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Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

COLLECTION

DES

ALCHIMISTES GRECS

INTRODUCTION

 

LISTE DES MÉMOIRES CONTENUS DANS L’INTRODUCTION

 

I. — Les Papyrus de Leide.

II. — Relations entre les métaux et les planètes.

III. — La sphère de Démocrite et les médecins astrologues (figures).

IV. — Signes et notations alchimiques (planches).

V. — Figures d’appareils et autres.

VI. — Renseignements et notices sur quelques manuscrits.

VII. -- Sur quelques métaux et minéraux provenant de l’antique Chaldée.

VIII. — Notices de Minéralogie, de Métallurgie et diverses.

 

M. BERTHELOT.


 

II. — RELATIONS ENTRE LES MÉTAUX ET LES PLANÉTES

LE NOMBRE SEPT.[1]

« Le monde est un animal unique, dont toutes les parties, quelle qu’en soit la distance, sont liées entre elles d’une manière nécessaire. » p.74 Cette phrase de Jamblique le Néoplatonicien ne serait pas désavouée par les astronomes et par les physiciens modernes; car elle exprime l’unité des lois de la nature et la connexion générale de l’Univers. La première perception de cette unité remonte au jour où les hommes reconnurent la régularité fatale des révolutions des astres ils cherchèrent aussitôt à en étendre les conséquences à tous les phénomènes matériels et même moraux, par une généralisation mystique, qui surprend le philosophe, mais qu’il importe pourtant de connaître, si l’on veut comprendre le développement historique de l’esprit humain. C’est la chaîne d’or qui reliait tous les êtres, dans le langage des auteurs du moyen âge. Ainsi l’influence des astres parut s’étendre à toute chose, à la génération des métaux, des minéraux et des êtres vivants, aussi bien qu’à l’évolution des peuples et des individus. Il est certain que le soleil règle, par le flux de sa lumière et de sa chaleur, les saisons de l’année et le développement de la vie végétale; il est la source principale des énergies actuelles ou latentes à la surface de la terre. On attribuait autrefois le même rôle, quoique dans des ordres plus limités, aux divers astres, moins puissants que le soleil, mais dont la marche est assujettie à des lois aussi régulières. Tous les documents historiques prouvent que c’est à Babylone et en Chaldée que ces imaginations prirent naissance; elles ont joué un rôle important dans le développement de l’astronomie, étroitement liée avec l’astrologie dont elle semble sortie. L’alchimie s’y rattache également, au moins par l’assimilation établie entre les métaux et les planètes, assimilation tirée de leur éclat, de leur couleur et de leur nombre même. Attachons-nous d’abord à ce dernier: c’est le nombre sept, chiffre sacré que l’on retrouve partout, dans les jours de la semaine, dans l’énumération des planètes et des zones célestes, dans celle des métaux, des couleurs, des cordes de la lyre et des tons musicaux, des voyelles de l’alphabet grec, aussi bien que dans le chiffre des étoiles de la grande ourse, des sages de la Grèce, des portes de Thèbes et des chefs qui l’assiègent, d’après Eschyle.

p.75 L’origine de ce nombre paraît être astronomique et répondre aux phases de la lune, c’est-à-dire au nombre des jours qui représentent le quart de la révolution de cet astre. Ce n’est pas là une opinion a priori. On la trouve en effet signalée dans Aulu-Gelle, qui l’a attribuée à Aristide de Samos.[2] Dans le papyrus W de Leide, il est aussi question (p. 17) des 28 lumières de la lune.

L’usage de la semaine était ancien en Egypte et en Chaldée, comme en témoignent divers monuments et le récit de la création dans la Genèse. Mais il n’existait pas dans la Grèce classique et il ne devint courant à Rome qu’au temps des Antonins.[3] C’est seulement à l’époque de Constantin et après le triomphe du Christianisme qu’il fut reconnu comme mesure légale de la vie civile: depuis il est devenu universel chez les peuples européens.

Le hasard fit que le nombre des astres errants (planètes), visibles à l’œil nu, qui circulent ou semblent circuler dans le ciel autour de la terre s’élève précisément à sept: ce sont le Soleil, la Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne. A chaque jour de la semaine, un astre fut attribué en Orient: les noms même des jours, tels que nous les prononçons maintenant, continuent à traduire, à notre insu, cette consécration babylonienne.

A côté des sept Dieux des sphères ignées, les Chaldéens invoquaient les sept Dieux du ciel, les sept Dieux de la terre, les sept Dieux malfaisants, etc.

D’après François Lenormant les inscriptions cunéiformes mentionnent les sept pierres noires, adorées dans le principal temple d’Ouroukh en Chaldée, bêtyles personnifiant les sept planètes. C’est au même rapprochement que se rapporte, sans doute, un passage du roman de Philostrate sur la vie d’Apollonius de Tyane (III, 41), dans lequel il est question de sept anneaux, donnés à ce philosophe par le brahmane Iarchas.

La connaissance des divinités planétaires de la semaine ne se répandit dans le monde gréco-romain qu’à partir du ier siècle de notre ère.[4] On a trouvé à Pompéi une peinture représentant les sept divinités planétaires. p.76 De même divers autels sur les bords du Rhin. Une médaille à l’effigie d’Antonin le Pieux, frappée la 8e année de son règne, représente les bustes des sept Dieux planétaires avec les signes du zodiaque, et au centre le buste de Sérapis.[5]

Une autre coïncidence, aussi fortuite que celle du nombre des planètes avec le quart de la révolution lunaire, celle du nombre des voyelles de l’alphabet grec, nombre égal à sept, a multiplié ces rapprochements mystiques, surtout au temps des gnostiques les pierres gravées de la Bibliothèque nationale de Paris et les papyrus de Leide en fournissent une multitude d’exemples. Ce n’est pas tout les Grecs, avec leur esprit ingénieux, ne tardèrent pas à imaginer entre les planètes et les phénomènes physiques des relations pseudo-scientifiques, dont quelques-unes, telles que le nombre des tons musicaux et des couleurs se sont conservées. C’est ainsi que l’école de Pythagore établit un rapport géométrique des tons et diapasons musicaux avec le nombre et les distances mêmes des planètes.[6]

Le nombre des couleurs fut pareillement fixé à sept. Cette classification arbitraire a été consacrée par Newton et elle est venue jusqu’aux physiciens de notre temps. Elle remonte à une haute antiquité. Hérodote rapporte (Clio, 98) que la ville d’Ecbatane avait sept enceintes, peintes chacune d’une couleur différente: la dernière était dorée; celle qui la précédait, argentée. C’est, je crois, la plus vieille mention qui établisse la relation du nombre sept avec les couleurs et les métaux. La ville fabuleuse des Atlantes, dans le roman de Platon, est pareillement entourée par des murs concentriques, dont les derniers sont revêtus d’or et d’argent; mais on n’y retrouve pas le mystique nombre sept.

Entre les métaux et les planètes, le rapprochement résulte, non seulement de leur nombre, mais surtout de leur couleur. Les astres se manifestent à la vue avec des colorations sensiblement distinctes suus cuique color est, dit Pline (H. N. II, 16). La nature diverse de ces couleurs a fortifié le rapprochement des planètes et des métaux. C’est ainsi que l’on conçoit aisément l’assimilation de l’or, le plus éclatant et le roi des métaux, avec la lumière p.77 jaune du soleil, le dominateur du Ciel. La plus ancienne indication que l’on possède à cet égard se trouve dans Pindare. La cinquième ode des Isthméennes débute par ces mots: « Mère du Soleil, Thia, connue sous beaucoup de noms, c’est à toi que les hommes doivent la puissance prépondérante de l’or. »

Μᾶτερ Ἁλίου, πολυώνυμε Θεία,
σέο γ' ἕκατι καὶ μεγασθενῆ νόμισαν,
χρυσὸν ἄνθρωποι περιώσιον ἄλλων

Dans Hésiode, Thia est une divinité, mère du soleil et de la lune, c’est-à-dire génératrice des principes de la lumière (Théogonie, 371, 374). Un vieux scoliaste commente ces vers en disant: « de Thia et d’Hypérion vient le soleil, et du soleil, l’or. A chaque astre une matière est assignée. Au Soleil, l’or; à la Lune, l’argent; à Mars, le fer; à Saturne, le plomb; à Jupiter, l’électrum; à Hermès, l’étain; à Vénus, le cuivre[7] ». Cette scolie remonte à l’époque Alexandrine. Elle reposait à l’origine sur des assimilations toutes naturelles.

En effet, si la couleur jaune et brillante du soleil rappelle celle de l’or

...........................................................orbem

Per duodena regit mundi sol aureus astra;[8]

la blanche et douce lumière de la lune a été de tout temps assimilée à la teinte de l’argent. La lumière rougeâtre de la planète Mars (igneus, d’après Pline; πθρόεις d’après les alchimistes) a rappelé de bonne heure l’éclat du sang et celui du fer, consacrés à la divinité du même nom. C’est ainsi que Didyme, dans son commentaire sur l’Iliade (l. V), commentaire un peu antérieur à l’ère chrétienne, parle de Mars, appelé l’astre du fer. L’éclat bleuâtre de Vénus, l’étoile du soir et du matin, rappelle pareillement la teinte des sels de cuivre, métal dont le nom est tiré de celui de l’île de Chypre, consacrée à la déesse Cypris, l’un des noms grecs de Vénus. De là le rapprochement fait par la plupart des auteurs. Entre la teinte blanche et sombre du plomb et celle de la planète Saturne, la parenté est plus étroite encore et elle est constamment invoquée depuis l’époque Alexandrine. Les couleurs et les p.78 métaux assignés à Mercure l’étincelant (στίλβων; radians, d’après Pline; apparence due à son voisinage du soleil), et à Jupiter le resplendissant (Φαέθων), ont varié davantage, comme je le dirai tout à l’heure.

Toutes ces attributions sont liées étroitement à l’histoire de l’astrologie et de l’alchimie. En effet, dans l’esprit des auteurs de l’époque Alexandrine ce ne sont pas là de simples rapprochements; mais il s’agit de la génération même des métaux, supposés produits sous l’influence des astres dans le sein de la terre.

Proclus, philosophe néoplatonicien du Ve siècle de notre ère, dans son commentaire sur le Timée de Platon, expose que « l’or naturel et l’argent et chacun des métaux, comme des autres substances, sont engendrés dans la terre sous l’influence des divinités célestes et de leurs effluves. Le Soleil produit l’or; la Lune, l’argent; Saturne, le plomb, et Mars, le fer » (p. 14. C).

L’expression définitive de ces doctrines astrologico-chimiques et médicales se trouve dans l’auteur arabe Dimeschqî, cité par Chwolson (sur les Sabéens, t. II, p. 380, 396, 411, 544). D’après cet écrivain, les sept métaux sont en relation avec les sept astres brillants, par leur couleur, leur nature et leurs propriétés ils concourent à en former la substance. Notre auteur expose que chez les Sabéens, héritiers des anciens Chaldéens, les sept planètes étaient adorées comme divinités; chacune avait son temple, et, dans le temple, sa statue faite avec le métal qui lui était dédié. Ainsi le Soleil avait une statue d’or; la Lune, une statue d’argent; Mars, une statue de fer; Vénus, une statue de cuivre; Jupiter, une statue d’étain; Saturne, une statue de plomb. Quant à la planète Mercure, sa statue était faite avec un assemblage de tous les métaux, et dans le creux on versait une grande quantité de mercure. Ce sont là des contes arabes, qui rappellent les théories alchimiques sur les métaux et sur le mercure, regardé comme leur matière première: Mais ces contes reposent sur de vieilles traditions défigurées, relatives à l’adoration des planètes, à Babylone et en Chaldée, et à leurs relations avec les métaux.

Il existe, en effet, une liste analogue dès le second siècle de notre ère. C’est un passage de Celse, cité par Origène (Opera, t. I, p. 646; Contra Celsum, livre VI, 22; édition de Paris, 1733). Celse expose la doctrine des Perses et les mystères mithriaques, et II nous apprend que ces mystères étaient expri- p.79 més par un certain symbole, représentant les révolutions célestes et le passage des âmes à travers les astres. C’était un escalier, muni de 7 portes élevées, avec une 8e au sommet.

La première porte est de plomb; elle est assignée à Saturne, la lenteur de cet astre étant exprimée par la pesanteur du métal.[9]

La seconde porte est d’étain; elle est assignée à Vénus, dont la lumière rappelle l’éclat et la mollesse de ce corps.

La troisième porte est d’airain, assignée à Jupiter, à cause de la résistance du métal.

La quatrième porte est de fer, assignée à Hermès, parce que ce métal est utile au commerce, et se prête à toute espèce de travail.

La cinquième porte, assignée à Mars, est formée par un alliage de cuivre monétaire, inégal et mélangé.

La sixième porte est d’argent, consacrée à la Lune;

La septième porte est d’or, consacrée au soleil; ces deux métaux répondent aux couleurs des deux astres.

Les attributions des métaux aux planètes ne sont pas ici tout à fait les mêmes que chez les Néoplatoniciens et les alchimistes. Elles semblent répondre à une tradition un peu différente et dont on trouve ailleurs d’autres indices. En effet, d’après Lobeck (Aglaophamus, p. 936, 1829), dans certaines listes astrologiques, Jupiter est de même assigné à l’airain, et Mars au cuivre.

On rencontre la trace d’une diversité plus profonde et plus ancienne encore, dans une vieille liste alchimique, reproduite dans plusieurs manuscrits alchimiques ou astrologiques et où le signe de chaque planète est suivi du nom du métal et des corps dérivés ou congénères, mis sous le patronage de la planète. Cette liste existe également dans le Ms. 2419 de notre Bibliothèque Nationale (fol. 46 verso), où elle fait partie d’un traité astrologique d’Albumazar, auteur du ixe siècle, avec des variantes et des surcharges qui ne sont pas sans importance: une partie des mots grecs y sont d’ailleurs écrits en caractères hébreux, comme s’ils avaient un sens mystérieux voir dans ce volume, texte grec, p. 24. Dans cette liste, p.80 la plupart des planètes répondent aux mêmes métaux que dans les énumérations ordinaires, à l’exception de la planète Hermès, à la suite du signe de laquelle se trouve non le nom d’un métal, mais celui d’une pierre précieuse: l’émeraude. Le mercure est cependant inscrit vers la fin de l’énumération des substances consacrées à Hermès, mais comme s’il avait été ajouté après coup. Or, chez les Égyptiens, d’après Lepsius, la liste des métaux comprenait, à côté de l’or, de l’argent, du cuivre et du plomb, les noms des pierres précieuses, telles que le mafek ou émeraude, et le chesbet ou saphir, corps assimilés aux métaux à cause de leur éclat et de leur valeur.[10]

Dans le roman égyptien de Satni-Khâm-Ouas, le livre magique de Tahout est renfermé dans sept coffres concentriques, de fer, de bronze, de bois de palmier, d’ivoire, d’ébène, d’argent et d’or.[11] La rédaction primitive de ce roman remonterait aux dernières dynasties; sa transcription connue, au temps des Ptolémées. Tout ceci concourt à établir que la liste des sept métaux n’a été arrêtée que fort tard, probablement vers l’époque des Antonins.

C’est ici le lieu de parler des tablettes métalliques trouvées à Khorsabad. Dans le cours des fouilles, en 1854, M. Place découvrit, sous l’une des pierres angulaires du palais assyrien de Sargon, un coffret contenant sept tablettes. C’étaient des tablettes votives, destinées à rappeler la fondation de l’édifice (706 ans avant J.-C.), et à lui servir, en quelque sorte de Palladium. Quatre de ces tablettes se trouvent aujourd’hui au Musée du Louvre. J’en ai fait l’analyse, et les résultats de mon étude sont consignés plus loin dans le présent volume. Je me borne à dire ici que les quatre tablettes sont constituées en fait par de l’or, de l’argent, du bronze et du carbonate de magnésie pur, minéral rare que l’on ne supposait pas connu des anciens, et dont l’emploi reposait sans doute sur quelque idée religieuse. Les noms des matières des tablettes, tels qu’ils sont indiqués dans les inscriptions qui les recouvrent, sont d’après M. Oppert, l’or (hurasi), l’argent (kaspi), le cuivre urudi ou er [bronze], puis, deux mots (anaki p.81 et kasazatiri ou abar) que les interprètes ont traduit par plomb et étain, bien que l’un d’eux semble en réalité désigner la 4e tablette signalée plus haut (carbonate de magnésie), et enfin deux noms de corps portant le déterminatif des pierres, et traduits par marbre (sipri ou zakour) et albâtre (gis-sin-gal). Rien d’ailleurs n’indique des attributions planétaires, si ce n’est le nombre sept. Ajoutons toutefois que, d’après un renseignement que m’a fourni M. Oppert, deux métaux étaient désignés par les Assyriens et les Babyloniens sous des dénominations divines: le fer sous le nom de Ninip, Dieu de la guerre: ce qui rappelle l’attribution ultérieure du métal à Mars; et le plomb, sous le nom du Dieu Anu, Dieu du ciel que l’on pourrait rapprocher de Saturne: toutefois ce ne seraient pas là des Dieux planétaires.

Voilà ce que j’ai pu savoir relativement à l’interprétation des noms métalliques contenus dans ces tablettes. Un des points les plus essentiels qui résultent de leur étude, c’est l’assimilation de certaines pierres ou minerais aux métaux, précisément comme chez les Égyptiens.

Il y a là le souvenir de rapprochements très différents des nôtres, mais que l’humanité a regardé autrefois comme naturels, et dont la connaissance est nécessaire pour bien concevoir les idées des anciens. Toutefois l’assimilation des pierres précieuses aux métaux a disparu de bonne heure; tandis que l’on a pendant longtemps continué à ranger dans une même classe les métaux purs, tels que l’or, l’argent, le cuivre, et certains de leurs alliages, par exemple l’électrum et l’airain. De là des variations importantes dans les signes des métaux et des planètes.

Retraçons l’histoire de ces variations; il est intéressant de les décrire pour comprendre les écrits alchimiques.

Olympiodore, néoplatonicien du vie siècle, attribue le plomb à Saturne; l’électrum, alliage d’or et d’argent regardé comme un métal distinct, à Jupiter; le fer à Mars; l’or au Soleil; l’airain ou cuivre à Vénus; l’étain à Hermès (planète Mercure); l’argent à la Lune. Ces attributions sont les mêmes que celle du scoliaste de Pindare cité plus haut; elles répondent exactement et point pour point, à une liste du manuscrit alchimique de Saint Marc, écrit au xie siècle, et qui renferme des documents très anciens.

p.82 Les symboles alchimiques qui figurent dans les manuscrits comprennent les métaux suivants, dont l’ordre et les attributions sont constants pour la plupart

1° L’or correspondait au Soleil, relation que j’ai exposée plus haut (p. 77;— voir aussi fig. 3, Pl. I, l. 1, à gauche).

Le signe de l’or est presque toujours celui du Soleil, à l’exception d’une notation isolée où il semble répondre à une abréviation (ms. 2327, fol. 17 verso, l. 19; ce volume, fig. 8, Pl. VI, l. 19).

2° L’argent correspondait à la Lune et est toujours exprimé par le signe planétaire (ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 2).

3° L’électrum, alliage d’or et d’argent cet alliage était réputé un métal particulier chez les Égyptiens qui le désignaient sous le nom d’asèm: nom qui s’est confondu plus tard avec le mot grec asemon (ashmon) argent non marqué. Cet alliage fournit à volonté, suivant les traitements, de l’or ou de l’argent. Il est décrit par Pline, et il fut regardé jusqu’au temps des Romains comme un métal distinct. Son signe était celui de Jupiter (ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 4), attribution que nous trouvons déjà dans Zosime, auteur alchimique du iiie ou ive siècle de notre ère.

Quand l’électrum disparut de la liste des métaux, son signe fut affecté à l’étain, qui jusque-là répondait à la planète Mercure (Hermès). Nos listes de signes portent la trace de ce changement. En effet la liste du manuscrit de Saint Marc porte (ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 4): « Jupiter resplendissant, électrum, et ces mots se retrouvent, toujours à côté du signe planétaire, dans le manuscrit 2327 de la Bibliothèque nationale de Paris, fol. 17 recto, l. 16 (ce volume, fig. 7, Pl. V, l. 16); la première lettre du mot Zeus, figurant sous deux formes différentes (majuscule et minuscule). Au contraire un peu plus loin, dans une autre liste du dernier manuscrit (fol. 18, verso l. 5; ce volume, fig. 10, Pl. VIII, l. 5), le signe de Jupiter est assigné à l’étain. Les mêmes changements sont attestés par la liste planétaire citée plus loin.

Le plomb correspondait à Saturne: cette attribution n’a éprouvé aucun changement; quoique le plomb ait plusieurs signes distincts dans les listes (ms. de Saint Marc, fol. 6, dernière ligne à gauche et ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 3; ms. 2327, fol. 17 recto, l. 11 et 12 et ce volume, fig. 9, p.83 Pl. VII, l. 11 et 12). Le plomb était regardé par les alchimistes égyptiens comme le générateur des autres métaux et la matière première de la transmutation; ce qui s’explique par ses apparences, communes à divers autres corps simples et alliages métalliques.

En effet, ce nom s’appliquait à l’origine à tout métal ou alliage métallique blanc et fusible; il embrassait l’étain (plomb blanc et argentin, opposé au plomb noir ou plomb proprement dit, dans Pline), et les nombreux alliages qui dérivent de ces deux métaux, associés entre eux et avec l’antimoine, le zinc, le bismuth, etc. Les idées que nous avons aujourd’hui sur les métaux simples ou élémentaires, opposés aux métaux composés ou alliages, ne se sont dégagées que peu à peu dans le cours des siècles. On conçoit d’ailleurs qu’il en ait été ainsi, car rien n’établit à première vue une distinction absolue entre ces deux groupes de corps;

5° Le fer correspondait à Mars. Cette attribution est la plus ordinaire. Cependant, dans la liste de Celse, le fer répond à la planète Hermès.

Le signe même de la planète Mars se trouve parfois donné à l’étain dans quelques-unes des listes (ms. 2327, fol. 16 verso, l. 12, 3e signe [ce volume, fig. 6, Pl. IV, l. 12]; fol. 17 recto, l. 12, 3e signe [ce volume, fig. 7, Pl. V, l. 12]). Ceci rappelle encore la liste de Celse, qui assigne à Mars l’alliage monétaire. Mars et le fer ont d’ailleurs deux signes distincts, quoique communs au métal et à la planète, savoir: une flèche avec sa pointe, et un q, abréviation du mot qouraV, nom ancien de la planète Mars (ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 5); parfois même avec adjonction d’un z abréviation de puroeiV l’enflammé, autre nom ou épithète de Mars (ce volume, fig. 7, Pl. V, l. 17);

6° Le cuivre correspondait à Aphrodite (Vénus), ou Cypris, déesse de l’île de Chypre, où l’on trouvait des mines de ce métal; déesse assimilée elle-même à Hathor, la divinité égyptienne multicolore, dont les dérivés bleus, verts, jaunes et rouges du cuivre rappellent les colorations diverses. Le signe du cuivre est en effet celui de la planète Vénus (ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 6, et fig. 8, Pl. VI, l. 3); sauf un double signe qui est une abréviation (ce volume, fig. 8, Pl. VI, l. 4).

Toutefois la liste de Celse attribue le cuivre à Jupiter et l’alliage monétaire à Mars, etc. La confusion entre le fer et le cuivre, ou plutôt p.84 l’airain, aussi attribué à la planète Mars, a existé autrefois; elle est attestée par celle de leurs noms: le mot œs qui exprime l’airain en latin dérive du sanscrit ayas qui signifie le fer.[12] C’était sans doute, dans une haute antiquité, le nom du métal des armes et des outils, celui du métal dur par excellence.

7° L’étain correspondait d’abord à la planète Hermès ou Mercure.

Quand Jupiter eut changé de métal et fut affecté à l’étain, le signe de la planète primitive de ce métal passa au mercure (ce vol. fig. 10, Pl. VIII, l. 6).

La liste de Celse attribue l’étain à Vénus; ce qui rappelle aussi l’antique confusion du cuivre et du bronze (airain).

8° Mercure. Le mercure, ignoré, ce semble, des anciens Égyptiens, mais connu à partir du temps de la guerre du Péloponnèse et par conséquent à l’époque alexandrine, fut d’abord regardé comme une sorte de contre-argent et représenté par le signe de la lune retourné (ce volume, fig. 3, Pl. I, l. 19). Il n’en est pas question dans la liste de Celse (iie siècle). Entre le vie siècle (liste d’Olympiodore le Philosophe, citée plus haut) et le viie siècle de notre ère (liste de Stéphanus d’Alexandrie, qui sera donnée plus loin), le mercure prit (fig. 10, Pl. VIII, l. 6) le signe de la planète Hermès, devenu libre par suite des changements d’affectation relatifs à l’étain. Dans la liste planétaire, il a été également ajouté après coup, à la suite des dérivés de cette planète, spécialement affectée à l’émeraude (voir p. 79).

Ces attributions nouvelles et ces relations astrologico-chimiques sont exprimées dans le passage suivant de Stephanus: « Le démiurge plaça d’abord Saturne, et vis-à-vis le plomb, dans la région la plus élevée et la première; en second lieu, ii plaça Jupiter vis-à-vis de l’étain, dans la seconde région; il plaça Mars le troisième, vis-à-vis le fer, dans la troisième région; il plaça le Soleil le quatrième, et vis-à-vis l’or, dans la quatrième région; il plaça Vénus la cinquième, et vis-à-vis le cuivre, dans la cinquième région; il plaça Mercure, le sixième, et vis-à-vis le vif-argent, dans la sixième région; il plaça la lune la septième, et vis-à-vis l’argent, dans la septième et dernière région. » Dans le manuscrit, au-dessus de chaque planète, ou de chaque métal, se trouve son symbole. Mais, circonstance caractéristique, p.85 le symbole de la planète Mercure et celui du métal ne sont pas encore les mêmes, malgré le rapprochement établi entre eux; le métal étant toujours exprimé par un croissant retourné. Le mercure et l’étain ont donc chacun deux signes différents dans nos listes, suivant les époques.

La copie de la liste planétaire donnée par Albumasar (ixe siècle) et traduite en hébreu et en grec dans le manuscrit 2419 (fol. 46 verso) porte aussi la trace de ces changements (texte grec, I, viii, p. 24, notes). Non seulement le signe de la planète Hermès répond à l’émeraude, le nom de Mercure étant ajouté après coup et tout à fait à la fin, comme il e été dit plus haut; mais l’auteur indique que les Persans affectent l’étain à la planète Hermès. De même, la planète Jupiter étant suivie de l’étain, l’auteur ajoute également que les Persans ne font pas la même affectation, mais assignent cette planète au métal argenté;[13] ce qui se rapporte évidemment à l’asèm ou électrum, dont l’existence était déjà méconnue au ixe siècle. Ce sont là des souvenirs des attributions primitives.

Voilà les signes planétaires des métaux fondamentaux, signes qui se retrouvent dans ceux des corps qui en dérivent; chacun des dérivés étant représenté par un double signe, dont l’un est celui du métal, et l’autre répond au procédé par lequel il a été modifié (division mécanique, calcination, alliage, oxydation, etc.).

Les principes généraux de ces nomenclatures ont donc moins changé qu’on ne serait porté à le croire, l’esprit humain procédant suivant des règles et des systèmes de signes qui demeurent à peu près les mêmes dans la suite des temps. Mais il convient d’observer que les analogies (ondées sur la nature des choses, c’est-à-dire sur la composition chimique, telle qu’elle est démontrée par la génération réelle des corps et par leurs métamorphoses réalisées dans la nature ou dans les laboratoires; ces analogies, dis-je, subsistent e demeurent le fondement de nos notations scientifiques; tandis que les analogies chimiques d’autrefois entre les planètes et les métaux, fondées sur des idées mystiques sans base expérimentale, sont tombées dans un juste discrédit. Cependant leur connaissance conserve encore de l’intérêt pour l’intelligence des vieux textes et pour l’histoire de la science.


 

[1] Cet article a été publié dans mon ouvrage intitulé « Science et Philosophie. » Toutefois j’ai cru devoir le reproduire ici avec certains développements nouveaux, parce qu’il est indispensable pour l’intelligence des textes et des notations alchimiques.

[2] Noctes Atticae, III, 10. Lunae curriculum confici integris quatuor septenis diebus... auctorem que hujus opinionis Aristidem esse Samium.

[3] Dion Cassius, Histoire Romaine, XXXVII, 18.

[4] Lunœ cursum stellarumque septem imagines. Pétrone, Satyricon, 30.

[5] De Witte, Gazette archéologique, 1877 et 1879.  

[6] Pline, H. N., II, 20. — Th.-H. Martin, Timée de Platon, t. II, p. 38.

[7] Pindare, édition de Bœckh, t. II, p. 540, 1819.

[8] Virgile, Géorgiques, I, 432.

[9] Saturni sidus gelidœ ac rigentis esse naturœ. Pline, H. N., II, 6.

[10] Voir les métaux égyptiens, dans mon ouvrage sur les Origines de l’Alchimie, p. 221 et 233, Steinheil, 1885.

[11] Histoire ancienne de l’Orient, par Fr. Lenormant, 9e édition, t. III, p. 158 (1883).

[12] Origines de l’Alchimie, p. 225.

[13] Οἱ Πέρσαι οὐχ οὕτως, ἀλλὰ διάργυρος : Texte grec I, viii, p. 24 (notes).