P
PROPERCE
ÉLÉGIES DE PROPERCE
LIVRE II
ÉLÉGIE I.
A MÉCÈNE.
ON demande pourquoi j'ai si souvent chanté les amours, et pourquoi mes écrits ne respirent que la mollesse ? C'est qu'Apollon ni Calliope ne m'ont jamais dicté mes vers ; c'est que mon talent n'est que mon amour pour Cynthie. Si je la vois s'avancer brillante sous les étoffes de Cos, je consacre un volume entier à leur magnificence. Si j'aperçois sa chevelure errer au hasard sur son front, je veux célébrer ce désordre, et qu'elle en soit fière. Frappe-t-elle de ses doigts d'ivoire les cordes d'une lyre, j'admire comme elle plie facilement à l'art son jeu léger. Un sommeil désiré ferme-t-il ses paupières, je trouve aussitôt mille sujets pour des chants nouveaux. Vient-elle enfin, demi-vêtue, me disputer un dernier vêtement, je compose à mon tour une longue Iliade.
Oui, quelque chose qu'elle fasse ou qu'elle dise, un rien
fournit matière à tout un poème.
Si les destins, Mécène, m'avaient accordé assez de génie pour peindre à
grands traits les combats des héros, je ne chanterais ni les Titans, qui
entassaient l'Ossa sur l'Olympe pour que le Pélion touchât le ciel, ni les
anciennes guerres de Thèbes, ni Pergame, illustrée par Homère, ni Xerxès,
qui réunissait deux mers par sa volonté, ni le berceau de Rome, ou la fierté
de Carthage, ou les menaces des Cimbres et les trophées de Marius ; je
rappellerais les exploits et l'empire de ton Auguste, et tu serais après lui
le sujet ordinaire de mes chants. En effet, quand je dirais les guerres
civiles de Modène et de Philippes, ou les victoires remportées, dans les
mers de Sicile, sur un ennemi en fuite, ou la ruine des foyers antiques dont
s'enorgueillissait l'Étrurie ; quand je célébrerais la conquête du Phare,
orgueil des Ptolémées, ou l'humiliation du Nil, dont les eaux captives
coulaient languissamment dans leurs sept canaux au milieu des murs de Rome,
ou enfin les rois qui s'avançaient courbés sous nos chaînes d'or, et les
trophées d'Actium qui couvraient au loin la voie Sacrée : ma Muse
t'associerait toujours à ces glorieux triomphes, toi, le fidèle ami
d'Auguste et dans la guerre et dans la paix. Ainsi Thésée, dans les enfers,
et Achille, chez les dieux, n'oublient point encore leur amitié pour
Patrocle et pour Pirithoüs.
Mais Callimaque n'eût jamais entonné avec si peu d'haleine les guerres de Jupiter et des Géants, et mon génie ne saurait placer le nom de César, par des chants majestueux, au milieu des noms glorieux de son antique famille. Le pilote parle des vents et le laboureur de ses taureaux ; le soldat compte ses blessures, et le berger ses brebis ; pour moi, je livre, sur une couche étroite, des combats pleins de charmes. Que chacun, à mon exemple, consacre ses jours à la carrière pour laquelle il est né ! Ma gloire, c'est de mourir dans mon amour, ou, s'il en est une autre, c'est de pouvoir triompher par ma constance : mais qu'aucun rival, ô ma Cynthie, ne m'enlève ta conquête ! Souvent, si je l'ai bien compris, tu accusais l'inconstance des femmes ; Hélène infidèle ternissait à tes yeux l'Iliade entière.
Quand je devrais approcher de tues lèvres les philtres amoureux que Phèdre préparait en vain pour son Hippolyte ; quand je devrais périr par les breuvages de Circé, ou que Médée recommencerait pour moi les enchante-mens d'Iolcos ; puisque Cynthie a captivé seule tous mes sens, de sa demeure partira un jour mon cortège funèbre. L'homme n'a point de douleurs qui ne le cèdent enfin à l'art ; mais l'amour seul repousse la main qui veut le guérir. Machaon ferma la plaie cruelle de Philoctète ; Chiron, fils de Phillyre, rendit la vie à Phénix ; le dieu d'Épidaure, à l'aide des simples de la Crète, arracha Androgée au trépas, et le ramena au foyer paternel ; Télèphe, frappé aux bords troyens par la lance d'Achille, sentit sa blessure soulagée par le fer même qui l'avait faite : mais si l'on pouvait m'ôter le mal qui me consume, on fixerait aussi dans les mains de Tantale les fruits qui lui échappent toujours ; on remplirait le tonneau des Danaïdes, et l'urne pesante ne chargerait plus sans cesse leurs jeunes épaules ; on détacherait des cimes du Caucase l'infortuné Prométhée, et l'on éloignerait de son coeur le cruel vautour qui le ronge.
Aussi, quand les destins me redemanderont mes jours, et qu'il ne restera de moi qu'un nom sur un marbre fragile, ô toi, l'espoir de ma jeunesse ; toi, Mécène, qui attaches à ma vie, qui attacheras à mon trépas et tant d'envie et tant de gloire, si le hasard te conduit un jour auprès de mon tombeau, arrête un instant ton char magnifique, et jette à ma cendre muette quelques pleurs, et ces mots : L'infortuné ! son destin fut d’aimer, hélas ! et sans retour !
ÉLÉGIE II.
ÉLOGE DE CYNTHIE.
J'ÉTAIS libre, et je voulais vivre sans amante ; car l'amour échappait à mes regards sous une tranquillité trompeuse. Pourquoi tant de beauté se trouve-t-elle encore sur la terre ? O Jupiter, je comprends aujourd'hui tes faiblesses. Voyez cette blonde chevelure, ces doigts effilés, cette taille, ce port majestueux que ne désavouerait pas Junon. Ainsi marche Pallas, quand elle couvre sa poitrine, comme à Dulichium, des serpents affreux de la Gorgone. Telle parut encore Ischomaque, quand les Centaures, séduits par ses charmes, l'enlevèrent au milieu des festins à sa mère tremblante ; ou telle, sur les rives de Bébéide, Proserpine, encore vierge, abandonna pour la première fois ses jeunes attraits à Mercure. Cédez la palme à Cynthie, déesses que Pâris vit autrefois sans voiles sur les sommets de l'Ida. Que la vieillesse épargne seulement tant de beauté, quand même Cynthie devrait vivre autant que la sibylle de Cumes !
ÉLÉGIE III.
SUR CYNTHIE.
Tu disais, me répète-t-on, que rien désormais ne saurait te nuire : te voilà pris, et ton orgueil est tombé. A peine si tu as pu demeurer un mois tranquille ; voici déjà d'autres vers qui dévouent ton nom à l'infamie.
Je cherchais si le poisson pouvait vivre à sec sur le rivage, et le sanglier farouche au fond des eaux, ou si je pourrais me livrer à des goûts plus sérieux. On se distrait, mais l'on n'arrache jamais l'amour de son coeur.
Ce n'est pas seulement la beauté de Cynthie qui m'a séduit, quoique son teint puisse le disputer aux lis en blancheur, et qu'il rappelle la pourpre d'Espagne mêlée aux neiges de Scythie, ou la feuille de rose sur le lait le plus pur ; ce ne sont pas les cheveux qui flottent au hasard sur un cou d'albâtre, ni ces yeux, brillantes étoiles que je prends pour guides, ni les riches vêtements que l'Arabie envoie à nos belles ; il faut, pour me charmer, des avantages moins vulgaires. Comme elle danse, au sortir du festin, avec plus de grâce qu'Ariadne quand elle conduit les choeurs des Bacchantes ! comme son archet le dispute à la lyre des Muses, lorsqu'elle essaie de savants accords sur le luth harmonieux d'Éolie ! Ses écrits l'emportent en grâce sur ceux de Corinne elle-même, et la célèbre Erynna n'oserait rivaliser avec elle de poésie. Ne faut-il pas, ma Cynthie, que l'Amour ait marqué des plus doux présages les premiers jours de ta vie ? Ces dons célestes, tu ne les dois qu'aux dieux ; ne va pas en faire hommage à ta mère. Non, non, les mortels ne sauraient donner de tels trésors, et neuf mois de travail n'engendreraient jamais ces qualités précieuses. Tu es née pour devenir l'orgueil des dames romaines, et pour partager la première la couche du maître des dieux. De tels attraits n'ont point été créés pour les seuls mortels ; car jamais la terre n'a vu, depuis Hélène, une beauté aussi parfaite. Comment s'étonner ensuite que la jeunesse romaine brûle tout entière pour elle ? Ta gloire, Ilion, serait plus belle encore, si tu étais tombée pour Cynthie.
Je m'étonnais autrefois qu'une femme eût pu causer entre l'Europe et l'Asie une guerre aussi funeste. Mais aujourd'hui, Pâris, Ménélas, je vous regarde comme sages ; toi, de réclamer Hélène, et toi, de la refuser. Oui, tant de beauté méritait bien qu'Achille succombât pour elle ; oui, même aux yeux de Priam, jamais guerre ne fut plus légitime.
S'il est un peintre qui veuille effacer tous les chefs-d'oeuvre anciens, qu'il prenne ma Cynthie pour son modèle ; qu'il la montre aux peuples du Couchant ou de l'Aurore, et les peuples de l'Aurore ou du Couchant s'enflammeront à sa vue. Puissé-je au moins rester toujours dans ses chaînes ; ou que je périsse au comble des maux, si j'écoutais jamais quelque antre amour !
Le taureau refuse d'abord le joug ; mais bientôt il s'y accoutume, et conduit avec patience la charrue dans nos sillons : ainsi le jeune homme repousse d'abord avec fierté l'Amour ; mais bientôt le dieu triomphe et le plie à tous ses caprices. Le devin Mélampe se vit chargé d'indignes fers, lorsqu'il fut honteusement surpris à dérober les troupeaux d'Iphiclus ; l'amour du gain ne l'entraînait point au larcin, mais plutôt la beauté célèbre de Péro, que devait épouser un an après l'heureux Bias, son frère.
ÉLÉGIE IV.
AVANT d'obtenir les faveurs d'une maîtresse, il faut se plaindre de mille caprices, demander souvent, se voir souvent repoussé, ronger de ses dents des ongles bien innocents de nos peines, et, dans son courroux, frapper mille fois la terre d'un pied incertain. Je prodiguais inutilement les parfums à ma chevelure, et je m'approchais en vain d'un pas suspendu par le respect. Ni les philtres, ni les enchantements nocturnes de Médée, ni les breuvages que préparerait Périmédé elle-même, ne peuvent rien contre l'amour. C'est un mal dont nous ne connaissons ni la cause ni les symptômes ; nous sentons les coups qu'il nous porte, mais sans voir par où il nous frappe. L'art des médecins devient inutile. Le duvet ne soulage point le malade ; les intempéries et le grand air ne peuvent lui nuire : il se promène, et tout à coup ses amis étonnés apprennent son trépas. Ainsi l'amour, et tel est son caractère, ne frappe que des coups imprévus. Qui le sait comme moi ? De quel devin aux trompeuses promesses n'ai-je pas été tributaire ? Quelle vieille magicienne n'a pas commenté plus de dix fois mes songes ? Je souhaite à mon ennemi, si j'en ai, qu'il aime une maîtresse ; à mon ami, l'amour d'un jeune garçon. Une barque vogue en sûreté sur un fleuve tranquille ; et que pourrait l'eau contre elle, quand le rivage est si proche ? Un mot seul change souvent le coeur d'un ami ; une maîtresse dépose à peine ses rigueurs, quand elle voit le sang couler à longs flots.
ÉLÉGIE V.
A CYNTHIE.
IL est donc vrai, Cynthie ; tes amours sont la fable de Rome, et tes nombreuses perfidies ne sont plus un mystère. Devais-je m'attendre à ton parjure ? Mais je t'en punirai, cruelle, et le même zéphyr dissipera aussi mes serments. Peut-être, parmi tant de beautés trompeuses, en trouverai-je une qui consente à devenir célèbre par mes chants, qui ne m'insulte pas chaque jour par ses rigueurs, et qui te pique : alors tu pleureras, mais trop lard, un amour longtemps dédaigné.
Fuyons : voici l'instant propice, et ma colère est dans toute sa force ; l'amour reviendrait encore, je le crains, si ma douleur se calmait. Les flots de l'Adriatique obéissent moins souvent au caprice de l'aquilon, ou les sombres nuages au vent du midi qui les chasse, qu'un amant en courroux ne change au moindre mot de son amante. Secouons un joug odieux, taudis qu'il en est temps : il m'en coûtera sans doute, mais pour une seule nuit ; les maux que cause l'amour deviennent légers, quand on résiste à la première atteinte. Ah ! Cynthie, je t'en conjure au nom des droits sacrés de Junon, prends garde qu'une erreur ne te nuise à toi-même. Le taureau frappe son ennemi de ses cornes menaçantes ; mais quelquefois aussi la brebis timide se révolte contre la main qui la blesse. Malgré ton parjure, je n'irai pas déchirer tes vêtements, briser tes portes dans ma colère, saisir, dans mon désespoir, tes boucles gracieuses, et te meurtrir enfin dans une dure étreinte ; ces honteuses violences ne conviennent qu'à l'amant grossier, dont le lierre ne ceignit jamais la tête. Pour moi, je ne veux qu'écrire ces mots, que ta vie entière n'effacera pas : «Cynthie fut belle, mais Cynthie fut volage ; » et, crois-moi, bien que tu méprises de vains murmures, tu pâliras, Cynthie, en lisant ma vengeance.
ÉLÉGIE VI.
A CYNTHIE.
LAÏS, à Corinthe, voyait sa maison pleine d'amants, et la Grèce entière à ses portes ; Thaïs, que célébra Ménandre, s'applaudit autrefois, à Athènes, d'un nombreux cortège d'adorateurs qui papillonnait autour d'elle ; Phryné, qui put relever Thèbes de ses ruines, dut aux amants qu'elle accueillit ces éclatantes richesses : mais toi, Cynthie, mille, fois plus coquette, souvent encore tu te donnes de prétendus parents, qui viennent, sous ce titre, te prodiguer leurs caresses. Hélas ! un portrait, un nom, l'enfant au berceau qui parle à peine, suffit cependant pour m'alarmer. Ta mère, si elle réitère ses baisers ; ta soeur, l'amie qui partage ta couche, tout me porte ombrage. Pardonne une jalousie que je déplore ; infortuné ! je crois voir un homme près de toi jusque sous les vêtements d'une femme.
L'amour ! voilà ce qui causa jadis bien des combats. Ce fut l'étincelle qui réduisit Troie en cendres, ce fut l'instinct farouche qui poussa les Centaures à briser leurs coupes et à s'élancer contre Pirithoüs. Mais pourquoi emprunter aux Grecs des exemples ? C'est toi que j'accuse, Romulus, toi à qui une louve fit sucer la férocité avec le lait. Tu enlevas impunément les chastes Sabines, et aujourd'hui l'amour justifie de ton nom les excès qui le déshonorent. Que j'envie, hélas ! la fidèle épouse d'Admète, et la chaste Pénélope, et la femme qui trouve le bonheur auprès de son époux !
A quoi servent ces temples élevés à la Pudeur, si la vierge seule y sacrifie, si l'épouse peut rejeter à son gré toute contrainte ? Qu'elle est coupable, la main qui peignit la première des tableaux obscènes et qui souilla par de honteux sujets la chasteté de nos demeures ! Chaque jour elle corrompt l'innocence en parlant aux yeux, et elle lui enseigne avec orgueil tous ses vices. Qu'il périsse à jamais, hélas ! celui qui reproduisit avec tant d'art ces charmants débats que l'amant ensevelit avec ivresse dans un silence éternel ! Nos pères, autrefois, ne décoraient point leurs demeures de ces peintures licencieuses, et n'affichaient point ainsi le vice sur leurs lambris. Pourquoi s'étonner encore si l'araignée voile de son réseau les autels de nos dieux, et si l'herbe tapisse à notre honte leurs temples abandonnés ?
Au milieu d'une corruption aussi profonde, est-il un gardien, ô ma Cynthie, qui me réponde de ta constance ? une porte qu'un rival odieux ne puisse franchir ? Il n'est point de verrous qui protègent une femme malgré elle ; la honte du vice, ô ma Cynthie, est la sauvegarde unique de sa vertu.
Pour moi, ni épouse ni maîtresse ne m'arracheront jamais à tes chaînes ; toi seule, tu seras toujours et mon épouse et mon amante.
ÉLÉGIE VII.
A CYNTHIE.
ELLE est donc abrogée, cette loi qui causa longtemps nos pleurs ! et ta joie fut grande, sans doute, ô ma Cynthie ! Nous redoutions une séparation cruelle, comme si Jupiter lui-même pouvait désunir sans leur aveu deux coeurs qui se chérissent.
César est grand, mais à la tête de ses armées, et les trophées des peuples qu'il a vaincus ne peuvent rien sur l'amour. Pour moi, j'aimerais mieux périr du dernier supplice, que d'étouffer d'aussi beaux feux dans les embrassements d'une épouse. Quoi ! je passerais devant ta porte qui serait fermée désormais à l'époux d'une autre ! je regarderais d'un oeil humide le bien que j'ai perdu ! Et toi, ma Cynthie, comme les chants d'hymen troubleraient ton sommeil ! Ils seraient plus tristes, hélas ! que les sons de la trompette funéraire ? Que m'importe de donner des fils aux triomphes de la patrie ? Jamais guerrier ne sortira de ma famille. Mais que les dames romaines paraissent au milieu des camps, et le cheval de Castor ne volerait plus avec assez de rapidité pour moi. Si j'ai un nom, c'est de ton amour qu'il tire toute sa gloire ; c'est par toi qu'il est connu dans les climats glacés que baigne le Borysthène. Toi seule me plais ; que je possède seul la tendresse, et cet amour mutuel sera pour moi plus que toute une famille.
ÉLÉGIE VIII.
A SON AMI.
ON m'enlève une maîtresse que j'adore depuis longtemps, et cependant, ami, tu me défends les regrets et les larmes ! Prends garde ; les inimitiés les plus cruelles sont causées par l'amour. Arrache-moi la vie, si tu le veux : je pardonnerais plutôt tant de fureur.
Quoi ! je la verrais d'un oeil tranquille dans les bras d'un autre ! On ne l'appellerait plus mon amante, elle que je possédais naguère avec tant d'orgueil ! Tout change, hélas ! L’amour peut donc changer. Être vainqueur ou vaincu, telles sont ses chances cruelles. Ainsi d'illustres généraux ou des rois puissants ont tombé ! ainsi Thèbes n'est plus, et l'on cherche les traces de la superbe Ilion ! Que, de présents, que de vers n'ai-je pas prodigués pour elle ! et pourtant, l'ingrate ! a-t-elle prononcé une seule fois : Je t'aime ? Insensé que j'étais ! comment ai-je supporté tant d'années et tes rigueurs et les dédains d'e tout ce qui t'approche ? M'as-tu vu un seul instant libre de tes fers ? Ne cesseras-tu jamais d'insulter, par tes discours, à trop de fidélité et de constance ?
Ainsi donc, Properce, tu mourras à la fleur de ton âge ? Eh bien ! meurs, et qu'elle se réjouisse de ton trépas ! qu'elle te poursuive au delà du tombeau ! qu'elle repousse encore ton ombre ! qu'elle insulte à ton bûcher, et foule aux pieds tes cendres ! Mais quoi ! Hémon, à Thèbes, n'est-il pas tombé sur les restes d'Antigone, après s'être plongé dans le coeur sa propre épée ? n'a-t-il pas mêlé sa cendre à celle de l'amante infortunée, sans laquelle il refusait de vivre au sein des palais et des grandeurs ? Non, tu ne m'échapperas pas ; il faut que tu meures avec moi ; le même fer doit épuiser ton sang et le Mien. Si ta mort et la mienne doivent déshonorer un jour mon nom, eh bien ! soit, pourvu que tu meures.
Achille, quand on lui eut enlevé sa captive Briséis, suspendit dans sa tente des armes désormais inutiles. Il voit les Grecs fuir honteusement sur le rivage, leur camp s'enflammer au loin sous les feux d'Hector, Patrocle étendu sur la poussière, pâle, défiguré, les cheveux souillés d'un sang noir ; rien ne l'émeut, tant sa douleur est grande et terrible, quand on lui ravit ce qu'il adore. Mais lorsqu'un repentir tardif lui a ramené sa captive, bientôt il traîne à son char le défenseur intrépide d'Ilion. Pour moi, qui ne possède ni les armes ni le courage d'Achille, faut-il s'étonner que l'Amour triomphe aisément de mon âme ?
ÉLÉGIE IX.
A CYNTHIE.
J'AI souvent obtenu les faveurs qu'il obtient aujourd'hui. Hélas ! peut-être dans une heure sera-t-il chassé à son tour, et un autre possédera ta tendresse.
Pénélope, cette femme qui mérita les hommages de tant d'amants, put vivre pure pendant vingt années, éloigner un nouvel hymen par des travaux simulés en détruisant la nuit les tissus du jour, et vieillir à attendre Ulysse, que cependant elle n'espérait plus revoir. Briséis embrassait le corps inanimé d'Achille, frappait d'une main égarée son sein d'albâtre, lavait en pleurant sur les bords du Simoïs les blessures sanglantes du héros qui l'avait faite captive, souillait de poussière ses beaux cheveux, et soutenait dans ses mains délicates le corps ou les cendres pesantes du maître qu'elle avait aimé ; tandis que Pélée et Thétis abandonnaient les restes de leur fils, que Déidamie pleurait à Scyros son veuvage. La Grèce s'honorait alors d'enfants qui étaient dignes d'elle ; la pudeur régnait en souveraine, même au milieu des camps. Mais toi, parjure amante, tu n'as lm demeurer seule pendant une nuit, ni même l'espace d'un jour ; tu t'es abandonnée au luxe et à l'ivresse des festins ; peut-être, hélas ! ne m'avez-vous pas épargné dans vos propos. Tu recherches maintenant l'homme qui jadis t'abandonna le premier : eh bien ! jouis de sa conquête. Lorsque j'a-dressais aux dieux tant de prières pour ta santé, lorsque ta tête affaiblie s'inclinait déjà vers le Styx, et que tes amis en pleurs entouraient ta couche, où était-il, perfide, et quel sentiment, grands dieux ! agitait alors son âme ?
Que serait-ce, si j'étais retenu sous les armes dans des contrées lointaines, ou si mon navire était arrêté par le calme au milieu de l'Océan ? Mais il vous est facile de nous tromper par vos paroles et par vos ruses ; c'est l'art unique qu'une femme étudie à tous les instants. Les Syrtes voguent à l'aventure au souffle incertain de l'Aquilon, et la feuille tremble sans cesse au vent d'hiver ; mais une femme oublie plus facilement encore ses serments dans son courroux, que la cause en soit grave ou légère.
Puisqu'aujourd'hui tel est ton choix, Cynthie, je me retire. Mais vous, Amours, lancez sur moi, je vous en conjure, vos traits les plus acérés ; percez-moi à l'envi, arrachez-moi des jours odieux ; ma mort sera pour vous le plus glorieux triomphe. J'en atteste les astres de la nuit, la fraîcheur du matin, et cette porte qui s'ouvrit furtivement à mes plaintes, il n'est rien sur la terre que j'aie chéri comme toi, et il en sera toujours de même, quoique tu te déclares mon ennemie. Jamais une maîtresse n'entrera dans ma couche ; j'y demeurerai seul, puisque tu refuses de la partager. Mais si j'ai passé autrefois quelques années dans la justice, que mon rival devienne marbre dans tes bras, malgré la violence de ses feux !
Jadis l'ambition du trône fit tomber dans les combats les princes thébains sous les yeux mêmes de leur mère. Pourquoi ne puis-je combattre en la présence de Cynthie ? Je ne craindrais point la mort, si celui que j'abhorre tombait en même temps sous mes coups.
ÉLÉGIE X.
A AUGUSTE.
IL est temps de faire retentir l'Hélicon par des chants nouveaux, et de m'abandonner à la fougue du noble Pégase. Je veux chanter les combats, et nos guerriers valeureux, et les camps des Romains, et la gloire du chef qui les commande. Si les forces me manquent, on me louera du moins d'avoir osé : car il est grand d'avoir tenté une grande entreprise. Que la jeunesse chante les amours, et l'âge mûr de vaillants combats ! ainsi je célébrerai nos victoires, après avoir célébré ma Cynthie. Je veux marcher aujourd'hui d'un pas sévère et majestueux : car la muse qui m'inspire m'enseigne aujourd'hui d'autres chants. Oublions donc, ô ma lyre, des sons efféminés ; et vous, Muses, rappelez vos forces, car maintenant je réclame vos plus nobles accords.
Déjà l'Euphrate refuse de protéger de ses eaux la cavalerie
des Parthes, et se repent d'avoir arrêté Crassus dans sa retraite. L'Indien
courbe sa tête devant le char triomphal d'Auguste ; l'Arabie, vierge encore
de nos chaînes, tremble aujourd'hui à son nom ; et s'il est aux extrémités
du monde quelque terre qui se soit soustraite à nos lois, bientôt elle se
verra conquise et rangée à son empire. Oui, prince, je suivrai alors tes
drapeaux en chantant tes exploits, et ce sera ma gloire, pourvu que les
destins m'accordent ces beaux jours.
Lorsque, ici-bas, nous ne pouvons atteindre à la tête des dieux, nous
déposons nos couronnes à leurs pieds ainsi, puisque mon génie refuse de
s'élever à des hymnes de gloire, je dépose sur ton modeste autel un encens
de vil prix. Ma muse ignore encore les sources où s'abreuvait le poète d'Ascra
; l'Amour seul l'a guidée jusqu'à pré-sent sur les rives du Permesse.
ÉLÉGIE XI.
A CYNTHIE.
QUE ton nom reste inconnu, ou que d'autres le chantent, qu'importe ? te louer, c'est confier ses richesses à une terre stérile. Ce jour de deuil, qui sera le dernier pour toi, ensevelira, crois-moi, dans le même bûcher, Cynthie et ses rares talents. Le voyageur passera devant tes cendres sans les remarquer, et sans dire : voilà ce qui reste de tant de science et de beauté !
ÉLÉGIE XII.
SUR L'AMOUR.
QUEL que soit l'homme qui ait représenté l'Amour sous les traits d'un enfant, qui n'admirerait point sa main ingénieuse ? Il a vu le premier que les amants vivaient sans prévoyance, et que souvent ils sacrifiaient tout leur avenir à des riens légers. De même, quand il a donné à ce dieu volage le coeur d'un homme et des ailes que le moindre souffle agite, il a senti que nous étions le jouet d'une onde mobile, qu'un souffle nous chassait toujours à son gré. La main du dieu est encore armée de flèches perçantes, et un carquois brillant résonne sur ses épaules ; car l'Amour nous frappe avant que nous soupçonnions la présence de l'ennemi, et personne n'échappe à ses traits sans blessure.
Les flèches de l'Amour et son image enfantine restent dans mon coeur ; mais sans doute hélas ! le dieu a perdu ses ailes, puisqu'il refuse toujours de s'envoler loin de moi, puisqu'il brille mes veines et me livre sans cesse de nouveaux combats. Amour, quel plaisir pour toi d'habiter un corps exténué ? Si tu connais quelque pitié, dirige ailleurs tes flèches. Il vaut mieux verser tes poisons sur de nouvelles victimes : car ce n'est plus moi, c'est une ombre vaine que tu poursuis ; et si tu l'anéantis, qui célébrera ton empire ? Oui, ma faible Muse est cependant une de tes gloires ; c'est pour te plaire qu'elle chante tour-à-tour la tête gracieuse, les doigts charmants, les yeux noirs de Cynthie, et ces pieds dont les mouvements respirent la volupté la plus douce.
ÉLÉGIE XIII.
A CYNTHIE.
L'AMOUR a percé mon coeur de plus nombreuses flèches que Suze n'en vit jamais aux mains de ses guerriers. C'est lui qui sauva de mes dédains une Muse légère, et qui me fit habiter les bosquets de l'Hélicon. Loin de moi cependant de vouloir attirer sur mes pas les chênes devenus sensibles, ou arracher aux vallées de la Thrace les animaux les plus féroces. Que Cynthie applaudisse à mes chants et les admire, et la gloire de Linus n'égalerait point nia renommée. Ce que j'aime dans Cynthie, ce n'est pas tant une beauté parfaite ou d'illustres aïeux, l'orgueil d'une femme ordinaire, que le plaisir de lire mes vers sur le sein d'une maîtresse dont l'oreille pure les sente et les approuve. Si j'ai ce bonheur, que m'importent les applaudissements confits du peuple ? Je n'ai rien à craindre au jugement de Cynthie ; et dès qu'elle prête à mon amour une oreille attentive, je supporterai sans trembler l'inimitié même de Jupiter.
Aussi, quand la mort viendra fermer mes paupières, écoute, Cynthie, comment tu ordonneras mes obsèques. Je ne veux pas que mon cortège soit précédé d'une longue suite d'images ; que la trompette déplore mon trépas par de vains accords ; que l'on prépare à mes restes une litière d'ivoire, ni que l'on déguise la mort sous une magnificence empruntée. Loin de moi cette rangée de bassins d'où les parfums s'exhalent : je ne réclame que le simple convoi du pauvre. Tout mon cortège, ce sera mes trois livres d'élégies, le plus beau don que je puisse offrir à Proserpine. Et toi, Cynthie, tu me suivras le sein nu et ensanglanté ; tu ne cesseras d'appeler ton Properce ; tu déposeras sur mes lèvres glacées un dernier baiser, lorsqu'on versera sur mes restes une coupe pleine des parfums de la Syrie. Dès que la flamme du bûcher n'aura laissé de moi que des cendres, une urne modeste recevra mes mânes ; un laurier, placé sur mon tombeau, couvrira d'un peu d'ombre l'étroite demeure où je repose ; on gravera sur la pierre :
Là repose, froide poussière,
Loin du tombeau de ses aïeux,
Un amant dont la vie entière
Brûla toujours des mêmes feux ;
et cette épitaphe ne donnera pas à mon tombeau moins de célébrité, que n'en donna à celui d'Achille le sacrifice sanglant de Polyxène.
Et toi, si jamais la vieillesse t'amène au terme de la vie,
rappelle-toi ce chemin, et viens reposer près de mes restes, qui se
rappelleront encore notre amour. Prends garde jusque-là d'insulter à mes
mânes par tes dédains ; car la cendre des morts n'en est pas moins sensible.
Oh ! si l'une des trois soeurs m'avait enlevé la vie au milieu des langes du
berceau ! Pourquoi tenir, en effet, à un souffle, dont la durée est si
précaire ? Nestor, après trois siècles, descendit enfin au tombeau. Mais si
quelque Troyen eût abrégé, sous les remparts d'Ilion, cette longue
vieillesse que lui réservait le destin, il n'eût pas vu sur le bûcher le
corps de son Antiloque ; il ne se fût pas écrié : O mort, pourquoi tardes-tu
à venir ?
Toi, cependant, Cynthie, tu répandras parfois quelques larmes sur ton amant ; car on peut aimer sans honte l'homme qui n'existe plus. J'en appelle à Vénus, qui vint, dit-on, pleurer, les cheveux épars, auprès des sources d'Idalie, le trépas du bel Adonis, qu'un sanglier farouche avait frappé lorsqu'il chassait sur la montagne. Mais tu appellerais en vain, ô ma Cynthie, mes mânes silencieux : quelle réponse te ferait une vaine poussière ?
ÉLÉGIE XIV.
IL A TRIOMPHÉ DE CYNTHIE.
NON, Cynthie, ni Agamemnon, au sein de la victoire, quand le superbe empire de Priam s'écroulait devant lui ; ni Ulysse, après dix ans d'erreurs, quand il toucha les rives de son Ithaque chérie ; ni Électre, lorsqu'elle revit son Oreste, dont elle avait cru arroser les ossements de ses larmes ; ni la fille de Minos, lorsque Thésée revint auprès d'elle, après avoir franchi les détours du Labyrinthe au moyen du fil conducteur, n'éprouvèrent de transports aussi vifs que le furent les miens la nuit dernière. Oh ! qu'elle se renouvelle, et je deviens immortel !
Naguère encore je me présentais en suppliant d'un air abattu, et l'on m'estimait moins qu'un lac sans eau. Aujourd'hui elle ne cherche plus à s'armer de fastueuses rigueurs ; elle ne peut plus rester insensible à mes larmes. Oh ! pourquoi ai-je connu si tard la route du bonheur ? aujourd'hui c'est un remède tardif que l'on offre à ma cendre. Elle brillait devant mes pas, cette route désirée ; mais j'étais aveuglé comme tout homme qui s'abandonne imprudemment à l'amour. J'ai senti enfin que les dédains étaient pour l'amant malheureux une heureuse ressource, et que celle qui refusait la veille se rend alors le lendemain. J'entendais mes rivaux frapper à la porte de Cynthie et l'appeler leur reine, tandis que sa tête reposait languissamment auprès de la mienne. Quelle victoire Je la préfère aux lauriers cueillis chez les Parthes. Voilà mes trophées, mes rois captifs, mon char de triomphe ! O Vénus, je déposerai sur tes autels de riches offrandes, et j'y graverai ces vers à côté de mon nom :
Auprès d'elle, Vénus, grâce à tes soins propices,
De mes rivaux heureux vainqueur,
Toute une nuit j'ai goûté le bonheur
Vénus, de mon triomphe accepte les prémices.
Ordonne maintenant, ma bien-aimée, et mon navire sauvé touchera le port, ou fléchira sous le poids au milieu des écueils. Mais si quelque faute causait un jour ma disgrâce, qu'auparavant, Cynthie, je tombe sans vie devant ta porte !
ÉLÉGIE XV.
PROPERCE RACONTE SES PLAISIRS.
O RAVISSEMENT ! Ô nuit voluptueuse ! ô lit mille fois heureux de mes délices ! que de mots échangés à la clarté d'un dernier flambeau, et quels ébats, quand sa lumière eut disparu ! Tantôt elle lutta contre moi le sein découvert, ou elle s'enveloppa contre mes attaques d'un dernier vêtement ; tantôt elle ouvrit d'un baiser mes yeux appesantis par la fatigue et le sommeil, et elle me reprocha ma paresse. Comme nos bras s'entrelaçaient en mille noeuds ! comme mes baisers s'arrêtaient sur ses lèvres ! Mais, hélas ! que l'obscurité corrompt les plaisirs et les jeux de l'amour ! Si tu l'ignores, Cynthie, les yeux sont nos guides dans nos transports. Pâris s'enivra, dit-on, des plus doux feux, lorsqu'il vit Hélène sans voile sortir du lit de Ménélas, et Endymion charma par sa nudité même la chaste Diane, qui vint reposer nue auprès de son amant. Si tu persistes à voiler tes attraits sur ta couche, je déchirerai ce lin odieux, et tu éprouveras mes fureurs ; et même, si la colère m'emporte, tu montreras à ta mère les traces qu'elle laisserait sur tes bras. Livre sans crainte à nos jeux ces globes charmants qui se soutiennent d'eux-mêmes, et laisse une honte déplacée à celle qui fut déjà mère. Que nos yeux s'enivrent d'amour, tandis que les destins le permettent : une nuit éternelle s'approche, et le jour que l'on perd ne reparaîtra plus. Oh ! si tu voulais nous joindre l'un à l'autre par des noeuds qu'aucun jour ne saurait rompre ! Prenons pour exemple ces tourterelles, couple heureux que la tendresse unit.
On croit qu'un amour violent atteint bientôt son terme : quelle erreur ! l'amour, s'il est réel, ne sait jamais finir. La terre trompera le laboureur par ses productions capricieuses ; le Soleil, sur des chevaux noirs, nous ramènera les ténèbres ; l'eau des fleuves voudra remonter vers sa source, et le poisson périra sur le sable aride de l'Océan desséché, avant que je transporte sur un autre objet les feux qui me consument. Mort ou vivant, je veux être à Cynthie. Si elle consentait encore à de semblables nuits, une année de vie serait trop longue ; si elle les prodiguait, je deviendrais immortel clans ses bras ; que dis-je ? il n'en faut qu'une pour élever l'homme au rang des dieux.
Si tous les mortels ne voulaient vivre que pour ai-mer, ou pour se livrer au repos dans une douce ivresse, on ne verrait plus de glaives homicides ni de belliqueux vaisseaux ; les mers d'Actium ne rouleraient point les os de nos guerriers, et Rome, trop souvent ébranlée par ses triomphes mêmes, ne se fatiguerait plus à pleurer sur ses fils. Pour moi, la postérité m'accordera du moins une gloire, c'est que jamais nos festins n'ont offensé un dieu. Seulement, ô ma bien-aimée, n'abandonne point, quand tu le peux, les plaisirs de la vie ! Tu donnerais des millions de baisers, que ce serait peu encore ; car, hélas ! semblable à la feuille qui tombe d'une couronne desséchée et qui surnage au hasard dans nos coupes, l'amant, qui se livre aujourd'hui à toute l'ardeur de son amour, verra dès demain peut-être se fermer devant lui la carrière.
ÉLÉGIE XVI.
A CYNTHIE.
IL est donc revenu des bords illyriens, ô ma Cynthie, ce préteur qui fait ta richesse et mes plus grandes peines ? Que n'a-t-il perdu la vie au milieu des écueils ! Puissant Neptune, que d'offrandes j'eusse déposé à tes pieds ! Aujourd'hui on se livre sans moi à l'ivresse des festins, et ta porte, Cynthie, demeure ouverte, excepté pour moi, pendant la nuit entière ! Eh bien ! si tu es sage, cueille jusqu'au dernier épi la moisson que l'on t'offre ; dépouille à pleines mains la toison de cette brebis stupide, et quand il aura tout perdu, quand il restera pauvre, dis-lui de naviguer encore vers une autre Illyirie. Non, ce n'est point les faisceaux ni de vains honneurs que recherche Cynthie, mais c'est la bourse d'un amant qu'elle pèse. Ah ! du moins, Vénus, viens, propice à mes douleurs, viens arrêter les plaisirs d'un odieux rival par leur excès même.
Il faut donc de l'or, grands dieux, pour acheter l'amour ! et
la beauté s'avilit par un trafic indigne ! Chaque jour on m'envoie arracher
la perle au fond des abîmes, et chercher jusqu'à Tyr les pins précieux
tissus. Et pourquoi les richesses ont-elles pénétré dans Rome ? pourquoi le
chef de l'état n'habite-t-il plus lui-même un palais de chaume ? Alors une
beauté vénale ne céderait point à de vils présents, et l'amante vieillirait
sans changer d'amour.
Je ne t'en veux, Cynthie, ni pour tes parjures, ni pour m'avoir éloigné de
ta couche depuis sept nuits, tandis que tu enlaçais tes bras de neige autour
d'un homme affreux ; mais je regrette que la beauté soit toujours suivie de
l'inconstance. Un barbare souille de ses transports le lit témoin de mes
feux, le trône que j'ai perdu, et où il règne avec ivresse ! Et pourtant
Ériphyle n'a-t-elle point trouvé l'infortune, Créuse les plus cruels
poisons, sous des présents funestes ?
N'est-il donc aucun affront qui puisse sécher mes pleurs ? Ma douleur ne cédera-t-elle jamais aux vices nombreux qui en sont la cause ? Que de jours se sont écoulés sans que j'aie trouvé de consolation ni au théâtre, ni au champ de Mars, ni au commerce des Muses ! Quelle honte pour moi ! oui, quelle honte, si une passion funeste n'était sourde, comme on le dit, à tous les conseils ! Vois ce guerrier, dont les fureurs insensées couvraient naguère les mers d’Actium de soldats réprouvés par les dieux ; un amour infâme le fait abandonner sa flotte et chercher dans sa fuite une retraite jusqu'aux extrémités du monde. Victoire au divin Auguste, mais surtout gloire à lui ! car la main qui sut vaincre a su déposer le glaive.
Ces riches parures, ces émeraudes brillantes, ces topazes aux feux d'or, que je voudrais les voir emportés par l'ouragan rapide, ou tomber en poussière, ou se changer en eau ! Jupiter ne sourit pas toujours d'un front tranquille au parjure des amants ; il ne ferme pas toujours l'oreille à leurs prières. Vois-tu le ciel trembler sous le bruit de la foudre qui s'élance et qui sillonne, en grondant, les espaces ? N'accuse de ses fureurs ni les Pléiades, ni l'orageux Orion, ni une cause aveugle ; c'est Jupiter qui punit la beauté perfide : car lui aussi fut trompé et versa des larmes. Garde-toi donc, ma Cynthie, d'attacher tant de prix à la pourpre de Tyr ou tremble, quand l'horizon nébuleux t'annoncera l'orage.
ÉLÉGIE XVII.
IL EST ÉCONDUIT.
PROMETTRE Une nuit, manquer à ses promesses et se jouer ainsi d'un amant, oui, c'est tremper ses mains à plaisir dans le meurtre. Voilà mon refrain éternel, quand je suis dédaigné, quand je me roule aux deux bords de ma couche, et que je passe loin d'elle des nuits amères. Qu'on soit touché du sort de Tantale, qui voit une eau trompeuse échapper, au milieu même d'un fleuve, à soit gosier desséché, ou qu'on admire, si l'on veut, Sisyphe, qui roule péniblement au haut de la montagne son énorme rocher : il n'est rien ici-bas de comparable au sort funeste d'un amant, rien qu'on doive redouter plus, si l'on est sage. Naguère encore on citait mon bonheur avec admiration et avec envie ; et maintenant, sur dix, on m'accorde à peine un seul jour. Eh bien ! cruelle, faut-il me précipiter à tes yeux dans un abîme, ou saisir de ma main une coupe empoisonnée ? car, hélas ! je puis à peine reposer à ta porte, malgré la froidure, et t'adresser une plainte à travers ses fentes légères. Loin de moi cependant d'être infidèle à Cynthie. Elle gémira à son tour, quand elle connaîtra ma constance.
ÉLÉGIE XVIII.
A CYNTHIE.
DES plaintes continuelles engendrèrent plus d'une fois la haine, et souvent une femme s'apaise par notre silence. Aussi n'en croyons pas nos yeux sur ce qu'ils ont pu voir ; ayons, sans nous plaindre, les plus justes sujets de plaintes.
Mais quoi ! si mes cheveux blanchissent déjà par l'âge, et que mes joues soient sillonnées par d'affreuses rides ? L'Aurore ne méprisa point la vieillesse de Tithon, et ne l'abandonna point dans son palais d'Orient. Souvent au contraire elle le réchauffa dans ses bras avant même de dételer son char et de baigner ses coursiers fatigués ; souvent, lorsqu'elle reposait à ses côtés chez les Indiens , elle se plaignit que le jour ramenât si tôt la lumière. En montant sur son char, elle accusa les dieux d'injustice, et ce fut à regret qu'elle prêta au inonde ses feux. Plus elle avait ressenti de douleur à la mort de Memnon, plus elle éprouvait de joie à vivre auprès de son vieux père. Malgré sa jeunesse éternelle, elle reposait sans peine aux côtés du vieillard, et elle couvrait ses cheveux blancs de mille caresses. Moi, je suis jeune, et tu me hais, perfide ! et cependant, déjà sur le retour, tu seras bientôt courbée par l'âge. Ah ! du moins calmons nos peines, puisque souvent l'amour prodigue son amertume après un long bonheur.
Pourquoi imiter follement la ridicule coutume du Breton ? pourquoi t'amuser à teindre tes cheveux d'une couleur étrangère ? Le plus beau visage est celui que donne la nature, et les couleurs du Belge ne siéent nullement sur une tête romaine. Qu'elle soit accablée de mille maux après la mort, celle qui fut assez ridicule pour déguiser sa chevelure ! Toujours, à mes yeux, oui, toujours tu seras belle ; ta beauté me suffit, pourvu que tu écoutes souvent mes voeux. Le blond, d'ailleurs, mérite-t-il donc nos hommages, parce qu'une femme aura couvert ses tempes de cette couleur mensongère ? Tu n'as ni frère ni enfants à qui tu doives plaire ; moi seul je tiens la place d'eux tous. Ne cherche jamais, je t'en conjure, qu'a conserver pure ta couche, et garde-toi de trop orner ton front. Redoute de tristes bruits, que je pourrais croire, hélas ! et que n'arrête aucune distance ni l'obstacle des mers.
ÉLÉGIE XIX.
A CYNTHIE.
C'EST à regret, Cynthie, que je t'ai vue quitter Rome, et cependant, puisque tu t'éloignes, j'aime à te voir habiter les champs. La chasteté y règne. On n'y trouve point de jeune corrupteur qui séduise une femme par ses flatteries. Là jamais tu n'entendras une querelle sous tes fenêtres ; jamais des bruits factieux ne rempliront d'amertume ton sommeil. Tu seras seule, Cynthie ; tu n'apercevras que les montagnes, les troupeaux et le domaine du pauvre laboureur. Là il n'est point de spectacles qui corrompent ton âme, ni de temples, l'occasion de tant de fautes. Chaque jour tu regarderas le taureau labourer la plaine, une main habile tondre la vigne. Quelquefois tu iras brûler un peu d'encens sur un autel rustique ; un chevreau tombera devant ton agreste foyer, et tu fouleras en cadence la terre de ton pied nu : mais que les dieux éloignent de toi les pièges de nos villes ! Pour moi, je chasserai ; car, sans oublier le culte de Vénus, j'aime quelquefois à sacrifier à Diane ; je poursuivrai l'habitant des forêts ; j'attacherai au pin sa dépouille et j'excite-rai l'audace de mes chiens. Cependant, loin de moi le courage d'attaquer un lion furieux ou de m'avancer corps à corps contre un sanglier farouche ! Mon audace, ce sera de saisir à l'affût un lièvre timide, ou de percer un oiseau d'une rapide flèche, près des bois sacrés qu'arrose le majestueux Clitumnus, dans lequel se baigne la blanche génisse. Mais toi, ma vie, chaque fois que tu feras un pas, rappelle-toi que sous peu de jours tu me reverras à tes côtés. La solitude des forêts ne pourra me séduire assez, non plus que le ruisseau qui erre à travers les mousses de la colline, pour que j'oublie de répéter à chaque instant ton nom : mais que personne ne veuille profiter de mon absence pour me nuire !
ÉLÉGIE XX.
A CYNTHIE.
POURQUOI pleurer ? Briséis enlevée à Achille, ni Andromaque
captive, ne versaient point de larmes plus amères. Malheureuse Cynthie !
pourquoi fatiguer les dieux en m'accusant de parjure ? pourquoi te plaindre
de mon inconstance ? Jamais, dans les campagnes d'Athènes, le funeste oiseau
de Minerve n'a fait gémir la nuit de plaintes aussi tristes ; jamais, auprès
des douze tombeaux de ses fils, la fière et malheureuse Niobé n'arrosa
autant le Sipylus de ses larmes. Qu'on entoure mes bras d'une chaîne
d'airain, ou que l'on me plonge dans la sombre demeure de Danaé ; pour voler
vers toi, d ma Cynthie, je saurai briser l'airain le plus dur, ou franchir
les portes de fer. Mon oreille est sourde à ce qu'on peut dire contre toi :
ne doute pas, au moins, de ma constance. J'en jure par les ossements de mon
père et de ma mère, et que leurs mânes me punissent si je deviens parjure :
oui, ma Cynthie, je te resterai fidèle jusqu'au dernier jour ; le même
trépas emportera ceux que l'amour aura toujours unis.
Si je pouvais oublier ton nom et ta beauté, comment oublier aussi les
douceurs de ton esclavage ? Sept fois déjà la lune a parcouru sa route,
depuis que ton nom et le mien s'unissent dans toutes les bouches. Combien de
fois ta porte ne s'est-elle point ouverte pour moi ? combien de fois n'ai-je
point partagé ta couche ? et cependant, ai-je acheté par de riches présents
une de ces nuits heureuses ? Ton amour, oui, ton amour seul a fait tout mon
mérite. Tu m'as aimé toi-même, lorsque tant d'autres t'adoraient : puis-je
oublier de si douces faveurs ? Ah ! plutôt, que les Furies exercent sur moi
leur rage ; qu'Éacus me condamne aux tourments de l'enfer ; qu'il soit un
vautour pour moi parmi les cruels bourreaux de Tityus, ou que je me fatigue,
comme Sisyphe, rouler un rocher énorme ! O Cynthie, ne charge point tes
lettres de suppliantes prières ; mon amour sera toujours le même. Seul
d'entre les amans, et tel fut toujours mon caractère, je n'aime point au
hasard, et ne cesse point d'aimer.
ÉLÉGIE XXI.
A CYNTHIE.
QUE d'affreuses calomnies Panthus t'a écrites sur mou compte ! Que du moins Vénus, pour le punir, lui refuse ses faveurs ! Aujourd'hui mes prédictions te paraissent plus vraies que les chênes de Dodone. Ce favori charmant prend une femme. Il oublie tes nuits délicieuses : quelle honte ! Écoute : il est libre, il chante ; et toi, crédule amante, tu restes muette et abandonnée ! C'est de toi qu'ils parlent maintenant ; le fat prétend que tu le cherchais souvent malgré lui. Périsse l'ingrat qui ne pense à toi que pour se vanter d'un triomphe ! Nouvel époux, il se fait de ton abandon un mérite. Ainsi Jason, trompant Médée qui l'avait accueilli, la chassa pour introduire Créuse dans son palais ; ainsi Calypso fut jouée par Ulysse, et vit son amant déployer, pour la fuir, toutes ses voiles. Apprenez, femmes charmantes, par un tel abandon, à ne point prêter une oreille trop facile, à n'accorder qu'avec discernement vos faveurs. Déjà, Cynthie, tu cherches à Panthus un successeur fidèle. Trompée une première fois, pourquoi ne pas éviter une autre erreur ? En tous lieux, en tous temps, je suis à toi, dans tes douleurs comme dans tes plaisirs.
ÉLÉGIE XXII.
A DÉMOPHOON.
Oui, sage Démophoon, tu m'as vu hier courtiser plusieurs belles, et voilà ce qui me cause à la fois bien des tourments. Partout les rues n'offrent à mes pas que dangers ; les théâtres semblent nés pour ma ruine. Tandis qu'un acteur déploie les gracieux contours d'un bras d'albâtre, ou fait entendre des chants harmonieux ; qu'une femme laisse entrevoir un sein de lis, ou qu'elle laisse errer sur un front pur des cheveux vagabonds qu'une perle de l'Inde arrête au sommet de la tête, mes yeux cherchent aussitôt leur malheur ; et si un regard trop dur me refuse l'espérance, je sens ruisseler sur mes tempes une sueur glacée. Tu demandes, Démophoon, pourquoi je suis si prompt à m'enflammer ? Si tu le demandes, tu ne connais donc pas l'amour ? Pourquoi cet autre se déchire-t-il les bras avec le couteau sacré ? pourquoi s'est-il follement mutilé au son d'une lyre phrygienne ? La nature a donné à tout homme un faible, et mon lot, c'est d'aimer toujours. Dussé-je éprouver le sort de l'infortuné Thamyras, non, homme jaloux de mes plaisirs, je ne serai jamais aveugle pour la beauté.
Mais peut-être mon corps te paraît-il frêle et fatigué ; comme si c'était une fatigue de servir l'Amour. Demande si maintes fois une belle ne m'a point vu empressé auprès d'elle pendant une nuit entière. Jupiter avait reposé deux nuits aux côtés d'Alcmène, et le ciel fut deux nuits sans monarque : son bras fut-il ensuite moins fort pour lancer la foudre ? Jamais l'amour ne détruit lui-même ses fores. Eh quoi ! Achille, en sortant des bras de Briséis, ne mettait-il pas en fuite les bataillons troyens ? Quand le farouche Hector abandonnait la couche d'Andromaque, les mille vaisseaux des Grecs en redoutaient-ils moins ses coups ? L'un et l'autre incendiaient les flottes ou renversaient les murailles : moi, je suis en amour un Achille, un Hector.
Vois-tu comme Phébus et Diane se succèdent tour-à-tour au ciel ? c'est ainsi qu'une seule belle ne saurait me suffire. Qu'une autre me tienne avec ivresse et me réchauffe dans ses bras, si l'une dédaigne un jour mes voeux ; ou si l'imprudence d'un valet a pu t'irriter contre moi, qu'elle sache qu'une rivale est disposée à recevoir mes hommages. Deux ancres retiennent mieux le navire, et l'amour maternel se repose avec moins d'inquiétude sur deux fils. Qu'une femme refuse, si mes voeux lui déplaisent, ou qu'elle vienne, si elle les agrée. A quoi servent de vaines promesses sans réalité ? Oui, de tous les chagrins, le plus amer pour un amant, c'est de voir sa maîtresse tromper, par un refus boudeur, sa juste attente. Alors que de soupirs dans sa couche solitaire, surtout lorsqu’il la croit aux bras d'un nouveau rival ! Comme il fatigue son valet, en lui demandant mille fois la même réponse ! Le malheureux ! il craint de connaître, et cependant il multiplie les recherches.
ÉLÉGIE XXIII.
SUR LES FEMMES.
Moi qui devais fuir les routes battues par un ignorant vulgaire, je trouve douce aujourd'hui l'eau fangeuse du marais ! Faut-il qu'un homme bien né comble de présents l'esclave d'autrui, pour qu'il rapporte à sa maîtresse des paroles d'amour ? faut-il demander si souvent quel portique lui servira de retraite, et de quel côté elle tournera ses pas ? Quand on a supporté tous ces travaux d'Hercule, dont parle la fable, elle écrit enfin ; mais quel avantage en retire-t-on ? De pouvoir contempler les traits d'un farouche gardien, d'être surpris et de chercher retraite dans les lieux les plus vils. Que c'est acheter cher une nuit de bonheur dans une année entière ! Malheur à qui aime frapper à une porte fermée !
Combien je préfère cette femme qui s'avance d'un pas dégagé en rejetant son voile, et sans être entourée de gardiens qu'elle redoute ! Son pied, il est vrai, foule souvent les boues de la voie Sacrée : mais qui veut l'aborder ne trouve point d'obstacle ; mais elle ne promène pas un amant ; mais elle ne demande pas ce qu'un père économe verra dissiper avec tant de regret. Jamais elle ne dira : «Que je suis inquiète ! Pars, hâte-toi, je t'en conjure. Malheureuse ! mon mari revient aujourd'hui de la campagne.» Je suis à vous, filles de l'Euphrate et de Syrie : désormais je dédaigne les larcins d'une chaste couche. Captivez-moi, puisqu'il n'est point de liberté pour les amants ; vouloir aimer, c'est renoncer à être libre.
ÉLÉGIE XXIV.
A LUI-MÊME.
QUEL langage pour toi, qu'un livre d'amour a déjà rendu célèbre, et dont les vers à Cynthie sont récités de toutes parts dans la place publique ! Qui ne sentirait à ces paroles son front ruisseler de sueur ? On tait par déférence un amour honnête, et par honte un amour criminel.
Si l'inhumaine Cynthie se montrait sensible à mes voeux, on ne m'appellerait point l'apôtre du libertinage ; mon nom ne serait point la fable et le scandale de Rome entière ; et, brûlé des feux les plus vifs, je sauverais du moins les apparences. Mais qu'on ne s'étonne plus, si je donne dans un amour vulgaire ; il déshonore moins : cette raison n'est-elle d'aucun poids ? Cynthie me demandait ou l'éventail superbe que forme la dépouille du paon, ou ces globes légers qui entretiennent une douce fraîcheur, ou, malgré mon courroux, des dés d'ivoire et toutes ces futilités qui brillent sur la voie Sacrée. Que je meure, si je suis sensible à l'avarice ! mais j'ai honte d'être ainsi le jouet continuel d'une maîtresse parjure. Voilà donc, Cynthie, les plaisirs que tu me promettais ! Pourquoi tant d'inconstance avec tant de beauté ? A peine as-tu accordé une ou deux nuits à mon amour, et déjà je suis un fardeau pour ta couche. Naguère tu me louais encore, et tu lisais mes vers : faut-il que ton amour se soit envolé si tôt d'une aile rapide !
Qu'il vienne, ce rival, qu'il vienne le disputer de talents et de génie ; qu'il vienne apprendre surtout la constance ? Ordonne-lui à ton gré d'affronter l'hydre de Lerne, de t'apporter les pommes d'Hespérie, malgré le dragon qui les garde, de boire sans pâlir un noir poison, ou de se rire du naufrage, sans t'accuser jamais de ses infortunes. Ah ! que n'éprouves-tu ma constance par ces travaux, ô ma Cynthie ! Mais ce rival si fier, tu pourrais l'accuser bientôt de lâcheté, lui qui me dérobe aujourd'hui, par ses serments, des faveurs qui l'enorgueillissent. Oui, encore un an, et vous aurez rompu sans retour. Rien, au contraire, ne pourra nie changer, ni les années de la Sibylle, ni les travaux d'Hercule, ni même le plus cruel trépas. Tu recueilleras mes cendres, et tu diras : Voilà donc, Properce, ce qui me reste de toi ! Tu me fus toujours fidèle, hélas ! oui, tu me fus fidèle, et tu n'avais ni d'illustres aïeux, ni de riches trésors. Je puis tout souffrir, et ton inconstance elle-même ne me change pas. Est-il si difficile de supporter les caprices de la beauté ? Je sais qu'elle a fait le malheur de bien des héros ; je le sais : mais combien d'entre eux furent infidèles ! Thésée et Démophoon n'aimèrent que peu de temps, le premier la fille de Minos, le second la belle Phyllis, et tous deux récompensèrent le plus tendre accueil par une affreuse perfidie. Tu connais encore Médée, qui préféra à sa patrie le vaisseau de Jason, et qui fut bientôt abandonnée par l'homme dont elle sauva les jours. Mais, hélas ! Cynthie, il n'en est pas moins cruel d'encourager plusieurs amants par de feintes ardeurs, et de se prêter tour-à-tour à leurs feux. Ne me préfère donc ni la naissance, ni les richesses : car est-il un seul de mes rivaux qui recueille un jour tes cendres ? Je le ferai pour eux tous, ô ma Cynthie ; ou plutôt que ce soit toi, grands dieux ! qui viennes pleurer sur mes restes, les vêtements en désordre et les cheveux épars !
ÉLÉGIE XXV.
A CYNTHIE, SUR SA PERFIDIE.
VIENS donc souvent, unique et charmant objet de mes soucis, puisque ma destinée m'exclut ainsi de ta demeure. Catulle, Calvus, souffrez que dans mes vers j'élève alors au dessus de toutes les femmes la beauté de Cynthie.
Le soldat chargé d'années quitte les armes et se livre au repos ; le taureau refuse dans sa vieillesse de conduire encore la charrue ; le vaisseau fatigué tombe en poussière sur le rivage, et le bouclier usé par les combats demeure oisif aux lambris de nos temples : mais quand je vivrais autant que le vieux Tithon ou que Nestor, jamais la vieillesse ne pourrait m'arracher à ton amour. Sans doute, hélas ! il eut mieux valu porter les fers du plus cruel tyran, gémir dans l'affreux taureau de Périllus, sentir un froid mortel dans ses veines à l'aspect de Méduse, ou dans ses flancs déchirés tous les vautours du Caucase. Cependant je demeurerai fidèle ; et si la rouille peut ronger sourdement l'acier homicide, ou une goutte d'eau miner le rocher, rien, pas même les rigueurs et les injustes menaces qu'il supporte, n'affaiblira l'amour qui vit au fond de mon coeur. On le dédaigne, et il supplie ; on le blesse, et il s'accuse, et souvent il revient encore malgré lui-même. Toi aussi, crédule amant, qui t'enivres d'orgueil au comble de tes voeux, prends garde : jamais une femme ne se pique longtemps de constance. Qui accomplit son voeu au milieu de la tempête, quand le navire brisé lait souvent naufrage dans le port ? qui demande jamais le prix de la course, avant d'avoir effleuré sept fois la borne de son essieu rapide ? Le zéphyr, en amour, ne nous flatte un instant que pour mieux nous tromper, et la chute, pour être tardive, n'en devient que plus terrible. Cependant, quoique ton amante se rende aujourd'hui, renferme en silence ta joie au fond de ton coeur. L'indiscrétion, voilà ce qui nuit le plus en amour, voilà ce qui fait naître ordinairement des froideurs dont on recherche en vain la cause. Rappelle-toi encore, quand même elle t'appellerait sans cesse, de ne céder que rarement à ses désirs : ne pas ménager son bonheur, c'est lui assurer une mort prompte. Ah ! si l'on voyait encore de nos jours la chasteté antique, heureux amant, je serais aimé comme toi ; mais ces dédains cruels, je les dois à mon siècle. Toutefois sa corruption ne saurait changer mon âme. Chacun marche sans dévier dans la route qu'il doit parcourir.
Et vous, qui portez tour-à-tour vos hommages à de nombreuses beautés, de quels traits vos yeux ne sont-ils pas déchirés sans cesse ? Tantôt vous voyez une blonde tendre et naïve, tantôt une brune piquante, et l'une et l'autre vous séduisent ; aujourd'hui c'est le majestueux profil d'une Grecque, demain c'est une dame romaine, et chacune d'elles vous captive ; l'une cache ses appas sous la toile, l'autre sous la soie ou sous la pourpre, et toutes deux vous percent également d'une cruelle blessure. Cependant une seule femme, hélas ! peut chasser le sommeil de nos yeux ; une seule suffit pour nous accabler des maux les plus cuisants.
ÉLÉGIE XXVI.
A CYNTHIE.
JE t'ai vue en songe, ô ma tendre amante, au milieu des
débris d'un navire, lutter en vain d'un bras fatigué contre la mer Ionienne.
Tu avouais alors hautement et tes intrigues et tes perfidies. Telle que la
jeune Hellé, lorsque, portée mollement sur le dos du bélier à la toison
d'or, elle fut battue des flots d'azur, tu pouvais élever à peine au dessus
de l'eau ta chevelure appesantie. Que j'ai craint de voir un jour cette mer
porter le nom de ma Cynthie, et le pilote la sillonner en déplorant ton
destin ! Que de voeux n'ai-je point adressés à Neptune, à Castor et à
Pollux, à la divine Leucothoé ! Toi, cependant, tu étendais souvent tes
mains tremblantes à la sur-face de l'abîme, et tu répétais souvent mon nom à
l'approche du trépas. Oh ! si Glaucus eût vu par hasard tes beaux yeux ! tu
serais maintenant une divinité de la mer, et toutes les Néréides, la blanche
Nisée, la brillante Cymothoé, feraient retentir autour de toi leurs jaloux
murmures. Mais tout à coup je vis s'élancer à ton secours un dauphin, le
même sans doute qui reçut jadis Amphion et sa lyre. Et moi, je voulais me
précipiter à mon tour du haut du rocher, lorsque la crainte vint dissiper
enfin mon triste songe. Qu'on admire maintenant qu'avec tant de beauté
Cynthie réponde à mes voeux, et que l'on vante mon crédit dans Rome entière
! J'en conviens, quand on lui offrirait l'empire de Cambyse ou les trésors
de Crésus, jamais elle ne dirait à son poète : « Va, fuis maintenant loin de
ma couche.» Lorsqu'elle récite mes vers, elle déclare au riche une haine
éternelle. Est-il, en effet, une seule femme qui rende à la poésie un culte
plus pur ? La fidélité et la constance ne sont-elles pas tout en amour ? et
l'homme qui peut donner beaucoup n'est-il pas souvent infidèle ?
Si ma Cynthie veut parcourir au loin les mers, je la suivrai : le même vent
enflera nos voiles, le même rivage verra notre repos, le même arbre nous
protégera de son ombre, et nous étancherons notre soif à une même source.
Que je dorme à la proue du navire ou à sa poupe, toujours une même planche
réunira un couple fortuné. Alors je souffrirai tout sans murmure, que l'Eurus
en fureur batte mes voiles, que l'humide Autan les pousse d'un souffle
irrégulier, que je sois en butte aux vents qui tourmentèrent l'infortuné
Ulysse, qui brisèrent contre les rivages de l'Eubée les mille vaisseaux des
Grecs, ou qui ébranlèrent les deux rivages, quand les Argonautes virent une
colombe guider leur vaisseau incertain à travers des mers inconnues. Pourvu
que Cynthie soit toujours présente à mes regards, que Jupiter foudroie, s'il
le veut, mon navire : dénués de tout, nous serons jetés au moins sur le même
rivage ; ou, si les flots m'engloutissent, que la terre du moins recouvre
ton corps d'un peu de sable ! Neptune ne serait point aussi cruel pour tant
d'amour ; Neptune n'est pas plus insensible que Jupiter aux charmes d'une
belle. J'en atteste la jeune Amymone, lorsqu'elle portait dans les champs d'Inachus
une eau devenue rare ; le dieu lui ravit ses faveurs, et, pour accomplir ses
promesses, il fit jaillir de son trident la fontaine de Lerne, et remplit
une seconde fois son urne d'or de l'eau qu'il venait de produire. Dirai-je
que Borée est insensible, après l'enlèvement d'Orithye ; Borée, qui soulève
à son gré la terre et les mers profondes ? Non, et Scylla elle-même
s'adoucirait pour nous, et Charybde ne vomirait plus tour-à-tour et
n'absorberait plus l'onde amère ; les étoiles ne seraient plus obscurcies
par les ténèbres ; Orion et le Bélier répandraient au loin une clarté
propice. S'il me fallait d'ailleurs exhaler sur ton corps mon dernier
soupir, je ne me plaindrais pas aux dieux de mon trépas.
ÉLÉGIE XXVII.
L'HEURE DE LA MORT EST INCERTAINE.
MORTELS, VOUS voulez connaître et l'heure toujours incertaine de la mort, et par quelle route elle viendra vous saisir ; vous cherchez dans un ciel serein quelle étoile vous sera propice, et celle dont l'influence est funeste ; que vous suiviez le Parthe dans ses déserts ou le Breton dans son île, vous demandez aux astres les périls cachés qui vous menacent, sur terre et sur mer ; vous pleurez encore, en vous voyant exposés aux hasards de la guerre, parce qu'on ne peut prévoir l'issue des combats ; vous redoutez l'incendie ou la chute de vos demeures, ou d'approcher de vos lèvres un breuvage empoisonné.
L'amant seul connaît l'instant où il doit périr, et de quelle mort. Lui seul ne redoute point les fureurs de Borée et le cliquetis des armes. Quand même le nocher du Styx serait assis déjà dans sa nacelle ; quand même il verrait s'approcher les voiles funèbres de l'infernale barque, s'il entendait seulement la voix de son amante qui le rappelle, l'inflexible loi du destin ne l'empêcherait point de revenir en arrière.
ÉLÉGIE XXVIII.
A JUPITER.
O JUPITER, prends enfin pitié des maux de Cynthie. Elle est si belle ! Sa mort serait pour toi un crime.
Voici l'époque où l'air est brûlé de mille feux, où la terre se dessèche sous les chaleurs de l'été. Mais n'accusons de ses souffrances ni le Chien brûlant, ni un ciel de feu. Que de fois n'a-t-elle point offensé les dieux par de sacrilèges parjures ! Voilà ce qui te perd, sexe infortuné, voilà ce qui t'a perdu toujours : l'eau ou le Zéphyr emporte, hélas ! au hasard tous les serments d'une femme.
Vénus serait-elle jalouse de ta beauté ? Cette déesse voit
d'un oeil d'envie celles qui sont encore belles auprès d'elle. Ou bien,
Cynthie, aurais-tu méprisé les autels de la fière Junon ? aurais-tu refusé
aux yeux de Pallas de justes éloges ? Fière de quelques attraits, on ne sait
point modérer d'indiscrètes paroles. Eh bien ! voilà le prix de
l'indiscrétion et de la beauté !
Mais ta vie fut assaillie par mille orages : peut-être ton heure dernière
est-elle l'aurore d'un beau jour. Io, à la fleur de ses ans, mugissait sous
une forme étrangère, et se désaltérait aux rives du Nil, qui l'adore
aujourd'hui comme sa déesse. Ino, dans ses premières années, promena sur la
terre ses pas errants, et maintenant le matelot l'invoque sous le nom de
Leucothoé. Andromède, victime dévouée à la fureur des monstres, devint la
noble épouse de Persée. Calisto enfin, qui erra longtemps sous les traits
d'une ourse dans les champs de l'Arcadie, protège aujourd'hui de ses feux la
course nocturne du navire. De même, si le destin voulait hâter pour toi
l'instant du repos, ton trépas même, hélas ! deviendrait un bienfait. Tu
raconterais à Sémélé les dangers d'être belle, et elle en croirait ton récit
; j'en ai pour garant ses infortunes. Tu verrais ces beautés célèbres de
l'Asie et de la Grèce ; et il n'en est aucune qui ne s'empresse à te
proclamer leur reine. Maintenant, supporte avec courage le destin qui te
frappe. Les dieux ne sont pas toujours inflexibles ; chaque jour n'apporte
pas sa douleur ; et Junon elle-même, grand Jupiter, te pardonnerait de la
sauver : car cette déesse fut toujours sensible au trépas d'une femme. Mais
les enchantements eux-mêmes n'ont plus de force. Le cercle magique disparaît
; le laurier ne pétille plus dans le foyer qui s'éteint ; la lune refuse
aujourd'hui d'abandonner encore le ciel, et le noir corbeau nous donne un
funeste présage. Eh bien ! la même barque emportera deux amants, et fera
voile avec eux vers la rive infernale. O Jupiter, si tu n'as pas pitié
d'elle seule, aie pitié, je t'en conjure, de ses jours et des miens ; car je
ne puis vivre qu'avec elle, et je mourrais si elle meurt. Sois sensible à
mes voeux, et je te promets un hymne sacré ; et je répéterai sans cesse : «A
Jupiter seul je dois les jours de ma Cynthie ;» et Cynthie elle-même,
couverte d'un voile et prosternée à tes pieds, redira ses longs dangers avec
reconnaissance.
O Proserpine, tant de clémence convient à ton cœur ; et toi, Pluton, ne sois pas plus cruel que Proserpine. Vous possédez dans les enfers tant de beautés ! souffrez qu'il en reste une seule sur la terre. On compte dans votre empire Iole et Europe, la naïve Tyro et la criminelle Pasiphaë, les noms les plus célèbres d'Ilion et ceux dont se glorifie la Grèce antique, ce que les royaumes de Priam avaient produit de plus parfait, et toutes les femmes romaines qui ont pu obtenir quelque gloire. La flamme avide du bûcher a dévoré tant d'attraits et de grâces ! La beauté, hélas ! ne peut durer toujours, non plus que la fortune : tous, plus tôt ou plus tard, nous devons succomber au trépas. Mais puisque tu échappes à un si grand danger, à toi, ma lumière et ma vie, rends à Diane et à ses nymphes le tribut que tu leur dois. Accorde aussi une nuit de veille à la déesse qui fut génisse avant d'être immortelle, et à ton amant dix nuits de bonheur que tu lui as promises.
ÉLÉGIE XXIX.
A CYNTHIE.
L'AUTRE nuit, au sortir d'une orgie, j'errais à l'aventure, sans être accompagné d'aucun esclave, lorsque je fus environné par une foule d'enfants, dont je ne dirais pas le nombre ; car la frayeur m'empêcha de les compter. Les uns portaient de petites torches ; les autres tenaient des flèches ; quelques-uns paraissaient vouloir me charger de chaînes ; tous étaient nus. «Saisissez-le, s'écrie le plus hardi de la bande. Le reconnaissez-vous ? Le voilà ; c'est celui que nous abandonne Cynthie dans sa colère.» Il dit, et le noeud fatal entoure déjà mon cou. Un autre m'ordonne d'avancer au milieu d'eux. « Qu'il périsse, s'écrie un troisième, qu'il périsse, l'insolent qui refuse de rendre hommage à notre divinité ! Malheureux ! tandis que Cynthie consume à t'attendre des heures entières, tu cours au hasard après quelque autre belle. Ah ! quand tu la verras dénouer les rubans de pourpre qui ornent sa tête, quand elle abaissera sur toi ses yeux appesantis, tu seras enivré d'un parfum que ne donne pas l'Arabie, mais que l'Amour prépare lui-même de ses mains. Cependant, épargnons-le, mes frères ; il nous promet plus de constance, et nous voici à la demeure où nous devions le conduire. » Eu même temps il me jette sur les épaules mon manteau. « Va maintenant, dit-il, et apprends à passer la nuit dans ta demeure.»Le jour venait : je voulus voir si ma Cynthie reposait seule, et je la trouvai seule sur sa couche. Dieux ! quel éclat ! Jamais elle ne m'avait paru si belle, même sous les vêtements les plus somptueux. Vêtue d'une robe modeste, elle allait demander à Vesta si les songes de la nuit ne lui prédisaient aucun malheur, à elle ou à son amant. Qu'elle me parut ravissante au premier instant du réveil ! que de charmes, grands dieux, la beauté n'a-t-elle pas sans fard et sans parure !
«Quoi ! dit-elle, de honteux soupçons t'amèneraient-ils si matin ? Crois-tu que ma conduite ressemble à la vôtre ? Va, je n'ai pas tant de faiblesse. Un seul amant me suffit, toi, ou s'il en est de plus fidèle. Vois si quelques vestiges trahiront mes plaisirs et qu'un autre ait partagé ma couche ; vois si, dans mon maintien, dans mon air, dans ma respiration, quelque signe te dévoilera mon inconstance.» Elle dit ; et, repoussant de sa main mes baisers, elle s'élance d'un pied sur sa chaussure légère. Ainsi chassé du sanctuaire où repose l'amour le plus pur, je n'ai pu obtenir depuis une seule nuit de bonheur.
ÉLÉGIE XXX.
A CYNTHIE.
Ou fuis-tu, insensée ? Va, la fuite est impossible. Quand tu
irais aux rives de la Scythie, l'Amour suivrait partout tes pas. Tu serais
portée à travers les airs sur le rapide Pégase, et tu emprunterais les ailes
de Persée, ou tu attacherais à tes pieds celles de Mercure, que, même dans
les régions les plus hautes, tu ne saurais te soustraire à ton vainqueur.
L'Amour est toujours là ; il plane sans cesse sur la tête de sa victime ; il
pèse de tout son poids sur un coeur né pour la liberté. C'est un gardien
vigilant et infatigable ; il ne souffrira jamais que des yeux qu'il a une
fois asservis se lèvent de terre en sa présence ; et cependant le dieu se
laisse fléchir quand on l'offense, pourvu qu'il voie le coupable implorer
humblement son pardon.
Qu'un vieillard austère accuse, s'il le veut, nos festins : mais n'en
suivons pas moins, ô ma Cynthie, la route que nous nous sommes tracée.
Laissons-le déclamer à loisir nos antiques lois ; et nous, faisons retentir
nos demeures par les accords d'une flûte savante, que Pallas ne devait point
jeter dans les flots limoneux du Méandre, parce qu'elle défigurait, en le
gonflant, les grâces de son beau visage. Mais, hélas ! tu vas donc, toujours
inflexible, raser les mers de la Phrygie, côtoyer les rivages trop connus de
la mer Hyrcanienne, arroser peut-être de ton sang et du mien des pénates qui
nous furent longtemps communs, et rapporter au foyer domestique de funestes
offrandes ? Et j'aurais honte de vivre infidèle à Cynthie ! Si c'est un
crime, qu'elle en accuse l'amour. Je ne veux rien entendre... ou
promets-moi, Cynthie, d'habiter ensemble, au penchant d'une montagne, des
antres frais et tapissés de mousse. Tu verras les neuf Soeurs s'asseoir à
nos côtés sur la pierre, et chanter les doux larcins du maître des dieux ;
tantôt son amour pour Sémélé, tantôt sa flamme ardente pour Io, et comment
il vola sous la figure d'un cygne au milieu des palais antiques d'Ilion.
S'il n'est personne qui ait triomphé des flèches de l'Amour, pourquoi m'accuser seul d'une faute commune ? Ne crains pas non plus que ta présence fasse rougir les chastes déesses. Le choeur des Muses lui-même ignore-t-il l'amour ? L'une d'entre elles ne fut-elle pas surprise au milieu des rochers de la Thrace par le fleuve OEagrus, qui la rendit mère ? Toutes m'admettront avec empressement à leurs danses, que Bacchus dirigera, au milieu d'elles, de son thyrse divin. Alors je souffrirai que le lierre orne mon front de festons sacrés : car mon génie est sans force, si je suis éloigné de Cynthie.
ÉLÉGIE XXXI.
A CYNTHIE.
Tu me demandes pourquoi je me suis fait attendre ? C'est que le divin Auguste vient d'ouvrir le magnifique portique d'Apollon. Tl est soutenu de tous côtés par des colonnes de marbre d'une beauté admirable, et l'on compte au milieu d'elles autant de statues que le vieux Danaüs avait de filles. Là, j'ai vu un dieu en marbre, plus beau qu'Apollon lui-même, accompagner ses chants sur la lyre, et autour de l'autel quatre génisses, ouvrage merveilleux de Myron, auxquelles on donnerait la vie. Au milieu du portique s'élevait, en marbre, le temple, qu'Apollon préfère à Délos, où il reçut le jour. On admirait sur le faîte un char du Soleil en or ; et la double porte, noble dépouille de l'éléphant d'Afrique, qui représentait d'un côté les Gaulois précipités des sommets du Parnasse, de l'autre la mort cruelle de l'infortunée Niobé. Enfin Apollon, revêtu d'une robe traînante, fait retentir ses chants entre sa soeur et sa mère.
ÉLÉGIE XXXII.
A CYNTHIE.
TE voir, c'est faillir ; ne te point voir, c'est échapper à
l'amour : nos yeux sont donc les seuls coupables.
Alors, Cynthie, pourquoi aller consulter à Préneste un oracle incertain ?
pourquoi te rendre dans les murs que bâtit Télégone, fils de Circé ?
pourquoi ton char te porte-t-il souvent au frais Tivoli, ou sur l'antique
route d'Appius ? Ah ! si tu as quelque loisir, reste à Rome, ô ma Cynthie.
La foule me défend de croire à tes serments, quand elle te voit courir, une
torche à la main, au bois sacré d'Aride, pour offrir pieusement un sacrifice
à la chaste Diane. Dédaignerais-tu donc le portique de Pompée, ses colonnes
magnifiques et les précieux tapis qui l'ombragent ? ou ces groupes épais de
platanes qui s'élèvent à l'envi, ou la source qui murmure au pied de la
statue de Virgile, ou la nappe d'eau qui bruit légèrement dans toute la
ville, et que Triton épanche tout à coup de sa bouche ? Mais quelle erreur !
Ces courses continuelles trahissent de furtives amours. Ce n'est point la
ville que tu fuis, insensée ; tu veux échapper à mes regards. Oui, tu
dresses contre moi un piège inutile ; tu m'environnes d'un impuissant filet,
dont je ne connais que trop bien les trames.
Laissons toutefois ce qui me touche. Mais toi, Cynthie, vois ces bruits injurieux à ta vertu, grossir pour ton malheur autant que le méritent tes parjures. Naguère encore de scandaleux récits sont venus jusqu'à mes oreilles, et ont circulé dans toute la ville. Quoi ! diras-tu, dois-tu croire aux poisons de l'envie, et la calomnie n'est-elle pas le privilège de la beauté ? Car, je le sais, on n'a pas surpris dans tes mains le breuvage mortel, et lorsqu'on t'accuse, le soleil rendrait témoignage à ton innocence. D'ailleurs, quand tu aurais consacré une ou deux nuits aux jeux d'un amour parjure, faut-il donc m'affecter d'une infidélité si courte ? Hélène jadis abandonna sa patrie pour suivre un étranger, et revint brillante et honorée au palais de Ménélas. Vénus elle-même, dit-on, céda aux désirs adultères de Mars, et n'en fut pas moins considérée dans l'Olympe. Quoique l'Ida raconte les amours d'Énone pour le berger Pâris, et comment elle oublia près de lui sa divinité ; quoique la troupe des Hamadryades , ses soeurs, et les vieux Silènes, et Bacchus lui-même, eussent été les témoins de leurs caresses, la nymphe n'en cueillit pas moins avec eux, dans les antres de l'Ida, les fruits qu'elle savait recevoir d'une main agile.
Au milieu d'un tel essaim de vices, a-t-on demandé jamais pourquoi, comment et par qui une femme est devenue riche ? Oh ! que Rome serait heureuse de nos jours, si les moeurs ne trouvaient qu'une seule coupable ! Lesbie, avant elle, a tenu la même conduite ; et sans doute il y a moins de crime à suivre un premier exemple. Pour chercher dans Rome et nos vieux Tatius et nos chastes Sabines, il faut n'avoir habité qu'un seul instant cette ville corrompue. Oui, l'homme dessécherait plus facilement les flots de la mer, ou détacherait les astres de la voûte céleste, plutôt qu'il ne détournerait nos belles du vice qui les captive. Il en fut toujours de même, et sous l'empire de Saturne, et lorsqu'au temps de Deucalion les eaux couvrirent l'univers, et dès qu'elles se furent retirées dans leur lit. Citez-moi un nom dont la couche soit demeurée chaste, une déesse qui se soit contentée de l'amour d'un dieu. Ne dit-on pas qu'autrefois l'épouse du sage Minos se laissa séduire par la beauté et la blancheur d'un affreux taureau ? Malgré un triple mur d'airain, la chaste Danaé put-elle refuser quelque chose au grand Jupiter ? Aussi, que tu imites les beautés de la Grèce et de Rome, sois tranquille, Cynthie, je te laisserai toujours vivre à ton gré.
ÉLÉGIE XXXIII.
SUR LES FÊTES D'ISIS.
Voici encore les tristes solennités d'Isis, et ma Cynthie a déjà passé dix nuits loin de moi. Périsse la mémoire de la fille d'Inachus, puisqu'elle a transporté ses sacrifices des rivages tièdes du Nil chez les dames romaines, pour séparer, hélas ! trop souvent deux coeurs malgré leurs feux mutuels ! Oui, quels que soient ses bienfaits, j'en repousse l'amertume. Déesse cruelle, tu n'as que trop connu le prix d'un plaisir acheté par mille peines, lorsque tu écoutas en secret les feux de Jupiter, lorsque Junon chargea ton front virginal de cornes menaçantes, et qu'elle changea ta voix mélodieuse pour le mugissement sourd d'une génisse. Que de fois ta bouche fut blessée par le feuillage qui te servait de nourriture, quand tu restais cachée dans ton étable ! Si Jupiter a dépouillé ta figure de ces traits affreux, fallait-il devenir une divinité fière ? Ne te suffit-il point de l'Égypte et de ses habitants basanés ? Pourquoi venir à Rome de ces contrées lointaines ? pourquoi condamner nos femmes à un repos sans amour ? Ah ! crois-moi, ou tu reprendras tes moeurs avec tes anciens traits, ou bien, déesse cruelle, nous t'exilerons de notre ville. Est-il après tout quelque amitié entre le Nil et le Tibre ? Mais, puisque ta constance est à l'épreuve de mes douleurs, eh bien ! Cynthie, recommençons trois fois ces nuits du plus triste veuvage. Hélas ! tu ne m'écoutes plus ; tu abandonnes au vent mes paroles : et cependant Icare, déjà prêt à disparaître, aiguillonne ses taureaux languissants. Tu bois encore, sans que la nuit, sur son déclin, puisse t'abattre ; sans que ta main se fatigue à lancer continuellement les dés. Ah ! périsse à jamais celui qui pressa le premier une grappe vermeille, et qui versa dans une eau limpide un nectar corrupteur ! Quand le laboureur d'Athènes leva contre toi une main saintement homicide, tu reconnus, Icare, combien les dons de Bacchus sont amers. C'est le vin qui a fait périr le centaure Eurytion ; c'est lui qui perdit Polyphème ; c'est lui qui rend la beauté difforme, qui ôte à la jeunesse ses attraits, qui empêche souvent l'amante de reconnaître son amant.
Mais quoi ! des coupes nombreuses n'altèrent point tes charmes ! Bois donc, Cynthie, puisque tu n'en es que plus belle, puisque le vin n'a sur toi aucun empire. Que j'aime à voir ta guirlande pendre en festons sur ta coupe, à t'entendre alors réciter mes vers d'une voix harmonieuse ! Esclaves, versez-lui à grands flots le doux Falerne, et qu'une mousse pétillante couronne l'or d'un éclat plus gracieux. Toutefois, il n'est aucune femme qui regagne avec plaisir sa couche solitaire ; car l'amour fait germer en elle quelque nouveau désir. L'amant, par son heureuse absence, irrite encore l'ardeur qui la dévore ; trop assidu, il verrait qu'une longue habitude émousse le bonheur.
ÉLÉGIE XXXIV.
AU POÈTE LYNCÉE.
Qui confiera désormais à son ami la beauté d'une amante, quand ma Cynthie m'a presque été enlevée par ta perfidie ? Je le dis, parce que je l'éprouve : il n'est point en amour d'ami fidèle, et rarement on recherche une belle pour un autre que soi-même. L'amour souille les liens du sang, détruit ceux de l'amitié, chasse la concorde, et provoque à des combats funestes. Un hôte adultère n'avait-il pas reçu de Ménélas le plus généreux accueil, et Médée ne suivit-elle pas un héros étranger ?
Mais toi, perfide Lyncée, comment as-tu pu toucher à l'objet de mes soins ? Quoi ! ton bras ne s'est pas refusé à tes emportements ? Si elle eût manqué de fidélité et de constance, tu pourrais vivre encore chargé d'un tel crime ? Tranche plutôt mes jours par le poison ou par le fer, mais respecte les affections de Cynthie.
Oui, je t'abandonne et ma vie et mon corps ; je te laisse disposer de toute ma fortune : mais sa couche, ami, sa couche, voilà le seul bien que je réclame, et je ne pourrais souffrir pour rival Jupiter même. Seul, je redoute encore un rien, jusqu'à mon ombre, et quelquefois je me prends fortement à trembler dans mes ridicules frayeurs. Il est cependant un motif qui me fait pardonner un si grand forfait, c'est que tes paroles étaient égarées par l'ivresse ; mais désormais je ne me laisserai plus tromper par un front ridé et sévère : car le philosophe lui-même connaît aujourd'hui le bonheur d'aimer. Lyncée se livre tard à cette douce folie ; du moins je me réjouis qu'il offre quelque encens à nos dieux. Que te servira maintenant d'avoir étudié la sagesse dans les livres de Socrate, de pouvoir dérober à la nature ses mystères, d'avoir médité à loisir les vers de ton Lucrèce ? Le vieil Épicure ne peut rien contre un ardent amour. Imite plutôt Philétas, ce favori des Muses, et les rêves du modeste Callimaque. Quand tu raconterais comment l'Achéloüs épanche ses eaux dans l'Etolie, après la cruelle blessure que lui valut son amour pour Déjanire ; quand tu dirais comment le Méandre s'égare aux champs de la Phrygie, et se trompe lui-même par mille détours ; ou comment Arion, ce cheval d'Adraste qui remporta le prix aux tristes funérailles d'Archémore, fut doué de la parole : ces chants, ni le trépas d'Amphiaraüs, que la terre engloutit avec son char, ni celui de Capanée, que Jupiter frappa de la foudre, ne rendront jamais une belle sensible à tes voeux. Cesse de chausser le cothurne d'Eschyle, et assouplis tes membres à nos choeurs gracieux. Borne tes vers dans un cadre moins large ; viens, poète superbe, viens exhaler enfin les feux qui te consument. Jamais tu ne trouveras le repos sur les traces d'Antimaque ou d'Homère ; car la beauté orgueilleuse méprise tout, jusqu'aux plus puissants dieux. Lorsqu'un fier taureau se soumet à la charrue pesante, c'est que l'on a enchaîné ses cornes par des liens vigoureux. Ainsi, Lyncée, tu ne souffrirais pas volontiers le dur esclavage de l'Amour, et il faut qu'auparavant j'habitue ta fierté à ses chaînes. Jamais une belle n'a sondé les phénomènes du monde, ni pourquoi la lune s'éclipse devant le char d'Apollon, son frère, ni s'il est quelque chose au delà du Styx, ni s'il faut attribuer au hasard et le bruit et les éclats de la foudre. Vois-moi régner, convive aimable, au milieu d'un cercle de femmes. Je n'ai pour tout patrimoine qu'une mince fortune, et mes aïeux n'ont point remporté, dans nos vieilles guerres, de glorieux triomphes ; mais je dois tout à mon génie, qu'aujourd'hui encore tu méprises.
Moi, que l'Amour a traversé d'une flèche sûre, j'aime à reposer languissamment jusqu'au matin sur les fleurs de la veille. Que Virgile, cependant, célèbre à son gré les rivages d'Actium chéris d'Apollon et les flottes victorieuses d'Auguste, lui qui réveille aujourd'hui les combats du Troyen Énée et les remparts qu'il fonda aux rives de Lavinium. Silence, Romains, et vous, Grecs, silence : ils vont naître, ces chants qui effaceront l'Iliade.
Mais, ô Virgile, tu célèbres aussi, à l'ombre des pins du Galèse, et Thyrsis et Daphnis à la flûte savante, et la jeune fille qui se laisse séduire par dix pommes et un chevreau récemment arraché à la mamelle de sa mère. Heureux Tityre ! tu achètes de quelques fruits les faveurs de ta belle ! Fût-elle ingrate, tu devrais encore chanter ses attraits. Heureux Corydon ! tu veux sur-prendre l'innocence d'Alexis, qui faisait les délices de son maître ! Si tu reposes aujourd'hui sur tes pipeaux lassés, l'Hamadryade facile n'en répète pas moins tes louanges. Toi cependant, Virgile, tu chantes dans nos campagnes les préceptes du vieux poète d'Ascra, et la plaine que Cérès préfère, et le coteau que dore une grappe vermeille ; tes accords ne le cèdent point à ceux d'Apollon, quand il promène ses doigts sur sa lyre harmonieuse. Jamais on ne relira sans plaisir tes premiers vers, que l'on ignore l'amour ou que l'on connaisse ses charmes. Le même feu inspira toujours les chants du cygne ; et s'ils furent d'abord plus doux, leur mélodie n'en étouffe pas moins la voix impuissante de ses obscurs rivaux. Quand il eut chanté les Argonautes, Varron célébra sur la lyre les feux dont il brûlait pour sa Leucadie. Les écrits du voluptueux Catulle ont donné à Lesbie un nom plus fameux que le nom d'Hélène. Calvus, dans ses pages savantes, a pleuré le trépas de l'infortunée Quintilie ; et Gallus, ce chantre de Lycoris, lave encore sur les rives du Styx ses nombreuses blessures. Properce veut chanter l'Amour à leur exemple ; et si la renommée daigne admettre son nom parmi ces noms glorieux, Cynthie obtiendra de mes vers son immortalité.
LIVRE DEUXIÈME.
ÉLÉGIE PREMIÈRE.
Quaeritis (v. 1). II semblerait qu'il faut le singulier, puisque cette élégie est adressée à Mécènes. La seconde personne est ici pour la troisième : On me demande.
Cois (v. 5). Ce vers a subi bien
des vicissitudes. On lisait dans presque tous les anciens manuscrits : Sive
illam Cois fulgentern incedere togis. Béroalde fit disparaître le
premier la faute de quantité en retournant les mots comme ils se trouvent
dans notre texte, et cette correction fut, pendant longtemps, presque
généralement adoptée. Plus tard, un critique observa qu'à l'époque où
écrivait Properce, la toge n'était plus l'habillement des femmes, qui lui
avaient substitué le vêtement long appelé stola ; mais qu'elle était portée
seulement par les hommes, ou bien, au rapport de Porphyrion, par les femmes
surprises en adultère, ou bien encore par les courtisanes, comme le dit
Martial, II, 39 ; Tibulle, IV, 10 :
Sit tibi cura togae potier, pressumque quasillo
Scortum, quam Servi filia Sulpicia ;
et Ovide, Fastes, IV :
Rite deam (Venerem) colitis matresque nurusque,
Et vos, quis vittae longaque vestis abest.
Scaliger et Sylvius n'en ont pas moins conservé togis, en concluant de là que Cynthie était une courtisane : comme si l'on pouvait supposer que Properce eût osé faire une allusion aussi grossière aux moeurs de sa maîtresse, en admettant qu'elles fussent telles. Aussi les autres commentateurs ont préféré torturer le ver de mille manières. Quelques-uns lisent Cois cogis, d'après un vieille édition ; ce qui n'a pas de sens. Kuinoël donne Cois vidi ; Broukh., Cois totis ; Lachm., Cois coccis : de plus, Lachm. voudrait que ces vers devinssent les neuvième et dixième.
Il demeure évident qu'il y avait dans le texte primitif une altération quelconque. Béroalde l'avait fait disparaître au moyen d'une transposition bien simple, et sa leçon ne me paraît pas à rejeter. Sans vouloir prétendre que Properce aurait pu employer une fois un mot impropre, ce qui arrive aux plus grands poètes ; sans proposer la correction non moins simple de stolis pour togis, j'observerai, que la toge était primitivement commune aux deux sexes, et que les dames romaines n'adoptèrent la stole que vers le temps de Properce, quand Auguste eut donné l'exemple de diminuer presque jusqu'au genou la toge, qui avait été d'abord traînante ; 2° que le mot de toga a si bien pu s'appliquer à l'habillement des femmes honnêtes, longtemps même après Properce, que Pline (Hist. nat., liv. VIII, ch.74), dit en parlant de Tanaquil « Ea prima texuit rectam tunicam, quales cum toga pura tirones induuntur novaeque nuptae. »
Heroas manus (v. 18). Pour heroum copias.
Titanas (v. 19). Les Titans, enfants de la Terre, voulurent escalader le ciel pour détrôner Jupiter. En conséquence, ils entassèrent l'un sur l'autre l'Ossa, l'Olympe et le Pélion, montagnes de la Thessalie. Mais ils furent frappés de la foudre, et ensevelis sous les masses qu'ils avaient amoncelées.
Vada (v. 22). On sait que Xerxès, craignant de voir ses vaisseaux fracassés par une seconde tempête, s'il essayait de doubler le mont Athos, le fit percer pour ouvrir un passage à sa flotte.
Remi (v. 23). Pour Romuli, comme liv. IV, élég. 6, 80 ; CATULLE, LVIII, 5 ; JUVENAL, X, 73.
Cimbrorum (v. 24). Les Cimbres, partis du nord de la Germanie, envahirent les Gaules et l'Italie, de concert avec les Teutons. Ils furent battus et anéantis par Marius auprès d'Aix et sur les rives de l'Adige.
Mutinam (v. 27). Après le meurtre de César, Décimus Brutus s'était retiré dans Modène, où Antoine l'assiégea. Auguste, qui craignait alors la puissance d'Antoine, secourut l'un des meurtriers de son oncle, de concert avec les deux consuls Hirtius et Pansa, et fit lever par une victoire le siège de la ville.
Philippes (v. 27). Bientôt réconcilié avec Antoine, Auguste poursuivit Brutus et Cassius, et les défit l'un après l'autre en Macédoine, auprès de Philippes. Tous deux se donnèrent la mort.
Siculae (v. 28). Il s'agit de la guerre entreprise contre Sextus Pompée, qui tenait la mer avec une flotte nombreuse. Défait dans un grand combat, il laissa trois cent cinquante vaisseaux au pouvoir de l'ennemi, et ne fit plus qu'errer de mers en mers, jusqu'à ce qu'il pérît misérablement en Asie.
Focos gentis Etruscae (v. 29). Le poète veut parler de la ruine de Pérouse, qui fut l'unique résultat d'une guerre entre Auguste et Antoine. Voir liv. I, élégie 22.
Phari (v. 30). Le Phare, île peu considérable à l'entrée du port d'Alexandrie, fut joint dans la suite à cette ville. Antoine, s'y étant réfugié après la défaite d'Actium, fut poursuivi par Auguste, qui réduisit alors l'Égypte en province romaine.
Canere inciperem (v. 31). Les premières éditions donnaient canerem Cyprum et. Comme il est faux qu'Auguste ait soumis l'île de Chypre, on remplaça le mot Cyprum par Aegyptum, qui demeura exclusivement adopté. Lachm. remarqua le premier, que Aegyptum était une redondance inutile, quand on le rapprochait de ce qui précède et de ce qui suit ; et qu'il y avait ainsi une consonnance de terminaisons peu harmonieuse. En considérant le premier texte, il en a tiré facilement la leçon que nous reproduisons comme la plus probable, quoique l'ancienne puisse, à la rigueur, se défendre.
Nilum (v. 31). Les Romains portaient, dans leurs triomphe les images des villes et des peuples qu'ils avaient vaincus.
Septem (v. 32). Le Nil avait autrefois sept embouchures. La plupart d'entr'elles sont aujourd'hui fermées par le sable.
Sacra via (v. 34). La voie Sacrée conduisait de l'amphithéâtre au Capitole. Elle fut ainsi appelée, dit Festus, soit parce qu'elle vit Romulus et Tatius conclure entre les Romains et les Sabins le premier traité, soit parce que les prêtres la parcouraient dans certaines processions publiques.
Theseus (v. 37). On connaît l'amitié de Thésée pour Pirithoüs, qu'il accompagna aux enfers, et celle d'Achille pour Patrocle, fils de Ménécée. Dès lors il est aisé de comprendre la liaison des idées ; mais il n'est pas aussi facile de l'expliquer grammaticalement. Tout porte à croire que le passage est altéré. Pour rétablir le texte, Lachm. propose cui fatur au lieu de testatur, correction un peu hardie.
Phlegræos (v. 39). Phlégrée, qu'il ne faut pas confondre avec un autre lieu du même nom, situé en Italie, près de Cumes, était en Thessalie, où se livra le combat des Géants contre les dieux.
Callimachus (v. 40). Callimaque, poète grec, né à Cyrène, écrivit des élégies, que Properce s'est efforcé plusieurs fois d'imiter.
Avos (v. 42). La famille des Jules se prétendait issue d'Énée par son fils Iule.
Helena (v. 50). Hélène, infidèle à Ménélas, avait suivi Pâris, ce qui amena la ruine de Priam et de Troie. Ménélas, vainqueur, la ramena à Lacédémone.
Pocula Phaedrae (v. 51). On ne trouve nulle part dans la mythologie que Phèdre ait préparé des breuvages ou des philtres pour Hippolyte. Apparemment Properce suivait quelque tradition qui ne nous est pas parvenue.
Circaeo (v. 53). Circée, fille du Soleil, et femme du roi de Colchos, est célèbre par ses enchantements et sa connaissance des plantes. Après avoir fait périr son mari, elle chercha un asile en Italie, dans le Latium, et ce fut là qu'elle accueillit Ulysse après la guerre de Troie.
Iolciacis (v. 54). De nombreux éditeurs et Sylvius donnent Colchiacis, ce qui donnerait pour traduction : "Quand Médée emprunterait à la Colchide tous ses poisons." Avec Iolciacis, que Scaliger a proposé le premier, le poète fait allusion à la mort de Pélias, que Médée fit égorger par ses filles, sous prétexte de le rendre, comme Éson, à la jeunesse et à la santé.
Machaon (v. 59). Blessé au pied par une flèche empoisonnée, et abandonné par les Grecs dans l'île de Lemnos, Philoctète fut enfin guéri par Machaon, fils d'Esculape, et l'héritier de la Science de son père.
Phoenicis (v. 60). Phénix, fils d'Amyntor et précepteur d'Achille, avait été privé de la vue dans sa jeunesse. Le centaure Chiron, fils de Saturne et de Phyllire, la lui rendit par son art.
Androgeona (v. 62). Androgée, fils de Minos, roi de Crète, avait vaincu les Athéniens à différents jeux, et ceux-ci l'assassinèrent lâchement pour se venger de sa gloire. Minos, vainqueur d'Athènes, condamna les habitants à envoyer chaque année dix jeunes gens qui seraient dévorés par le Minotaure. Esculape cependant rappela Androgée du tombeau, et le rendit à son père.
Mysus (v. 63). Télèphe, roi de Mysie, voulut s'opposer au débarquement des Grecs, et fut blessé par la lance d'Achille. Plus tard il s'unit d'amitié aux vainqueurs, et fut guéri par celui même qui l'avait blessé. Parmi les auteurs anciens, les uns expliquent cette guérison par la connaissance que Chiron avait donnée à son élève des différents simples : ainsi il se serait servi de l'herbe qui, de son nom , est appelée encore aujourd'hui achillée, et dont une variété est connue sous la dénomination de millefeuille ou herbe aux charpentiers. Les autres supposent qu'elle eut lieu par le fer même qui avait causé la blessure, ce que Pline explique (XV, 19) en nous apprenant qu'Achille composa le premier, avec la rouille de fer et des simples, un emplâtre qui cicatrisait les plaies.
Avem (v. 70). La croyance commune fait de cet oiseau un vautour, d'après les beaux vers de Virgile : cependant la plupart des auteurs anciens s'accordent à dire que c'était un aigle.
Quandocumque (v. 71). Broukh. intercalle ici huit vers empruntés à la quatrième élégie : Non hic herba valet, etc. Nous aurons occasion de remarquer plusieurs fois de semblables corrections, qui ne sont données par aucun manuscrit. On rapproche des passages parce qu'ils se ressemblent, comme s'il devait être étonnant de retrouver les mêmes idées, quand le poète est sous l'influence constante des mêmes sentiments et des mêmes inspirations.
Esseda (v. 76). Les chars à deux roues, dont les Gaulois et les Bretons se servaient à la guerre, étaient renommés pour leur légèreté. Les Romains en adoptèrent bientôt l'usage, et ce fut une des jouissances du luxe. Britanna est pour Britannica, selon la manière de Properce.
Caelatis (v. 76). Pline (liv. XXIII, 21) rapporte que les chars en général étaient ornés de peintures et diversement travaillés.
Voyez A. CHENIER, él. VIII et od. VIII; BERTIN, Amours, I, 16, et II, 12.
ÉLÉGIE DEUXIÈME.
Scaliger le premier, puis Burmann et Broukh., et enfin Piètre dans sa traduction, ont fondu ensemble la deuxième et la troisième élégie.
Dulichias (v. 7). Dulichie était l'une des îles sur lesquelles régnait Ulysse. Heinsius et Burmann ont voulu changer ce mot pour Munychias, de Munychie, l'un des ports d'Athènes.
Gorgonis (v 8). Les Gorgones étaient les trois filles de Phorcus, Euryale, Sthéno et Méduse, la seule des trois qui fût mortelle. Persée là vainquit par le secours de Mercure et de Pallas, lui coupa la tête et en fit présent à la déesse. Cette tête, hérissée de serpents, changeait en pierres ceux qui l'apercevaient.
Ischomaque (v. 9) , la même qu'Hippodamie, fut mariée à Pirithoüs, à qui les Centaures, échauffés par le vin, voulurent l'enlever au milieu du festin des noces. Il s'ensuivit un combat, chanté par Ovide, dans lequel les Lapithes demeurèrent vainqueurs.
Baebeidos (v. 11). Lac de Thessalie, auprès de Phères.
Brimo (v. 12). Cette leçon est due à Scaliger et à Turnèbe. On lisait avant eux, et quelques éditeurs ont lu depuis primo. Sylvius rapporte ces deux vers à Ischomaque, et Delongchamps, d'après Béroalde, à Pallas, en les transposant après operta comis. Or, la fable nous apprend que Mercure, près du Baebeïs, voulut faire violence à Proserpine, que l'on appelle encore Brimo a terrendo (brim&n). La fille de Cérès résista, avec succès; en sorte que Properce s'éloigne, dans son pentamètre, des traditions reçues.
Viderat (v. 13). Quand Junon, Vénus et Minerve disputèrent sur l'Ida le prix de la beauté, Pâris exigea qu'elles parussent nues à ses yeux. On sait que Vénus eut la pomme.
Cumaeae (v. 16). Ovide, liv. XIV, Métam., dit que la Sibylle fut aimée d'Apollon ; qu'elle demanda au dieu le don de voir l'avenir et de vivre autant d'années qu'elle avait de cailloux dans les mains, ce qui lui fut accordé ; mais qu'elle oublia de demander aussi une éternelle jeunesse, en sorte qu'elle se vit réduite à déplorer son triste privilège.
Voyez, sur les différentes sibylles, les notes de notre Virgile, t. III, p. 192.
ELÉGIE TROISIÈME
Maeotica (v. 11). Le Palus Méotide, aujourd'hui mer de Zabache, se trouve dans cette partie de l'Asie que les anciens connaissaient sous le nom générique de Scythie, et où des froids continuels entretenaient toujours des neiges abondantes.
Minio (v. 11). Le vermillon dont les anciens se servaient au rapport de Pline (Hist. nat., liv. XXXIII, ch. 36) pour la peinture, l'écriture et la toilette, fut découvert en exploitant les mines d'argent. Le plus beau venait de l'Espagne. Aussi le vermillon a-t-il porté, même en France, le nom de muge d'Espagne.
Arabio (v. 15). L'Arabie était renommée pour les tissus précieux que l'on y fabriquait.
Evantes (v. 18). Bacchus avait le surnom d'Evan, d'où les bacchantes sont appelées Evantes.
Aeolio (v. 19). A l'Éolie se rattachaient différentes îles, dont la principale était Lesbos. Ce fut la patrie de Sapho et d'Alcée.
Aganippeae (v. 20). La fontaine Aganippe en Thessalie, était, au rapport des poètes, l'un des endroits que les Muses chérissaient le plus.
Corinnae (v. 21). Il y eut deux Corinnes, toutes deux poètes. L'une était de Thespies, ou, selon d'autres, de Corinthe ; l'autre était de Thèbes, en Béotie, et remporta le prix de la poésie sur Pindare.
Erinnes (v. 22). Érinne fut contemporaine de Sapho. On s'accorde généralement à lui donner pour patrie Rhodes, ou Téos , qui vit naître Anacréon.
Sternuit (v. 24). Les anciens
regardaient l'éternuement comme un augure. C'est ce que nous apprennent
Homère, Odyssée, XIV; Aristote, I, De animal. natura, et Probl. quaest. XX ;
Pline, XXVIII, 5 et 35, et Catulle dans les deux vers suivants :
Amor sinistram , ut ante,
Dextram sternuit adprobationem.
Decem (v. 28). Virgile a dit aussi :
Matri longa decem tulerunt fastidia menses
Les Romains partageaient l'année en douze mois lunaires ; de vingt-neuf jours, ce qui renvoyait la naissance d'un enfant dans le courant du dixième. Pour rétablir une correspondance exacte avec les saisons et l'année solaire, tous les deux ans on avait une année intercalaire qui comprenait un treizième mois, alternativement de vingt-deux ou de vingt-trois jours.
Jovi (v. 30). Cc vers a été l'objet de bien des commentaires. Il a semblé extraordinaire que Properce consentit de céder même à Jupiter la possession de Cynthie. En conséquence, Scaliger écrivit loco au lieu de Jovi, et Romano pour Romana, en expliquant, tu tiendrais le premier rang à table (accumbes) parmi les beautés romaines, et le second parmi les beautés grecques. Or, Passerat observe d'abord que l'on peut donner le même sens à accumbes en lisant Jovi mais cette explication serait froide. Il faut seulement reconnaître une hyperbole du poète, et l'objection tombe si l'on traduit le futur accumbes par le conditionnel français : "Tu mériterais de partager la couche, etc."
In ante (v. 41). Expression employée par Ovide, Métamorphoses, II, 524... Argolica quod in ante Phoronide fecit, mais en général peu usitée. Elle est prise ici dans un sens détourné ; car son acception première était celle que lui donne Cicéron , quand il dit dans une de ses lettres à Atticus : "Bibulus comitia in (die) ante diem xv cal. nov. distulit. » Des éditeurs ont donné in arte.
His saltem (v. 45). Il est difficile de saisir la liaison entre ce qui précède et les dix derniers vers. Aussi a-t-on voulu les transposer ou plus haut, ou dans les élégies suivantes.
Melampus (v. 51). Mélampe, devin et médecin célèbre, eut pour père Amythaon, et Bias pour frère. Celui-ci fut épris d'amour pour Péro, fille de Nélée; mais Nélée ne voulait accorder la main de Péro qu'à celui qui parviendrait à dérober les troupeaux d'Iphiclus, fils de Phylax, d'après Apollodore. Ces trou-peaux paissaient auprès de la ville de Phylaca, en Thessalie, sous la garde de chiens fidèles qui empêchaient bêtes et gens d'arriver jusqu'à eux. Mélampe, qui voyait son frère dépérir de langueur, tenta l'entreprise malgré ses dangers. Pris en flagrant délit, il fut jeté dans les fers et demeura captif une année. Iphiclus le rendit alors à la liberté, et Nélée, cédant à l'amour de Bias pour sa fille, lui accorda sa main.
Voyez LEBRUN, él. III, 8 ; BERTIN, amours, I, 8 ; BERNARD, Poésie, diverses, Madrigaux, XV.
ÉLÉGIE QUATRIÈME.
Multa (v. 1). Un manuscrit intitule cette pièce : De laboribus, qui in amore puellarum sunt.
Expenso (v. 6). Passerat doute s'il
ne faut pas lire avec un manuscrit extenso, quia qui extendunt gradum lente
eunt. Expenso a le sens de suspenso. C'est l'idée que Bertin a
si heureusement rendue par ce vers, Am., III, 7 :
Suspendant sur l'orteil une jambe craintive.
Perimedeae (v. 8). Les premières éditions donnaient : "Non per Medeae gramina cocta manus. » Muret écrivit le premier : "Non Perimedeae gramina cocta manu , » et son exemple fut suivi. Mais comme l'expression cocta manu était peu latine, Lachm. a proposé la leçon que nous adoptons, et a repris manus, au génitif. Périmédée est une magicienne dont parle Théocrite, Idylles, II, 16.
ÉLÉGIE CINQUIÈME.
Aliquo (v. 4). Avant Lachmann on lisait Aquilo, que Burmann seul avait voulu changer pour alio. Il en résultait une foule de commentaires sur le sens. "Et nobis erit aliquando suda tempestas," disait Scaliger : car le vent du nord sèche la terre; « Nos ventis quoque discerpendum trademus jusjurandum, » expliquait Turnèbe ; et Passerat : « Fides tua , ut Aquilo ventus, res est levissima. » Avec la leçon de Lachmann, tout est clair et facile.
Carpathiae (v. 11). La mer de Carpathos prenait son nom de l'île de Carpathos, située entre Rhodes et la Crète, en tirant vers l'Égypte. Cette mer, comme l'Adriatique, était fréquemment agitée par les vents et les tempêtes.
Noto (v. 12). Le Notus, autrement appelé Auster, est le vent du midi, et l'on sait qu'il amène ordinairement la pluie.
Junonis (v. 17). Junon était la déesse des femmes, et non seulement des mères. Toutes juraient par elle, comme les hommes par Castor et Pollux.
Hederae (v. 26). Une couronne de lierre faisait l'ornement des poètes. Voyez VIRGILE, Égl. VII, et HORACE, liv. I, Ode I. Levis (v. 28). Scaliger a voulu à toute force changer ce mot pour lues ou luis ; mais il n'a pu persuader personne. La construction du premier hémistiche est plus irrégulière peut-être que celle du second ; car le verba levis n'est pas plus difficile à comprendre et à construite que le pñdaw Èkçw ƒAxilleæw d'Homère, ou bien os humerosque deo similis de Virgile.
Voyez BERTIN, Amours, II, 3.
ÉLÉGIE SIXIÈME.
Ephyreæ (v. 1). Corinthe s'appelait, dans un âge plus reculé, Ephyre, du nom d'une nymphe fille de l'Océan.
Laidos (v. 1). II y eut deux Laïs, mère et fille. La première, qui fut la plus célèbre par son esprit et sa beauté, naquit en Sicile, fut amenée en Grèce par Nicias, et vécut à Corinthe. Elle ne demandait à Démosthène que 10.000 drachmes (9.000 fr.) ; ce qui fit répondre à celui-ci : « Je n'achète pas si cher un repentir.
Menandreae (v. 3). Ménandre, qui fut à Athènes le père de la comédie nouvelle, avait introduit Thaïs sur la scène, ce qui fait donner à celle-ci par Properce l'épithète de Menandreae.
Thaidos (v. 3). Thaïs, autre courtisane célèbre, naquit à Alexandrie, mais passa presque toute sa vie à Athènes. Sa maison devint constamment le rendez-vous de toute la jeunesse athénienne.
Erichthonius (v. 4). Érichthon, fils de Vulcain, fut l'un des premiers rois d'Athènes. Il inventa l'usage des chars pour cacher ses pieds, qui étaient difformes.
Phrynae (v. 6). Phryné, dont le vrai nom était Mnésarète, naquit à Thespies et se fixa à Thèbes. Cette ville ayant été renversée par Alexandre, elle offrit de la rebâtir tout entière à ses frais, pourvu qu'une inscription en transmît la mémoire à la postérité.
Admeti (v. 23). Admète, roi de Phères, en Thessalie, eut pour épouse Alceste, qui supplia les dieux de trancher ses jours à elle-même, et de rendre à son mari le vie qu'ils lui avaient en-levée. L'échange eut lieu ; mais Hercule, touché des pleurs d'Admète, arracha aux enfers leur victime et la rendit au jour.
Pudicitiae (v. 25). Le premier temple qui fut consacré à Rome à la Chasteté, était situé dans le forum Boarium, et exclusivement réservé aux dames patriciennes. Virginie, fille du sénateur Aulus, en ayant été repoussée parce qu'elle avait épousé un plébéien, éleva dans sa propre maison un second temple à la Chasteté plébéienne. (TITE-LIVE, X.)
Paries (v. 34). Les anciens ne peignaient pas sur toile comme les modernes, mais sur bois, et souvent à fresque, sur les murailles et sur les voûtes.
Nos uxor (v. 41). Nous rétablissons ici, avec Delongchamps, Lachmann, Lemaire, etc., ces deux vers que Scaliger avait renvoyés à la fin de l'élégie suivante. On lisait dans les anciens manuscrits : Nos. u. n. n. me ducet amica ; Béroalde, afin de rétablir la concordance, avait écrit Ux. me n., n. me d. a. : la leçon actuelle mène au même but et s'éloigne moins du texte primitif.
Voyez BERTIN, Amours, I, 15 ; P. CORNEILLE; Psyché, acte III sc. 3; DORAT, Baiser, XVII ; LA FONTAINE, la Coupe enchantée et le Tableau ; MOLIÉRE, École des maris, acte I, Sc. 2.
ÉLÉGIE SEPTIÈME.
Legem (v. 1). Pour réparer les pertes nombreuses que la république avait faites pendant les guerres civiles, Auguste défendit le célibat par une loi, en l'an de Rome 726. L'impossibilité qu'il éprouva à la faire exécuter l'obligea de la laisser tomber en désuétude, et même de la révoquer.
Divideret (v. 3). Ces mots sont un des arguments les plus forts pour prouver que Cynthie était mariée. On sait en effet que Properce n'eut jamais d'épouse. Si Cynthie eût été libre, pourquoi se seraient-ils plaints d'une loi qui comblait leurs voeux
Somnos (v. 11). Dans ce vers Scaliger voudrait, comme suite des vers précédents, aut mea quum tales caneret... ; Broukh. et d'autres, Ah ! mea tum quales faceret tibi tibia somnos, tibia....; Delongchamps.... caneret tibi, Cynthia, cantus.... Par tibia, il faut entendre les instruments qui conduisaient les nouveaux mariés, au milieu de la nuit, dans la chambre nuptiale. C'est ce que Delongchamps, Piètre et d'autres traducteurs paraissent ne pas avoir compris.
Tuba (v. 12). A Rome le cortège funèbre était toujours ouvert par un ou plusieurs joueurs de flûte ou de trompette, qui faisaient retentir les rues de sons lugubres.
Quodsi
(v. 15). Les plus
anciens manuscrits donnent quod si
vera meae
comitarem
castra puellae ;
leçon que les commentateurs
s'accordent tous à regarder
comme fautive. Sylvius se contente de changer comitarem
par
comitarer;
Lachmann propose
quod si cura meae
comitari
castra puellae (construisez
cura p.
com. c. ) ; Broukh. lit,
d'après Heinsius, quod
mea si
tenerae comitarent castra puellae.
Correction pour correction, celle de
Scaliger, que nous reproduisons, paraît préférable. Le
comitarent
vaut bien
comitarem,
et Scaliger dit l'avoir lu en toutes
lettres dans un manuscrit. Nous savons d'ailleurs que les femmes ne
pouvaient paraître dans les camps romains; ce qui a fait dire au même
Properce :
Romanis
utinam patuissent castra puellis!
Essem
militiæ sarcina fida tua.
Castoris equis (v. 16). Il s'appelait Cyllarus. Neptune l'avait donné à Junon avec Xanthus, et la déesse les donna, à son tour, l'un à Castor et l'autre à Pollux.
Borysthenidas (v. 18). Le Borysthène, aujourd'hui le Don, est un fleuve de la Scythie, d'où le poète appelle les habitants Borysthenidæ ; et comme la Scythie est couverte de neiges presque continuelles, il leur donne l'épithète de hiberni.
Voyez LEBRUN, Odes, II, 21.
ÉLÉGIE HUITIÈME.
Thebae (v. 10). La pensée est également vraie, que le poète veuille parler de la patrie d'Épaminondas, ou de la fameuse Thèbes aux cent portes, qui fut la capitale de la Haute Égypte
Temerarius (v. 13). Lachmann donne au distique cette interprétation différente de la nôtre : Suis-je donc trop audacieux d'espérer ton amour, après avoir supporté longtemps tes dédains?
Sic igitur (v. 17). Lachmann commence ici une nouvelle élégie. Rien ne la motive. La liaison des idées, bien qu'elle soit elliptique, est cependant facile à saisir. Avant lui Scaliger avait fait précéder ce morceau, de l'élégie suivante presque entière, depuis Penelope poterat....
Haemon (v. 21). Ce prince était fils de Créon, frère de Jocaste. ll aima éperdument Antigone, fille d'Oedipe. Créon ayant condamné à mort cette princesse, parce qu'elle avait enseveli, malgré ses ordres, le corps de son frère Polynice, Hémon se perça lui-même de son glaive sur le tombeau de l'infortunée. Voyez SOPHOCLE , Antigone.
Mors (v. 27). Virgile, en excluant de l'Élysée les hommes qui se sont donné la mort à eux-mêmes, nous atteste les idées des Romains sur le suicide ; et alors, comme aujourd'hui, c'était encore une honte de lever la main sur une femme.
Conjuge amica (v. 29). L'épouse d'Achille était Déidamie.
Fuga tractos (v. 31). C'est la leçon de Scaliger, de Pass., de Sylvius, etc. D'autres lisent fugas, fractos et en admettant l'ellipse de la conjonction et. Lachm. lit pyras pour fugas, d'après l'Iliade, où l'on voit que pendant sept jours les Grecs, affligés de la peste, brûlaient des monceaux de corps sur le rivage. La suite des idées ne permet guère d'adopter cette dernière leçon.
Dorica (v. 32). On appelait particulièrement de ce nom un peuple qui habitait auprès du Parnasse, et qui tirait son nom de Dorus, fils de Neptune. Ici il est pris en général pour tous les Grecs.
Briseida (v. 35). Briséis, fille de Brisés, tomba au pouvoir d'Achille, quand ce héros prit la ville de Lyrnesse. Agamemnon la lui enleva, et les événements qui en furent la suite jusqu'à la mort d'Hector ont fait le sujet de l'Iliade.
Haemoniis (v. 38). Les Hémoniens étaient un peuple de Thessalie, patrie d'Achille.
Marte (v. 39). De bonnes éditions lisent matre, qui n'est point en effet à dédaigner. Achille avait pour mère Thétis, fille de l'Océan : mais s'ensuit-il nécessairement qu'il n'ait dû avoir aucune faiblesse ? Au contraire, les combats distraient de l'amour.
Voyez BERTIN, Amours, II, 9 et 12 ; LEBRUN ,él. II, 5 ; III, 6, et od. III, 12.
ÉLÉGIE NEUVIÈME.
Iste (v.1). Il faut entendre par ce terne de mépris le rival que Cynthie avait donné à Properce ; ce qui lui attira les plaintes qui vont suivre.
In Simoenta (v. 12). L'acc. pour l'abl., comme dans in possessionem esse, in mentem esse, etc. In est pour ad. La construction est adp. i. s. vadis fl. - Le Simoïs et le Xanthe étaient deux ruisseaux qui coulaient auprès de Troie ; ils ont dû aux vers d'Homère toute leur célébrité.
Foedavit (v. 13). Le sens de la traduction est le plus en rapport avec les temps antiques : mais on pourrait encore entendre que Briséis se coupa les cheveux pour les offrir aux mânes d'Achille, comme Électre, dans Eschyle, dépose les siens sur le tombeau d'Agamemnon.
Scyria (v. 16). Pélée avait envoyé son fils à Scyros, l'une des Cyclades, afin qu'il évitât la mort dont il était menacé sous les murs de Troie. Le roi Lycomède, qui l'accueillit avec bienveillance, avait pour fille Déidamie, que le héros épousa.
Hæc mihi (v.25). En conservant le point après le troisième vers, il est bien certain, comme l'observe Lachm., qu'il est impossible de lier ces vers aux précédents. Mais que l'on mette avec Broukh. un point d'interrogation, et les idées s'enchaînent...... Eh bien! jouis de sa conquéte. Cependant sont-ce là les voeux que j'adressais... On aurait le même résultat en changeant mihi pour ubi, ce que le rapprochement des lettres permet. Ces vers indiqueraient la place de l'élégie après la XXVIII du même livre.
Syrtes (v. 33). On appelait Syrtes deux bancs de sable situés sur la côte d'Afrique. Ces écueils, dont les navigateurs redoutaient l'approche, surtout pendant les tempêtes, changent d'aspect avec la mer, selon que les flots apportent ou entraînent le limon, le sable et les pierres, qui en font la base.
Sidera (v. 41). On veut ici une lacune, parce que les idées changent tout à coup. Mais n'est-ce pas ainsi qui procède Mithridate dans Racine, et Vendôme dans Adélaide Duguesclin ? et dans un coeur emporté par la passion, des transitions ménagées avec art doivent-elles donc lier toutes les idées?
Thebani duces (v. 50). Étéocle et Polynice, qui se percèrent mutuellement de leurs glaives sous les yeux de leur mère Jocaste. Comme cette princesse mourut après ses fils, Passerat veut que le tua du dernier vers se rapporte à Cynthie, et Sylvius veut que l'on entende pourvu que je meure après toi et après lui (mon rival).
Voyez BERTIN, Amours, I, 7 et II, 3 , 6, 10 ; PARNY, III, les Serments.
ÉLÉGIE DIXIÈME.
Sed
(v.
1).
Plusieurs commentateurs ont conclu de ce mot que ce n'était pas là le
commencement de l'élégie : car, disent-ils, il indique une réponse à un
raisonnement précédent. Mais Xénophon ne commence-t-il pas sa
Cyropédie
par
Žll‹.... et notre La Fontaine
une de ses fables par :
Mais d'où vient qu'au renard Ésope accorde un point ?
Aemonii (v. 2). Les traducteurs et commentateurs voient une allusion à la rapidité dont les coursiers de Thessalie étaient doués. Malgré leur unanimité, comme Émonie est synonyme de Thessalie, et que la Thessalie était le séjour ordinaire des Muses, par Aemonio equo l'on doit entendre Pégase, et c'est le véritable sens. Heinsius conjecturait Aonio.
Ducis (v. 4). Probablement Auguste.
Surge (v. 11). Nous donnons ces deux vers tels que presque toutes les éditions nous les offrent. Burmann et Lemaire adoptent au contraire la leçon et la ponctuation suivantes : Surge, anime, ex humili ; jam, carmina, sumite vires. Pierides, magni nunc erit oris opus.
Euphrates (v. 13). Fleuve d'Asie, qui descend des montagnes de l'Arménie, traverse la Syrie, la Mésopotamie et la Babylonie, se réunit au Tigre et se jette par deux embouchures dans le golfe Persique.
Crassos (v. 14). On sait que Crassus fit déclarer la guerre aux Parthes, par le désir d'augmenter encore ses richesses. L'armée romaine fut anéantie tout entière dans les déserts de la Mésopotamie, et Crassus lui-même périt misérablement avec son fils. Quand Auguste fut maître de l'empire, le roi des Parthes, saisi de crainte, lui renvoya les étendards qui avaient été pris alors sur les légions romaines.
India (v. 15). D'après Florus et Suétone, les ambassadeurs indiens vinrent solliciter, pour la première fois, sous le règne d'Auguste, l'amitié et l'alliance de Rome.
Arabiae (v. 16). Strabon rapporte (liv. VI) qu'Auguste envoya une armée sous les ordres d'Élius Gallus, pour soumettre de gré ou de force l'Arabie. Toutefois cette province, à peine connue aujourd'hui même dans son intérieur, échappa par son éloignement à l'empire romain.
Signis (v. 21). Il s'agit des statues des dieux, qui seraient trop élevées pour que la main d'un homme pût y atteindre. Comparaison juste et bien rendue.
Ascræos (v. 25). Ascra, ville de Béotie, fut la patrie d'Hésiode. Auprès d'elle se trouvaient l'Hélicon, montagne consacrée aux Muses ; l'Aganippe et l'Hippocrène, sources qu'invoquaient les poètes ; et le Permesse, fleuve que formait l'Aganippe. Properce veut donc dire qu'il boit l'eau du fleuve, comme les poètes vulgaires, sans qu'il lui ait été donné, comme à d'autres, de s'abreuver à la source elle-même.
Voyez BERTIN, Amours, III, él. dern.
ÉLÉGIE ONZIÈME.
Scribant (v. 1). Scaliger rattache ces trois distiques à l'élégie précédente. Le sens indique qu'il faut les en séparer.
ÉLÉGIE DOUZIÈME.
Hamatis (v. 9). Ovide s'est plusieurs fois servi de la même épithète dans le même sens. Par hamata sagitta, il faut entendre une flèche qui avait à son fer un appendice en forme d'hameçon, à peu près comme sont en grand nos hallebardes. Il en résultait que lorsqu'elle était entrée dans la chair, on ne pouvait la retirer qu'avec de grandes douleurs, parce que la partie recourbée déchirait par sa lame intérieure, mais ne coupait point.
Gnosia (v. 10). La Crète fournissait d'excellents archers, et Gnosse était une des villes principales de la Crète.
Pedes
(v.
24). Ces quatre derniers vers sont écrits
comme dans toutes les éditions avant Lehmann. Celui-ci dispose ainsi les
vers et la ponctuation :
Quam si perdideris,
quis
erit, qui talia cantet,
Hæc mihi
Musa
levis gloria
magna tua est,
Qui caput et digitos et lumina nigra puellæ
Et canat,
ut
soleant molliter ire pedes?
D'après cela, le premier pentamètre serait une parenthèse
et le second distique serait une suite de
quis erit.
Il
y
aurait en effet
plus d'élégance dans l'expression des deux derniers vers : mais la
parenthèse serait bien dure.
Voyez PARNY, la Journée champêtre; CHAULIEU, l'Apologie de l'Inconstance ; LEBRUN, él. III 6 et IV, 6.
ÉLÉGIE TREIZIÈME.
Achæmeniis (v. 1). Achéménès fut un des plus anciens rois de la Perse, et ses successeurs, jusqu'à Darius, fils d'Hystaspe, s'appelèrent Achéménides, parce qu'ils étaient de la même famille. Après avoir été au pouvoir des Macédoniens, la Perse fut une des provinces des Parthes, jusqu'au moment où leur empire fut remplacé par le second royaume de Perse, sous les Sassanides.
Susa (v. 1). Suze, ville très grande, fut une des capitales de la Perse. On a lu pendant longtemps Etrusca.
Pieriae (v. 5). Épithète tirée du mont Piérus, en Thrace, l'un des séjours que préféraient les Muses.
Ismaria (v. 6). L'Ismarus était une autre montagne de la Thrace, qu'Orphée fit souvent retentir de ses chants.
Lino (v. 8). Linus, fils d'Apollon, se distingua par ses talents en musique et en poésie. Il compta parmi ses disciples Hercule et Orphée. Properce lui donne l'épithète d'Inachius, parce qu'il avait été élevé à Argos, dont Inachus fut le fondateur.
Quandocumque (v. 17). Nul doute, répéterons-nous après tous les critiques, que ce passage ait été altéré : car il y a entre les idées une incohérence que l'on n'expliquera jamais d'une manière plausible. Ou il manque des vers qui liaient les deux parties, ou l'on a réuni mal-à-propos deux pièces qui devaient être séparées. Le tres libelli du vers 25 indiquerait de plus que la véritable place de cette élégie doit être assignée au livre troisième, et non pas au second, comme l'ont fait jusqu'à ce jour les éditions les meilleures.
Attalico (v. 22). Attale, roi de Pergame, inventa le premier l'art de brocher d'or la soie et les autres étoffes.
Syrio (v. 30). Les parfums venaient de la Syrie, ou du moins de l'Arabie par la Syrie.
Onyx (v. 30). L'onyx ou albâtre servait et sert encore à faire des vases de différente espèce. Les anciens, au rapport de Pline (XXVI, 12), croyaient que l'albâtre conservait surtout les parfums sans les altérer.
Horrida (v. 35). Properce prend ici pulvis au féminin, malgré l'usage. Il est très rare, même chez les auteurs les moins purs, de le trouver employé avec ce genre.
Phthii (v. 38). Achille était de la Phthiotide, en Thessalie. On sait qu'après la ruine de Troie Pyrrhus immola sur le tombeau de son père une des filles de Priam , Polyxène.
Mementa Hoc iter (v. 39-40). C'est la ponctuation de Sylvius, Pass. , etc. Lachmann voudrait.... ad fata, memento, hoc iter.... Mais venire hoc iter ad lapides serait une locution bien dure. Scaliger proposait ad fata memento -- Hoc itere ( vieux mot, pour itinere) ad lapides cana venire meos ce qui a été adopté par Broukh. et ses autres copistes.
De tribus una soror (v. 44). Il s'agit des Parques, qui étaient au nombre de trois. Clotho tenait la quenouille, Lachésis tournait le fuseau, et Atropos coupait le fil. C'était les filles de l'Érèbe et de la Nuit.
Nestoris (v. 46). Nestor, d'après la fable, aurait vécu 300 ans, ou du moins trois âges d'homme. Or, les scholiastes prétendent (II. I, 247) que, par le mot âge (gene‹), il faut entendre seulement l'espace de trente années.
Cui si
(v. 47) Ce distique a
été l'objet de bien des commentaires. On lisait d'abord
qui
si tam longuae min.
ou
quis tam longaevae,
et la leçon actuelle est due à
Santenius. Scaliger disait avoir trouvé
meminisset,
laissait longaevae,
et expliquait :
Aurait-il raconté
sa longue vieillesse, lorsqu'il faisait la guerre avec tant de
vigueur sous les remparts de Troie ?
Car, ajoute Scaliger,
Gallicus
tait allusion
au proverbe
keltikòn yr‹sow.
Ce sens du distique entier est
peu probable, et l'application du proverbe a trouvé peu de créance. Comment
alors expliquer
Gallicus ?
Suivant les uns par
Asiaticus,
vu que les Gaulois se sont établis
plus tard en Asie; suivant les autres, d'un fleuve Gallus, qui baignait la
Phrygie. Mais les meilleurs critiques pensent qu'il y a erreur et qu'il
faudrait changer ce mot pour un autre, tel que Ilius
ou Dardanus.
Antilochi (v. 49). Antiloque, fils de Nestor, périt dans l'un des combats qui se livrèrent sous les murs de Troie.
Adonin (v. 53). Adonis, fils de Myrrha, fut aimé de Vénus. Il fut tué par un sanglier qu'il poursuivait avec trop d'imprudence. Voyez OVIDE, Metam. X.
Idalio (v. 54). Le nom d'Idalie était commun à une ville, à une montagne et à un bois, situés dans l'île de Chypre, qui était consacrée particulièrement à Vénus.
Flevisse (v. 55). Ce vers a encore été lacéré d'une manière quelconque. La plupart des éditions donnent Illis formosum jacuisse : mais alors il faudrait formosus, et l'opposition serait bien froide. Lachmann propose formosis, et le sujet de jacuisse serait Vénus. D'autres, comme Sylvius, lisent lavisse; d'autres enfin flevisse, auquel la préférence me semble appartenir et pour le sens et pour la relation avec la leçon primitive jacuisse. J'avoue cependant que l'adjectif formosum, complément unique du verbe, semble une construction un peu dure, bien que l'on trouve miserum et quelques autres adjectifs employés par les meilleurs poètes de la même manière.
Voyez BERTIN, Amours, I, 1 ; PARNY, III, Ma mort ; LEBRUN, él. 1, 2 ; A. CHENIER, él. VII.
ÉLÉGIE QUATORIÈME.
Dardanio (v. 1). L'empire de Troie avait été fondé par Dardanus. L'un des successeurs de ce prince fut Laomédon.
Atrida (v. 1). Ce pourrait être Ménélas; mais tout porte à entendre Agamemnon.
Electra (v. 5). Électre et Oreste étaient les enfants d'Agamemnon. Ce prince ayant été assassiné à son retour de Troie, par Clytemnestre, sa femme , et par Égysthe, amant de Clytemnestre , Oreste se déroba d'Argos et sema le bruit de sa mort pour échapper aux embûches du meurtrier de son père. Il y revint enfin et vengea Agamemnon par la mort d'Égysthe et de Clytemnestre.
Daedaleum (v. 8). Le fameux labyrinthe de Crète avait été construit par Dédale. Ce célèbre artiste, banni d'Athènes, sa patrie, pour avoir fait périr son neveu, s'était réfugié à la cour de Minos, qui le retenait prisonnier. Il s'échappa enfin et se retira en Sicile : mais Cocalus, qui y régnait, le fit périr, pour complaire au roi de Crète, qui le menaçait de ses armes.
Columna (v. 25). Le vers 27 indique qu'il faut entendre les colonnes qui soutenaient le portique, et auxquelles on appendait ordinairement les offrandes.
Nunc ad te.... (v. 29). Ce distique est un de ceux qui ont le plus exercé la sagacité des critiques. Les uns ont écrit avec Passerat "N.a. t, m. l. veniet, mea litora, n. - Servata, a. m. s. o. vadis? " mea litora étant une apposition à te, les autres " veniet mea litore n. - S. a. m. sidet o. v. ? " litore signifiant après avoir quitté le rivage; Lachin. veut « N. da te mea lux; venit mea litore navis. S. a. m. s. o. v. ? " d'autres enfin lisent « Nunc in te, m. l. veniat sua litora n. - S. a. m. s. o. vadis. » Le sens que l'on tire de cette dernière leçon nous a paru le véritable; mais était-il nécessaire de changer la leçon commune ? Il est évident que mea vaut sua, et, à la rigueur, ad te offre à l'esprit le même sens que in te (est s. ent.), quoiqu'il soit peut-être moins employé. Lachmann réprouve cette explication avec trop de légèreté; il va même jusqu'à dire que ces vers sont d'un amoureux transi, qui mériterait d'être mis à la porte. Cette décision est tranchante et bien dure : je doute que le lecteur la partage. Properce, après avoir chanté son bonheur, souhaite que Cynthie lui conserve les mêmes sentiments et ne l'abandonne pas au milieu de sa course amoureuse. Si ce malheur lui arrivait par sa faute, à lui Properce, il veut mourir devant la porte de Cynthie. N'est-ce pas là le langage de la passion ? et y a-t-il lacune dans les idées ?
Voyez BERTIN, Amours, I, 14.; A. CHÉNIER, él. XVII ; LEBRUN, Odes, IV, 5; DORAT, Baiser, XVII.
ÉLÉGIE QUINZIÈME
Endymion (v. 15). La fable rapporte que la Lune ou Diane s'éprit d'amour pour le berger Endymion, fils d'Aëthlius. Elle l'endormit sur le mont Latmus, en Carie, mais de manière à ce qu'il eût toujours les yeux ouverts. De leur commerce secret naquirent cinquante filles. Ceux qui veulent expliquer la fable par des allusions continuelles, ont prétendu qu'Endymion avait observé le premier la lune et ses différentes phases.
Viderit (v. 12). "Amorem sibi vetitum sentiat," dit Lemaire.. C'est plutôt le sens donné par Sylvius : "Illi curae sit, cui partus et rugæ comites pudorem incutiunt. »
Crines solvere (v. 46). Le désordre dans la chevelure était, chez les anciens, une des marques de deuil les plus ordinaires.
Pocula (v. 48). La traduction littérale des mots donne un sens satisfaisant. En prenant pocula trop à la lettre, les uns veulent qu'il s'agisse de poison. D'antres, en admettant notre traduction, voient dans ces mots une allusion aux débauches d'Antoine, et la chose est possible, surtout d'après ce qui précède.
Voyez LEBRUN , él. I, 4 ; PARNY., liv. II, Souvenir, et liv, II , Délire ; BERTIN, Amours, III, 4 et 15 ; DORAT,Blaiser, X ; A. CHÉNIER, él. XXXIII.
ÉLÉGIE SEIZIÈME.
Praetor (v. 1). C'est probablement le même rival dont il est question dans l'élégie VIII du livre I. A son départ de Rome, il offrait à Cynthie de la suivre, et son retour fait le désespoir du poète. Remarquons que Properce ne parait pas très étonné de la conduite de Cynthie, ce qui peint la corruption profonde dont Rome à cette époque se trouvait déjà le théâtre.
Non sequitur fasces (v. 11). Il me semble que, pour lier ces vers à ceux qui les précèdent, il faut admettre une ironie amère dans la bouche de Properce. Cette hypothèse sauverait de plus son honneur, gravement compromis par les conseils qu'il serait censé donner, si on refusait de la reconnaître.
Sinus (v. 12). Les anciens suspendaient leur bourse à leur cou et la mettaient dans leur sein sous les vêtements extérieurs.
Indigna merce (v. 16). Palmérius, longtemps avant Lachmann, avait donné la leçon indignum ! merce p. p. Passeras a préféré l'écriture vulgaire, mais sans en donner de raison, On peut dite que l'exclamation est assez indiquée par le Jupiter, et qu'il y aurait redondance à en admettre une autre. Le sens d'ailleurs n'exige ici aucun changement.
Gemmas (v. 17). La perle est le produit de différents coquillages qu'il faut aller chercher avec grande peine jusqu'au fond de l'Océan. Sur le luxe qui régnait à Rome dans le choix des perles, voyez PLINE, IX, 53 et suiv. (tome VII, page 85)
Agitat vestigia (v. 27). "Nempe magnifice incedere, " dit Turnèbe, ou "pedes agitare," explique Passerat. Le sens que nous avons adopté est dû à Broukh., qui lit agitare mea vestigia.
Eriphyla (v. 29). Ériphyle, soeur d'Adraste, épousa Amphiaraüs, devin célèbre, que Polynice voulait engager dans son parti ; lorsqu'il marcha contre Étéocle, Son frère. Amphiaraüs se cacha, parce qu'il avait découvert par son art qu'il devait périr sous les murs de Thèbes : mais Ériphyle ayant reçu un collier de Polynice, découvrit à ce prince la retraite de son mari. Amphiaraüs fut englouti dans un abîme. Alcméon, son fils, voulut se venger sur celle qui était la cause de sa mort, et se souilla, comme Oreste, d'un parricide.
Creusa (v. 30). Créuse, fille de Créon, roi de Corinthe, reçut les hommages de Jason, qui venait de répudier Médée. Celle-ci, pour s'en venger, envoya à la princesse une robe imprégnée de poisons, qui la fit périr, comme autrefois Hercule, au mileu des plus cruelles tortures, dès qu'elle eut eu l'imprudence de s'en re vêtir.
Cerne ducem (v. 37). Allusion à la guerre civile d'Antoine et d'Auguste.
Smaragdos (v. 43). L'émeraude, au rapport de Pline (liv. XXXVII, ch. 16), était, parmi les pierres colorées, la plus estimée chez les anciens. On accordait à sa couleur verte la propriété de récréer la vue lorsqu'elle avait été fatiguée par d'autres objets.
Chrysolithos (v. 44). Les anciens, d'après Pline (XXXVII, 42, tome XX, page 380), distinguaient la chrysolithe du topaze, comme nous le faisons encore aujourd'hui; mais nous avons renversé les noms qu'ils donnaient à ces deux espèces de pierres.
Orion (v. 51). Jupiter, Mercure et Neptune, voulant récompenser l'hospitalité avec laquelle un vieillard nominé Hyrée les avait accueillis sans les connaître, accordèrent à ses voeux un fils, qui fut appelé Orion. Grand chasseur et chéri de Diane, il offensa la Terre, qui fit naître un scorpion, et une piqûre de cet animal lui donna la mort. Diane obtint des dieux qu'il serait transporté au ciel, où il forme une constellation, qui annonce ordinairement les orages et les tempêtes.
Sidonia (v. 55). Sidon, ville de Phénicie, était voisine de Tyr, et se rendit célèbre , comme elle, par ses manufactures et son commerce.
Ne... Ut timeas (v. 55-56). La traduction littérale serait : "Que pourpre ne paraisse pas à tes yeux d'un assez grand prix pour que tu te condamnes à craindre..."
Voyez BERTIN, Amours, 4 et III, 12.
ÉLÉGIE DIX-SEPTIÈME.
Utroque toro (v. 4). C'est l'idée de Bertin, Am., III, 7 : Je me roule aux deux bords de ma couche brûlante.
Sisyphios (v. 7). Sisyphe, fils d'Éole, infestait l'Attique de ses brigandages, et fut tué par Thésée. Les poètes ont supposé qu'il avait été condamné dans les enfers à rouler au sommet d'une montagne un rocher énorme, qui retombait toujours.
Nunc licet (v. 15). Avant Béroalde, on lisait nec licet ; mais tous les éditeurs et commentateurs jusqu'à Lachmann ont admis la correction proposée. Lachmann, au contraire, professe la plus grande vénération pour l'ancien texte, en cet endroit du moins ; car, au distique précédent, il voudrait jubet pour juvat. Les raisons sur lesquelles il appuie et sa leçon et son retour à l'ancien texte, me paraissent si légères, que je renvoie à son édition ceux qui désireraient les connaître.
Sicca (v. 15). La lune attire la rosée, excepté dans les temps froids.
voyez BERTIN, Amours, II, 2 et III, 7.
ÉLÉGIE DIX-HUITIÈME.
Tithoni (v. 7). Tithon, fils de Laomédon, fut enlevé par l'Aurore, et transporté en Éthiopie. La déesse obtint pour lui l'immortalité. Mais comme elle avait oublié en même temps de demander une éternelle jeunesse, Tithon, parvenu à la décrépitude, fut changé en cigale.
Indos (v. 11). Les Indes étaient, chez les anciens, la limite orientale de leurs connaissances géographiques. Les poètes avaient placé au delà de ce pays la demeure ordinaire et les palais de l'Aurore.
Memnone (v.16). Memnon, fils de Tithon et de l'Aurore, conduisit les peuplés d'Éthiopie au secours de Priam, et fut tué par Achille. De ses cendres sortirent des oiseaux. OVIDE, Métam., XIII, 57.
Quin ego (v. 21). Scaliger fait de ce distique le troisième de l'élégie. Il peut d'ailleurs s'appliquer à son rival ou à Cynthie ; à son rival, car il peut être éconduit en moins d'une heure ; à Cynthie, qui peut aimer à son tour sans être aimée.
Nunc etiam (v. 23). Kuinoël, Laehmann et Lemaire séparent ces vers de ceux qui précèdent, en se fondant sur l'incohérence des idées.
Britannos (v. 23). Au rapport de César (de Bello Gallico, V), les Bretons, anciens habitants de l'Angleterre, pour faire ressortir leurs veines, se peignaient tous le visage avec le pastel, qui donne une couleur bleue. Broukh. observe d'ailleurs avec raison que le fard était connu à Rome longtemps avant la découverte de la Bretagne par les Romains, puisque Caton l'ancien le reprochait déjà aux femmes.
Belgicus (v. 26). Pour Britannicus, à cause du voisinage, dit Passerat ; ou parée qu'une partie de la Bretagne fut peuplée par les Belges, au rapport de César, liv. V, ch. 12, dit Broukh. Sans recourir à tant d'érudition, les Gaulois et les Germains étaient généralement blonds, comme ils le sont encore, et les Italiens presque tous bruns.
ÉLEGIE DIX-NEUVIÈME.
Ludi... Fanaque (v. 6-9). On peut
conclure de ces vers qu'il en était chez les Romains comme chez nous, et que
souvent l'on ne se rendait aux temples ou au théâtre que pour voir et pour
se montrer. Ovide, Art d'aimer, est encore plus précis :
Sed tu praecipue curvis venare theatris :
Haec loca sunt vota fertiliora tuo....
Spectatum veniunt, veniunt spectentur ut ipsae :
Ille locus casti damna pudoris hahet.
Externo...viro (v. 16). "Que les hommes soient exclus de vos danses," traduit Delongchamps par un contre-sens. Vir externus me paraît être ici un homme étranger à la campagne, un citadin avec sa corruption et ses ruses.
Ponere vota (v. 38). C'est porter ses offrandes à la déesse, disent généralement les commentateurs, afin qu'elle soit favorable malgré l'absence. Il y a entre sacra suscipere et ponere vota, une opposition trop marquée pour qu'il soit permis d'admettre ce sens. Delongchamps avait traduit : "O Vénus! tu n'auras alors que mes voeux ! tous mes sacrifices seront pour la déesse des forêts."
Reddere pinu (v. 59) pour pinui cornua. Les chasseurs, chez les Romains, avaient l'habitude de suspendre aux arbres les cornes, et quelquefois la peau des bêtes qu'ils avaient domptées. Ils choisissaient de préférence le pin, parce que cet arbre était consacré à Diane, déesse de la chasse. Voyez OVIDE, Métam., XII, 266; CATULLE, Argon., 106.
Clitumnus (v. 25). Le Clitumnus était un fleuve de l'Ombrie, qui passait à Mévania, patrie de Properce, et se jetait dans le Tibre. La fable dit que les troupeaux qui s'y baignaient en sortaient blancs, et communiquaient cette blancheur à leur race.
ÉLÉGIE VINGTIÈME.
Andromacha (v. 2), Les malheurs d'Andromaque, veuve d'Hector, ont été traités tour-à-tour par Eschyle, Sophocle et notre Racine. D'après les témoignages les plus certains, elle fut emmenée en Épire par Pyrrhus, fils d'Achille, et elle en eut un fils nommé Molossus. Voyez Énéide, III.
Volucris (v. 5). Béroalde veut que ce soit l'hirondelle, qui ne s'est jamais posée sur les arbres; d'autres commentateurs entendent le hibou, consacré à Minerve et honoré à Athènes ; d'autres enfin appliquent cette dénomination au rossignol, qui chante la nuit dans le feuillage ; et l'épithète Attica s'expliquerait très bien, puisque Philomèle était fille de Pandion, et que Pandion était roi d'Athènes. L'épithète funesta nous a fait ranger au second sens.
Cecropiis foliis (v. 5), pour silvis. Ce n'est point un arbre particulier, comme on a pu le croire. L'Égyptien Cécrops fut le premier roi d'Athènes.
Niobe (v. 7). Niobé, fille de Tantale et femme d'Amphion, roi de Thèbes, osa mépriser Latone, parce qu'elle avait quatorze enfants, sept fils et sept filles, au rapport d'Ovide, ou seulement douze, d'après Properce. Apollon et Diane, voulant venger leur mère, percèrent de leurs flèches la nombreuse postérité de Niobé Celle-ci pleurait ses fils, mais s'irritait contre les auteurs de ses maux. Latone la transporta sur le mont Sipyle, en Phrygie, et la changea en un rocher.
Superba (v. 7). Lachmann voudrait superae ; car, dit-il, l'épithète flebilis conviendrait mieux à Niobé... La raison ne vaut rien en elle-même, et superba est donné par tous tous les manuscrits.
Aeratis... nodis (v. 9). On peut regarder ces mots comme une allusion au sort de Prométhée. Voyez I, 12.
Danaes (v. 10) Acrisius, roi d'Argos, avait enfermé dans une tour d'airain sa fille Danaé, parce que l'oracle lui avait prédit qu'il mourrait de la main de son petit-fils. Jupiter pénétra dans la tour en pluie d'or, et eut de Danaé le demi-dieu Persée, qui tua par mégarde son grand-père d'un coup de palet, dans des jeux funèbres.
Erinnyes (v. 29). On appelait de ce nom les Furies, ou Euménides. Selon Hésiode, elles étaient filles du Ciel et de la Terre. Comme elles étaient chargées aux enfers de punir les coupables, les poètes grecs les ont introduites quelquefois sur la scène dans le même but, ce qui leur a fait donner par Properce l'épithète tragicæ.
Aeace (v. 3o). Éacus fut, avec Minos et Rhadamante, le troisième juge des enfers. Fils de Jupiter et d'Europe, il avait gouverné avec sagesse l'île d'Égine, aujourd'hui Engia, dans le golfe Saronique.
Tityi (v. 31). Tityus, fils de Jupiter, voulut faire violence à Latone, et fut précipité dans les enfers, où il couvre de son corps neuf arpents. Un vautour lui ronge le foie, qui renaît sans cesse.
Poena (v. 31). D'autres lisent penna ; mais le sens est le même. La traduction littérale et développée serait : "Qu'un autre vautour destiné à me punir erre parmi ceux qui font le supplice de Titye."
Supplicibus.. tabellis (v. 33). Cynthie, croyant à l'inconstance de Properce, lui avait apparemment adressé une lettre de reproches et de prières, et cette élégie en est la réponse.
ÉLÉGIE VINGT-UNIÈME.
Panthi (v. 1). On ignore quel fit ce rival de notre poète. Plusieurs commentateurs prétendent que le nom est supposé.
Huic quoque qui restet (v. 17). Toutes les anciennes éditions lisent ce vers comme il est écrit ici, excepté que le verbe restet est à l'indicatif. Il en résultait une foule de sens plus ou moins obscurs, parmi lesquels est cette explication de Passerat. Huic (mihi), qui restat (resto) alter quaeritur. Lachmann proposait huic quoque qui restat ?Jampridem ...Comment se venge-t-elle? depuis longtemps.. ce qui est très froid. La correction de Broukh. est simple et donne un sens en harmonie avec le reste. Alter ab hoc quæritur qui restet, nempe qui remaneat, constanter amet."
ÉLÉGIE VINGT-DEUXIÈME.
Demophoon (v. 2). Nom inconnu, et que pour cela, sans doute, on a regardé quelquefois comme supposé.
Aliquis (v. 15). Les prêtres de Bellone et de Cybèle parcouraient la ville à certains jours en se déchirant le corps, et quelquefois même ils poussaient le fanatisme jusqu'à se couper des membres entiers. Ces jeux sanglants s'exécutaient au son de la flûte. Le poète lui donne l'épithète de Phryx, parce que cette espèce de culte avait pris naissance en Phrygie.
Thamyrae (v. 19). Thamyras, fils de Philémon, eut pour patrie la Thrace. Devenu célèbre par son habileté dans la musique et par la beauté de sa voix, il osa provoquer les Muses elles-mêmes. Celles-ci, justement irritées de tant d'orgueil, lui ôtèrent, après l'avoir vaincu, sa voix et son talent sur la lyre, et, de plus, elles le rendirent aveugle.
Alcmenae (v. 25). Tandis qu'Amphitryon, roi de Thèbes, vengeait sur les habitants de Télèbe le meurtre de son beau-frère, Jupiter prit ses traits et trompa ainsi Alcmène, qui eut de lui le célèbre Hercule. On dit que Jupiter arrêta le cours des astres pour prolonger ses plaisirs.
Gemmas requieverat arctos (v. 25). Littéralement il avait reposé pour Alcmène les deux pôles. Comment arctos, pourrait-il signifier nuit, comme le veut Delongchamps ainsi que plusieurs autres ?
Voyez A. CHENIER, élégie XL.
ÉLÉGIE VINGT-TROISIÈME.
Cui fuit indocti (v. 1). Scaliger fait de cette élégie la continuation de la précédente. De plus, il lit indocto pour indocti.
Lacu, (v. 2). Il y avait à Rome de nombreux réservoirs pour abreuver et baigner les animaux ; mais l'eau en était trop peu limpide et trop impure, pour que les riches surtout consentissent à en boire.
Porticus (v. 5). A Rome, la plupart des temples et la demeure des principaux citoyens étaient environnés de portiques, qui devinrent un lieu de promenade et le rendez-vous des amants.
Euphrates (v. 21). L'Orient était renommé, chez les anciens, pour la beauté de ses femmes, et cette réputation subsiste encore de nos jours. On sait que les Turcs préfèrent les esclaves de Circassie ou de Géorgie, pays qui sont un peu au dessus de l'Arménie.
voyez LA FONTAINE, Joconde et les Rémois.
ÉLÉGIE VINGT-QUATRIÈME.
Tu loqueris (v. 1). Properce suppose qu'un ami, Démophoon, par exemple, lui reproche le langage qu'il a tenu dans l'élégie précédente. Mais s'ensuit-il que l'élégie soit adressée à un de ses amis ? Et les idées ne s'enchaînent-elles pas mieux en adoptant, comme nous l'avons fait, le titre qu'a donné Delongchamps dans sa traduction.
Nomine (v. 8). Scaliger écrit ureret et quamvis nomine (Cynthia) ; v. d. Nomine, selon Sylvius, Lemaire, etc., est pour de nomine puellae fallerem. Comment accorder ce sens avec la vérité, et mieux encore avec les idées qui précèdent et qui suivent ? Pour moi, je crois que le sens est je tromperais sur les apparences, nomine étant l'opposé de re, que rien n'empêche de sous-entendre dans la première partie du pentamètre.
Pavonis (v. 11).
Les dames
romaines se faisaient avec les plumes
du paon, différents éventails. Claudien rend aussi témoignage à cette
coutume, quand il dit,
contre Eutr., I,
108 :
Et quum se rapido fessam projecerat aestu,
Patricius roseis pavonum ventilat alis.
Pila (v. 12). A Rome, les femmes riches avaient souvent à la main des globes de cristal, pour tempérer les chaleurs de l'été par une douce fraîcheur. Pline, liv. VII, attribue l'idée de ce luxe à un certain Pithus.
Talos.. eburnos (v. 13). Littéralement des osselets: Ce jeu, ainsi que celui des dés (tesserae), état fort en usage chez les Romains.
Vilia
dona
(v.
14). On pourrait entendre
vilia
relativement au poète. Mais on
ne peut se méprendre sur le vrai sens, quand on sait que l'on
vendait des fruits dans la voie sacrée et que l'on rapproche ce vers, entre
autres passages, de ce que dit
Ovide, Art d'aimer, II :
Rure suburbano poteris tibi dicere
missa
Illa (poma), vel in Sacra sint licet empta via.
Hoc erat (v. 17). En admettant que Properce se parle à lui-même, on comprendra comment la seule pensée de Cynthie l'amène, par une association naturelle d'idées, à cette tirade qui termine la pièce.
Lernaeas (v.25). Les marais de Lerne, auprès d'Argos, étaient infestés, selon la fable par une hydre à plusieurs têtes, et si l'on en coupait une seule, il en renaissait trois. Hercule les trancha toutes d'un seul coup, ce qui délivra l'Argolide de ce monstre affreux.
Hesperio... dracone (v. 26). Atlas, roi de Mauritanie, eut trois filles, appelées les Hespérides, et qui habitaient la Libye. Elles cultivaient un jardin dont les fruits étaient d'or, et que défendait un dragon redoutable. Après avoir vaincu le monstre, Hercule offrit à Euristhée les fruits que celui-ci avait demandés. Ce qui a donné naissance à la fable du dragon, si l'on en croit Pline, c'est que le jardin des Hespérides était bordé au loin par un rivage sinueux.
Minoida (v. 43), Ariadne, que Thésée abandonna dans l'île de Naxos.
Phyllida Démophoon (v. 44). Démophoon, fils de Thésée et de Phèdre, fut jeté sur les côtes de Thrace, lorsqu'il revenait dans sa patrie après la guerre de Troie. Lycurgue, roi du pays, l'accueillit avec bienveillance, et accorda sa fille Phyllis. Bientôt Demophoon partit pour Athènes, en promettant de revenir dès qu'il aurait mis ordre aux affaires du royaume. Comme il tardait