ARGUMENTUM
Treis unam pereunt adulescenteis mulierem.
Rure unus, alter urbe, peregre tertius;
Utque ista ingenti militem tangat bolo,
Clam sibi supposuit clandestino editum.
Vi magna servos est ac trucibus moribus,
Lupae ni rapiant domini parsimoniam;
Et is tamen molliter. Miles advenit,
Natique causa dat propensa munera.
Tandem compressae pater cognoscit omnia;
Utque illam ducat qui vitiarat convenit,
Suomque is repetit a meretrice subditum.
PERSONAE
DINIARCHUS ADULESCENS
PHRONESIUM MERETRIX
GETA, vel CYAMUS SERVOS
CALLICLES SENEX
ASTAPHIUM ANCILLA
TRUCULENTUS SERVOS
STRATOPHANES MILES
STRABAX ADVLESCENS RUSTICUS
ANCILLA CALLICIS
ANCILLA ALTERA (vel TONSTRIX) |
ARGUMENT
Trois rivaux sont épris d'une même femme : un rustre, un citadin,
un étranger. La belle, pour attraper le militaire étranger, et pour
faire un bon coup, se dit la mère d'un enfant né dans le mystère. Un
esclave brutal, colère, veut empêcher qu'on ne ravisse l'épargne de
son maître, mais il est dompté à son tour. Arrive le militaire, qui,
pour la naissance de l'enfant, prodigue les largesses. Enfin le père de
la jeune fille violée apprend tout le secret : d'un commun accord,
l'offenseur devient époux, et il retrouve son enfant chez la
courtisane, mère supposée.
PERSONNAGES
DINARQUE, jeune Athénien, amant de Phronésie.
PHRONÉSIE, courtisane.
GETA, esclave de Dinarque (appelé aussi CYAMUS).
CALLICLÈS, père de la future épouse de Dinarque.
ASTAPHIE, servante de Phronésie.
LE RUSTRE, esclave.
STRATOPHANE, militaire, amant de Phronésie.
STRABAX, habitant de la campagne, amant de Phronésie.
SERVANTE de Calliclès.
UNE SECONDE SERVANTE (ou LA COIFFEUSE). |
PROLOGUS
Perparvam partem postulat Plautus loci
de vestris magnis atque amoenis moenibus,
Athenas quo sine architectis conferat.
Quid nunc? daturin' estis an non? adnuunt.
Meliorem urbis quidem vobis me ablaturum sine mora; 5
quid si de vostro quippiam orem? abnuunt.
Eu, hercle, in vobis resident mores pristini,
ad denegandum ut celeri lingua utamini.
Sed hoc agamus, qua huc ventum 'st gratia :
Athenis mutabo, ita ut hoc est proscaenium 10
tantisper dum transigimus hanc comoediam.
Heic habitat mulier, nomen cui est Phronesium;
haec huius saecli mores in se possidet,
numquam ab amatore suo postulat id quod datum 'st,
sed reliquam dat operam ne sit reliquum, 15
poscendo atque auferendo, ut mos est mulierum;
nam omneis id faciunt, quem se amari intellegunt.
Ea se peperisse puerum simulat militi,
quo citius rem ab eo averrat cum pulvisculo.
Qquid multa? si huic superet muliere 20
viscum, hamum, laqeum habent, hercle exercebitur.
|
PROLOGUE
Plaute vous demande une toute petite place dans votre grande et belle
ville, pour y transporter Athènes sans secours d'architectes. Eh bien !
voulez-vous? ne voulez-vous pas?... On fait signe qu'on veut que
j'arrache tout de suite pour vous le plus beau de la ville. Et si je
demandais qu'on vous arrache quelque chose à vous?... Ils refusent. Que
vous gardez bien, par Hercule, la tradition des moeurs anciennes, et que
votre langue est prompte à dire non !
Mais occupons-nous de la chose pour laquelle on est ici assemblé. Ce
proscenium, tel que vous le voyez, j'en fais Athènes quelques instants
seulement, autant qu'il faut pour jouer notre comédie. Ici habite une
femme nommée Phronésie; elle est parfaitement de son siècle; jamais
elle ne se montre exigeante avec ses amants... pour ce qu'ils lui ont
donné; mais cependant elle fait en sorte qu'il ne leur reste rien;
toujours prenant, toujours demandant, comme toutes les femmes : c'est
ainsi qu'elles en usent quand elles voient qu'on les aime. Celle-ci
feindra d'avoir donné un fils au militaire, pour lui enlever plus
lestement tout ce qu'il possède, comme avec une purge. Enfin, si le
ciel prête vie à cette femme, elle s'attachera à lui et à son bien,
par Hercule ! comme la glu, l'hameçon et le noeud coulant. |
TRUCULENTUS
ACTUS I
SCENA I
DINARCHUS
Non omnis aetas ad perdiscendum sat est
amanti, dum id perdiscat, quot pereat modis.
Neque eam rationem eapse umquam edocet Venus,
quam penes amantum summa summarum redit, 25
quot amans exemplis ludificetur, quot modis
pereat, quotque exoretur exorabulis.
Qquot illeic blanditiae, quot illeic iracundiae
sunt ! quot supplicia danda ! di vostram fidem, hui !
quid perierandum 'st etiam, praeter munera ! 30
primumdum merces annua : is primus bolu 'st,
ob eam treis nocteis dantur; interea loci
aut aera, aut vinum, aut oleum, aut triticum;
tentat, benignusne an bonae frugi sies.
Quasi in piscinam rete qui iaculum parat, 35
quando abiit rete pessum, adducit lineam;
si iniecit rete, pisecis ne ecfugiat, cavet,
dum huc dum illuc rete circumvortit inpedit
pisceis, usque adeo donicum eduxit foras.
Itidem 'st amator set quod oratur, dedit, 40
atque est benignus potius quam frugi bonae.
Adduntur nocteis, interim ille hamum vorat;
si semel amoris poculum abcepit meri,
eaque intra pectus se penetravit potio,
extemplo et ipsus periit, et res, et fides. 45
Si iratum 'st scortum forte amatori suo,
bis perit amator, ab re atque animo simul.
Sin alter altri potiu 'st, idem perit:
si raras nocteis ducit, ab animo perit;
sin increbravit, ipsus gaudet, res perit. 50
Ita disciplina in aedibus lenoniis, 50a
priusquam unum dederis, centum quae poscat parat:
aut aurum periit, aut conscissa pallula 'st,
aut emta ancilla, aut aliquod vasum argenteum,
aut vasum ahenum aliquod, aut lectus scalptilis
aut armariola graeca, aut aliquid semper est 55
quod praestet, debeatque amans scorto suo.
Atque haec celamus nos clam magna industria,
quom rem fidemque nosque nosmet perdimus,
ne qui parenteis, neu cognati sentiant,
quos, quom celamus, si faximus conscios, 60
qui nostrae aetati tempestivo temperent,
unde anteparta demus postpartoribus,
faxim lenonum nec scortorum plus siet 62a
et minus damnosorum hominum, quam nunc sunt, siet.
Nam nunc lenonum et scortorum plus est fere,
quam olim muscarum 'st, quom caletur maxume. 65
Nam nusquam alibi si sunt, circum argentarias
scorta et lenones qui sedent quotidie,
Ea nimia 'st ratio, quippe qui certo scio,
ibi plus scortorum esse iam quam ponderum :
quos quidem quam ad rem dicam in argentariis 70
referre habere, nisi pro tabulis, nescio,
ubi aera perscribantur usuraria:
abcepta dico, expensa ne qui censeat.
Postremo id magno in populo multis hominibus,
re placida atque otiosa, victis hostibus: 75
amare oportet omneis, qui quod dent, habent.
Nam mihi haec meretrix, quae heic habet, Phronesium,
suom nomen omne ex pectore emovit meo,
Phronesium; nam phronesis est sapientia. 78a
Nam me fuisse huic fateor summum atque intimum,
quod amantis multo pessimum 'st pecuniae;
eadem postquam alium reperit, qui plus daret,
damnosiorem, meo exinde inmovit loco,
quem infestum ac odiosum sibi esse memorabat mala,
Babyloniensem militem. Is nunc dicitur
venturus peregre; eo nunc commenta 'st dolum: 85
peperisse simulat sese, ut me extrudat foras
atque ut cum solo pergraecetur militi,
eum esse simulat militem puero patrem.
Eum isti subpositum puerum opinor pessumae. 88a
Mihi verba retur dare sese? an me censuit
celare se potesse, gravida si foret?
Nam ego Lemno advenio Athenas nudius tertius,
legatus quo hinc cum publico inperio fui.
Sed haec quidem eius Astaphium est ancillula;
cum ea quoque etiam mihi fuit conmercium. |
LE
RUSTRE
ACTE I
SCENA I
DINARQUE, seul
Une vie entière d'apprentissage ne suffit pas à un amant pour
apprendre à fond tous les moyens qu'on a de le ruiner; et Vénus
elle-même ne lui enseigne jamais à s'en rendre compte, elle qui règle
souverainement toutes les affaires d'amour. Sait-il de combien
d'artifices on l'abuse, de combien de ruses on le perd? Que de
séductions pour vaincre ses refus ! Que de tendres caresses ! que de
petites colères ! que d'offrandes imposées ! O dieux, secourez-nous !
et qu'il y a encore de mensonges à faire outre les cadeaux ! D'abord se
paie la pension d'une année; c'est pour commencer la partie. L'amant,
en retour, obtient trois nuits. Ensuite il est question d'argent, ou de
vin, ou d'huile, ou de blé; on le tâte, on voit s'il est d'humeur
libérale ou parcimonieuse. De même que le pêcheur, après avoir
disposé son filet dans le vivier, dès qu'il le voit plonger au fond,
tire à lui le filin, et prend garde de laisser les poissons forcer les
mailles, et les serre et les enveloppe; ainsi en use-t-on avec les
amoureux. S'ils donnent ce qu'on demande, et s'ils veulent être plus
complaisants qu'économes, on leur accorde un rabiot de nuits; ils
mordent à l'hameçon. Une fois qu'ils ont avalé le vin d'amour, et que
le breuvage a pénétré au profond de l'être, dès lors c'en est fait
d'eux, et de leur bien, et de leur crédit. Lorsque leur belle vient à
se fâcher, c'est un coup doublement mortel pour leur coeur et pour leur
bourse. S'ils veulent sauver l'un aux dépens de l'autre, ils n'en sont
pas moins frappés : que la belle soit avare de ses nuits, le coeur
souffre mortellement; qu'elle les prodigue, le plaisir du coeur est
fatal à la bourse.
Il y a une règle chez les filles : on n'a pas encore fait un cadeau,
que déjà elles imaginent des prétextes pour en demander cent : c'est
un bijou perdu, c'est un fichu déchiré, c'est une esclave à acheter,
c'est un vase de bronze ou d'argent, ou bien un lit sculpté, ou une
armoire grecque, ou tout autre objet qu'on a brisé, et qu'il faut que
l'amant rende à sa maîtresse.
Nous avons grand soin, tandis que nous perdons ainsi notre fortune et
notre crédit, et nous-mêmes à la fois, de le cacher si bien à notre
famille, à nos parents, qu'ils ne puissent pas s'en douter. Mais si, au
lieu de les tromper, nous les prenions pour confidents, afin que leur
prudence modérât notre jeunesse et nous apprît à conserver
l'héritage de nos aïeux pour notre postérité, la foule des
pourvoyeurs et des filles, et la foule des dissipateurs, si nombreuse
aujourd'hui, diminuerait bientôt. Les marchands de femmes, les filles,
il y en a maintenant, je crois, plus que de mouches au plus fort de
l'été. Cherchez-les, si vous n'en trouvez pas ailleurs, auprès des
tables des banquiers; c'est là qu'ils se tiennent toujours : le
dénombrement en serait long; car on en voit plus, j'en suis sûr, au
marché de l'argent, que de poids et de balances. Qu'ont-elles à faire
dans ce lieu? je n'en sais rien, à moins qu'elles ne servent de
registres pour écrire les comptes courants (j'entends ceux de la
recette, et non pas ceux des remboursements).
Après tout, au sein d'une grande cité, dans une population nombreuse,
quand on a triomphé des ennemis, et qu'on jouit des loisirs de la paix,
on n'a rien de mieux à faire que d'aimer, si l'on a de quoi payer ses
amours. Quant à moi, Phronésie, la courtisane qui habite ici (montrant
la demeure de Phronésie), a chassé tout son nom de moi-même; car
phronésis, c'est la sagesse. Je fus, je l'avoue, le favori, l'amant
préféré; faveur funeste pour la fortune d'un amant. Mais depuis
qu'elle en a trouvé un plus riche et plus prodigue, elle m'a
disgracié; et cependant la traîtresse disait que ce militaire
babylonien lui causait d'odieux tourments. On annonce pour aujourd'hui
l'arrivée de cet étranger; et elle a imaginé une fourberie à mon
attention. Elle feint d'avoir eu un enfant : comme cela, elle me met à
la porte et elle reste seule à faire la vie grecque avec le soldat à
qui elle fait croire qu'il est le père. La friponne ! quel besoin
avait-elle de cette supposition d'enfant? Mais espère-t-elle m'en
conter? était-il possible qu'elle me cachât sa grossesse, si elle
avait été enceinte? Maintenant me voici dans Athènes, revenu depuis
deux jours de Lesbos, où la république m'avait envoyé avec un
commandement... Mais qui est cette femme qui sort? c'est la petite
esclave Astaphie, avec qui aussi j'ai été bien.
|
SCENA
II
ASTAPHIUM, DINARCHUS
ASTAPHIUM
Ad foreis auscultate, atque adservate aedeis, 95
ne quis adventor gravior abeat quam adveniat,
neu qui manus adtulerit sterileis intro ad nos,
gravidas foras exportet : gnovi ego hominum mores;
ita nunc adulescenteis morati sunt: qui ei aut
senei adveniunt ad scorta congerones; 100
consulta sunt consilia, quando intro advenerunt;
oenus eorum aliqui osculum amicae usque obgerit, dum illi agant caeteri
cleptae.
Sin vident quempiam se adservare, obludunt, qui custodem oblectent
per ioculum et ludum; de nostro saepe edunt, quod fartores faciunt.
fit, pol, hoc : et pars spectatorum, scitis, pol, haec vos me haud
mentiri. 105
Ibi est ibus pugnae et virtuti, de praedonibus praedam capere.
at nos rursum lepide referimus gratiam furibus nostris: 107-110
nam ipsi vident quom eorum adgerimus bona; atque etiam ultro ipsi aagerunt
ad nos.111
DINARCHUS
Me illis quidem haec verberat verbis,
nam ego huc bona mea decessi.
ASTAPHIUM
Commemini : iam, pol, ego eumpse ad nos, si domi erit, mecum adducam.
DINARCHUS
Heus, manedum, Astaphium, priusquam abis. 115
ASTAPHIUM
Qui revocat?
DINARCHUS
Scies: respice huc.
ASTAPHIUM
Quis est?
DINARCHUS
Vobis qui multa bona esse volt.
ASTAPHIUM
Dato,
si esse vis.
DINARCHUS
Faxo, erunt, respice huc modo.
ASTAPHIUM
Io !
enicas me miseram, quisquis es.
DINARCHUS
Pessuma, mane. 120
ASTAPHIUM
Optume, odiosus es.
Diniarchusne illic est? atque is est.
DINARCHUS
Salva sis.
ASTAPHIUM
Et tu.
DINARCHUS
Fer contra manum, et pariter gradere.
ASTAPHIUM
Tuis servio atque audiens sum imperiis. 125
DINARCHUS
Tute quid agis?
ASTAPHIUM
Valeo et validum teneo.
Peregre quoniam advenis, cena detur.
DINARCHUS
Bene dicis benigneque vocas, Astaphium.
ASTAPHIUM
Amabo,
sine me ire quo iussit.
DINARCHUS
Eas. Sed quid ais?
ASTAPHIUM
Quid vis?
DINARCHUS
Istic, quo iter inceptas, quis est, quem arcessis?
ASTAPHIUM
Archinam 130
obstetricem.
DINARCHUS
Mala tu femina es, oles unde es disciplinam.
Manifesto mendaci, mala, teneo te.
ASTAPHIUM
Quid iam, amabo?
DINARCHUS
Quia te adducturam huc dixeras eum ipsum, non eampse;
nunc mulier facta est iam ex viro: mala es praestrigiatrix.
Sed tandem eloquere: quis is homo 'st, Astaphium? novos amator? 135
ASTAPHIUM
Nimis otiosum te arbitror hominem esse.
DINARCHUS
Quinam arbitrare?
ASTAPHIUM
Quia tuo vestimento et cibo alienis rebus curas.
DINARCHUS
Vos mihi dedistis otiosum.
ASTAPHIUM
Quid iam, amabo?
DINARCHUS
Ego expedibo :
rem perdidi apud vos : vos meum negotium abstulistis.
Si rem servassem fuit ubi negotiosus essem. 140
ASTAPHIUM
An tu te Veneris publicum aut Amoris alia lege
habere posse postulas, quin otiosus fias?
DINARCHUS
Illa, haud ego, habuit publicum: pervorse interpretaris;
nam advorsum legem meam, ob meam scripturam, pecudem cepit.
ASTAPHIUM
Plerique idem quod tu facis, faciunt rei male gerentes: 145
ubi non est, scripturam unde dent, incusant publicanos.
DINARCHUS
Male vortit res pecuaria mihi apud vos: nunc vicissim
volo habere aratiunculam pro copia heic apud vos.
ASTAPHIUM
Non arvos hic, sed pascuus 'st ager: si arationes
habituris, qui arari solent, ad pueros ire meliu est. 150
Hunc nos habemus publicum; illi alii sunt publicani.
DINARCHUS
Utrosque pergnovi probe.
ASTAPHIUM
Istoc, pol, tu otiosu's,
quom et illeic et heic pervorsus es : sed utriscum rem esse mavis?
DINARCHUS
Procaciores estis vos, sed illi periuriosi;
illis perit quidquid datur, neque ipsis adparet quidquam. 155
Vos saltem, si quid quaeritis, exbibitis et comestis.
Postremo illi sunt improbi, vos nequam et gloriosae.
ASTAPHIUM
Male quae in nos ais, ea omnia tibi dicis, Diniarche,
et nostram et illorum vicem.
DINARCHUS
Qui istuc?
ASTAPHIUM
Rationem dicam:
quia qui alterum incusat probri, sumpse enitere oportet. 160
Tu a nobis, sapiens, nihil habes; nos nequam abs ted habemus.
DINARCHUS
O Astaphium, haud istoc modo solita es me ante adpellare,
sed blande, quom illuc, quod apud vos nunc est, apud me habebam.
ASTAPHIUM
Dum vivit, hominem gnoveris; ubi mortuus est, quiescas.
Te, dum vivebas, gnoveram.
DINARCHUS
An me mortuom arbitrare? 165
ASTAPHIUM
Qui potis est, amabo, planius? qui antehac amator summus
habitu'st, istunc ad amicam venis querimonias referre.
DINARCHUS
Vestra, hercle, factum iniuria, quae properavistis olim:
rapere otiose oportuit, diu ut essem incolumis vobis.
ASTAPHIUM
Amator simili 'st oppidi hostilis.
DINARCHUS
Quo argumento est? 170
ASTAPHIUM
Quam primum expugnari poti 'st, tam id optimum 'st amicae.
DINARCHUS
Ego fateor : sed longe aliter est amicus atque amator
certe, hercle, quam veteruimus, tam homini optimus est amicus.
Non, hercle, occidi, sunt mi etiam fundi et aedeis.
ASTAPHIUM
Cur, obsecro, ergo ante ostium pro ingnoto alienoque adstas? 175
I intro, haud alienus tu quidem es; nam, ecastor, neminem hodie
mage amat corde atque animo suo, siquidem habes fundum atque aedeis.
DINARCHUS
In melle sunt linguae sitae vostrae atque orationes,
facta atque corda in felle sunt sita, atque acerbo aceto
linguis dicta dulcia datis, corde amarefacitis. 180
ASTAPHIUM
Amanteis, si qui non danunt - non didici fabulari.
DINARCHUS
Amantis si cui quod dabo non est - non didici fabulari.
ASTAPHIUM
Non istaec, mea benignitas, docuit te fabulari,
sed istos qui cum Geniis suis belligerant, parcepromi.
DINARCHUS
Mala es, atque eadem, quae soles, inlecebra.
ASTAPHIUM
Ut exspectatus
peregre advenisti ! Nam, obsecro, cupiebat te hera videre. 185
DINARCHUS
Quid tandem?
ASTAPHIUM
Te unum ex omnibus amat.
DINARCHUS
Euge, funde et aedeis,
per tempus subvenistis. Sed quid ais, Astaphium?
ASTAPHIUM
Quid vis?
DINARCHUS
Estne intus nunc Phronesium?
ASTAPHIUM
Tibi quidem intus.
DINARCHUS
Valetne?
ASTAPHIUM
Immo edepol, melius iam fore, ubi te videbit.
DINARCHUS
Hoc nobis vitium maxumum 'st : quom amamus tum perimus. 190
Si illud, quod volumus, dicitur, palam quom mentiuntur,
verum esse insciti credimus, nae, ut aestus, mutat ira.
ASTAPHIUM
Eia ! haud ita 'st res.
DINARCHUS
Ain' tu, eam me amare?
ASTAPHIUM
Immo unice unum.
DINARCHUS
Peperisse eam audivi.
ASTAPHIUM
Ah obsecro, tace, Diniarche.
DINARCHUS
Quid iam?
ASTAPHIUM
Horresco misera, mentio quotiens fit partionis, 195
ita paene nulla tibi fuit Phronesium : i intro, amabo,
visse illam, atque operimino: iam exibit, nam lavabat.
DINARCHUS
Quid ais tu? quae nunquam fuit praegnans, qui parere potuit?
Nam equidem uterum illi, quod sciam, nunquam extumere sensi.
ASTAPHIUM
Celabat metuebatque te, ne tu sibi persuaderes 200
ut abortioni operam daret, puerumque ut enecaret.
DINARCHUS
Tum, pol, istic est puero pater Babyloniensis miles,
quoius nunc ista adventum expetit.
ASTAPHIUM
Imo ab eo ut nuntiatum 'st,
iam hic adfuturum aiunt eum; nondum advenisse miror.
DINARCHUS
Ibo igitur intro?
ASTAPHIUM
Quippini? tam audacter, quam domum ad te. 205
Nam tu quidem, edepol, noster es etiam nunc, Diniarche.
DINARCHUS
Quam mox te huc recipis?
ASTAPHIUM
Iam heic ero; propest, profecta quo sum.
DINARCHUS
Redi vero actutum : ego interim hic apud vos operibor. |
Scène
II
ASTAPHIE, DINARQUE
ASTAPHIE (parlant
à une esclave dans la maison).
Aie l'oreille au guet, et fais sentinelle à la porte : qu'aucun
visiteur ne s'en aille de la maison plus chargé qu'il n'était venu, et
qu'entré les mains vides, il ne les 80 remporte pleines. Je connais les
moeurs du temps et l'esprit de la jeunesse : ils arrivent en troupe chez
les femmes; troupe d'aigrefins, dont les mesures sont prises; il y en a
qui ne cessent de prodiguer les baisers à la femme, pendant que les
autres sont à leur affaire, habiles filous tous tant qu'ils sont. Se
sentent-ils surveillés, ils font mille tours pour charmer le gardien,
mille jeux et plaisanteries; et. souvent ils vivent à nos dépens,
vrais farceurs de poulets (85). Voilà
comme les choses se passent; et par Pollux ! bon nombre d'entre vous,
spectateurs, savent que je ne mens pas : c'est un triomphe, c'est un bel
exploit pour eux, d'être corsaires avec les corsaires. Mais, à notre
tour, nous ne sommes pas en reste avec nos voleurs : ils nous voient
emporter leurs biens; que dis-je? ils nous les apportent eux-mêmes.
DINARQUE (à voix basse).
J'ai ma part de ses coups de langue; car moi aussi j'ai porté des présents
chez elle.
ASTAPHIE
A propos, je vais le ramener avec moi, par Pollux, si je le trouve au
logis.
DINARQUE
Hé ! demeure, Astaphie, ne t'en va pas.
ASTAPHIE
Qui est-ce qui appelle?
DINARQUE
Regarde par ici, tu le sauras.
ASTAPHIE
Qui est-ce?
DINARQUE
Un homme qui vous veut beaucoup de bien.
ASTAPHIE
Donne, pour prouver ta bonne volonté.
DINARQUE
Les effets répondront aux paroles. Regarde-moi.
ASTAPHIE
Ah ! misère ! tu m'assommes, qui que tu sois. (Elle
s'éloigne.)
DINARQUE (en colère).
Reste où tu es, méchante femelle !
ASTAPHIE
Excellent homme, tu m'ennuies. (Se retournant.)
Est-ce Dinarque? Oui, c'est lui.
DINARQUE
Salut !
ASTAPHIE
Salut !
DINARQUE
Donne-moi la main et approche à ton tour.
ASTAPHIE (s'approchant de lui).
Je suis ta servante et j'obéis.
DINARQUE
Comment va-t-on?
ASTAPHIE
Bien, comme celui à qui je donne la main. Pour ton arrivée... je te
souhaite un bon dîner.
DINARQUE
Bien dit. Excellents voeux, Astaphie.
ASTAPHIE
Laisse-moi, je te prie, aller où l'on m'envoie.
DINARQUE
Va. (La retenant.)
A propos !
ASTAPHIE
Quoi?
DINARQUE
Quelle est la personne chez qui tu vas et que tu dois 110 ramener?
ASTAPHIE
C'est Archina, la sage-femme.
DINARQUE
Friponne que tu es ! On voit bien d'où tu sors... Je t'y prends à
mentir.
ASTAPHIE
Comment, s'il te plaît?
DINARQUE
Oui, tu disais je le ramènerai, et non pas la. L'homme s'est changé en
femme à présent, vilaine sorcière ! Mais enfin parle : qui est-ce,
Astaphie? un nouvel amant?
ASTAPHIE
Tu me parais un homme bien désoeuvré.
DINARQUE
A quoi vois-tu cela?
ASTAPHIE
A ce que tu t'occupes gratuitement des affaires d'autrui.
DINARQUE
C'est vous qui êtes la cause que je n'ai rien à faire.
ASTAPHIE
La raison, je te prie?
DINARQUE
La voici : j'ai mangé mon bien chez vous; avec mon bien vous m'avez débarrassé
de toute occupation. Si je ne l'avais pas perdu, j'aurais de quoi
m'occuper.
ASTAPHIE
Est-ce que tu prétendrais vaquer comme il faut aux affaires publiques
ou aux affaires d'amour, sans être débarrassé de toute occupation?
DINARQUE
Tu as tort; ce n'est pas moi, c'est elle qui se mêle des affaires
publiques, puisqu'elle m'a pris pour mon droit de pâture la brebis avec
l'argent; cela contre la loi (86).
ASTAPHIE
Tu te comportes comme les gens qui sont mal dans leurs affaires : quand
ils n'ont pas de quoi payer l'impôt, ils se plaignent des publicains.
DINARQUE
Les affaires de pâture ne m'ont pas réussi chez vous; je veux changer,
et prendre, selon mes moyens, un petit fonds à cultiver dans vos
domaines.
ASTAPHIE
Nous n'avons point de culture, mais seulement un champ à paître. S'il
te faut des terres à labourer, va chercher des jouvenceaux. Nous avons
notre ferme à exploiter; les autres ont la leur.
DINARQUE
J'ai tâté des deux espèces.
ASTAPHIE
C'est pour cela, par Pollux, que tu restes oisif, parce que tu t'es
fourvoyé des deux côtés. Mais auxquels aimes-tu mieux avoir affaire (87)?
DINARQUE
Vous avez plus de coquetterie; mais ils sont perfides : tout ce qu'on
leur donne est perdu; ils n'en profitent pas eux-mêmes. Vous, du moins,
ce que vous gagnez, vous le mangez et le buvez. Enfin, ils ne valent
rien, et vous ne valez pas grand'chose; car vous êtes pleines de vanité
et de malice.
ASTAPHIE
Le mal que tu dis de nous, tu le dis à toi-même, de notre part et de
la leur.
DINARQUE
Comment cela?
ASTAPHIE
En effet : quand on veut blâmer les autres, il faut soi-même se
distinguer. Toi, le sage, tu n'as rien de nous; nous, gens de rien,
ayons quelque chose de toi!
DINARQUE
Astaphie, ce n'était pas sur ce ton que tu me parlais jadis; tu étais
aimable quand le bien que j'ai laissé chez vous était en ma
possession.
ASTAPHIE
On connaît un homme tant qu'il est en vie; dès qu'il est mort, tout
est fini. Quand tu étais au nombre des vivants, je te connaissais.
DINARQUE
Te semble-t-il que je sois mort?
ASTAPHIE
Peut-on l'être plus complètement, je te prie? Qu'est-ce qu'un amant
qui régnait jadis, et qui n'a plus à offrir à sa maîtresse que des
plaintes?
DINARQUE
C'est vous qu'on doit en accuser, par Hercule; vous avez été trop
ardentes à la curée; il fallait y aller plus modérément, afin de me
conserver plus longtemps.
ASTAPHIE
Un amant est comme une ville ennemie.
DINARQUE
Explique-toi?
ASTAPHIE
Plus tôt la place est emportée, mieux vaut la conquête pour l'amante.
DINARQUE
J'en conviens; mais il y a une grande différence entre un ami et un
amant. Plus l'ami est ancien, par Hercule, meilleur il est certainement.
Mais non, par Hercule, je ne suis pas mort, je possède encore une
maison, des terres.
ASTAPHIE (changeant de ton soudainement).
Pourquoi, dis-moi, demeurer à la porte comme un inconnu, un étranger?
Entre, ce n'est pas toi qui es étranger chez nous. Par Castor, il n'y a
personne qu'elle aime plus que toi de coeur et d'âme, puisque tu as des
terres, une maison.
DINARQUE
Votre langue et vos discours ne sont que lait et que miel; mais vous
avez le coeur fait de fiel, enduit de vinaigre, et du plus aigre; les
douces paroles coulent de votre bouche; votre coeur les rend amères.
ASTAPHIE
Quand les amants ne paient pas, je ne sais pas l'art de parler.
DINARQUE
Quand l'amant n'a pas ce que je donnerai, je ne sais pas l'art de
parler.
ASTAPHIE
Ce n'est pas bien de parler ainsi, ma générosité. Laisse cela aux
avares ennemis de leur plaisir.
DINARQUE
Enjôleuse, friponne, tu es toujours la même.
ASTAPHIE
Que ton arrivée comble nos souhaits ! Car, crois-moi, ma maîtresse était
impatiente de te voir !
DINARQUE
Allons donc?
ASTAPHIE
Elle n'aime que toi au monde.
DINARQUE
Grand merci, mes terres et ma maison, vous m'êtes venues en aide à
propos. Mais dis-moi, Astaphie?
ASTAPHIE (avec empressement).
Quoi?
DINARQUE
Phronésie est-elle là?
ASTAPHIE
Pour toi elle y est.
DINARQUE
Se porte-t-elle bien?
ASTAPHIE
Elle se portera mieux encore, j'en suis sûre, par Pollux, quand elle te
verra.
DINARQUE
Quelle sottise est la nôtre ! nous ne pouvons pas aimer sans nous
perdre. Quand elles disent ce que nous désirons entendre, elles ont
beau mentir de toute évidence, imbéciles, nous les croyons sincères,
et bientôt notre colère s'apaise comme la mer.
ASTAPHIE
Ah ! tu es dans l'erreur.
DINARQUE
Vraiment? m'aime-t-elle?
ASTAPHIE
Tu es son unique amour.
DINARQUE
Il paraît qu'elle était accouchée.
ASTAPHIE
Ah ! ne m'en parle pas, Dinarque, je t'en prie.
DINARQUE
Pourquoi?
ASTAPHIE
Je frémis de tout mon corps dès que j'entends parler d'accouchement;
c'est que ta Phronésie a bien manqué y passer. Entre vite, je t'en
prie; va la voir et attends-moi là; je l'ai laissée au bain, elle ne
tardera pas à se montrer.
DINARQUE
Ah çà ! n'ayant jamais été enceinte, comment a-t-elle pu accoucher?
car, en y pensant, je ne me suis jamais aperçu que sa taille se fût
arrondie.
ASTAPHIE
Elle te le cachait, elle avait peur que tu ne l'obliges à se faire
avorter, à tuer son enfant.
DINARQUE
Alors, par Pollux, le père de cet enfant serait le militaire
babylonien? l'homme dont elle voudrait hâter le retour?
ASTAPHIE
Il doit bientôt arriver, on en a reçu de lui la nouvelle. Je m'étonne
qu'il ne soit pas encore ici.
DINARQUE
Alors entrerai-je ?
ASTAPHIE
Sans doute, aussi librement que chez toi; car, par Pollux, tu es aussi
notre bon ami malgré tout, Dinarque.
DINARQUE
Quand reviendras-tu?
ASTAPHIE
Tout de suite; c'est tout près, où je vais.
DINARQUE
Hâte-toi, je t'attendrai chez vous. (Il entre
chez Phronésie.)
|
ACTUS II
SCENA I
ASTAPHIUM
ASTAPHIUM
Hahahae ! requievi,
quia intro abiit odium meum. 210
Tandem sola sum. Nunc quidem meo arbitratu
loquar libere quae volam et quae lubebit.
Huic homini amanti mea hera apud nos neniam de bonis;
nam fundi et aedeis obligatae sunt ob amoris prandium.
verum apud hunc mea hera sua consilia summa eloquitur libere, 215
magisque adeo ei consiliarius hic amicus est, quam auxiliarius.
Dum fuit, dedit; nunc nihil habet; quod habebat, nos habemus;
iste id habet, quod nos habuimus : humanum facinus factum' st.
Actutum fortunae solent mutarier; varia vita 'st,
nos divitem istum meminimus, atque iste pauperes nos. 220
Verterunt sese memoriae. Stultus sit, qui id miretur.
Si eget, necesse 'st nos pati: amavit, aequom ei factum 'st.
piaculum 'st miserere nos hominum rei male gerentum.
Bonis esse oportet dentibus laenam probam, adridere
quisquis veniat; blandeque adloqui; 225
male corde consultare, bene lingua loqui.
Meretricem similem esse sentis condecet,
quemquem hominem adtigerit, profecto aut malum aut damnum dari.
Nunquam amatoris meretricem oportet causam gnoscere,
quin, ubi nil det, pro infrequente eum mittat militia domum. 230
Nec unquam quisquam probus erit amator nisi qui rei inimicu 'st suae.
Dum habeat, dum amet; ubi nil habeat, alium quaestum coepiat.
Aequo animo, ipse si nihil habeat, aliis qui habent, det locum. 235
Nugae sunt, nisi qui, modo quom dederit, dare iam lubeat denuo;
is amatur heic apud nos, qui quod dedit id oblitu 'st datum.
Probus est amator, qui relictis rebus rem perdit suam.
At nos male agere praedicant viri solere secum,
nosque esse avaras : qui sumus? quid male nos agimus tandem?
Nam, ecastor, nunquam satis dedit suae quisquam amicae amator,
neque, pol, nos satis abcepimus, neque unquam ulla satis poposcit. 240
Nam quando sterilis est amator a datis,
si negat se habere quod det, soli credimus,
nec satis abcipimus, satis quom, quod det non habet.
Semper datores novos oportet quaerere,
qui de thesauris integris demus danunt. 245
Velut hic agrestis est adulescens, qui heic habet,
nimis, pol, mortalis lepidus, nimisque probus dator.
Sed is, clam patrem, etiam hac nocte illac per hortum
transilivit ad nos : eum volo convenire.
Sed est huic unus servos violentissumus, 250
qui, ubi quamque nostrarum videt prope aedeis hasce agrediri,
item ut de frumento anseres, clamore absterret, abigit;
Ita est agrestis : sed foreis, quidquid est futurum, feriam.
Ecquis huic tutelam ianuae gerit? ecquis intus exit? 254-255
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ACTE
II
scène
I
ASTAPHIE
ASTAPHIE
Ah ! ah ! par Cérès, je respire ! l'ennuyeux est entré au logis.
Enfin je suis seule; je puis parler à mon aise maintenant, et dire tout
ce qu'il me plaira. Ma maîtresse a chanté chez nous la complainte
funèbre pour les biens de cet amant, car champs et maison ont été
hypothéqués pour le festin de l'amour. Cependant elle fait de lui son
intime confident pour ses affaires les plus importantes; c'est un ami
plutôt pour le conseil que pour la bourse. Tant qu'il a eu, il a
donné; il n'a plus rien à présent. Ce qu'il avait, nous l'avons, et
il a ce que nous avons eu. Ainsi va le monde; les changements de fortune
arrivent en un clin d'oeil; il n'y a que vicissitudes dans la vie. Nous
l'avons vu riche, il nous a vues pauvres. Les temps sont bien
différents; sot qui s'en étonnerait ! S'il est dans le besoin, il faut
que nous en prenions notre parti : il a aimé, il a son compte. Ce
serait une monstruosité, si nous prenions pitié des gens qui ont voulu
se ruiner; il faut de bonnes dents à une vraie courtisane; il faut
qu'elle sourie à tout venant, qu'elle soit accorte et affable, malice
dans le coeur et douceur sur les lèvres. Une courtisane doit ressembler
à un buisson d'épines : qu'on ne puisse pas s'y frotter sans mal ou
sans perte. Faut-il qu'elle entre dans toutes les raisons des amants?
Elle n'a qu'à les renvoyer chez eux avec leur congé, comme de mauvais
soldats. L'amant ne vaut quelque chose qu'autant qu'il est ennemi de ses
intérêts. Tant qu'il est riche, qu'il aime ! Quand il est pauvre,
qu'il cherche un autre métier, et qu'il se résigne à céder la place
à d'autres qui ont du comptant. L'amant n'a rien fait, si dès
l'instant qu'il a donné il est prêt à donner encore. Chez nous, on
aime celui-là. Le digne amant est celui qui n'a d'autre souci que de
perdre son bien. Les hommes se plaignent de nos procédés à leur
égard, ils nous disent cupides; eh ! comment nous comportons-nous?
quels sont donc nos mauvais procédés? Jamais, par Castor, amoureux n'a
donné assez à sa maîtresse; jamais, par Pollux, on ne nous a
satisfaites; jamais une seule n'a assez exigé. Quand l'amant se trouve
tari dans la source des cadeaux, s'il assure qu'il est sans argent,
nous, ne comptant que sur lui seul, nous ne recevons plus assez, s'il
n'a point de quoi donner. Il est juste que nous nous procurions toujours
des donneurs nouveaux, qui aient des coffres bien garnis pour y puiser,
comme ce jeune rustre qui demeure ici. (Montrant
la maison de Strabax.) C'est, ma foi, un jeune homme charmant, et
qui donne sans compter. Cette nuit, à l'insu de son père, il a sauté
le mur du jardin et passé chez nous. Je veux lui parler; mais il a un
serviteur si brutal ! A peine voit-il une de nous s'approcher de cette
maison, il sort, il crie, il nous chasse comme des oies qui pilleraient
un tas de blé; il est aussi de la campagne. Mais, quoi qu'il en puisse
advenir, je frapperai à la porte. (Prenant un ton
de voix doux.) Qui est le gardien de cette porte? y a-t-il
quelqu'un pour répondre? |
SCENA
II
TRUCULENTUS, ASTAPHIUM
TRUCVLENTUS
Quis illic est, qui tam proterve nostras aedeis arietat? 256
ASTAPHIUM
Ego sum, respice ad me.
TRUCULENTUS
Quid ego? nonne ego videor tibi?
quid tibi ad hasce adcessio 'st aedeis est prope, aut pultatio 'st?
ASTAPHIUM
Salve.
TRUCULENTUS
Sat mihi est tuae salutis : nihil moror. Non salveo.
Aegrotare malim quam esse tua salute sanior. 260
Sed volo scire : quid debetur heic tibi nostrae domi?
ASTAPHIUM
Coprime sis iram...
TRUCULENTUS
Eam quidem, hercle tu, quae solita 's, conprime,
inpudens, quae per ridiculum ut rustico suades stuprum ?
ASTAPHIUM
Iram dixi.
TRUCULENTUS
Ut esse coepusti, sic dem, si est una altera.
ASTAPHIUM
Nimis hic quidem truculentust.
TRUCULENTUS
Pergin' male loqui, mulier, mihi? 265
ASTAPHIUM
Quid tibi ego male dico?
TRUCULENTUS
Quia enim me truncum lentum nominas.
Nunc adeo, nisi abis actutum, ac dicis, quid quaeras, cito,
iam, hercle, ego heic te, mulier, quasi sus catulos, pedibus proteram.
ASTAPHIUM
Rus merum hoc quidem 'st.
TRUCULENTUS
Pudendum est vero clurinum pecus.
Advenisti huc te ostentatum, cum exornatis ossibus, 270
quia tibi insuaso infecisti, propudiosa, pallulam?
An eo bella es, quia abcepisti arme advenias.
ASTAPHIUM
Nunc places, quom mi inclementer dicis.
TRUCULENTUS
Quid hoc quod te rogo?
Mancupium qui abcipias, gesta tecum henos annuos?
Pignus da ni laviniae heic sint, quas habes victorias ? 275
ASTAPHIUM
Ne adtigas me.
TRUCULENTUS
Tangam? ita me amabit sarculum,
ut ego me ruri amplexari mavelim patulam bovem,
cumque ea ita noctem in stramentis pernoctare perpetim
quam tuas centum coenatas nocteis mihi dono dari.
Rus tu mi obprobras? ut nancta es hominem, quem pudeat probri! 280
Sed quid apud nostras negoti, mulier, est aedeis tibi?
Quid tu huc obcursas, in urbem quotienscumque advenimus?
ASTAPHIUM
Mulieres volo convenire vostras.
TRUCULENTUS
Quas tu mulieres
mihi narras ? ubi musca nulla femina 'st in aedibus?
ASTAPHIUM
Nullan' isteic mulier habitat?
TRUCULENTUS
Rus, inquam, abierunt : abi. 285
ASTAPHIUM
Quid, clamas, insane?
TRUCULENTUS
Abire hinc ni properas grandi gradu,
iam ego istos fictos, compositos, crispos, cincinnos tuos,
unguentatos usque ex cerebro expellam.
ASTAPHIUM
Quanam gratia?
TRUCULENTUS
Quia ad foreis nostras unguentis uncta es ausa adcedere
quiaque istas buccas tam belle purpurissatas habes. 290
ASTAPHIUM
Erubui, mecastor, misera propter clamorem tuum.
TRUCULENTUS
Itane? erubuisti? quasi vero corpori reliqueris
tuo potestatem coloris ulli capiendi, mala :
buccas rubrica, creta omne corpus intinxti tibi.
Pessumae estis.
ASTAPHIUM
Quid est, quod vobis pessumae haec malefecerint? 295
TRUCULENTUS
Scio ego plus quam tu arbitrare scire me.
ASTAPHIUM
Quid id est, obsecro.
Quod scias?
TRUCULENTUS
Herilis noster filius apud vos Strabax
ut pereat, ut eum inliciatis in malam fraudem et praemium.
ASTAPHIUM
Sanus si videare, dicam: dicis contumeliam.
Nemo hominum heic perire solet apud nos: res perdunt suas. 300
Ubi perdidere res, abire hinc si volunt, salvis licet.
Ego istunc non gnovi adulescentem vostrum.
TRUCULENTUS
Veron' serio?
Quid maceria illa ait, in horto quae est, quae in nocteis singulas
latere fit minor, qua istoc ad vos damni permensu 'st viam?
ASTAPHIUM
Non mirum (vetus est maceria) lateres si veteres ruunt. 305
TRUCULENTUS
Ain' tu, mala, lateres veteres ruere? nunquam, edepol mihi
quisquam homo mortalis posthac duarum rerum creduit,
ni ego vostra hero maiori facta denarravero.
ASTAPHIUM
Estne item violentus ut tu?
TRUCULENTUS
Non enim ille meretriculis
moenerandis rem coegit, verum parsimonia 310
duritiaque: quae nunc ad vos clam exportantur, pessumae.
Ea vos estis, exunguimini, ebibitis : egone haec mussitem?
Iam quidem hercle ibo ad forum, atque haec facta narrabo seni.
Neque istuc insegesti tergo coget examen mali.
ASTAPHIUM
Si, ecastor, hic homo sinapi victitet, non censeam 315
tam esse tristem posse : at, pol, hero benevolens ut is est suos !
Verum ego illum, quamquam violentu 'st, spero, mutari potest
blandimentis, oramentis, ceteris meretriciis.
Vidi equidem eximie intus domitas fieri atque alias beluas.
Nunc ad heram revidebo : sed eccum odium progreditur meum. 320
Tristis exit : haud convenit etiam hic dum Phronesium.
|
Scène
II
LE RUSTRE, ASTAPHIE
LE RUSTRE
Qui se permet d'ébranler ainsi la maison?
ASTAPHIE
C'est moi, regarde de ce côté.
LE RUSTRE
Comment, moi?... est-ce que moi, je ne suis pas visible?... Maudite !
pourquoi t'approches-tu de cette maison? qu'as-tu à frapper?
ASTAPHIE
Salut !
LE RUSTRE
J'ai assez de tes saluts; je n'en veux pas ! je ne vais pas bien, et
j'aimerais mieux être malade, que bien portant par tes souhaits. Mais
puis-je savoir ce qu'on te doit dans ce logis?
ASTAPHIE
Ah ! serre bien ta colère dans tes bras !...
LE RUSTRE
A la vérité, par Hercule, toi, serre dans tes bras ! ce sont tes
moeurs. Voyez-vous l'impudente? Elle se moque d'un homme de la campagne,
avec ses propositions d'amour !
ASTAPHIE
J'ai parlé de ta colère.
LE RUSTRE
Tu n'as pas ta pareille, je le gagerais.
ASTAPHIE
Quel rustre !
LE RUSTRE
Tu oses encore m'insulter, femelle !
ASTAPHIE
Qu'est-ce que je te dis de mal?
LE RUSTRE
Tu m'appelles rustre. Or donc, si tu ne déloges incontinent et ne me
dis tout de suite ce qui t'amène, par Hercule, je te piétinerai comme
une laie piétine ses marcassins.
ASTAPHIE
C'est un rustique, s'il en fut jamais.
LE RUSTRE
J'en dois rougir, n'est-ce pas? Et toi, pécore, gue non, tu es fière
d'étaler ta carcasse en toilette, parce que tu as fait teindre ton
fichu couleur de suie. Tu te crois bien jolie avec ce cadeau qu'on t'a
fait ! Approche par ici.
ASTAPHIE
Tu me plais à me parler rudement.
LE RUSTRE
Qu'est-ce que je te demande? Si tu veux avoir un esclave, il faut que tu
lui assures sa pitance annuelle. (La tirant par un
bout de son vêtement.) Parions que ces chiffons ne sont pas ceux
que tu as pour tes victoires (88).
ASTAPHIE
Ne me touche pas.
LE RUSTRE
Moi, te toucher ! Que mon sarcloir m'abandonne, si je n'aimerais pas
mieux m'atteler avec un boeuf à longues cornes, et coucher, la nuit
durant, à ses côtés sur la litière, que d'obtenir cent de tes nuits,
même précédées de soupers. Tu me reproches ma vie rustique : tu as
trouvé ton homme, ma foi, pour lui faire honte avec cette injure ! Mais
qu'as-tu à demander chez nous, femme? Pourquoi viens-tu te jeter à
notre tête toutes les fois que nous venons en ville?
ASTAPHIE
Je veux parler aux femmes de ce logis.
LE RUSTRE
De quelles femelles parles-tu? Il n'y en a pas; il n'y a pas une mouche
à la maison.
ASTAPHIE
Il n'y a point de femmes chez vous?
LE RUSTRE
Elles sont allées à la campagne, je te dis. Va-t'en.
ASTAPHIE
Pourquoi cries-tu, furieux?
LE RUSTRE
Si tu ne te dépêches d'allonger le pas pour t'en aller, cette crinière
peignée, pomponnée, frisée, bouclée, parfumée, je l'arracherai de
ton crâne.
ASTAPHIE
Pour quelle raison?
LE RUSTRE
Pour oser t'approcher de notre logis parfumée de la sorte, et pour
avoir le museau si joliment fardé.
ASTAPHIE
C'est ta criaillerie, par Castor, qui me fait monter le rouge à la
figure.
LE RUSTRE
Oui-da? le rouge te monte? comme s'il restait encore sur ta peau une
place à teindre, coquine ! N'es-tu pas barbouillée de vermillon sur
les joues, et de craie sur toute ta personne? Vous êtes de grandes scélérates
!
ASTAPHIE
Quel mal vous ont-elles fait, ces scélérates?
LE RUSTRE
J'en sais plus que tu ne penses.
ASTAPHIE
Que sais-tu, je te prie?
LE RUSTRE
Je sais comme Strabax, le fils de mon maître, se perd chez vous; comme
vous le corrompez par vos cajoleries, et prenez sur lui votre butin.
ASTAPHIE
Si tu ne m'avais pas l'air d'un fou, je te dirais : Tu me fais injure (89).
On ne se perd pas chez nous; on y perd ce qu'on a. Quand on l'a perdu,
on peut s'en aller. Au revoir et merci. Je ne connais pas ton jeune
homme.
LE RUSTRE
Sérieusement? Il y a pourtant un témoin, ce mur de jardin, qui a des
briques de moins toutes les nuits, et à travers lequel il s'est ouvert
un chemin de perdition pour aller chez vous.
ASTAPHIE
Le beau miracle qu'il tombe des briques d'une vieille muraille !
LE RUSTRE
Tu prétends, coquine, que les briques tombent de vieillesse ! Par
Pollux, je veux qu'on ne croie pas désormais à deux de mes paroles, si
je ne dénonce pas au père vos agissements.
ASTAPHIE
Est-il violent comme toi?
LE RUSTRE
Ce n'est pas en entretenant des drôlesses qu'il a autrefois amassé son
bien, mais à force d'épargnes et de privations; et le bien passe à présent
chez vous, scélérates. Et vous, vous le mangez, vous le faites passer
en parfums, vous le buvez. Et je me tairais là-dessus ! Je cours de ce
pas au forum, par Hercule, et je raconterai au vieillard vos exploits et
j'empêcherai qu'un essaim de maux s'abatte sur son dos où il n'y a
rien à prendre. (Il sort.)
ASTAPHIE (seule).
Par Castor, quand cet homme-là se nourrirait de moutarde, il n'aurait
pas un esprit plus chagrin. (Prenant un ton sérieux.)
Mais comme il est attaché à son maître l... Bah ! malgré ses
fureurs, on peut le dompter, j'espère; nous avons des séductions, et
tout l'arsenal de la courtisanerie. J'ai vu très bien apprivoiser chez
nous d'autres bêtes aussi farouches. Je retourne auprès de ma maîtresse.
(Voyant Dinarque sortir de chez Phronésie.)
Voici mon ennemi qui s'avance; il a l'air de mauvaise humeur; il n'a pas
encore été reçu par Phronésie.
|
SCENA
III
DINARCUS, ASTAPHIUM
DINARCHVS
Pisceis ego credo, qui usque dum vivont, lavant,
minus diu lavare, quam haec lavat Phronesium.
si proinde amentur, mulieres diu quam lavant,
omnes amanteis balneatores sient. 325
ASTAPHIUM
Non quis parumper durare, operirier?
DINARCHUS
Quin, hercle, lassus iam sum durando miser.
ASTAPHIUM
Mihi quoque prae lassitudine opus est ut lavem.
DINARCHUS
Sed obsecro, hercle, Astaphium, i intro, ac nuntia
me adesse : ut properet suade, iam ut satis laverit. 330
ASTAPHIUM
Licet.
DINARCHUS
Audin' etiam?
ASTAPHIUM
Quid vis?
DINARCHUS
Di me perduint,
qui te revocavi : non tibi dicebam i modo?
ASTAPHIUM
Quid iam revocabas, improbe nihilique homo ?
Tute tibi mille passum peperit morae.
DINARCHUS
Sed quid haec heic autem tam diu ante aedeis stetit? 335
nescio quem praestolata 'st; credo, militem.
Illum student iam; quasi volturii, triduo
prius praedivinant quo die esuri sient.
Illum inhiant omneis, illi est animus omnibus.
Me nemo magis respiciet, ubi iste huc venerit, 340
quam si hinc ducentos annos fuerim mortuus.
Ut rem servire suave 'st! vae misero mihi !
Post factum flector, qui ante partum perdidi.
Verum nunc si qua mi obtigerit hereditas
magna atque luculenta, nunc postquam scio 345
dulce atque amarum quid sit ex pecunia,
ita ego illam, edepol, servem, itaque parce victitem,
ut nulla faxim cis dies paucos siet,
ego istos, qui nunc me culpant, confutaverim.
Sed aestuosas sentio aperiri foreis, 350
quae obsorbent quidquid venit intra pessulos.
|
Scène
III
DINARQUE, ASTAPHIE
DINARQUE
Les poissons qui passent leur vie dans l'eau se baignent moins
longuement, je crois, que Phronésie ne met de temps à se baigner. Si
les femmes se laissaient aimer aussi longtemps qu'elles restent au bain,
tous les amants feraient le métier de baigneurs.
ASTAPHIE
Ne saurais-tu patienter, attendre un moment?
DINARQUE
Eh ! par Hercule, je suis las de patienter.
ASTAPHIE
Moi aussi, je suis lasse, et j'ai besoin de me baigner.
DINARQUE
Je t'en supplie, par Hercule, Astaphie, entre, va lui dire que je suis là;
dépêche-toi, fais-lui comprendre qu'elle s'est baignée suffisamment.
ASTAPHIE
Bon.
DINARQUE
Écoute encore.
ASTAPHIE
Quoi?
DINARQUE
Que les dieux m'exterminent pour t'avoir rappelée ! Je ne voulais rien
dire. Va toujours.
ASTAPHIE
Pourquoi me rappeler, nigaud, propre à rien? ce retard te retardera de
mille pas. (Elle sort.)
DINARQUE (seul).
Mais pourquoi est-elle demeurée si longtemps à la porte? Elle
attendait je ne sais qui, le militaire sans doute. Voyez un peu; oui,
c'est comme les vautours qui pressentent la proie toujours à l'avance :
elles sont affamées de le voir; elles n'ont pas d'autres pensées.
Quand il sera arrivé, on ne fera pas plus attention à moi que si j'étais
mort depuis plus de deux cents ans... Quel bonheur de se livrer
uniquement au soin de sa fortune. O misérable que je suis ! après la
faute vient la peine; voilà ce que c'est d'avoir dissipé le bien de
mes pères. Mais à présent, s'il m'arrivait un riche et magnifique héritage,
à présent que je sais tout ce que l'argent peut causer d'amertume et
de douceur, je le conserverais si bien, par Pollux, je vivrais tellement
d'économie, qu'au bout de quelques jours, tout serait fondu; je
fermerais la bouche aux médisants. Mais à grand fracas j'entends
ouvrir cette porte qui engloutit sans retour ce qui passe de l'autre côté
des verrous.
|
SCENA
IV
PHRONESIUM, DINARCHUS
PHRONESIUM
Num tibi nam, amabo, ianua 'st mordax mea,
quo intro ire metuas, mea voluptas?
DINARCHUS
Ver vide :
ut tota floret ! ut olet ! ut nitide nitet !
PHRONESIUM
Quid tam inficetus, Lemno adveniens, qui tuae 355
non des amicae, Diniarche, savium?
DINARCHUS
Vah ! vapulo, hercle, ego nunc, atque adeo male.
PHRONESIUM
Quo te avortisti?
DINARCHUS
Salva sis, Phronesium.
PHRONESIUM
Salve; heicine hodie coenas, salvos quom advenis?
DINARCHUS
Promisi.
PHRONESIUM
Ubi coenabis?
DINARCHUS
Ubi tu iusseris. 360
PHRONESIUM
Hic me lubente facies.
DINARCHUS
Edepol, me magis.
Nempe tu eris hodie mecum, mea Phronesium?
PHRONESIUM
Velim, si fieri possit.
DINARCHUS
Cedo soleas mihi,
properate: auferte mensam.
PHRONESIUM
Amabo, sanun' es?
DINARCHUS
Non, edepol, bibere possum iam, ita animo male 'st. 365
PHRONESIUM
Mane; aliquid fiet, ne abi.
DINARCHUS
Ah ! adspersisti aquam,
iam rediit animus : deme soleas, cedo bibam.
PHRONESIUM
Idem es, mecastor, qui soles : sed dic mihi,
benene ambulavisti?
DINARCHUS
Huc quidem, hercle, ad te bene,
quia tui videndi 'st copia.
PHRONESIUM
Complectere. 370
DINARCHUS
Lubens. Heia ! hoc est melle dulci dulcius !
Hoc tuis fortunis, Iupiter, praestant meae.
PHRONESIUM
Dan' savium?
DINARCHUS
Imo vel decem.
PHRONESIUM
Em istoc pauper es:
plus pollicere, quam ego a te postulo.
DINARCHUS
Utinam a principio rei item parsissi meae, 375
ut nunc reparcis saviis !
PHRONESIUM
Si quid tibi
conpendi facere possim, factum, edepol, velim.
DINARCHUS
Iam lauta es?
PHRONESIUM
Iam, pol, mihi quidem atque oculis meis.
Num tibi sordere videor?
DINARCHUS
Non, pol, mihi quidem;
verum tempestas memini quondam fuit, 380
quom inter nos sorderemus alter alteri.
Sed quid ego facinus audivi adveniens tuum,
quod tu heic, me absente, novi negoti gesseris?
Quid id est? primum quom tu es aucta liberis,
quomque bene provenisti salva, gaudeo. 385
PHRONESIUM
Concedite hinc vos intro, atque operite ostium.
Tu nunc superstes solus sermoni meo es.
Tibi mea consilia summa semper credidi.
Equidem nec peperi puerum, nec praegnas fui,
verum adsimulavi me esse praegnatem: haud nego. 390
DINARCHUS
Quem propter, o mea vita?
PHRONESIUM
Propter militem
Babyloniensem, qui quasi uxorem sibi
me habebat anno, dum heic fuit.
DINARCHUS
Ego senseram.
Sed quid istuc? quo rei te adsimulare retulit?
PHRONESIUM
Ut esset aliquis laqueus et redimiculum, 395
reversionem ut ad me faceret denuo.
Nunc huc remisit nuper ad me epistolam,
sese experturum quanti sese penderem;
si, quod peperissem, id non necarem ac tollerem,
bona sua me habiturum omnia.
DINARCHUS
Ausculto lubens. 400
Quid denique agitis?
PHRONESIUM
Mater ancillas iubet,
quoniam iam decimus mensis adventat prope,
aliam aliorsum ire, praemandare et quaerere
puerum aut puellam, qui subponatur mihi.
Quid multa verba faciam? tonstricem Suram 405
gnovisti nostram, quae erga aedeis sese habet.
DINARCHUS
Gnovi.
PHRONESIUM
Haec ut opera circumit per familias,
puerum vestigat clanculum, ad me detulit.
Datum sibi esse dixit.
DINARCHUS
O merceis malae !
Eum nunc non illa peperit, quae peperit prior, 410
sed tu posterior.
PHRONESIUM
Ordine omnem rem tenes.
Nunc, ut praemisit nuntium miles mihi,
non multo post heic aderit.
DINARCHUS
Nunc tu te interim
quasi pro puerpera heic procuras?
PHRONESIUM
Quippini ?
ubi sine labore res geri polcre potest, 415
ad suom quemque aequom 'st quaestum esse callidum.
DINARCHUS
Quid me futurum 'st, quando miles venerit?
Relictusne abs te vivam?
PHRONESIUM
Ubi illud, quod volo,
habebo ab illo, facile inveniam, quomodo
divortium et discordiam inter nos parem: 420
Postidea ego tota tecum, mea voluptas, usque ero
adsiduo.
DINARCHUS
Imo, hercle, vero abcubuo mavelim.
PHRONESIUM
Dis sacruficare hodie pro puero volo,
quinto die, quod fieri oportet.
DINARCHUS
Censeo.
PHRONESIUM
Non audes aliquid mihi dare munusculum? 425
DINARCHUS
Lucrum, hercle, videor facere mi, voluptas mea,
ubi quidpiam me poscis.
PHRONESIUM
At ego, ubi abstuli.
DINARCHUS
Iam faxo heic aderit; servolum huc mittam meum.
PHRONESIUM
Sic facito.
DINARCHUS
Quidquid autem erit, boni consulas.
PHRONESIUM
Ecastor, munus te curaturum scio, 430
ut quoius me non poeniteat mittas mihi.
DINARCHUS
Num quidpiam me vis aliud ?
PHRONESIUM
Ut, quando otium
tibi sit ad me revisas, tu valeas.
DINARCHUS
Vale.
Pro di immortaleis ! non amantis mulieris,
sed sociae unanimantis, fidentis fuit 435
officium facere, quod modo haec fecit mihi,
subpositionem pueri quae mihi credidit,
germanae quod sorori non credit soror.
Ostendit sese iam mihi medullitus,
scio mi infidelem nunquam, se viva, fore. 440
Egone illam ut non amem? egone illi ut non bene velim?
Me potius non amabo, quam huic desit amor.
Ego isti non munus mittam? iam modo ex hoc loco
iubebo ad istam quinque deferri minas,
praeterea opsonari duntaxat ad minam. 445
Multo illi potius bene erit quae bene volt mihi
quam mihimet, omnia qui mihi facio mala.
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Scène
IV
PHRONÉSIE, DINARQUE
PHRONÉSIE
As-tu peur, je te prie, que ma porte ne te morde? Tu n'entres pas, mon
amour?
DINARQUE
Regardez ce printemps. Quelle fleur ! quel parfum: que d'éclat !
PRONÉSIE
As-tu si peu de savoir-vivre en revenant de Lemnos, que tu ne donnes pas
un baiser à ton amie, Dinarque?
DINARQUE (à part).
Ah ! elle m'égorge à présent; par Hercule, elle m'achève !
PHRONÉSIE
Pourquoi détournes-tu la tête?
DINARQUE
Bonjour, Phronésie.
PHRONÉSIE
Bonjour. Veux-tu dîner aujourd'hui chez nous pour ton heureuse arrivée?
DINARQUE
J'ai promis.
PHRONÉSIE
Où dînes-tu donc?
DINARQUE
Où tu voudras.
PHRONÉSIE
Ici, tu me feras plaisir.
DINARQUE
Et à moi davantage, par Pollux. Ainsi, tu seras à moi aujourd'hui, ma
Phronésie?
PHRONÉSIE
Je le voudrais, si c'était possible.
DINARQUE (se retournant comme pour parler
à des esclaves).
Qu'on me donne mes sandales; dépêchez, enlevez la table.
PHRONÉSIE
As-tu perdu le sens, dis-moi?
DINARQUE (s'éloignant).
Non, je ne puis plus boire, par Pollux, le coeur me manque.
PHRONÉSIE
Reste, on trouvera le joint, ne t'en va pas.
DINARQUE
Ah ! c'est une aspersion d'eau fraîche, elle me ranime. (Faisant
semblant de commander à un esclave.) Ôte-moi mes sandales,
verse à boire.
PHRONÉSIE
Tu n'es point changé, par Castor. Mais dis, as-tu fait bon voyage?
DINARQUE
Oui, en revenant ici vers toi, puisque je puis te voir.
PHRONÉSIE
Serre-moi contre toi.
DINARQUE
Oh oui. (La tenant embrassée). Ah douceur
plus douce que le miel ! En ce moment, Jupiter, mon sort est préférable
au tien.
PHRONÉSIE
Donne-moi un baiser?
DINARQUE
Plutôt dix.
PHRONÉSIE (l'arrêtant).
Tu n'es pas pauvre de ça : tu en donnes plus que je ne demande.
DINARQUE
Que n'ai-je tout d'abord ménagé mon bien, comme tu es, pour ton
compte, ménagère de tes baisers !
PHRONÉSIE
Si je pouvais t'épargner quelque chose, par Pollux, je le ferais
volontiers.
DINARQUE
Ta toilette est achevée enfin?
PHRONÉSIE
Oui, par Pollux, autant que je puis m'en rapporter à mon jugement et à
mes yeux. Est-ce que je ne te parais pas bien?
DINARQUE
Oh ! si vraiment, par Pollux. Mais il y a eu des temps, je m'en
souviens, où nous ne paraissions pas bien l'un à l'autre... Ah çà,
quelle nouvelle ai-je apprise à mon retour? qu'est-ce que tu as donc
fait ici pendant mon absence? Hein, je te félicite d'être devenue mère
de famille, et de t'en être tirée si bien et en si bonne santé.
PHRONÉSIE (à ses femmes).
Retirez-vous, rentrez, et fermez la porte. (A
Dinarque). Maintenant nous sommes seuls, nous pouvons causer. Je
suis accoutumée à te confier mes plus importants secrets. Il n'est pas
vrai que je sois accouchée, ni que j'aie été jamais enceinte;
seulement j'ai fait semblant de l'être. Voilà, je dis tout.
DINARQUE
Pourquoi, chère âme?
PHRONÉSIE
A cause du militaire babylonien, qui m'a eue comme sa femme l'année
dernière pendant son séjour ici.
DINARQUE
Je m'en étais douté. Mais pourquoi cela? quel intérêt avais-tu à
feindre?
PHRONÉSIE
Je voulais avoir un filet, un appât pour le ramener encore à moi. Il
vient en effet de m'écrire en réponse à ma lettre, il dit qu'il verra
à quel point je lui suis attachée; que si j'accepte mon enfant et l'élève,
il me donnera tout son bien.
DINARQUE
Excellent. Enfin où en êtes-vous?
PHRONÉSIE
Ma mère, voyant approcher le dixième mois, a chargé nos servantes de
se démener, d'enquêter, de chercher un petit garçon ou une petite
fille qui puisse servir à la supposition. Bref, tu connais notre Syra (90),
la coiffeuse qui demeure en face de chez nous?
DINARQUE
Oui.
PHRONÉSIE
Elle a couru de maison en maison pour me trouver clandestinement un
enfant, et elle m'en apporte un qu'on lui a donné, à ce qu'elle dit.
DINARQUE
O les mauvaises pièces ! Alors la première mère n'est pas sa mère;
c'est la seconde, toi.
PHRONÉSIE
Tu as saisi. Maintenant j'attends le militaire, il s'est fait annoncer,
il sera bientôt ici.
DINARQUE
Et en attendant, tu te soignes comme une femme en couche?
PHRONÉSIE
Sans doute. Quand on peut sans peine mener à bien une affaire, on a
raison d'agir avec adresse pour son intérêt.
DINARQUE
Que deviendrai-je quand le militaire sera venu? je vivrai dans
l'abandon, séparé de toi?
PHRONÉSIE
Une fois que j'aurai pu tirer de lui ce que je veux, je trouverai
facilement des prétextes de querelle et de rupture, et ensuite je serai
toute à toi, ma volupté, tout le jour.
DINARQUE
J'aimerais mieux toute la nuit, par Hercule.
PHRONÉSIE
Mais je veux sacrifier aux dieux pour le nouveau-né, le cinquième
jour, selon le rite (91).
DINARQUE
Tu as raison. (Il s'apprête à partir.)
PHRONÉSIE
Ne penses-tu pas à me faire un petit cadeau?
DINARQUE
II me semble que je m'enrichis, par Hercule, ma volupté, toutes les
fois que tu me demandes quelque chose.
PHRONÉSIE
Et moi, quand je le tiens.
DINARQUE
Tu l'auras tout de suite, je t'enverrai mon petit esclave.
PHRONÉSIE
N'y manque pas.
DINARQUE
Quel que soit le présent, fais-lui bon accueil.
PHRONÉSIE
Par Castor, je sais que tu le choisiras de façon que je n'aie pas de
regret.
DINARQUE (prenant congé).
Tu n'as rien d'autre à me demander?
PHRONÉSIE
Si, de revenir me voir quand tu auras le temps, et adieu.
DINARQUE
Adieu. (Seul). O dieux immortels ! ce n'est
pas le procédé d'une maîtresse, c'est celui d'une amie qui n'a rien
de caché pour moi, d'une autre moi-même, ce qu'elle vient de faire. Me
confier le secret d'une supposition d'enfant ! ce qu'une soeur ne confie
pas à sa propre soeur ! Elle m'a montré le fond de son âme ! elle ne
veut m'être infidèle jamais de toute sa vie. Et je ne l'aimerais pas?
et je ne lui serais pas dévoué? J'aurai cessé de m'aimer moi-même
avant que mon amour l'abandonne. Comment ne pas lui envoyer un présent?
Je vais tout de ce pas lui faire donner cinq mines d'argent, et des
provisions de bouche pour une mine ni plus ni moins. Qu'elle ait
le moyen de bien vivre, elle qui me veut tant de bien, plutôt que moi,
qui me fais tant de mal. (Il sort.)
|
SCENA
IV
PHRONESIUM
PHRONESIUM
Puero isti date mammam. Ut miserae
matres sollicitaeque ex animo sunt, crucianturque! 449-450
Edepol, commentum male, quomque eam rem in corde agito, 451
nimio minus perhibemur malae quam sumus ingenio.
Ego prima de me, modo docta, dico.
Quanta est cura in animo, quantum corde capio 454-455
dolorem dolus ne obcidat morte pueri ! 456
Mater dicta quod sum, eo magis studeo vitae;
quae hunc ausa sum, tantun clam dolum adgrediri.
Lucri causa avara probrum sum exsecuta;
alienos dolores mihi subposivi. 460
Nullam rem oportet dolose adgrediri,
nisi astute adcurateque exsequare.
Vosmet iam videtis ut ornata incedo:
puerperio ego nunc med esse aegram adsimulo.
Male quod mulier facere incepit, nisi id ecficere perpetrat, 465
id illi morbo, id illi senio est, ea illi miserae miseria 'st.
Si bene facere incepit, eius rei nimis cito odium percipit.
Nimis quam paucae sunt defessae, male quae facere obceperunt,
nimis quam paucae ecficiunt, si quid obceperint benefacere.
Mulieri nimio malefacere mevius est onus quam bene. 470
Ego, quod mala sum, matris opera mala sum, et meapte malitia :
quae me gravidam esse adsimulavi militi Babylonio;
eam nunc malitiam adcuratam miles inveniat volo.
Istic hic haud multo post, credo, aderit: nunc prius praecaveo sciens;
eumque ornatu, ut gravida, quasi puerperio cubem. 475
Date mi huc stactam atque ignem in aram, ut venerem Lucinam meam.
Hic adponite, atque abite ab oculis. Eho, Pithecium !
face ut adcumbam; adcede : adiutare sic decet puerperam.
Soleas mihi duce, pallium iniice in me huc, Archilis.
Ubi es, Astaphium? Fer huc verbenam mihi, tus et bellaria. 480
Date aquam manibus : nunc, ecastor, ut veniat miles velim.
|
Scène
IV
PHRONÉSIE
PHRONÉSIE, avec plusieurs servantes,
dans l'intérieur de son appartement disposé de manière que le
spectateur puisse voir ce qui s'y passe.
Donnez à téter à cet enfant. Que les pauvres mères ont
d'inquiétudes ! qu'elles sont tourmentées !... Le bon tour, par Pollux
! En y pensant bien, je vois que notre réputation est beaucoup moins
mauvaise que nous ne le sommes en réalité. Moi, toute la première,
j'en parle savamment et par expérience toute fraîche. Que je me donne
de soucis et de peine dans la crainte que mon intrigue ne périsse par
la mort de cet enfant ! Comme j'ai le titre de mère, je n'en veille que
davantage à sa vie. C'est la soif du gain qui m'a donné l'audace de ce
stratagème, qui m'a poussée dans une entreprise criminelle; je me suis
approprié le fruit des douleurs d'une autre. Mais, quand on se mêle de
ruses, il faut de l'adresse et de la prudence dans l'exécution. Vous
voyez vous-mêmes dans quel accoutrement je me présente; il faut que
j'aie l'air de relever de couches. Lorsqu'une femme entreprend une
oeuvre de malice, il faut qu'elle en vienne à ses fins ou le chagrin la
tue, et elle est si malheureuse, que c'est pitié. Qu'elle tente au
contraire une bonne action, le dégoût la prend tout de suite. Mais
combien il y a peu de femmes qui se lassent en faisant le mal ! aussi
peu, que de femmes qui aient le courage de persévérer dans une bonne
intention ! Nuire est pour elles une tâche plus agréable que de bien
faire. Moi, si je suis méchante, je le suis par les leçons de ma mère
et par mon instinct naturel. Maintenant, puisque j'ai imaginé cette
grossesse pour duper le militaire, il faut qu'à son arrivée il trouve
une malice bien soignée. Il ne doit pas tarder, je pense. Alors je
prépare tout comme il faut; j'aurai l'affublement d'une jeune mère qui
achève ses couches. Donnez-moi de la myrrhe et portez le feu sur
l'autel (les servantes s'empressent tour à tour
d'exécuter ses ordres), je veux faire ma prière à Lucine...
posez ici, et retirez-vous. Holà, Pithecium, aide-moi à me mettre au
lit... (la tirant à elle) plus près...;
voilà comme il faut soutenir une femme qui vient d'accoucher. Tire-moi
mes sandales, couvre-moi, Archilis. Où es-tu Astaphie? Apporte-moi la
verveine, l'encens et les dragées; qu'on me donne de l'eau pour laver
mes mains. A présent, par Castor, le militaire n'a qu'à venir. |
SCENA
VI
STRATOPHANES, PHRONESIUM, ASTAPHIUM
STRATOPHANES
Ne expectetis, spectatores, meas pugnas dum praedicem.
Manibus duellis praedicare soleo, haud in sermonibus.
Scio ego multos memoravisse milites mendacium.
Et Homeronida, et postilla mille memorari potest, 485
qui et convicti et condemnati falsis de pugnis sient.
Non placet, quom illi plus laudant qui audiunt, quam qui vident.
Pluris est oculatus testis unus, quam auriti decem;
qui audiunt audita dicunt, qui vident plane sciunt. 490
Non placet quem scurrae laudant, manipulareis mussitant,
neque illi, quorum lingua gladiorum aciem praestringit domi.
Strenui nimio plus prosunt populo, quam arguti et cati.
Facile sibi facunditatem virtus argutam invenit,
sine virtute argutum civem mihi habeam pro praefica, 495
quae alios conlaudat, eapse sese vero non potest.
nunc ad amicam, decimo mense post Athenas atticas
viso, quam gravidam reliqui meo conpressu, quid ea agat.
PHRONESIUM
Vide quis loquitur tam propinque.
ASTAPHIUM
Miles, mea Phronesium,
tibi adest Stratophanes : nunc tibi opu 'st, aegram ut te adsimules. PHRONESIUM
Tace. 500
Quid adhuc ego tam mala eram monetrix, me maleficio vinceres?
STRATOPHANES
Peperit mulier, ut ego opinor.
ASTAPHIUM
Vin' adeam ad hominem?
PHRONESIUM
Volo.
STRATOPHANES
Euge, Astaphium eccam it mi advorsum.
ASTAPHIUM
Salve, ecastor, Stratophanes.
Venire salvom te.
STRATOPHANES
Scio : sed peperitne, obsecro, Phronesium?
ASTAPHIUM
Peperit puerum nimium lepidum.
STRATOPHANES
Ecquid mei simili 'st? 505
ASTAPHIUM
Rogas?
Quin ubi gnatu 'st machaeram et clypeum poscebat sibi?
STRATOPHANES
Meus est, scio iam de argumentis.
ASTAPHIUM
Nimium tui simili 'st.
STRATOPHANES
Papae !
iam magnu 'st? iam letat legionem, quae spolia rettulit?
ASTAPHIUM
Here nudiusquintus gnatus quidem ille 'st.
STRATOPHANES
Quid postea?
Inter tot dies quidem, hercle, iam actum aliquid oportuit. 510
Quid illi ex utero exitio 'st, priusquam poterat ire in proelium?
ASTAPHIUM
Consequere atque illam saluta, et gratulare illi.
STRATOPHANES
Sequor.
PHRONESIUM
Ubi illa, obsecro, est quae me heic reliquit, eapse abiit? Ubist?
ASTAPHIUM
Adsum; adduco tibi exoptatum Stratophanem.
PHRONESIUM
Ubi is est, obsecro?
STRATOPHANES
Mars peregre adveniens salutat Nerienem uxorem suam. 515
Quom tu recte provenisti, quomque es aucta liberis,
gratulor, quom mihi tibique magnum peperisti decus.
PHRONESIUM
Salve, qui me interfecisti paene vita et lumine,
quiq' mi vim magni doloris per voluptatem tuam
condidisti in corpus, quo nunc etiam morbo misera sum. 520
STRATOPHANES
Eia, haud ab re, mea voluptas, tibi obvenit istic labos:
filium peperisti, qui aedeis spoliis obplebit tuas.
PHRONESIUM
Multo, ecastor, magis obpletis opu 'st tritici granariis ;
nae, ille priusquam spolia capiat, heic nos extinxit fames.
STRATOPHANES
Habe bonum animum.
PHRONESIUM
Savium, sis, pete hinc - ah ! nequeo caput 525
tollere, ita dolet itaque ego nunc doleo; neque etiam queo
pedibus mea sponte ambulare.
STRATOPHANES
Si plane ex medio mari
savium petere tuom iubeas, petere haug pigeat me, mel meum.
Id ita esse experta es, nunc experiere, mea Phronesium,
me te amare : adduxi ancillas tibi, eccas, ex Suria duas, 530
is te dono. Adduce hoc tu istas. Sed istae reginae domi
suae fuerunt ambae; verum patriam ego excidi manu.
Iis te dono.
PHRONESIUM
Paenitetne te, quot ancilla 'st iam ?
Quin examen super adducas, quae mihi comedint cibum?
STRATOPHANES
Hoc quidem, Hercle, ingratum 'st donum.
Cedo tu mi istam, puere, perulam. 535
Mea voluptas, adtuli eccam pallulam ex Phrygia tibi.
Tene tibi.
PHRONESIUM
Hoccine mi ob labores tantos tantillum dari?
STRATOPHANES
Perii hercle, ego miser : iam mi auro contra constat filius.
Etiam nihili pendit addi purpuram. Ex Arabia tibi
adtuli tus, Ponto amomum : tene tibi, voluptas mea. 540
Abcipe hoc. Abduce hasce hinc e conspectu Suras.
Ecquid amas me?
PHRONESIUM
Nihil, ecastor, neque meres.
STRATOPHANES
Nihilne huic sat est?
Ne bonum verbum quidem unum dixit : viginti minis
venire illaec posse credo dona, quae ei dono dedi.
Vehementer nunc mihi est irata; sentio atque intellego. 545
Verum abibo. Quid ais nunc tu ? numne vis me, voluptas mea,
quo vocatus sum, ire ad coenam? mox huc cubitum inero.
Quid taces? planissume, edepol, perii. Sed quid illuc novi est?
Quis homo est, qui inducit pompam tantam? certum 'st quo ferant
observare : huic, credo, fertur : verum iam scibo magis. 550
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SCène
VI
STRATOPHANE, devant
la maison; PHRONÉSIE, ASTAPHIE, dans
l'intérieur.
STRATOPHANE
N'attendez pas, spectateurs, que je vante mes exploits; c'est dans les
combats de mes bras que je me signale, et non en paroles. Je sais que
beaucoup de militaires ont débité force mensonges : sans compter l'Homéronide,
on en citerait par milliers qui furent convaincus et condamnés pour
faux en matière de batailles. Je n'aime pas que la louange se fonde sur
la foi d'un récit, plutôt que sur le témoignage des yeux. Un témoin
oculaire vaut mieux que dix qui n'ont eu que des oreilles. Qui a ouï
dire, ne dit que ce qu'on lui a dit; celui qui a vu, sait de science
certaine. Pauvres hères, les gens que prônent les oisifs de la ville,
et dont les soldats ne parlent pas ! et ceux aussi dont la langue est
plus tranchante que le glaive en temps de paix ! Les braves servent
mieux l'État que les beaux esprits et les beaux parleurs. Le vrai
courage s'invente aisément une éloquence; un discoureur sans vertu est
comme la chanteuse des enterrements, qui célèbre les louanges des
autres, et n'a rien à dire d'elle-même. Je reviens, après dix mois,
dans cette ville d'Athènes pour voir ma maîtresse, que j'ai laissée
enceinte de mes oeuvres. Que fait-elle à présent?
PHRONÉSIE (à Astaphie).
Qui est-ce que j'entends là tout près? regarde.
ASTAPHIE
Le militaire, ma Phronésie ! Ton Stratophane est là; c'est à présent
que tu dois faire la malade.
PHRONÉSIE
Silence. Que diantre, ai-je besoin, moi, de tes avis? est-ce qu'on me
surpasse en malice?
STRATOPHANE (toujours sans voir les autres
personnages).
Elle est accouchée, je pense.
ASTAPHIE (à Phronésie).
Veux-tu que j'aille lui parler?
PHRONÉSIE
Oui. (Astaphie sort pour s'approcher de
Stratophane.)
STRATOPHANE
Bon; voici Astaphie qui vient au-devant de moi.
ASTAPHIE
Salut, par Castor, Stratophane. Ton heureuse arrivée...
STRATOPHANE
Je sais, mais de grâce, Phronésie est-elle accouchée?
ASTAPHIE
D'un petit amour.
STRATOPHANE
Il me ressemble?
ASTAPHIE
Belle demande ! A peine venait-il de naître qu'il demandait une épée
et un bouclier.
STRATOPHANE
C'est mon sang; je le reconnais à des signes certains.
ASTAPHIE
Il te ressemble trop !
STRATOPHANE
Ah ! peste ! Est-il déjà grand? taille-t-il déjà en pièces une légion?
est-ce déjà le pillage?
ASTAPHIE
Il y a eu hier cinq jours qu'il est né !
STRATOPHANE
Eh bien ! c'en était assez, par Hercule, pour s'être déjà signalé.
Pourquoi sort-il du ventre de sa mère avant d'être en état d'aller au
combat?
ASTAPHIE
Viens avec moi pour la saluer et lui faire ton compliment.
STRATOPHANE
Je te suis.
PHRONÉSIE
Où est cette fille, je vous le demande, qui me laisse et ne revient
pas. Où est-elle?
ASTAPHIE
Me voici. Je t'amène Stratophane le tant désiré.
PHRONÉSIE
Où est-il, je te prie?
STRATOPHANE (à Phronésie).
Mars arrivant des pays lointains salue Nériène, son épouse (92).
Pour ton heureuse délivrance et l'accroissement de ta famille, je te félicite;
tu as produit un grand éclat qui rejaillit sur moi et sur toi.
PHRONÉSIE
Salut, toi par qui j'ai manqué de perdre la lumière et la vie, toi
qui, pour tes plaisirs, as mis dans mon corps un germe d'affreuses
douleurs, dont je suis encore malade à faire pitié.
STRATOPHANE
Du courage, mon amour ! Tu ne regretteras pas d'avoir enduré ces épreuves.
Tu as mis au monde un fils qui remplira ta maison de dépouilles
ennemies.
PHRONÉSIE
J'ai bien plus besoin, par Castor, de greniers remplis de blé; avant
qu'il n'enlève des dépouilles, nous pourrions mourir de faim.
STRATOPHANE
Garde bon moral.
PHRONÉSIE
Un baiser, tu veux? viens me donner un baiser. Ah, je ne peux pas
soulever ma tête; elle me fait si mal ! et je souffre tant ! il m'est
impossible de me tenir sur mes jambes.
STRATOPHANE
Si tu voulais que j'aille chercher ton baiser jusqu'au milieu de la mer,
miel de mon coeur, je n'hésiterais pas. Tu as eu déjà des marques de
mon amour, tu en auras encore, ma Phronésie. J'ai ramené pour toi deux
esclaves syriennes, je les ai là, je t'en fais don. (A
un homme de sa suite.) Amène-les ici, toi. (A
Phronésie.) C'étaient deux reines dans leur pays; mais mon bras
a détruit leur patrie. Je te les donne.
PHRONÉSIE
Je n'ai pas assez d'esclaves, à ce qu'il te semble; tu m'en amènes
encore deux, pour que j'aie à les nourrir.
STRATOPHANE
Si ce présent te déplaît, par Hercule (se
retournant vers un esclave), petit garçon, donne-moi ce paquet.
Voici, mon amour, une mantille que j'ai apportée de Phrygie pour toi.
Tiens.
PHRONÉSIE
Un si mince cadeau pour toutes les souffrances que j'ai endurées!
STRATOPHANE
Tu me tues, par Hercule ! Malheur à moi ! Mon fils me conte déjà son
pesant d'or. J'ai beau ajouter cette pourpre, elle fait encore la dédaigneuse.
(Lui présentant un autre paquet.) Je t'ai
apporté d'Arabie cet encens, du Pont cet amome. Prends, mon amour,
accepte. (A un esclave.) Emmène ces
Syriennes hors de sa présence. (A Phronésie.)
M'aimes-tu?
PHRONÉSIE
Point du tout, par Castor, tu ne le mérites pas.
STRATOPHANE (à part).
Rien ne peut donc la satisfaire? elle ne m'a pas dit encore une seule
bonne parole, et l'on aurait vingt mines, je suis sûr, des cadeaux que
je lui ai faits; elle est très fâchée contre moi, je le sens, je le
vois bien. N'importe, approchons. (Haut.) Dis, mon amour, veux-tu me
permettre d'aller dîner chez quelqu'un qui m'a invité? Je reviendrai
bientôt coucher ici... Tu ne me réponds rien? je suis perdu, je suis
mort, par Pollux. (Apercevant Geta et sa suite.)
Mais qu'est-ce que cela? quel est l'homme qui conduit ce cortège
magnifique? observons-les ! où portent-ils tout cela? A elle sans
doute, je vais le savoir à l'instant.
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SCENA
VII
GETA, PHRONESIUM, STRATOPHANES
GETA
Ite, ite hac simul, mulieri damnigeruli,
foras egerones, bonorum exagogae.
Satin, si quis amat, nequit quin nihili sit, atque improbis se artibus
exspoliat?
Nam hoc qui sciam, ne quis id quaerat ex me,
domi est qui facit inproba facta amator, 555
qui bona sua pro stercore habet,
foras iubet ferri; metuit
publicos : mundissimu' fit;
puras sibi esse volt aedis: domi quidquid habet, eicitur exo.
Quando quidem ipsus perditum se it, secreto, hercle, equidem eum adiutabo,
neque mea quidem opera unquam nihilominus propere, quam potest, peribit. 560
Nam iam de hoc opsonio, de mina una deminui modo
quinque nummos: mihi detraxi partem Herculaneam.
Nam hoc adsimile 'st, quasi de fluvio qui aquam derivat sibi:
nisi derivetur, tamen ea aqua omnis abeat in mare.
Nam hoc in mare abit, misereque perit sine bona omni gratia. 565
Haec cum video
fieri, subfuror, subppilo,
de praeda praedam capio.
Meretricem ego item esse reor, mare ut est:
quod des devorat, nec datis unquam abundat.
Hoc saltem servat nec ulli ubi sit adparet: 570
des quantumvis, nusquam adparet, neque datori neque abceptrici.
Velut haec meretrix meum herum miserum sua blanditia intulit in pauperiem:
privabit bonis, luce, honore, atque amicis.
Attat ! eccam adest propinque; credo audisse haec me loqui. 575
Pallida 'st, ut peperit puerum ; adloquar, quasi nesciam.
Iubeo vos salvere.
PHRONESIUM
Noster Geta, quid agis? ut vales?
GETA
Valeo, et venio ad minus valentem; et melius qui valeat fero.
Herus meus, ocellus tuos, ad te ferre me haec iussit tibi
dona, quae illos ferre vides, et has quinque argenti minas. 580
PHRONESIUM
Pol, haud perit quod illum tantum amo.
GETA
Iussit orare, ut haec grata haberes tibi.
PHRONESIUM
Grata acceptaque, ecastor, habeo. Iube auferri intro, i Cyame.
Ecquid auditis haec, quae iam haec inperat?
GETA
Vasa nolo auferant: desiccari iube. 585
PHRONESIUM
Impudens, mecastor, Cyame, es.
GETA
Egone?
PHRONESIUM
Tu.
GETA
Bona fide?
Tune ais me inpudentem esse, ipsa quae sis stabulum flagiti?
PHRONESIUM
Dic, amabo te, ubi est Diniarchus?
GETA
Domi.
PHRONESIUM
Dic ob haec dona, quae ad me miserit,
me illum amare plurimum omnium hominum; ergo, 590
meumque honorem illum habere omnium maxumum.
Atque, ut huc veniat, obsecrare.
GETA
Ilicet :
sed quisnam illic homo 'st, qui ipsus se comest, tristis, oculis malis?
Animo, hercle, homo suo est miser,
quisquis est.
PHRONESIUM
Dignus est, mecastor. Nequam est. Non gnosti, obsecro, 595
militem, hic apud me qui erat? Huius pater pueri illeic est.
Usque adigit oculum, iussit, adit,
mansit, auscultat, observat quem perdam.
GETA
Gnovi hominem nihili.
Illicinest?
PHRONESIUM
Illic est.
GETA
Me intuetur gemens.
Traxit ex intimo ventre subspiritum : 600
hoc vide, dentibus frendit, icit femur;
num obsecro nam hariolus, qui ipsus se verberat?
STRATOPHANES
Nunc ego meos animos violentos meamque iram ex pectore iam promam.
Loquere: unde es? quoius es? cur ausus mi inclementer dicere?
GETA
Lubitum 'st. 604-605
STRATOPHANES
Istucine mihi respondes?
GETA
Hoc : non ego te floccifacio. 606
STRATOPHANES
Quid tu? cur ausa es alium te dicere amare hominem?
PHRONESIUM
Lubitum 'st.
STRATOPHANES
Ain' tandem? istuc primum experiar. Tum tantilli doni causa,
olerum, atque escarum, et poscarum, moechum malacum, cincinnatum, 609-610
umbraticulum, tympanotribam amas, hominem non nauci?
GETA
Quae haec res? 611
Meone hero tu, improbe, maledicere audes, fons viti et periuri?
STRATOPHANES
Verbum unum adde istoc; iam, hercle, ego te hic hac offatim conficiam.
GETA
Tange modo, iam ego te hic agnum faciam, et medium distruncabo.
Si tu in legione bellator clues, at ego in culina clues. 615
PHRONESIUM
Si aequom facias, adventores meos non incuses, quorum
mihi dona accepta et grata habeo; tuaque ingrata, quae abs te abcepi.
STRATOPHANES
Tum, pol, ego et donis privatus sum et perii.
GETA
Plane istuc est.
Quid nunc ergo heic odiose sedes, confessus omnino reus?
STRATOPHANES
Perii, hercle, hodie, nisi hunc a te abigo.
GETA
Adcede huc modo, adi huc modo. 620
STRATOPHANES
Etiam, scelus viri, minitare? quem ego offatim iam, iam concipilabo.
Quid tibi huc ventio est? quid tibi hanc aditio est?
quid tibi hanc gnotio 'st, inquam, amicam meam?
Emoriere ocius, si manu viceris.
GETA
Quid, manu vicerim?
STRATOPHANES
Fac quod iussi : mane. 625
Iam ego te heic offatim conficiam, Obcidi te optumum 'st.
GETA
Captio 'st: istam machaeram longiorem habes, quam haec est.
Sed verum me sine dum petere: siquidem belligerandum 'st tecum,
ibo domum, ego tecum, bellator, arbitrum aequom ceperim.
Sed ego cesso hinc me amoliri, ventre dum salvo licet. 630
|
Scène
VII
GETA, suivi
d'esclaves qui portent des vivres dans des paniers; PHRONÉSIE,
STRATOPHANE, se tenant à l'écart.
GETA (aux
esclaves).
Marchez, marchez tous par ici, porte-butins de courtisane, dégarnisseurs
de la maison, voituriers expéditifs de nos biens. (S'avançant
sur le proscenium.) Il faut donc que les amoureux fassent
toujours des vauriens, et qu'ils se livrent à toutes sortes
d'extravagances pour se dépouiller eux-mêmes ! Comment le sais-je?
Pour vous épargner la peine de me le demander, nous avons chez nous un
amoureux qui se conduit en désordonné; il traite son bien comme du
fumier, il le jette par les fenêtres. C'est un homme qui craint les édiles
(93); le plus propre du monde, il veut
maison nette, et tout ce qu'il possède est balayé dehors. Puisqu'il prétend
se ruiner sans qu'il y paraisse, par Hercule, je l'y aiderai; ce ne sera
pas moi qui l'empêcherai d'aller son train et de courir à sa perte. Déjà
pour les provisions, j'ai prélevé cinq didrachmes par mine, je me suis
adjugé la part d'Hercule. C'est à peu près comme lorsqu'on détourne
l'eau d'un fleuve; si on ne la détournait pas, elle n'en irait pas
moins se jeter toute à la mer. Ceci va s'engouffrer de même et périr
misérablement sans qu'on en sache aucun gré. Voyant ces allures, je
filoute, je pillote tout doucement, je prends mon butin dans le butin.
Une courtisane, à mon sens, c'est la mer : tout ce qu'on lui donne,
elle le dévore sans qu'il y ait accroissement pour elle. Du moins la
mer conserve : ce qu'elle a pris reste visible à tous. Mais donnez tout
ce que vous voudrez à une courtisane, il n'en reste rien ni pour celui
qui donne ni pour celle qui a reçu. Voyez, par exemple, la belle dont
les cajoleries ont mis mon pauvre maître sur la paille, dépouillé de
ses biens, de sa réputation, des honneurs et des amis. (Apercevant
Phronésie.) Là ! là ! elle n'est pas loin, la voici; elle a pu
m'entendre, je crois. Ses couches l'ont pâlie. Je lui parlerai comme si
de rien n'était. (A Phronésie et sa suivante.)
Je vous souhaite le bonjour. PHRONÉSIE
Mon cher Geta, comment cela va-t-il? Comment te portes-tu?
GETA
Fort bien; mieux que celle à qui l'on m'envoie; mais je lui apporte de
quoi remettre sa santé. Mon maître, ton mignon, m'a chargé de
t'offrir ces présents que tu vois (montrant les
gens de sa suite), avec ces cinq mines d'argent.
PHRONÉSIE
Par Castor, ce n'est pas un ingrat celui que j'aime tant.
GETA
Je dois te prier de les avoir pour agréables.
PHRONÉSIE
Ils sont agréables, par Castor, et reçus avec agrément. (A
ses esclaves.) Fais-les entrer. Va, Cyamus... Entendez-vous ce
que je commande?
GETA
Je ne veux pas qu'ils emportent les paniers; dis qu'on les fasse sécher.
PHRONÉSIE
Ce coquin de Cyamus, qu'il est soigneux, par Castor !
GETA
Moi?
PHRONÉSIE
Toi.
GETA
De bonne foi, c'est toi qui me traites de coquin, toi réceptacle
d'infamies (94) !
PHRONÉSIE
Dis-moi, je te prie, où Dinarque est-il?
GETA
A la maison.
PHRONÉSIE
Dis-lui que pour les présents qu'il me fait, il est le plus aimé des
hommes, il n'y a personne que j'estime autant que lui, et je le prie
instamment de venir me voir.
GETA
A l'instant. (Tournant les yeux du côté de
Stratophane.) Quel est cet homme de mauvaise humeur, qui ronge
son frein en nous regardant de travers? Quel qu'il soit, par Hercule, il
a le coeur triste.
PHRONÉSIE
Il n'a que ce qu'il mérite, par Castor. Il ne vaut rien. Est-ce que tu
ne connais pas, dis-moi, le militaire avec qui je vivais? C'est le père
de cet enfant qui est là, toujours il a les yeux sur nous, il donne des
ordres, il est là, il s'installe, il écoute.
GETA
Oh ! je le connais très bien, ce pied plat. Comment ! c'est lui?
PHRONÉSIE
Lui-même.
GETA
Il me regarde en gémissant; il a tiré de son ventre un profond soupir.
Vois, il grince des dents, il frappe sa cuisse. Est-ce qu'il exerce la
divination, hein, pour se battre lui-même?
STRATOPHANE
Je donnerai l'essor à toute la violence de mes sentiments, je ferai
surgir la colère de mon sein. (A Geta.) Réponds
: d'où es-tu? à qui es-tu? pourquoi oses-tu me parler insolemment?
GETA
Ça me plaît.
STRATOPHANE
Voilà comme tu me réponds?
GETA
Voilà. Je me soucie de toi autant que d'un fétu.
STRATOPHANE (à Phronésie).
Et toi, pourquoi as-tu osé dire que tu aimais un autre homme?
PHRONÉSIE
Ça me plaît.
STRATOPHANE
Oui-da? c'est ce que nous verrons. Quoi? pour un si chétif cadeau, pour
des herbes, un peu de viande et de piquette, un galantin frisé, un
pauvre hère sans courage, qui ne vit qu'à l'ombre, qui bat le
tambourin (95) et qui ne vaut pas un clou,
se fait aimer de toi !
GETA
Qu'est-ce que c'est que cela? oses-tu mal parler de mon maître,
fontaine de vices et de mensonges?
STRATOPHANE
Ajoute un mot seulement, et à l'instant cette épée, par Hercule, te
hachera en morceaux.
GETA
Touche-moi; ce couteau va te trancher comme un agneau par le milieu du
ventre. Si tu as renom de guerrier à l'armée, moi je l'ai à la
cuisine.
PHRONÉSIE (à Stratophane).
Tu ferais bien de ne pas crier contre les gens qui me fréquentent, et
dont les présents me sont agréables et chers, tandis que les tiens me
déplaisent.
STRATOPHANE
Alors, par Pollux, je me suis dépouillé de mes cadeaux, et tout est
perdu pour moi !
GETA
Bien entendu. Pourquoi donc restes-tu ici à nous ennuyer, quand tu as
ta condamnation au maximum?
STRATOPHANE (à Phronésie).
Je veux mourir aujourd'hui, par Hercule, si je ne le chasse de ta présence.
GETA
Approche pour voir, viens un peu.
STRATOPHANE
Je te conseille d'avoir le ton menaçant, scélérat. A l'instant, à
l'instant, à l'instant même je t'aurai mis en morceaux. Mais que
fais-tu ici, que lui veux-tu? qui t'a permis de faire connaissance avec
ma maîtresse? Tu mourras sur la place, si tu fais un geste.
GETA
Si je fais un geste?
STRATOPHANE
Obéis, ne bouge pas, je vais te hacher comme chair à pâté. (Il
s'avance en brandissant son épée.) Je l'ai tué, c'est parfait.
GETA
C'est un guet-apens. Ton épée est plus longue que la mienne (96).
Laisse-moi aller quérir ma broche. Ah ! tu veux batailler? J'irai à la
maison, guerrier, je prendrai un juge équitable du combat. (A
part.) Mais que tardé-je à décamper d'ici avant qu'il m'ait
percé le ventre? (Il sort avec sa suite).
|
SCENA
VIII
PHRONESIUM, STRATOPHANES
PHRONESIUM
Datin' soleas? atque me intro actutum ducite,
nam mihi de vento miserae condoluit caput.
STRATOPHANES
Quid mihi futurum 'st, quoi duae ancillae dolent,
quibus te donavi? iamne abiisti? Em sic datur.
Quo pacto excludi, quaeso, potui planius, 635
quam exclusus nunc sum? polcre ludificor : sine.
Quantillo mi opere nunc persuaderi potest,
ut ego hisce subfringam talos totis aedibus.
Num quidpiam harum mutat mores mulierum?
Postquam filiolum peperit, animos sustulit; 640
nunc, quasi mi dicat: Nec te iubeo, neque veto
introire in aedeis : at ego nolo, non eo.
Ego faxo dicat me, in diebus pauculis,
crudum virum esse. Sequere me hac : verbum sat est.
|
Scène
VIII
PHRONÉSIE, STRATOPHANE
PHRONÉSIE (à ses esclaves).
Qu'on me donne mes sandales. Reconduisez-moi vite à ma chambre; l'air
m'a fait horriblement mal à la tête.
STRATOPHANE
Et moi, pour qui mon cadeau des deux esclaves tourne si mal, que
deviendrai-je? Tu t'en vas? Voilà, attrape ! (Seul.)
Comme tu me mets à la porte ! on ne peut pas y être mis plus
carrément ! Elle me joue de la belle manière ! Attends... Il ne
faudrait pas me presser beaucoup pour que je brise les os à toute la
maison... Qu'est-ce qui pourrait me changer ces femmes-là? Depuis
qu'elle est accouchée d'un marmot, elle fait la superbe. Peu s'en faut
qu'elle ne me dise : « Je ne t'ouvre ni ne te ferme l'entrée de ma
maison. » Mais moi je ne veux pas, je n'irai pas. Avant peu, je la
forcerai d'avouer que je suis un homme, et un fameux. (A
son valet.) Suis-moi, c'est assez parler. (Il
sort.) |
ACTUS III
SCENA I
STRABAX, ASTAPHIUM
STRABAX
Rus mane dudum hinc ire me iussit pater, 645
ut bubus glandem prandio depromerem.
Post illoc quam veni, advenit ( si dis placet)
ad villam argentum meo qui debebat patri,
qui oevis tarentinas erat mercatus de patre.
Quaerit patrem : dico esse in urbe : interrogo, 650
quid eum velit ; homo cruminam sibi de collo detrahit;
minas viginti mihi dat, abcipio lubens,
condo in cruminam : ille abit; ego propere minas
oveis in crumina hac in urbem detuli. 655
Fuit, edepol, Mars meo periratus patri :
nam oveis illius hau longe absunt a lupis.
Nunc ego istos mundulos urbanos amasios
hoc ictu exponam, atque omneis eiiciam foras.
Eradicare 'st certum cumprimis patrem, 660
post id locorum matrem. Nunc fodie ecferam
argentum ad hanc, quam mage amo quam matrem meam.
Tat ! ecquis intu 'st? ecquis hoc aperit ostium?
ASTAPHIVM
Quid istuc? alienun 'st, amabo, mi Strabax : 664-665
qui non extemplo intro ieris?
STRABAX
Anne oportuit? 666
ASTAPHIUM
Ita te quidem, qui es familiaris.
STRABAX
Ibitur,
ne me morari censeas.
ASTAPHIUM
Lepide facis.
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ACTE
III
SCÈNE I
STRABAX, d'abord seul; ensuite ASTAPHIE
STRABAX
Mon père m'a dit ce matin d'aller aux champs donner aux bœufs le
gland de leur dîner. Quand j'y fus, ô dieux immortels, il arriva un
homme qui devait de l'argent à mon père pour des brebis qu'il lui
avait achetées. Il le demande, je réponds qu'il est en ville, et je
m'enquiers de ce qu'il lui veut... L'homme détache une sacoche de son
épaule, me compte vingt mines que je prends tout content et que
j'enferme dans un sac. Il part; moi j'apporte aussitôt à la ville dans
ce sac mes brebis sans laine (97). Mon
père, par Pollux, Mars est diablement irrité contre lui ! car son
troupeau approche de la tanière des louves. Quel coup pour les coquets
de la ville, pour ces jolis amoureux ! je vais les repousser et les
mettre tous à la porte. Oui, c'en est fait, je ruinerai mon père, je
ruinerai ma mère; et je porte aujourd'hui leur argent à cette
courtisane, que je chéris plus que ma mère. O ciel ! (Il
frappe à la porte de Phronésie.) Holà ! quelqu'un. Est-ce
qu'il n'y a personne? On n'ouvre pas?
ASTAPHIE
Pourquoi te conduis-tu comme un étranger, je te prie, mon cher Strabax?
que n'entres-tu tout de suite?
STRABAX
Je pouvais?
ASTAPHIE
Comment ! toi qui es de la maison?
STRABAX
Je vais entrer; ne crois pas que je veuille être en retard.
ASTAPHIE
Tu es délicieux. (Strabax entre chez
Phronésie.) |
SCENA
II
TRUCULENTUS, ASTAPHIUM
TRVCVLENTUS
Mirum videtur rure herilem filium
Strabacem non rediisse, nisi si clanculum 670
conlabsus est heic in conruptelam suam.
ASTAPHIUM
Iam, pol, illic me inclamabit, si adspexerit.
TRUCULENTUS
Quid ais ?
ASTAPHIUM
Quid vis ? quin tuam exspecto osculentiam.
TRUCULENTUS
Nimio minus saevos iam sum, Astaphium, quam fui :
iam non sum truculentus, noli metuere. 675
Dic; inpera mihi, quid lubet quo vis modo.
Novos omneis mores habeo, veteres perdidi.
Vel amare possum, vel iam scortum ducere.
ASTAPHIUM
Lepide, mecastor, nuntias : sed dic mihi,
haben'... ?
TRUCULENTUS
Parasitum te fortasse dicere? 680
ASTAPHIUM
Intellexisti lepide quid ego dicerem.
TRUCULENTUS
Heus tu, iam postquam in urbem crebro commeo,
dicax sum factus, iam sum cavillator probus.
ASTAPHIUM
Quid id est, amabo? istaec ridicularia,
cavillationes, vis fortasse dicere? 685
TRUCULENTUS
Ita ut pauxillum differt a cavillibus.
ASTAPHIUM
Sequere intro me, amabo, mea voluptas.
TRUCULENTUS
Tene hoc tibi;
rabonem habeto, mecum ut hanc noctem sies.
ASTAPHIUM
Perii, rabonem? quam esse dicam hanc beluam?
quin tu arrabonem dicis?
TRUCULENTUS
Ar facio lucri, 690
ut Praenestinis conea est ciconia.
ASTAPHIUM
Sequere, obsecro.
TRUCULENTUS
Strabacem heic obperiar modo,
si rure veniat.
ASTAPHIUM
Is quidem apud nos est heic Strabax :
modo rure venit.
TRUCULENTUS
Priusne, quam ad matrem suam?
Heu, edepol, hominem nihili !
ASTAPHIUM
Anne autem ut soles? 695
TRUCULENTUS
Imo, nihil dico.
ASTAPHIUM
I intro, amabo, cedo manum.
TRUCULENTUS
Tene; in tabernam ducor devorsoriam,
ubi male abcipiar mea mihi pecunia.
|
SCÈNE
II
LE RUSTRE, ASTAPHIE
LE RUSTRE (sortant
de la maison de ses maîtres sans voir Astaphie).
C'est étonnant que le fils de mon maître ne soit pas revenu des
champs; il se sera égaré en cachette dans son antre de perdition.
ASTAPHIE (apercevant le Rustre).
Il va me faire un beau train, par Pollux ! s'il me voit.
LE RUSTRE (apercevant Astaphie qui tâche
de l'éviter).
Que veux-tu?
ASTAPHIE
Ce que je veux? j'attends tes baisers, voyons !
LE RUSTRE
Je ne suis plus aussi farouche que j'étais, Astaphie; je ne suis plus
un brutal, n'aie pas peur. Parle, donne-moi des ordres, ceux que tu
voudras; j'ai tout à fait les nouvelles manières, je me suis défait
des anciennes. Je suis capable d'aimer, je puis prendre une maîtresse.
ASTAPHIE
Je suis charmée, par Castor, de ces nouvelles. Mais dis-moi, as-tu...?
LE RUSTRE
Tu veux dire un parasite, peut-être?
ASTAPHIE
Tu m'as compris à merveille (98).
LE RUSTRE
Ah ! mais c'est que mes voyages fréquents à la ville m'ont fait venir
de l'esprit; je suis à présent un bon compagnon.
ASTAPHIE
Qu'est-ce que cela signifie, s'il te plaît? Tu veux dire que tu es,
pour la plaisanterie, plein de bons mots?
LE RUSTRE
Oui, cela nous change un peu des choux.
ASTAPHIE
Entre avec moi chez nous, je t'en prie, mon amour.
LE RUSTRE (lui donnant un baiser).
Tiens pour toi, voilà mes arrhes, nous passerons la nuit ensemble.
ASTAPHIE
Des arrhes ! horreur ! quelles sont ces bêtes-là? dis donc des
avances.
LE RUSTRE
J'ai voulu faire une économie, comme les Prénestins, qui disent une
gogne pour une cigogne (99).
ASTAPHIE
Suis-moi, de grâce.
LE RUSTRE
Je veux attendre ici Strabax; j'espère qu'il va revenir des champs.
ASTAPHIE
Strabax est ici chez nous; il vient d'arriver.
LE RUSTRE
Avant d'aller voir sa mère ! O par Pollux, le vaurien !
ASTAPHIE
Tu reprends tes habitudes?
LE RUSTRE
Je ne dis plus mot.
ASTAPHIE
Entre, mon chéri; donne-moi la main.
LE RUSTRE (se laissant entraîner).
Tiens. On me conduit dans une auberge où je serai maltraité pour mon
argent. (Ils entrent chez Phronésie.)
|
ACTUS IV
SCENA I
DINARCHUS
DINARCHUS
Neque gnatu 'st, neque progignetur, neque potest reperirier,
quoi ego nunc dictum aut factum melius quam Veneri velim. 700
Di magni ! ut ego laetus sum, et laetitia disferor !
Ita ad me magna nuntiavit Cyamus hodie gaudia:
mea dona deamata abceptaque habita esse apud Phronesium;
quom hoc iam volupest, tum hoc nimio magnae mellinae mihi,
militis odiosa ingrataque habita; totus gaudeo. 705
Mea pila est: si repudiatur miles, mulier mecum erit.
Salvos sum, quia pereo; si non peream, plane interierim.
Nunc speculabor quid ibi agatur, quis eat intro, qui foras
veniat; procul hinc observabo, meis quid fortunis fuat;
quia nihil habeo, nam amovi mi hic omnia, agam precario. 710
|
ACTE
IV
SCÈNE I
DINARQUE, seul
Non, parmi tous les êtres qui existent ou qui doivent exister,
il ne s'en peut pas trouver un seul à qui je souhaite davantage d'être
agréable en paroles et en actions qu'à Vénus. Grands dieux ! que je
suis heureux ! quelle joie me transporte ! Quelle nouvelle délicieuse
Cyamus m'a donnée aujourd'hui ! Mes cadeaux ont fait les délices de
Phronésie ! Mais ce qui ajoute à mon ravissement, ce qui me fait
goûter une douceur extrême, c'est que les présents du militaire n'ont
excité que dégoût et que mépris. Je ne me sens pas d'aise; c'est moi
qui tient la balle. Si le militaire a sa disgrâce, la femme est à moi.
Je suis sauvé, puisque je me perds; si je ne réussissais à me perdre,
j'en mourrais. J'observerai ici maintenant ce qui se passe, qui entre et
qui sort. Je me tiendrai dans un coin en sentinelle, j'y attendrai ma
destinée. Puisque je ne possède plus rien, que je me suis dépouillé
de tout ici, je me comporterai en suppliant. |
SCENA
II
ASTAPHIUM, DINARCHUS
ASTAPHIUM
Lepide ecficiam meum ego opficium: vide intus modo ut tu tuum
item efficias.
Ama, id quod decet, rem tuam: istum exinani.
Nunc dum isti lubet, dum habet, tempus ei rei secundas :
prome venustatem amanti tuam, ut gaudeat quom perdis.
Ego hic interim heic restitrix praesidebo; 715
istic dum sic faciat domum ad te exagogam;
nec quemquam interim istoc ad vos, qui sit odio
intromittam: tu perge, ut lubet, ludo in istoc.
DINARCHUS
Quis est iste ? Astaphium, indica : qui perit?
ASTAPHIUM
Amabo, heiccine tu eras?
DINARCHUS
Molestusne sum?
ASTAPHIUM
Nunc magis quam fuisti; 720
nam si quid nobis usu 'st, nobis molestus :
sed, obsecro, da mi operam, ut narrem quae volo.
DINARCHUS
Nam quid est? num mea refert?
ASTAPHIUM
Non mussito.
Intus, bolos quos dat!
DINARCHUS
Quid? amator novos quispiam?
ASTAPHIUM
Integrum et plenum adorta 'st thesaurum.
DINARCHUS
Quis est? 725
ASTAPHIUM
Eloquar : sed tu taceto. Gnovisti tun' hunc Strabacem?
DINARCHUS
Quidni?
ASTAPHIUM
Solus summam habet hic apud nos : nunc is est fundus nobis.
Animo bono male rem gerit.
DINARCHUS
Perit, hercle, ego idem.
ASTAPHIUM
Stultus es, qui facta infecta facere verbis postules. 730
Thetis quoque etiam lamentando pausam fecit filio.
DINARCHUS
Non ego nunc intro ad vos mittar?
ASTAPHIUM
Quidum quam miles magis?
DINARCHUS
Quia enim plus dedi.
ASTAPHIUM
Plus enim es intro missus, quom dabas.
Sine vicissim, qui dant operam, ob illud quod dant operis utier.
Litteras didicisti; quando scis, sine alios discere. 735
DINARCHUS
Discant, dum mihi commentari liceat, ni oblitus siem.
ASTAPHIUM
Quid erit interea magistrae, dum tu commentabere?
Volt interim illa itidem conmentari.
DINARCHUS
Quid?
ASTAPHIUM
Rem abcipere identidem.
DINARCHUS
Dedi equidem hodie: iussi ei quinque argenti deferri minas,
praeterea una mina opsonatum.
ASTAPHIUM
Idem istuc delatum scio. 740
De eo nunc bene sunt tua virtute.
DINARCHUS
Illine ut inimici mei
bona isteic caedent? mortuum, hercle, me, quam ut id patiar, mavelim.
ASTAPHIUM
Stultus est.
DINARCHUS
Quid est ? aperi rem. Quid iam?
ASTAPHIUM
Quia, pol, mavelim 746
mihi inimicos invidere, quam me inimicis meis. 743
Nam invidere alii bene esse, tibi male esse, miseria 'st.
Qui invident, egent; illis quibus invidetur, i rem habent.
DINARCHUS
Non licet dimidio opsoni me participem fieri? 747
ASTAPHIUM
Si volebas participari, auferres dimidium domum.
Nam itidem heic ut Acherunti ratio agcepti scribitur:
intro abcipimus; quando abceptum 'st, non potest ferri foras. 750
Bene vale.
DINARCHUS .
Resiste.
ASTAPHIUM
Omitte.
DINARCHUS .
Sine eam intro.
ASTAPHIUM
Ad te quidem.
DINARCHUS
Imo istoc ad vos volo ire.
ASTAPHIUM
Non potest, nimium petis.
DINARCHUS
Experiri sine.
ASTAPHIUM
Imo obperire; vis est experirier.
DINARCHUS
Dic me adesse.
ASTAPHIUM
Abi, occupatast. Res itast, ne frustra sis.
DINARCHUS
Redin an non redis?
ASTAPHIUM
Vocat me, quae in me plus potest quam potes. 755
DINARCHUS
Uno verbo !
ASTAPHIUM
Eloquere.
DINARCHUS
Mittin me intro?
ASTAPHIUM
Mendax es, abi.
Unum aiebas, sed tria dixti verba, atque mendacia.
DINARCHUS
Abiit intro, exclusit; ego ut haec mihi patiar fieri?
Iam, hercle, ego tibi, inlecebra, ludos faciam clamore in via :
quae advorsum legem abcepisti a plurimis pecuniam; 760
iam, hercle, apud novos omneis magistratus faxo erit nomen tuum,
post id ego te manum iniiciam quadrupuli, venefica,
subpostrix puerum : ego, edepol, iam tua probra aperibo omnia.
Nihili me ! perdidi omne quod fuit: fio inpudens,
nec mi adest tantillum pensi iam, quos capiam calceos. 765
Sed quid ego heic clamo? quid si me iubeat intromittier?
Conceptis me non facturum, verbis iurem, si velit.
Nugae sunt : si stimulos pugnis caedis, manibus plus dolet.
De nihilo nihil est irasci, quae te non flocci facit.
Sed quid hoc est? pro di inmortaleis ! Calliclem video senem, 770
meus qui adfinis fuit, ancillas duas constrictas ducere,
alteram tonstricem huius, alteram ancillam suam :
pertimui, postquam una cura cor meum movit modo,
timeo, ne male facta antiqua mea sint inventa omnia.
|
SCÈNE
II
ASTAPHIE, DINARQUE
ASTAPHIE (parlant
dans la maison.)
Je m'acquitterai à merveille de mon office, moi. Aie soin seulement de
remplir de même le tien à la maison. Fais l'amour, c'est ton affaire;
vide ton amant. Ça lui plaît, il a du bien, mets le temps à profit;
enivre-le de ta beauté, pour qu'il éprouve de la joie à se perdre.
Moi je veille à cette porte, je ne quitterai pas mon poste, tant qu'il
sera le chemin des convois arrivant au logis; je ne laisserai aucun
importun s'introduire; continue à lui en donner à coeur joie.
DINARQUE (à part.)
De qui parle-t-elle? (Haut.) Hé !
Astaphie, qui est la victime?
ASTAPHIE
Ah, ah ! tu étais donc là?
DINARQUE
Suis-je de trop?
ASTAPHIE
Plus que jamais. Car on est toujours de trop chez nous, quand on nous a
fait usage. Mais écoute bien, j'ai quelque chose à te conter.
DINARQUE
Quoi? Quelque chose qui m'intéresse?
ASTAPHIE
Je ne vais pas le garder pour moi. Les bons coups qu'elle fait là
dedans !
DINARQUE
Comment? est-ce qu'il y a un nouvel amant?
ASTAPHIE
Elle est en train d'attaquer un trésor tout plein.
DINARQUE
Lequel?
ASTAPHIE
Je te le dirai; mais du silence. Tu connais Strabax qui demeure là (Elle
montre la maison) ?
DINARQUE
Oui.
ASTAPHIE
C'est lui qui règne à présent chez nous sans partage : il est
maintenant notre bien-fonds; il se ruine gaiement.
DINARQUE
J'ai fait de même, par Hercule.
ASTAPHIE
Sottise, vain babil, de revenir sur le passé. Thétis même n'a pas
pleuré son fils éternellement.
DINARQUE
Il n'y a plus moyen à présent que j'entre chez vous?
ASTAPHIE
Pourquoi plus que le militaire?
DINARQUE
Parce que j'ai donné plus que lui.
ASTAPHIE
Aussi t'a-t-on reçu plus souvent dans le temps que tu payais. Laisse
ceux qui nous soignent jouir des soins qu'ils ont payés. Tu as appris
à lire; maintenant que tu sais, souffre que les autres viennent à l'école,
DINARQUE
Très bien, pourvu que je puisse venir voir si je n'ai pas oublié.
ASTAPHIE
Mais que fera la maîtresse, pendant que tu étudieras? Elle veut étudier
en même temps.
DINARQUE
Quoi?
ASTAPHIE
C'est-à-dire palper de temps en temps des espèces.
DINARQUE
Je lui ai fait envoyer aujourd'hui cinq mines d'argent et une de
provisions.
ASTAPHIE
Je connais cet envoi. Aussi, grâce à toi, nous menons en ce moment
joyeuse vie.
DINARQUE
Est-ce pour que mes ennemis pillent mon bien chez vous? J'aimerais mieux
mourir, par Hercule, que de souffrir cela.
ASTAPHIE
Tu es fou.
DINARQUE
Pourquoi? Dis-m'en le secret, dis-le-moi.
ASTAPHIE
Parce que j'aimerais mieux, par Pollux, faire envie à mes ennemis que
de les envier. Car envier le bien-être d'autrui parce qu'on est mal à
son aise, c'est un triste sort. Quand on envie, on est dans le besoin;
quand on fait envie, on est dans l'abondance.
DINARQUE
Je n'ai pas droit à la moitié de la bombance?
ASTAPHIE
Si tu voulais l'avoir, il fallait l'emporter chez toi. Car on tient ici
le compte de la recette comme aux bords de l'Achéron : nous recevons ce
qui entre; mais ce qui est entré ne sort plus. Adieu.
DINARQUE
Reste. (Il lui prend le bras.)
ASTAPHIE
Lâche-moi.
DINARQUE
Laisse-moi entrer.
ASTAPHIE (lui montrant la rue).
Oui, chez toi.
DINARQUE
Point du tout, je veux aller chez vous.
ASTAPHIE
Impossible, c'est trop demander.
DINARQUE
Laisse-moi essayer.
ASTAPHIE
Non, attends. Ton essai serait une violence.
DINARQUE
Annonce-moi.
ASTAPHIE
Va-t'en. Elle est occupée. C'est comme cela. Ne t'en-tête pas.
DINARQUE
Veux-tu revenir ou non?
ASTAPHIE
Elle m'appelle et j'appartiens plus à elle qu'à toi.
DINARQUE
Un seul mot.
ASTAPHIE
Dis.
DINARQUE
Laisse-moi entrer.
ASTAPHIE
Tu es un menteur, va-t'en; tu promettais un seul mot et tu en as dit
trois, qui sont faux encore. (Elle sort.)
DINARQUE
Elle m'échappe; elle est rentrée : et je souffrirais cette injure ! (S'approchant
de la porte de Phronésie.) Par Hercule, je vais faire tapage et
te jouer une scène dans la rue, traîtresse, qui, au mépris de la loi,
as reçu de l'argent de plusieurs en même temps. Oui, par Hercule,
j'irai te dénoncer à tous les magistrats (100),
et ensuite je te poursuivrai en restitution du quadruple, sorcière, mère
d'enfants supposés. Moi, par Pollux, je publierai toutes tes infamies.
Pauvre que je suis ! Après avoir perdu tout ce que je possédais, je
vais perdre toute pudeur; je ne m'inquiète guère de savoir avec quels
souliers je me chausserai. Mais, pourquoi crier? elle n'a qu'à me
recevoir chez elle, je lui jurerai formellement de ne pas dire mot, si
elle l'ordonne (D'un air de découragement).
Sornettes ! Frappez du poing le martinet, le mal est pour vous. A quoi
sert de s'irriter contre un être qui ne fait pas cas de vous?... Mais,
que vois-je? Dieux immortels ! le vieux Calliclès, avec qui je suis
allié, amène deux esclaves enchaînées; l'une est la coiffeuse de
Phronésie, l'autre est une servante à lui. Je tremble, un remords
vient de troubler mon coeur, si mes anciens méfaits étaient décidément
découverts ! J'ai grand'peur.
|
SCENA
III
CALLICLES, ANCILLA CALLICLIS,
DINARCUS, ANCILLA ATLERA (tonstrix)
CALLICLES
Egon tibi male dicam, aut tibi adeo male velim? ut animus meust, 775
propemodum expertae estis, quam ego sim mitis tranquillusque homo.
Rogitavi ego vos verberatas ambas pendenteis simul;
conmemini, quo quicque pacto sitis confessae, scio.
Heic nunc volo scire eodem pacto, sine malo fateamini.
Quamquam vos colubrino ingenio ambae estis; edico prius, 780
ne dupliceis habeatis linguas; ne ego bilingueis vos necem :
nisi si ad tintinnaculos vos voltis educi viros.
ANCILLA
Vis subigit verum fateri, ita lora laedunt brachia.
CALLICLES
At, si verum mi eritis fassae, vinclis exsolvemini.
DINARCHUS
Etiam nunc, quid sit negoti, falsus incertusque sum; 785
nisi quia timeo tamen, egomet quia quod peccavi scio.
CALLICLES
Omnium primum diversae state; hem sic, istuc volo.
Neve inter vos significetis, ego ero paries : loquere tu.
ANCILLA
Quid loquar?
CALLICLES
Quid puero factum 'st, mea quem peperit filia,
meo nepoti ? capita rerum expedite.
ANCILLA
Istae dedi. 790
CALLICLES
Iam tace. Abcepistin' puerum tu ab hac?
TONSTRIX
Accepi.
CALLICLES
Tace.
Nil moror praeterea : satis es fassa.
TONSTRIX
Infitias non eo.
CALLICLES
Iam livorem verbo scapulis istoc concinnas tuis
conveniunt adhuc utriusque verba.
DINARCHUS
Vae misero mihi !
mea nunc facinora aperiuntur, clam quae speravi fore. 795
CALLICLES
Loquere tu : qui dare te huic puerum iussit?
TONSTRIX
Hera maior mea.
CALLICLES
Quid tu, cur eum abcepisti?
TONSTRIX
Hera med oravit minor,
puer ut adferretur, eaque ut celarentur omnia.
CALLICLES
Loquere tu : quid eo fecisti puero?
TONSTRIX
Ad meam heram detuli.
CALLICLES
Quid eo puero tua hera fecit?
TONSTRIX
Herae meae extemplo dedit. 800
CALLICLES
Quoi, malum, herae?
ANCILLA
Duae sunt istae.
CALLICLES
Cave tu, nisi quod te rogo.
Ex te exquiro.
TONSTRIX
Mater filiae dono dedit, inquam.
CALLICLES
Plus quam dudum loquere.
TONSTRIX
Plus tu rogitas.
CALLICLES
Responde ocius:
quid illa quoi donatus est?
TONSTRIX
Subposivit.
CALLICLES
Quoi?
TONSTRIX
Sibi.
CALLICLES
Pro filiolon?
TONSTRIX
Pro filiolo.
CALLICLES
Di, obsecro vostram fidem, 805
ut facilius alia, quam alia eundem puerum unum parit !
haec labore alieno puerum peperit sine doloribus.
Puer quidem beatus: matres duas habet, et avias duas:
iam metuo, patres quot fuerint. Vide, sis, facinus muliebre !
ANCILLA
Magis, pol, haec malitia pertinet ad viros, quam ad mulieres. 810
Vir illam, non mulier praegnatem fecit.
CALLICLES
Idem ego istuc scio.
Tu bona ei custos fuisti !
ANCILLA
Plus potest qui plus valet.
Vir erat, plus valebat: vicit, quod petebat abstulit.
CALLICLES
Et tibi quidem, hercle, idem adtulit magnum malum.
ANCILLA
De istoc ipsa, et si tu taceas, reapse experta intellego. 815
CALLICLES
Nunquam te facere hodie quivi, ut is quis esset diceres.
ANCILLA
Tacui adhuc: nunc non tacebo, quando adest, necesse indice.
DINARCHUS
Lapideus sum, conmovere me miser non audeo.
Res palam omnis est : meo illeic nunc sunt capiti comitia.
Meum illuc facinus, mea stultitia 'st; timeo quam mox nominer. 820
CALLICLES
Loquere, filiam meam quis integram stupraverit ?
ANCILLA
Video ego te, propter male facta qui es patronus parieti.
DINARCHUS
Neque vivos, neque mortuos sum : neque quid nunc faciam, scio
neque ut hinc abeam, neque ut hunc adeam, scio : timore torpeo.
CALLICLES
Dicin' an non?
ANCILLA
Dinarchus, quoi illam prius desponderas. 825
CALLICLES
Ubi is homo est, quem dicis?
DINARCHUS
Adsum, Callicles : per te obsecro
genua, ut istuc insipienter factum sapienter feras,
mihique ignoscas, quod animi inpos vini vitio fecerim.
CALLICLES
Non placet; in mutum culpam confers, qui non quit loqui.
Nam vinum, si fabulari possit, se defenderet. 830
Non vinum hominibus moderari, sed vino homines solent,
qui quidem probi sunt : verum qui improbus est, si quasi bibit
sive adeo caret temeto, tamen ab ingenio est improbus.
DINARCHUS
Scio equidem; quae nolo, multa mi audienda obnoxia.
Ego tibi me obnoxium esse fateor, culpae compotem. 835
ANCILLA
Callicles, vide, quaso, magnam ne facias iniuriam.
Reus solutus causam dicit, testeis vinctos adtines.
CALLICLES
Solvite istas : agite, abite, tu domum, et tu autem domum;
eloquere haec herae tu, puerum reddat, si quis eum petat.
Eamus, tu, in ius.
DINARCHUS
Quid vis in ius me ire? tu es praetor mihi. 840
verum te obsecro, ut tuam gnatam des mi uxorem, Callicles.
CALLICLES
Eundem ? pol, te iudicasse qui admisti eam rem intellego;
nam haud mansisti, dum ego darem illam, tute sumpsisti tibi;
nunc habeas ut nactus, verum hoc ego te multabo bolo:
sex talenta magna dotis demam pro ista inscitia. 845
DINARCHUS
Bene agis mecum.
CALLICLES
Filium istinc tuom te meliu 'st repetere.
Ceterum uxorem, quam primum potest, abduce ex aedibus.
Ego abeo. Iam illi remittam nuntium adfini meo :
dicam ut aliam condicionem filio inveniat suo.
DINARCHUS
At ego ab hac puerum reposcam, ne mox infitias eat. 850
Nihil est : nam ipsa et ultro, ut factum 'st, fecit omnem rem palam.
Sed nimium, pol, obportune ecce ab se egreditur foras.
Nae ista stimulum longum habet, quae usque illinc cor pungit meum.
|
SCÈNE
III
CALLICLÈS, L'ESCLAVE DE CALLICLÈS,
DINARQUE, UNE AUTRE ESCLAVE (la Coiffeuse)
CALLICLÈS (à
l'Esclave).
Moi, que je te dise de mauvaises paroles ! (à la
Coiffeuse) ou à toi, que je te veuille du mal ! Vous avez tout
à l'heure fait l'épreuve de mes sentiments, vous savez bien que je
suis un homme doux et bon. Je vous ai interrogées toutes deux à grands
coups de fouet pendant que vous étiez à la potence, et je me souviens
des aveux que chacune a faits. Maintenant, je veux entendre encore ici
la même chose; avouez sans qu'on en vienne aux coups. Quoique vous
soyez toutes deux de la nature des serpents, je vous en avertis, n'ayez
plus doubles langues; que vos discours ambigus ne me fassent pas vous
tuer, à moins qu'il ne vous plaise d'être conduites aux gaillards qui
font craquer les os (101).
L'ESCLAVE
La violence nous a forcées de dire la vérité; nos liens nous
meurtrissent les bras.
CALLICLÈS
Mais si vous faites des aveux sincères, vous serez délivrées.
DINARQUE (à part).
Je ne sais de quoi il s'agit, je ne comprends pas. Toujours est-il que
j'ai peur, car je connais ma faute.
CALLICLÈS
D'abord, tenez-vous séparées. (Il les éloigne
l'une de l'autre.) Comme cela, c'est bien. Pour que vous ne vous
fassiez pas de signes, je serai un mur entre vous deux. (A
l'Esclave.) Parle, toi.
L'ESCLAVE
Pour dire quoi?
CALLICLÈS
Qu'a-t-on fait de l'enfant à qui ma fille a donné le jour, mon
petit-fils? Expliquez-moi la chose de point en point.
L'ESCLAVE (montrant la Coiffeuse).
Je le lui ai donné.
CALLICLÈS
Tais-toi maintenant. (A la Coiffeuse.)
As-tu reçu l'enfant des mains de cette fille?
LA COIFFEUSE
Oui.
CALLICLÈS
Ne dis plus rien; je n'en veux pas davantage, cet aveu me suffit.
LA COIFFEUSE
Je ne nie rien.
CALLICLÈS (à part).
Et par là tu prépares du noir pour tes épaules. (Haut.)
Jusqu'à présent, les deux déclarations sont d'accord.
DINARQUE (à part).
Malheur à moi ! mes attentats, que je croyais cachés, sont en train de
se découvrir.
CALLICLÈS (à l'Esclave).
Parle, toi : qui t'a commandé de livrer l'enfant?
LA COIFFEUSE
Ma vieille maîtresse.
CALLICLÈS (à la Coiffeuse).
Et toi, pourquoi l'as-tu pris?
LA COIFFEUSE
Ma jeune maîtresse m'avait ordonné de lui apporter un enfant, et de
garder le secret.
CALLICLÈS
Parle : qu'as-tu fait de l'enfant?
LA COIFFEUSE
Je l'ai porté à ma maîtresse.
CALLICLÈS
Qu'en a-t-elle fait?
LA COIFFEUSE
Elle l'a donné aussitôt à ma maîtresse.
CALLICLÈS
Malepeste ! à quelle maîtresse?
L'ESCLAVE
Elle en a deux.
CALLICLÈS (à l'Esclave).
Garde-toi de parler sans que je te pose de questions. (A
la Coiffeuse.) C'est toi que j'interroge.
LA COIFFEUSE
Ma vieille maîtresse, dis-je, l'a donné à sa fille.
CALLICLÈS
Tu en dis plus que tout à l'heure.
LA COIFFEUSE
Tu en demandes plus.
CALLICLÈS
Réponds vite : celle à qui on l'a donné, qu'en a-t-elle fait?
LA COIFFEUSE
Un enfant supposé.
CALLICLÈS
Au profit de qui?
LA COIFFEUSE
D'elle.
CALLICLÈS
Il passe pour son fils?
LA COIFFEUSE
Pour son fils.
CALLICLÈS
Dieux, j'implore votre secours ! Comme il est plus facile à une autre
que la véritable mère d'accoucher ! La voilà mère sans douleurs; une
autre a eu le mal. L'enfant est un bienheureux; il a deux mères, deux aïeules.
Je suis inquiet de savoir combien il a de pères. Voyez un peu la malice
des femmes !
L'ESCLAVE
C'est aux hommes plutôt qu'aux femmes qu'on doit s'en prendre. Ce n'est
pas une femme, c'est un homme qui est l'auteur de la grossesse.
CALLICLÈS
Je le sais tout comme toi. Tu as bien gardé ma pauvre fille !
L'ESCLAVE
La force fait le pouvoir. C'est un homme, il était le plus fort : il a
triomphé, il a passé sa fantaisie.
CALLICLÈS
Et t'a préparé à passer, par Hercule, de mauvais moments.
L'ESCLAVE
Tu n'as pas besoin de me le dire, je l'ai appris toute seule par expérience.
CALLICLÈS
Je n'ai jamais pu te forcer à me déclarer le coupable.
L'ESCLAVE (apercevant Dinarque).
J'ai gardé le silence; je ne le garderai plus ; il est ici présent; je
dois le dénoncer.
DINARQUE (à part).
Je me sens pétrifié; je n'ose bouger. Malheureux ! le mystère se révèle.
Le châtiment est maintenant suspendu sur ma tête. Il s'agit de mon
crime, de ma folie. Je vais être nommé, je tremble. (Il
se serre contre le mur de la maison près de laquelle il s'est retiré.)
CALLICLÈS
Dis-moi, qui a déshonoré ma fille vierge encore?
L'ESCLAVE (regardant Dinarque).
C'est toi, je te vois; toi qui, pour tes fautes, te fais le protecteur
de cette muraille.
DINARQUE (à part).
Je ne suis ni mort ni vivant. Que faire? Je ne sais ni comment fuir
d'ici, ni s'il faut aborder le vieillard. La terreur me paralyse.
CALLICLÈS
Le nommeras-tu, enfin?
L'ESCLAVE
C'est Dinarque, celui à qui tu l'avais fiancée,
CALLICLÈS
Où est l'homme que tu dis?
DINARQUE (se jetant à ses pieds).
Me voici, Calliclés; je t'en conjure par tes genoux que j'embrasse,
supporte en sage cet acte de démence. Pardonne-moi la faute dont le vin
m'a rendu coupable, quand je n'étais pas maître de moi.
CALLICLÈS
Je n'aime pas que tu imputes ton crime à un complice muet, qui ne peut
pas se faire entendre. Car si le vin pouvait parler, il se justifierait.
Ce n'est pas le vin qui doit commander aux hommes, ce sont les hommes
qui doivent commander au vin, du moins les hommes probes. Mais, quand on
est vicieux, qu'on boive ou qu'on s'abstienne de boire, on est toujours
vicieux par la force du naturel.
DINARQUE
Je le sais, il me faut entendre beaucoup de choses qui me peinent; je me
livre à ton ressentiment, je suis coupable.
L'ESCLAVE
Calliclès, ne sois pas trop dur, je t'en prie. L'accusé plaide sa
cause en liberté; les témoins parlent enchaînés.
CALLICLÈS
Qu'on les délivre. Partez, allez-vous-en. (A
l'Esclave.) Toi, à la maison. (A la
Coiffeuse.) Toi, chez vous. Dis à ta maîtresse qu'elle rende
l'enfant quand on ira le réclamer. (A Dinarque.)
Toi, marchons, au tribunal !
DINARQUE
Pourquoi veux-tu que j'aille au tribunal? tu es pour moi le préteur.
Mais je te supplie de m'accorder ta fille en mariage, Calliclès.
CALLICLÈS
Tu as décidé toi-même du jugement, par Pollux, à ce que je vois; car
sans attendre que je te la donne, tu te l'es adjugée. Prends-la comme
elle est. Mais je te frappe d'une amende en punition de ton ineptie : tu
auras six grands talents de moins sur la dot.
DINARQUE
Tu es encore trop bon.
CALLICLÈS
Il faut que tu ailles redemander ton fils à cette femme. Du reste, emmène
ton épouse de la maison le plus tôt possible. Moi, j'ai à faire. Je
vais renoncer à l'alliance que je m'étais proposée, et je dirai aux
parents de chercher ailleurs un parti pour leur fils. (Il
sort.)
DINARQUE
Moi, je vais réclamer mon enfant de peur que plus tard elle ne dise
qu'il n'est pas à moi... Il n'y a rien à craindre; car elle a déclaré
elle-même devant tout le monde ce qui en était. Mais la voici qui sort
très à propos, par Pollux. Ah ! elle possède un aiguillon qui m'entre
dans le coeur.
|
SCENA
IV
PHRONESIUM, DINARCHUS, ASTAPHIUM
PHRONESIUM
Blitea et lutea est meretrix, nisi quae sapit in vino ad rem suam;
si alia membra vino madeant, cor sit saltem sobrium. 855
Nam mihi dividia 'st, tonstricem meam sic convictam male;
ea dixit, eum Dinarchi puerum inventum filium.
DINARCHUS
Vidi, audivi, quam pene est mea omnis res et liberi.
PHRONESIUM
Video eccum, qui amans tutorem med optavit suis bonis.
DINARCHUS
Mulier, ad te sum profectus.
PHRONESIUM
Quid agitur, voluptas mea?
DINARCHUS
Non voluptas; aufer nugas : nihil ego nunc de istac re ago.
PHRONESIUM
Scio, mecastor, quid velis, et quid postules, et quid petas.
Me videre vis et me te amare postulas : puerum petis.
DINARCHUS
Di inmortaleis, ut planiloqua 'st, paucis ut rem ipsam adtigit !
PHRONESIUM
Scio equidem sponsam tibi esse, et filium ex sponsa tua, 865
et tibi uxorem ducendam iam, esse, alibi iam animum tuum;
et quasi pro derelicta sim habiturus : sed tamen
cogitato, mus pusillus quam sit sapiens bestia,
aetatem qui non cubili uni unquam committit suam,
quia si unum obsideatur, aliud perfugium gerit. 870
DINARCHUS
Otium ubi erit, de istis rebus tum amplius tecum loquar.
Nunc puerum redde.
PHRONESIUM
Imo, amabo, ut hos dies aliquos sinas
eum esse apud me.
DINARCHUS
Minime.
PHRONESIUM
Amabo.
DINARCHUS
Quid opus 'st?
PHRONESIUM
In rem meam 'st.
Triduum hoc saltem, dum aliquo miles circumducitur,
sine me habere, si quid habebo, tibi quoque etiam proderit; 875
si auferes puerum, a milite omnis tum mihi spes animam ecflaverit.
DINARCHUS
Factum cupio : nam refacere si velim, non est locus.
Nunc puero utere, et procura, quando procures habes.
PHRONESIUM
Multum amabo te ob istam rem, mecastor; ubi domi metues malum,
fugito huc ad me; saltem amicus mi esto manubinarius. 880
DINARCHUS
Bene vale, Phronesium.
PHRONESIUM
Iam me tuum oculum vocas?
DINARCHUS
Id quoque interim futatim nomen conmemorabitur.
PHRONESIUM
Numquid vis?
DINARCHUS
Fac valeas. Operae ubi mi erit, ad te venero.
PHRONESIUM
Ille quidem hinc abiit, abscessit; dicere heic quidvis licet.
Verum est verbum, quod memoratur: ubi amici, ibidem opes. 885
Propter hunc spes etiamst hodie tactuiri militem;
quem ego, ecastor, mage amo quam me, dum id quod cupio, inde aufero.
Quae cum multum abstulimus, haud multum adparet quod datum 'st:
ita sunt gloriae meretricum.
ASTAPHIUM
Aha, tace !
PHRONESIUM
Quid est, obsecro?
ASTAPHIUM
Pater adest pueri.
PHRONESIUM
Sine eumpse adire huc; sine, si is est modo. 890
Sine eum ipsum adire, ut cupit, ad me.
ASTAPHIUM
Rectam tenet.
PHRONESIUM
Ne istum, ecastor, hodie aspiciam conficiam fallaciis.
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SCÈNE
IV
PHRONÉSIE, DINARQUE, ASTAPHIE
PHRONÉSIE (sans
voir Dinarque).
La courtisane qui ne songe pas à ses intérêts jusque dans les fumées
du vin est une sotte, un oison. Si le vin envahit son corps, sa tête au
moins doit rester libre. Je suis furieuse qu'on ait maltraité ainsi ma
coiffeuse. Elle m'a dit que Dinarque avait reconnu cet enfant pour son
fils.
DINARQUE
J'ai vu, j'ai entendu la belle qui possède tout mon patrimoine et mes
enfants.
PHRONÉSIE
Je vois l'homme qui par amour m'a choisie pour administrateur de ses
biens.
DINARQUE
Femme, c'est pour te parler que je suis venu.
PHRONÉSIE
Quelle nouvelle, mon amour?
DINARQUE
Il ne s'agit point d'amour; trêve aux plaisanteries : j'ai maintenant
autre chose à faire.
PHRONÉSIE
Je sais, par Castor, ce que tu veux, ce que tu désires, ce que tu
cherches. Tu veux me voir, tu désires m'aimer, tu cherches un enfant.
DINARQUE
Dieux immortels ! qu'elle s'explique bien ! Comme elle a été droit au
fait en peu de mots !
PHRONÉSIE
Je sais que tu as une fiancée; que ta fiancée t'a donné un fils, et
que tu vas célébrer le mariage; que ton coeur est engagé ailleurs à
présent, et que je suis dans la situation d'une abandonnée. Mais
prends conseil de la souris : combien il y a de sagesse dans ce petit
animal ! jamais elle ne confie à un seul trou sa destinée. Elle veut
que si on lui ferme une issue, elle puisse se sauver par une autre.
DINARQUE
Quand j'aurai le temps, nous causerons de cela plus au long. Pour
l'instant, rends-moi mon fils.
PHRONÉSIE
Non, permets-moi de le garder encore ces jours-ci, de grâce.
DINARQUE
Point du tout.
PHRONÉSIE
Je t'en prie.
DINARQUE
Quel besoin en as-tu?
PHRONÉSIE
C'est important pour moi; que je l'aie seulement trois jours, pour
extorquer quelque chose au militaire. Si je réussis, tu auras aussi ta
part de profit. Mais si tu me retires l'enfant, tout l'espoir que
j'avais mis dans le militaire est mort.
DINARQUE
J'accepte, car si je voulais le ranimer, je ne pourrais. Sers-toi de
l'enfant; soigne-le, puisque tu as de quoi le soigner.
PHRONÉSIE
Je te serai très reconnaissante de ce service, par Castor. Quand tu
craindras qu'il ne t'arrive malheur à toi, viens chez moi te réfugier.
Sois mon ami, du moins pour le butin à prendre.
DINARQUE
Adieu, Phronésie.
PHRONÉSIE
Tu ne m'appelles plus prunelle de tes yeux?
DINARQUE
Ce nom te sera donné encore plus d'une fois.
PHRONÉSIE
C'est tout?
DINARQUE
Porte-toi bien; quand j'aurai du loisir, je viendrai te voir. (Il
sort.)
PHRONÉSIE (seule).
Il est parti, il est loin; je puis parler librement. Le proverbe a
raison : avoir des amis c'est être riche. Grâce à celui-là, j'ai
l'espoir aujourd'hui de rouler le militaire, que je chéris, par Castor,
plus que moi-même tant que je lui soutire ce que je veux. Mais nous
avons beau, nous autres, gagner beaucoup, nous n'en sommes guère plus
riches. Voilà les exploits des courtisanes !
ASTAPHIE
Chut, silence.
PHRONÉSIE
Qu'est-ce donc?
ASTAPHIE
Voici le père de l'enfant.
PHRONÉSIE
Laisse-le venir, laisse-le venir, si c'est lui; qu'il s'approche à son
gré.
ASTAPHIE
Il vient droit sur nous.
PHRONÉSIE
Ah, celui-là, par Castor, je le noierai de mes ruses et de mes
perfidies.
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ACTUS V
SCENA I
STRATOPHANES,
ASTAPHIUM, PHRONESIUM, STRABAX
STRATOPHANES
Ego minam auri fero subplicium damnis ad amicam meam.
Ut illud abceptum sit, prius quod perdidi, hoc addam insuper.
Sed quid video? heram atque ancillam ante aedeis; adeunda 'st haec mihi. 895
Quid heic vos agitis?
PHRONESIUM
Ne me adpella.
STRATOPHANES
Nimium saeviter.
PHRONESIUM
Potine ut mihi molestus ne sies?
STRATOPHANES
Quid, Astaphium, litium 'st?
ASTAPHIUM
Merito, ecastor tibi, subcenset.
PHRONESIUM
Egon' ? atque isti etiam parum
male volo.
STRATOPHANES
Ego, mea voluptas, si quid peccavi prius,
subplicium ad te hanc minam fero auri : si mihi credis, respice. 900
PHRONESIUM
Manus vetat, priusquam penes sese habeat, quidquam credere.
Puero opu 'st cibum, opus est matri autem quae puerum lavit,
opus nutrici, lacte ut habeat, veteris vini largiter,
ut dies nocteisque potet, opu 'st ligno, opus est carbonibus :
fasciis opus est, pulvinis, cunis, incunabulis; 905
oleum opust, opus est farina; puerus est totum diem.
Nunquam hoc uno die ecficiatur opus, quin opus semper siet;
non enim possunt militareis pueri dauco educier.
STRATOPHANES.
Respice ergo, abcipe hoc, qui istuc ecficias opus.
PHRONESIUM
Cedo, quamquam parum 'st.
STRATOPHANES.
Addam minam unam isteic postea. 910
PHRONESIUM
Parum 'st
STRATOPHANES.
Tuo arbitratu, quod iubebis, id dabitur; da nunc savium.
PHRONESIUM
Mitte me, inquam, odiosus.
STRATOPHANES
Nihil fit; non amor; teritur dies.
Plus decem pondo amoris pauxilisper perdidi.
PHRONESIUM
Abcipe hoc atque auferto intro.
STRABAX
Ubi mea amica 'st gentium?
Neque ruri, neque heic operis quidquam facio, conrumpor situ; 915
ita miser cubando in lecto heic, expectando obdurui.
Sed eccam video : heus, amica, quid agis?
STRATOPHANES
Quis illic homo?
PHRONESIUM
Quem ego, mecastor, mage amo, quam te.
STRATOPHANES
Quam me? quo modo?
PHRONESIUM
Hoc modo, ut molestus ne sies.
STRATOPHANES
Iam abis, postquam aurum habes?
PHRONESIUM
Condidi intro, quod dedisti.
STRABAX
Ades, amica, te adloquor. 920
PHRONESIUM
At ego ad te ibam, mea delicia.
STRABAX
Hercle vero serio,
quamquam ego tibi videor stultus, gaudere aliqui me volo;
Nam quamquam es bella, malo tu tuo, nisi ego aliqui gaudeo.
PHRONESIUM
Vin' te amplectar, savium dem?
STRABAX
Quidvis face, gaudeam.
STRATOPHANES
Meosne ante oculos ego illam patiar alios amplexarier? 925
Mortuum, hercle, me hodie satiust : abstine hoc, mulier, manum,
nisi si te mea machaera vis et hunc una mori.
PHRONESIUM
Nil halapari satius est, miles, si te amari postulas;
auro, hau ferro deterrere potes, ne amem, Stratophanes.
STRATOPHANES
Qui, malum, bella aut faceta es, quae ames hominem isti modi? 930
PHRONESIUM
Venitne in mentem tibi, quod verbum in cavea dixit histrio:
omneis homines ad suom quaestum callent nec fastidiunt.
STRATOPHANES
Hunccine hominem te amplexari, tam horridum ac tam squalidum?
PHRONESIUM
Quamquam hic squalet, quamquam hic horridu 'st, scitus, bellus mihi.
STRATOPHANES
Dedin' ego aurum ?
PHRONESIUM
Mihi? dedisti filio cibaria. 935
Nunc, si hanc tecum esse speras, alia opu 'st auri mina.
STRABAX
Malam rem is et magnam magno opere, serva tibi viaticum.
STRATOPHANES
Quid isti debes?
PHRONESIUM
Tria.
STRATOPHANES
Quae tria nam?
PHRONESIUM
Unguenta, noctem, savium.
STRATOPHANES
Par pari respondet. Verum nunc saltem, si amas,
dan' tu mihi de tuis deliciis delictis pauxillulum? 940
PHRONESIUM
Quid id, amabo, est quod dem? dic, tum superest, feres.
Campas dicis; abi, abi consultam istuc, nihili homo,
cave faxis volnus, tibi iam quoi sunt denteis ferrei.
STRATOPHANES
Volgo ad se omneis intromittit. Abstine istac tu manum.
STRABAX
Iam, hercle, cum malo magno tu vapula, vir strenuus. 945
STRATOPHANES
Dedi ego huic aurum.
STRABAX
At ego argentum.
STRATOPHANES
At ego pallam et purpuram.
STRABAX
At ego oveis, et lanam, et alia multa, quae poscet, dabo.
Melius te minis certare mecum quam minaciis.
PHRONESIUM
Lepidus ecastor, mortalis ! mi Strabax, perge, obsecro.
ASTAPHIUM
Stultus atque insanus damnis certant: nos salvae sumus. 950
STRATOPHANES
Age prior, perde aliquid.
STRABAX
Imo tu prior perde, et peri.
STRATOPHANES
Hem tibi talentum argenti; Philippi hic est : tene tibi.
PHRONESIUM
Tanto melior; noster esto, sed de vostro vivito.
STRATOPHANES
Ubi est, quod tu das? solve zonam, provocator. Quid times?
STRABAX
Tu peregrinus, heic habito; non cum zona ego ambulo. 955
Pecua ad hanc collo in crumina ego obligata defero.
Quid dedi! ut discinxi hominem.
STRATOPHANES
Imo ego vero, qui dedi.
PHRONESIUM
I intro, amabo, i, tu eris mecum; tum tu eris mecum quidem.
STRATOPHANES
Quid tu? quid ais? cum hoccin? Ego posterior dedi?
PHRONESIUM
Tu dedisti, hic iam daturu 'st; ictuc habeo, hoc expeto. 960
Verum utrique mos geratur amborum ex sententia.
STRATOPHANES
Fiat. Ut rem gnatam video, hoc abcipiundum 'st quod datur.
STRABAX
Meum quidem te lectum certe obcupare non sinam.
PHRONESIUM
Lepide, ecastor, aucupavi atque ex mea sententia,
meamque ut rem video bene gestam, vostram rursum bene geram ! 965
Verum, amabo, si quis animatu 's facere, faciam ut sciam.
Veneris causa adplaudite: eius haec in tutela est fabula.
Spectatores, bene valete : plaudite, atque exurgite.
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ACTE
V
SCÈNE I
STRATOPHANE, ASTAPHIE, PHRONÉSIE,
STRABAX
STRATOPHANE (sans voir d'abord les deux
femmes).
J'apporte de l'or, une mine, en offrande à ma maîtresse qui me ruine;
de quelque manière qu'on ait reçu déjà ce que j'ai perdu,
j'ajouterai ceci. Mais que vois-je? la maîtresse est avec sa suivante
devant la maison. Il faut que je lui parle. (S'approchant
de Phronésie.) Comment allez-vous?
PHRONÉSIE
Ne me parle pas.
STRATOPHANE
Tu es bien sévère.
PHRONÉSIE
Pourrais-tu ne pas m'importuner?
STRATOPHANE (à la Suivante).
Qu'est-ce qu'elle a, dis, Astaphie?
ASTAPHIE
Elle a sujet, par Castor, d'être fâchée contre toi.
PHRONÉSIE (à Astaphie).
Moi, je suis encore trop bonne.
STRATOPHANE
Si je t'ai offensée, mon amour, reçois en expiation cet or, une mine.
Si tu m'en crois, regarde. (Il lui présente une
bourse.)
PHRONÉSIE
Ma main, avant qu'elle tienne, me défend de rien croire. Il faut de
quoi vivre à l'enfant; il en faut à la sage-femme qui a lavé le
nouveau-né; il en faut pour la nourrice qui n'a du lait qu'avec
abondance de vin vieux; elle doit boire jour et nuit. Et puis il faut du
bois, il faut du charbon, il faut des langes, des oreillers, un berceau,
toute la garniture du berceau; il faut de l'huile; il faut de la farine;
l'enfant dévore tout le jour; qu'on donne aujourd'hui tout ce qu'il
faut, il faudra toujours quelque chose. Ce n'est pas avec du panais
qu'on élève des fils de militaires.
STRATOPHANE
Regarde donc, voici de quoi satisfaire à ces besoins.
PHRONÉSIE
Donne, quoique ce ne soit pas grand'chose.
STRATOPHANE
J'ajouterai une mine.
PHRONÉSIE
Ce n'est pas grand'chose.
STRATOPHANE
Je donnerai tout ce qu'il te plaira, tout ce que tu exigeras.
Maintenant, donne-moi un baiser.
PHRONÉSIE
Laisse-moi, te dis-je, tu m'ennuies.
STRATOPHANE
Je ne peux rien obtenir; elle ne m'aime pas. Je perds mon temps; j'ai dépensé
en détail plus de dix livres pesant d'amour, pour rien.
PHRONÉSIE (à Astaphie en lui montrant le
cadeau).
Prends cela, et porte-le à la maison.
STRABAX (sortant de chez Phronésie).
Où donc a passé ma souveraine maîtresse ! ni à la campagne, ni ici,
je ne peux rien faire; je croupis dans l'inaction. A force de l'attendre
étendu sur le lit, je me suis engourdi. Mais je la vois : Holà ! ma
belle, qu'est-ce que tu fais?
STRATOPHANE (à Phronésie).
Qui est cet homme?
PHRONÉSIE
Quelqu'un que j'aime plus que toi, par Castor.
STRATOPHANE
Plus que moi? qu'est-ce à dire?
PHRONÉSIE
C'est-à-dire que je ne veux pas que tu m'ennuies. (Elle
va pour se retirer.)
STRATOPHANE
Tu me quittes, maintenant que tu tiens l'or.
PHRONÉSIE
J'ai mis ton cadeau en sûreté.
STRABAX
Viens, ma belle, c'est à toi que j'en veux.
PHRONÉSIE
Et moi, j'allais te chercher, mon bonheur.
STRABAX
Par Hercule, sérieusement, j'ai beau te paraître un lourdaud, je veux
avoir du plaisir, n'importe comment. Tu as beau être gentille, c'est
tant pis pour toi si je n'ai pas de plaisir.
PHRONÉSIE
Veux-tu que je t'embrasse, que je te donne un baiser?
STRABAX
Tout ce que tu voudras, pourvu que j'aie du plaisir. (Il se laisse
embrasser.)
STRATOPHANE (à part).
Je souffrirai que devant mes yeux elle embrasse des hommes? plutôt
mourir aujourd'hui, par Hercule ! (Haut, en la
prenant par le bras.) Cesse de le caresser, femme, si tu ne veux
que ma terrible épée t'immole avec lui.
PHRONÉSIE
Pas de vains propos, militaire, si tu veux te faire aimer. C'est avec de
l'or et non du fer que tu peux me détourner d'aimer cet homme,
Stratophane.
STRATOPHANE
Tu es, malepeste, bien jolie, et tu as bon goût d'aimer un homme fait
comme cela.
PHRONÉSIE
Tu ne te souviens pas de la maxime que le comédien proclame au théâtre
: « Pour bien faire ses affaires, on ne fait pas le dégoûté »?
STRATOPHANE
Toi, embrasser un tel rustre, si répugnant !
PHRONÉSIE
Tout rustre, tout répugnant qu'il te paraît, je le trouve bon dans le
combat.
STRATOPHANE
N'as-tu pas reçu mon or?
PHRONÉSIE
Moi? C'était pour la nourriture de ton fils. Maintenant si tu veux posséder
la femme, il faut encore de l'or, encore une mine.
STRABAX
Que la peste les étouffe ! Garde le viatique pour toi.
STRATOPHANE
Que lui dois-tu?
PHRONÉSIE
Trois choses.
STRATOPHANE
Quelles trois choses?
PHRONÉSIE
Parfum, nuit, baiser.
STRATOPHANE
Ils se valent tous deux. (Haut.) Mais au
moins, si tu m'aimes, donne-moi quelque petit cadeau, pris dans tes réserves
de délices.
PHRONÉSIE
Quoi, mon petit? que veux-tu que je te donne; dis-moi; si je l'ai, tu
l'auras. Mais tu cherches des faux-fuyants. Va, va quémander ailleurs,
imbécile ! seulement, prends garde d'infliger des blessures avec tes
dents ferrées.
STRATOPHANE
Tout le monde a ici ses entrées. Toi, ôte ta main.
STRABAX
Toi, par Hercule, va te faire battre et rosser comme il faut, grand
guerrier.
STRATOPHANE
Je lui ai donné de l'or.
STRABAX
Et moi de l'argent.
STRATOPHANE
Moi, un manteau et de la pourpre.
STRABAX
Moi, des brebis et de la laine; et tout ce qu'elle demandera encore, je
le donnerai. Dans ce combat, il faut des mines, plutôt que des menaces.
PHRONÉSIE
Il est charmant, par Castor. Mon cher Strabax, continue, je te prie.
ASTAPHIE
Le sot et le fou luttent de dommages, nos affaires sont bonnes.
STRATOPHANE
Allons, donne l'exemple, vas-y de quelque chose.
STRABAX
Vas-y le premier toi-même, et puis crève.
STRATOPHANE (à Phronésie).
Tiens, voici un talent d'argent en bons philippes; accepte.
PHRONÉSIE
Grand merci; tu seras des miens, mais tu vivras du tien.
STRATOPHANE (à Strabax).
Que donnes-tu? dénoue ta ceinture, lanceur de défis. Qu'est-ce que tu
crains?
STRABAX
Tu es étranger; moi, je demeure ici : je ne me promène pas avec une
ceinture. (Montrant sa bourse.) J'apporte
sur mes épaules un troupeau enfermé dans ce sac. Qu'ai-je donné !
Comme je bats cet individu !
STRATOPHANE
C'est moi qui ai donné.
PHRONÉSIE (à Stratophane).
Entre à présent, mon chéri, va, je serai à toi. (A
Strabax.) Je serai à toi aussi.
STRATOPHANE
A ce vilain? toi, vraiment? C'est moi qui ai donné le dernier.
PHRONÉSIE
Tu as donné, il donnera; je tiens l'un, j'espère l'autre. Mais je veux
plaire à tous deux.
STRATOPHANE
A la bonne heure. (A part.) Dans la
circonstance, il faut me contenter de ce qu'on me donne.
STRABAX (à Stratophane).
Tu sais, je ne me laisserai pas mettre hors de mon lit par toi.
PHRONÉSIE
J'ai fait une bonne chasse, par Castor. Mes affaires ont prospéré, je
soignerai les vôtres. Toi, si tu as intention de me donner quelque
chose, je le saurai bien. (Aux spectateurs.)
En faveur de Vénus applaudissez, cette comédie est sous sa protection.
Spectateurs, portez-vous bien, applaudissez, et levez la séance.
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(85) Les
fartores étaient des sortes de charcutiers, tenant boutique, ils
mettaient en hachis, en pâté, les viandes qu'on leur apportait, ou
bien ils mettaient une farce à la volaille. Or ces gens passaient pour
prélever une dîme en nature, en plus du salaire convenu.
(86) Les propriétaires de troupeaux
payaient le droit de pâture par tête de bétail, généralement sur
des terres conquises, lesquelles étaient affermées par l'Etat à des
traitants. — C'était une coutume peut-être, c'en est une chez Plaute
en tout cas, d'assimiler à des brebis les jeunes gens « tondus » par
les courtisanes.
87) Est-il
besoin de souligner toutes les équivoques obscènes de ces dernières
répliques?
(88) Ce passage au texte peu sûr reste
d'une extrême obscurité et a servi de « prétexte » aux
interprétations les plus diverses.
(89) C'est-à-dire : je t'aurais cité en
justice pour injures... Mais Astophie n'aurait pu obtenir une amende
contre un fou (« Si tu n'avais pas l'air d'un fou... »)
(90) Esclave? affranchie? on la verra plus
loin suppliciée comme une esclave. Et pourtant elle « habite en face
». Il semble bien que les esclaves pouvaient louer leur industrie, à
condition de rendre compte de leurs gains.
(91) Le cinquième jour après
l'accouchement, on faisait le tour d'un autel avec l'enfant dans les
bras, et l'on offrait des sacrifices à Junon Lucine.
(92) Nériène était en même temps
déesse des Sabins. Son nom signifiait la force et convenait
parfaitement à l'époux de Mars.
(93) Les édiles plébéiens veillaient à
la propreté des rues.
(94) Ces effarantes libertés d'un esclave
avec la maîtresse de son maître se retrouvent dans Charançon,
dans Le Carthaginois. Il s'agirait de savoir quel est ici le
rapport de la comédie à la réalité des moeurs.
(95) Qui bat le tambourin : comme les
prêtres de Cybèle, qui étaient des efféminés. Sens exact : Tu n'es
qu'un efféminé !
(96) Il est très possible qu'il y ait là
une obscénité.
(97) Plaisanteries analogues dans le Persan,
v. 324 et suivants.
(98)Il est plus heureux que nous
(99) Cf. la note 79.
(100) Exactement aux triumvirs, qui
avaient les marchandes d'amour sous leur juridiction. Une courtisane
était liée à son entreteneur par un contrat ayant valeur juridique.
(101) Bourreaux d'esclaves.
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