JUVÉNAL

 

SATIRE XVI

 

SATURA XVI / SATIRE XVI.

(Traduction de L. V. Raoul, 1812)

satire XV

 

autre traduction

 

 

 

SATURA XVI.

SATIRE XVI.

Quis numerare queat felicis præmia, Galle,
Militiæ? Nam si subeantur prospera castra,
Me pavidum excipiet tironem porta secundo
Sidere: plus etenim fati valet hora benigni
Quam si nos Veneris commenclet epistola Marti,
Et Samia genetrix quæ delectatur arena.

Qui n’envierait, Gallus, la carrière des armes!
Pour moi, quoique novice et peu fait aux alarmes,
Si je trouvais un camp du destin protégé,
Par serment, dès demain, j’y serais engagé;
Car, à qui veut courir les chances de la guerre,
Mieux vaut d’un astre ami l’influence prospère
Que si, pour l’enrôler sous d’heureux étendards,
Et Vénus et Junon écrivaient au dieu Mars.

Commoda tractemus primum communia, quorum
Haud minimum illud erit, ne te pulsare togatus
Audeat; immo et, si pulsetur, dissimulet, nec
Audeat excussos prætori ostendere dentes,
Et nigram in facie tumidis livoribus offam,
Atque oculos, medico nil promittente, relictos.
Bardaicus judex datur hæc punire volenti
Calceus, et grandes magna ad subsellia sarœ,
Legibus antiquis castrorum, et more CamilIi
Servato, miles ne vallum litiget extra,
Et procul a signis. Justissima centurionum
Cognitio est igitur de milite : nec mihi deerit
Ultio, si justæ defertur causa querelæ.
Tota cohors tamen est inimica, omnesque manipli
Consensus magno officiunt. Curabitis ut sit
Vindicta gravior quam injuria? Dignum erit ergo
Declamatoris Mutinensis corde Vagelli,
Quum duo crura habeas, offendere tot caligas, tot
Millia clavorum. Quis tam procul absit ab urbe?
Præterea quis tam Pylades, molem aggeris ultra
Ut veniat? Lacrymæ siccentur protinus, et se
Excusaturos non sollicitemus amicos.

Voyons d’abord les droits que tout soldat s’arroge.
Ils sont grands le premier, c’est que nul, sous la toge,
En passant près de toi, n’oserait te heurter.
Que dis-je? s’il te plaît, à toi, de l’insulter,
De le rouer de coups, muet et sans défense,
Il dissimulera, dévorera l’offense,
Et se gardera bien de montrer au préteur
Sa mâchoire édentée, et la noire tumeur,
Et les taches de sang qui lui couvrent la face,
Et ses yeux non encore arrachés de leur place,
Mais à tel point meurtris que de leur guérison
Archigène appelé n’augure rien de bon.
Sous l’égide des lois cherche-t-il un refuge?
C’est un Illyrien qu’on lui donne pour juge,
Et sur les vastes bancs, près du tribun montés,
De lourds centurions vont s’asseoir tout bottés;
Car, et l’antique usage et la loi de Camille
Défendent au soldat, même en cause civile,
De plaider hors du camp et loin de ses drapeaux.
Fort bien! je reconnais le droit des généraux!
Et puisque le délit est de leur compétence,
C’est d’eux, si j’ai raison, que j’obtiendrai vengeance.
Peut-être; mais déjà je vois à ton seul nom,
S’ameuter contre toi cohorte et peloton,
Et chacun à l’envi t’arrêtant au passage,
Ta plainte n’aura fait qu’ajouter à l’outrage.
Aux chaussures de fer d’un essaim de soldats
Qui te pressent les flancs, qui marchent sur tes pas,
T’en aller exposer deux jambes sans bottine,
C’est vouloir imiter l’avocat de Mutine,
Le sot Vagellius. Et quel extravagant,
Quel Pilade nouveau te suivrait dans un camp?
Crois-moi, sèche tes pleurs, laisse-là ta requête,
Laisse-là tes amis; car leur excuse est prête.

Da testem, quum judex dixerit; audeat ille
Nesclo quis, pugnos qui vidit, dicere: Vidi;
Et credam dignum barba, dignumque capillis
Majorum. Citius falsum producere testem
Contra paganum possis, quam vera loquentem
Contra fortunam armati, contraque pudorem.

A ces mots du tribun: Témoin, expliquez-vous;
S’il en est un, quand même il aurait vu les coups,
Qui dise: Je l’ai vu, je le tiens pour un homme
Digne des vieilles mœurs, des beaux siècles de Rome.
Cent fourbes mentiront pour perdre un citoyen;
Mais que, dans un procès contre un prétorien,
On ait à déposer sur un fait authentique,
Vous ne trouverez pas un témoin véridique.

Præmia nunc alia, atque alia emolumenta notemus
Sacramentorum. Convallem ruris aviti
Improbus, aut campum mihi si vicinus ademit,
Et sacrum eodit medio de limite saxum
Quod mea cum patulo coluit puls annua libo,
Debitor aut sumptos pergit non reddere nummos,
Vana supervacui dicens chirographa ligni,
Expectandus erit, qui lites inchœt, annus
Totius populi. Sed tunc quoque mille ferenda
Tædia, mille moræ; toties subsellia tantum
Sternuntur, jam facundo ponente lacernas
Cæditio, et Fusco jam micturiente, parati
Digredimur, lentaque fori pugnamus arena.
Ast illis, quos arma tegunt et balteus ambit,
Quod placitum est ipsis, præstatur tempus agendi,
Nec res atteritur longo sufflamine litis.

Ce n’est pas tout encore; un voisin envieux
Veut-il me dépouiller du bien de mes aïeux?
Arrache-t-il la borne où, fidèle à l’usage,
D’un gâteau tous les ans je vais porter l’hommage?
Un mauvais débiteur dont je tiens le billet,
Soutenant que le titre est faux et contrefait,
Me retient-il l’argent que je lui redemande?
Avant de l’attaquer, il faudra que j’attende,
Pour voir venir enfin le tour de mon procès,
Qu’un peuple tout entier ait terminé ses plaids.
Et que d’ajournements, que de délais encore,
Après tous ces dégoûts, il faut que je dévore!
Tantôt on n’aura fait que tendre les tapis;
Tantôt Cæditius, suant sous ses habita,
Pour en aller changer, suspendra la séance;
Ou bien, à contretemps, sorti de l’audience,
Lorsque tout sera prêt, Bubulcus dans un coin,
S’en ira gravement satisfaire un besoin.
Voilà comme arrêtés dans cette ingrate arène,
De retards en retards la justice nous trame!
Sous le casque, au contraire, et ceints du baudrier,
Au lieu de voir sans fin nos procès s’enrayer,
Nous prenons notre temps, nous choisissons notre heure,
Et le juge pour nous est toujours en demeure.

Solis præterea testandi militibus jus,
Vivo patre, datur; nam, quæ sunt porta labore
Militiæ, placuit non esse in corpore census,
Omne tenet cujus regimen pater. Ergo Coranum
Signorum comitem, castrorumque æra merentem,
Quamvis jam tremulus, captat pater. Hunc labor æquus
Provehit, et pulchro reddit sua dona labori.
Ipsius certe ducis hoc referre videtur,
Ut, qui fortis erit, ait felicissimus idem;
Ut læti phaleris omnes, et torquibus omnes. .........
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FINIS

Ajoutez qu’un soldat, par la guerre enrichi,
De la commune loi pour ses biens affranchi,
A seul droit de tester, du vivant de son père.
Et c’est pour quoi d’un fils, qui dans les camps prospère,
Coranus, quoique vieux, espérant hériter,
S’étudie à lui plaire et cherche à le capter.
Son fils, de ses travaux, reçoit la récompense,
Noble prix que les chefs doivent à la vaillance!
Car il importe aux chefs, il importe à l’état
Que la meilleure part soit au meilleur soldat;
Il a droit d’être heureux, et ce n’est qu’aux plus dignes
Que l’on doit de l’honneur prodiguer les insignes.
...

 

 

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FIN

NOTES DE LA SATIRE XVI.

 

(01) Bardaicus, c’est-à-dire, Bardacucullo indutus, espèce de cape dont se servaient les soldats illyriens ou gaulois, lorsqu’ils étaient en sentinelles.

(02) Cette faculté de disposer de leurs biens fut accordée aux soldats, pour la première fois, par Jules César, et confirmée ensuite successivement par Titus, Domitien, Nerva et Trajan.