JUVÉNAL
SATIRE III Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
SATURA III / SATIRE III(Traduction de V. Fabre de Narbonne, 1825)satire I - SATIRE II
autre traduction
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
NOTE 1.Donare Sibyllæ. Voyez Virgile, Enéide, livre vi. Solin et Ausone comptent trois sibylles chez les anciens; Elien en admet quatre. Enfin Varron, cité par Lactance, en admet dix. Pausanias nous dit qu’une femme, nommée sibylle, fille de Neptune, fut la première à prédire l’avenir ; M. de Voltaire cite ce passage de Pausanias, et prétend que c’est de cette sibylle que les autres sibylles tirèrent leur nom. Un vieux scholiaste prétend que ce mot est composé de deux mots grecs , σεός, Dieu et βουλή conseil; et en effet σιός le dialecte dorique a cette signification, et je pense que le scholiaste a raison ; point de doute que le mot Sibylle soit venu de cette source. NOTE 2.Deterius credas. Le commentaire de Jouvency, qui n’est qu’un extrait fort abrégé de Farnabe et de Casaubon, se donne une peine infinie pour expliquer ce passage; et, certes, il l’eût obscurci si le texte eût présenté la moindre difficulté. L’accusatif incendia, après horrere, pris généralement pour un verbe d’état, voilà toute la difficulté. Et Cicéron n’a-t-il pas dit horrero numina, craindre les divinités avec ce serment de respect qui approche de la frayeur? Nous n’avons point en français de verbe correspondant. NOTE 3.Rheda. La rheda n’était pas un char construit à la romaine, mais une charrette gauloise, lourde, pesante. Le mot lui-même n’est pas latin et semble appartenir à la langue celtique. NOTE 4.Constituebat. Presque tous les anciens commentateurs ont rempli l’ellipse par le mot locum, assignait un rendez-vous. Achaintre, d’après un vieux commentateur, prétend qu’il s’agit bien ici d’Egerie, qui n’était point déesse, mais une concubine de Numa, et il explique le constituebat d’après cette obscène interprétation. Juvénal avait trop de respect pour ce second roi de Rome, et il le prouve même dans cette satire comme on le verra dans la suite, pour plaisanter Numa de la manière la plus outrageante. Et quand il s’agit de la réputation d’un grand homme, quelques bruits qui circulent presque secrètement doivent-ils arrêter les yeux du philosophe et du sage? ne doit-on pas mépriser cette source impure? NOTE 5.Judœis. Il y a dans Suétone, Vie de Domitien, un passage qui jette sur ce passage difficile pour l’homme qui ne connaît point quelques détails, plutôt du ressort des mémoires qu de l’histoire, qui jette, dis-je, le plus grand jour. Præter cœteros judaicus fiscus, acerbissime dictus est, etc. Ensuite les Juifs, par un édit de Domitien, furent chassés de la ville; il paraît qu’à cette époque les empereurs ne faisaient aucune distinction des chrétiens et des israélites. Ces malheureux eurent cependant la permission de s’établir dans la forêt d’Aricie où ils firent le métier de mendiants, et de devins; et, sous ce dernier point de vue, ils avaient quelque pouvoir sur l’esprit des dames romaines qui ne craignaient pas d’aller les consulter. NOTE 6.Camenis. Saint- Augustin dit qu’il y avait à Rome une déesse adorée sous le nom de Camena ; je pense que Saint Augustin se trompes On ne connaissait dans cette capitale que les muses, auxquelles les Romains donnèrent un nom latin comme ils en donnèrent un presque à tous les dieux de l’Orphéisme. Celui de Camenæ, dérive de ces deux mots cantu amœnœ, cantamœnœ, et par contraction camenœ, qui chantent agréablement. NOTE 7.Ædem conducere. Dans son interprétation du verbe conducere, M. Achaintre se met en opposition avec Alexandre Ruppert, qui avait comparé tant de textes de Juvénal. Il ne s’agit pas ici, dit-il, des Publicains, des entrepreneurs des travaux publics, des revenus publics mis à ferme, des immondices à enlever moyennant une certaine rétribution. Il me semble cependant que l’interprétation de Ruppert est naturelle et celle d’Achaintre forcée; car il donne au verbe conducere une signification qu’il n’a jamais eue. Les intrigants dont parle Juvénal étaient, en effet, des hommes auxquels les Ediles cédaient la ferme du port, du fleuve, des immondices, le droit de vendre des esclaves, et de vendre tout ce qui était nécessaire aux inhumations. Le trésor public tirait un grand bénéfice de toutes ces adjudications; n’est-ce pas la même chose à Paris? ne croiriez-vous pas lire un mémoire sur quelques particularités de cette capitale de la France. Est-ce l’édile qui payait les intrigants, ou les intrigants qui rendaient une telle somme pour le prix de la ferme accordée c’est au lecteur à juger. Pour moi, je pense qu’Achaintre n’a pas assez réfléchi en écrivant sa note; ce qui donne plus de poids à mon opinion est la nécessité où se trouvaient les Romains d’aller prendre dans le temple de Libitine, tout ce qu’il fallait pour les inhumations. Le gouvernement affermait donc ce droit à des entrepreneurs que l’on connaissait sous le nom de Libitinarii ou designatores. Donnait-il de l’argent? il eût sans doute fait une opération ridicule, j’en appelle à tous les financiers du monde. NOTE 8.Præbere caput. La vente des esclaves à Rome se faisait de trois manières, vendere sub hasta, vendere sub corona, vendere sub pileo. Vendere sub hasta était la plus commun.. Il existe en France une province où les domestiques se rendent dans un marché pour se louer, et ils portent tous un bouquet à la main; cette coutume ne vient-elle pas des Romains? Les pères de ces pauvres Celtes furent peut-être jadis vendus sub corona par les brigands ambitieux qui soumirent l’univers connu. NOTE 9.Munera nunc edunt. Ce mot munera ne doit embarrasser que ceux qui seraient aux éléments de la langue latine; mais en paraissant s’écarter de la signification primitive du mot munus, il y rentre par la pensée; car c’était un véritable présent fait au peuple romain que de lui donner un spectacle de gladiateur. NOTE 10.Verso pollice. Le peuple ne faisait que montrer la main pliée avec le pouce sous les doigts pour indiquer qu’il accordait la grâce au gladiateur vaincu; pour le faire tuer il suffisait que le peuple montrât la main avec le pouce levé. Horace rappelle cette coutume dans ces vers : Fautor utrumque tuum laudabit pollice ludum. NOTE 11.Conducunt foricas. Ici l’explication d’Achaintre est préférable à celle de Rupert. Mais il ignore que dans tout le midi de l’Europe c’est une marchandise chère, et qui se vend à des prix exorbitants Il en était de même à Rome, où le terrain demandait beaucoup de fumier, parce qu’il était et qu’il est encore fort sablonneux ; les orangers, les citronniers, les oliviers demandent cette sorte d’engrais. Depuis Nice jusques à Naples vous rendez service à vos hôtes quand vous n’allez pas ailleurs que chez eux satisfaire aux besoins de la nature. NOTE 12.Poscere. Cette expression est remarquable: demander un ouvrage pour le lire; car chez les anciens, comme l’imprimerie n’était pas connue, on demandait aux auteurs leurs ouvrages pour les copier; or il fallait que l’ouvrage en vaille la peine, ou que la flatterie fût extrême pour s’asservir à faire une si longue opération. NOTE 13.Et cui fervens. Il me semble que l’interprétation d’Achaintre n’est pas claire, surtout dans ce qui concerne le tacendis. Pourquoi le maître chérit-il, ou fait-il semblant de chérir celui dont la conscience est troublée, qui hésite, qui balance? n’est-ce pas pour l’obliger à se taire en tout temps, malgré les combats qu’il éprouve dans son cœur et la nuit et le jour. Or, voici l’explication du commentateur moderne. Des crimes que l’on doit toujours couvrir d’un voile, parce qu’ils sont trop infâmes. Le sens est violé; ce n’est pas là la pensée de Juvénal. Que le lecteur soit notre juge. NOTE 14.Verri. Voyez la note sur le texte français. Tage. Cette phrase est difficile, j’en conviens; mais pourquoi la construire avec d’autres mots latins? Elle ne serait pas inintelligible pour un écolier, si je l’expliquais ainsi: omnis arena Tagi opaci et aurum quod volvitur in mare non sit tibi tanti ut tristis careas somno, et sumas prœmia ponenda et timearis a magno amico. L’interprétation d’Achaintre, éminemment latine, est plus difficile à expliquer que ne le sont les vers de Juvénal; dès lors elle est inutile et presque illusoire. NOTE 15.Urbem grœcam. Dans la traduction, j’ai ajouté Syrienne: il faut que je rende compte au lecteur de cette petite addition. D’après ce qui suit, quamvis quota portio fœcis Acheœ, jam pridem Syrus, etc.; la ville n’est donc pas entièrement Grecque, si la lie Achéenne n’est pas en aussi grande quantité que la lie des autres peuples. On voit, par cette explication, que ce n’est pas la rime qui m’a conseillé d’ajouter le mot Syrienne, mais la réflexion, et le plus grand examen des pensées exprimées dans le passage. NOTE 16.Et cum tibicine chordas. Les Romains n’étaient pas musiciens; et quel prodigieux changement s’est-il opéré par le laps des siècles? Les Romains modernes sont, après les Napolitains, les premiers musiciens de l’Europe. Je laisse aux politiques le soin de m’en dire les raisons. Ce que je sais bien, c’est que les anciens Romains n’inventèrent aucun instrument: tous ceux dont parlent les auteurs latins portent des noms étrangers, cithara, barbitos, psalterium, sambuca. Le lituus et la tuba leur venaient de Toscane ainsi que la flûte, fistula; et les seuls musiciens parmi eux étaient des saltimbanques espagnols. Du temps de Quintilien à Rome, on prit un peu plus de goût pour la musique, et peut-être est-ce à ce rhéteur que l’on doit l’amour de ce bel art qui, depuis, a fait tant de progrès dans l’Europe occidentale. NOTE 17.Trechedipna. Les seuls textes de Robert Etienne et de Pythée portent τρεχεδειπνα; et si tous les autres textes ne le portent point, peu m’importe : la correction est bonne et je l’adopte; le mot trechedipna n’est ni latin ni grec, au lieu que le mot adopté par Jobert Etienne est grec, comme niceteria que nous verrons plus bas. Tρεχεδίπνος, qui court au festin; on appelait ainsi en grec les robes magnifiques dont les villes faisaient présent aux athlètes vainqueurs, et avec lesquelles ils avaient le droit de paraître dans tous les festins. Or, les Romains, comme on le voit dans Suétone, avaient des robes de festin qui participèrent du luxe général; niceteria, νικητήριον prix de la victoire, petites plaque ou collier que portaient aussi les athlètes vainqueurs; autre mot en rapport avec le τρεχεδειπνα. Nul doute que le t n’ait été oublié ou négligé par des copistes qui n’entendaient pas la langue grecque; cette lettre a été heureusement rétablie et le texte est devenu clair les modernes ne devraient donc plus revenir sur une chose si bien corrigée, et laisser le rechedipna ou l’amphitryon dans la poussière des antiques manuscrits. NOTE 18.Cottana. Espèce de figue de Syrie très recherchée et fort estimée des gastronomes romains. Prima, la prune de Damas, que l’on connaît à peine dans les réglons boréales de l’Europe: elles ont dégénéré, même en Italie et dans le midi de la France. Les Romains nommaient bacca tout fruit à noyau, mais principalement les olives. J’ai remplacé ici dans ma traduction, par un équivalent, ces détails trop minutieux, et que ne supporte pas notre langue. NOTE 19.Quo mordetur gallina marito. La traduction française manque peut-être d’élégance, mais elle m’a paru si heureusement traduite, que je n’ai pu me décider à refaire les deux vers. Je verrai ce que dira la critique: si elle est judicieuse, je me soumettrai; mais si les raisons qu’elle alléguera ne me paraissent point plausibles, je persisterai dans mon sentiment NOTE 20.Thaïda, courtisane. (Voyez Térence, acte iii scène ii, comédie de l’Eunuque) Thaïs dit que sa mère était courtisane, car les femmes qui passaient leur vie ailleurs que dans le lieu de leur naissance n’étaient pas en bonne odeur. C’est pourquoi les courtisanes étaient souvent appelées étrangères (remarque de mademoiselle Dacier sur le 27e vers de la scène citée). Thaïs était donc un personnage de comédie comme nos Célimène, nos Dorante, etc.; et c’était les hommes qui jouaient les rôles de femme il fallait beaucoup d’adresse et de sang-froid aux acteurs qui, dans les rôles de Néréides, étaient obligés de paraître nus sur le théâtre : les Grecs possédaient cet art au dernier degré. On sent bien que je n’ai pas été assez hardi pour traduire littéralement, ou, pour mieux m’exprimer, pour copier avec fidélité la dernière partie de ce tableau, vacua et plana dicas infra ventriculum, et tenui distantia rima. M. Dussault a senti toute la difficulté d’une pareille traduction et a remplacé l’expression latine, qui rend la pensée, par des expressions et une tournure bien vagues; je crois m’être plus rapproché du texte sans cependant dépasser les limites que nous assigne la chasteté de la langue française. NOTE 21.Endromidem. C’était une mante épaisse et poileuse que l’on fabriquait dans les Gaules, surtout chez les Cadurciens. Les athlètes les jetaient sur le corps, quand ils sortaient de leurs exercices, pour éviter les maladies et les répercussions. Juvénal n’a mis en vers que la pensée de Plutarque dans sa Dissertation sur les moyens de distinguer le véritable ami du flatteur. Ce dernier écrivain l’avait empruntée à Théophraste. NOTE 22.Jactare manus, lancer des baisers. Ce geste est encore fort en usage parmi les mendiants de l’Italie. M. Dussault a rendu, par une proposition générale, tous ces détails dégoûtants; n’aurait-il pas mieux valu choisir des phrases correspondantes, comme l’a fait Molière quand, dans son Tartuffe, il imite ce passage de Juvénal? Je n’ai conservé que le dernier trait; mais celui-là suppose tous les autres; car si la digestion se fait bien, etc. NOTE 23.Aviam resupinat amici. (Voyez la note sur le texte français.) J’avoue cependant que j’ai eu des doutes en rétablissant le texte d’après Achaintre, et laissant aviam à la place de aulam. Ce n’est que le verbe resupinare qui m’a décidé; mais si j’avais conservé aulam, je ne l’aurais pas entendu comme M. Dussault et Farnabe, car la gradation ne serait pas observée, mais j’aurais mis à la place de la vieille : et tout ce qui compose la maison, c’est-à-dire que le Grec ne se contente pas d’avoir souillé les maîtres, il souille aussi tous les domestiques, esclaves, etc. Je ne crois pas que cette interprétation soit à dédaigner: réfléchissez. NOTE 24.Abolla. Grand manteau que portaient ordinairement les philosophes grecs, moins ample que la toge, mais plus long que la tunique: le pallium était l’habit de cérémonie. NOTE 25.Caballi. Expression de mépris qu’il était inutile de faire passer dans la traduction. Juvénal donne à Pégase l’épithète de Gorgonei, parce qu’il naquit du sang de Méduse, une des Gorgones tuée par Persée. NOTE 26.Orbis. Les Romains regardaient comme un déshonneur de n’être point inscrits sur le testament de leurs amis. (Voyez la lettre de Pline à Tacite, liv. iii, let. xx.) Ce préjugé produisit une foule de captateurs qui ne rougissaient pas de descendre aux plus viles bassesses pour séduire le personnes opulentes, surtout celles qui n’avaient ni enfants, ni collatéraux; ce qui, d’après le système d’affranchissement n’était pas rare. Aussi le petit-fils souvent était l’adulateur d’un homme dont le père avait été esclave dans la maison de son aïeul. NOTE 27.Ingenuorum. Il y avait trois degrés d’ingénuité: le premier composé de ceux que l’on appelait simplement ingenui, nés de parents libres, et qui avaient été toujours eux-mêmes libres; le deuxième degré comprenait les ingenui nommés gentiles, c’est-à-dire ceux qui étaient d’une ancienne famille patricienne ou plébéienne; et le troisième degré se composait des Patriciens, descendants des deux cents que Romulus avait choisis pour entrer dans le sénat: c’était dans cette classe seule que se trouvait la noblesse proprement dite. NOTE 28.Il s’agit ici d’un tribun militaire et non d’un tribun du peuple ; car, par la constitution d’Auguste, l’empereur réunissait à ses autres titres la puissance tribunitienne; ce qui renversa totalement l’état ancien de la république. Le grade de tribun correspondait à celui de chef de bataillon, il commandait une cohorte, Il avait pour marque distinctive un poignard ou couteau de chasse; il était chargé avec ses collègues de rendre la justice au camp; il présidait aux exercices militaires. Tout Romain qui avait été tribun était de droit chevalier Romain. NOTE 29.Hospes numinis. Scipion Nasica. La mère Idæa fut envoyée, sous la forme d’une pierre brute, de Pessinunte à Rome, où elle fut introduite par Scipion Nasica pour satisfaire aux livres Sibyllins, dans lesquels les pontifes avaient lu qu’on ne parviendrait à expulser les Carthaginois de l’Italie qu’après avoir établi à Rome le culte de Cybèle; ils ordonnaient en même temps que l’image de la déesse fût reçue par le plus honnête homme. Le choix tomba sur Scipion, qui logea chez lui la mère des Dieux jusqu’à ce qu’on lui eût élevé un temple. De là le hospes numinis. NOTE 30.Vel qui servavit. Luc. æ Metellus, consul, d’après la chronologie de Schœl, L’an 613, l’an 636, et l’an 638, dans l’incendie du temple de Vesta, se précipita au milieu des flammes pour sauver la statue de Minerve que l’on nommait le Palladium. Il y perdit les yeux; le sénat, pour le récompenser de cet acte de courage, de piété, lui permit, toutes les fois qu’il irait au sénat, de se faire transporter sur un char élevé, afin qu’il fût ainsi exposé à la vénération de tous les citoyens. NOTE 31.Paropside, mot grec Pαροψὶς, vase, plat, ou vaisseau dans lequel on servait les mets. Quelques manuscrits, par conséquent quelques éditions, portent parabside. Lubin, Turnèbe approuvaient le parabside, vase, dit Isidore, quadrangulaire et quadrilatère. Je vous demande à quoi bon une telle discussion sur une lettre? le texte est-il mieux éclairci? NOTE 32.Quantum, etc. Je crois avoir rendu avec toute l’énergie du latin cette sentence proverbiale à Rome, et qui, de nos jours, vu le système de nos sociétés modernes, a pour elle tous les hommes qui se trouvent au premier rang. Horace, liv. i, sat. i, l’avait mise en vers; mais Lucile avant lui, avait dit: Aurum atque ambitio specimen virtutis utrique; Tantum habeas, tantum ipse sies, tantique habearis. NOTE 33.Dis ignoscentibus. Les Dieux ne s’abaissent pas jusqu’à punir les crimes du pauvre. C’est le trait le plus virulent lancé par Juvénal contre la stupide vanité des riches. NOTE 34.Calceus, chaussure des Romains. Ces chaussures étaient de différentes espèces: le mullæus était la chaussure des enfants des sénateurs; le pero, la chaussure des paysans; le phœcasium, d’après Apulée, était une espèce de soulier blanc que l’on mettait aux statues des Dieux; mais Pétrone assure que c’était encore une chaussure champêtre: ces diverses chaussures couvraient entièrement le pied, mais la solea était une espèce de semelle nouée sur le pied avec des cordons; la crepida, espèce de pantoufle dont on se servait dans l’intérieur des maisons; la bacca, le sandalium, chaussures du bas peuple et des affranchis. NOTE 35.Fornice nati. Après avoir bien examiné la phrase, j’ai pris la résolution de traduire par souterrain, auquel mot j’ai ajouté le qualificatif d’infâme; et pour l’intelligence du texte français et latin, il faut savoir quelle était la demeure des louves ou esclaves prostituées par les marchands. Ils les mettaient pendant la nuit dans des souterrains voûtés, où les maîtres faisaient aussi leur résidence pour surveiller de plus près cette marchandise et empêcher les jeunes gens de faire une irruption dans le local. Ces lenones devenaient souvent fort riches; et en Orient, de nos jours, ce métier procure de grandes richesses à ceux qui l’exercent. NOTE 36.Pinnirapi lanistœ. Pinnirapus était le surnom du gladiateur rétiaire dont nous avons précédemment parlé; le casque du Mirmillon, son rival, était ordinairement orné de plumes de paon. Le rétiaire cherchait à l’envelopper, et s’il parvenait à le prendre dans son filet, il était alors réellement Pinnarum raptor. Le laniste était le maître des gladiateurs; il les nourrissait, les exerçait et les vendait ensuite à ceux des magistrats ou des grands qui voulaient donner des jeux au peuple. Je n’ai pas pu découvrir d’où venait l’étymologie de ce mot. NOTE 37.Othon. (Voyez la note française.) J’ajouterai ici que, dans les grands théâtres de Rome, il y avait trois étages, et chaque étage était de neuf degrés, y compris le pallier qui en faisait la séparation et qui servait à tourner; aussi quand on lit dans les auteurs que les chevaliers occupaient quatorze rangs, il faut entendre les neuf degrés du premier étage et cinq du second. Le reste était abandonné au peuple; l’orchestre et le pulpitum étaient occupés par les sénateurs et les vestales. NOTE 38.Ædilibus. Il y avait à Rome deux sortes d’édiles, les édiles curules, troisième dignité venant immédiatement après celle des consuls et des préteurs : ils avaient l’inspection des jeux, des théâtres, et la haute police de la ville; les édiles minores ou plebeii remplissaient toutes les fonctions de nos commissaires de police. La salubrité de la ville, la qualité des aliments, les poids et mesures, les étrangers, les marchés, étaient dans les attributions des petits édiles; et cette dernière magistrature n’était point curule. NOTE 39.Debuerant. L’an de Rome 251, le peuple romain, c’est-à-dire la plebs, qu’on traduit fort improprement par la populace, tourmentée par ses créanciers, se retira sur le mont sacré Que devenir? un état composé de patriciens seuls ne pouvait exister longtemps. Si les grands eussent abandonné le peuple, la république n’eût pas couru de grands dangers, car l’aristocratie eût été bien vite remplacée, comme nous l’avons vu pendant la révolution. Pour éviter l’anéantissement de Rome, on satisfit aux besoins du peuple, et le gouvernement changea, car l’établissement du tribunat fit pencher la balance du côté de la démocratie, et l’histoire nous apprend quelles furent es tristes suites de ce défaut d’harmonie entre les différents pouvoirs. La dictature y remédiait, mais ce n’était que pour un temps, et la lutte recommençait. C’est cette lutte qui fut la cause de la prise de Rome par les Gaulois; et sans Camille c’en était fait, Rome n’existait pins, et l’Italie entière devenait Gauloise. NOTE 40.Veneto duroque cucullo. Je n’entre point ici dans la grande discussion des commentateurs sur le mot cucullo; les Valois prétendent qu’il faut lire culullo. D’après ma manière d’interpréter le passage, admettant l’allusion, toute cette discussion est inutile. J’ai dit dans la note française les raisons qui m’avaient obligé d’adopter le sens présenté par Jouvency; d’abord le parfait negavit marque un temps antérieur à celui dont parle Juvénal; le participe parfait qui suit translatus subito, fait nécessairement allusion à un personnage de Rome, qui, transporté au milieu des Marses et à la table des Sabins, se contenta encore au milieu de ses ennemis de sa mante grossière et verdâtre, surmontée d’un capuchon. Ce qui me fait persister dans cette opinion en revoyant le texte latin, c’est le vague de la pensée générale : tout Romain qui est allé chez les Marses, etc., et ensuite le genre de vie et la manière de se vêtir de Curius Dentatus, qui, dans les camps et dans les froides montagnes de l’Apennin se couvrait d’une mante semblable à celle dont se couvrent encore les pêcheurs de la mer Adriatique. NOTE 41.Exodium. Petit poème plus ou moins châtié, accompagné de chants et de danses, joué sur les théâtres de Rome pour servir de divertissement et dissiper la tristesse après les pièces sérieuses. Ce qui caractérisait principalement l’exodium, ou issue, était la licence et la liberté qu’on avait d’y jouer sous le masque jusqu’aux empereurs. On insérait souvent des couplets de chansons répandus dans le public, dont on faisait une nouvelle application aux temps et aux circonstances ces sortes de pièces ont été longtemps en crédit en France. Qui ne se souvient pas des paroles d’Henri iv au sortir d’un spectacle pareil, où l’on s’était permis de le représenter comme un avare? NOTE 42.Orchestram. Ce ne fut qu’au temps de Scipion l’Africain que les sénateurs commencèrent à se séparer du peuple, et se mirent avec les vestales à l’orchestre. Chez les Grecs, l’orchestre était la partie la plus basse du théâtre, où se donnaient les ballets, ὀρχέομαι, danser; mais à Rome, ce lieu était destiné au sénat, et l’empereur ensuite eut son siège sur le podium. NOTE 43.Hic aliquid plus quam satis est. Phrase un peu obscure pour dire que le nécessaire n’est pas suffisant à Rome, qu’il faut du superflu. Dans toutes les grandes capitales, le même vice existe et part de la même source; on ne se connaît point; on ne peut donc juger que d’après les yeux. Or, la mise est la seule chose qui frappe et à laquelle on s’attache, et ce préjugé s’enracine au point que l’homme le plus vertueux ou le plus savant rougirait à Paris de se présenter sous la livrée de la pauvreté. Il faut avoir beaucoup de courage pour braver ici une opinion dont sont souvent les victimes ceux qui en sont les plus grands partisans. NOTE 44.Ambitiosa paupertate, une pauvreté ambitieuse. Rarement en français cette épithète a la signification que lui donne ici Juvénal. Le pauvre a l’ambition de devenir riche, et je ne sais point si la pauvreté ambitieuse ne présenterait pas un faux sens; l’épithète est trop vague et sans objet déterminé; car de combien de sortes d’ambition le pauvre peut être travaillé! mais la principale,dira-t-on, est de devenir riche. Je n’en sais rien; il en est une autre chez lui qui contrebalance cette ambition, celle d’être supérieur au riche par ses talents. Mais celle-là n’est pas commune; pardonnez-moi, elle est plus commune qu’on ne le croit. NOTE 45.Ille metit barbam. Juvénal désigne ici deux patrons différents, et non des clients, comme l’entend Lubin et Pratée; mais, dans ma traduction, j’ai supprimé la division annoncée par hic et ille, et j’ai donné à l’expression de roi une extension générale, de sorte qu’elle peut s’appliquer à tous les patrons. Nous avons parlé dans les notes sur le texte français du jour de fête des Romains quand ils passaient le rasoir sur le premier duvet de leur barbe. NOTE 46.Libis venalibus. Gâteaux faits avec du miel, de la farine et de l’huile que l’on laissait fermenter. Les Romains, appelés par tous les peuples de l’Italie mangeurs de bouillie, aimaient beaucoup ces sortes de gâteaux. C’était là leur unique pâtisserie. NOTE 47.Peculia. L’invention du pécule vient des Romains. Il n’y avait originairement dans le droit qu’une sorte de pécule pour les fils de famille et les esclaves; le pécule était une légère partie des biens du père de famille ou de maître, que ce dernier consentait à laisser séparée de ses propres biens pour le compte du fils de famille ou de l’esclave; il était au pouvoir du père ou du maître d’enlever le pécule entier, de l’augmenter, de le diminuer. Donc Achaintre a tort de dire que le pécule était extra potestatem domini. L’esclave pouvait-il avoir quelque chose qui n’appartînt pas au maître? N’avez-vous pas le droit d’enlever à votre chien de chasse le collier d’or que vous lui avez donné? et si vous le vendez, ne retirez-vous pas le prix du collier? NOTE 48.Gabiis, Tibur. Qui ne connaît point Tibur ou Tivoli, tant chanté par Horace? Gabie n’avait point cette célébrité: elle fut fondée par deux Siciliens nommés Galactus et Buis dans le Latium; elle était située sur la Voie Prenestine, à une égale distance de Rome et de Préneste; on appelle encore le lieu où se trouvait cette ville Campo Gabio. Cependant, sous Tarquin le superbe, elle jouissait de quelque considération, car le prince tenait à cœur de la soumettre à sa puissance; le stratagème qu’il employa est un de ces vieux contes relatés dans Tite-Live et qui ne soutiennent pas le premier abord d’un examen critique. D’ailleurs, tout ce qui précède le siège et la prise de Rome par les Gaulois m’est suspect. Je le répète, écrire par tradition, c’est multiplier les mensonges; un fait se passe sous nos yeux, et mille témoins le racontent de mille manières différentes. Etudier l’histoire et bien la connaître, est une des choses les plus difficiles, et j’ajouterai, même impossible à posséder parfaitement, à moins que la mémoire de mots seule joue le principal rôle. NOTE 49.Jam frivola. Proximus ardet Ucalegon, dit Virgile, Enéide, 2e liv. C’est sur le mot jam que je me permettrai de faire une réflexion, Achaintre prétend qu’il faut traduire ainsi: déjà Ucalegon crie de l’eau et transporte ses meubles et ses ustensiles de peu de valeur après avoir sauvé les plus précieux. Cette interprétation ne me paraît pas fondée; Ucalegon est un pauvre malheureux qui loge dans le voisinage de l’incendie, et qui transporte ailleurs son pauvre ménage en criant au feu. C’est le sens donné au passage par presque tous les commentateurs et traducteurs, tant Français qu’Italiens et Anglais, et ne rendons pas le texte plus difficile qu’il ne l’est. NOTE 50.Trepidatur. Quand tout est en combustion au bas du logis, dit M. Dussault. Est-ce bien là le sens du verbe trepidatur, ou bien le mot combustion est-il pris dans un sens métaphorique? Dans ce dernier cas, la métaphore est mal choisie; quand il vagit d’incendie, le mot combustion ne peut être pris que dans son acception naturelle. Pour moi, je pense que trepidare signifie ici; quand tout le monde est en agitation, en alarme, et c’est sans ce sens-là que je l’ai traduit; Achaintre est de mon avis, et a bien saisi le sens du verbe trepidare. NOTE 51.Ultimus ardebit. J’avais envie de supprimer les deux vers et de les remplacer par une pensée générale; mais, imaginant ensuite que trop de coupures pourraient défigurer l’original, j’ai traduit les deux vers; car la langue française m’impose assez de sacrifices, il ne faut pas les multiplier quand la décence ne l’exige point. NOTE 52.Lectus erat Codro minor Procula, trait de satire local et fort insignifiant. On ne sait quelle était cette Procula; était-elle l’épouse de Codrus, ou bien toute autre Romaine d’une fort petite taille? Trait supprimé, je n’aime point qu’on ridiculise ce que fait la nature; les hommes maltraités par elle doivent être plaints et non raillés. NOTE 53.Cantharus. Le cantharus était un pot ou vaisseau deux anses: il paraît que l’usage de garnir de vases, de coupes, ou de gobelets, les tables, buffets, ou secrétaires d’un appartement remonte à la plus haute antiquité. Nous préférons les vases de porcelai1ne; les anciens préféraient les vases d’or et d’argent : leur luxe était mieux entendu. NOTE 54.Mures opici. Par allusion aux Osques, ancien peuple de la Campanie entre Capoue et Naples; on les appelait indifféremment, Obsei, Opici, Opisci, Osci, et de là l’étymologie du mot obscœnus, car ce peuple était non seulement ignorant, mais encore d’une obscénité révoltante: c’est ce qu’Horace appelle morbus campanus. Les rats opiques qui rongeaient les ouvrages de Codrus me présentent une image de ce qui se passe parmi nous. Pauvre Malfilâtre ! NOTE 55.Pullati proceres. Le vêtement qui marquait ordinairement le deuil et l’affliction était une robe noire que les Romains appelaient pulla. Ceux qui en étaient revêtus étaient désignés par cette épithète pullati. Auguste, au rapport de Pétrone, défendit aux pullatis de se présenter au cirque ou dans les théâtres, et pour quelle raison? La voici. Une infinité de Romains portaient le deuil de leurs parents, proscrits ou assassinés, d’autres portaient le deuil de la liberté, et le tyran voulait éloigner les remords. NOTE 56.Hic Phæcasianorum suivant quelques commentateurs; phæcasianorum, disent quelques autres. Les défenseurs de cette dernière opinion assurent que l’épithète phæcasianorum, donnée aux dieux, est relative au phécase, espèce de chaussure que portaient les statues dédiées aux dieux, comme nous l’avons vu dans une note précédente; mais ils ne font pas attention qu’il faudrait phœcasiatorum, car le mot phœcasianorum n’est pas latin. Sénèque dit, phæcasiati milites ambulant. Or l’adjectif phœcasiati est l’expression latine, et non phœcasiani. Il fallait donc corriger le texte entièrement et mettre phœcasiatorum ou laisser hæc asianorum; les superbes ornements des dieux asiatiques, traduction bien plus en harmonie avec le texte. En effet, les statues de ce pays se ressentaient du luxe qui régnait dans cette partie du monde. Ensuite le phécase était un ornement particulier, et le mot ornamenta ne réunit-il pas les ornements de toute espèce? Pour citer le phécase, il aurait fallu que cette chaussure eût été une décoration extraordinaire et qui l’emportât sur les autres; or, cela n’est pas vrai ; donc les commentateurs qui ont laissé asianorum ont mieux raisonné que leurs adversaires. NOTE 57.Persicus orborum. Martial, avec un laconisme admirable, a rendu tout ce passage en deux distiques, et c’est une des meilleures épigrammes de ce poète: Empta domus fuerat tibi, Tongeliane, ducentis, Abstulit hanc nimium casus in urbe frequens; Collatum est decies; rogo non potes ipse videri Incendisse tuam, Tongeliane, domum. NOTE 58.Conducis tenebras. Voilà encore le verbe conducere pris dans le sens de louer et non de racheter, comme le veut un commentateur moderne dans une note au commencement de cette satire. L’opposition du participe empta avec le verbe conducere tenebras, forme un contraste frappant, et le mot tenebras employé d’une manière poétique produit ici le plus grand effet. NOTE 59.Lacerta. Ce vers a fait écrire des milliers de mots à tous les commentateurs. Achaintre, entraîné par l’exemple de ses prédécesseurs, n’a pas été plus laconique; d’abord il abandonne l’opinion et rejette le lacernœ des Valois, expression inadmissible, car tout ce qui précède annonce qu’il s’agit ici d’une petite propriété champêtre, d’une chaumière. Ensuite que le mot lacerta ne soit pas latin, puisque Virgile dit lacertus, peu importe. Cependant je juge par analogie, et je puis affirmer que si l’on disait lacertus pour le lézard mâle, on pouvait dire aussi lacerta pour le lézard femelle, aussi bien que l’on dit dominus, domina, magister, magistra, etc. Le point de la question se réduit à dire que le sens de l’auteur ne présente aucune obscurité : on l’entend à la première lecture; on sent bien que ce n’est point du possesseur d’un lézard., mais d’une habitation aussi petite que celle d’un lézard, que Juvénal parle. Dans toutes ces difficultés élevées par des commentateurs qui voulaient montrer de la pénétration et du jugement au défaut d’esprit, nous devons suivre exactement le précepte de La Bruyère « Voyez ce qui précède, dit-il, dans un passage difficile; voyez ce qui suit, et décidez vous-même sans avoir recours à ces hommes qui, voulant tout expliquer, s’embarrassent et finissent par extravaguer. Je puis ajouter à ce que dit La Bruyère, je l’ai vu. N’y a-t-il pas des commentateurs qui ont poussé l’extravagance jusqu’à vouloir mettre un point d’interrogation après les trois premiers vers de ce paragraphe, quanti nunc tenebras unum conducis in annum? NOTE 60.Meritoria. Généralement parlant, dit Facciolati, les meritoria de Rome étaient ce que sont à Paris les hôtels garnis, des chambres, des greniers, des magasins, des boutiques louées à la journée ou à l’année, à des personnes qui n’avaient point de domicile fixe; mais, spécialement, meritorium était la cellule de la courtisane. Malgré l’opinion des Valois, je crois qu’il faut prendre le mot meritoria dans le premier sens, et M. Achaintre pense comme moi, ainsi qu’une infinité d’interprètes, qui ont adopté cette version plus simple et plus naturelle. NOTE 61.Drusus. Juvénal paraît faire allusion à Claudius Drusus Cæsar qui, d’après quelques auteurs contemporains, aimait beaucoup à dormir, et dormait si profondément que l’éclat du tonnerre, quelque terrible qu’il fût, ne pouvait l’éveiller. Quant au vitulis marinis, Adrien Valois a voulu corriger, et prétend qu’il faut lire vitulisque maritis. Il a suivi en cela l’opinion de Grœvius. Si ce savant eût lu attentivement ce que Pline et les autres naturalistes anciens avaient dit sur les veaux marins (voyez Pline le naturaliste, liv., chap. 13), il ne se serait pas écrié, miror! exclamation vraiment pitoyable et peu digne d’un savant et d’un littérateur. NOTE 62.Ingenti liburno. On n’est pas trop d’accord sur la signification du mot liburno. Achaintre dit une litière portée par des esclaves liburniens, d’une taille élevée, et c’est le sens que j’ai adopté; mais Facciolati, autorité respectable, entend par liburnum la chaise elle-même, portée par des Liburniens, il est vrai. Quant aux commentateurs qui soutiennent qu’il s’agit ici d’un héraut public, précédant la litière, et s’appuyant sur ce vers de la 4e clamante liburno, ils n’ont pas fait attention qu’il y a deux noms latins, liburnum, chaise ou litière portée par des Liburniens, et liburnus, héraut public. C’était un huissier de l’empereur, dit le Dictionnaire encyclopédique; et qu’importe qu’il fût attaché à la cour, au sénat, au barreau! N’était-il pas toujours un crieur public? Ce n’est pas la seule erreur que j’aie trouvée dans le Dictionnaire précité; il aurait bien besoin d’être revu; mais, grand Dieu, qui se chargerait... NOTE 63.Meretram. D’après Dioscoride, liv. 5, chap. 82, la métrète était une espèce de mesure qui contenait douze conges, le conge six sextaires, le sextaire douze coupes ordinaires qui pesaient à peu près vingt onces; la métrète pouvait donc contenir 90 livres de liqueur. NOTE 64.Clavus militis. Caliga, chaussure du soldat Romain, composée d’une semelle de cuir entourée de clous saillants. Enlevez les clous, dit Facciolati, et la caliga ne sera autre chose que la sandale que portaient jadis les capucins. NOTE 65.Sarraco. Quelques textes portent serraco; mais Virgile emploie le mot sarraco dans le même sens que Juvénal. Lourde et pesante charrette, destinée à porter les arbres et les matériaux d’un grand volume. Je crois que le vers de Boileau a fait inventer les charrettes à chaînes; et puis, que l’on dise que les poètes ne sont bons à rien! NOTE 66.Striglibus. Le strigile était un instrument de fer, de cuivre, d’argent, d’ivoire ou de corne, avec lequel les Romains se décrassaient le corps; on y distinguait deux parties, le manche capulus, et la languette lingua. Cette languette, courbée en demi-cercle, était creusée en forme de gouttière, et à son extrémité la plus éloignée du manche ce qui formait une espèce de canal pour l’écoulement de l’eau, de la sueur et de l’huile: le strigile était d’un très grand usage chez les Romains, on en a trouvé de fort bien conservés dans les ruines d’Herculanum. NOTE 67.Porthmea. Caron : ce dernier mot signifie gracieux. Ce nom fut donné au nautonier des enfers par antiphrase, comme celui d’Euménides aux trois furies. Les Grecs superstitieux croyaient, en donnant des noms flatteurs aux divinités des enfers, les fléchir et se les rendre propices. NOTE 68.Triens était la troisième partie de l’as: nous avons dans une note parlé fort au long de la monnaie Romaine. NOTE 69.Coccina lœna, espèce de simarre teinte en rouge que l’on mettait sur les autres vêtements. C’est peut-être le mot κόκκος grec qui a induit en erreur MM. Noël et La Place. Le κόκκος est une couleur rouge tirée non d’une graine, mais d’une feuille du petit chêne vert sur laquelle se réunissaient une foule de petits vers qui, broyés, donnaient une couleur rouge propre à teindre la laine: la cochenille n’est pas autre chose. NOTE 70.Proœmium, exordium, principium, dicendi vel canendi, mot grec composé de la préposition πρὸ, ante, et chant. (Voyez ce que dit Quintilien sur le mot proœmium, chap. 1er du livre 4e) NOTE 71.Conche, conchis, du mot grec κόγχος, fèves entières et dures que l’on faisait cuire broyées avec leur enveloppe. C’était la nourriture ordinaire de l’indigence à Rome; elle l’est encore aujourd’hui. (Voyez Apicius, liv. v, ch. iv.) NOTE 72.Maximus modus. Modus est ici pris dans le sens de mesure de quantité, acception que lui ont donnée quelques auteurs latins. Agri reliquit et non magnum modum, dit Plaute dans l’Aululaire; et Sénèque écrivant à Lucilius: Modus est certa mensura. L’interprétation de cette dernière partie de la troisième satire, par Britannicus, m’a paru absurde et ridicule; j’ai préféré celle de Lubin et de Mancinellus. NOTE 73.Helvinam Cererem. Voici ce que dit Facciolati : Aliis ita est appellata Elvina Ceres ab Elvino seu loco seu fonte juxta Aquinum ubi templum Ceres habuerit; aliis ita dicta videtur ab eluendo quod mos erat lavari et purgari iis qui sacra Cereris peragebant. Alii scribunt Helvinam. Hoc est flavam ab Helvo colore. Il paraît que M. Dussault a adopté la première interprétation en écrivant Helvinam. Achaintre n’a point adopté l’opinion de l’élégant traducteur; il écrit Elvinam et semble pencher pour 1a première et la deuxième interprétations. Elles sont toutes les trois raisonnables; mais j’ai préféré celle de M. Dussault, parce que l’épithète blonde convient parfaitement à la déesse Cérès, et que d’ailleurs il était inutile de faire ici un étalage d’érudition. Un ancien scholiaste prétend qu’il faut traduire, Cérès la Gauloise; n’aurait-il pas raison? Helvinus vient de Helvii, peuples gaulois, et les Aquintes adoraient le mêmes divinités que les Gaulois. NOTE 74.Satirarum. Ce furent les Toscans qui apportèrent la satire à Rome. Elle n’était d’abord autre chose qu’une chanson dialoguée dont tout le mérite consistait dans la force et la vivacité des interlocutions. On les nomma satires, parce que le mot satura signifiait bassin dans lequel on offrait aux dieux toutes sortes de fruits à la fois. Il parut que ce mot pourrait convenir dans le sens figuré à des ouvrages où tout était mêlé et confondu, sans ordre, sans régularité soit pur la forme, soit pour le fond. NOTES SUR LE TEXTE FRANÇAIS
1. Boileau a imité cette satire; mais il l’a divisée. Voyez la première satire, où le poète français introduit un personnage obéré, qui abandonne Paris, où il ne peut plus vivre. Par respect pour notre législateur, je ne dirai rien sur le personnage qu’il a mis en scène; mais que lecteur veut bien le comparer avec le personnage que Juvénal introduit ici, il sentira la prodigieuse distance qu’il y a de l’un à l’autre. Dans la cinquième satire, Boileau peint les embarras de Paris, et tous ses tableaux sont calqués sur ceux du poète latin. 2. La ville de Cumes que Virgile a rendue si fameuse par son oracle de la sibylle Déiphobe, fille de Glaucus. Cette ville fut bâtie par les Grecs, qui établirent des colonies dans toute l’Italie méridionale: elles conservèrent leurs mœurs, leurs usages, et la langue de la mère patrie, jusqu’à la conquête de ces farouches guerriers, dont les victoires ont causé tant de maux à l’univers, et sont encore la source de tous nos désastres. 3. Baïe, ville, située sur le penchant d’une colline, et sur les bords de la mer. C’était pendant l’été le rendez-vous de toutes les familles opulentes de Rome. On allait y prendre des bains, jouir des plaisirs de la campagne, car Rome était située dans la partie la plus stérile et la plus ingrate de l’Italie. Pourquoi donc presque toutes les capitales des grands empires sont-elles ainsi placées? Paris, Madrid, Londres, Berlin, Rome, Pétersbourg, etc. : nous en excepterons Naples; mais n’a-t-elle pas son fléau, le Vésuve? 4. Suburre, quartier de Rome, et rue de cette ville qui partait du grand Forum et s’étendait jusqu’aux Esquilies ce quartier ne ressemblait pas mal à notre quartier des halles. Nous aurons l’occasion d’en parler quelquefois, et de prouver que toutes les grandes villes ont la même physionomie. 5. Funeste mois. Les chaleurs sont excessives en Italie pendant ce mois, et cependant sous les portiques de Rome, les poètes allaient toujours déclamer leurs ouvrages; la rage de présenter au grand jour leurs productions lyriques leur faisait braver les rayons brûlants du soleil pendant les jours caniculaires, tandis que tons les citoyens, ou se reposaient, ou venaient respirer le frais sous les portiques d’Isis ou d’Auguste. Juvénal regarde ce fléau comme un des plus incommodes. Et n’a-t-il pas raison? 6. De la porte Capène. Les aqueducs construits par Tarquin, et qui portaient à Rome les eaux des sources voisines, passaient à côté de la porte Capène, la huitième porte de Rome, au pied du mont Aventin; son nom lui venait d’une petite ville appelée Capène sur la voie Appia. On nommait encore cette porte porta fontinalis, à cause des fontaines qui l’environnaient; on la désignait quelquefois sous le nom de porta triumphalis. 7. Numa. Les Romains étaient si persuadés que Numa conversait la nuit avec la Nymphe Egérie, qu’ils allèrent après sa mort dans la forêt d’Aricie pour la chercher ; mais n’ayant trouvé qu’une fontaine dans les lieux où se rendait ce prince, ils publièrent la métamorphose de la nymphe en Fontaine. Dans presque toutes les monarchies anciennes, le prince était le souverain pontife de la religion. Numa, qui pour son siècle était un homme fort instruit, ne négligea pas ce moyen d’imposer à son nouveau peuple : il réussit par une imposture qui fut du moins utile à l’humanité. (Voyez Denys d’Halicarnasse, Ant. liv. 2.) 8. Tout le monde connaît le vers de Boileau: Que George vive ici, puisque George y sait vivre. Le même poète imite ainsi Juvénal: Puisque, ce lieu, jadis aux Muses si commode, Le mérite et l’esprit ne sont plus à la mode, Qu’en poète, dit-il, s’y voit maudit de Dieu, Et qu’ici la vertu n’a plus ni feu ni lieu; Allons du moins chercher, etc. Sat. I, vers 21. 9. Dédale, en sortant du labyrinthe, trouva un vaisseau que ses amis lui avaient procuré il y attacha des voiles dont l’usage n’était pas encore connu dans la Grèce, et devança par ce moyen de beaucoup la galère que le roi Minos avait envoyée à sa poursuite, galère qui n’avait que des rames: ceux qui n’avaient pu l’atteindre vinrent dire au Roi qu’il s’était enfui avec des ailes. Dédale vint mouiller sur les côtes de la Calabre, vers les rochers de Cumes, où il éleva un temple à Apollon en actions de grâces de l’heureux succès de sa fuite. On le regarde comme le père de la sculpture. 10. Encore une imitation de Boileau: Tandis, que libre encor, malgré les destinées Mon corps n’est point courbé sous le faix des années; Qu’on ne voit point mes pas sous l’âge chanceler, Et qu’il reste à la Parque encor de quoi filer. 11. Ovide avait dit avant Juvénal: Qui facere assuerat patriœ non degener artis, Candida de nigris et de candentibus atra. Mét. xi, 313. Horace dit aussi Donec virenti canities abest Morosa........................... Lib. i, ode 9. 11b. Devenus magistrats. Il n’y eut d’abord que les Ediles qui eussent le droit de donner des spectacles gladiatoires au peuple, et souvent cette dépense absorbait le patrimoine de ces magistrats qui, chargés de la grande police de Rome, trouvaient les moyens de se relever, quoique souvent entravés dans leur marche par les petits Ediles. Par un sénatus-consulte, que rapporte Tacite dans son quatrième livre des Annales, il fut défendu à tout citoyen qui n’avait pas quatre cent mille sesterces, de donner des jeux au peuple. 12. Imitation de Boucau: Mais moi, vivre à Paris! et qu’y voudrais-je faire? Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir. Régnier dit encore Et puis, je ne saurais me forcer ni m’y feindre; Trop libre en volonté, je ne puis me contraindre, Je ne saurais flatter, et ne sais pas comment Il faut se faire accort on parler faussement, etc. Je n’entends point le cours du ciel ni des planètes, Je ne sais deviner les affaires secrètes, etc. De porter un poulet je n’ai la suffisance; Je ne suis point adroit; je n’ai point d’éloquence, etc. 13. Boileau, satire première : Et je suis à Pans, triste, pauvre, reclus, Ainsi qu’un corps sans âme, et devenu perclus. 14. Verrès dont Juvénal parle souvent, et qu’il cite toujours par métonymie, quand il s’agit d’un concussionnaire, avais fait en Sicile une fortune de vingt-deux millions de nos livres. Il n’est pas surprenant qu’il ait trouvé des défenseurs à Rome; Hortensius fut même sur le point de triompher; mais enfin la justice et l’éloquence de Cicéron l’emportèrent. Verrès, sur le point d’être condamné, se bannit volontairement; ses biens furent confisqués; dès lors il n’eut plus d’amis. De retour à Rome après la mort de César, il y vécut ignoré jusqu’au triumvirat d’Antoine, Octave et Lépide. A cette époque, Antoine, qui ne le haïssait point, nam similis simili gaudet, lui demanda un jour quelques belles statues qu’il avait sauvées du naufrage; sur le refus de Verrès, le triumvir le fit mettre sur la table des proscriptions: ainsi sa joie fut de courte durée, quand il vit attachées à la tribune la tête et la main de Cicéron, car il périt lui-même bientôt sous le fer des assassins. Que de réflexions fait naître la destinée de ces deux Romains! 15. Juvénal reproche aux grands d’être égoïstes; mais avait-il bien réfléchi? Pouvait-il ignorer que les grands n’ont jamais eu, n’ont point et n’auront jamais d’amis. Ils ne sont environnés que de jaloux, ou de flatteurs, et se servent des hommes, comme en politique on se sert, des traîtres. On accuse Xerxès pour avoir pris un platane pour ami. Si ce fameux roi de Perse n’eût point fait d’autre folie, je penserais que dans sa position son choix était fort raisonnable. 16. Oronte, fleuve de Syrie qui prend sa source dans le Mont Liban. Voyez dans Montesquieu quelles étaient les mœurs des Syriens sous Antiochus le Grand; et jugez ensuite si Juvénal les a calomniés. 17. Dont la mitre: sorte de coiffure particulière aux dames d’Antioche, et qu’adoptèrent les dames romaines. Elle était plus coupée que la mitre moderne, mais elle avait, comme cette dernière, deux pendants que les dames ramenaient toujours sur l’épaule. Cet ornement dégénéra peu à peu; les femmes qui avaient quelque pudeur n’osèrent plus la porter, de sorte que la mitre devint le partage des courtisanes étrangères. Tel fut le sort .de cet ornement à Rome; mais dans l’Orient elle continua d’être la parure des femmes distinguées, et même des hommes qui se faisaient remarquer par leurs talents et leurs connaissances. Mais qui aurait cru qu’à Rome, un jour, cette mitre si avilie deviendrait un objet de respect et de vénération? 18. Alabande, ville de Lydie dans l’Asie mineure; Sicyone, villa ancienne et célèbre du Péloponnèse, non loin de Corinthe. D’après Rollin, le royaume de Sicyone fut le premier établi dans la Grèce. Les souliers confectionnés dans cette ville étaient si galants et si élégamment faits qu’il n’était pas permis un homme grave d’en porter. Tralles, ville d’Ionie; Samos, île de la mer Egée, ou Junon avait un temple célèbre bâti par les Argonautes; Alabande, ville de Carie dans l’Asie mineure. 19. Il y a eu deux rhéteurs du nom d’Isæus. Le premier, né à Chalcis dans l’île d’Eubée, florissait à Athènes vers l’an 344 avant Jésus-Christ: il fut disciple de Lysias et maître de Démosthène. L’autre est le rhéteur dont Pline fait un si grand éloge dans sa lettre à Népos. 2e L. Ep. 3. Magna Isœum fama prcecesserat, major inventus est. 20. Les Romains appelaient schœnobates les danseurs de corde, de deux mots grecs, σχοῖνος, corde, βαίων, je marche. Les schœnobates trouvèrent des admirateurs à Rome, où ils commencèrent à paraître vers l’an 390, sous le consulat de S. Pœtus et de Licinius Stolon, qui les introduisirent dans les jeux scéniques qu’on fit d’abord dans l’île du Tibre. Ce spectacle devint une si forte passion pour le peuple, qu’il ne prêtait plus l’oreille aux meilleures pièces. On sait ce qui arriva à Térence, quand il fit jouer son Hécyre. 21. Tout le monde connaît la paraphrase de J. B. Rousseau sur le grec de Juvénal: j’ai cru devoir cependant la transcrire au-dessous du texte français. Chrysologue toujours opine, C’est le vrai Grec de Juvénal. Tout ouvrage, toute doctrine Ressortit à son tribunal; Faut-il disputer de physique? Chrysologue est physicien. Voulez-vous parler de musique? Chrysologue est musicien. Que n’est-il point? Docte critique. Grand poète, grand scholastique, Astronome, grammairien, Jurisconsulte, historien: Est-ce tout? Il est politique, Platoniste, cartésien, Sophiste, rhéteur, empyrique. Chrysologue est tout et n’est rien. J. B. Rousseau, Ep. 30, liv. 3. 22. Arriver de Mégare. Je me suis permis ici de m’écarter un peu du texte, sans cependant altérer la pensée de l’auteur. Venu à Rome, dit Juvénal, sur le vaisseau qui porta les prunes et les figues de Damas. Quoique je me sois imposé la toi d’être aussi exact que peuvent me le permettre la noblesse et la pudeur de la langue française, je suis obligé, dans certaines circonstances, de descendre à l’imitation; et j’ose espérer qua l’on me saura gré d’avoir remplacé quelques expressions qui, trop littéralement rendues, défigureraient souvent des tableaux remarquables par la force et l’énergie du pinceau qui les a tracés. Personne n’ignore qu’un mot trivial, comme une figure burlesque, produisent le plus mauvais effet. 23. Chez les anciens, les femmes ne paraissaient jamais sur le théâtre. Le masque était alors de la plus grande utilité pour le mime qui jouait ce rôle. Toua les comédiens de Rome étaient presque étrangers. Rarement un Romain, quelle que fût sa naissance, paraissait sur la scène. (Voyez à ce sujet Dorat, poème sur la déclamation.) 24. Quintilien, livre xi, chap. iii, de ses Institutions, nous dit: « Démétrius et Stratoclès, comédiens fameux, avaient un talent tout différent. représentait à merveille les dieux, les jeunes amans, les pères et les esclaves honnêtes, les graves matrones, même dans l’âge le plus avancé; et son talent était inférieur à celui de Stratoclès, ordinairement chargé des rôles de vieillard avide, de valet adroit, de parasite, de Mercure; enfin de tous ceux qui demandaient de la dextérité et du mouvement: la nature les avait favorisés d’une manière différente; elle avait donné à Démétrius plus de charme dans la voix, à Stratoclès plus de mordant. » 25. Pleurez-vous. Dans le Flatteur de J B. Rousseau, on trouve à la quatrième scène du premier acte un tableau à peu près semblable, et dont l’auteur a pris l’idée dans Juvénal. Quoique cette pièce ne soit pas restée au théâtre, il y a des situations comiques, surtout quand Philinte fait l’éloge de la taille et de la figure de Chrysante, enfant borgne, bossu et cacochyme. Et ce n’est pas le seul passage où il imite le Grec de Juvénal : il dit encore dans la troisième scène du premier acte: Je sais m’accommoder à leurs faibles divers, Flatter leurs passions, encenser leurs travers, Sur leurs seuls mouvements je me règle à toute heure. Sont-ils joyeux? je ris; sont-ils tristes? je pleure. Et par là, sans risquer qu’un peu de bonne foi, Je les mets hors d’état de se passer de moi. Deux auteurs satiriques ont encore imité Juvénal. Regnard dans sa première épître, et Clément dans l’Intrigant et le Provincial. Regnard: Changeant, à sss genoux, de geste et de maintien, Cent fois plus que Baron, il est comédien; Si Célimène rit, à rire il s’évertue; Est-elle triste? il pleure, a-t-elle chaud? il sue; Se plainte-elle du froid dans le cœur du mois d’août? Ce Protée aussitôt s’affuble d’un surtout. Clément Devinez et louez ses goûts les plus fantasques, De son humeur chagrine essayez les bourrasques. Il se plaindra du froid dans le temps le plus chaud; Dans sa chambre échauffée, étouffez s’il le faut. 26. Ce passage est un des plus difficiles de Juvénal. Ces mots trulla aurea inverso fundo ont mis à la torture tous les commentateurs: enfin Achaintre et Dussault ne sont pas d’accord sur la véritable signification du mot trulla. L’explication de Farnabe est pitoyable; Jouvenci ne s’explique point; Dussault a suivi l’interprétation des Valois; elle ne me satisfait point. Si pepederit, voilà le sens de Pitheus; et c’est, à mon avis, le véritable. Il est en harmonie avec ce qui précède: voyez la gradation si bene ructavit, si rectum minxit, si trul!a. Peut-on balancer un moment à l’adopter? Le mot aurea ne doit pas nous arrêter; le luxe des Romains, à cette époque, pouvait aller jusque-là; et n’en avons-nous pas aujourd’hui qui coûtent des sommes immenses, fundo inverso, ano ima spectante. Si, dans toutes ces notes, Achaintre avait été logicien et polyglotte, comme il le parait dans celle-ci, son édition serait un chef-d’œuvre. 27. Je ne sais quel copiste a corrompu le texte au point de mettre aulam à la place d’aviam: texte qui ne peut s’expliquer, dit Achaintre; et M. Dussault a donc mal traduit en disant que le Grec courbe jusqu’au maître; il n’a pas fait attention à la signification du mot resupini, qui ne peut s’entendre absolument d’un mignon, mais d’une femme; et resupina jacens, sat. 6, Messaline. Quoique telle soit mon opinion, cependant j’ai taché, dans ma traduction, de réunir les diverses interprétations; et je pense que l’on me saura gré d’avoir ainsi mis d’accord les commentateurs. 28. Egnatius, philosophe stoïcien, client de Soranus, dit Tacite; il se laissa corrompre et dénonça son ami. « Par un extérieur sévère il annonçait un disciple de Zénon; tout en lui, par un long exercice, semblait nous présenter l’image de la probité; sa voix, son langage, ses vêtements: mais au fond du cœur rien de plus perfide. Adroit et rusé il cachait, sous le masque de la vertu, son avarice et son libertinage. » Un philosophe abandonne Bareas dans son malheur, et un barbare, nominé Asclépiodore, Bithynien de naissance, fut son défenseur et son appui jusqu’au dernier moment. Quelques auteurs prétendent que cet Egnatius était natif de Tarse en Cilicie; mais la plupart s’accordent à dire qu’il naquit à Thèbes en Béotie. 29. Au salut matinal. Nous avons parlé dans la première satire de cette coutume des anciens Romains de se transporter, dès l’aube du jour, chez leurs patrons pour les saluer; les captateurs se montraient ordinairement les plus zélés. 30. Ignorez-vous. Les cinq vers latins ont fort embarrassé nos commentateurs; et réellement le passage est fort obscur. Farnabe, que M. Dussault a pris presque toujours pour guide, me semble n’avoir pas entendu ce passage. Alter peut-il se rapporter à l’esclave riche? C’est lui au contraire qui donne des millions aux courtisanes du premier ordre, tandis que l’homme libre, qui le suit et l’accompagne, n’ose pas examiner les appas de la louve en toge et dans sa niche. Pourquoi donc? parce qu’il est pauvre, et que Juvénal trace ici le tableau des privations de l’indigence; voyez la suite. Ne sont-ce pas les premiers traits de l’esquisse? et le sens qu’ont adopté la plupart des interprètes de Juvénal ne serait aucunement en rapport avec la description qu’il va faire des rigueurs auxquelles la pauvreté se trouve exposée dans Rome. 31. Les séduisants appas! L’arracher de sa niche élevée! J’ai un peu adouci cette expression qui peint des mœurs si différentes des nôtres que je n’aurais pas été entendu, si j’avais suivi de trop près l’original. Les louves, à Rome, étaient assises sur des chaises fort élevées à la porte du lieu de prostitution, afin de se faire remarquer des passants, qui avaient le droit de les visiter, comme on visitait les esclaves enfermés dans le Cataste. Elles n’exigeaient qu’une faible rétribution, vulgairement appelée diabolare scortum. Voyez à ce sujet le lexicon de Facciolati. 32. Numa. Après le meurtre de Romulus, il s’éleva deux partis à Rome les anciens sénateurs voulaient pour roi un Romain d’origine, mais les Sabins en voulaient un de leur nation on demeura d’accord que les anciens, sénateurs choisiraient le roi de Rome, mais qu’ils seraient obligés de choisir un Sabin. Le choix tomba sur Numa Pompilius, homme de bien, sage, modéré, équitable, qui ne cherchait point à se donner de la considération par ses conquêtes. Il se distingua par ses vertus pacifiques. Si tous les rois de Rome eussent été des Numa, dit Montesquieu, cet empire ne serait jamais sorti de la médiocrité. J’ajoute, et c’eût été peut-être un bonheur pour le genre humain. 33. Les Dieux de Phrygie ou de Samothrace. Cette île est fameuse par un temple dont les mystères n’étaient pas moins respectés que ceux d’Eleusis. Les Dieux Cabires étaient adorés dans cette île, et ce culte tirait son origine de la Phénicie. On était persuadé que les initiés devenaient plus justes et plus saints ; que les Dieux Cabires les assistaient dans tous les dangers, et que, par leur secours, ils étaient surtout préservés du naufrage. C’est pourquoi les grands personnages étaient fort soigneux de se faire initier à ce culte les Dieux étaient Ἀξίορος, Ἀίιοκερλα, Ἀξίοκερος et Camillus, c’est-à-dire Cérès, Proserpine, Pluton et Mercure. 34. Un fil de lin. Régnier, en imitant ce passage de Juvénal, a dit : Pour moi, j’ai mon habit, partout cicatrisé, Ne me rendait du peuple et des grands méprisé, Je prendrais patience, et parmi la misère Je trouverais du goût, mais ce qui doit déplaire A l’homme de courage et d’esprit relevé C’est que chacun le fait ainsi qu’un réprouvé.
35. La vanité d’Othon. L’an de Rome 685, Lucius Roscius Othon porta une loi par laquelle il était défendu de s’asseoir sur l’un des quatorze gradins destinés aux chevaliers Romains au théâtre, si l’on n’avait pas 400.000 sesterces. Velleius Paterculus (liv. 2) parle de cette loi, ainsi que Quintilien dans sa 32e déclamation. Il y avait un article portant qu’un gladiateur, qu’un laniste, ou maître d’escrime, ou tout autre individu qui aurait exercé l’art des jeux, ne pourrait jamais se placer sur les quatorze rangs. Mais les richesses triomphèrent de la loi et de ses dispositions. Le philosophe Anacharsis avait raison de dire qu’elles ne sont faites que pour le pauvre; c’est une toile d’araignée à laquelle une mouche se prend, mais l’aigle passe à travers. 36. Ils n’en rougissaient pas. Dussault, Achaintre, s’appuyant sur Ferrarius, Farnabe et les Valois, prétendent qu’il n’y a point d’allusion. Je ne suis point de leur avis. Jouvency, appuyé sur une infinité de commentateurs, dit affirmativement qu’il s’agit ici de Curius Dentatus, si connu dans l’histoire romaine. Ecoutons un moment Achaintre : Un Romain quelconque, transporté sur le champ chez les Marses ou bien à la table des Sabins, se contentera là d’une mante de pêcheur grossière et pesante; et cet homme érudit explique ainsi le negavit. Et depuis quand le parfait a-t-il la force du futur? M. Dussault a été plus conséquent : il a suivi negavit. C’est assez pour les détails minutieux voyons la pensée en grand. Eh bien! sans entrer dans une grande discussion, je prie le lecteur de comparer ma traduction à la note d’Achaintre. Pourrait-il s’empêcher de dire que la pensée généralisée est vague, sans but, sans liaison, faible, incohérente; au lieu que la comparaison donne de l’énergie et de la force, et termine le tableau par un trait digne de Juvénal. 37. Masque. Je croirais volontiers, avec l’abbé Dubos, que les anciens auraient fait quitter le masque aux comédiens, si leurs théâtres eussent été moins vastes; le jeu de la physionomie eût été chez eux à peu près inutile. Comment aurait-il été aperçu par des spectateurs, souvent éloigné, du comédien de 12 à 15 stades? Dans un si grand éloignement les anciens retiraient ce grand avantage de la concavité du masque, qu’elle augmentait le son de la voix. On voit par les figures des masques, qui sont encore sur les anciens manuscrits, sur les médailles, dans les ruines du temple de Marcellus, que leur bouche était excessivement grande: était pour ainsi dire une gueule béante. 38. Quid te moror ? Pourquoi tergiverser? Il s’en faut bien que cette traduction soit littérale. Juvénal fait parler Umbritius dans toute la satire: cet interlocuteur, après avoir tracé quelques tableaux pris dans Rome, s’arrête brusquement et termine par une affreuse vérité, mais qui n’a presque aucune liaison avec ce qui précède. Je sais bien que le style coupé, même un peu saccadé, convient à la colère et à l’indignation. Le quid te moror fait même image ; il fait attendre une grande pensée, une accusation plus odieuse que celle qu’il vient d’intenter aux Romains, et le lecteur n’est pas trompé. Mais j’ai cru devoir faire un sacrifice à notre langue ; elle exige impérieusement des transitions, et des transitions ménagées avec art. Pourrait-on me faire un crime d’avoir cédé quelquefois au génie de la langue française? 39. Ou de ses longs cheveux. A Rome on ne se faisait raser et couper les cheveux que depuis l’âge de 21 ans jusqu’à 49. (Voyez Dussault, note 20, et Suétone, Vie de Néron.) Il s’était établi chez les Romains une coutume assez singulière à de la coupe de la première barbe. On l’enfermait dans une petite boîte d’or ou d’argent, que l’on consacrait à quelque divinité, et principalement à Jupiter Capitolin. Les amis, les clients ne manquaient pas de se rendre chez le patron, armés de quelques petits présents. Dès l’origine c’était le jeune homme qui distribuait quelques médailles, connues sous le nom de sportulæ; mais, du temps de la république, les clients n’étaient pas ce qu’ils furent sous les empereurs. 40. Préneste, Gabie, Volsinie, Tibur. J’ai supprimé tous les qualificatifs périphrasés; notre langue n’admet point, surtout en poésie, ces détails trop techniques, et qui sont du ressort de la géographie. Nommer deux villes, en nommer quatre, la chose est assez indifférente, dès l’instant que vous n’altérez pas la pensée principale. Nos géographes prétendent que la première de ces villes subsiste encore sous le nom de Palestrine. Cette ville moderne est située au pied de la hauteur sur laquelle avait été bâtie Préneste. 41. L’architecte. Le fermier, porte le texte. Quoi qu’en dise Achaintre, villicus signifie ici fermier, principal locataire; car en supposant ce fût un maçon de village qui eût ainsi réparé les maisons, à qui s’adresserait-il, quand il dit que l’on peut dormir en toute sûreté dans l’asile qu’il vient de rétablir et d’étayer? Aux locataires? Mais ce n’est pas au maçon qu’ils s’adressent pour avoir un logement. Ensuite une telle interprétation présente aussi quelque chose d’obscur, d’enveloppé, de ténébreux ; et pourquoi rendre l’auteur plus difficile encore, en imaginant des significations, en donnant à des mots des acceptions qu’ils n’ont jamais eues? Ce qui prouve qu’il y avait à Rome des principaux locataires, c’est le mot conducere, employé si souvent dans cette satire dès les premiers vers, et dans le sens de louer des maisons. Et ces maisons ainsi louées, enrichissaient souvent les fermiers dans une ville comme Rome, où se rendaient tant d’étrangers. (Voyez la note latine). 42. Imitation de Boileau, Sat. vi: J’entends crier partout Au meurtre! on m’assassine! Ou, Le feu vient de prendre la maison voisine Tremblant et demi-mort, je me lève à ce bruit, Et souvent sans pourpoint je cours toute la unit; Car le feu, dont la flamme en onde, se déploie, Fait de notre quartier une seconde Troie, Où maint Grec affamé, maint avide Argien, Au travers des charbons va piller le Troyen.
Dans cette imitation, Boileau est bien supérieur à l’original, un peu faible dans la partie descriptive Si toutes les satires de notre législateur étaient écrites de ce style, elles seraient des chefs-d’œuvre, et cependant elles sont la partie la plus faible de ses beaux ouvrages. 43. Imitation de Boileau, Sat. i: Saint-Amand n’eut du ciel que sa veine en partage: L’habit qu’il eut sur lui fut son seul héritage: Un lit et deux placets composaient tout son bien Ou, pour mieux en parler, Saint-Amand n’avait rien. Ai je bien fait, ai-je mal fait de traduire littéralement presque les deux derniers vers de ce tableau? Le bon goût les rejette; mais un peu de respect pour la vénérable antiquité. 44. Euphraiior, natif des environs de Corinthe, dans la 104e olympiade: il fut en même temps peintre célèbre et fameux statuaire. Voici ce que dit Pline de cet artiste : Dociles ac laboriosus, et in quocumque genere excellens ac sibi æqualis hic primus videtur, expressise dignitates heroum. Docile, laborieux, supérieur dans tous les genres et toujours le même, ce fut le premier qui sut donner de la majesté à la figure de ses héros. Polyclète., qui l’avait précédé, naquit vers la 87e olympiade ; ce célèbre sculpteur passe pour avoir porté la sculpture au dernier degré de la perfection, par la Grèce et la correction de ses ouvrages. Quiconque a lu Pline le naturaliste peut se faire une idée de la fameuse statue de Polyclète, nommée la règle. C’est le célèbre Doriphore dont parle aussi Cicéron dans son parfait orateur (orator). Pline encore, dans le 59e chap. du 34e liv., dit que l’on ne pouvait rien voir de plus beau que les deux astragalizontes. Astragalizontes signifie, qui jouent aux osselets. 45. Phydias, le sculpteur des Dieux, naquit à Athènes, et florissait vers la 83e olympiade. La statue de Jupiter en or et en ivoire, haute de soixante pieds, fit le désespoir de tous les grands artistes de son temps. Pausanias rapporte que les Eléens conservèrent très longtemps l’atelier de Phydias, que les voyageurs instruits allaient visiter avec une espèce de vénération. Les Italiens, de nos jours, ont le plus grand respect pour tout ce qui a appartenu aux grands génies nés dans cette belle région. A Ferrare, on conserve précieusement la maison de l’Arioste, les meubles, jusqu’à la plume et l’écritoire dont il se servait pour écrire ses immortels ouvrages. Personne ne l’habite, c’est un petit temple consacré aux muscs et nous, Français, nous nous contentons de quelques petites inscriptions. Il y a quarante ans, on ne savait pas où étaient les tombeaux de Racinc et de La Fontaine. 46. Falvaterre, Frusinone, Sore. La première existe encore; elle est située sur l’Iris, aujourd’hui Garigliano ; elle appartenait à la fameuse nation des Volsques. Frusinone, se nomme aujourd’hui Frusione dans la campane de Rome; Sore existe encore avec le même nom, auprès du Garigliano. 47. Pythagore naquit à Samos, entre la 43e et la 53e olympiade. Il parcourut la Grèce, l’Egypte et l’Italie, et s’arrêta à Crotone, où il fit un très long séjour. On dit que les féroces Crotoniates l’égorgèrent à l’âge de cent quatre ans, et le placèrent ensuite au rang des dieux. La doctrine de Pythagore a été bien connue et bien exposée par Ovide, liv. xv des Métam. Voyez encore dans J. J. Rousseau, Emile, premier volume, l’éloquent morceau, traduit de Plutarque, sur les premiers hommes carnivores. 48. Martial fait aussi un tableau des embarras de Rome; mais il est faible, puéril, et ne peut en aucune manière être mis en comparaison avec le tableau de Juvénal. 49. Vers de Boileau. Le lecteur en trouvera encore un autre dans la satire. Sur cinq mille vers en avoir emprunté deux au maître, est-ce là véritablement un plagiat? Je ne crois pas mériter le supplice que Ptolémée Philadelphe fit souffrir aux poètes qui voulurent disputer les prix à ses jeux littéraires. Je défie tous les Aristophanes du monde; du reste, en parlant d’Aristophane, je n’entends pas parler du poète comique, mais du bibliothécaire d’Alexandrie, dont parle Vitruve dans le proœmium de son 7e livre. 50. Imitation de Boileau: Vingt carrosses bientôt arrivant à la file Y sont, en moins de rien, suivis de plus de mille; Et, pour surcroît de maux, un sort malencontreux Conduit en cet endroit un grand troupeau de bœufs. Chacun prétend passer : l’un mugit, l’autre jure. Des mulets, en sonnant, augmentent le murmure. Aussitôt cent chevaux dans la foule appelés, De l’embarras qui croît ferment les défilés, Et partout des passants enchaînant les brigades, Au milieu de Paris font voir les barricades; On n’entend que des cris poussés confusément; Dieu pour s’y faire ouïr tonnerait vainement, etc. 51. Le riche. Peut-être trouvera-t-on, dans la description, le texte paraphrasé. J’avais d’abord traduit d’une manière plus concise; ensuite remaniant mon ouvrage, j’ai vu avec peine que les traits les plus saillants étaient disparus. Laissant alors de côté toute espèce de crainte, j’ai achevé le tableau à ma manière et j’ose espérer que le lecteur ne m’en saura pas mauvais gré: Soyez riches et pompeux dans vos descriptions. 52. Litière. Les anciens distinguaient deux sortes de litière: la basterne était une litière dorée, vitrée des deux côtés, et dans laquelle se faisaient porter les riches et les femmes de qualité. L’invention de la basterne est due aux rois de Bithynie; sous Tibère la basterne était une voiture si commune, que les esclaves se faisaient porter en litière par des esclaves d’un rang inférieur. Les pauvres gens n’avaient ni fiacres, ni cabriolets, ni remises. 53. Imitation de Boileau : En quelque endroit que j’aime il faut fendre la presse D’en peuple d’importuns qui fourmillent sans cesse; L’un me heurte d’un ais dont je suis tout froissé, Je vois d’un autre coup mon chapeau renversé. Des paveurs en ce lieu me bouchent le passage. Là je trouve une croix de funeste présage Et plus bas: Là sur une charrette, une poutre branlante, Vient menaçant de loin la foule qu’elle augmente; Six chevaux attelés à ce fardeau pesant Ont peine à l’émouvoir sur ce pavé glissant. D’après Spartien, Trajan et Adrien renouvelèrent à Rome une ancienne loi de police portant qu’aucune charrette pesamment chargée ne pourrait circuler dans Rome après le lever du soleil jusqu’à la dixième heure, à moins qu’elle ne transportât des matériaux pour les temples, les édifices publics, ou des objets nécessaires à la célébration des Jeux ou des triomphes. Qu’auraient donc dit ces empereurs dans Paris, avec nos millions de voitures de toute espèce? 54. Corbulon, homme illustre et grand capitaine. Il vivait sous Néron. Tacite, liv. 13 des Annales, dit de lui : Corpore ingens, verbis magnificus, super experientiam sapientiamque, etiam specie inaniwn validus. Il fut longtemps employé en Asie. 55. Ligustrica saxa, marbres de Ligurie, aujourd’hui marbres de Carrare. La Ligurie comprenait autrefois ce que nous appelons aujourd’hui le marquisat de Saluces, partie du Piémont, la plus grande partie du Montferrat, toute la côte de Gênes, la seigneurie de Monaco et le comté de Nice, etc. Les Liguriens étaient divisés en Liguriens chevelus et en Liguriens montagnards. Ces derniers habitaient l’Apennin les autres occupaient les côtes de la mer. Les Romains tiraient de Luna leur plus beau marbre. 56. Dave. Nom d’un esclave pris au hasard. Le latin est sans liaison. J’ai toujours fait les plus grands efforts pour passer d’eue description à l’autre d’une manière moins brusque. En lisant le texte, on sent bien que l’esclave qui a été chargé d’aller à la sportule, périt avec tous les Romains pulvérisés par la chute des marbres; mais Juvénal ne le dit pas de sorte qu’il faut remonter au commencement du paragraphe précédent pour savoir quel est cet esclave que ses camarades attendent. En liant, j’ai cru rendre service au lecteur. 57. Sans un seul denier. Après avoir lavé le corps du défunt, on lui ouvrait les yeux que l’on avait fermés après le dernier soupir; on lui mettait une pièce de monnaie dans la bouche: cette coutume était générale à Rome et dans la Grèce. Il n’y avait que les Hermaniens, habitants d’une petite île du Péloponnèse, qui prétendaient passer gratis la barque à Caron. Il y a un dialogue de Lucien, dont les interlocuteurs sont Caron et Ménippe cynique, sur le droit payé au nocher des enfers, qui prouve combien les honnêtes gens se moquaient des superstitions de l’Orphéisme. 58. Contemple. Claudien, en parlant de la hauteur des palais et des maisons de home, dit: Quid nihil in terris complectitur altius ær. Mais Vitruve, qu’il faut consulter quand il s’agit d’édifices et d’architecture, nous dit que les Romains furent forcé d’élever extraordinairement leurs maisons, pour loger tous les habitants que renfermait cette ville; les Romains n’avaient pas la ressource des faubourgs, presque tous occupés par les maisons de plaisance des sénateurs on des riches il n’y avait que le quartier au-delà du Tibre qui fût habité par les affranchis, presque tous marchands ou usurier; le transtevère l’est aujourd’hui par les braves; et si vous saviez ce que sont les braves en Italie! 59. Imitation de Boileau, Sat. vi Et des couvreurs grimpés au toit de la maison En font pleuvoir l’ardoise et la tuile à foison. 60. Eau sale et fétide. Le père Tarteron a traduit d’une manière assez plaisante ces deux vers, ut contentœ, etc.; les mots pelves patulæ,, ne l’ont pas effrayé. « Ce que vous pouvez souhaiter de mieux, dit-il, est qu’on ne voua casse pas la tête avec le pot, mais qu’on se contente de vous coiffer avec ce qui est dedans. » En général, ce pauvre jésuite, fort savant d’ailleurs, fait parler Juvénal comme un véritable bouffon, ou comme un de ces laquais du Pont Neuf dont parle Boileau. 61. J’avais traduit: Passe la nuit d’Achille. Cette locution était hardie, mais elle présentait une traduction littérale. L’auteur dit plus: souffre la nuit d’Achille. Je n’ai pas osé aller jusque-là en français. Les deux vers d’Homère sont en grec dans Achaintre et en latin dans Dussault. J’ai cru devoir tout réunir dans cette note.
Ἄλλοτ' ἐπὶ πλευρὰς κατακείμενος,
ἄλλοτε δ' α῏θτε Nunc lateri incumbens iterium post paulo supinus Corpore, tunc pronus, sum surgens denique rectus. 62. Pour prélude au sommeil. On trouve encore dans quelques villes méridionales de la France des usages qui remontent à la plus haute antiquité. Les consuls y portaient la toge mais rouge; on appelait consuls les maires on échevins: les jeunes gens choisissaient ordinairement la nuit pour courir dans la ville et troubler le repos des citoyens paisibles: point de lieux d’aisance; tout se jette par les fenêtres, et malheur aux passants! Quand on lit Suétone dans le sein de ces villes, on croit se trouver dans l’ancienne Rome. 63. Et ces vases d’airain. Avec les racines du papyrus européen, qui n’est autre chose que le jonc, on faisait sece espèce de fil on de petite mêche que l’on enduisait de cire commune; les pauvres habitants de Rome, pour se conduire pendant la nuit, car cette superbe ville n’était pas éclairée, se servaient de ces chandelles; mais le riche faisait porter devant lui le candélabre, ænea lampas, on des torches; et cette coutume s’est conservée dans les villes du midi qui ont été sous la domination des Romains. Les plus indigents ou les esclaves romains se servaient souvent d’une pomme de pin, et c’est encore dans les Alpes et les Apennins le flambeau des montagnards. Ces détails sont pris dans Pline le naturaliste, liv., chap. 10. Voyez Virg., 7e liv. de L’Enéide. 64. Cette querelle d’Allemand que cherche le malfaiteur à l’homme paisible qui se retire, était fort difficile à traduire, en vers surtout; le conche, le porrum sectile, le labra vervecis elixi présentaient des difficultés presque insurmontables. Presque tous les commentateurs assurent que le sectile porrum est l’ail ou l’échalote. Mais ne peut-il pas aussi s’entendre des poireaux? ne se divisent-ils pas aussi? ne sont-ils pas par tuniques multipliées les unes sur les autres et faciles à séparer? Au reste, mon interprétation ne choque le sens en aucune manière, et, pourvu qu’elle ne déplaise pas au lecteur, le reste m’est assez indifférent. 65. Proseucha, mot tiré du grec προσευχῆ signifiant prières, et par métonymie, lieu où l’on adresse des prières aux dieux. Les Romains ne donnaient ce nom qu’aux synagogues des Juifs, qui dans tous le temps ont été fort nombreux à Rome. Ces synagogues étaient regardées comme des lieux infâmes dans lesquels les Romains ne pouvaient entrer sans se couvrir d’ignominie. Les jeunes gens se croyaient tout permis contre ces étrangers que l’on avait chassés de leur patrie, et les traitaient comme ils le sont encore aujourd’hui au Caire par les Mamelucks. 66. Le pauvre. Ici se présente à mon esprit une réflexion bien triste pour l’humanité. Quel spectacle offrent ordinairement les villes dont l’étendue et la population ne sont pas en proportion avec l’étendue des Etats dont elles sont les capitales! l’extrême opulence à côté de l’extrême misère. Le sort des anciens esclaves n’était-il pas préférable à celui, de quelques habitants d’un faubourg de Paris? Je sais que la triste distinction des classes est absolument nécessaire dans la société moderne mais en voyant quelques individus on rougit d’être de la même espèce. D’où provient un tel fléau ? Du défaut d’instruction. On a beau dire, l’ignorance sera toujours la mère du crime et de l’abrutissement. 67. Imitation de Boileau. Car, sitôt que du soir les ombres pacifiques D’un double cadenas font fermer les boutiques; Que, retiré chez lui, le paisible marchand Va revoir ses billet, et compter son argent; Que dans le Marché-Neuf tout est calme et tranquille, Les voleurs aussitôt s’emparent de la ville. 68. Bois Gallinaire, marais Pontins. Le premier était une forêt placée entre les boucles du Vulturne et du lac Literne dans la Campanie, non loin du golfe de Cumes dans la même contrée, sont encore les marais Pontins, entre le Nymphée et l’Uffeus. Le consul Cathegus, le dictateur Jules César, l’empereur Auguste, Trajan, Théodoric, te pape Sixte-Quint, et de nos jours l’infortuné pontife Pie VI ont dépensé inutilement des sommes immenses pour le dessèchement de ces marais. On ne voyait guère que des plus dans la forêt Gallinaire, dont parle Strabon, liv. 5, page 168. De nos temps, ces lieux sont encore le refuge de brigands qui rendent la route de Rome à Naples extrêmement dangereuse, et plus dangereuse que cette forêt que devait traverser un régiment français partant de la petite ville de Beaune en Bourgogne, auquel la municipalité offrit quatre cavaliers de maréchaussée pour l’escorter et le défendre contre les brigands qui, disait-on, rôdaient depuis quelque temps dans les bois. 69. Prison. Eutrope attribue l’établissement d’une prison à Rome à Tarquin le superbe, tandis que tous les autres auteurs le rapportent au roi Ancus Marcius; ils ajoutent que Tullus y fit creuser un cachot qu’on appela longtemps carcer tullianus. Sous Tibère on en construisit une seconde que l’on nomma la prison de Mamertus; les vestiges de cette ancienne prison se trouvent encore sous l’église de S. Joseph à Rome: après ces prisons, il y avait encore à Rome des prisons particulières. Quoique par les lois de Trajan et des Antonins elles fussent défendues, cependant il était permis à un père d’enfermer et de tenir chez lui en prison un fils incorrigible; un mari pouvait infliger la même punition à sa femme, et à plus forte raison le maître à l’esclave. Mais les prisons des esclaves étaient hors de Rome en plate campagne. On les appelait ergastules. 70. Aquin, cité des Volsques, dans la Campanie. D’après ce passage, point de doute qu’elle ne fût la patrie de Juvénal: elle existe encore et porte le nom d’Aquino, ville épiscopale de la terre de Labour dans le royaume de Naples. Elle est encore illustre dans les fastes de l’Eglise Romaine pour avoir donné la naissance à un docteur célèbre, S. Thomas, dont la Somme a causé tant de disputes théologiques. 71. Cumes. Deux Grecs exilés de leur patrie bâtirent non loin de Pouzzoles, sur les flancs d’une montagne, la ville de Cumes: ces Grecs se nommaient Mégisthène et Hypoclès. 72. De pied en cap. (Voyez l’avant-dernière note sur le texte latin.)
|