Pindare

PINDARE

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

REPRÉSENTATION DES ODES DE PINDARE OU PARTIE EXTERNE.

TÉMOIGNAGES. APERÇUS BIOGRAPHIQUES.

Traduction française : FAUSTIN COLIN.

 

 

 

 

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
 

 

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.



OEUVRES COMPOSÉES PAR PINDARE. — TRAVAUX QUELLES ONT SUSCITÉS. — DE NOTRE TRADUCTION.

Il est fort naturel de regretter l'éclat extérieur qui relevait les ouvrages de Pindare; de rechercher les éléments qui en formaient la représentation. Mais c'est une perte bien secondaire si nous songeons que nous possédons la partie la plus intéressante des chants de victoire, c'est-à-dire le texte et les vers; si nous nous rappelons surtout combien d'autres poèmes que le temps nous a enviés avaient illustré le chantre thébain. De nombreux fragments (1), épars dans les auteurs de l'antiquité, attestent que Pindare avait aussi composé :

1° Des hymnes chantés par un chœur en l'honneur des dieux, au son de la cithare et devant l'autel.

2° Des péans en l'honneur d'Apollon et de Diane.

3° Des dithyrambes en l'honneur de Bacchus.

4° Des prosodies, ou vers chantés au son de la flûte au moment où l'on s'approchait des autels ou des temples.

6° Des parthènies, odes chantées par les chœurs de jeunes filles.

6° Des hyporchêmes, ou odes en l'honneur d'Apollon, chantées sur un rythme plus rapide que les péans, avec une action mimique distincte du chœur.

7° Des éloges, ou odes en l'honneur des vainqueurs, mais chantées dans un festin, et plus libres, plus gaies que les autres.

8° Des scolies ou odes de table, chantées par chaque convive à tour de rôle, sur des sujets enjoués, gracieux. Les scolies de Pindare étaient antistrophiques. Un chœur y était joint, mais seulement pour la danse.

9° Des thrènes, odes dans le genre triste, chantées au son de la flûte, dans les repas funèbres.

De tant de richesses il ne nous reste que cinq cents quarante-trois vers environ (2)

Les poèmes de Pindare que nous avons complets sont : quatorze olympiques, onze néméennes, douze pythiques, sept isthmiques. Classée par Aristophane de Byzance (3), et revus par les Alexandrins, ils forment avec les fragments un total de six mille vers à peu près: matière féconde sur laquelle se sont exercés à loisir éditeurs, commentateurs, traducteurs.

II.

De nos jours on a prétendu que les épopées anciennes et les anciennes cathédrales avaient été bâties, comme les palais de cire des abeilles, par des populations entières, aux époques de vive croyance et de naïf enthousiasme. Nous n'avons jamais adopté cette opinion étrange : cependant nous serions tentés de l'appliquer à une sorte d'ouvrages; s'il en existe qui soient réellement faits par tout le monde, ce sont les ouvrages philologiques.

Depuis Pindare jusqu'à nos jours, une innombrable série de travailleurs n'a cessé de réunir à travers les siècles les matériaux qui doivent servir à l'intelligence, à l'interprétation de ses œuvres. Chacun d'eux, dans le coure des ans, a recueilli sa petite renommée que son plus voisin successeur n'a guère manqué d'absorber dans la sienne propre. Leurs titres à la reconnaissance des littérateurs sont fort divers. Les une ont compulsé tout simplement quelques-uns des cent manuscrits qui existent (4), et édité les œuvres du poète avec plus ou moins de correction et de fidélité; d'autres ont détrôné ou restauré des iota souscrits, des esprits doux ou rudes, des longues ou des brèves, des augments syllabiques ou temporaires, des points et des virgules, des syllabes ou même des mots entiers; d'autres ont remis sur pied des vers boiteux, redressé des constructions vicieuses, commenté chaque expression, chaque tour, éclairci les traditions nationales et mythologiques rappelées par le poète; exhumé l'histoire des familles aristocratiques célébrées dans sus chants. D'autres ont traduit en latin, en anglais, en allemand, en français.., etc., etc., une partie de ses poèmes; quelques-uns, tous ses chants de victoire (5); d'autres, mais en très petit nombre, se sont avisée d'en étudier les beautés littéraires et le mérite moral ; un plus petit nombre encore, de les reproduire par l'imitation.

Certes, si les limites de cette introduction le permettaient , nous aimerions à énumérer, en suivant l'ordre des temps, tous les trésors d'érudition que nous possédons sur Pindare; nous tenterions de restituer à chaque philologue la part de gloire qui lui revient. Mais cette analyse minutieuse ne serait pas d'une grande utilité; elle n'aurait aucun attrait pour les esprits. Nous devons donc nous borner à une esquisse rapide.

Sous Léon X, Alde fit à Venise, en 1613, la première édition de Pindare, et peu de temps après Callierge en publia une autre à Rome. Sauf quelques corrections, elles ont été suivies dans la plupart des éditions postérieures. Celles de Ceporinus, de Henri Etienne, de Paul Etienne, de Schmid, de Jos. Benedictus (6), méritent d'être mentionnées avec gloire; mais dans aucune on ne trouve les débris étiquetés depuis sous le nom de fragments. Nous ne parlons pas ici de publications moins importantes qui ne renferment qu'une partie des œuvres de notre poète.(7) Il nous tarde de citer les grands travaux qui honorent le dix-neuvième siècle, les éditions savantes et originales de Heyne, de Boissonade, de Bœck, de Dissen. Ces auteurs ont consulté de nouveaux manuscrits avec ardeur et perspicacité. Ils ont réussi, autant qu'il était possible, à nous donner un texte pur et fidèle; la science désormais ne saurait aller plus loin dans cette direction. On regrette toutefois que l'excellent travail de M. Boissonade ne soit pas accompagné de notes détaillées. Ses trois rivaux sont dignes d'admiration à la fois en qualité d'éditeurs et de commentateurs. Bœck et Heyne ont joint au texte les scholies grecques, base véritable et solide de toute interprétation. Dues aux recherches des grammairiens d'Alexandrie, tels qu'Ammonius, Aristarque, Aristodème.... les scholies ont été recueillies par les scholiastes modernes, Thomas Magister, Manuel Moschophorus, Tzetzès, Démétrius Triclinius.

Notre intention n'est pas de passer en revue ici tous les travaux d'interprétation qu'a fait naître Pindare. Presque tous les éditeurs ont joint des commentaires au texte. Mais comment ne pas rappeler, ne pas recommander en particulier aux hommes d'étude les notes de Paw, de

Welcber, les dissertations de Wachsmulh, de Hermann, la préface deThiersch, les recherches dé Schneider, les éclaircissements de Tafel, la préface de Bœck, ses notes critiques et explicatives, ses livres sur la métrique; et, au premier rang, à notre avis, les introductions, les explications de Dissen, modèle de sobre érudition et de lucidité toute.française; travail judicieux qui seul peut-être pourrait tenir Heu de tous les autres.
Pourquoi faut-il que plusieurs de ces immortels philologues ne soient pas entièrement à l'abri de la critique? pourquoi, dans les questions problématiques, ne peuvent-ils pas dire: «Voilà ce que nous savons, voilà ce que nous «ne savons pas; voilà où le doute commence, où il-finit*.» Nullement: on cite, on cite toujours; on rapproche, on * compare; on se passionne pour son idée, on se jette dans le paradoxe, la richesse devient misère, la science produit et répand les ténèbres. Il y a dans Tafel des pages qui ressemblent à cette ligne: «Et inSapph., fragm. 31, apud volgerum, p. 83. (Athen. 13, 599. D. Schweigh., t. V, LXIII, cap. 9).
Le sage Dissen lui-même exagère une idée heureuse dans ses admirables analyses des odes. Il s'obstine trop à y trouver toujours une pensée morale, philosophique, i*ae espèce de texte déguisé auquel il rattache quelquefois arbitrairement tout le reste de la pièce, comme si chaque ode de Pindare n'était pas un bel arbre qui s'élance d'un jet vigoureux vers les cieux, avec son feuillage, avec ses fruits exquis et parfumés. Bœck est téméraire; témoin toute sa métrique ; une érudition immense ne permet pas toujours à ses opinions de se dégager avec netteté.
Les traductions accompagnent ou suivent les commentaires. Jos. Lonicerus a publié, au seizième siècle, la première traduction latine de Pindare. Philippe Melanc-thon, Henri Etienne et beaucoup d'autres l'ont imité:

8 C'est le défaot de la préface de Thiersoh.
 

on en trouve une dans presque toutes les grandes éditions; mais ce n'est guère qu'un mot à mot servi le dont toute l'utilité se borne a tenir lieu quelquefois de dictionnaire. L'interprétation en vers de Sudorius est élégante, mais ce n'est plus Pindare. Il y a d'heureux passages dans les traductions (9) partielles publiées en français par Sozzi, Vauviltiers, Chabanon, Le Batteux, Sallier, Vincent (10), Massieu (11), et dans les traductions complètes que nous possédons. Marin, sans doute, est plein d'erreurs; mais il est venu le premier. La Gauzie n'est guère plus supportable, mais il est venu le second; il faut d'ailleurs lui savoir gré d'avoir essayé du vers et de la prose; Gin s'égare avec une emphase solennelle; mais il a le sentiment de l'harmonie. Tourlet est une vieille coquette attifée de parures disparates, mais parfois il rencontre des airs d'élégance et de bon goût. Muzac est inconnu. Hé bien l de tous nos traducteurs, c'est le seul qui se soit approché des allures de Pindare. Il est seulement fâcheux qu'il n'ait pas de méthode; qu'ici nous le trouvions serré, précis, nerveux, exact; là diffus, délayé, traînant, languissant.

Les milliers d'années qui se sont écoulées depuis l'école d'Alexandrie jusqu'à nos jours, ont vu paraître les recherches consciencieuses et patientes, les essais d'interprétation plus ou moins heureux que nous venons d'énumérer, en nous attachant aux travaux essentiels. Tous les philologues, tous les littérateurs qui n'ont pas craint d'y prendre part, méritent quelque estime; tous ont eu leur point de vue distinct; nous avons aussi le notre.

III.

Pindare, tel que les siècles et la nature même des choses nous l'ont fait, n'est à nos yeux qu'une admirable ruine. La plupart de ses œuvres n'existent plus; les .plus complètes de celles qui subsistent sont incomplètes à plusieurs égards : nous n'avons entre les mains qu'une partie; comment pourrions-nous donner le tout? Il n'y a de sensé, d'utile, de possible qu'un travail de restauration, de restitution. Encore faut-il respecter d'augustes débris, se borner à de modestes essais, et s'arrêter devant des obstacles désormais infranchissables. Ce travail est encore très étendu; et peut embrasser l'époque de l'auteur et l'influence qu'elle a exercée sur lui; la vie de l'auteur et l'influence qu'il a exercée à son tour sur son époque et les temps postérieurs; l'ensemble de ses œuvres et leur nature complexe; la partie qui peut s'appeler externe, et qui s adresse plutôt aux sens qu'à l'âme; la partie qui peut s'appeler interne, qui parle plutôt à l'âme qu'aux sens.

La solution, aussi entière que possible, de ces problèmes, peut seule conduire à une connaissance approfondie de Pindare : déjà une foule de travaux ont été tentés, poussés quelquefois à leur dernier terme avec une science profonde et un rare bonheur. Noue savons sur Pindare, sur son époque tout ce que nous en saurons jamais; l'inventaire exact de ses compositions a été dressé. Voilà les titres des poèmes qui sont perdus sans retour; voilà tous les mots, tous les lambeaux de phrases, toutes les phrases, tous les fragments qui ont pu être arrachés à l'oubli et à la destruction : voilà un texte pur des œuvres qui ont été conservées intactes. Une foule de notes, de commentaires, d'arguments, de préfaces, de discours préliminaires, d'introductions, en expliquent, en éclaircissent le sens pittoresque et le sens moral; les traductions abondent en beaucoup de langues; les témoignages, les jugements sont très nombreux.

Que reste-t-il donc à faire? Nous l'avons déjà indiqué; ne pas oublier que Pindare n'existe plus aujourd'hui pour nous qu'à l'état d'un beau débris, et partir de ce point de vue pour l'étudier et le comprendre autant que faire se peut. Mais cette entreprise demande encore bien des efforts. En effet, les travaux dont nous ayons parlé sont très estimables, mais ne sont ni complets, ni rédigés avec une précision scientifique, ni même à la portée du public; il serait urgent d'y ajouter quelques détails nouveaux, de les résumer avec lucidité, d'en retrancher toutes les idées systématiques. En France surtout, les matériaux pour étudier Pindare manquent presque entièrement. Épars dans un grand nombre de volumes d'un prix élevé, il est difficile de se les procurer tous; quand on les possède, on ne peut pas toujours en tirer tout le fruit désirable, faute de temps; quelquefois même pour les mettre à profit, la connaissance de plusieurs langues est indispensable. Telle édition excellente est dépourvue de notes; telle autre en est surchargée. Cette préface, cette traduction est très savante; mais elle est allemande ou anglaise.

Chez nous aujourd'hui, deux publications seraient très utiles :

1° Une édition de Pindare à l'usage des élèves et des professeurs.

2° Une traduction complète de ses œuvres.

Cette édition renfermerait la vie de Pindare et quelques aperçus sur son époque; l'historique de ses œuvres et les preuves de leur authenticité; le texte des odes et des fragments, disposés d'après la métrique des alexandrins, accompagnés d'arguments et d'une glosse latine en regard; au-dessous du texte on pourrait placer des notes sur les hellénismes les plus difficiles et tes variantes. À la fin seraient rejetés les détails de métrique; un dictionnaire, alphabétique des mots qui ont un sens particulier dans Pindare, un autre des expressions qui se rattachent à l'histoire, à la géographie, à la mythologie, aux antiquités. Nous ne nous sommes occupé que de la traduction de Pindare ; des idées toutes particulières nous ont guidé dans l'exécution de ce projet; il est nécessaire de les exposer, de les motiver.

A prendre le mot traduction dans le sens vulgaire, il nous semble impossible de traduire Pindare. Ce poète, en effet, n'a point confié aux mots seuls toute sa pensée: une grande partie se révélait par la voix des choristes, par le jeu des instruments de musique, par les gestes des figurants, par la danse, par les lieux, les temps où l'ode était représentée, par mille circonstances qui en relevaient la mise en scène.

Nous supposons un moment que vous réussissiez à faire passer en français le sens du texte grec; mais la mélodie du musicien; mais les grâces austères du ballet; mais l'harmonie du rythme et l'énergie d'un accent passionné; mais cette éloquence attachée aux voûtes d'un temple, aux murs d'un prytanée, à l'enceinte d'un agora; mais toutes ces voix qui semblent s'élancer du foyer domestique, du sol de la patrie pour saluer le retour d'un fils triomphant; mais cette action électrique d'impressions diverses qui fondent à la fois sur le spectateur et captivent en même temps ses oreilles, ses yeux, maîtrisent sa raison, son imagination et son cœur; qu'en avez-vous fait? Ah! votre traduction la plus fidèle, la plus élégante, n'est et ne peut étire qu'un plâtre livide et froid moulé sur le visage d'un mort. Encore, c'est ce que la plupart des interprètes ne nous donnent pas. A beaucoup échappe le sens de l'auteur; beaucoup retranchent ou ajoutent des idées et chargent la traduction de commentaires; beaucoup brisent le moule de la phrase grecque, coupent ces longues périodes, intervertissent l'ordre des pensées, renversent du sommet de la strophe certains mots dont l'attitude imposante et poétique devait être respectée; ils en altèrent la simplicité noble, la familiarité grave; une image hardie les épouvante : ils reculent devant un tour original ; par timidité, ils se jettent de ta poésie dans la prose, de la région de feu dans de froides ténèbres, quelquefois même ils prétendent être plus chastes que le plus chaste des poètes ; philologues puritains, qui, dans l'enthousiasme de leur farouche pruderie, jetteraient volontiers une ignoble mantille sur les épaules de la Vénus de Milo, et couvriraient sans remords le chaste sein des Vierges de Raphaël.

Et que l'on ne nous accuse pas de vouloir nous faire un mérite des fautes d'autrui, nous qui avons profité de tous les scoliastes, de tous les commentaires, de toutes les traductions, de toutes les imitations que nous avons pu recueillir et étudier. Quelque imparfaits que soient les travaux éditée sur Pindare, il résulte de leur ensemble qu'ils suffisent pour l'intelligence de ce grand lyrique. Nous déclarons donc que nous nous sommes aidé de tous les matériaux qui sont tombés entre nos mains, avec le regret d'être encore trop souvent abandonné à nous-même. Loin de nier les nombreux emprunts que noue avons faits, nous reconnaissons devoir parfois à nos devanciers la réfutation même de leurs doctrines, et noue songeons moins à les rabaisser qu'à demander grâce pour nos faiblesses que nous voyons et pour celles que nous ne voyons pas. Ce que nous désirons par dessus .tout, c'est que notre plan, notre point de vue soit compris.

On peut traduire Horace, ses odes étaient destinées à êtres lues; il n'en est pas de même des odes de Pindare, destinées à être représentées et chantées. Ses vers ressemblent sous quelque rapport au libretto de nos opéras, avec cette immense différence néanmoins que, dans l'opéra, la musique domine le vers, tandis que dans Pindare levers domine la musique. Or, si vous n'avez pas l'idée d'un opéra après avoir lu le libretto, vous n'aurez non plus qu'une faible idée d'une ode de Pindare après avoir connu les vers. Nous ne pouvons nous élever avec assez d'énergie contre les jugements qui apprécient une œuvre ainsi mutilée, comme si elle était complète; contre les philologues qui la traduisent, comme .s'ils en avaient tous les éléments.

Cela étant, nous nous sommes moins proposé de donner une traduction impossible à notre avis, qu'une interprétation exacte; moins d'offrir à des lecteurs délicats une série de morceaux littéraires qui pourraient piquer leur curiosité et flatter leur goût, qu'une suite d'études où nous nous efforçons de lutter contre le texte grec, en employant constamment la chaste nudité d'une phrase sévère. Nous ne savons ni corriger, ni augmenter, ni orner l'original. Nous dessinons souvent d'après l'écorché : est - ce notre faute? Cette image est bizarre; de quel droit la changer? Celte phrase, longue, embarrassée : pourquoi la notre serait-elle brisée et dégagée?Toutes les fois que nous trouvons en français un tour correspondant au tour grec, nous l'adoptons, en reconnaissant que si nous eussions été libre, nous aurions, pour notre propre compte, exprimé autrement la même idée.

Notre système n'est pas celui que M. de Chateaubriand suit pour Milton ; il nous paraît trop hardi : c'est le système tenté par Paul-Louis Courier pour Hérodote; nous le suivons à outrance jusqu'à ce que la grammaire nous oblige de sortir de notre voie; ce qui est très rare. Une transition manque; il ne nous appartient point de la rétablir. Ce passage est obscur; loin de nous la pensée de le rendre clair par dés développements étrangers à l'ode, et insérée frauduleusement dans fa pièce. Encore une fois, il y a dans Pindare des lacunes nécessaires; notre introduction, des arguments, des notes essayent de les combler. Nous n'avons pas toujours réussi. Moins ardue que celle d'Homère, la question pindarique l'est néanmoins. Il y a progrès, peut-être, toutes les fois que l'ignorance, à force de recherches, finit par se reconnaître et avouer son impuissance. Qu'est-ce «que celle science qui consiste à soulever sans cesse des problèmes qu'elle ne résout jamais; à remuer des rocs qui retombent éternellement sur les malheureux assez naïfs et dévoués pour subir ces inutiles tourments? Notre travail ne place point d'emblée les adeptes dans le temple; mais il leur épargne les fatigues d'une trop pénible, trop longue initiation.

Quelques principes d'une vérité manifeste ont guidé plus sûrement nos pas que toutes les remarques des érudits :

La partie externe des odes jette un jour très vif sur la partie interne.

Les détails d'une ode font connaître l'ensemble, et l'ensemble les détails.

Dans chaque chant lyrique domine presque toujours une idée qui en constitue l'unité et sert de clef pour l'intelligence de ce qui est accessoire.

Pindare est le plus grand commentateur de Pindare. Pour expliquer une ode, il faut les avoir lues toutes.

Le poète étant assujetti à un programme, il importe de distinguer le programme de la partie fictive, mythique, poétique.

Une traduction de Pindare devrait être illustrée, c'est-à-dire accompagnée de gravures, représentant le lieu de la scène, la marche de la pompe, les instruments de musique, les costumes, les divers jeux de la Grèce, les enceintes où ifs se livraient, les armes, les chars; elle pourrait peut-être alors captiver l'attention des gens du monde. Mais ici, nous ne songeons qu'à venir en aide aux jeunes hellénistes, qui n'ont pas comme nous le loisir de débrouiller le chaos d'un amas de commentaires; notre travail, nous l'espérons, leur rendra l'intelligence du texte plus facile et plus prompte, les disposera à juger le poète d'après un point de, vue plus élevé, plus juste, et peut-être, leur assurera quelqu'une de ces jouissances littéraires, si intimes, si pures, si délicieuses. Mais qu'aucun d'eux n'espère entendre dans son unité ravissante le beau concert de la poésie de Pindare: à travers les âges, à travers mille erreurs, à travers tant de ruines, heureux ceux qui parviennent à en saisir quelques accords lointains ! Ainsi, quelquefois il nous est arrivé de n'entendre d'une musique mélodieuse, exécutée loin de nous, que des sons harmoniques brisés par les vents, pair les coteaux, par les forêts, par les rivières, et qui cependant nous charmaient encore !

(1) Élien, Aristide, Athénée, Saint-Clément d'Alexandrie, Pausanias, Platon, Plutarque, Stobée, Suidas, les Scholiastes, etc.

(2) D'après la coupe adoptée par Boissonade.

(3) Vie de Pindare. par Thomas Magister.

(4) Selon Bœck, la plupart datent du quinzième siècle; un petit nombre se rapportent au treizième et au quatorzième siècle.

(5) Les fragments ont été rarement traduits : nous en donnons la première traduction française; ils ont été recueillis pour la première fois par Schneider, à Strasbourg ; 1776.

(6) Benedictus est aussi un commentateur fort distingué. —

(7)  Les curieux trouveront la liste et l'appréciation des principaux manuscrits de Pindare dans le grand ouvrage de Bœck, t. I, Prœf. La bibliothèque grecque de Fabricius, et surtout l'édition de Harlès, Hambourg, 1791, t. Il, p. 65, énumère jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, les travaux essentiels auxquels Pindare a donné lieu, éditions, commentaires, traductions. Consultez aussi la préface de Heyne, Pindar, Carm.; Lips. 1817.

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(9) Ces travaux particuliers, précédés presque tous de discours où sont exposées d'excellentes vues, ont devancé les travaux des Allemands qui en ont habilement profité pour faire mieux. Nous tenons à consigner ce fait pour relever un peu les Français à leurs propres yeux du rang inférieur où ils se placent eux-mêmes comme philologues. -