individuelle: [4] il autorisa pour cet objet le préteur de la ville, A. Atilius, à créer des décemvirs, qui furent M. Aemilius Lepidus, C. Cassius, T. Aebutius Parrus, C. Tremellius, P. Cornelius Cethegus, Q. et L. Apuleius, M. Caecilius, C. Salonius, C. Munatius. Ils réglèrent le partage à dix arpents par personne, et à trois pour les alliés du nom latin. [5] Au moment même où cette opération se faisait, il vint d'Étolie à Rome des députés au sujet des débats et des dissensions qui s'y agitaient; des députés thessaliens vinrent aussi annoncer ce qui se passait en Macédoine. [5] [1] Persée, qui roulait déjà dans son esprit les plans de guerre qu'il avait conçus du vivant de son père, envoyait ses agents non seulement auprès de toutes les nations, mais même de toutes les villes de la Grèce, et, à force de promesses plutôt que de services, les gagnait à son parti. [2] Les esprits étaient en grande partie favorables à sa cause, et plus portés pour lui que pour Eumène; [3] et pourtant toutes les villes de la Grèce et la plupart de leurs chefs avaient les plus grandes et les plus réelles obligations à Eumène; et il se conduisait sur le trône de façon que les villes de ses états n'eussent pas voulu changer leur sort pour celui d'une cité libre quelconque. [4] Persée au contraire avait la réputation d'avoir, après la mort de son père, tué sa femme de sa main. Apelle lui avait servi jadis pour préparer le guet-apens où son frère avait trouvé la mort. Philippe, pour cette raison, l'avait réclamé pour le livrer au supplice, mais il s'était exilé. Persée, après la mort de son père, le rappela par de magnifiques promesses, en récompense du service important qu'il lui avait rendu, et le fit secrètement mettre à mort. [5] En vain connaissait-on de lui cent autres assassinats commis au dedans comme au dehors de ses états; en vain était-il dénué de tout mérite qui pût le recommander; les villes grecques généralement le préféraient à un prince si tendre dans ses affections de famille, si juste envers ses sujets, si libéral envers tout le monde; [6] soit qu'ébloui du renom et de la majesté de la couronne de Macédoine on dédaignât un trône de fondation nouvelle, soit qu'on fût avide de révolution, soit qu'on voulût se faire de lui un bouclier contre les Romains. [7] Ce n'étaient pas les Étoliens seuls qui étaient en proie à la sédition, à cause de l'énormité de leur dette, mais les Thessaliens aussi: c'était comme une épidémie dont la contagion avait gagné jusqu'à la Perrhébie. [8] Quand vint la nouvelle que les Thessaliens avaient pris les armes, le sénat envoya Ap. Claudius pour voir l'affaire de près et l'arranger. [9] Il adressa d'abord une réprimande sévère aux chefs des deux partis; puis, après avoir, du consentement même des créanciers, réduit la dette qui se trouvait grevée d'une masse d'intérêts accumulés, il répartit sur plusieurs années le paiement des dividendes ramenés à un taux raisonnable. [10] Ce fut le même Appius qui, de la même manière, arrangea l'affaire de Perrhébie. Quant aux griefs des Étoliens, ce fut lui qui en informa à Delphes. Leur querelle leur avait mis les armes à la main, et était devenue une guerre civile. [11] Reconnaissant dans les deux partis la même témérité et la même audace, il ne voulut pas que sa décision intervînt soit à la charge, soit à la décharge de l'un ou de l'autre; il leur adressa la commune demande de renoncer à la guerre, et de terminer leur discorde par l'oubli de leurs torts réciproques. [12] Pour gage de cette réconciliation ils se donnèrent mutuellement des otages, et Corinthe fut choisi pour en être le dépôt. [6] [1] De Delphes et de l'assemblée étolienne Marcellus passa dans le Péloponnèse, où il avait fixé aux Achéens un lieu de réunion. [2] Là, il complimenta la nation sur sa fidélité à maintenir l'antique décret qui défendait l'accès de ses frontières aux rois de Macédoine, et il fit paraître dans tout son jour l'animosité des Romains contre Persée. [3] Pour en hâter les éclats, le roi Eumène se rendit à Rome avec un mémoire où il avait déposé le résultat complet de ses recherches sur les préparatifs de la guerre. [4] Pendant le même temps, cinq commissaires furent dépêchés au roi pour voir de près la situation de la Macédoine. Ils devaient aussi se rendre à Alexandrie, auprès de Ptolémée, pour renouveler amitié avec lui. [5] C'étaient C. Valerius, Cn. Lutatius Cerco, Q. Baebius Sulca, M. Cornelius Mammula, M. Caecilius Denter. [6] Il vint aussi à la même époque des députés de la part du roi Antiochus: Apollonius, leur chef, introduit dans le sénat, apporta beaucoup de bonnes raisons pour justifier le roi des délais qu'avait soufferts le paiement du tribut. [7] « Il en avait avec lui la totalité, le roi ne réclamant d'autre faveur que celle du temps. [8] Il apportait en outre, comme cadeau, des vases d'or du poids de cinq cents livres. Le roi demandait, en son nom personnel, l'alliance et l'amitié qui avaient existé entre Rome et son père; il priait le peuple romain de lui commander tout ce qu'on pouvait commander à un roi qu'on trouverait bon et fidèle allié; il ne se lasserait pas de servir la république; [9] il devait ce retour aux bontés du sénat, aux égards aimables de la jeunesse romaine pour lui pendant son séjour à Rome, où les différents ordres s'étaient accordés pour le traiter en prince plutôt qu'en otage. » [10] Les députés reçurent une réponse bienveillante, et A. Atilius, préteur de la ville, fut chargé de renouveler avec Antiochus l'alliance contractée avec son père. [11] Le tribut fut remis aux questeurs de la ville, les vases d'or aux censeurs, avec charge de les placer dans tels temples qu'ils jugeraient à propos. On fit présent au député de cent mille livres as; une maison libre fut affectée à son logement, et, par décret, il fut défrayé pour tout le temps que durerait son séjour en Italie. [12] Les députés qui avaient été en Syrie firent savoir que c'était un personnage très considéré du roi, et très chaud partisan du peuple romain. [7] [1] Voici ce qui se passa cette année-là dans les provinces: le préteur Cicereius livra, en Corse, une bataille en règle. Sept mille insulaires périrent, plus de mille sept cents furent faits prisonniers. Le préteur avait, pendant le combat, fait voeu d'un temple à Junon Monéta. [2] La paix fut ensuite accordée aux Corses, qui l'imploraient, et il leur fut imposé un tribut de deux cent mille livres de cire. La Corse soumise, Cicereius passa de là en Sardaigne. [3] Chez les Ligures aussi le territoire de Statellae fut le théâtre d'un combat livré près de la ville de Carystus. Elle avait servi de rendez-vous à une nombreuse armée de Ligures. [4] D'abord, avant l'arrivée du consul Popilius, ils se tenaient dans leurs murailles; puis, voyant que le général romain allait livrer l'assaut à leur ville, ils sortirent et vinrent se ranger en bataille hors des portes. [5] Le consul, qui n'avait pas eu d'autre but en faisant mine de vouloir donner l'assaut, accepta avec empressement la bataille. Elle dura plus de trois heures, sans que le succès se décidât pour un côté ou pour l'autre. [6] Quand le consul s'aperçut que, sur aucun point, les Ligures ne perdaient de terrain, il donna l'ordre aux cavaliers de monter à cheval, et d'attaquer l'ennemi par trois côtés, de manière à jeter dans les rangs le plus de désordre possible. [7] Une grande partie de la cavalerie traversa de part en part la ligne de bataille, et se trouva sur les arrières de l'ennemi. [8] Cette manoeuvre terrifia les Ligures; ils prirent la fuite dans toutes les directions. Très peu rentrèrent dans la ville, car c'était surtout de ce côté que nos cavaliers leur fermaient la retraite; indépendamment de ce qu'une lutte aussi opiniâtre avait coûté de monde aux Ligures, il y en eut aussi beaucoup qui trouvèrent la mort en fuyant à la débandade. [9] On parla de dix mille hommes tués, de plus de sept cents prisonniers et de quatre-vingt-deux drapeaux enlevés sur eux. [10] La victoire fut aussi achetée; nous perdîmes plus de trois mille hommes; chaque armée, en ne cédant pas, avait vu succomber ses premiers rangs. [8] [1] Après ce combat, quand ces Ligures, que la fuite avait disséminés, se retrouvèrent ensemble, reconnaissant que le nombre des morts surpassait de beaucoup celui des survivants [ils n'étaient pas plus de dix mille], ils se rendirent à discrétion. [2] Ils avaient toutefois espéré ne pas trouver plus de sévérité dans ce consul que dans les généraux ses prédécesseurs. [3] Mais il leur ôta toutes leurs armes, il démolit leur ville, il vendit hommes et biens, et envoya au sénat un compte-rendu de sa gestion. [4] Quand le préteur A. Atilius en eut donné lecture au sénat [car Postumius, l'autre consul, était occupé en Campanie à une délimitation de territoire], [5] le sénat trouva cette sévérité exorbitante: « Les Statellates, les seuls de la Ligurie qui n'avaient pas porté les armes contre Rome, attaqués de plein saut, sans avoir, cette fois encore, déclaré eux-mêmes la guerre! Des gens qui s'en étaient rapportés à la loyauté du peuple romain traités avec la dureté la plus insigne, frappés et anéantis! [6] Tant de milliers d'innocents qui imploraient la foi du peuple romain, scandaleusement vendus, pour ôter, par cet exemple, l'envie de capituler à quiconque y serait disposé! arrachés de leurs foyers, pendant que les vrais ennemis du peuple romain vivent à l'abri des capitulations, ceux-ci vont être esclaves! [7] Par ces considérations le sénat décide que Popilius rendra la liberté aux Ligures, en remboursant aux acheteurs leurs débours; qu'il les fera rentrer dans tous ceux de leurs biens qu'il sera possible de recouvrer; qu'au premier moment on fabriquera des armes dans ce pays; que le consul quittera la province aussitôt qu'il aura rétabli dans leurs foyers les Ligures qui avaient fait leur soumission. Qu'une belle victoire c'est de vaincre celui qui attaque, et non de frapper sur celui qui est à terre. » [9] [1] La raideur que le consul avait déployée à l'égard des Ligures, il la retrouva pour refuser d'obéir au sénat. [2] Il envoie aussitôt ses légions en quartier d'hiver à Pise, et, l'âme pleine de mécontentement contre le sénat, de rancune contre le préteur, il revient à Rome: il convoque le sénat dans le temple de Bellone, et là il s'emporte d'abord en invectives contre le préteur [3] « qui, au lieu de demander, dans son rapport au sénat, des honneurs pour les dieux immortels en remerciement d'un beau succès, avait fait un sénatus-consulte hostile à son concitoyen, favorable aux ennemis, et qui, donnant gain de cause aux Ligures, proposait presque de leur livrer le consul. [4] En conséquence, il le mettait à l'amende; il demandait au sénat la suppression du sénatus-consulte dont il se plaignait, et une supplication aux dieux, [5] qu'ils eussent dû décréter en son absence, sur le vu de la dépêche où il annonçait le service rendu par lui à la république, mais qu'ils décréteraient en sa présence, d'abord pour honorer les dieux, puis un peu aussi par égard pour leur consul. » [6] Après quelques discours, où les sénateurs qui parlèrent ne le ménagèrent pas plus de près que de loin, débouté de sa double requête, il retourna dans sa province. [7] Postumius, l'autre consul, passa toute cette campagne à reconnaître des limites de territoire, et sans avoir même vu sa province, revint à Rome pour la tenue des comices. [8] Il créa consuls C. Popilius Laenas et P. Aelius Ligur; puis préteurs, C. Licinius Crassus, M. Junius Pennus, Sp. Lucretius, Sp. Cluvius, Cn. Sicinius et C. Memmius, pour la seconde fois. [10] [1] Cette année-là eut lieu la clôture du lustre; on avait pour censeurs Q. Fulvius Flaccus, A. Postumius Albinus; ce fut Postumius qui la fit. [2] Le cens des citoyens romains donna deux cent soixante-neuf mille quinze têtes, [3] nombre un peu au-dessous de la réalité, parce que le consul L. Postumius avait proclamé, en pleine assemblée du peuple, l'injonction aux alliés du nom latin, que l'édit du consul C. Claudius obligeait à retourner dans leurs cités, de ne pas se faire recenser à Rome, mais dans leurs localités respectives. [4] Cette censure présenta le plus vrai et le plus patriotique accord. Tous ceux qu'ils chassèrent du sénat et qu'ils privèrent du cheval ils les classèrent parmi les aerarii, et les changèrent de tribu: et l'on ne vit pas l'un défaire ce que l'autre avait fait. [5] Fulvius dédia, au bout de six ans, le temple qu'il avait voué à la Fortune équestre, dans un combat qu'il avait livré, étant proconsul en Espagne, aux légions celtibériennes; il donna aussi quatre jours de jeux scéniques, et un de jeux du cirque. [6] L. Cornelius Lentulus, décemvir des sacrifices, mourut cette année- là. Il fut remplacé par A. Postumius Albinus. [7] Des sauterelles, enlevées de la mer par le vent, fondirent sur l'Apulie par nuées si épaisses que leurs essaims couvraient toute l'étendue de la campagne. [8] C'était un fléau pour les moissons. Cn. Licinius, préteur désigné, fut envoyé en Apulie avec un commandement exprès pour le faire disparaître; il fit une levée en masse de gens destinés à les ramasser, et cette expédition ne laissa pas de prendre du temps. [9] Le commencement de l'année suivante, où C. Popilius et P. Aelius furent consuls, se ressentit des débats de la précédente. [10] Les sénateurs voulaient un rapport sur l'affaire des Ligures et le renouvellement du sénatus-consulte; et le consul Aelius faisait le rapport. Popilius suppliait pour son frère, et le sénat et son collègue; en menaçant de mettre opposition au décret, s'il paraissait, [11] il obtint le désistement de son collègue; mais le sénat, mécontent des deux consuls, persistait dans son dessein. Aussi, quand il fut question des provinces, on eut beau, dans la prévision d'une guerre avec Persée, demander la Macédoine, un décret envoya les deux consuls chez les Ligures. [12] Refus de disposer de la Macédoine, s'il n'y a pas de rapport sur Popilius. Puis quand ils demandèrent à lever de nouvelles armées, ou à recruter les anciennes, l'un et l'autre leur fut dénié. [13] Les préteurs essuyèrent un semblable refus dans la demande de recrues pour l'Espagne. M. Junius avait obtenu au sort la Citérieure, Sp. Lucretius l'Ultérieure, [14] Cn. Licinius Crassus, la juridiction de la ville, Cn. Sicinius celle des étrangers, C. Memmius la Sicile, et Sp. Cluvius la Sardaigne. [15] De là, mécontentement des consuls à l'égard du sénat, Après avoir fixé au premier jour la célébration des féries latines, ils annoncèrent leur départ pour leur province et l'intention de ne faire dans l'intérêt de la république que ce qui aurait trait au gouvernement de leurs provinces. [11] [1] Ce serait sous leur consulat, à en croire Valerius Antias, qu'Attale, frère du roi Eumène, serait venu à Rome pour y apporter ses griefs contre Persée, et dénoncer ses préparatifs de guerre. L'opinion qui veut qu'Eumène s'y soit rendu en personne est appuyée sur des autorités plus nombreuses, et dont le témoignage a plus de poids à mes yeux. [2] Eumène donc, à son arrivée à Rome, reçut le plus honorable accueil; le peuple fit ce qu'il devait à son allié, et ce qu'il se devait à lui-même, après tant de bienfaits accumulés sur la tête de ce roi. Introduit dans le sénat, [3] il dit « que s'il était venu à Rome, c'était sans doute pour visiter les dieux et les hommes dont la faveur lui avait fait une fortune qu'il n'oserait pas même souhaiter plus brillante, mais aussi pour avertir le sénat qu'il prévînt les entreprises de Persée. [4] Puis, remontant aux projets de Philippe, il rappela la mort de Démétrius, opposé à la guerre contre les Romains; la nation des Bastarnes soulevée pour lui prêter son secours et faciliter son passage en Italie; [5] ce prince arrêté par la mort dans ces pensées qui l'agitaient, laissant le trône à celui de ses fils dont il avait pu apprécier toute l'animosité contre les Romains; Persée recevant de son père cet héritage de guerre avec le sceptre qui lui était échu, et employant dès lors à le nourrir, à le mûrir, toutes les forces de sa pensée; [6] la brillante jeunesse dont il disposait et à laquelle une longue paix avait laissé le temps de croître; les ressources du royaume de Macédoine; l'âge du prince lui-même, cet âge qui mettait un corps frais, sain et vigoureux au service d'une âme invétérée dans la pratique et l'art de la guerre. [7] Dès l'enfance en effet il avait pu, sous la tente de son père, s'habituer à la guerre contre les Romains, et non pas seulement contre les nations voisines; puis il avait été chargé par lui d'expéditions nombreuses et variées. [8] Depuis qu'il était lui-même sur le trône, il avait achevé avec un merveilleux succès des entreprises que Philippe, malgré tous ses efforts, n'avait pu mettre à fin, ni par force, ni par adresse. [9] Enfin à toutes ces ressources il fallait en ajouter une, fruit ordinaire du temps et de longs et importants services, l'influence morale. [12] [1] En effet, dans toutes les villes de la Grèce et de l'Asie, sa prépondérance inspirait le respect. Quels étaient les services, les bienfaits qui lui attiraient tant de considération? [2] on ne le comprenait pas; et lui, Eumène, ne pouvait pas assurer si c'était l'effet du bonheur particulier de Persée, ou [l'oserait- il dire?] si ce n'était pas la haine qu'on portait aux Romains qui lui gagnait tant de partisans. [3] Les rois eux-mêmes lui témoignaient les égards les plus distingués; il avait épousé la fille du roi Séleucus; non qu'il eût demandé sa main, car on avait au contraire sollicité la sienne. Il avait accordé sa soeur aux pressantes instances de Prusias: [4] ces deux mariages s'étaient célébrés au milieu d'innombrables députations chargées de dons et de voeux pour les époux, et les auspices des plus illustres peuples avaient présidé à la solennité. [5] La nation des Béotiens, malgré les intrigues de Philippe, n'avait jamais pu être amenée à conclure un traité d'amitié: [6] aujourd'hui elle a son traité avec Persée gravé en trois endroits différents; un à Thèbes, un autre à Délos, le plus vénéré et le plus fréquenté des temples; le troisième à Delphes. Dans l'assemblée des Achéens, si la question n'eût été écartée par quelques hommes qui mirent en avant la puissance romaine, les choses en vinrent presque au point de lui ouvrir l'entrée de l'Achaïe. [7] Et lui, Eumène, qui ne pouvait dire de quelle manière il avait le plus obligé ce peuple, par des bienfaits publics, ou par des services privés, il voyait tous ses droits à leurs respects ou négligés par incurie et par indifférence, ou même hostilement abolis. Et les Étoliens? ne sait-on pas que lors de leurs séditions, ce n'est pas aux Romains, mais à Persée qu'ils ont demandé assistance? [8] Appuyé sur des amitiés et des alliances si fortes, il fait chez lui des préparatifs de guerre qui le dispensent d'avoir recours à l'étranger; il a trente mille hommes d'infanterie et quinze mille de cavalerie; il forme des approvisionnements de grains pour dix ans, de manière à pouvoir se passer des produits de ses propres terres et de celles de ses ennemis. [9] Ses coffres sont garnis, si bien garnis, qu'il a toute prête, pour un pareil nombre d'années, la solde de dix mille mercenaires, en sus des troupes macédoniennes; et cela, non compris le revenu annuel qu'il tire des mines royales. [10] Il a entassé dans ses arsenaux des armes pour trois armées de cette force. Et pour se recruter, du jour où la Macédoine lui manquera, il a une pépinière inépuisable de soldats, la Thrace, à ses pieds. » [13] [1] Il acheva son discours sur le ton de l'exhortation: « Ce que je vous rapporte, sénateurs, ce ne sont pas de vains bruits, des rumeurs sans consistance, trop avidement accueillies par un homme qui voudrait trouver vrais les griefs qu'il amasse contre un ennemi; ce sont des faits constatés, avérés, tels que pourrait vous les rapporter un espion envoyé par vous, comme le résultat de ses observations positives. [2] Je n'eusse pas quitté mes états, dont votre générosité a si bien arrondi les limites et rehaussé l'éclat, je n'eusse pas traversé tant de mers pour venir, en vous débitant des mensonges, m'enlever de gaieté de coeur votre confiance. [3] Je voyais les plus illustres cités de l'Asie mettre à chaque instant leurs intentions dans un plus grand jour, et prêtes, si l'on n'y veillait, à avancer si loin qu'il leur serait impossible, quoi qu'elles en eussent, de reculer. [4] Je voyais Persée, à l'étroit dans sa Macédoine, entrer ici à main armée et s'y établir, et là où la force eût éprouvé trop de résistance, employer les détours de la séduction et des caresses. [5] Je comprenais combien la partie était inégale entre vous et lui; lui sur le pied de guerre, vous sur le pied de paix et tranquilles à son égard. Et quand je dis sur le pied de guerre, je devrais presque dire en guerre ouverte. [6] Abrupolis est votre allié, votre ami; il l'a détrôné; Arthétaurus, l'Illyrien, vous avait adressé une dépêche dont Persée a eu connaissance; c'était votre allié et votre ami; il l'a tué. [7] Eversa et Callicritus, de Thèbes, deux des premiers citoyens de la ville, s'étaient expliqués sur son compte avec trop de franchise dans l'assemblée des Béotiens; ils s'étaient faits forts de vous dénoncer tout ce qui se passait: il les fit disparaître. [8] Il a porté secours aux Byzantins, malgré le traité; il a porté la guerre en Dolopie, il a fait traverser à son armée la Thessalie et la Doride, pour employer, dans une guerre civile, le plus faible à écraser le plus fort. [9] Il a tout brouillé, tout bouleversé en Thessalie et en Perrhébie, dans l'espoir de nouveaux tableaux de dettes, afin de se servir du bras des débiteurs dévoués à son parti, pour venir à bout de l'aristocratie. [10] Voyant qu'il en a pu tant faire sans lasser votre patience et votre longanimité, et que vous lui laissez le champ libre en Grèce, il se tient pour assuré qu'il pourra passer en Italie sans trouver un seul combattant sur son chemin. [11] Si votre sûreté et votre honneur le permettent, c'est à vous d'en décider: quant à moi, si nous avions tous deux à venir en Italie, Persée, pour y porter la guerre, moi, pour vous prévenir d'être sur vos gardes, je me serais cru déshonoré de ne pas prendre les devants. [12] À présent que j'ai rempli un devoir de conscience, et que me voilà dégagé de l'obligation que ma loyauté m'imposait, qu'ai-je autre chose à faire que de prier tout ce qu'il y a au ciel de dieux et de déesses, afin que vous preniez la défense et de vos propres intérêts, et des nôtres aussi, de nous qui sommes vos alliés, vos amis, et dont l'existence dépend de vous? » [14] [1] Ce discours fit son effet sur le sénat. Du reste on ne sut pour le moment rien autre chose que le fait de l'admission du roi dans le sénat; tant on y observait la discrétion et le silence. Ce ne fut que quand la guerre fut terminée que les paroles prononcées par le roi et la réponse qui lui fut faite transpirèrent. [2] Les députés du roi Persée eurent aussi, peu de jours après, leur audience. Mais leur défense et leur plaidoyer trouvèrent les oreilles et les esprits prévenus par les rapports d'Eumène; [3] et l'exaspération fut plus grande encore après le langage hautain que tint Harpale, chef de la députation. « Le roi, dit-il, est fort en peine de se justifier, et tient à ce qu'on ne voie dans aucune de ses paroles, dans aucun de ses actes, un caractère d'hostilité; [4] mais s'il s'aperçoit qu'on s'obstine à chercher des prétextes de guerre, il saura bravement se défendre. Les faveurs de Mars sont communes, et l'issue de la guerre incertaine. » [5] Toutes les cités de la Grèce et de l'Asie s'inquiétaient fort de ce que les députés de Persée, de ce qu'Eumène avaient fait dans le sénat; et à l'occasion de son voyage, dont ils attendaient un résultat, la plupart, sous différents prétextes, avaient envoyé des députés. [6] Il y avait entre autres une députation de Rhodes, présidée par Satyrus, lequel ne douta pas qu'Eumène n'eût compris sa nation dans les griefs qu'il avait articulés contre Persée. [7] Il se remuait sans relâche et employait le crédit de ses patrons et de ses hôtes pour être admis à discuter avec le roi dans le sénat. [8] En étant venu à bout, il s'emporta au- au-delà des bornes de la franchise contre le roi, pour avoir animé contre les Rhodiens la nation lycienne, et se rendre plus insupportable à l'Asie que ne l'avait été Antiochus; [9] il fit une harangue qui fut très populaire en Asie et qui y plut beaucoup [car là aussi Persée avait force partisans]; mais elle fut mal vue du sénat, et fit tort à sa république et à lui. [10] La conspiration au contraire de tant de haines contre Eumène le servit auprès des Romains. Tous les honneurs lui furent décernés; on lui fit de magnifiques présents, y compris la chaise curule et le bâton d'ivoire. [15] [1] Les ambassades sont congédiées: Harpale fait une diligence extrême pour retourner en Macédoine où il annonce à Persée que lorsqu'il a laissé les Romains, ils ne s'occupaient pas encore de préparatifs de guerre, [2] mais qu'ils sont assez mal disposés pour laisser voir qu'ils ne tarderont pas longtemps; le roi lui- même, qui croyait à la guerre, la désirait aussi, persuadé qu'il était dans toute sa force et dans toute sa puissance. [3] C'était à Eumène surtout qu'il en voulait; altéré de son sang, il ne veut pas d'autre début de guerre, et aposte le Crétois Évandre, chef de ses auxiliaires, ainsi que trois Macédoniens habitués à prêter leurs bras à de pareilles oeuvres, pour assassiner ce roi. Il leur donne une lettre pour Praxo, son hôtesse, à Delphes, où elle jouissait d'un grand crédit et d'une grande fortune. [4] On se croyait assuré qu'Eumène, pour sacrifier à Apollon, monterait à Delphes. Les sicaires s'avancent avec Évandre, et, pour accomplir leur horrible tâche, ils ne cherchaient dans tout le pays qu'ils visitaient qu'un lieu favorable. [5] Quand on montait de Cirrha au temple, avant d'arriver à un endroit bâti et peuplé, on trouvait à sa gauche, au bord du chemin, une masure peu élevée au-dessus de ses fondations, par où il fallait passer un à un; car à droite la terre s'était éboulée à une certaine profondeur. [6] Ils se cachèrent derrière la masure, après y avoir dressé quelques marches, pour lancer de là, comme d'un rempart, leurs traits sur le roi quand il passerait. [7] D'abord, à partir de la mer, il s'avançait entouré du groupe de ses amis et de ses satellites; puis leur troupe s'effilait insensiblement à mesure que le passage se rétrécissait. [8] Quand on en vint à l'endroit où l'on ne pouvait passer qu'un à un, le premier qui mit le pied dans le sentier fut Pantaléon, chef des Étoliens, qui était pour le moment en conversation avec le roi. [9] Les brigands débusquent alors et font rouler deux grosses pierres, dont l'une frappe le roi à la tête, et l'autre lui engourdit l'épaule. [10] Quand il est tombé, ils profitent de la pente du sentier pour pousser sur lui une masse de pierres, et, tandis que tous ses autres amis et satellites fuient et se dispersent après l'avoir vu tomber, Pantaléon seul reste intrépide à son poste, pour couvrir le roi. [16] [1] Les brigands, au lieu de faire un léger circuit et de venir de derrière la masure achever leur victime, crurent le meurtre consommé et s'enfuirent au sommet du Parnasse; ils coururent si bien que, voyant l'un d'eux éprouver de la difficulté à les suivre à travers des escarpements impraticables et ralentir leur fuite, dans la crainte qu'il ne se fît prendre et ne trahît leur retraite, ils le tuèrent. [2] Près du corps du roi se réunirent d'abord ses amis, puis ses satellites et ses esclaves, [3] et ils l'enlevèrent évanoui par suite de sa blessure et privé de sentiment. La chaleur et la respiration encore sensibles à la poitrine leur firent voir qu'il vivait encore; qu'il dût vivre, c'est ce dont ils n'avaient que peu et même presque pas d'espoir. [4] Quelques-uns des satellites qui s'étaient mis sur les traces des assassins, et étaient montés vainement, avec bien de la fatigue, jusqu'au sommet du Parnasse, revinrent sans succès. [5] Les Macédoniens, qui avaient voulu faire un coup aussi audacieux qu'étourdi, l'abandonnèrent avec autant d'étourderie que de lâcheté. [6] Le roi, revenu à lui, est transporté le lendemain par le soin de ses amis à bord de son vaisseau, de là, jusqu'à Corinthe, de Corinthe à Égine, en faisant franchir aux navires la crête de l'isthme. [7] Là, son traitement fut tellement secret par le soin qu'on prit de n'admettre aucun témoin, que le bruit de sa mort se répandit en Asie. [8] Attale lui- même accueillit cette nouvelle avec un empressement fait pour démentir leur accord fraternel. Il parla à la femme de son frère et au gouverneur de la citadelle le langage d'un héritier assuré de la couronne. [9] Eumène ne l'ignora pas par la suite, et tout résolu qu'il était à dissimuler, à souffrir et à se taire, il ne put s'empêcher, à leur première entrevue, de reprocher à son frère la hâte prématurée qu'il avait mise à réclamer la main de la reine. Le bruit de la mort d'Eumène parvint aussi à Rome. [17] [1] Vers le même temps, C. Valerius revint de la Grèce, où il avait été envoyé en qualité de député pour s'assurer de l'état du pays et épier les démarches de Persée; ses rapports s'accordaient en tous points avec les griefs exposés par Eumène. [2] Il amenait aussi avec lui Praxo, dont la maison à Delphes avait servi de retraite aux brigands, et L. Rammius de Brindes, qui avait dénoncé le fait qu'on va lire. [3] Cet homme était le premier de la ville de Brindes, et c'était chez lui que recevaient l'hospitalité tous les généraux romains, tous les députés distingués des nations étrangères, et surtout ceux des rois. [4] C'est ainsi qu'il fut connu de Persée sans l'avoir vu; puis, sur une lettre qui lui faisait espérer une amitié plus étroite et par suite une brillante fortune, il partit pour trouver le roi, fut admis dans son intime familiarité, et entraîné plus avant qu'il n'eût voulu dans la confidence de ses trames secrètes. [5] Après lui avoir promis les plus magnifiques récompenses, le roi lui proposa avec instance, « attendu que tous les généraux et tous les délégués romains logeaient habituellement chez lui, de se charger de faire empoisonner ceux qu'il lui désignerait par lettre. [6] Le roi confessait que c'était une entreprise pleine de difficultés et de dangers; qu'elle nécessitait la réunion de plusieurs complices, qu'en outre l'issue en était incertaine: les substances, en effet, seraient-elles assez énergiques pour que l'effet en fût complet? assez sûres pour que le secret fût gardé? [7] Il se faisait fort d'en donner que rien ne trahirait sur le moment, et qui; après, ne laisseraient aucune trace. » [8] Rammius craignant, s'il refusait, de faire le premier l'essai de ce poison, promet de s'y prêter et part; mais il ne voulut pas revenir à Brindes sans s'être abouché avec C. Valerius, le député, qu'on disait être aux environs de Chalcis. [9] Après lui avoir fait une première dénonciation, il l'accompagna à Rome sur son injonction. Introduit dans le sénat, il exposa ce qui s'était passé. [18] [1] Ces renseignements, avec ceux que donnait Eumène, contribuèrent à faire regarder plus tôt Persée comme ennemi, quand on vit que, au lieu de faire des préparatifs de guerre tels que le droit des gens les permet, et qu'un roi les peut avouer, il avait recours aux voies souterraines, abominables, de l'assassinat et du poison. [2] On renvoya aux nouveaux consuls la gestion de cette guerre: pour le présent néanmoins, Cn. Sicinius, préteur, préposé à la juridiction des débats entre citoyens et étrangers, fut chargé [3] d'enrôler des troupes que l'on mènerait à Brindes pour les faire, au premier moment, passer à Apollonie en Épire, afin d'y occuper les villes maritimes, où le consul que le sort aurait désigné pour la Macédoine pourrait aborder sans danger et débarquer ses troupes à l'aise. [4] Eumène, retenu quelque temps à Égine par un traitement périlleux et difficile, partit pour Pergame dès qu'il put le faire sans danger, et, stimulé, indépendamment de sa vieille animosité contre Persée, par son nouvel attentat, il se prépara vivement à la guerre. [5] Une ambassade lui fut envoyée de Rome pour le complimenter d'avoir échappé à un si grand péril. [6] Une fois fa guerre de Macédoine différée d'un an, et les autres préteurs partis pour leurs provinces, M. Junius et Sp. Lucretius, à qui le sort avait donné les Espagnes, après tant d'instances dont ils avaient fatigué le sénat, obtinrent enfin, de guerre lasse, un recrutement de trois mille hommes d'infanterie, et de cent cinquante cavaliers pour les légions romaines, [7] et, pour les troupes alliées, cinq mille hommes d'infanterie et trois cents de cavalerie. Tel était le nombre de troupes qui fut, avec les nouveaux préteurs, embarqué pour l'Espagne. [19] [1] La même année, à la suite de l'enquête du consul Postumius, qui fit rentrer au domaine une portion considérable du territoire campanien que les particuliers s'étaient approprié sur différents points sans aucun égard, le tribun du peuple M. Lucretius promulgua un décret prescrivant aux censeurs de louer à des usufruitiers le territoire campanien. Cette mesure n'avait pas encore été prise depuis tant d'années que Capoue était devenue notre conquête, [2] et la cupidité privée avait eu un vaste champ pour s'exercer. [3] Dans l'attente où était le sénat, depuis que la guerre, sans être déclarée, avait été décrétée, ne sachant quels rois s'attacheraient à son parti, quels à celui de Pensée, il vint à Rome des députés d'Ariarathès, amenant avec eux le jeune fils du roi. [4] Leur langage fut en substance que le roi avait envoyé son fils pour être élevé à Rome, afin que, dès son enfance, il s'habituât aux moeurs des Romains et à leurs personnes. [5] Qu'il les priait, non seulement de le confier à la garde d'une hospitalité privée, mais de le placer même sous une sorte de patronage et de tutelle publique. [6] Cette ambassade du roi fit plaisir au sénat. On décréta que le préteur Cn. Sicinius louerait une habitation garnie, où pussent loger le fils du roi et ses compagnons. Des ambassadeurs des Thraces vinrent aussi discuter devant le sénat, et lui demander son alliance et son amitié: on leur donna ce qu'ils demandaient, et on leur envoya en présent à chacun deux mille sesterces. [7] La Thrace est sur les arrières de la Macédoine, et l'on fut charmé d'en avoir fait des alliés. Mais pour que sur l'Asie et sur les îles on sût à quoi s'en tenir aussi, on y envoya deux députés, Ti. Claudius Néron, et M. Decimius. [8] Ils reçurent ordre d'aborder en Crète et à Rhodes, pour y resserrer les noeuds de l'amitié, et aussi pour observer si l'on avait prêté l'oreille aux intrigues de Persée. [20] [1] L'attente de cette nouvelle guerre tenait toute la ville en suspens, lorsque dans une tempête de nuit la colonne rostrale, élevée dans le Capitole, pendant la seconde guerre punique, par le consul qui avait eu pour collègue Ser. Fulvius, fut foudroyée depuis le haut jusques en bas. Cet événement fut réputé prodige, et déféré comme tel au sénat, [2] lequel ordonna qu'il en fût référé aux haruspices, et que les décemvirs consultassent les livres sacrés. [3] Les décemvirs déclarèrent qu'il fallait soumettre la ville à une lustration; ils ordonnèrent des supplications et des obsécrations partout, des sacrifices de grandes victimes, à Rome, dans le Capitole, et dans la Campanie au temple de Minerve; dix jours de jeux, au premier moment, en l'honneur de Jupiter très bon, très grand. Tous ces rites furent accomplis avec soin. [4] Les haruspices répondirent que ce prodige tournerait à bien, et qu'il présageait une extension de frontières et l'anéantissement des traîtres; car c'était des dépouilles enlevées à l'ennemi que ces éperons de navires qui avaient été renversés par la tempête. [5] De nouveaux prodiges vinrent mettre le comble aux scrupules religieux. On apprit qu'à Saturnia une pluie de sang avait tombé durant trois jours; qu'un âne était né avec trois jambes à Calatia, et qu'un taureau avec cinq vaches avaient été tués d'un seul coup de foudre; qu'à Auximum, il était tombé une pluie de terre. [6] Ces prodiges donnèrent lieu à des cérémonies religieuses, et il y eut un jour de supplications et de vacances. [21] [1] Les consuls jusque là n'étaient pas encore partis pour leurs provinces, parce qu'ils n'obéissaient pas au sénat en faisant leur rapport sur l'affaire de Popilius, et que les sénateurs avaient résolu de ne rien décider au préalable sur quoi que ce fût. [2] Popilius gâta encore sa cause par une lettre où il annonçait qu'il avait, comme proconsul, livré un second combat aux Ligures de Statellae, et qu'il leur avait tué dix mille hommes. Cette injuste guerre souleva le reste de la Ligurie et lui fit prendre les armes. [3] Alors ce ne fut plus seulement Popilius, pour avoir, contre toute foi et tout honneur, porté la guerre chez un peuple couvert par une capitulation, et avoir poussé à la révolte une nation pacifiée, ce furent aussi les consuls, pour ne s'être pas rendus à leur poste, qui s'attirèrent les reproches du sénat. [4] Cet accord des Pères conscrits alluma le zèle des tribuns du peuple, M. Marcius Sermo et Q. Marcius, Scylla, qui se déclarèrent prêts à mettre les consuls à l'amende s'ils ne se rendaient à leur poste, et qui lurent dans le sénat la motion qu'ils avaient projet de promulguer au sujet de la capitulation des Ligures. [5] Elle portait que si un seul des Statellates, compris dans cette capitulation, n'était pas rendu à la liberté avant le premier jour des calendes de sextilis, le citoyen qui, par mauvaise foi, le retiendrait en servitude, se vît l'objet d'enquêtes et de poursuites en vertu d'un décret du sénat assermenté. Ils promulguèrent ensuite cette motion, revêtue de la sanction du sénat. [6] Avant le départ des consuls, le sénat donna audience, dans le temple de Bellone, à C. Cicereius, préteur de l'année précédente. [7] Après qu'il eut exposé ses exploits en Corse et demandé vainement le triomphe, il triompha sur le mont Albain, d'après un usage établi depuis longtemps déjà pour les cas où cet honneur n'était pas décerné officiellement. [8] La motion Marcia, au sujet des Ligures, fut unanimement approuvée et rendue exécutoire par le peuple. En vertu de ce plébiscite le préteur C. Licinius consulta le sénat pour savoir qui il chargeait de l'enquête par cette décision. Le sénat l'en chargea lui-même. [22] [1] Enfin les consuls partirent pour leurs provinces et reçurent l'armée des mains de Popilius. [2] Pour lui, il n'osait revenir à Rome pour ne pas devoir plaider sa cause en face d'un sénat malveillant, d'un peuple plus mal disposé encore, devant le préteur qui avait sollicité, dans l'enquête dirigée contre lui, un sénatus-consulte. [3] Pour prévenir cette manoeuvre évasive, les tribuns lui dénoncèrent une motion nouvelle: s'il n'était pas à Rome avant les ides de novembre, Licinius statuerait sur son compte et prononcerait son jugement. [4] Cette résolution fut comme une chaîne qui le tira à Rome, où le sénat le reçut comme un homme que l'on hait. [5] Mille traits piquants furent dirigés contre lui, et un sénatus-consulte parut, réglant que ceux des Ligures qui, depuis le consulat de Q. Fulvius et de L. Manlius, n'avaient commis aucune hostilité, seraient remis en liberté, à la diligence des préteurs C. Licinius et Cn. Sicinius, et qu'un territoire leur serait assigné au-delà du Pô par le consul C. Popilius. [6] Par cette décision plusieurs milliers d'hommes furent rendus à la liberté, et on leur fit repasser le Pô pour prendre possession du territoire qui leur était affecté. [7] M. Popilius, en vertu de la proposition Marcia, comparut deux fois devant C. Licinius. À la troisième comparution le préteur, par égard pour le consul absent, et cédant aux instances de la famille Popilia, l'assigna pour le jour des ides de mars, jour où les nouveaux magistrats devaient entrer en charge: il ne pouvait plus siéger, étant redevenu simple particulier. [8] C'est ainsi que la proposition relative aux Ligures fut éludée par l'astuce et la duplicité. [23] [1] Des députés carthaginois se trouvaient à Rome à cette époque, ainsi que Gulussa, fils de Masinissa. Ils se livrèrent à de vives altercations dans le sénat. [2] « Outre le territoire qui avait motivé l'envoi de commissaires romains pour en connaître sur les lieux, Masinissa, depuis deux ans, s'était emparé de force et les armes à la main de plus de soixante-dix villes et châteaux du territoire de Carthage. [3] Il le pouvait, lui, à qui l'on n'avait pu tracer son devoir; les Carthaginois, enchaînés par le traité, gardaient le silence; [4] il leur était défendu de porter leurs armes hors de leurs frontières. Sans doute, en chassant les Numides de leur propre territoire, ils ne franchiront pas leurs frontières; mais ils se fondaient, pour s'en abstenir, sur l'article si clair du traité qui leur défendait expressément de faire la guerre aux alliés du peuple romain. [5] Mais désormais le despotisme, la cruauté et la cupidité du roi devenaient intolérables pour les Carthaginois. Ils étaient envoyés pour supplier le sénat de vouloir bien consentir à accorder de trois choses l'une: [6] ou bien l'on discuterait, sur un pied d'égalité, devant le peuple allié, les droits de propriété; ou les Carthaginois seraient autorisés à repousser une guerre injuste par une guerre juste et sainte; ou enfin, si la faveur l'emportait sur le bon droit, les Romains régleraient, une fois pour toutes, les dons qu'ils voudraient que Masinissa reçût d'autrui: [7] certainement ils mettraient plus de modération dans leur générosité, et ils en sauraient les bornes; que lui au contraire n'en connaîtrait jamais d'autres que les caprices de sa volonté. [8] S'ils échouaient dans ces trois demandes, et qu'on eût quelque faute à leur reprocher depuis la paix que leur avait donnée Scipion, ils ne voulaient être punis que par les Romains. [9] Ils aimaient mieux une servitude paisible, sous des maîtres venus de Rome, qu'une liberté en butte aux outrages de Masinissa. [10] En effet, il vaudrait mieux mourir une fois que de vivre dans la dépendance du plus atroce des bourreaux. » Ces mots prononcés, ils se couchent en versant des larmes; mais en les voyant ainsi étendus à terre, on n'eut pas plus de pitié d'eux que pour le roi de <lacune> [24] [1] On décida de demander à Gulussa ce qu'il avait à répondre à ces allégations, ou de l'inviter à exposer les motifs qui l'avaient lui-même amené à Rome. [2] Gulussa répliqua qu'il ne lui serait pas facile de traiter une affaire sur laquelle il n'avait pas reçu d'instructions de son père; que son père eût aussi difficilement pu lui en donner, les Carthaginois n'ayant nullement fait connaître l'objet de leur voyage, ni même leur projet de venir à Rome; [3] qu'ils avaient eu pendant quelques nuits, dans le temple d'Esculape, un conseil clandestin des premiers de l'État, et que c'était de là qu'étaient partis leurs députés avec des instructions secrètes; [4] que c'était le motif qui avait déterminé son père à l'envoyer à Rome, pour prier le sénat de ne pas ajouter foi aux accusations de leurs ennemis communs, lesquels ne le haïssaient qu'en raison de son inébranlable fidélité à l'égard du peuple romain. [5] Les deux partis entendus, le sénat consulté sur la réclamation des Carthaginois, dicta cette réponse: [6] Gulussa partira sur-le-champ pour la Numidie, et préviendra son père qu'il ait à envoyer au sénat, sans délai, des députés au sujet de la plainte des Carthaginois, et à prévenir ce peuple pour qu'il se trouve au débat. [7] Que s'il dépendait d'eux de faire quelque chose pour l'élévation de Masinissa, ils le feraient, comme ils l'avaient toujours fait; mais qu'ils ne sacrifiaient pas le bon droit à la faveur; [8] qu'ils voulaient voir chaque peuple maître du territoire qu'il devait posséder; qu'ils n'avaient pas l'intention de fixer de nouvelles limites, mais de maintenir les anciennes. [9] Vainqueurs des Carthaginois, ils leur avaient accordé des villes et des terres: ce n'était pas pour leur ôter, contre toute justice, pendant la paix, ce qu'ils ne leur avaient point ôté pendant la guerre, où tout l'autorisait. Voilà comme furent congédiés le prince et les Carthaginois. [10] Ils reçurent également et sans distinction les cadeaux d'usage, et il ne fut pas dérogé aux anciennes habitudes de bonne hospitalité. [25] [1] Vers la même époque, Cn. Servilius Caepio, Ap. Claudius Cento, T. Annius Luscus, qui avaient été envoyés comme commissaires en Macédoine pour présenter les réclamations de la république, et annoncer au roi que toute amitié, toute alliance était rompue, revinrent, [2] et, par le récit catégorique de ce qu'ils avaient vu et entendu, enflammèrent encore la haine qui s'était d'elle-même allumée dans l'âme des sénateurs contre Persée. « Ils avaient vu, disaient-ils, dans toutes les villes de Macédoine, les préparatifs de guerre les plus énergiques. [3] Arrivés près du roi, ils avaient attendu plusieurs jours la permission d'approcher de sa personne. Enfin, ils étaient partis de désespoir d'obtenir un entretien, lorsque enfin on les rappela comme ils étaient en chemin, et ils furent introduits. [4] Telles avaient été en substance ce qu'ils avaient dit: un traité, fait avec Philippe, avait été renouvelé avec lui-même dès la mort de son père; ce traité lui interdisait formellement de porter les armes hors de ses frontières, de faire la guerre aux alliés du peuple romain. [5] Ils lui avaient ensuite fait tout le détail des rapports vrais et fidèles qu'ils avaient naguère entendu faire à Eumène dans le sénat. [6] De plus, le roi avait eu une entrevue secrète de plusieurs jours avec des députations des villes d'Asie, à Samothrace. [7] Pour toutes ces violations, le sénat demandait satisfaction; il exigeait que tout ce que le roi possédait contrairement aux droits que lui donnait le traité, il le rendît au sénat et à ses alliés. [8] À ces mots le roi, enflammé de colère, s'était emporté en propos atroces, invectivant à plusieurs reprises l'avarice et l'ambition des Romains, qui envoyaient ambassades sur ambassades pour épier ses paroles et ses actions, et trouvaient bon d'avoir la haute main sur lui, et de diriger, à leur gré, sa langue et son bras. [9] Enfin, après beaucoup de cris et de bruit, il les avait engagés à revenir le lendemain, attendu qu'il voulait leur donner une réponse écrite. [10] Il la leur avait remise en effet telle que la voici: Le traité fait avec son père ne le regardait pas. S'il avait souffert qu'il fût renouvelé, ce n'était pas qu'il l'approuvât, mais c'était que dans les premiers temps d'un règne il faut tout souffrir. [11] Si l'on voulait faire avec lui un nouveau traité, on aurait d'abord à s'entendre sur les conditions; et s'ils pouvaient se déterminer à le faire sur le pied de l'égalité, il verrait ce qu'il aurait à faire, et il pensait bien qu'eux-mêmes prendraient des mesures conformes aux intérêts de leur république. [12] Il s'était alors esquivé, et on les avait tous écartés du palais. Pour eux, ils lui avaient alors déclaré la rupture de toute alliance et de toute amitié. Ces mots l'avaient mis en émoi, et, s'arrêtant, il leur avait crié à haute voix qu'ils eussent à quitter ses États sous trois jours. [13] C'est ainsi qu'ils étaient partis, sans qu'à leur départ, pas plus que durant leur séjour, on leur fît la moindre prévenance hospitalière. » Puis on donna audience aux députés de Thessalie et d'Étolie. [14] Le sénat, pour que l'on sût au plus tôt quels chefs aurait l'État, décida d'écrire aux deux consuls, afin que celui qui serait libre vînt à Rome pour l'élection de nouveaux magistrats. [26] [1] Les consuls de cette année-là ne firent, pour le service de la république, rien qui mérite d'être cité. On avait attaché une importance toute particulière à calmer et à contenir l'exaspération des Ligures. [2] Indépendamment de la guerre qu'on attendait de la Macédoine, on suspectait encore la foi de Gentius, roi d'Illyrie, sur le rapport des Isséens qui se plaignaient d'une seconde dévastation de leurs frontières, et qui annonçaient aussi que « le roi de Macédoine et celui d'Illyrie n'avaient qu'une âme, qu'ils s'entendaient pour se préparer à la guerre contre les Romains, [3] et que, sous couleur d'ambassade, c'étaient des espions que l'Illyrie avait à Rome, et cela d'après le conseil de Persée, pour savoir ce qui s'y passait. » [4] Les Illyriens furent appelés devant le sénat, et quand ils vinrent dire que le roi les avait envoyés pour le justifier des accusations que les Isséens pourraient porter contre lui, [5] on leur demanda pourquoi ils ne s'étaient pas présentés devant le magistrat pour que, selon l'usage établi, il les logeât et les défrayât, pour qu'on sût enfin leur arrivée et le motif de leur venue. Ils balbutièrent, et on leur dit de sortir du sénat. [6] On ne jugea pas à propos de leur faire une réponse comme à des députés, vu qu'ils n'avaient pas demandé à être présentés au sénat, et on fut d'avis d'envoyer au roi des députés pour lui annoncer la plainte portée devant le sénat par des alliés dont il avait brûlé le pays. On lui reprochait l'injustice qu'il y avait à ne pas ménager des alliés dans ses coupables entreprises. » [7] Cette mission fut confiée à A. Terentius Varro, C. Plaetorius et C. Cicereius. Les députés envoyés en Asie auprès des rois alliés revinrent et rapportèrent « qu'ils s'étaient abouchés avec Eumène dans cette contrée, avec Antiochus en Syrie, avec Ptolémée à Alexandrie; [8] que tous ces princes avaient été en butte aux sollicitations des délégués de Persée, mais qu'ils demeuraient invariables dans leur fidélité, et qu'ils s'étaient engagés à fournir au peuple romain tout ce qu'il leur commanderait; qu'ils avaient aussi visité les villes alliées, qu'elles étaient toutes fidèles, à l'exception de Rhodes où ils avaient trouvé les esprits flottants et empoisonnés par les conseils de Persée. » [9] Il était venu des députés de Rhodes pour se justifier des accusations qu'ils savaient être habituellement portées contre leur nation; on décida de leur donner audience au sénat quand les nouveaux consuls seraient entrés en charge. [27] [1] On fut d'avis de ne pas différer les préparatifs de guerre. Le préteur C. Licinius est chargé de voir parmi les vieilles quinquérèmes abandonnées dans les chantiers romains, celles qui seraient encore propres au service, d'en opérer le radoub, et de former une flotte de cinquante vaisseaux. [2] S'il lui manquait de quoi compléter ce nombre, il écrirait en Sicile à son collègue Memmius de faire radouber les vaisseaux qui étaient dans cette province et de les mettre à flot, pour qu'ils pussent au premier moment être dirigés sur Brindes. [3] Le préteur C. Licinius eut ordre de lever parmi les citoyens romains sortis de servitude les équipages de vingt-cinq vaisseaux: Cn. Sicinius devait en commander aux alliés pour un pareil nombre de vingt-cinq; le même préteur demanderait aux alliés du nom latin huit mille hommes d'infanterie et quatre cents de cavalerie. [4] Pour recevoir cette troupe à Brindes et la faire passer en Macédoine, le choix tombe sur Atilius Serranus qui avait été préteur l'année d'avant, [5] et sur le préteur actuel Cn. Sicinius pour tenir une armée toute prête à être embarquée. Le préteur C. Licinius écrit au nom du sénat au consul C. Popilius de donner rendez-vous à Brindes, pour les ides de février, à la seconde légion, en grande partie composée de vétérans, et cantonnée en Ligurie, ainsi qu'à quatre mille hommes d'infanterie et à deux cents de cavalerie pris chez les alliés du nom latin. [6] Avec cette flotte et cette armée, Cn. Sicinius devait prendre le département de la Macédoine, jusqu'à ce qu'il lui vînt un successeur, et son commandement lui était prorogé d'un an. Tous ces ordres du sénat furent exécutés avec vigueur. [7] Trente-huit quinquérèmes furent tirées des chantiers; L. Porcius Licinius eut la charge de les mener à Brindes; on en envoya douze de Sicile. [8] L'achat des blés pour la flotte et pour l'armée, en Calabre et en Apulie, fut commis à trois délégués, Sex. Digitius, T. Juventius, M. Caecilius. Quand tout fut prêt, le préteur Cn. Sicinius partit de Rome le harnais sur le dos. et se rendit à Brindes. [28] [1] L'année était près de finir quand le consul C. Popilius revint à Rome: c'était obtempérer un peu tard à l'avis du sénat, qui lui avait enjoint d'accélérer l'élection des magistrats, vu l'imminence d'une guerre si importante. [2] Aussi ne trouva-t-il pas les esprits favorablement disposés quand, dans une séance tenue au temple de Bellone, il exposa sa conduite en Ligurie. [3] C'était à qui l'interromprait par ses cris et lui demanderait pourquoi, après le crime de son frère qui avait opprimé les Ligures, il ne les avait pas, lui, rendus à la liberté. [4] Les comices consulaires eurent lieu le jour que l'édile avait fixé, douze jours avant les calendes de mars. [5] Les consuls élus furent P. Licinius Crassus et C. Cassius Longinus. Le lendemain on créa préteurs C. Sulpicius Galba, L. Furius Philus, L. Canuleius Dives, C. Lucretius Gallus, C. Caninius Rebilus, L. Villius Annalis. [6] Le décret sur les provinces les partagea ainsi pour ces préteurs: on en désigna deux pour rendre la justice à Rome, et trois pour l'Espagne, la Sicile et la Sardaigne: un seul préteur fut affranchi du sort et resta libre et à la disposition du sénat. [7] Les consuls désignés reçurent du sénat, pour le jour où ils entreraient en charge, l'ordre de faire une prière après le sacrifice régulier des grandes victimes, afin que la guerre, qui était dans les projets du peuple romain, eût un heureux succès. [8] Le même jour, décret du sénat enjoignant au consul C. Popilius de faire voeu à Jupiter très bon très grand de dix jours de jeux, et d'offrandes qui seraient présentées à tous les autels, quand la république serait restée dix ans dans le même état. [9] Le consul se conforma à cet avis; il prononça au Capitole le voeu relatif aux jeux et celui des offrandes, aussi considérables que le permettait la somme votée par le sénat, dans une séance où ne se trouvaient présents pas moins de cent cinquante membres. Ce fut sous la dictée du grand pontife, Lepidus, que la formule du voeu fut prononcée. [10] Cette année-là deux prêtres publics moururent; L. Aemilius Papus, décemvir des sacrifices, et le pontife Q. Fulvius Flaccus, qui avait été censeur l'année précédente: [11] la mort de ce dernier est une tache à sa mémoire. De ses deux fils qui servaient dans l'Illyrium, on lui annonça que l'un était mort, et que l'autre était pris d'une grave et dangereuse maladie. [12] Son âme succomba sous le poids du chagrin et de l'inquiétude; et ses esclaves, en entrant le matin dans sa chambre, le trouvèrent pendu. Il avait la réputation, depuis sa censure, de n'avoir plus l'esprit à lui; on disait généralement que Junon Lacinia, dans sa colère, lui avait perverti la raison. [13] Aemilius fut remplacé, comme décemvir, par M. Valerius Messala; et Fulvius, comme pontife, par Cn. Domitius Ahenobarbus, promu bien jeune au sacerdoce. [29] [1] Sous le consulat de P. Licinius et de C. Cassius, ce n'était pas seulement la ville de Rome ni la terre d'Italie, mais tous les rois, toutes les cités de l'Europe et de l'Asie dont l'attention était fixée sur la guerre entre la Macédoine et Rome. [2] Eumène, indépendamment de sa vieille haine, se sentait encore stimulé par le ressentiment tout frais de l'attentat de Delphes, où il avait failli être assommé comme une victime. [3] Prusias, roi de Bithynie, avait décidé d'observer la neutralité et d'attendre l'événement. Il ne pouvait raisonnablement porter les armes contre son beau-frère en faveur des Romains; et il devait, par sa soeur, trouver grâce auprès de Persée vainqueur. [4] Ariarathès, roi de Cappadoce, outre les secours qu'il avait promis aux Romains en son propre nom, était de moitié avec Eumène, depuis qu'il était devenu son parent, dans tous ses projets de paix et de guerre. [5] Antiochus sans doute avait des vues sur la couronne d'Égypte, dédaignant l'enfance du roi et l'incapacité de ses tuteurs; les prétentions qu'il élevait sur la Coelé-Syrie lui semblaient un prétexte de guerre excellent; [6] et il comptait faire cette guerre sans aucun embarras, tandis que les Romains seraient occupés à celle de Macédoine: pourtant il avait fait les plus belles promesses, soit au sénat par ses propres députés, soit personnellement aux députés du sénat. [7] Ptolémée, à cause de son âge, n'avait pas de volonté. Ses tuteurs, tout en se préparant à la guerre contre Antiochus pour défendre la Coelé-Syrie, promettaient tout aux Romains pour la guerre de Macédoine. [8] Masinissa leur fournissait des blés, et il se disposait à envoyer sous leurs drapeaux son fils Misagène, avec des troupes auxiliaires et des éléphants. Ses plans étaient disposés pour toutes les chances de la fortune. [9] Si les Romains étaient vainqueurs, sa situation restait la même, et il n'y avait plus moyen de remuer; car les Romains ne souffriraient pas qu'on opprimât les Carthaginois. [10] Si la puissance romaine succombait, les Carthaginois perdaient leurs protecteurs, et toute l'Afrique était à lui. [11] Gentius, roi des Illyriens, avait mieux réussi à se rendre suspect aux Romains qu'à savoir lui-même le parti qu'il embrasserait; il paraissait plus disposé à se laisser entraîner par sa fougue que conduire par la réflexion vers l'un ou l'autre. [12] Le Thrace Cotys, roi des Odryses, était évidemment pour les Macédoniens. [30] [1] Voilà quelles étaient les dispositions des rois; mais dans les républiques et les pays de liberté, le peuple, presque partout, comme c'est l'habitude, donnait du mauvais côté et penchait pour Persée et les Macédoniens; on pouvait chez les grands distinguer des tendances diverses. [2] Les uns avaient pour les Romains un zèle si outré que l'excessive chaleur qu'ils mettaient à le montrer paralysait leur influence; [3] de ce nombre très peu savaient apprécier dans les Romains la justice du commandement; la majorité voyait, dans les services importants qu'on pouvait nous rendre, un degré pour s'élever dans le sein de sa république. [4] L'autre parti était celui des courtisans du roi, gens que leurs dettes et l'état désespéré de leur fortune, si l'ordre des choses actuelles était maintenu, poussaient dans le torrent des révolutions; parmi eux quelques ambitieux démagogues qui savaient Persée plus populaire. [5] Une troisième opinion, celle des âmes honnêtes et sensées, préférait, dans le cas où le choix d'un maître lui appartiendrait, l'autorité des Romains au sceptre de Persée. [6] En bons politiques, ces hommes, si on les faisait arbitres absolus de leur fortune, éloignaient l'idée de voir l'une des deux puissances s'établir sur les débris de l'autre; ils trouvaient mieux que, sans essayer leurs forces, elles se continssent et donnassent ainsi la paix au pays. Il leur semblait qu'entre ces deux puissances le comble du bonheur, pour les républiques, serait que l'une protégeât toujours le faible contre les entreprises de l'autre. [7] Ceux de cette opinion observaient, silencieux et sereins, la lutte entre les deux partis. [8] Les consuls, le jour de leur entrée en charge, se conformèrent au sénatus-consulte; ils immolèrent les grandes victimes dans tous les temples où le lectisterne a lieu la plus grande partie de l'année; puis, ayant auguré que leurs prières étaient agréées des dieux immortels, ils annoncèrent au sénat qu'ils avaient régulièrement accompli le sacrifice et la prière ait sujet de la guerre de Macédoine. [9] Les haruspices répondirent que si l'on faisait quelque entreprise nouvelle, il fallait se presser; qu'ils présageaient. une victoire, un triomphe, l'accroissement de l'empire. [10] Les sénateurs ordonnèrent que, « pour le salut, le bonheur et la prospérité du peuple romain, les consuls feraient, au premier jour, au peuple réuni en comices par centuries, la proposition suivante: considérant que Persée, fils de Philippe, roi de Macédoine, contrairement au traité fait avec son père Philippe et renouvelé avec lui-même depuis la mort de son père, a porté ses armes chez des alliés du peuple romain, a dévasté leurs campagnes et occupé leurs villes; [11] considérant qu'il a arrêté des projets de préparatifs de guerre contre les Romains, et qu'il a, dans ce but, réuni des armes, des soldats, des vaisseaux; s'il ne donne pas satisfaction à cet égard, plaise au peuple que la guerre lui soit faite. » Cette proposition fut présentée. [31] [1] Puis un sénatus-consulte décida « que les consuls s'arrangeraient à l'amiable ou tireraient au sort pour les provinces d'Italie et de Macédoine; que celui à qui la Macédoine serait échue poursuivrait le roi Persée et ses partisans, s'ils ne donnaient satisfaction au peuple romain, et lui ferait la guerre. » [2] On arrêta aussi une levée de quatre légions, deux pour chaque consul. La province de Macédoine obtint ce privilège qu'au lieu de cinq mille deux cents hommes d'infanterie par légion, qui, selon les anciens statuts, y devaient entrer, on en levât six mille pour la Macédoine; mais les quatre eurent chacune trois cents chevaux. [3] Le contingent des alliés fut aussi augmenté pour un des deux consuls; seize mille hommes d'infanterie et huit cents de cavalerie, indépendamment des six cents cavaliers qu'avait conduits Sicinius, devaient s'embarquer sous ses ordres pour la Macédoine. [4] Pour l'Italie, on jugea qu'il suffisait de douze mille hommes d'infanterie alliée et de six cents de cavalerie. Un second avantage qu'on fit au département de Macédoine, ce fut l'autorisation donnée au consul d'enrôler, à son choix, des centurions et des vétérans, sans dépasser l'âge de cinquante ans. [5] Au sujet des tribuns des soldats il y eut cette année une innovation résultant de la guerre de Macédoine: ce fut la motion faite au peuple par les consuls, en vertu d'un sénatus-consulte, pour que le choix de ces officiers n'eût pas lieu aux suffrages, et qu'on l'abandonnât à la volonté et au libre arbitre des consuls et des préteurs. [6] Voici de quelle manière les commandements furent distribués aux préteurs. Le préteur que le sort avait désigné pour se rendre où un avis du sénat l'aurait envoyé, [7] fut chargé d'aller rejoindre la flotte à Brindes, d'y passer en revue les équipages, de congédier ceux qui pourraient lui paraître impropres au service, de les remplacer par des fils d'affranchis, et de faire en sorte qu'il y eût deux tiers de citoyens romains et un tiers d'alliés. [8] Quant aux grains qu'on aurait à demander à la Sicile et à la Sardaigne pour la flotte et les légions, on décida d'en donner le mandat aux préteurs qui avaient obtenu ces provinces au sort: ils imposeraient une seconde dîme aux Siciliens et aux Sardes, et ces grains seraient portés à l'armée de Macédoine. [9] La Sicile échut à C. Caninius Rebilus, la Sardaigne à L. Furius Philus, l'Espagne à L. Canuleius Dives, la juridiction urbaine à C. Sulpicius Galba, et à L. Villius Annalis celle des étrangers. Le sort mit à la disposition du sénat C. Lucretius Gallus. [32] [1] Il y eut entre les deux consuls un débat plus plaisant que sérieux au sujet de la province. Cassius disait « qu'il prendrait la Macédoine sans tirer au sort, et que son collègue ne pouvait, sans violer un serment, prendre part au tirage avec lui; [2] car il avait, étant préteur, afin de ne pas partir pour sa province, juré, en pleine assemblée du peuple, qu'il avait des sacrifices à célébrer en lieu et à jours fixes, ajoutant que sa présence y était nécessaire. [3] Si le sénat jugeait qu'il ne fallait pas faire plus d'attention à ce que Licinius désirait étant consul qu'à ce qu'il avait juré étant préteur, lui, Cassius, se mettait toutefois à la discrétion du sénat. » [4] Les sénateurs se consultèrent, et, pensant qu'il serait tyrannique de refuser la province à l'homme auquel le peuple romain n'avait pas refusé le consulat, ils ordonnèrent aux consuls de procéder au tirage. Ce fut P. Licinius qui eut la Macédoine et C. Cassius l'Italie. [5] Ensuite ils tirèrent au sort les légions; ce fut la première et la troisième qui durent passer en Macédoine; la seconde et la quatrième rester en Italie. [6] Licinius enrôlait aussi les vétérans et les centurions, et beaucoup venaient s'offrir d'eux-mêmes, parce qu'ils voyaient riches ceux qui avaient servi dans la première guerre de Macédoine et contre Antiochus en Asie. [7] Comme les tribuns des soldats appelaient sous les drapeaux les centurions, mais sans choix, il y en eut vingt-trois, anciens primipiles, qui invoquèrent les tribuns du peuple. Deux de ces magistrats, M. Fulvius Nobilior et M. Claudius Marcellus renvoyaient l'affaire aux consuls: [8] « C'était, disaient-ils, aux consuls d'en connaître, aux consuls, qui étaient chargés de la levée des hommes et de la guerre. Les autres annonçaient l'intention d'en connaître, et, s'il y avait eu abus, de prêter leur appui aux citoyens qui l'avaient invoqué. [33] [1] L'affaire se plaidait devant le siège des tribuns. Là se présentèrent le consulaire M. Popilius, comme défenseur, les centurions et le consul. [2] Sur la demande du consul, qui désirait que l'affaire fût plaidée devant le peuple, le peuple fut réuni en assemblée. La cause des centurions fut soutenue par M. Popilius, qui avait été consul deux ans avant, et voici sa défense: [3] « Ces guerriers avaient fait leur temps; l'âge et les fatigues continuelles avaient d'ailleurs usé leurs corps. Ils ne se refusaient pourtant pas à servir la république. Tout ce qu'ils demandaient c'était d'être maintenus dans les mêmes grades qu'ils avaient occupés lorsqu'ils étaient sous les drapeaux. » [4] Le consul P. Licinius fit lire les sénatus-consultes: d'abord celui qui déclarait la guerre à Persée; ensuite celui qui ordonnait l'appel, pour cette guerre, du plus grand nombre que l'on pourrait d'anciens centurions, ne libérant que ceux qui passaient cinquante ans. [5] Il pria ensuite « qu'on voulût bien, pour une guerre toute nouvelle, si rapprochée de l'Italie, contre un si puissant roi, ne pas gêner les tribuns des soldats dans la levée des hommes, ni empêcher le consul d'assigner à chacun le rang qu'il croirait devoir lui donner dans l'intérêt public. S'il se présentait quelque doute à cet égard, il proposait de renvoyer l'affaire au sénat. » [34] [1] Lorsque le consul eut dit ce qu'il voulait, Sp. Ligustinus, un de ceux qui avaient invoqué l'appui des tribuns, demanda aux consuls et aux tribuns la faveur de présenter au peuple une courte défense. [2] La permission lui fut accordée, et voici le langage qu'on lui a prêté: « Vous voyez devant vous, Romains, Sp. Ligustinus, de la tribu Crustumina, et originaire du pays des Sabins. Mon père m'a laissé un arpent de terre et un pauvre réduit, lieu de ma naissance et de mon éducation, ma demeure aujourd'hui encore. [3] Dès que j'eus l'âge, mon père me fit épouser sa nièce; pour toute dot elle m'apporta sa liberté et sa pudeur; de plus, une fécondité à combler tous les voeux, même d'une maison riche. [4] Nous avons six fils et deux filles, toutes deux déjà mariées. Quatre de nos fils ont déjà la robe virile, deux n'ont que la prétexte. [5] Je fus fait soldat sous le consulat de P. Sulpicius et de C. Aurelius. J'ai fait partie de l'armée qui fut embarquée pour la Macédoine, et pendant deux ans j'ai fait, comme simple soldat, la guerre contre Philippe; la troisième année ma valeur me fit assigner, par T. Quinctius Flamininus, le dixième hastat. [6] Après la défaite de Philippe et des Macédoniens, époque où nous fûmes rembarqués pour l'Italie, et licenciés, je repris sur-le-champ du service comme volontaire et je partis pour l'Espagne avec le consul M. Porcius. [7] De tous les généraux aujourd'hui vivants, il n'en est pas de plus juste appréciateur et de meilleur juge du mérite, au vu et au su de tous ceux que de longs services ont mis à même de le comparer avec ses pareils. C'est là l'homme qui me trouva digne d'occuper le premier hastat de la première centurie. [8] Je partis une troisième fois comme volontaire pour l'armée qu'on envoya contre les Étoliens et le roi Antiochus. M'. Acilius me plaça au premier princeps de la première centurie. [9] Après l'expulsion d'Antiochus et la soumission des Étoliens, nous fûmes rembarqués pour l'Italie, et depuis ce temps-là j'ai fait deux fois le service annuel des légions. Après cela j'ai porté les armes deux ans en Espagne; une fois sous Q. Fulvius Flaccus, ensuite sous le préteur Ti. Sempronius Gracchus. [10] Flaccus me mit au nombre de ceux qu'il emmenait, en raison de leur bravoure, pour accompagner son triomphe. Sur les instances de Ti. Gracchus je me rendis dans sa province. [11] Dans l'espace d'un petit nombre d'années je fus quatre fois primipile. J'ai obtenu de mes généraux trente-quatre prix de bravoure; j'ai gagné six couronnes civiques. J'ai vingt-deux campagnes et plus de cinquante ans d'âge. [13] Quand je n'aurais pas mérité le repos, quand mon âge ne me dispenserait pas, pourtant, comme je puis, P. Licinius, vous donner quatre soldats à ma place, il eût été juste de me donner mon congé. [13] Voilà ce que j'avais à vous prier d'entendre pour la cause que je représente; quant à moi, tant qu'un officier chargé de levées me trouvera bon pour le service, jamais je ne m'en excuserai. [14] C'est aux tribuns des soldats de voir quel rang ils me jugent capable d'occuper; je ferai en sorte que personne ne me surpasse pour la bravoure. C'est ce que j'ai toujours fait, mes chefs et ceux qui ont servi sous les mêmes drapeaux que moi m'en sont témoins. [15] Et vous, mes camarades, bien que vous fassiez usage pour vous du droit d'appel, vous qui, plus jeunes, n'avez jamais rien fait contre l'autorité des magistrats et du sénat, vous devez encore aujourd'hui vous mettre à la discrétion du sénat et des consuls, et trouver toutes les places honorables, lorsqu'on y est pour défendre sa patrie. » [35] [1] Ces paroles lui valurent toute sorte d'éloges de la part du consul qui, de l'assemblée du peuple, le conduisit devant le sénat. [2] Là des remerciements lui furent faits aussi au nom du sénat; et les tribuns des soldats, par égard pour sa vaillance, lui assignèrent le rang de primipile dans la première légion. Les autres centurions renoncèrent à leur opposition et se soumirent avec docilité au recrutement. [3] Afin de hâter le départ des magistrats pour leurs provinces, les féries latines furent célébrées le jour des calendes de juin; et, cette solennité terminée, le préteur C. Lucretius, après avoir fait prendre les devants à tout ce qui était nécessaire pour sa flotte, se dirigea sur Brindes. [4] Outre les armées que formaient les consuls, le préteur C. Sulpicius Galba eut commission de lever quatre légions urbaines, l'infanterie et la cavalerie au complet, et de choisir dans le sénat quatre tribuns des soldats pour en prendre le commandement; [5] il devait demander aux alliés du Latium quinze mille hommes d'infanterie et douze cents de cavalerie. Cette armée devait être prête à marcher sur un ordre du sénat. [6] Le consul P. Licinius réclamant pour son armée, composée de nationaux et d'alliés, l'adjonction de troupes auxiliaires, on lui donna deux mille Ligures, des archers crétois dont on ne précisait pas le nombre - ce que la Crète en aurait envoyé sur notre demande; puis des cavaliers et des éléphants de Numidie. [7] À cet effet des délégués furent envoyés à Masinissa et aux Carthaginois; ce furent L. Postumius Albinus, Q. Terentius Culleo, C. Aburius. On décida aussi d'en envoyer trois en Crète; A. Postumius Albinus, C. Decimius, A. Licinius Nerva. [36] [1] À la même époque il vint des ambassadeurs du roi Persée. On décida de ne les pas introduire en ville, attendu que déjà la guerre avec leur roi et les Macédoniens avait été décidée par un décret du sénat et par un ordre du peuple. [3] Admis devant le sénat, dans le temple de Bellone. ils s'exprimèrent en ces termes: « Le roi Persée se demande avec étonnement pourquoi ces armées embarquées pour la Macédoine? [3] Si le sénat pouvait se résoudre à les rappeler, le roi donnerait au sénat toutes les satisfactions qu'il voudrait pour le mal qu'il aurait fait aux alliés, si on lui faisait ce reproche » [4] Sp. Carvilius, envoyé de Grèce tout exprès par Cn. Sicinius, était alors dans le sénat. Il dénonça l'attaque, à main armée, de la Perrhébie, la prise de quelques villes de Thessalie, et d'autres entreprises exécutées ou préparées par le roi; les députés furent invités à lui répondre. [5] Comme ils hésitaient, disant que leur mandat n'avait pas plus de latitude, on les chargea d'aller dire au roi que le consul Licinius serait bientôt en Macédoine avec une armée. [6] Qu'à lui devraient s'adresser ses députés s'il avait quelque satisfaction à offrir; qu'il n'y avait plus de raison pour en envoyer à Rome; qu'on n'en laisserait aucun traverser l'Italie. [7] Voilà comment on les congédia, et on ordonna au consul Licinius de leur donner onze jours pour quitter l'Italie, et d'envoyer Sp. Carvilius pour les surveiller jusqu'à leur embarquement. [8] Voilà ce qui se passa à Rome, avant le départ des consuls pour leurs provinces. Déjà Cn. Sicinius qui, avant de se démettre, avait pris les devants et s'était rendu à Brindes près de la flotte et de l'armée, avait fait passer en Épire cinq mille hommes d'infanterie et trois cents de cavalerie, et avait ses quartiers près de Nymphaea sur le territoire d'Apollonie. [9] De ce point il envoya des tribuns avec deux mille hommes pour occuper les châteaux des Dassarètes et des Illyriens, qui réclamaient eux-mêmes des garnisons pour être mieux à l'abri des incursions des Macédoniens leurs voisins. [37] [1] Peu de jours après, Q. Marcius, A. Atilius, P. et Ser. Cornelius Lentulus, et L. Decimius, envoyés en Grèce comme délégués, conduisirent à Corcyre avec eux mille hommes d'infanterie: ce fut là qu'ils se partagèrent les contrées qu'ils avaient à visiter et les soldats de leur escorte. [2] L. Decimius fut envoyé à Gentius, roi des Illyriens; il devait, s'il trouvait encore chez lui quelques dispositions amicales, chercher à le gagner et même à l'entraîner, pour la guerre projetée, dans l'alliance du peuple romain. [3] Les Lentulus furent dirigés sur Céphallénie, pour passer dans le Péloponnèse et longer les côtes, dans la direction de l'occident, avant l'hiver. [4] Marcius et Atilius eurent à visiter l'Épire, l'Étolie et la Thessalie; puis à jeter un regard sur la Béotie et l'Eubée, pour passer de là dans le Péloponnèse. Ils donnent là rendez-vous aux Lentulus. [5] Ils n'avaient pas quitté Corcyre qu'une dépêche leur fut remise de la part de Persée, qui demandait quels motifs avaient les Romains de faire passer des troupes en Grèce, et d'en occuper les villes. [6] On décida de ne pas lui faire de réponse par écrit, mais de dire de vive voix au messager, porteur de la dépêche, que les Romains le faisaient pour avoir garnison dans ces villes mêmes. [7] Les Lentulus parcourant les villes du Péloponnèse, et encourageant toutes les cités, sans distinction, à déployer contre Persée le même zèle qu'elles avaient mis à seconder les Romains dans la guerre de Philippe d'abord, et ensuite dans celle d'Antiochus, n'étaient accueillis dans les assemblées que par des murmures: [8] c'étaient les Achéens qui s'indignaient, eux qui, dès le principe de la guerre de Macédoine, avaient prêté secours aux Romains, et dans la guerre de Philippe avaient été les ennemis des Macédoniens, de n'être pas mieux traités que les Messéniens et les Éliens, qui avaient porté, pour Antiochus, les armes contre le peuple romain: [9] récemment admis dans la ligue achéenne, ils se plaignaient d'avoir été livrés aux Achéens vainqueurs comme prix de la lutte. [38] [1] Marcius et Atilius montant à la ville de Gitana, en Épire, à dix milles de la mer, y réunirent les Épirotes, et se firent écouter de l'assemblée avec un assentiment unanime. On leur donna quatre cents hommes de la jeunesse du pays, qui furent placés chez les Orestes pour tenir garnison dans cette ville, que les délégués avaient affranchie du joug des Macédoniens. [2] Ils passèrent de là en Étolie et n'y demeurèrent que peu de jours, jusqu'à ce qu'on eût pourvu au remplacement du préteur qui était mort: aussitôt après la nomination de Lyciscus, dont les bonnes dispositions en faveur des Romains étaient assez connues, ils passèrent en Thessalie. Là vinrent les députés des Acarnaniens et les exilés des Béotiens. [3] Les Acarnaniens eurent ordre de représenter qu'une occasion s'offrait, pour le peuple, de réparer les torts qu'ils avaient eus envers le peuple romain, d'abord dans la guerre de Philippe, ensuite dans celle d'Antiochus, dont les promesses les avaient déçus. [4] Si, malgré leurs torts, ils avaient éprouvé la clémence du peuple romain, ils pouvaient, par des services, éprouver sa libéralité. [5] On reprocha aux Béotiens l'alliance qu'ils avaient faite avec Persée. Ils répliquèrent que la faute en était à Isménias, chef du parti opposé, et que quelques villes, tout en le désapprouvant, s'étaient laissé entraîner à ses suggestions; c'est ce qu'on verra, dit Marcius, quand chaque ville va être mise en demeure de décider elle-même de son sort. » [6] Les Thessaliens furent réunis à Larissa. Les Thessaliens eurent là la plus heureuse occasion de remercier les Romains du don de la liberté, et les députés de rendre grâce aux Thessaliens de l'aide énergique qu'on avait trouvé chez eux d'abord dans la guerre de Philippe, et puis dans celle d'Antiochus. [7] Ces souvenirs de services réciproquement rendus portèrent la multitude à décréter, dans son enthousiasme, tout ce que les Romains voulurent. [8] À l'issue de cette réunion il vint des députés de la part de Persée, réclamant surtout le bénéfice des rapports d'hospitalité qui existaient entre son père et celui de Marcius. Après avoir rappelé d'abord cette liaison, les députés en prirent occasion de solliciter pour leur roi une conférence. [9] Marcius répondit « qu'il avait, en effet, entendu dire à son père qu'il avait eu Philippe pour hôte et pour ami; qu'il n'avait pas du tout oublié cette liaison, lorsqu'il se chargeait de l'ambassade; [10] que, s'il eût été bien portant, la conférence n'eût souffert aucun délai: qu'aussitôt qu'il se sentirait mieux il se rendrait, avec son collègue, aux bords du Pénée, sur la route qui va d'Homolium à Dium, après avoir envoyé au roi des courriers lui annonçant son arrivée ». [39] [1] Persée part alors de Dium et rentre dans l'intérieur de ses États, se flattant d'un léger espoir, Marcius ayant dit que c'était à cause de lui personnellement qu'il s'était chargé de la députation. Au bout de peu de jours ils vinrent au rendez-vous fixé. [2] Le roi avait une nombreuse escorte, composée tant de ses amis que des soldats de sa garde. L'entourage des députés romains n'était pas moins nombreux; beaucoup de monde les accompagna de Larissa, ainsi que les députés des villes qui s'étaient trouvés à Larissa, et qui voulaient rapporter chez eux des nouvelles positives de la conférence à laquelle ils auraient assisté. [3] Ils éprouvaient aussi cette curiosité, si naturelle à l'homme, de voir s'aboucher un prince illustre avec les députés du premier peuple de l'univers. [4] Quand ils furent en présence, n'ayant plus que le fleuve qui les séparât, il y eut quelques instants d'hésitation et de pourparler, pour savoir qui passerait l'eau. Les uns revendiquaient les droits de la majesté royale, les autres réclamaient pour le nom du peuple romain, et rappelaient de plus que c'était Persée qui avait demandé l'entrevue. [5] Une plaisanterie de Marcius décida cette question d'étiquette. « C'est au plus jeune, dit-il, de venir trouver son aîné; et [vu qu'il s'appelait lui-même Philippe] c'est au fils de faire les premiers pas vers son père. » [6] On n'eut pas de peine à le faire entendre au roi. Un autre embarras se présentait ensuite; avec combien de personnes passerait-il? Le roi jugeait convenable de passer avec toute sa suite; les députés voulaient qu'il n'eût que trois personnes avec lui, ou que, s'il se faisait suivre de tout ce monde, il donnât des otages qui garantiraient l'entière loyauté de l'entrevue. [7] Il donna comme otages Hippias et Pantauchus, qui avaient été ses parlementaires et qui tenaient le premier rang dans son amitié. Ce n'était pas tant comme gages de sa foi qu'on avait exigé de lui des otages, que pour faire voir aux alliés que ce n'était pas du tout sur le pied de l'égalité qu'avait lieu l'entrevue du roi et de nos commissaires. [8] On s'aborda, non pas en ennemis, mais avec toute la bienveillance qui convient à des hôtes; des sièges furent avancés et l'on s'assit. [40] [1] Après un moment de silence: « Vous attendez, je le suppose, dit Marcius, que nous répondions à la dépêche que vous nous avez fait remettre à Corcyre; vous y demandez pourquoi, simples commissaires, nous sommes venus avec des troupes, et pourquoi nous envoyons des garnisons dans toutes les villes? [2] Votre question m'embarrasse; ce serait de l'orgueil que de n'y pas répondre, et une réponse sincère pourrait, je le crains, blesser votre oreille. [3] Mais il faut que la parole ou l'épée venge la rupture des traités: et, bien que j'eusse mieux aimé voir confier à tout autre qu'à moi le soin de vous faire la guerre, je me résignerai à tenir à mon hôte le langage sévère que je lui dois, comme les médecins, quand, pour sauver notre corps, ils ont recours à des remèdes douloureux. [4] Depuis votre avènement vous n'avez fait qu'une chose qui fût à faire, c'était d'envoyer des députations pour renouveler l'alliance; mais il eût mieux valu ne pas la renouveler que la violer après l'avoir jurée une seconde fois: voilà ce que pense le sénat. [5] Abrupolis était l'allié et l'ami du peuple romain; vous l'avez détrôné. Arthétaurus, celui de tous les princes illyriens qui était le plus fidèle au nom romain, meurt assassiné; vous recevez ses meurtriers, comme si sa mort avait, pour ne rien dire de plus, comblé vos voeux. [6] Vous avez, contrairement au traité, traversé avec une armée la Thessalie et le territoire de Malia pour vous rendre à Delphes; vous avez aussi malgré les traités envoyé des secours aux Byzantins. Vous avez conclu, sous le sceau du serment, une alliance à part, une alliance illicite, avec les Béotiens nos alliés. [7] Les députés thébains, Eversa et Callicritus, qui venaient de notre part, ont été assassinés, j'aime mieux demander par qui, que de le dire. La guerre intestine en Étolie et le meurtre des grands du pays, à qui, sinon à vos émissaires, peut-on les attribuer? Le pays des Dolopes, c'est vous-mêmes qui l'avez ravagé. [8] Le roi Eumène, revenant de Rome dans ses états, a failli être immolé à Delphes, sur le territoire sacré, comme une victime devant les autels; et ma langue se refuse à nommer celui qu'il accuse. [9] Tous les attentats occultes que dévoile notre hôte de Brindes, j'ai la certitude qu'on vous les a tous reprochés dans les lettres qui vous ont été écrites de Rome, et que vos députés vous les ont rapportés. [10] Pour m'empêcher d'articuler ces faits, vous n'aviez qu'un moyen, c'était de ne pas me demander pourquoi nous faisions passer des armées en Macédoine, et pourquoi nous mettions des garnisons dans les villes de nos alliés. Il y aurait eu plus de fierté à laisser votre demande sans réponse, qu'à vous en donner une sincère. [11] Quant à moi, je me souviendrai de l'hospitalité qui rapprocha nos pères, en écoutant vos paroles, et je désire que vous me fournissiez des motifs pour plaider votre cause devant le sénat. » [41] [1] À quoi Persée répliqua: « Ma cause serait bonne, plaidée devant des juges impartiaux; et vous êtes juges et parties. [2] Des actions dont on me fait des crimes, il en est dont je devrais être fier peut-être; d'autres que je confesserais sans rougir; d'autres sur lesquelles je réponds à un oui par un non. [3] Pourquoi, si vous instruisez mon procès d'après vos lois, les griefs du dénonciateur de Brindes ou du roi Eumène seraient-ils plutôt à vos yeux une accusation réelle qu'un propos calomnieux? [4] Eumène, sur qui pèsent tant de haines publiques et privées, n'a-t-il d'ennemi que moi? et moi, dans mes criminels projets, m'était-il impossible de trouver d'autres bras à employer que celui d'un Rammius, que je n'avais jamais vu et que je ne devais voir jamais? [5] On me demande compte des Thébains, victimes avérées d'un naufrage; on me demande compte du meurtre d'Arthétaurus; et pourtant tout ce qu'on y voit, c'est que ses assassins se sont exilés dans mes états. [6] J'accepte l'accusation si vous admettez aussi que, toutes les fois que des exilés se rendent en Italie ou à Rome, ils sont autorisés à faire remonter jusqu'à vous les crimes qui ont motivé leur condamnation. [7] Si vous reculez devant cette conséquence, vous et toutes les nations, je prétends être compris dans le nombre. Et, par Hercule, qu'entend-on en disant que l'exil est libre, si l'exilé se voit fermer tout l'univers? [8] Toutefois, dès qu'un avis émané de vous m'apprit qu'ils étaient en Macédoine, je les fis chercher et leur interdis à tout jamais l'entrée de mes États. [9] Voilà les accusations auxquelles j'avais à répondre, comme un inculpé devant ses juges: passons aux différends que j'ai avec vous, comme roi, sur les clauses de notre traité, et discutons. [10] Si le traité portait en effet que je ne pourrais pas même défendre ma personne et mon trône contre un agresseur, je dois avouer qu'en repoussant l'agression d'Abrupolis, allié du peuple romain, j'ai violé le traité. [11] Mais, si le traité le permettait, si d'ailleurs le droit des gens permet à tout le monde de repousser la force par la force, qu'avais-je à faire lorsque Abrupolis avait ravagé les frontières de mes états jusqu'à Amphipolis, et enlevé une foule de personnes libres, un grand nombre d'esclaves et des bestiaux par milliers? [12] Fallait-il demeurer en paix et tout souffrir jusqu'à ce qu'il fût entré, les armes à la main, dans Pella et jusque dans mon palais? je lui ai fait une guerre légitime; mais sans doute il ne fallait pas qu'il fût vaincu ni qu'il souffrît le sort ordinaire des vaincus: quoi? lorsque j'ai eu de pareilles conséquences à subir, moi qui repoussais l'agression, de quel malheur a droit de se plaindre celui qui fut l'agresseur? [13] Je ne ferai pas valoir les mêmes motifs, Romains, pour justifier la répression que mes armes ont exercée à l'égard des Dolopes; ils étaient mes sujets, compris dans les États que votre décret attribua à mon père. [14] S'il fallait rendre compte de ma conduite, ce ne serait pas vous ni vos alliés, mais seulement ceux qui blâment la sévérité et l'injustice, même à l'égard des esclaves, qui pourraient trouver ma sévérité excessive et tyrannique; car ils ont fait mourir Euphranor, que je leur avais donné pour gouverneur, avec tant de cruauté, que la mort même fut le moindre de ses maux. » [42] [1] « De là je poussai jusqu'à Larissa, Antrones et Ptéléon, villes que j'avais à visiter, et, rapproché ainsi de Delphes où j'avais à accomplir un voeu déjà ancien, j'y montai sacrifier. [2] Ici, pour me charger, on ajoute que j'avais mon armée, apparemment pour faire ce que je vous reproche aujourd'hui, pour m'emparer des villes, pour y mettre des garnisons. [3] Réunissez en assemblée toutes les cités de la Grèce que j'ai traversées; qu'un seul particulier dénonce un seul mauvais traitement de la part de mes troupes, et j'avouerai aussitôt que le sacrifice n'était que feint, et qu'il cachait un autre but. [4] Nous avons envoyé des corps de troupes aux Étoliens et aux Byzantins, et fait amitié avec les Béotiens. Ces mesures, quelque importance qu'on y attache, mes députés les ont, plus d'une fois, non seulement exposées, mais encore justifiées dans votre sénat, où j'avais des antagonistes moins bien disposés que vous, Q. Marcius, qui êtes l'hôte de mon père; [5] mais c'est qu'à Rome n'était pas encore arrivé Eumène, pour attiser chez vous, à force de calomnies et d'interprétations forcées, le soupçon et la haine, et s'efforcer de vous convaincre que la Grèce ne peut pas être en liberté et jouir des effets de votre bienveillance, tant que le royaume de Macédoine subsistera. [6] On achèvera le tour du cercle, et l'on verra bientôt quelqu'un venir dire qu'en vain avez-vous fait reculer Antiochus au-delà du Taurus, qu'Eumène tyrannise l'Asie plus que ne faisait Antiochus, et que vos alliés n'auront pas de repos tant qu'il y aura une cour à Pergame: que cette cour est une citadelle de tyrannie qui pèse sur la tête de tous les états voisins. [7] Pour moi, Q. Marcius, A. Atilius, je sais que l'effet des griefs que vous m'avez opposés, ainsi que ma justification, doivent dépendre de la délicatesse de l'oreille et des dispositions intérieures de ceux qui m'écoutent: que la difficulté n'est pas de savoir ce que j'ai fait, ni dans quelle intention, mais comment vous le prendrez. [8] J'ai la conscience de n'avoir sciemment commis aucune faute: si j'en ai commis par inadvertance, voilà une réprimande capable de redresser et de purifier ma conduite. [9] Pour ma part rien d'irrémédiable, aucun méfait qui puisse vous déterminer à prendre les armes pour le punir: ce serait bien à tort que la renommée de votre clémence et de votre profonde sagesse se serait répandue chez tous les peuples, si pour de tels motifs, à peine faits pour motiver des plaintes et une enquête, vous prenez les armes et déclarez la guerre aux rois vos alliés. » [43] [1] Marcius, approuvant alors ce langage, lui conseilla d'envoyer des députés à Rome, dans la pensée qu'il fallait aller jusqu'au bout, essayer tous les moyens et ne renoncer à aucun espoir. Le reste de leur entretien n'eut d'autre objet que de procurer aux envoyés toute sûreté pour leur voyage. [2] Ce but ne semblait pouvoir être atteint que par une demande de trêve; Marcius le désirait, et n'avait pas eu d'autre intention en prenant rendez- vous; il fit cependant des difficultés pour ce rendez-vous et ne parut l'accorder que par considération pour le roi. [3] Les Romains, en effet, n'étaient pas suffisamment en mesure, n'avaient point d'armée, point de général prêt; tandis que Persée [si un vain espoir de paix n'eût aveuglé sa politique] avait fait toutes ses dispositions, préparé toutes ses ressources et pouvait choisir, pour commencer la guerre, l'instant le plus commode pour lui, le plus désavantageux pour ses ennemis. [4] Après cet entretien, les députés romains, qui avaient offert au roi la garantie d'une trêve, se rendirent en Béotie. [5] Déjà quelques mouvements avaient éclaté dans ce pays par la retraite de quelques peuples de la ligue qui unissait les Béotiens, retraite qu'avait motivée la réponse des députés; ceux-ci ayant dit, comme on sait, qu'on verrait bien quels étaient les peuples qui avaient de la répugnance à se dévouer corps et âme au parti du roi. [6] Ce fut de Chéronée d'abord, puis de Thèbes, que des députés vinrent à leur rencontre dans le chemin même, pour affirmer qu'ils n'avaient pas été présents à la séance où cette alliance avait été décrétée: les députés, sans leur faire de réponse sur le moment, leur ordonnèrent de les suivre à Chalcis. [7] À Thèbes, une autre discussion avait donné lieu à de vifs débats. Le parti qui avait été vaincu dans les élections des préteurs Béotiens, ameuta la multitude et promulgua à Thèbes un décret portant défense aux villes de recevoir les Béotarques. [8] Les exilés se retirèrent en masse à Thespies; de là [car ils avaient été reçus à bras ouverts], ils sont rappelés à Thèbes où l'on avait depuis changé d'avis, et rédigent un décret qui punissait de l'exil les douze individus qui, sans caractère public, avaient tenu assemblée et délibéré. [9] Ensuite le nouveau préteur, Isménias, homme noble et puissant, publie un décret qui les condamne à mort par contumace. Ils s'étaient réfugiés à Chalcis; puis de là, étant allés joindre les Romains à Larissa, ils accusent Isménias de l'alliance conclue avec Persée, et racontent la lutte issue de ce débat. [10] Toutefois des députés des deux partis se présentèrent devant les Romains, les exilés, accusateurs d'Isménias, et Isménias lui-même. [44] [1] Quand ils furent arrivés à Chalcis, les chefs des autres états, d'un mouvement spontané et fait pour charmer les Romains, renoncèrent, par décrets individuels, à l'alliance du roi, et se rapprochèrent des Romains; Isménias trouvait bon que la nation béotienne se mît à la discrétion de Rome. [2] Il en résulta une discussion telle que, s'il n'eût cherché un refuge dans le tribunal des commissaires, il allait être mis à mort par les exilés et leurs partisans. [3] Thèbes même, capitale de la Béotie, était en proie à l'agitation la plus vive, les uns penchant du côté du roi, les autres du côté des Romains. [4] Il s'était même formé un rassemblement de gens de Coronée et d'Haliarte pour la défense du décret d'alliance avec le roi. Mais les chefs tinrent bon; et en démontrant, par la défaite de Philippe et celle d'Antiochus, toute la force et la fortune de Rome, ils convainquirent cette multitude; ils la firent renoncer par décret à l'alliance du roi, et envoyer à nos députés à Chalcis ceux qui s'étaient montrés partisans de notre alliance, pour leur donner satisfaction et pour recommander l'état à la loyale protection des commissaires. [5] Marcius et Atilius entendirent les Thébains avec joie; et leur conseillèrent, comme aux autres individuellement, d'envoyer des commissaires à Rome pour renouveler amitié. [6] Avant tout ils exigèrent le rétablissement des exilés, émirent un décret qui condamnait les partisans d'une alliance avec le roi. Leur but principal ainsi atteint, et l'assemblée des Béotiens dissoute, ils partent pour le Péloponnèse: ils avaient appelé Ser. Cornelius à Chalcis. [7] C'est à Argos qu'ils furent admis dans l'assemblée; ils n'y demandèrent à la nation achéenne qu'un contingent d'un millier d'hommes. [8] Cette troupe fut envoyée à Chalcis pour y tenir garnison, jusqu'à ce que l'armée romaine fût transportée en Grèce. Marcius et Atilius avaient accompli leur mission: ils quittèrent la Grèce à l'entrée de l'hiver et revinrent à Rome. [45] [1] À la même époque une commission fut envoyée en Asie pour visiter les îles. [2] Elle se composait de trois membres: Ti. Claudius, Sp. Postumius, M. Junius. Ils consacrèrent cette tournée à solliciter les alliés à entreprendre la guerre avec les Romains contre Persée, proportionnant l'activité de leurs démarches à l'importance des villes, dans la pensée que les petites subiraient l'influence des grandes. [3] On attachait surtout un grand intérêt à l'accession des Rhodiens, qui pouvaient être non seulement des partisans, mais des auxiliaires utiles et puissants à la guerre, avec les quarante vaisseaux qu'ils avaient équipés par le conseil d'Hégésiloque. [4] Placé à la tête de l'état [ce qu'ils appellent la prytanie], il avait, à force d'arguments, persuadé aux Rhodiens de renoncer à un espoir dont ils avaient plus d'une fois reconnu la vanité, celui de soutenir les rois, et de s'en tenir à l'alliance romaine, la seule au monde dont la puissance et la loyauté offrissent des garanties. [5] « La guerre avec Persée est imminente; les Romains voudront pouvoir compter sur un aussi grand appareil de forces navales que celui qu'ils ont déployé dernièrement contre Antiochus et contre Philippe. [6] On se tourmentera pour préparer l'escadre au moment où il eût fallu l'expédier, à moins qu'on ne se mette à radouber les bâtiments, à les pourvoir d'équipages. Il y fallait mettre d'autant plus de zèle qu'on réfuterait par des faits les délations d'Eumène. » [7] Ce raisonnement les décida; et, quand les commissaires romains arrivèrent, on leur montra une flotte de quarante voiles équipée et montée, de manière à leur faire voir qu'on n'avait pas attendu leur exhortation. [8] Cette commission contribua puissamment à ramener les esprits des villes d'Asie. Il n'y eut que Decimius qui revint à Rome sans avoir réussi à rien; et même entaché du soupçon d'avoir eu la bassesse de recevoir de l'argent des princes d'Illyrie. [46] [1] Persée, rentré en Macédoine à l'issue de sa conférence avec les Romains, envoya des députés à Rome pour y traiter de la paix sur les préliminaires ouverts avec Marcius, et remit des dépêches à ceux qu'il envoyait à Byzance et à Rhodes. [2] Toutes ces lettres portaient uniformément qu'il avait eu une conférence avec les Romains. Il donnait aux demandes et aux réponses un ton à laisser croire que, dans la discussion, tous les avantages avaient été de son côté. [3] Devant les Rhodiens les députés ajoutèrent: « qu'ils comptaient sur la paix: qu'en effet des commissaires avaient été envoyés à Rome d'après le conseil de Marcius et d'Atilius. Si les Romains, en dépit des traités, persistaient dans leurs dispositions belliqueuses, les Rhodiens auraient à employer tout leur crédit, tous leurs efforts pour ramener la paix: [4] si leurs prières n'avaient point de succès, ils devraient veiller à ce que tout l'univers ne tombât pas dans la dépendance d'un seul peuple. Si d'autres y étaient intéressés, à plus forte raison les Rhodiens qui, pour la grandeur et la puissance, marchent en tête des républiques: ils ne doivent attendre que sujétion et asservissement, une fois qu'il n'y aura plus de recours ouvert que du côté de Rome. » [5] La lettre et les explications des députés trouvèrent plus de bienveillante attention qu'elles n'exercèrent d'influence réelle sur les esprits: ils ne changèrent pas; le parti de la sagesse commençait à fonder son autorité. [6] On répondit, en vertu d'un décret: « Que les Rhodiens désiraient la paix; qu'en cas de guerre le roi n'avait rien à attendre des Rhodiens, rien à leur demander qui fût en état de dissoudre leur vieille amitié pour les Romains, établie sur tant de services importants rendus en temps de paix comme en temps de guerre. [7] À leur retour de Rhodes ils visitèrent aussi les cités de Thèbes, de Coronée et d'Haliarte; parce qu'on pensait que c'était malgré elles qu'on les avait fait renoncer à l'alliance du roi pour s'attacher aux Romains. [8] Les Thébains furent inébranlables, bien que la condamnation de leurs chefs et la rentrée des exilés les eurent indisposés contre Rome. [9] Ceux de Coronée et d'Haliarte, dévoués d'instinct au parti du roi, envoyèrent des députés en Macédoine demander une garnison qui pût les mettre à l'abri de l'intolérable despotisme des Thébains. [10] Le roi répondit à cette députation qu'il ne pouvait pas envoyer de garnison, en raison de sa trêve avec les Romains: qu'il leur conseillait toutefois de se garantir, comme ils le pourraient, des insultes des Thébains, sans pourtant offrir aux Romains de prétexte de sévir contre eux. [47] [1] Marcius et Atilius, arrivés à Rome, rendirent, dans le Capitole, compte de leur mission; fiers qu'ils étaient d'avoir, par l'appât d'une trêve, leurré le roi de l'espoir de la paix. [2] « C'est qu'il avait, lui, si bien fait toutes ses dispositions, tandis qu'eux n'avaient rien de préparé, qu'il eût pu se saisir de toutes les positions avantageuses, avant que leur armée fût venue débarquer en Grèce. [3] Qu'au moyen du temps que leur donnait la trêve, les Romains, sans que le roi se fût préparé davantage, pourraient eux-mêmes entamer la guerre, mieux pourvus de toutes leurs ressources. Ils avaient eu aussi l'adresse de dissoudre l'assemblée des Béotiens, de façon qu'il leur serait impossible désormais de s'entendre pour s'unir aux Macédoniens. » [4] Une grande partie du sénat approuvait cette conduite comme un chef-d'œuvre de politique; mais les anciens qui gardaient le souvenir de l'ancienne manière d'agir, disaient qu'ils ne retrouvaient pas, dans cette députation, la politique romaine. [5] « Ce n'était point par des embuscades et des attaques nocturnes, par une fuite simulée et des retours soudains contre un ennemi pris au dépourvu, que leurs ancêtres faisaient la guerre: ils n'y cherchaient pas la gloire de l'astuce au lieu de celle du vrai courage; ils déclaraient la guerre avant de la faire; ils la proclamaient même, et quelquefois même ils fixaient le lieu du combat. [6] Ce fut cette loyauté qui leur fit dénoncer au roi Pyrrhus ce médecin qui en voulait à sa vie; ou encore livrer, chargé de chaînes, aux Falisques, ce traître qui leur amenait les enfants du prince. [7] Voilà la politique romaine bien éloignée de la duplicité punique, et de l'intrigue des Grecs, qui trouvent plus de gloire à tromper l'ennemi qu'à le vaincre les armes à la main. [8] Il y aura sans doute, dans telle circonstance donnée, plus d'avantage à attendre de la ruse que de la force ouverte; mais pour qu'une victoire soit complète et définitive, il faut arracher au vaincu l'aveu que ce n'est ni par artifice ni par hasard, mais en bataille rangée et dans une guerre en règle, qu'il a été défait. » [9] Voilà ce que disaient les vieillards qui n'étaient pas d'avis de suivre ces nouvelles pratiques. Mais, dans le sénat, le parti de l'intérêt l'emporta sur celui de l'honneur; on approuva la première légation de Marcius, et on le renvoya en Grèce avec des quinquérèmes et avec le pouvoir d'y servir à son gré les intérêts de la république. [10] Ils envoyèrent aussi A. Atilius pour occuper Larissa, en Thessalie, dans la crainte qu'à l'expiration de la trêve Persée n'y envoyât une garnison et ne se trouvât ainsi maître de la capitale de la Thessalie. [11] Atilius dut, pour s'acquitter de cette mission, demander deux mille hommes d'infanterie à Cn. Sicinius. [12] On donna aussi à P. Lentulus, qui était revenu d'Achaïe, trois cents hommes de race italienne, pour se tenir à Thèbes et maintenir la dépendance de la Béotie. [48] [1] Ces mesures prises, bien que toutes eussent été arrêtées en vue de la guerre, on décida pourtant d'admettre les commissaires dans le sénat. [2] Ils ne firent à peu près que répéter ce que le roi avait articulé dans la conférence. Le guet-apens dirigé contre Eumène fut l'objet d'une justification très développée, quoique peu concluante, car le fait était avéré. Le reste de leur discours fut une prière; [3] mais les dispositions des auditeurs n'admettaient ni persuasion ni pardon. On leur intima l'ordre de sortir de l'enceinte de Rome sur-le-champ, et d'Italie avant trente jours. [4] Ensuite le consul P. Licinius, à qui le sort avait assigné la Macédoine pour province, reçut l'invitation de donner des ordres pour que son armée se rassemblât au premier jour. [5] Le préteur C. Lucretius, chargé du département de la flotte, partit de la ville avec quarante quinquérèmes; car on décida, pour les vaisseaux radoubés, d'en garder quelques-uns pour divers usages. [6] Le préteur dépêcha en avant son frère Lucretius avec une quinquérème, pour aller prendre les vaisseaux que les alliés s'étaient engagés à fournir, et venir au devant de la flotte à Céphallénie. [7] Il en prit un à Rhegium, deux à Locres, quatre chez les Urites, et, longeant la côte d'Italie, il doubla le cap qui termine la Calabre, sur la mer Ionienne, et arriva à Dyrrachium. [8] Là il trouva dix vaisseaux appartenant aux Dyrrachiens eux-mêmes, douze aux Isséens, cinquante barques au roi Gentius, qu'il fit semblant de croire préparées exprès pour l'usage du peuple romain, les emmena toutes; et, rendu en trois jours à Corcyre, il cingla de là vers Céphallénie. [9] Le préteur C. Lucretius, partit de Naples, franchit le détroit, et se rendit en cinq jours à Céphallénie. [10] La flotte mouilla dans ces eaux pour attendre d'abord que les troupes de terre eussent fait le trajet, et pour que les vaisseaux de transport qui, dans la route s'étaient dispersés au large, eussent rallié. [49] [1] À ce moment là, précisément le consul Licinius, après avoir prononcé les voeux au Capitole, partait de la ville en costume de général. [2] C'est un moment toujours grave et solennel; mais il excite à un plus haut degré l'attention et l'intérêt, quand le consul qu'on accompagne marche contre un ennemi puissant et distingué par sa valeur ou par sa fortune. [3] Ce n'est pas seulement par devoir et par conscience qu'on se presse aux côtés du général, mais encore par curiosité, et pour voir l'homme aux talents et à la sagesse duquel on abandonne la défense des premiers intérêts de l'état. [4] Puis, mille pensées assaillissent l'esprit: les chances de la guerre, l'incertitude du sort et les caprices de Mars; [5] les revers, les succès, les défaites, si souvent dues à l'inhabilité et à la présomption des chefs; le bonheur, qui souvent récompense leur prudence et leur valeur. [6] Sait-on lequel de ces deux esprits, laquelle de ces deux fortunes sera celle du consul qui part pour la guerre? Le verra-t-on bientôt, à la tête de son armée victorieuse, monter triomphant au Capitole, saluer ces mêmes dieux dont aujourd'hui il prend congé, ou prépare-t-on cette joie à l'ennemi? [7] Car ce roi Persée, contre lequel on marchait, jouissait d'une grande renommée, tant à cause de la réputation guerrière du peuple macédonien que des hauts faits de son père Philippe qui, entre autres, s'était illustré dans sa guerre avec Rome: puis Persée avait fait sans cesse parler de lui depuis son avènement, et des préparatifs de guerre qu'il faisait. [8] Telles étaient les pensées de tous les ordres de l'état en accompagnant le consul à son départ. [9] Avec lui furent envoyés deux personnages consulaires, C. Claudius et Q. Mucius, comme tribuns des soldats, et trois jeunes hommes d'un rang illustre, P. Lentulus et les deux Manlius Acidinus; ils étaient fils, l'un de M. et l'autre de L. Manlius. [10] Le consul, avec eux, alla rejoindre son armée, et, traversant l'Adriatique avec toutes ses troupes, il alla poser son camp près de Nymphaeum, dans le territoire d'Apollonie. [50] [1] Peu de jours avant, Persée voyant, d'après le rapport de ses députés, revenus de Rome, qu'il fallait renoncer à tout espoir de paix, tint un conseil. La lutte s'y prolongea quelque temps entre les opinions qui le partageaient. [2] Les uns étaient d'avis de payer un tribut si on l'imposait, ou de céder une portion de territoire si l'on y était condamné; tout ce qu'on serait forcé de subir en vue de la paix, ils voulaient qu'on ne le refusât pas, et que le roi se gardât de jouer sa vie et sa couronne à ce terrible jeu. [3] « Possesseur d'un trône incontesté, il trouverait dans le temps un utile auxiliaire, qui non seulement lui ferait recouvrer ce qu'il aurait perdu, mais même pourrait le rendre redoutable à ceux qu'il craignait aujourd'hui. » [4] Le plus grand nombre se prononçait pour un parti plus exalté: « si peu qu'on cédât, il faudrait céder bientôt tout le royaume, assuraient-ils. [5] Les Romains n'avaient pas besoin d'argent, ni d'agrandissement; mais ils savaient que toutes les choses humaines, et surtout les royaumes et les empires, étaient exposés à mille chances; [6] qu'ils avaient brisé la puissance carthaginoise, et agrandi à ses dépens un roi voisin, dont le joug pesait sur elle; qu'Antiochus et sa race avaient été refoulés au-delà du Taurus; [7] qu'il n'y avait plus que l'empire macédonien qui fût dans leur voisinage, et qui, si le peuple romain voyait quelque part son étoile pâlir, parût seul capable de ranimer dans l'esprit de ses rois leur antique valeur. [8] Tant que rien n'est entamé, c'est à Persée de considérer en lui-même si, de concessions en concessions, il veut, dépouillé successivement de tous ses états et banni de son royaume, demander aux Romains la Samothrace ou quelque autre ville pour y survivre à sa royauté, et y vieillir, comme un simple particulier, dans le mépris et dans l'indigence; [9] ou bien si, prenant les armes pour défendre sa fortune et son rang, il n'aimera pas mieux s'exposer à tous les risques de la guerre, et courir entre autres la chance d'une victoire qui délivrerait l'univers du despotisme de Rome. [10] Il ne serait pas plus étonnant de voir les Romains chassés de la Grèce, qu'Hannibal de l'Italie. On ne voyait certes pas comment, après avoir repoussé avec tant d'énergie les prétentions d'un frère qui aspirait sans droit à la couronne, il céderait à des étrangers cette couronne bien acquise. [11] Enfin, dans toute délibération sur la paix et sur la guerre, il faut que tout le monde s'entende sur ce point, qu'il n'est rien de honteux comme de céder un trône sans résistance; rien de beau comme de courir toutes les chances de la fortune, quand il s'agit d'honneur et de dignité. » [51] [1] C'était à Pella, cette antique capitale des rois de Macédoine, que se tenait ce conseil. « Faisons-la donc, avec l'aide des dieux, cette guerre, dit le roi, puisque tel est votre avis. » Et il envoie des lettres à tous ses gouverneurs, et réunit toutes ses forces à Cittium, ville de Macédoine. [2] Lui-même, après un sacrifice, tout à fait royal, de cent victimes, devant les autels de Minerve, surnommée Alcidémos, il part pour Cittium avec une escorte de courtisans et de satellites. Déjà toutes ses troupes, macédoniennes et auxiliaires, s'y étaient réunies. [3] Il place son camp aux portes de la ville, et forme toute son armée dans la plaine. Elle présentait un total de quarante mille combattants, dont moitié de phalangistes. [4] Hippias, de Béroéa, les commandait. Venaient ensuite deux bataillons de troupes d'élite, pris, pour leur vigueur et leur complexion robuste, sur toute la quantité des cétrates: c'est ce qu'ils appelaient agèma. Les commandants étaient Leonnatus et Thrasippe, d'Evia. [5] Le reste des cétrates, au nombre d'à peu près trois mille, marchait sous les ordres d'Antiphilus d'Édesse. [6] Des Péoniens, soldats venus de la Parorée et de la Parastrymonie, lieux qui confinent à la Thrace, ainsi que des Abrupolis, auxquels se mêlaient des Thraces établis dans leur pays, composaient un corps approchant aussi de trois mille hommes. [6] Ils avaient été réunis et armés par Didas le Péonien, l'assassin du jeune Démétrius. [7] En outre deux mille combattants gaulois, sous le commandement d'Asclépiodote; d'Héraclée en Sintique, étaient venus trois mille Thraces libres, ayant un chef national. Un nombre à peu près pareil de Crétois obéissait à des officiers du même pays, Susus de Phalasarne et Syllus de Gnosse. [8] Le Lacédémonien Léonidès menait cinq cents Grecs d'origine diverse. Cet homme passait pour être du sang royal: il aurait été exilé après une condamnation prononcée en plein conseil de la ligue achéenne, parce qu'on aurait saisi des lettres de lui à Persée. [9] D'Étoliens et de Béotiens, il n'y avait pas en tout plus de cinq cents, que commandait l'Achéen Lycon. Ces auxiliaires, tirés de tout peuple et de toute nation, présentaient un effectif d'environ douze mille combattants. La Macédoine, toute entière réunie, avait fourni trois mille chevaux. [10] Cotys, fils de Seuthès, roi des Odryses, s'était trouvé au rendez-vous avec mille cavaliers d'élite et pareil nombre de fantassins. [12] Le total de l'armée était de trente-neuf mille hommes d'infanterie et quatre de cavalerie. On disait volontiers que, depuis l'armée qui était passée en Asie, sous les ordres d'Alexandre le Grand, jamais roi de Macédoine n'avait rassemblé des troupes aussi nombreuses. [52] [1] Il y avait vingt-six ans qu'on avait accordé la paix à Philippe, sur sa demande. [2] Pendant tout ce temps, à la faveur du calme, la Macédoine s'était accrue d'une population, mûre alors, en grande partie, pour le service militaire: et des guerres sans importance avec les Thraces leurs voisins, plus faites pour les exercer que pour les épuiser, les avaient tenus constamment en haleine; [3] et le temps que Philippe, puis Persée, avaient mis à méditer la guerre contre les Romains, faisait que rien ne manquait aux préparatifs. [4] Il fit faire à son armée quelques mouvements, non pas une suite complète d'évolutions, mais assez seulement pour qu'on ne dît pas qu'elle était restée inactive sous les armes; et il convoqua en assemblée ses soldats tout armés, comme ils étaient. [5] Il prit place, lui-même, sur son tribunal, avec ses deux fils à ses côtés; l'aîné, Philippe, son frère par la nature, était devenu son fils par adoption; le plus jeune, appelé Alexandre, était bien son fils. [6] Il exhorta ses soldats à la guerre: il rappela les torts du peuple romain envers son père et lui: [7] son père, contraint par toutes sortes d'outrages, à recommencer la guerre, avait été surpris par la mort au milieu de ses préparatifs: on avait envoyé en même temps des députés vers lui, Persée, et des soldats pour occuper les villes de la Grèce. [8] On lui avait ensuite présenté le leurre d'une conférence que, sous prétexte d'en venir à une conclusion pacifique, on avait fait durer tout l'hiver, pour avoir le temps de se préparer: un consul arrivait avec deux légions romaines, fortes chacune de six mille hommes d'infanterie et de trois cents de cavalerie, et avec à peu près pareil nombre d'alliés, infanterie et cavalerie. [9] Si l'on ajoute à ce nombre les troupes auxiliaires des rois Eumène et Masinissa, cela ne ferait guère que sept mille hommes de pied et deux mille chevaux de plus. [10] Ce compte fait des troupes ennemies, ils n'avaient qu'à jeter les yeux sur leur propre armée; combien pour le nombre et la qualité ils l'emportaient sur des soldats de recrues, levés à la hâte pour cette guerre, eux qui avaient appris dès l'enfance le métier des armes, qui avaient eu tant de guerres pour s'endurcir et s'habituer aux fatigues. [11] Les Romains avaient pour auxiliaires les Lydiens, les Phrygiens, les Numides; eux, les Thraces et les Gaulois, les plus braves des nations; ceux-là n'avaient d'armes que celles qu'avait pu s'acheter chacun de ces pauvres soldats: les Macédoniens n'avaient eu qu'à les prendre dans les arsenaux du roi, où depuis tant d'années on en fabriquait par les soins de son père et par les siens. [12] Les ennemis avaient leurs approvisionnements éloignés et soumis à tous les périls de la mer; quant à lui, outre le revenu de ses mines, il avait de l'argent et des grains en réserve pour dix années. [13] Tous les préparatifs qui pouvaient dépendre de l'indulgence des dieux et de la vigilance du roi, les Macédoniens les avaient complets et largement assurés. [14] Il fallait qu'ils retrouvassent le courage qu'avaient déployé leurs ancêtres, lesquels, après avoir soumis toute l'Europe étaient passés en Asie; leurs armes s'étaient ouvert un monde que la renommée ignorait; et ils ne s'étaient arrêtés dans leur marche conquérante, que quand la mer Rouge avait arrêté leur pas, et qu'il ne leur restait plus rien à conquérir. [15] Mais cette fois, ce n'étaient, certes, plus les frontières reculées de l'Inde, c'était la possession même de la Macédoine dont la fortune faisait l'enjeu de la lutte qu'ils allaient soutenir. En faisant la guerre à son père, les Romains s'étaient présentés sous le titre spécieux de libérateurs de la Grèce: [16] cette fois ils se proposaient ostensiblement l'asservissement de la Macédoine, ne voulant pas pour l'empire romain du voisinage d'un roi, ni laisser les armes aux mains d'un peuple libre. Car ce seraient leurs armes avec leur roi et son royaume qu'ils auraient à livrer au vainqueur, s'ils renonçaient à la guerre, et obéissaient aux injonctions qu'ils avaient reçues. [53] [1] Des marques fréquentes d'assentiment avaient interrompu ce discours; mais ici ce furent des cris forcenés, soit d'indignation et de menace, soit de protestations de dévouement propres à exalter la confiance du roi, qui l'engagèrent à terminer. Il se borna à leur recommander de se préparer à marcher [2] [car on annonçait déjà que les Romains avaient quitté Nymphaeum], rompit l'assemblée, et alla donner audience aux députations des villes de Macédoine. [3] Elles venaient promettre de l'argent, selon leurs facultés respectives, et des grains pour la guerre. [4] Toutes eurent des remerciements et furent dispensées de ces fournitures: on leur dit que le roi avait pourvu suffisamment à tout. On requit d'elles seulement des voitures pour le transport des machines, d'une énorme quantité de flèches qu'on avait en magasin, et d'autres munitions de guerre. [5] Puis il partit avec toute son armée, se dirigeant vers l'Eordéa: il alla camper aux bords d'un lac qu'on appelle Bégorritis, et s'avança le lendemain en Élimée, jusqu'au fleuve Haliacmon. [6] Puis, franchissant par une gorge étroite les monts appelés Cambuniens, il descendit au lieu appelé Tripolis, composé de trois villes, d'Azorus, de Pythoüs et de Doliché. [7] Ces places hésitèrent quelque temps, parce qu'elles avaient donné des otages aux gens de Larissa: mais cédant à la peur du moment, elles vinrent à composition. [8] Il les reçut avec bonté, ne doutant pas que les Perrhèbes dussent faire comme eux, et il n'eut qu'à se présenter devant la ville pour que ses habitants se rendissent sans balancer. [9] Il fallut attaquer Cyretiae: le premier jour les habitants se portant en foule aux portes, armés et résolus, le repoussèrent: mais le lendemain il les attaqua avec toutes ses troupes, et, avant la nuit, ils avaient tous capitulé. [54] [1] À deux pas de là était Mylae, place si forte, que ses habitants, jugeant ses fortifications inattaquables et pleins d'un espoir insensé, ne se bornèrent pas à fermer hardiment leurs portes au roi, mais décochèrent sur lui et les Macédoniens les traits de la plus piquante insolence. [2] De là, plus d'animosité de la part de l'ennemi à les attaquer, et plus d'acharnement de leur part à se défendre; car plus de grâce à espérer. [3] Trois jours se passèrent donc, pendant lesquels l'attaque et la défense déployèrent la plus grande énergie. Les Macédoniens, grâce à leur nombre pouvaient facilement remplacer par des hommes frais les bataillons épuisés; les assiégés, tenus d'être nuit et jour sur le rempart pour le défendre, s'affaiblissaient tant par les blessures que par les veilles et la continuité des fatigues. [4] Le quatrième jour, comme les échelles se dressaient de toutes parts contre le mur et qu'on attaquait la porte avec plus de vigueur, les assiégés, chassés du rempart, courent à la défense de la porte, et font soudainement une sortie contre l'ennemi. [5] Mais, comme il y avait dans cette résolution plus de rage irréfléchie que de sentiment raisonné de ses forces, leur petit nombre et leur épuisement durent céder à des troupes fraîches qui les mirent en déroute, et, les poussant l'épée dans les reins, entrèrent à leur suite dans la ville par la porte qu'ils avaient ouverte. [6] La ville fut ainsi prise et pillée: les personnes libres qui survécurent au carnage furent vendues. Après avoir démoli et brûlé en grande partie cette place, il alla établir son camp à Phalanna, et arriva le lendemain à Gyrton. [7] Sachant que T. Minucius Rufus et Hippias, préteur des Thessaliens, y étaient entrés avec un corps de troupes, il n'essaya même pas de l'attaquer, passa outre, et tomba si soudainement sur Elatia et Gonnus, que les habitants, étourdis de son arrivée imprévue, capitulèrent. [8] Ces deux villes sont dans les gorges par où l'on pénètre dans le val de Tempé; surtout Gonnus. Il y laissa pour cela une plus forte garnison, infanterie et cavalerie, et l'entoura de plus d'un triple fossé et d'une palissade. [9] Puis, s'étant avancé jusqu'à Sycurium, il résolut d'y attendre l'ennemi; il ordonna en même temps à ses troupes de recueillir les grains de tout le pays ennemi qui s'étendait sous leurs yeux. [10] Car Sycurium est au pied du mont Ossa. Au midi il domine les plaines de la Thessalie; il tourne le dos à la Macédoine et à la Magnésie. [11] À ces avantages cette ville joignait celui d'un territoire sain et riche, étant environnée de fontaines qui ne tarissent jamais. [55] [1] Dans le même temps, le consul romain, se rendant en Thessalie avec son armée, ne trouva pas d'abord d'obstacle pour traverser l'Épire; [2] puis quand il fut dans l'Athamanie, sol ingrat et presque impraticable, il rencontra d'immenses difficultés, et ce n'est qu'à grande peine et à très petites journées qu'il vient jusqu'à Gomphi. [3] Avec ses hommes et ses chevaux ainsi fatigués, et n'ayant qu'une armée toute novice, s'il eût trouvé devant lui le roi à la tête de son armée en temps et lieu favorables, les Romains eux-mêmes ne refusent pas d'avouer qu'une bataille leur aurait coûté bien cher. [4] Arrivé à Gomphi sans combat, outre le plaisir qu'ils éprouvaient d'avoir franchi ce pas dangereux, ils eurent celui de mépriser des ennemis si maladroits à saisir les bonnes occasions. [5] Après un sacrifice régulier et une distribution de grains aux soldats, le consul accorda quelques jours de repos aux hommes et aux bêtes, et, à la nouvelle que les Macédoniens débandés erraient à travers la Thessalie et ravageaient les campagnes des alliés, trouvant ses soldats assez remis, il les conduisit à Larissa. [6] Puis, n'étant qu'à trois milles de la Tripolis qu'on appelle Scée, il plaça son camp sur le fleuve Pénée. [7] Dans le même temps, Eumène venait mouiller à Chalcis avec ses frères Attale et Athénée, après avoir laissé son frère Philetaerus à Pergame, à la garde de son royaume. De là, il vint trouver le consul avec Attale, conduisant quatre mille hommes de pied et mille chevaux. [8] Il laissait à Chalcis deux mille hommes d'infanterie sous les ordres d'Athénée. Cette ville fut le rendez-vous de tous les corps auxiliaires envoyés de toutes parts aux Romains par les peuples de la Grèce, corps numériquement si faibles pour la plupart, que l'histoire ne les a pas comptés. [9] Les Apolloniates envoyèrent trois cents cavaliers et cent hommes de pied. Les Étoliens avaient formé un seul escadron de toute leur cavalerie pour l'envoyer: [10] quant à celle des Thessaliens elle était toute divisée par détachements. Il n'y en avait pas plus de trois cents dans le camp romain. Les Achéens avaient fourni environ quinze cents hommes de leur nation, généralement armés à la crétoise. [56] [1] Au même moment le préteur C. Lucretius, qui commandait la flotte dans les eaux de Céphallénie, donne ordre à son frère Marcus de doubler avec l'escadre le cap Malée pour gagner Chalcis: et lui-même s'embarque sur une trirème pour aller, par le golfe de Corinthe s'assurer des dispositions de la Béotie. [2] Sa traversée fut lente en raison de sa mauvaise santé. [3] M. Lucretius, à son arrivée à Chalcis, apprenant que Haliarte était assiégé par P. Lentulus, lui envoya un messager pour lui ordonner, au nom du préteur, de s'éloigner de la place. [4] C'était avec la portion de l'armée béotienne qui tenait pour les Romains que le lieutenant avait entrepris cette attaque: il s'éloigna des murailles. [5] La levée de ce siège ne fit que donner lieu à un second; car aussitôt M. Lucretius, avec ses troupes de mer, au nombre de dix mille combattants, et les deux mille hommes d'Eumène que commandait Athénée, forma le blocus de Haliarte; et on se préparait à livrer l'assaut, quand survint le préteur venant de Créüse. [6] Dans le même temps les vaisseaux des alliés se rassemblaient à Chalcis: c'étaient deux quinquérèmes carthaginoises, deux trirèmes d'Héraclée du Pont, quatre de Chalcédoine, autant de Samos, enfin cinq quadrirèmes de Rhodes. [7] Le préteur, attendu que sur aucun point la guerre n'était maritime, les renvoya aux alliés. Q. Marcius vint aussi avec ses vaisseaux à Chalcis, après avoir pris Alopé de Phtiotide, et attaqué Larissa, dite Crémastè. [8] Tel était l'état des choses en Béotie, lorsque Persée, qui se tenait à Sycurium, ainsi qu'on l'a dit, après avoir ramassé de toutes parts des grains dans ces campagnes, envoya un détachement ravager les terres des Phéréens, croyant que les Romains, pour porter secours à des villes alliées, s'aventureraient dans le pays, et pourraient tomber dans ses pièges. [10] En les voyant impassibles en face de ces désordres, il ne réserva dans le butin que les personnes, distribuant le reste, qui consistait surtout en bestiaux, à ses soldats, pour s'en nourrir. [57] [1] À la même époque le consul et le roi tinrent conseil pour décider du moment de commencer les hostilités. [2] Le roi sentait s'exalter son ardeur par la liberté qu'on lui avait laissée de ravager les terres des Phéréens. Marcher au camp, et ne pas accorder à l'ennemi de plus longs délais, tel était son avis. [3] Les Romains pensaient bien aussi que leur temporisation les déshonorait aux yeux des alliés, qu'avait surtout révoltés leur obstination à ne pas secourir ceux de Phère. [4] Ils se consultaient sur la conduite à tenir [Eumène et Attale assistaient au conseil], lorsque survint un messager tout agité, disant que l'ennemi arrivait en masse. La séance est levée, et le signal donné sur-le-champ de prendre les armes. [5] En attendant, on décide de faire sortir cent hommes de cavalerie royale et pareil nombre de fantassins armés de javelots. [6] Persée se trouvant, vers la quatrième heure, à un peu plus de trois milles du camp romain, fit faire halte à son infanterie. Il poussa en avant de sa personne avec sa cavalerie et les troupes légères: Cotys et les autres chefs des auxiliaires firent le même mouvement. [7] Ils étaient à moins de cinq cents pas du camp lorsqu'ils se trouvèrent en présence des cavaliers ennemis: c'étaient deux escadrons composés en grande partie de Gaulois, sous les ordres de Cassignatus, et environ cent cinquante hommes de troupes légères, Mysiens et Crétois. [8] Le roi s'arrêta, ne sachant pas ce qu'il y avait d'ennemis; il détacha de ses troupes deux escadrons de Thraces et deux de Macédoniens, flanqués chacun de deux cohortes de Crétois et de Thraces. [9] Comme le nombre était égal, et qu'aucun des deux partis ne reçut de secours, le combat n'eut pas d'issue décisive. Eumène perdit environ trente hommes, entre autres Cassignatus, chef des Gaulois, qui tomba mort; Persée, pour le moment, ramena son armée sur Sycurium. [10] Le lendemain, vers la même heure, le roi s'avança avec son armée jusqu'au même endroit, se faisant suivre de chariots chargés d'eau; car il y avait une route de douze mille pas, tout à fait sans eau et pleine de poussière, et il y avait apparence qu'on combattrait incommodé par la soif, si l'on engageait le combat à la première approche. [11] Les Romains se tenant en repos, et même ayant fait rentrer leurs postes en dedans de leurs retranchements, les troupes du roi rentrèrent aussi dans leur camp. Ce manège se renouvela ainsi pendant plusieurs jours; car on espérait que les cavaliers romains attaqueraient l'arrière-garde au moment où l'on s'éloignerait, [12] et qu'alors le combat s'engageant, on les écarterait de leur camp, et que, grâce à la supériorité de la cavalerie et des troupes légères, on les mettrait sans peine en déroute, quelque fût l'endroit où ils seraient. [58] [1] N'y réussissant pas, le roi alla établir son camp plus près de l'ennemi, et se fortifia dans la position qu'il prit à cinq milles de distance. [2] Puis, au point du jour, il fit mettre en bataille son infanterie au même lieu que d'habitude, et mena dans la direction du camp ennemi toute sa cavalerie et ses troupes légères. [3] À la vue d'une poussière plus forte, et plus rapprochée qu'à l'ordinaire, l'alerte fut donnée au camp romain. D'abord on eut peine à en croire la nouvelle, parce que tous les jours précédents l'ennemi n'avait paru constamment qu'à la quatrième heure. [4] Mais quand on vit une foule plus considérable accourir des portes, on n'en douta plus, et le désordre fut à son comble. Les tribuns, les chefs de corps, les centurions courent au prétoire; les soldats cherchent chacun leur tente. [5] Il n'y avait pas cinq cents pas du retranchement à l'endroit où Persée avait rangé son monde en bataille autour d'un tertre, appelé Callinicos. [6] L'aile gauche était sous les ordres de Cotys, et se composait de ses sujets; les troupes légères s'intercalant parmi les divisions de la cavalerie en diversifiaient l'aspect. À l'aile droite était la cavalerie macédonienne, dont les pelotons étaient entremêlés d'archers crétois. [7] Cette troupe avait pour chef Midon, de Béroéa, et la cavalerie, Ménon, d'Antigonéa, qui avait en outre le commandement supérieur de l'aile. [8] Dans le voisinage des ailes étaient placés les cavaliers de la garde du roi et un corps mêlé, consistant en soldats d'élite de diverses nations, pris parmi les auxiliaires: Patrocle, d'Antigonéa, et Didas, gouverneur de Péonie, en avaient le commandement. [9] Le roi était au centre. Le corps appelé agèma et les cavaliers des escadrons sacrés formaient son escorte. [10] Il plaça devant lui une ligne armée de frondes et de javelots; les deux corps étaient chacun de quatre cents hommes. Le commandement en fut confié à Ion de Thessalonique et à Artémon le Dolope. Tel était l'ordre de bataille des troupes royales. [11] Le consul, après avoir formé son infanterie en deçà du retranchement, fit aussi sortir sa cavalerie avec sa troupe légère. Ils se formèrent devant le retranchement. [12] L'aile droite fut placée sous les ordres de C. Licinius Crassus, frère du consul, qui avait toute la cavalerie italienne, entremêlée de vélites: à la gauche, M. Valerius Laevinus commandait la cavalerie des alliés grecs et l'infanterie légère fournie par ces peuples. [13] Le centre était occupé par les cavaliers d'élite extraordinaires aux ordres de Q. Mucius. Deux cents cavaliers gaulois et trois cents auxiliaires, de la nation des Cyrtiens et de l'armée d'Eumène, avaient pris rang devant eux. [14] Quatre cents cavaliers thessaliens furent placés au-dessus de l'aile gauche à peu de distance. Le roi Eumène et Attale prirent position avec toutes leurs troupes, à l'arrière, entre la dernière ligne et le retranchement. [59] [1] Les deux armées rangées à peu près dans cet ordre, la cavalerie et la troupe légère étant de part et d'autre en nombre presque égal, on en vint aux mains, et les hommes armés de frondes et de javelots, qui marchaient en tête, engagèrent le combat. [2] Les Thraces, les premiers de tous, pareils à des bêtes fauves qu'on a longtemps retenues dans des cages, se lancent à toute bride, avec des cris affreux, sur la cavalerie italienne, [3] jusqu'à jeter le trouble dans ces âmes aguerries, et d'ailleurs naturellement intrépides: leur infanterie attaque avec ses épées le bois des lances, coupe les jarrets des chevaux ou leur perce le ventre. [4] Persée charge au centre et au premier choc fait tourner le dos aux Grecs: poussée par l'ennemi l'épée dans les reins, cette troupe trouva un utile appui dans le corps de cavalerie thessalienne qui, placé à l'aile gauche, comme réserve, se tenait en arrière et en dehors de la bataille, mais qui de spectateur devint bientôt acteur, quand il vit les autres faiblir. [5] Ils battirent lentement en retraite, sans se rompre, jusqu'à ce qu'ils eussent atteint les auxiliaires que commandait Eumène, et là, après avoir offert dans leurs rangs un abri sûr aux alliés qui fuyaient à la débandade, voyant les ennemis qui les pressaient moins serrés, ils eurent la hardiesse de marcher en avant, et allèrent à la rencontre des fuyards qu'ils recueillirent. [6] Les royaux, à leur tour, ayant éclairci leurs rangs dans cette poursuite, craignirent d'en venir aux mains avec un corps qui marchait en si bon ordre et d'un pas si ferme. [7] Le roi, vainqueur dans cette escarmouche de cavalerie, excitait encore ses troupes, leur disant qu'elles n'avaient que quelques efforts à faire, et que la guerre était terminée, lorsque arriva la phalange amenée par Hippias et Leonnatus, qui, pour contribuer au succès d'un si brillant coup d'audace, avaient pris sur eux de l'entraîner sur leurs pas, dès qu'ils avaient appris l'heureuse issue du combat de la cavalerie. [8] Le roi, prêt à tenter une affaire aussi grave, flottait entre l'espoir et la crainte, lorsque le Crétois Évandre, dont le ministère lui avait été utile pour le guet-apens dirigé contre le roi Eumène, voyant ce corps massif se mouvoir et venir, enseignes déployées, [9] accourut vers le roi, et l'engagea fortement à ne pas se laisser emporter par la prospérité, et à ne pas confier, sans nécessité, aux chances d'un coup de dés, tout l'avenir de sa puissance. [10] En se contentant du succès de la journée et demeurant paisible, il aurait la paix à des conditions honorables, ou il verrait ses alliés et les courtisans de sa fortune se multiplier, s'il préférait la guerre. C'était le parti vers lequel le roi inclinait par goût. [11] Il complimenta Évandre, fit rétrograder les enseignes, et ordonna à l'infanterie de rentrer dans le camp; on sonna la retraite pour la cavalerie. [60] [1] Les Romains perdirent dans cette journée deux cents cavaliers, et n'eurent pas moins de deux mille hommes d'infanterie tués; deux cents cavaliers environ furent faits prisonniers. Ils ne tuèrent au roi que vingt hommes de cavalerie et quarante d'infanterie. [2] Quand les vainqueurs rentrèrent dans le camp, l'allégresse était générale; mais les Thraces se faisaient remarquer par l'exaltation de leur joie; ils chantaient et portaient au haut de leurs lances les têtes de leurs ennemis. [3] Les Romains, outre le chagrin d'avoir mal réussi, avaient encore la peur de se voir attaqués sur-le-champ par l'ennemi, dans leur camp. Eumène conseillait de repasser le Pénée: on aurait le fleuve pour défense, en attendant que le soldat reprît ses esprits. [4] La honte retenait le consul, qui ne voulait pas avoir l'air de craindre; mais, cédant à la raison, il profita du silence de la nuit pour faire passer le fleuve à ses troupes, et se fortifia sur la rive opposée. [5] Le lendemain le roi s'avança pour provoquer les ennemis, et, quand il s'aperçut qu'ils s'étaient mis en sûreté derrière le fleuve, il convint qu'il avait fait une faute la veille de ne pas les presser après leur défaite; mais que c'en était une plus grande encore d'être resté inactif toute la nuit. [6] Car, sans même déranger les autres corps, il n'aurait eu qu'à lancer sa troupe légère, pour détruire en grande partie l'armée romaine embarrassée au passage du fleuve. [7] Quant aux Romains, la position forte de leur camp leur ôtait toute crainte pour le moment actuel; ce qui les touchait le plus c'était l'échec fait à leur renommée. [8] Dans le conseil tenu chez le consul, chacun à l'envi rejetait la faute sur les Étoliens: c'était de leur côté qu'avaient commencé la déroute et l'effroi; [9] les autres peuples grecs alliés n'avaient fait que se laisser entraîner par la frayeur des Étoliens. On disait que cinq chefs étoliens avaient été vus tournant le dos les premiers; ils furent envoyés à Rome. [10] Les Thessaliens reçurent des éloges devant toute l'armée, et leurs officiers obtinrent des prix en récompense de leur valeur. [61] [1] On rapportait au roi les dépouilles des ennemis vaincus; [2] elles lui servaient à récompenser ses soldats qui reçurent les uns de belles armes, les autres des chevaux, les autres des captifs. Il y avait en boucliers au-delà de quinze cents pièces, en cuirasses et en cottes de maille un total de plus de mille; en casques, épées et traits de toute espèce une quantité un peu plus forte encore. [3]Ce résultat, déjà beau, fut encore exagéré par le roi dans la proclamation qu'il adressa à son armée rassemblée. [4] « Voilà qui vous permet de préjuger de l'issue de la guerre. Vous avez mis en déroute l'élite de l'armée ennemie, cette cavalerie romaine qui en faisait la force et la gloire. [5] Les cavaliers en effet sont la fleur des guerriers; c'est une pépinière de sénateurs; c'est dans leurs rangs qu'on prend les consuls qui vont s'asseoir au sénat, qu'on prend les généraux. Nous venons, il n'y a qu'un instant, de vous partager leurs dépouilles. [6] La victoire que vous avez remportée sur les légions d'infanterie n'est pas moins glorieuse; car elles se sont dérobées à vos coups par une fuite nocturne, et, dans leur alarme, elles ont rempli la rivière de malheureux incapables de s'échapper à la nage. [7] Mais nous, en poursuivant, cette armée vaincue, nous aurons moins de peine à passer le Pénée qu'elle n'en a eu dans sa frayeur: aussitôt passés nous livrerons l'assaut au camp, que nous aurions pris aujourd'hui, s'ils n'avaient fui. [8] S'ils veulent une bataille en règle, comptez, dans un engagement d'infanterie, sur le même succès que vous avez obtenu dans ce combat de cavalerie. » [9] Ceux qui avaient remporté cet avantage entendirent l'éloge qu'on leur faisait d'eux-mêmes; pleins d'allégresse, et portant sur leurs épaules les dépouilles des ennemis qu'ils avaient tués, ils fondaient sur ce qui venait d'arriver les plus belles espérances pour l'avenir; les fantassins également, [10] et surtout ceux de la phalange macédonienne, animés par la gloire des autres, désiraient aussi pour eux une occasion de servir le roi efficacement, et d'acquérir, aux dépens de l'ennemi, une gloire semblable. [11] L'assemblée fut congédiée, et le lendemain le roi partit pour Mopselus, où il établit son camp: c'est une hauteur qui se dresse devant Tempé à mi-chemin entre Larissa et Gonnus. [62] [1] Les Romains, sans s'éloigner des rives du Pénée, transportèrent leur camp dans une plus forte position. [2] Ce fut là qu'ils virent arriver le Numide Misagène avec mille hommes de cavalerie, autant d'infanterie, et, de plus, vingt-deux éléphants. [3] Dans le même instant le roi tenait un conseil sur l'ensemble des opérations, et, comme la première exaltation du succès s'était calmée, quelques amis eurent le courage de lui donner le conseil de profiter de sa prospérité pour obtenir la paix à des conditions honorables, au lieu de s'abandonner à de vaines espérances, et de s'avancer si loin qu'il ne pût reculer. [4] « Limiter soi-même ses prospérités, ne pas trop se fier aux caresses présentes de la fortune, c'est la marque d'un homme sage et qui mérite son bonheur. [5] Il devait envoyer au consul des commissaires pour renouveler le traité sur les mêmes bases que Philippe son père avait acceptées de son vainqueur T. Quinctius. [6] Il ne pouvait plus noblement finir la guerre que par une bataille aussi mémorable; il ne pouvait avoir de plus solide motif d'espérer une paix durable, qu'un engagement dont l'issue, funeste pour les Romains, avait dû, en les altérant, les rendre plus faciles pour traiter. [7] Et si les Romains, par un effet de leur obstination naturelle, repoussaient des propositions équitables, les dieux et les hommes seraient témoins de la modération de Persée et de l'opiniâtreté de ses ennemis. » [8] Le roi N'écartait jamais des conseils de cette nature. C'est pourquoi cet avis réunit la majorité. Des députés furent envoyés au consul, [9] qui leur donna audience en grand conseil. [10] Ils annoncèrent que Persée demandait la paix; qu'il paierait le même tribut que Philippe s'était engagé à payer, et qu'il évacuerait les villes, les terres et tous autres lieux que ce prince avait abandonnés. [11] Tel fut le langage des députés. Quand ils se furent retirés, on se consulta, et ce fut la constance romaine qui triompha dans le conseil. C'était alors l'usage de garder l'attitude de prospérité dans la mauvaise fortune, et de modérer ses sentiments lorsque les circonstances étaient favorables. [12] On arrêta cette réponse: « La paix se ferait, si le roi laissait au sénat toute latitude pour délibérer sur l'ensemble de leurs relations, en ce qui le concernait lui-même et la Macédoine entière. » [13] Quand les députés rapportèrent cette réponse, l'obstination des Romains surprit ceux qui ne les connaissaient pas; et la majorité opinait pour qu'il ne fût plus question de paix. Ils viendraient demander d'eux-mêmes, ces Romains, le bien dont ils repoussaient l'offre avec dédain. [14] Persée craignait d'y mettre cet orgueil, de peur qu'on y vit un excès de confiance dans ses forces: aussi, en augmentant la somme offerte pour tenter d'acheter la paix, ne renonça-t-il pas à tenter le consul. [15] Ne pouvant le faire sortir des termes de sa première réponse, il désespéra de la paix, et revint occuper la position de Sycurium, qu'il avait quittée, pour remettre tout encore aux chances de la guerre. [63] [1] Le bruit du combat de cavalerie, en se répandant par toute la Grèce, mit à découvert les dispositions des esprits. Ce ne furent pas seulement les partisans des Macédoniens, mais encore presque tous ceux que les Romains avaient comblés de bienfaits, et quelques victimes de la violence et de la tyrannie, [2] qui reçurent cette nouvelle avec joie, sans autre motif que cette basse passion qui fait que, même dans les combats de théâtre, le vulgaire incline à porter ses faveurs sur le moins bon et le plus faible de deux combattants. [2] À la même époque le préteur Lucretius avait, en Béotie, livré un assaut vigoureux à la place d'Haliarte, et, bien que les assiégés n'eussent de secours du dehors qu'une jeune milice de Coronée qui, tout au commencement du siège, s'était enfermée dans la place, et qu'ils n'en espérassent pas d'autres, ils résistaient cependant, consultant plus leur courage que leurs forces; [4] car ils faisaient de fréquentes sorties contre les ouvrages; quand on approchait le bélier, ils en surchargeaient l'extrémité d'une masse de plomb qui l'abattait à terre, et, si les travailleurs qui le mettaient en mouvement le dérobaient à cette manoeuvre, et que le mur fût renversé, ils le remplaçaient incontinent par un autre, qu'ils élevaient avec les débris mêmes et des pierres qui venaient de s'amasser en tas. [5] Les ouvrages traînant trop en longueur, le préteur fit distribuer des échelles aux manipules, comme pour attaquer la muraille tout à l'entour: il pensait que son monde y suffirait d'autant mieux, que, du côté du marais qui la borde, il n'était ni utile, ni possible d'attaquer. [6] Pour lui, du côté où s'étaient écroulées deux tours et la portion de muraille qui les unissait, il fait avancer deux mille hommes d'élite; dans le même temps qu'il essaierait de gravir la brèche, et que les assiégés se porteraient sur ce point pour l'arrêter, on pourrait, pensait-il, à l'aide des échelles, escalader quelque part la muraille dépourvue de défenseurs. [7] Les habitants se préparèrent à riposter vigoureusement: ils jetèrent sur la brèche des fascines formées de sarments de bois sec, et debout, des torches allumées à la main, ils faisaient mine à tout instant d'y mettre le feu, afin que, séparés de l'ennemi par l'incendie, ils eussent le temps d'élever un mur intérieur. [8] Un hasard déjoua cette manoeuvre: il tomba tout à coup des torrents de pluie tels qu'ils empêchaient d'allumer les torches et éteignaient celles qui étaient allumées.[9] On put donc écarter ces broussailles fumantes et passer; et, tout le monde se portant à la défense d'un seul point, la muraille fut prise en plusieurs endroits à la fois, au moyen des échelles. [10] Dans le premier désordre les vieillards, les enfants, que le hasard offrit à l'épée du vainqueur, furent massacrés çà et là; les hommes armés se réfugièrent dans la citadelle; et le lendemain, ayant perdu tout espoir, ils se rendirent, et on les vendit à l'encan. [11] Ils étaient au nombre d'environ deux mille cinq cents. Les chefs- d'oeuvre de sculpture et de peinture qui décoraient la ville, et tout ce qu'il y avait d'objets de prix fut embarqué. La ville fut détruite de fond en comble. [12] L'armée fut de là conduite à Thèbes: après l'avoir reprise sans combat, le préteur remit la ville aux exilés et aux partisans des Romains; il fit vendre à l'encan les familles du parti opposé et des partisans du roi et des Macédoniens. Après ces exploits en Béotie il regagna la mer et ses vaisseaux. [64] [1] Pendant que ces événements s'accomplissaient en Béotie, Persée se tint renfermé quelques jours dans son camp de Sycurium. [2] Là, il sut que les Romains, après avoir récolté à la hâte les grains des environs, les transportaient, et qu'ensuite, chacun, devant sa tente, détachait les épis des gerbes, [3] pour avoir un grain mieux trié à broyer; il y avait des tas de paille énormes amassés par tout le camp: il trouva l'occasion favorable pour un incendie, et fit préparer des torches, des mèches et des pelotes d'étoupe enduites de poix: il partit ensuite au milieu de la nuit pour surprendre l'ennemi au point du jour. [4] Ce fut en vain: les avant-postes sur lesquels il tomba donnèrent, par leur frayeur et leur désordre, l'éveil à tout le monde, et le signal suivit aussitôt de prendre les armes; à l'instant sur le retranchement, aux portes, on vit le soldat en armes, disposé à repousser l'attaque du camp. [5] Persée sur-le-champ fit faire demi-tour à son armée, les bagages eu avant, l'infanterie derrière. Il fit halte lui-même avec sa cavalerie et ses troupes légères, pour fermer la marche, dans la prévision, justifiée par l'événement, que l'ennemi le poursuivrait et harcèlerait son arrière-garde. [6] Il y eut un court engagement entre ses troupes légères et les voltigeurs romains principalement. L'infanterie et la cavalerie rentrèrent dans leurs camps sans avoir été inquiétées. [7] Quand les Romains eurent fini leur moisson, ils se portèrent sur le territoire de Crannon encore intact. Ils y étaient bien tranquilles, se reposant sur l'éloignement des deux camps, et sur les difficultés de la route de Sycurium à Crannon, à cause de la disette d'eau; [8] quand tout à coup, au point du jour, la cavalerie du roi et ses troupes légères apparurent sur les hauteurs voisines, et jetèrent l'alarme au camp. Ils étaient partis la veille de Sycurium à l'heure de midi; à l'approche du jour ils avaient laissé l'infanterie sur le plateau voisin. [9] Persée se tint quelque temps sur les hauteurs, se figurant qu'il pourrait attirer les Romains à un combat de cavalerie. Les voyant impassibles, il envoie un cavalier pour ordonner à son infanterie de se replier sur Sycurium: ce qu'il fit bientôt lui-même. [10] La cavalerie romaine le suivait à une faible distance, pour tâcher de tomber sur ceux qui pourraient s'écarter du corps d'armée. Mais ils se retirèrent en masse si compacte, et en si bon ordre, que nos troupes, voyant cela, rentrèrent elles-mêmes dans leur camp. [65] [1] Bientôt le roi, mécontent de la longueur du chemin, alla camper à Mopselus; et les Romains, après avoir enlevé les récoltes de Crannon, passèrent sur le territoire de Phalanna. [2] Là, sur les renseignements d'un transfuge, qui lui dit que les Romains, sans se faire appuyer d'un détachement armé, faisaient la moisson, dispersés çà et là dans la campagne, il prend mille cavaliers et deux mille Thraces et Crétois, et forçant le pas, sans se soucier de faire observer les rangs à sa troupe, il attaque les Romains à l'improviste. [3] Il leur prend environ mille chariots attelés, et pour la plupart chargés, et près de six cents hommes. [4] Il chargea trois cents Crétois de garder ce butin et de le conduire au camp. [5] Pour lui, rappelant sa cavalerie et le reste de l'infanterie qui s'oubliaient à massacrer les moissonneurs, il les conduit jusqu'au grand poste le plus voisin, pensant qu'il ne faudrait pas de longs efforts pour l'écraser. [6] Il était sous les ordres du tribun L. Pompeius, qui, voyant ses soldats troublés de la soudaine irruption de l'ennemi, les fit battre en retraite jusqu'au tertre le plus voisin, cherchant l'avantage d'une position, puisqu'il n'était pas de force à cause de l'infériorité du nombre. [7] Il forma sa troupe en cercle, et fit rapprocher les boucliers de manière à la garantir des javelots et des flèches. Persée fit envelopper le tertre par une partie de ses soldats, en fit monter d'autres à l'assaut de tous les points, avec ordre d'engager le combat de près, tandis que les autres lanceraient de loin des flèches. [8] Une très vive terreur pressait partout les Romains: combattre serrés, ils ne le pouvaient à cause de cette troupe d'assaillants qui s'efforçait de gravir le tertre. Voulaient-ils rompre le cercle et marcher en avant, ils se découvraient: les flèches, les javelots les blessaient, [9] mais surtout les cestrosphendones. C'était une nouvelle espèce de projectile inventée pour cette guerre. C'était un fer de lance de deux palmes, monté sur un bois d'une demi coudée de long, et d'un doigt d'épaisseur: [10] il était garni, pour conserver l'équilibre, de trois ailes, comme on en met aux flèches: on le plaçait au milieu d'une fronde qui avait deux paires de courroies inégales tenues en équilibre dans la plus grande des deux poches de la fronde; il s'échappait par suite du mouvement de rotation imprimé à la corde, et partait comme une balle. [11] Cette arme et toutes les autres sortes de traits avaient blessé une partie des soldats; et, de lassitude, ils avaient peine à tenir leurs armes: le roi les pressa de se rendre, leur prodigua les serments, leur fit même des promesses: tous restèrent inébranlables et nul ne se rendit: ils étaient déterminés à mourir, lorsqu'un secours inespéré s'annonça à leurs regards. [12] Quelques-uns des moissonneurs avaient fui jusqu'au camp et annoncé au consul que le détachement était assiégé: touché du péril de tant de citoyens [ils étaient huit cents et tous Romains], il sort du camp à la tête de sa cavalerie et de ses troupes légères, renforcée de nouveaux auxiliaires, venus de Numidie, infanterie, cavalerie, éléphants; il donne ordre aux tribuns de le suivre avec les légions et leurs drapeaux. [13] Lui- même, après avoir flanqué ses troupes légères de vélites pour les fortifier, il se dirigea vers le tertre. Les flancs du consul étaient couverts par Eumène et Attale, et par Misagène, prince des Numides. [66] [1] Quand ces assiégés aperçurent les premières enseignes de leurs amis, ils passèrent en un moment du désespoir à l'espérance. [2] Persée se serait volontiers d'abord contenté d'un succès éventuel: après avoir tué ou pris quelques maraudeurs, il aurait renoncé à perdre son temps à assiéger le détachement de garde; [3] mais il s'était laissé aller à le tenter, sauf à se retirer, comme il savait n'avoir pas de forces suffisantes, pourvu qu'il pût le faire sans être entamé: encouragé par le succès, il attendit l'arrivée des ennemis, et envoya en toute hâte demander sa phalange. [4] Appelés trop tard pour la circonstance et conduits avec précipitation, ces soldats, allaient, après une course qui devait les troubler, se trouver en face d'une armée préparée et en bon ordre. Le consul les prévint et engagea le combat. [5] Les Macédoniens résistèrent d'abord; mais ils étaient inférieurs en tout: après une perte de trois cents fantassins et de vingt-quatre cavaliers des premières familles, de l'escadron appelé sacré, entre autres d'Antimachus qui les commandait et qui venait d'être tué, ils sont réduits à battre en retraite. [6] Mais il y eut dans leur marche plus de confusion que dans le combat lui-même. La phalange, rappelée par un ordre précipité, était conduite au pas de course: elle rencontra dans le défilé la colonne des prisonniers et les chariots chargés de grains. [7] Après les avoir massacrés, la phalange et le convoi, qui n'avaient prévu ni l'un ni l'autre cette rencontre, furent également dans un grand embarras pour s'ouvrir un passage; les soldats renversaient les chariots dans les précipices, ne voyant pas d'autres moyens de se frayer un chemin; et les bêtes de somme, qu'on excitait, faisaient beaucoup de mal au milieu du désordre général. [8] À peine dégagés des embarras de ce convoi de captifs, les Romains tombent au milieu de l'escorte royale et des cavaliers épouvantés. On leur crie de se replier; et ce cri les jette dans une alarme qui ressemble presque à une défaite: c'était au point que, si l'ennemi eût osé s'aventurer dans les défilés et poursuivre plus loin les fayards, il pouvait leur faire essuyer un terrible échec. [9] Le consul avait sauvé le détachement, et, satisfait de ce modeste avantage, il fit rentrer ses troupes dans leur camp. Selon certains auteurs, l'affaire de cette journée aurait été plus importante: ils parlent de huit mille hommes tués aux ennemis, entre autres de Sopater et d'Antipater, généraux du roi; d'environ mille huit cents prisonniers; de vingt-sept drapeaux enlevés: [10] la victoire aurait aussi coûté du sang: l'armée du consul aurait perdu plus de quatre mille trois cents hommes; l'aile gauche, cinq étendards. [67] [1] Cette journée rendit du courage aux Romains; mais elle terrifia Persée à ce point, qu'après un court séjour à Mopselus, principalement pour veiller à la sépulture des soldats qu'il avait perdus, il mit dans Gonnus une garnison assez forte, et se replia avec toutes ses forces sur la Macédoine. [2] Il laissa près de Phila un certain Timothée, de ses officiers, avec un faible détachement, pour sonder les Magnètes et leurs voisins. [3] Arrivé à Pella, il envoya ses troupes en quartier d'hiver, et partit lui-même avec Cotys pour Thessalonique. [4] Là il apprend par la renommée qu'Autlesbis, prince des Thraces, et Corragus, général d'Eumène, ont envahi le royaume de Cotys, et occupé le pays appelé Maréné. [5] Il crut donc devoir permettre à Cotys d'aller défendre ses états, et, à son départ, il le combla de présents magnifiques. Il compte à sa cavalerie pour sa paie de six mois les deux cents talents qu'il devait payer pour toute l'année. [6] Le consul, apprenant le départ de Persée, s'approche de Gonnus, pour essayer de s'emparer de cette place. Située en avant de Tempé, à la gorge même du défilé, elle est pour la Macédoine la plus sûre des barrières, en même temps qu'elle permet aux Macédoniens de descendre en Thessalie quand il leur plaît. [7] Mais elle était si forte et si bien gardée, qu'il en jugea l'attaque impossible et y renonça. Il se tourna du côté de la Perrhébie, prit d'emblée Malloea, qu'il pilla, reprit le Tripolis et le reste de la Perrhébie, et revint à Larissa. [8] Renvoyant alors Eumène et Attale chez eux, il distribua Misagène et ses Numides dans les villes de Thessalie les plus voisines qu'il leur assigna pour quartier d'hiver; et partagea si bien une partie de ses troupes sur tous les points de la Thessalie, qu'elles eurent toutes d'excellents quartiers d'hiver, et servirent aux villes de garnison. [9] Il envoya Q. Mucius, son lieutenant, avec deux mille hommes pour occuper arriva. Il congédia tous les alliés des villes grecques, à l'exception des Achéens. Il partit avec une portion de son armée pour l'Achaïe Phthiotide, détruisit de fond en comble Ptéléon dont les habitants s'étaient enfuis, et reprit Antrones du consentement de la population. [10] Puis il ramena son armée à Larissa. La ville était déserte: tout le monde s'était retiré dans la citadelle; il prend le parti de l'attaquer. [11] Les Macédoniens, qui formaient la garnison royale, avaient eu peur les premiers et avaient évacué la place; les habitants, abandonnés par eux, consentirent aussitôt à se rendre. Il hésita ensuite s'il attaquerait d'abord Démétrias, ou s'il fallait porter ses regards sur les affaires de la Béotie. [12] Les Thébains, persécutés par ceux de Coronée, l'appelaient en Béotie. À leur prière et parce que la contrée était plus favorable que la Magnésie pour passer l'hiver, il conduisit son armée en Béotie.
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