Pindare

PINDARE

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

PLAN DES ODES DE PINDARE OU PARTIE INTERNE.

REPRÉSENTATION DES ODES DE PINDARE OU PARTIE EXTERNE. - OEUVRES COMPOSÉES PAR PINDARE. — TRAVAUX QUELLES ONT SUSCITÉS. — DE NOTRE TRADUCTION.

Traduction française : FAUSTIN COLIN.

 

 

 

 

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
 

 

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

 

PLAN DES ODES DE PINDARE OU PARTIE INTERNE.

Les preneurs inconsidérés du délire pindarique ne manqueraient pas de crier au scandale et à l'impiété, si de nos jours on venait leur dire: « Vous êtes dans l'erreur ; l'aigle de Dircé, en prenant son essor vers l'astre du jour, ne perd pas toujours de vue la terre, comme vous le pensez; souvent son œil perçant a mesuré la hauteur où il doit s'élever, la carrière qu'il parcourra dans son vol; il s'est même d'avance soumis à de pénibles entraves.» C'est cependant une incontestable vérité. Plusieurs idées essentielles étaient imposées à Pindare; il s'engageait à les suivre; un de ses mérites, c'est de porter ces chaînes avec les allures libres du génie.

Il est d'abord tout naturel de supposer que les chants destinés à vanter la Grèce dans ces fêtes solennelles célébrées pendant des siècles, ont été insensiblement assujettis à des conditions communes d'ordre et de régularité. L'éloge de victoires semblables, le renouvellement des mêmes pompes à des époques pareilles, a dû produire cet effet. En outre ceux qui prodiguaient leurs trésors, afin d'être chantés, étaient bien en droit de demander que l'auteur fît entrer dans son œuvre un certain nombre d'idées déterminées, de pensées principales; ils les énuméraient au poète : celui-ci, de son coté, ne pouvait se mettre à l'œuvre sans avoir reçu d'eux plusieurs données positives, plusieurs renseignements indispensables, en un mot une espèce de programme.

Ce ne sont encore là, nous le voulons, que des conjectures; mais ne deviennent-elles pas certitude pour peu que nous soyons disposés à croire sur parole Pindare lui-même. Dans plusieurs passages de ses odes il fait des allusions, directes à ce programme qu'il doit remplir, à cette loi qu'il subit, et dont il ne veut pas s'écarter : c'est même pour lui un moyen de transition assez fréquent.

« J'en dirais davantage ; mais le programme que je dois suivre , mais les heures qui me pressent m'en empêchent (1). Mes ennemis m'observent,  »

«Et vous, Eacides aux chars d'or, sachez que mon programme α le plus clair est de ne jamais aborder dans votre île sans vous « combler d'éloges (2). »

Quelquefois le poète emporté au loin par sa verve, s'arrête tout à coup, et s'excite à rentrer dans les limites qui lui ont été prescrites, à traiter encore un point qu'il a promis de ne pas passer sous silence, à gagner par une honnête exactitude les honoraires qui ont été stipulés.

«Tourne de nouveau les agrès vers la terre  d'Europe ... C'est pour les Théandrides que j'accours fidèle à mon engagement (3). »

« Arrête ta rame; vite que l'ancre jetée de la proue aille mordre la terre, et nous sauve des écueils cachés. Car les éloges de mes hymnes fleuris, semblables à l'abeille, volent d'un sujet à un autre (4).»

«O ma muse, s'il est vrai qu'un salaire convenu anime ta voix,  varie tes accords en l'honneur....(5) »

« Pour moi qui lance droit mes traits rapides, je ne dois point d'un bras vigoureux leur faire dépasser trop souvent le but. Je suis accouru avec joie pour chanter les muses aux trônes éclatants, et la victoire des Oligéthides dans l'Isthme et dans Némée. En peu de mots, je vais publier leurs nombreux succès (6). »

«Le dos chargé volontairement d'un double fardeau, je suis venu en qualité de messager (7). »

«Mais, pendant que j'apaise ma soif de vers, il me semble qu'elle me presse encore de m'acquitter d'une dette en rappelant l'antique gloire de ses aïeux (8). »

II.

L'existence d'un programme arrêté d'avance étant démontrée pour les odes de Pindare, il n'est pas très difficile d'en retrouver les éléments essentiels sous les formes du vers, et d'indiquer les .développements ajoutés au sujet par la muse de l'auteur.

Ainsi, après avoir exposé, autant qu'il était en nous, la partie externe, musicale, pittoresque, et, pour ainsi dire, physique, des chants de victoire, nous parviendrons à en révéler le mécanisme intérieur, la partie officielle distincte d'une partie purement poétique.

On peut réduire aux chefs suivants les idées imposées à Pindare par l'usage et par ceux qui venaient lui demander un hymne :

1° L'éloge du vainqueur lui-même, de sa victoire, de ce qui avait déjà pu l'illustrer dans sa vie.

2° L'éloge de ses parents, de ses ancêtres.

3° L'éloge de sa patrie.

4° L'éloge des dieux protecteurs des Jeux et dispensateurs de la victoire.

Tel est le canevas uniforme et vulgaire que le poète devait relever, diversifier, animer par les ressources de «on immense talent. Les moyens de réussir ne lui manquent pas plus qu'ils ne manquèrent à Horace chargé par Auguste de composer le carmen sœculare, en remplissant plusieurs conditions que prescrivaient la solennité et les ordres sîbyllins.

1° Pindare a recours à la fable.

2° Il rappelle les vieilles traditions.

3° Il adresse des conseils aux vainqueurs (9).

4° Il fait des vœux pour leur félicité.

5° Il sème partout de sublimes maximes.

6° Il invoque les dieux.

7° Il vante son art (10).

III.

C'est une idée fort étrange que celle d'appliquer sérieusement à des odes, comme l'a fait Schmidius, les règles de la composition oratoire, et de leur demander une disposition toute méthodique de parties qui permette d'y retrouver une proposition, une division, une exposition, des preuves.... Le procédé du poète n'est pas celui de l'orateur. L'orateur calcule tout dans un but connu vers lequel il marche à pas concertés; sa route est là sur la terre, je la vois, je puis la suivre, et y compter les empreintes qu'il y a laissées. Le poète lyrique a des ailes. C'est à travers les airs qu'il se dirige; comme l'oiseau voyageur, il sait d'où il part, où il va, où il reviendra; mais son passage ne laisse pas toujours des traces. Ne faisons donc pas de vains efforts pour les découvrir, contentons-nous de reconnaître les grandes directions.

Ou Pindare se borne uniquement à louer le héros qu'il célèbre, alors le plan de l'ode est simple; ou à l'éloge il mêle des développements épisodiques, alors le plan est complexe. Dans le premier cas toutes les idées s'enchaînent facilement, l'analyse est superflue; dans le second on peut reconnaître un sujet direct, un sujet accessoire ou plusieurs sujets accessoires, puis la pensée qui les unit.

Une étude patiente et minutieuse de la place que chaque élément occupe dans les œuvres du grand lyrique et de l'importance qu'il leur a donnée, nous a conduit à ce résultat

Sur les six mille vers environ qui nous restent de Pindare, trois mille à peu près sont consacrés à traiter le sujet direct, les autres sont épisodiques (11). Sans prétendre le moins du monde asservir l'inspiration à des lois mathématiques , nous pouvons esquisser rapidement la manière du poète.

Les maximes qui sont fort nombreuses (12) se font remarquer aussi bien au milieu de chaque ode qu'à la fin ou au commencement. Nous pouvons en dire autant des prières aux dieux, des vœux, des conseils, des retours que le poète fait sur lui-même et sur les avantages de la poésie.

Au commencement de presque toutes les odes, Pindare annonce le sujet, proclame la victoire et le nom du vainqueur célébré. Il le fait quelquefois avec une simplicité homérique, très rarement loin du début. Des mythes,des traditions, des récits épiques, occupent le plus souvent le milieu, et forment au moins le tiers des œuvres que nous analysons. Les louanges du héros semblent d'ordinaire reparaître à la fin comme une conclusion; l'hymne ne se termine presque jamais par l'épisode.

Des arguments placés en tête de chaque ode dans notre traduction, montrent comment le poète groupe autour de l'élément principal tous les éléments secondaires; ils font connaître ce que l'on sait, ce qu'il est utile de savoir sur le vainqueur, sur ses parents, ses ancêtres, sa vie, sa patrie, sur sa victoire, sur les dieux qui l'ont dispensée; ils indiquent le rapport qui unit l'éloge du héros aux récits mythiques, aux souvenirs traditionnels que le poète rappelle, aux conseils, aux maximes, aux vœux qu'il exprime. Des notes, au besoin, achèvent d'éclaircir plusieurs points obscurs.

Mais, nous le répétons, ce travail n'est pas et ne peut pas être complet, les traces du lyrique ne sont pas toujours sensibles. Ses œuvres ne sont point

Jardins plantés en symétrie,
Arbres nains tires au cordeau ;

Mais

....de vastes forêts

où l'on voit

....la nature libre et hardie
irrégulière dans ses traits (13).

Que devons-nous donc penser du travail de Dissen qui ramène à des formules d'Algébriste le plan des chants de victoire?

Soit A le sujet direct de l'ode; Β le sujet indirect, mythique; C un deuxième sujet indirect qui n'est pas mythique; D un troisième sujet indirect qui n'est pas mythique :

Voici tes formules qui représentent, selon l'écrivain allemand, la marche du poète dans trente-cinq odes (14).



Nous ne saurions nous résoudre à combattre sérieusement cette invasion de l'exactitude mathématique dans le domaine de la littérature; une inspiration libre, aventureuse même, sans être désordonnée, a dû guider le poète pour le choix et la disposition des éléments de ses odes.




 

(1) Ném. 4, str. 7.

(2) Ist. 5, ép. 1.

(3) Nêm. 4, str. 9 et 10.

(4) Pyth. 10, ép. 3.

(5Pyth. 11, ant. 3, ép. 3.

(6) Olymp. 13, str. 5.

(7)   Celui de célébrer Alcimidas puis les Eacides : Nèm. 6, ant. 3.

(8Pyth. 9, str. 5.

(9) A ces conseils se rattachent des allusions politiques.

(10) Cela le conduit à se plaindre de ses rivaux.

(11) Plus de 2200 vers sont en récite épiques.

(12) Plus de 700 vers sont en maximes.

(13) Vers de Voltaire.

(14) Le plan est considéré comme simple dans les neuf odes qui restent : la Ném. 2 et 10 ; la Pyth. 7 ; l'Isthm. 2 ; les Ol.4, 5,10,12,14.