JUVÉNAL
SATIRE XVI
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer
SATURA XVI / SATIRE XVI
(éd.
Jules Lacroix)
FRAGMENT.
Je n’ai pas cru
devoir joindre aux quinze magnifiques satires de Juvénal le fragment de soixante
et un vers qu’on intitule ordinairement
Militiae commoda:
Prérogatives de l’état militaire. Ce lambeau de satire, sans vigueur et sans
poésie, est rejeté par le plus grand nombre des anciens scoliastes, comme
indigne de Juvénal, et, qui plus est, comme apocryphe.
En effet, comment
croire que l’auteur des satires de la Noblesse et de l’Exemple ait pu, même dans
un âge très avancé, produire quelque chose d’aussi glacial, d’aussi pâle que
cette longue tirade sur un sujet pareil, qui demandait à la fois tant d’énergie
et de gravité?
Il s’agissait de
peindre le silence des lois sous un gouvernement despotique et purement
militaire. Un poète comme Juvénal, dont la devise était,
Facit indignatio versum,
eût épanché alors de plus amères ironies; il ne se fût point contenté de
quelques plaisanteries froides et banales.
Quoi qu’il en soit,
je donne ici ce fragment avec la traduction. Est-ce l’oeuvre de Juvénal ou celle
d’un faible imitateur? C’est au lecteur à décider.
SATURA XVI.
MILITIAE COMMODA
FRAGMENTUM
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SATIRE XVI.
PREROGATIVES DE L’ETAT
MILITAIRE
FRAGMENT
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Quis numerare queat
felicis præmia, Galle,
Militiæ? Nam si subeantur prospera castra,
Me pavidum excipiet tironem porta secundo
Sidere: plus etenim fati valet hora benigni
Quam si nos Veneris commenclet epistola Marti,
Et Samia genetrix quæ delectatur arena. |
Qui
pourrait, ô Gallus, énumérer les charmes
Et les émoluments du beau métier des armes?
Qu’on entre dans un camp prospère, on est certain
D’être, novice encor, cher, bien cher au Destin.
Un début fortuné sous une étoile heureuse
Vaut mieux que si Vénus, la déesse amoureuse,
Ou la reine des cieux, que réjouit Samos,
A Mars, en ta faveur, écrivait quelques mots. |
Commoda tractemus primum
communia, quorum
Haud minimum illud erit, ne te pulsare togatus
Audeat; immo et, si pulsetur, dissimulet, nec
Audeat excussos prætori ostendere dentes,
Et nigram in facie tumidis livoribus offam,
Atque oculos, medico nil promittente, relictos.
Bardaicus judex datur hæc punire volenti
Calceus, et grandes magna ad subsellia sarœ,
Legibus antiquis castrorum, et more Camilli
Servato, miles ne vallum litiget extra,
Et procul a signis. Justissima centurionum
Cognitio est igitur de milite : nec mihi deerit
Ultio, si justæ defertur causa querelæ.
Tota cohors tamen est inimica, omnesque manipli
Consensus magno officiunt. Curabitis ut sit
Vindicta gravior quam injuria? Dignum erit ergo
Declamatoris Mutinensis corde Vagelli,
Quum duo crura habeas, offendere tot caligas, tot
Millia clavorum. Quis tam procul absit ab urbe?
Præterea quis tam Pylades, molem aggeris ultra
Ut veniat? Lacrymæ siccentur protinus, et se
Excusaturos non sollicitemus amicos.
Da testem, quum judex dixerit; audeat ille
Nesclo quis, pugnos qui vidit, dicere:
Vidi;
Et credam dignum barba, dignumque capillis
Majorum. Citius falsum producere testem
Contra paganum possis, quam vera loquentem
Contra fortunam armati, contraque pudorem. |
Examinons d’abord les communs privilèges:
Quel citoyen jamais, de ses mains sacrilèges,
Frapperait un soldat? Mais quant au citoyen,
Lorsqu’un soldat le frappe, il souffre, et ne dit rien.
Ne crois pas qu’au préteur il montre sa mâchoire
Disloquée et sanglante, et sa figure noire,
Son oeil livide, enflé comme un large bubon,
Auquel le médecin ne promet rien de bon.
Prétend-il se venger? pour juge on lui destine
Un grand centurion, lourd colosse en bottine,
Qui fait gémir un siège énorme sous son poids;
Car l’usage des camps et leurs anciennes lois
Veulent que les guerriers, querelleuse famille,
Plaident sous les drapeaux : ainsi le veut Camille.
— Très bien. J’approuve fort, moi, que nous déférions
Les délits des soldats à leurs centurions:
Si ma cause est fondée, après tout, que m’importe?
J’obtiens justice. — Oui; mais toute la cohorte
T’enveloppe, te presse!... O malheureux! frémis...
Que peux-tu faire seul contre tant d’ennemis?
Leur vengeance t’accable, effrayante et soudaine!...
Plus fou que Vagelius. avocat de Modène,
Tu livres tes deux pieds, toi chétif contre tous,
A ce lourd bataillon de chaussures à clous!...
Loin de Rome, qui veut t’assister? Quel Pylade
Ose, pour toi, d’un camp franchir la palissade?
Crois-moi, sèche tes pleurs; ne va pas tout confus,
De tes amis tremblants mendier les refus...
Quand le juge dira, Témoins, que l’on dépose!
Celui qui vit frapper, s’il dit
J’ai vu, s’il l’ose,
Il est digne de vous, ancêtres chevelus! —
On trouvera plutôt, dans ces temps dissolus,
Un fourbe, accusateur d’un citoyen vulgaire,
Qu’un témoin vrai, parlant contre un homme de guerre. |
Præmia nunc alia, atque alia
emolumenta notemus
Sacramentorum. Convallem ruris aviti
Improbus, aut campum mihi si vicinus ademit,
Et sacrum eodit medio de limite saxum
Quod mea cum patulo coluit puls annua libo,
Debitor aut sumptos pergit non reddere nummos,
Vana supervacui dicens chirographa ligni,
Expectandus erit, qui lites inchœt, annus
Totius populi. Sed tunc quoque mille ferenda
Tædia, mille moræ; toties subsellia tantum
Sternuntur, jam facundo ponente lacernas
Cæditio, et Fusco jam micturiente, parati
Digredimur, lentaque fori pugnamus arena.
Ast illis, quos arma tegunt et balteus ambit,
Quod placitum est ipsis, præstatur tempus agendi,
Nec res atteritur longo sufflamine litis. |
Bienheureux les soldats! Un voisin, un méchant,
S’est-il approprié les trois quarts de mon champ;
A-t-il, de mon domaine un jour forçant l’entrée,
Arraché de sa main la limite sacrée
Où j’apporte, selon l’usage, tous les ans,
La farine et le sel, religieux présents?
Mon débiteur veut-il, devant son écriture,
Nier sur un billet sa propre signature
Il faut, toute une année, attendre sans succès
Qu’un peuple de plaideurs aient vidé leurs procès.
Et puis, mille retards encor; l’ennui m’assiège...
On prépare cent fois table, gradin et siége;
Déjà Céditius, cet orateur ardent,
Dépouille sa lacerne; et, par un soin prudent,
Fuscus, prêt à parler, soulage sa vessie...
Mais la cause est remise, et ma bourse amincie
Ne foule pas qui veut l’arène du barreau !
Quant à l’homme qui ceint l’épée et le fourreau,
Il choisira son temps, sûr d’obtenir justice,
Sans que tout son pécule au barreau s’engloutisse. |
Solis præterea testandi
militibus jus,
Vivo patre, datur; nam, quæ sunt porta labore
Militiæ, placuit non esse in corpore census,
Omne tenet cujus regimen pater. Ergo Coranum
Signorum comitem, castrorumque æra merentem,
Quamvis jam tremulus, captat pater. Hunc labor æquus
Provehit, et pulchro reddit sua dona labori.
Ipsius certe ducis hoc referre videtur,
Ut, qui fortis erit, ait felicissimus idem;
Ut læti phaleris omnes, et torquibus omnes. .........
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Du vivant de son
père un soldat peut tester;
Mais lui seul car nos lois voulurent excepter,
Des biens dont à son gré peut disposer le père,
Les autres biens, produit des travaux de la guerre.
Tu vois! ce Coranus qui vit sous nos drapeaux,
Son père, vieux, tremblant, le flatte sans repos...
Ah! c’est qu’une faveur puissante et légitime
Promet à Coranus la fortune et l’estime.
Certes, il importe au chef que les plus glorieux
Aient des marques d’honneur, et soient traités le mieux...
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