JUVÉNAL
SATIRE II Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
SATURA II / SATIRE II(Traduction de V. Fabre de Narbonne, 1825)satire I
autre traduction
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SATURA IIHYPOCRITÆReprebendit hypocrisin in philosophis, judicibus, sacerdotibus, ducibus, nobilibus qui omnes impie de inferorum supplicia sentientes, victores ipsi a victis gentibus corrumpuntur, nec non alias corrumpunt.
Sub finem secundi anni Trajani aut initio terti. |
SATIRE IILES HYPROCRITES (a)L’auteur, dans cette satire, attaque l’hypocrisie des philosophes, des Juges, des pontifes, des généraux, des nobles patriciens, qui tous intérieurement se moquaient de la justice des dieux et des supplices du Tartare. Il leur reproche de s’être laissé corrompre par les nations vaincues, et de corrompre ensuite d’autres peuples.
Cette satire a été publiée, vers la fin de la deuxième année de Trajan ou au commencement de la troisième. |
Ultra Sauromatas
(01)
fugere hinc libet, et glacialem
Fronti
(05)
nulla fides. Quis enim non vicus abundat
Loripedem rectus derideat,
Æthiopem albus.
Non tulit
(10)
ex illis torvum Laronia quemdam Clamantem toties: Ubi nunc, Lex
Julia? dormis ?
Fugerunt trepidi vera ac
manifesta canentem
Quid non proclames in
corpore judicis ista
Ille supercilium madida
fuligine tactum
Quadringenta dedit Gracchus
sestertia dotem
Officium cras
Vicit et hoc monstrum
tunicati fuscina Gracchi,
Esse aliquos Manes, et
subterranea regna, |
Et qui
ne fuirait pas vers les glaces du pôle
Insensé
qui se fie à leur front sourcilleux;
Qu’aux
dépens de Vulcain un Apollon plaisante;
« Tu
dors; ah! tu n’es plus, divine loi Julie !
(m) »
En
voyant de ses mœurs l’effroyable peinture,
Que ne
dirais-tu point d’un juge ainsi vêtu?
Non
loin de l’orateur, en moderne Pâris,
Un
nourrisson d’Euterpe est l’époux de Gracchus;
Je
vole, dès l’aurore, au portique d’Isis (ac)
Mais
laissons ce prodige aujourd’hui trop vulgaire;
Des
mânes! (af)
des enfers! préjugé! fiction! |
NOTES ALPHABETIQUES DE LA SATIRE II.(sur le texte français)
(a) Hypocrites. Sans doute les anciens définissaient comme nous les hypocrites, des hommes constamment faux et pervers, qui, sans vertus et sans religion, prétendent faire respecter en eux la religion et les plus grandes vertus. Ils sont zélés pour se dispenser d’être honnêtes; héros on saints, pour se dispenser d’être bons. De la fange du vice ils élèvent une voix fanatique pour accuser le mérite on de crime ou d’impiété. (b) Imitation: J’irais au fond des bois, dans les antres sauvages, Pour fuir ces imposteurs qu’on met au rang des sages. Clément, Sat. v. (c) Curius Dentatus, l’un des plus grands personnages de la république, fut élu consul l’an 465, et réélu l’an 480 et 481. Il vainquit les Samnites, les Sabins et les Lucaniens. Il distribua quatre arpents de terre à chaque citoyen, et n’en conserva pas davantage pour lui: ce grand homme n’était pas ami de la grande propriété, qui tôt ou tard amène l’esclavage, c’est-à-dire, le système des serfs. (d) Chrysippe, un des plus fermes soutiens de la philosophie stoïcienne, dont le chef fut Zénon. J’ai toujours été frappé de la belle maxime de ce philosophe: « La nature nous a donné deux oreilles et une bouche, pour nous apprendre que nous devons presque toujours écouter, et parler rarement. » En vain Cicéron, Horace, ont-ils voulu ridiculiser quelques-unes des maximes de ces philosophes, peut-être exagérées. Il n’en est pas moins vrai que nous devons au stoïcisme tout ce que l’antiquité a produit de plus vertueux. Les Brutus, les Catons, les Antonins. Thomas et Montesquieu, chez les modernes, leur ont rendu justice, ainsi que Goldsmith et Hume. (e) Pittacus naquit à Lesbos, dans la 32e olympiade. Il donna de bonnes lois à ses concitoyens; après avoir assuré leur indépendance et leur liberté, il re’sigua l’autorité souveraine dont il avait été revêtu, et passa les dernières années de sa vie dans une douce obscurité. Qu’il serait à désirer que tous les législateurs lui ressemblassent (f) Cléanthe arriva dans Athènes avec quatre drachmes. Les Athéniens croyaient qu’un homme indigent et paresseux est l’ennemi de tons. Une loi donc obligeait, sous peine de mort, tous les citoyens de déclarer à l’Aréopage leurs moyens d’existence. Ne serait-il pas convenable de renouveler cette loi politique? Dans tout Etat bien policé, quiconque vit dans l’inaction donne un exemple funeste. (g) Hippocrate sourit. A Rome les médecins étaient chirurgiens, pharmaciens, etc. Après quinze siècles de cette division que Celse autorisa, nos médecins sont revenus à l’ancien système, et la science a fait des progrès immenses. Car, sans la connaissance parfaite de la structure du corps humain, qu’est-ce que la médecine? (h) Lorsque tout vous dément, oserez-vous sans cesse Du siècle où vous vivez nous vanter la sagesse. Clément, Sat. vii (i) Régnier a imité ces vers de Juvénal: Scaurces du temps présent; hypocrites sévères Un Claude effrontément parle des adultères; Milon, sanglant encor, reprend un assassin. Grecque, un séditieux, et Verrès, le larcin Sat. v (j) Verrès, Milon, Clodius, Sylla, Lépide, Octave, Antoine, Catilina, Céthégus. Que de vices, que d’atrocités ! je n’aime point à trouver les Gracques en si mauvaise compagnie. Les Gracques! que ne trame point l’oligarchie romaine pour perdre ces hommes éloquents et vertueux? Le machiavélisme de Scipion Nasica, cet honnête homme dont fait l’éloge Cicéron, oligarque d’un jour, aurait été puni, dans tout état bien policé, par le dernier supplice. N’est-ce pas ce sénateur qui fit assassiner Scipion Emilien, et qui fit ensuite répandre le bruit que son épouse Sempronia s’était montrée la digne sœur des Gracques. Ils n’osèrent pas, les atroces oligarques, pousser plus loin ces scènes tragiques. On se garda bien de faire des recherches pour découvrir les véritables auteurs de la mort de Scipion. Auraient-ils épargné la sœur, après avoir assassiné les frères? Goldsmith, en Angleterre, fut le premier à rendre justice aux Gracques; Montesquieu a prouvé que Nasica n’était qu’un vil calomniateur; et de notre temps, un célèbre auteur italien a mis au grand jour toutes les pièces de ce fameux procès. (k) La loi Julia, de Adulteriis, prescrivait des peines terribles contre l’adultère. (Voyez Montesquieu; voyez aussi le Commentaire sur Suétone, par Egnatius sur la loi Poppia, poppæa; édit, de Lyon, page 1537.) (l) Tandis que sa Julie, fille de Titus, frère de Domitien. Ce dernier eut avec elle un commerce incestueux, et la força ensuite de se faire avorter. Julie en mourut. (Voy. Suétone, Vie de Domitien, chap. xxii.) (m) Aucun littérateur, que je sache, n’a fait encore mention de ce beau passage de Juvénal. Avec quelle adresse la courtisane manie l’arme de l’ironie! mais bientôt l’indignation lui fait abandonner cette marche oblique et tortueuse; elle attaque directement le sycophante; quelle énergie, quelle force dans ses raisonnements! On me dira peut-être qu’il se trouve dans cette satire quelques vers trop libres. Soit, mais tous les littérateurs ne sont pas des enfants; faut-il détourner ses yeux de la belle statue d’Apollon, parce qu’il est nu! Et je le demande à tous les hommes sensés, en lisant cet admirable tableau, ne sont-ils pas vivement indignés coutre les monstrueux vices de ces Romains, si vils, si efféminés si dignes des fers dont les accablaient leurs tyrans. (n) Ce vice que nous avons vu se renouveler de la manière la plus scandaleuse vers la fin du dernier siècle, n’était pas, quoi qu’en dise Juvénal ici, tout-à-fait inconnu des dames romaines, comme nous le prouverons dans la 6e satire. Mais je ne crois pas qu’elles aient connu ce raffinement de volupté dont parlent quelques mémoires authentiques, et que peuvent certifier encore des témoins oculaires. Cette association de femmes cyniques n’était plus un mystère en 1778: on citait la grande prêtresse; les initiées ne redoutaient plus les sarcasmes; et les orateurs chrétiens et philosophes, que faisaient-ils? Occupés de vaines disputes, ils laissaient les mœurs arriver au dernier degré de dépravation. Gilbert, Gilbert lui-même, n’osa pas attaquer cette monstruosité. On riait de ces dégoûtantes orgies, et l’on flétrissait les écrits d’un homme vertueux. Mais ces orgies n’offensaient que la morale publique, et les écrits du sage dénonçaient des abus énormes. Comparez les mœurs actuelles à cette hideuse dépravation. Quel changement! A qui le devons-nous? à nos malheurs, à nos dissensions civiles. Il est vrai que le sordide intérêt et le froid égoïsme Sont venus prendre la place; pauvre espèce humaine! Démocrite et son antagoniste n’avaient-ils pas raison. (o) Si nos anciens courtisans ne filaient point, ils parfilaient; quelques mémoires du temps nous ont laissé quelques jolis vers sur le parfilage. Voilà donc l’exemple que donnaient au peuple les grands; et les poètes, ces interprètes de la Divinité, jetaient des fleurs sur les pas de ces Sybarites capables d’enlever à la nation tout son amour pour l’honneur et la gloire; et faut-il s’étonner de ce mépris qu’ont pour nous les Anglais! A qui la cause? Et nous n’avons pas eu de Laronie pour attaquer ces hommes qui portaient aux pieds de leurs antiques déesses le tribut de leur habileté dans l’art, extrêmement utile à la nation, de dépecer un morceau d’étoffe de soie. (p) De tous les anciens peuples de la Grèce, il parait, d’après Elien, chap. 12, liv. 3, que les Spartiates seuls ne devaient point être compris dans le reproche si justement fait aux Grecs sur un genre d’amour qu’il n’est pas même permis de nommer. Quoique proscrit à Rome par la loi Scatinia, qui condamnait à payer dix mille sesterces celui qui se serait souillé d’un pareil crime, cependant on voit, par les poètes et les historiens, que les Pusiones étaient nombreux sur les rives du Tibre, ainsi que leurs protecteurs. Ce vice a eu quelques partisans en France le siècle passé. Mais il est aujourd’hui généralement en horreur; j’en sais bien la raison, mais il n’est pas prudent de la dire. (q) La multice n’était point une étoffe double en lices dont les fils étaient fins et très battus, comme l’assure M. Noël; c’était une étoffe de soie mêlée de coton, tirée de l’Inde par les Arabes qui depuis long temps faisaient ce commerce, et les Egyptiens transportaient à Rome ces marchandises. Ici Juvénal ne parle que d’après Sénèque; écoutons un moment ce philosophe: « Je vois des vêtements de soie, si l’on peut donner le nom de vêtements à des étoffes qui ne garantissent ni le corps ni la pudeur, et avec lequel une femme ne saurait, sans mentir, assurer qu’elle n’est pas nue. Nous faisons venir à grands frais ces étoffes de pays inconnus : ut matronæ nostræ ne adulteris quidem plus suis in cubiculo quam in publico ostendunt. Sen, de Ben., l. vii. (r) Perluces. Tu es transparent, dit Juvénal, et telle est généralement l’acception donnes au verbe pelluceo ou perluceo, luire à travers. Quelle hardiesse, et quelle concision! il ne peut y avoir d’amphibologie. Ce n’était point le corps de Créticus qui était diaphane, mais bien la robe. La langue française, toujours amie de la clarté, repousse néanmoins une pareille métonymie. Pour bien rendre la pensée, il a fallu employer une expression moderne, gaze; cette expression n’étant plus technique, et étant entrée dans la classe des expressions métaphoriques, est du domaine de la littérature et de la poésie. (s) On me pardonnera peut-être dans ces deux vers le défaut d’harmonie. Dans toutes les pensées sentencieuses, il faut que l’expression qui les rend se fasse remarquer par son laconisme. Il m’eût été facile de rendre ces deux vers plus nombreux; mais le texte eût-il été mieux rendu? J’en doute; d’ailleurs M. Dussault n’a pas un instant balancé I employer ces rois mots : grain, grappe, gâter. (t) Tout ce passage est difficile; il s’agit des prêtres de Minerve institués par Domitien, qui célébraient aussi les mystères de la bonne déesse. Tel est l’avis de M. Dussault; mais je crois plutôt, et Achaintre est en cela de mon avis, que Juvénal parle de l’association de quelques libertins qui dans leurs orgies imitaient la célébration des mystères. Les paroles sacramentelles sont tournées en ridicule par ces jeunes efféminés; ils font des libations de vin dans un vase profond, ils font servir à table l’abdomen d’une truie, etc.; ils sont habillés en femmes, portent des bandelettes et des colliers. C’était dans la religion des anciens l’impiété la plus révoltante: or la satire a été écrite, non seulement contre les hypocrites, mais encore contre les impies. Le sens que j’ai adopté me paraît donc le plus naturel et le plus convenable à la matière traitée. (u) Cotytto. Achaintre fait ici une longue remarque que rend absolument inutile sa dernière observation. Tous les traducteurs ont adopté le texte, qui porté cotytto, et l’histoire dit que les Athéniens avaient emprunté des Thraces ces mystères de Cotys ou Cotytto. Ou les célébrait pendant la nuit et dans le plus grand secret. Eupolis se moque de ces mystères dans sa comédie des Baptes, et Alcibiade, nouvel initié, le fit assassiner. Ce fait, dit M. Dussault, rapporté par un grammairien du moyen âge, est contredit par des autorités plus anciennes et plus dignes de foi. (v) Nous trouvons plusieurs exemples de ces Junons génies dans les inscriptions romaines qu’on s recueillies. Et, pour n’en citer qu’une, dans un monument élevé à la vestale Junia Torquata, dont la vertu, dit Tacite, fut honorée d’un monument public, l’inscription porte: à la Junon de Junia Torquata céleste patrone. C’étaient par ces Junons que juraient les dames romaines, comme les bommes par leurs génies. (w) Othon, 7e empereur romain. (Voyez le portrait de ce prince dans Tacite, Hist. liv. 1, chap. 22; et dans le même auteur l’assassinat de Galba.) Ici Juvénal est encore d’accord avec Suétone, chap. xv, vie d’Othon. Bien plus, il épilait tous les jours sa figure; il avait l’habitude d’appliquer sur sa peau du pain trempé, et cela dès les premiers jours de son adolescence, afin de n’avoir jamais de barbe. (y) Nul respect. Les anciens Romains commençaient leurs repas par une invocation aux dieux, et souvent les premiers morceaux étaient pour les dieux domestiques; ils faisaient des libations, et la table était respectée au point que l’hôte qui venait s’y asseoir était dès lors regardé comme un ami intime, auquel on devait assistance et protection. Cet usage est encore en vigueur chez les Arabes et même chez les Arabes bédouins. Quelle distance de ces hôtes aux hôtes de Christiern et de l’archevêque d’Upsal ! Et nos amphitryons modernes regardent-ils leurs hôtes comme sacrés? Ici, comme à Rome du temps de Plisse, les convives sont classés: le rang et les richesses, mais jamais le mérite, sont aux places d’honneur; heureux encore si l’on daignait jeter un regard de bienveillance sur la vertu! (z) Cybèle, disent les mythologistes, aima le jeune Phrygien Atys, qui eut tant de mépris pour cette bonne fortune, qu’il aima mieux se priver de ce dont il aurait eu besoin pour en profiter, que de céder aux instances de la bonne déesse. Il fit cette belle opération sous un pin où il mourut. Cet arbre lui fut consacré; les Corybantes imitèrent presque tous ce jeune homme, et pour se procurer des disciples, voyez dans Anténor de quelle manière ils s’y prenaient. Quant aux comparaisons avec nos temps modernes, nous dirons qu’un illustre personnage n’a pas eu le courage d’Atys. (aa) Les Etrusques inspirèrent aux Romains leur extrême superstition, et leur goût pour les spectacles; les petites notions qu’ils avaient en physique les portèrent à croire qu’ils étaient assez savants pour pénétrer dans les mystères des causes premières. En conséquence ils s’occupèrent perpétuellement à tâcher de lire dans l’avenir et à dérouler le livre des destinées, en observant le vol et le chant des oiseaux, et à consulter la volonté des dieux en examinant les astres et les entrailles des victimes. Les Romains firent donc venir les aruspices d’Etrurie; ils y envoyèrent même tous les ans un certain nombre de jeunes gens, pour acquérir les connaissances nécessaires; on n’avait recours aux aruspices que dans les circonstances extraordinaires : in rebus portentosis; ils indiquaient les expiations. (ab) Les douze boucliers ou ancilies (voyez Denis d’Halicarnasse). Les saliens, institués par Numa, qui les choisit parmi les citoyens les plus notables et les plus distingués, exécutaient dans le temple pendant le sacrifice, et dans les marches solennelles qu’ils faisaient dans les rues de Rome, une danse qui devait imiter le sautillage et le pétillement du sel qu’on jetait dans le feu, quand on brûlait les victimes; ils chantaient, en damant des hymnes en l’honneur du dieu Mars. Leur habillement, d’une riche broderie, était couvert d’une espèce de cuirasse d’airain. Ils portaient le javelot d’une main et les ancilies de l’autre. Si j’osais fouiller dans les fastes du moyen âge, je trouverais bien des comparaisons à faire. Mais les ancilies étaient plus nobles que l’âne de Vérone. (ac) Juvénal pousse ici, me dira-t-on, jusqu’à l’excès sa mordante hyperbole, mais avant lui les obscénités révoltantes de Néron prouvent à quel point de corruption les mœurs étaient descendues. Après lui, la conduite d’Adrien qui n’épousa pas, il est vrai, son protégé, suais le mit au rang des dieux, rend vraisemblable le tableau de Juvénal; et, pour prouver enfin que Juvénal n’a pas été au-delà de la vérité, et qu’au contraire, d’après ce qu’il voyait, il a prédit avec sagacité ce qui devait arriver, on n’a qu’à lire Salvien, connu sous le nom du Jérémie du cinquième siècle, livre septième de gubematione Dei, à ces mots: viri, etc. (ad) Pan. Auguste, et ses motifs sont aujourd’hui connus et appréciés, rétablit les mystères, les lupercales, qui de son temps avaient été fort négligées. L’opinion des femmes s’imaginant que les coups de fouet des luperques ou prêtres de Pan pourraient les rendre fécondes, est une des plus extravagantes qu’ait pu concevoir la pauvre espèce humaine; les trois collèges de Luperques à Rome étaient celui des Fabiens, celui des Quintiliens, et le troisième, celui des Juliens. Que mure de cette association des plus nobles familles de Rome avec des fanatiques extravagants? Et n’avons-nous pas sous les yeux le même spectacle? (ae) L’avilissement volontaire inspirait encore plus d’horreur aux véritables Romains pst le crime. Le morceau de Labérius, qu’Aulu-Gelle sous a conservé, prouve que l’avilissement même, quand il était forcé, révoltait les hommes qui se souvenaient d’avoir eu les maîtres le l’univers. Plût au ciel que ce souvenir fût gravé dans le cœur de toutes les nations ! (af) Mânes. Les anciens n’avaient point des idées bien fixes sur la signification de ce mot: terra tegit carnem, ou bien tumulum circmvolat umbra. Qu’entendent-ils par ce mot umbra? Est-ce l’âme? Est-ce une espèce de fantôme? orcus habet manes. Voilà le difficile. Cette troisième partie de l’individu de quoi se composait-elle? Quel bizarre partage ! Il y a apparence que les orphistes ne s’entendaient pas eux-mêmes, en prononçant ce mot. Et nous, nous l’employons dans le style noble: nous extravaguons, parce qu’il a plu aux anciens d’extravaguer. (ag) Diodore de Sicile nous explique, par le secours des traditions égyptiennes, la plupart des fables que l’on a débitées sur l’enfer des anciens ; c’est dans cet auteur que Lantier a puisé, pour nous en exposer l’origine. Cicéron rapporte que de son temps il n’y avait pas de vieilles assez sottes pour ajouter foi aux fictions des poètes, et cependant il était membre du collège des pontifes. Malgré ce changement dans l’opinion des particuliers, le culte public ne changea point: on vit subsister les mêmes fêtes, les mêmes processions, les mêmes sacrifices en l’honneur de Pluton. Polybe fut à ce sujet les réflexions les plus judicieuses. (Voyez cet auteur, liv. VII.) Mais Lucrèce n’admet point les opinions de Polybe; et je crois, en effet, qu’il ne faut jamais avilir l’espèce humaine: n’est-ce pas s’avilir soi-même? (ah) Il y avait dans home païenne trois sortes de lustrations : la première par le feu et le soufre. On voit donc que le mot soufre est absolument nécessaire dans la traduction; la deuxième, par l’eau lustrale dans laquelle on plongeait un rameau d’olivier. Quant à la troisième qui se faisait en agitant l’air, Juvénal n’en parle point, et je crois que c’est le meilleur moyen de le purifier. (Voyez les expériences de M. Guiton Morvaux.) (ai) Gilbert a eu en vue ce passage de Juvénal quand il dit: Voyez donc cet abbé, sophiste bel esprit, etc. (aj) Ce jeune Arménien était un des otages que les Arméniens furent obligés d’envoyer à Rome, et que reçut de Vologèse le préfet Arius Varrus. Ces otages Laient tous de la famille des Arsacides. (Voyez Tacite, Ann. liv. xiii et xv.) Suétone rapporte que Caligula prit du goût pour quelques-uns de ces otages, et se livra avec eux aux plus hideux excès. C’est sans doute à ces Arméniens que fait allusion Juvénal. (ak) J’ai traduit amator par protecteur obscène. Je renvoie à la neuvième satire pour tout ce qui est relatif à cette espèce de protecteurs. (al) Je n’ai point adopte ici le sens donné par Achaintre au mot prætextatos, malgré la citation de Suétone tirée de la vie de Vespasien. Les mœurs de nos jeunes Romains, telle est l’acception de ce mot, et tous les commentaires sont d’accord sur ce point. D’ailleurs n’est-il pas en relation avec l’expression ephebis qui se trouve un peu plus haut? NOTES NUMERIQUES DE LA SATIRE II.
(sur le texte latin) NOTE 1. Ultra Sauromatas. Les anciens comprenaient, sous le nom de Sarmates, tous les peuples qui habitaient les régions boréales depuis l’Oder jusqu’à la mer Baltique. Les Sarmates n’avaient ni habitations, ni boucliers; mauvais piétons, ils étaient toujours à cheval ou dans leurs chariots. Les Polonais sont les seuls peuples de l’Europe chez lesquels l’inondation des barbares au 4e et 5e siècles n’ait point laissé de traces ils sont encore tous Sarmates. NOTE 2. Bacchanalia vivunt. Cet idiotisme est le même que vivere vitam que l’on trouve fréquemment dans Térence, Cicéron et autres auteurs latins. Les Bacchanales tirent leur origine d’Egypte; Mélampus les introduisit dans la Grèce du temps de Prétus, roi d’Argos. (Voyez la description des grandes Dionysiaques, Ant. vol. i, chap. 16.) Un aventurier grec en infecta la Toscane; la contagion se glissa dans Rome, d’où elle se répandit dans toute l’Italie, à l’aide de quelques imposteurs qui avaient conjuré la perte des mœurs et de l’Etat. NOTE 3. Indocti. Quelques misérables rhéteurs ont accusé Juvénal d’être l’ennemi de la philosophie; il ne l’était que des soi-disant philosophes. Il était l’ennemi des tartufes qui, sous le masque de la vertu, n’ambitionnent que les richesses et les honneurs; et, par leurs furibondes clameurs, écartent de la carrière qu’ils veulent parcourir l’homme franc, sincère et probe. NOTE 4. Archetypos, mot tiré du grec, arch, origine, commencement; et tupw, je modèle, je forme; de là type, image; et par conséquent archetypos, buste original. Aristote, Cléandre, Pittacus, personnages trop connus; Chrysippe l’est moins; Cicéron cependant en fait le plus grand éloge. Il fut le restaurateur de la philosophie stoïcienne, à laquelle il faut rendre justice malgré les sarcasmes d’Horace, les plaisanteries de Cicéron et les attaques de La Bruyère. NOTE 5. Fronti. Ce vers est devenu proverbe. Cicéron a dit Injuria autem nulla capitalior, quam eorum qui, cum maxime fallunt, dant operam ut viri boni videantun; Molière: Hé quoi, vous ne ferez nulle distinction Entre l’hypocrisie et la dévotion! Vous les voulez traiter de semblable langage, Et rendre même honneur au masque qu’au visage! Et Perse ......................................Fronte politus, Astutam vapido servat sub pectore vulpem. Mais la sentence de Juvénal l’emporte, et cette sentence a obtenu l’honneur du proverbe; une infinité d’éditions portent frontis. Farnabe, édition de Lyon de 1642, a écrit fronti; il a été imité par quelques autres commentateurs, et j’ai adopté ce datif qui me paraît plus convenable que le génitif qui serait le complément du mot fides, au lieu que le cas d’attribution me semble absolument nécessaire, soit que la sentence soit particulière, soit qu’elle soit générale. NOTE 6. Socraticos. Quelle épithète! Je ne puis que blâmer Juvénal de l’avoir employée; ce n’est pas que certains auteurs ne se soient permis d’insulter à la mémoire de ce grand homme. Aristophane, le vil instrument des ennemis de ce sage, n’osa l’attaquer sur ce point; et, certes, les Mélytus, les Anytus ne l’eussent pas épargné. Elien cite un trait qui pourrait nous faire soupçonner l’espèce d’attachement qu’avait Socrate pour Alcibiade; mais les fureurs de Xantippe sont-elles de quelque poids dans la balance? Que n’invente pas une méchante femme ? D’ailleurs, Elien n’est pas toujours exact; ses anecdotes ne sont souvent que de simples ouï-dire, des bruits sans fondement. Voltaire lui-même semble confondre l’amour Socratique et l’amour Platonique: le premier est le dernier degré de la corruption réfléchie; l’autre est le beau idéal d’un sentiment que la nature a gravé dans le cœur de tous les hommes. Malheur à ceux qui veulent l’effacer et le détruire! « L’amour, le véritable amour, dit le comte de Rochester, dans un pays d’athées ferait adorer la divinité. » Que sera donc l’amour Platonique, le beau idéal de cette passion? NOTE 7. Cinædos, mot tiré du grec, et que nous traduisons par B. Pederaste, kinein, mouvoir, agiter, aidoia, pudenda. Tumidœ marsicœ, espèce de fistule que gagnaient les pathici à leur abominable métier. Etranger à l’art, je ne puis donner des détails sur cette étrange maladie: l’ulcère qui a la forme d’une figue, est-il une marsica? le nomme-t-on en français fistule? Les assertions de Noël et Facciolati me semblent bien téméraires; d’ailleurs c’est aux hommes de l’art à décider. Pour moi, je pense que ce sont des excroissances; dès lors on ne doit point traduire par fistule. NOTE 8. Simplicitas miserabilis. Ceci rentrerait assez bien dans le système cranologique du docteur Gall; mais je crois qu’Achaintre se trompe en nous disant que simplicitas signifie ici ignorance de toutes les vertus; il signifie franchise. Que l’on traduise par ignorance et l’on verra combien la version sera ridicule. NOTE 9. L’adjectif tragico, modifiant concubitu, a été bien saisi par M. Dussault. Œdipe, Phèdre nous prouvent que l’inceste est du domaine de la tragédie : rien n’est outré dans ce portrait (voyez Suétone, liv. 22, Vie de Domitien), excepté le dernier vers, si on veut le traduire comme l’ont entendu la plupart des commentateurs; mais Farnabe, d’où Achaintre a pris sa note, fait disparaître tout ce qu’a de ridicule l’ancienne version, et le sens qu’il donne au similes est le seul véritable et plausible. Le trait est virulent contre Domitien; mais ce prince était devenu si difforme, que la comparaison a pu être établie sans hyperbole. Cette explication est naturelle ; peut-être le bon goût trouverait-il quelque chose à dire; mais que l’on pense à l’énormité du crime; inceste, infanticide, etc. et un monstre sous le rapport physique et moral? NOTE 10. Non tulit. Scatinia, loi qui punissait les prostituées et ceux qui débauchaient les jeunes gens. « Cette loi subsista toujours, dit Voltaire; cependant Auguste trouva bon que Virgile chantât Alexis, et qu’Horace fît de petites odes pour son Ligurinus. » L’empereur Philippe la remit en vigueur et chassa de Rome tous les petits garçons qui faisaient, cet infâme métier. La peine était d’abord pécuniaire. On ne sait si la loi doit être attribuée au tribun Scatinus, ou si elle prit son nom de ce tribun qui en fut la première victime. Nos anciennes lois punissaient ce crime par le supplice du feu, et on en vit quelques exemples. L’inquisition, chargée de punir les coupables, ne poursuivait que les juifs, les hérétiques et les sorciers; et s’ils eussent été inexorables contre les mignons, que seraient devenus les juges? NOTE 11. Umbone phalanges. Je crois que M. Dussault n’a pas été assez exact en traduisant junctœ umbone phalanges; je pense qu’il aurait pu employer l’expression tortue. Faire la tortue était une évolution militaire en usage surtout dans les sièges des places fortes. La description nous en a été laissée par Polybe. NOTE 12. Quelques hypocrites sans doute trouveront à censurer l’obscénité de ce tableau; mais un homme éloquent dans l’église grecque et romaine va fermer la bouche à tous ces critiques. Saint Chrysostôme comparait les écrivains tels, que Juvénal aux médecins qui ne craignaient point de souiller leurs mains, lorsqu’il s’agit de panser des ulcères. Qu’ils voient encore le sage Plutarque dans son Traité sur la manière de lire les poètes. Le passage commence ainsi γραφουσι δὲ καὶ πραξεῖς ἀτόπους ἔνιοι, etc., pag. 278, édition de 1788. NOTE 13. Coliphium. Espèce de pain dur et compacte dont se nourrissaient les athlètes et les gladiateurs, pain azyme mêlé avec du fromage et des viandes hachées. D’après Martial, on donnait à ce pain une forme singulière. NOTE 14. Prœgnantem fuso. Point de terme correspondant en français pour rendre le prægnantem; métaphore juste, tirée de l’état où se trouve une femme enceinte qui grossit peu à peu comme le fuseau grossit insensiblement. Il est difficile de faire passer dans notre langue de semblables expressions. NOTE 15. Horrida pellex. M. Dussault ne désigne que deux sortes de concubines; je crois pouvoir assurer qu’il y en avait trois: meretrix, pellex, lupa. Meretrix était une courtisane qui se prostituait, il est vrai, comme le dit Aulu-Gelle ; mais elle n’était point d’origine servile ; c’était ordinairement une étrangère qui, par intérêt, et nullement par amour, cherchait à plaire et à mériter ainsi les bonnes grâces et les faveurs des premiers personnages de la ville où elle venait s’établir: telle fut Aspasie à Athènes, Flora à Rome, N. D. L. à Paris. La pellex désigne des courtisanes du second rang ; le mot tire son origine du verbe pellicio, séduire, attirer; et le terme fait lui-même allusion aux moyens qu’emploient ces femmes pour s’attirer les bonnes grâces du patron, chez qui elles étaient esclaves. Elles jouaient à peu près le même rôle que les Négresses dans nos établissements en Amérique; mais malheur à la pellex, quand l’épouse légitime la surprenait; elle était condamnée à passer la vie dans le lanificium, obligée de travailler, et liée à un pieu, nommé codex. La troisième espèce de courtisanes était la lupa; la louve appartenait au leno qui spéculait sur ses charmes, quand ils commençaient à se flétrir, le leno la vendait pour servir dans l’ergastulwn à la campagne. On donnait aussi le nom de louve à toutes ces filles d’affranchis qui rôdaient autour du cirque Romain, véritable Palais-Royal de cette capitale du monde. NOTE 16. Togam. Les adultères à Rome étaient forcées, après le jugement qui les déclarait telles, de prendre la robe virile; il ne leur était plus permis de prendre pour vêtement la stola, habillement ordinaire des femmes honnêtes. On ne sera point surpris de trouver dans la traduction flétrie à la place de condamnée à la toge. M. Dussault, dont j’ai suivi la version dans ce passage, a bien senti qu’il était impossible, sans verbiage, de transporter dans notre langue toute la pensée de l’auteur latin. Parmi nous, quand on dit un homme flétri, on sait bien ce que cela veut dire. A Rome, une femme flétrie était celle qui portait la toge. L’expression seulement n’est pas prise dans un sens aussi étendu que la métaphore semble l’exiger; mais je ne la crois pas inconvenante: n’est-ce pas la seule propre à bien faire saisir le sens du latin? NOTE 17. Insania. M. Dussault a adopté la correction de Grangée qui a remplacé le mot insania par infamia. Voyez le vers français la honte; ensuite jetez un coup d’œil sur la traduction : j’y voie moins d’infamie, etc., et jugez. Le raisonnement sur lequel s’appuie l’élégant traducteur est dans Grangée, et ne me présente aucune solidité; pour s’en convaincre, on n’a qu’à lire la 19e note de sa seconde satire. Achaintre a rejeté le mot infamia, qui présenterait un sens obscur et sujet à interprétation; au lieu qu’avec insania, le sens est clair, et en harmonie avec ce qui suit et ce qui précède. NOTE 18. Porrigine porci. Quelques éditions portent prurigine; et qu’importe! il n’y a de différence que de la gale à la teigne. Pourquoi donc une longue note pour faire la différence de ces deux maladies? C’était bien là le cas d’aller fouiller dans Celse et d’extraire un morceau de son 6e chapitre? NOTE 19. Contacta livorem. Quelques éditions portent conspecta, et Achaintre lui-même a été entraîné par la majorité ; je ne suis pas de son avis, et je préfère contactæ. On connaît, il est vrai, le préjugé des anciens sur le regard de l’envieux; mais ce coup d’œil sinistre pouvait-il partir d’un objet inanimé? Toutes les prosopopées du monde, toutes les licences des poètes ne doivent point présenter des tableaux ridicules. Pour le diminuer, les partisans du conspecta ont été obligés de traduire place vis-à-vis. Malgré Suidas et la citation grecque d’Achaintre, l’acception du mot n’est-elle pas forcée? tandis que rien n’est plus simple, plus conforme à la saine raison que contacta. NOTE 20. Redimicula, espèce de rubans qui servaient à lier la coiffure des femmes, ou bandelettes dont on entourait les têtes des victimes. NOTE 21. Abdomine. (Voyez pour l’intelligence de ce passage la note sur le texte français.) Je trouve dans le dictionnaire encyclopédique la raison pour laquelle on bannissait le myrte des autels de la bonne Déesse, la raison pour laquelle on plaçait un œnophore de vin; mais pourquoi lui offrait-on l’abdomen d’une jeune truie, morceau que les Romains regardaient comme fort délicat? Etait-ce pour expier les crimes commis contre la chasteté? NOTE 22. Baptes, prêtres efféminés qui ne juraient que par Junon, s’attachaient aux femmes, assistaient à leur toilette, etc. Ils étaient revêtus ordinairement d’une longue robe bleue, ils se peignaient les sourcils en noir, leur corps était parfumé d’essences les plus précieuses, ils affectaient en tout les mines et les airs d’une jolie femme. Il ne faudrait pas remonter bien haut dans l’histoire de France pour trouver des Baptes. Les lettres de Vois. et de B. me procureraient sans doute des objets de comparaison et des modèles d’une ressemblance parfaite. L’anecdote de la culotte de velours est encore présente à la mémoire d’une infinité de mes contemporains; quelle profanation ! NOTE 23. M. Dussault a supprimé l’épithète obliqua qui ne qualifie pas acu, elle marque seulement la manière de s’en servir. La chimie n’était pas encore venue au secours des jeunes Romains. NOTE 24. Vestis coerulea scutulata, était un vêtement à quadrilles : galbana rasa, robe de soie, couleur de paille morte ou vert pâle, cylindrée et luisante: mais d’où les Romains tiraient-ils ces étoffes, eux qui n’avaient presque point de manufactures? Les Arméniens n’étaient-ils pas les facteurs de toute l’Asie, comme ils le sont encore? Par où sont-ils venus dans l’Inde, et sur le golfe de Bengale, où ils sont encore en grand nombre? Il y a eu de tout temps commerce et communication entre l’Arménie et l’Inde; et l’Arménie fut conquise par les Romains. Aussi trouvèrent-ils des richesses immenses dans ce pays, et des tissus précieux et des vases dont les grossiers conquérants n’avaient pas idée, même après la conquête de la Grèce. NOTE 25. Bedriaci. Ce vers a-t-il été bien entendu par les commentateurs et les traducteurs? Othon, quand il partit de Rome pour aller combattre les Vitelliens aux environs de Crémone, n’était-il pas maître du palais impérial à Rome? Quel butin pouvait-il désirer? Achaintre passe avec un laconisme extraordinaire sur cette difficulté majeure! Les quatre vers sont en antithèse. Point de difficulté sur les deux premiers. J’ai traduit le troisième par fier de son brigandage, c’est-à-dire, fier de son titre d’Empereur et de ses insignes qu’il avait acquis par un crime; et le quatrième vers alors est en opposition voilà mon sentiment. Il s’en faut que ce soit celui de Dussault, mais je pense que le traducteur n’a pas assez réfléchi sur les contrastes que présente ce petit tableau. NOTE 26. Pharetrata Semiramis. Il y a tant de puérilités, tant de contradictions dans les historiens anciens sur le compte de cette célèbre reine, que je doute même de son existence. Hérodote, Justin, Strabon, Plutarque et Q. Curce, ne me présentent que des faits dont ma raison ne peut être satisfaite, et qui souvent la révoltent; tout ce qui précède l’ère de Nabonassar, dans l’histoire de l’Asie, n’est qu’un recueil de contes orientaux. NOTE 27. Hic turpis Cybeles. Je ne vois pas en quoi ce passage est obscur, comme le dit M. Dussault; Cybèle ne se rapporte point à la déesse, mais, par métonymie, aux prêtres consacrés à cette déesse. Voici de quelle manière il faut construire la phrase: hic turpis libertas Cybeles, hic libertas loquendi, etc. ; est-il rien de plus clair? D’autres commentateurs traduisent cybeles, par cultus cybeles, le culte de Cybèle, et cette explication est assez raisonnable. NOTE 28. More supervacuam. L’institution des Corybantes, après avoir commencé en Phrygie, se répandit dans la Syrie, dans toute la Grèce, en Afrique, et infecta bientôt l’empire Romain. Le néophyte, au milieu de chants, au bruit des tambours, au son des flûtes, saisi d’une fureur divine, ou plutôt d’un enthousiasme infernal, prenait une pierre aiguisée en forme de couteau, et se débarrassait de sa qualité d’homme. NOTE 29. Segmenta. Broderies, colliers, bracelets, découpures, franges, enfin tout ce qui est du ressort de la toilette des femmes. Le flammeum était un voile de couleur jaune ou plutôt feuille-morte, dont on couvrait la tête des jeunes mariées. La couleur jaune était particulièrement affectée aux noces. Voyez comme nous avons abusé de institutions morales; car ou ne peut douter que ce fût la morale la plus pure qui donna cette couleur à l’hyménée; et nous en avons fait le signe plaisant de l’adultère. NOTE 30. Gradive, surnom de Mars; ép. tirée du verbe gradi, gradior, marcher à la guerre, aller en avant. Tout le monde connaît l’origine fabuleuse des Romains presque tous les fondateurs des Empires ont été des brigands, les Francs, les Huns, les Tartares, les Romains, les capitaines d’Alexandre, les Vandales, etc. L’histoire la plus reculée et la moderne me présentent les mêmes tableaux. Les Turcs, les Mamelucks, les Arabes, les compagnons de Cortès et de Pizarre, etc. Et dans cette malheureuse planète nous nous vantons de nos privilèges et de notre supériorité! NOTE 31. Urtica, littéralement, signifie ortie. La métaphore ne me paraît pas d’un goût exquis. NOTE 32. Severi, champ formidable, champ de Mars. Juvénal lui donne l’épithète de severi, parce qu’on faisait les exercices militaires, parce que c’était là que la jeunesse romaine apprenait à supporter les fatigues de toute espèce. Le peuple consacra ce champ au dieu Mars après l’expulsion de Tarquin le superbe, qui le possédait et le faisait cultiver; c’est pourquoi Juvénal l’appelle encore, dans sa 6e satire, champ de Tarquin. NOTE 33. In valle Quirini. Quirinus était un Dieu des anciens Sabins, qu’ils représentaient sous la figure d’une hache, ou d’une pique, appelée en leur langue curis. Numa, successeur de Romulus, lui assigna un culte sur une montagne de Rome, qui prit le nom de Mont-Quirinal. J’ai traduit par le portique d’Isis, parce que, sous ce portique, on traitait ordinairement de toutes les grandes affaires domestiques. C’était le rendez-vous de tous les libertins de Rome. NOTE 34. Cupient in acta referri. On appelait à Rome ces registres, fastes. On y inscrivait les naissances, les morts, les mariages, les supplices et les prodiges; ils portaient en tête de chaque année le nom des deux consuls; tous ces registres furent brûlés par les Gaulois lors de la prise de Rome. Camille s’adjoignit quelques sénateurs pour les rétablir; mais quelle confiance donner à des actes transcrits de cette manière? Tout ce qui précède cette époque dans l’histoire Romaine est incertain, et presque tous les faits sont absurdes, ridicules, et dignes de notre historien Grégoire de Tours. NOTE 35. Condita, trois longues; en conséquence c’est le participe du verbe condio, assaisonner, mixtionner. Quelle est donc cette boîte pleine de mixtions? M. Dussault l’a très bien rendu par topiques; mais l’adjectif mystérieux qu’il ajoute pour qualifier ces topiques semble m’indiquer qu’il n’a pas bien entendu le mot condita, qu’il a pris pour le participe du verbe condo. Le pyxide condita signifie une botte pleine d’ingrédients, inventés par le charlatanisme, et qui avait le singulier pouvoir de rendre les femmes fécondes. NOTE 36. Podium. Rien ne ressemble mieux au podium des anciens qu’une longue tribune, ou plutôt un long péristyle. C’était là que se plaçaient les empereurs, les consuls les premiers patriciens. Les quatorze gradins destinés aux chevaliers, d’après la loi de Roscius Othon, loi dont nous parlerons dans la suite, étaient placés immédiatement au-dessus; au-dessous étaient des loges voutées où l’on renfermait les bêtes féroces qui devaient combattre. Ces loges s’appelaient caveæ, elles étaient de niveau avec l’arène. L’amphithéâtre de Vérone, que j’ai examiné dans tous ses détails, m’a donné une idée juste de la position des spectateurs et des combattants; ce qu’il m’avait été impossible de faire en parcourant les arènes de Nîmes. Il est vrai qu’à l’époque de mes voyages, des maisons, ou plutôt des masures, encombraient l’intérieur de cet édifice, bien plus vaste et bien plus surprenant que celui de Vérone. NOTE 37. Sed tu vera puta n’est point une affirmation, comme l’ont cru quelques commentateurs ; puta est pris dans un sens hypothétique, supposez. Farnabe, Jouvency se taisent et n’ont fait aucune observation sur ce verbe qui méritait quelque explication: on trouve souvent dans Juvénal ces cas hypothétiques mis sous la formule affirmative. Vient ensuite le heu! heu! Miseri traducimur; mais une fois l’hypothèse admise, toutes les conséquences sont déduites avec justesse, et l’affirmation ne doit plus surprendre. NOTE 38. Contentos minima nocte. Les Romains arrivant en Bretagne au solstice d’été, seul temps de l’année où ils pouvaient, sans boussole, naviguer sur ces parages, furent étonnés de la longueur des jours. Voyez dans Tacite, vie d’Agricola, la pitoyable raison qu’il donne de ce phénomène, aujourd’hui connu de tous les écoliers, soit qu’ils aient étudié le système de Ptolémée, soit qu’ils aient appris celui de Copernic. NOTE 39. Nam si longa mora. Ce latinisme est fort poétique mais il est impossible de faire passer dans notre langue un idiotisme si hardi ; c’est dans ces circonstances qu’un traducteur, sentant toute la beauté des expressions employées dans une langue étrangère ou morte, trouve sa tâche pénible, et qu’il est sur le point d’abandonner son entreprise, plutôt que d’exposer aux regards du public des copies ternes, faibles, et privées de leur coloria naturel. NOTE 40. Mittentur braccœ. Je crois avoir bien saisi le sens de ce passage, quoi qu’en disent quelques commentateurs; Farnabe, si souvent fautif dans ses commentaires, explique ce passage avec beaucoup de sagacité, et Achaintre a suivi cette leçon. Il s’agit ici des vêtements étrangers, braccœ, et l’on sait que cette partie du costume était en usage chez les Gaulois; cultelli, petits sabres dont se servaient les Gaulois Senonois pour aller à la chasse; frœnum est relatif à l’exercice du cheval, etc. NOTE 41. Prætextatos mores. D’après Suétone, il paraît que ce qualificatif avait la force d’impudicos. Festus emploie aussi dans ce sens le mot prætextatus: est-ce à la corruption des jeunes patriciens, encore sous la robe prétexte, que l’on dut ce qualificatif nouveau? ou bien désignait-il une espèce de désordre, si commun dans Rome et dans la Grèce? Tous les commentateurs sont d’accord sur le premier point. Pour moi, j’oserai n’être pas de leur avis, et embrasser le dernier parti. Il s’agit ici d’un jeune étranger que l’on compare aux jeunes Romains; et sur quel point? sur un vice à la mode, etc.
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