Nonnos

NONNOS

LES DIONYSIAQUES ou BACCHUS.

Chant huitième.

Traduction française : LE COMTE DE MARCELLUS.

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

chant VII - chant IX

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NONNOS

 

DIONYSIAQUES.

 

CHANT HUITIÈME.


Le huitième livre contient la cruelle jalousie de Junon aux discours trompeurs, les noces brûlantes de Sémélé, et Jupiter son bourreau.


Ainsi disait le dieu, et il remonta dans l'Olympe : mais, sous les hautes voûtes de son palais, son coeur éperdu retourne vers la nymphe, et pense à Thèbes plus qu'à l'empire des airs. Le séjour attrayant de Sémélé est devenu le ciel de Jupiter.

Cependant les légères suivantes du fils de Saturne, les Heures, couraient rapidement dans le palais de Cadmus; et, sous l'influence de son divin hyménée, Sémélé voyait de jour en jour s'arrondir et s'appesantir ses flancs; elle se plaisait à former des couronnes, pressentiment du goût de son fils Bacchus pour les guirlandes (01). Sur sa tête chargée de fleurs, elle entrelaçait à ses cheveux sacrés les tresses naturelles du lierre, emblème futur des Bassarides, et préparait ainsi pour les nymphes qui allaient naître le nom du lierre qu'elles devaient porter plus tard (02).

Bien qu'alourdie sous ce divin fardeau, si par hasard le chalumeau d'un vieux berger se faisait entendre auprès d'elle, à ce bruit répété par l'écho champêtre elle mêlait sa voix inspirée, et s'élançait, vêtue à peine, hors de ses appartements; si les tons montagnards de la double flûte venaient à retentir, s'échappant,. les pieds nus, des voûtes élevées du palais, elle courait d'elle-même vers les penchants de la forêt solitaire ; si les cymbales retentissaient, elle tournait sur ses jarrets, et d'un pas oblique formait les contours de pirouettes arrondies ; si les mugissements d'un taureau au large front frappaient ses oreilles, elle y répondait par un semblable mugissement. Souvent, dans les pâturages des collines, elle unissait une voix furieuse aux chansons de Pan, et devenait pour lui l'harmonieuse Écho. Puis, au son pastoral de la corne sauvage, elle entrait dans les choeurs dansants ; l'enfant ingénieux renfermé dans ses flancs y sautait avec elle en cadence. Créé à demi, il imitait instinctivement déjà par son chant le ton des flûtes, et en faisait résonner le sein de sa mère.

C'est ainsi qu'un spirituel embryon, messager de la joie, croissait dans les entrailles qui s'appesantissaient sous cet enfant mâle; et autour de lui les suivantes du fils de Saturne, les fleures, dessinaient leur couronne dans les airs.

Cependant l'Envie surveillait les amours du maître des dieux, et la divine grossesse de Sémélé ; l'Envie, haineuse, piquée de son propre venin, et jalouse de Bacchus même avant sa naissance, médita, dans le replis de son coeur, une astucieuse pensée. Revêtant la forme trompeuse de Mars, elle prit des armes toutes semblables, teignit du suc fictif d'une fleur empoisonnée la surface de son bouclier, comme s'il était taché de sang ; et, peignant de carmin ses doigts comme après un combat meurtrier, elle rougit ses mains de cette couleur empruntée, pareille aux traces du carnage. Puis, poussant au loin la voix formidable qui brise les courages, elle fit sortir de son gosier le cri égal aux clameurs de neuf mille combattants (03), s'empara de l'esprit de Minerve par ses discours séducteurs, excita bien plus encore la colère de la jalouse Junon, et parvint à les irriter l'une et l'autre par ces paroles :

« Ô Junon ! cherchez, croyez-moi, cherchez un nouvel époux dans le royaume des aire. Sémélé vous a ravi le vôtre : ne voyez-vous pas que, par amour pour elle, il a échangé les sept zones du ciel contre les sept portes de la ville de Thèbes? et qu'au lieu de vous, c'est une mortelle et une nymphe enceinte qu'il tient avec tant de charme dans ses bras? Où donc est allée cette jalousie qui m'a donné le jour ? Junon elle-même aurait- elle adouci son courroux en faveur de l'hymen de Sémélé ? N'avez-vous plus les piqûres du terrible insecte qui poursuit sur les flots une génisse effrayée? Argus n'est-il plus là pour surveiller de ses regards multipliés et infatigables les nouvelles amours de l'adultère Jupiter? Quant à moi, que m'importe ce palais de l'Olympe ? Je quitterai volontiers pour la terre le séjour des cieux paternels; et j'habiterai notre Thrace, pour ne pas voir de mes yeux la juste affliction de ma mère et les désordres de son époux. S'il s'avisait jamais de venir dans le pays qui m'appartient, poursuivre de ses désirs la nymphe Bistonis (04), il saurait bientôt ce que vaut la colère de Mars. Moi-même, armé de cette lance meurtrière qui a exterminé les Titans, je chasserais de la Thrace ce Jupiter que les femmes rendent insensé; et, sous le prétexte de cette vierge enlevée, je vengerais tout naturellement l'honneur du lit de ma mère. N'a-t-il pas, en s'abandonnant aux femmes de la terre, peuplé le ciel étoilé de ses amours? Quand l'Olympe est ravalé jusqu'à devenir la demeure des mortels; je n'ai plus qu'à descendre sur la terre. Voilà Callisto qui déjà tourne autour de la sphère là où brille le cercle de l'ourse arcadienne à qui elle donna son nom. Pour moi, je prends en dégoût la marche des sept Pléiades, quand je vois Électre se lever dans les cieux en même temps que la Lune. Mais d'où vous vient cette indifférence ? Quoi ! vous qui avez poursuivi le fils de Latone jusque sur le sein de sa mère, vous laissez en paix Bacchus? O Vulcain, si tu aidas Minerve à naître, voilà que Jupiter va enfanter par lui-même un fils de son adultère épouse, et faire sortir de sa cuisse masculine un produit supérieur au premier; il n'est plus besoin de ta hache. Et toi, Minerve, cesse de te vanter d'avoir pris naissance dans le cerveau fécond du souverain des dieux : Bacchus l'emporte sur ta sublime origine : puisque, né d'une race mortelle, il sera dans l'Olympe un produit issu de lui-même comme Minerve, et effacera le renom de Pallas qui n'eut pas de mère.

« Ah ! je n'ai que trop lieu de le craindre pour moi-même ; quelque langue maligne dira : — « Jupiter a donné les batailles à Mars, mais il a gardé la joie pour Bacchus. » — Non, j'aime mieux abandonner le ciel à tous ces bâtards du fils de Saturne, et m'exiler sur les bords de l'Ister (05) glacé : qu'il serve d'asile à son roi, et le préserve de voir ici, échanson de Jupiter, ce Ganymède, le berger à la molle chevelure, transporté de Pergame au sein de l'Olympe, pour y usurper la coupe inviolable de la déesse Hébé; puis Sémélé et Bacchus, habiter le ciel, et la terrestre Ariadne, parée d'une couronne d'étoiles, y suivre le cours du soleil et accompagner l'aurore. Oui, je vais me fixer dans la Thrace, pour fuir la baleine, le glaive de Persée, l'image d'Andromède, et l'oeil de la gorgone Méduse, dont Jupiter s'apprête à grossir l'Olympe. »

Elle dit, et, inquiétant l'esprit de Pallas née d'elle-même, elle accroît surtout la jalouse indignation de Junon. Puis, se balançant sur ses genoux crochus, l'Envie s'élève rapidement dans les routes obliques des airs; ensuite, armant sa malfaisante pensée de méchancetés et de tromperies, elle va troubler de sa fumée les regards des hommes et leurs coeurs.

Cependant, loin de rester inactive dans sa colère, l'épouse de Jupiter s'élance aussi prompte que la tempête, traverse le ciel émaillé d'astres brillants, et parcourt d'un pied léger de nombreuses contrées à la recherche de l'astucieuse Fourberie (06). Enfin, lorsqu'elle arrive au haut des rochers de Dicté qu'habitent les Corybantes, et qu'elle voit les bords du fleuve Amnise (07), si favorable à l'enfantement, elle rencontre sur la colline la perfide divinité. Car, amie des Crétois, parce qu'ils sont menteurs, elle fait sa constante demeure du faux tombeau de Jupiter (08). Ses flancs sont entourés d'une ceinture de Cydonie ; là gisent réunies toutes les déceptions humaines; la furtive séduction, la parole fallacieuse, le mensonge à tant de formes, et le vain serment lui-même, trompeur et léger comme un souffle des airs. Junon, qui tente de la rendre favorable à sa vengeance, adresse ce discours artificieux à l'artificieuse Fourberie :

« Salut, ô déesse qui trompes les plus subtils, toi que le cauteleux Mercure lui-même ne surpasse pas en flatteuses persuasions. Prête-moi aussi cette ceinture aux mille couleurs dont Rhéa jadis entoura sa taille pour abuser son époux. Je n'offrirai pas au mien la forme d'un rocher, et je n'éluderai pas les ordres du fils de Saturne a l'aide d'une pierre. Non, c'est une femme de la terre qui m'importune; c'est elle dont l'amour chasse le vaillant et inflexible Mars de l'Olympe, où il refuse d'habiter désormais. Que me sert d'être née déesse, si une vile mortelle me ravit mon époux, que la divine Latone n'avait pu m'arracher. Jupiter et sa pluie ne pénétrèrent qu'une fois chez Danaé ; et, après les gonds et les verrous de fer de sa prison, cette nymphe, expiant ses noces dorées, flotta sur les mers et n'eut pour gage d'amour que l'immensité des ondes, où naviguait au gré des vents son arche abandonnée. Le Taureau olympien lui-même ne nagea qu'une fois vers la Crète; et, après son union avec Europe, il ne la revit jamais. La génisse Io, poursuivie par le taon vengeur, n'a jamais repassé les flots. Latone, toute déesse qu'elle est, a vu pourtant son hymen troublé ; elle a porté en maintes régions le poids de sa grossesse. Chassée des mers inhospitalières, elle a longtemps interrogé le rivage des îles errantes, et n'a eu pour aide de ses couches que le rejet d'un généreux olivier (09). C'est là ce que souffrit Latone, et ce que ne put empêcher son amant. Et pour une mortelle éphémère, voilà qu'il met en oubli sa soeur, l'immortelle Junon ! Car, bien qu'il soit mon frère et mon époux, j'ai tout lieu de craindre qu'il ne m'éloigne du ciel pour y faire place à cette femme, et qu'il ne nomme Sémélé la reine de son Olympe. Si tu lui portes plus de faveur qu'à moi, et si tu ne me prêtes ta ceinture séductrice pour ramener dans le Ciel mon fils qui s'en éloigne, je me retirerai vers les limites de l'Océan, j'abandonnerai l'empire des airs à ce terrestre hyménée; j'irai, j'irai me réunir à l'antique Thétis, j'habiterai le séjour d'Eurynome (10), et m'établirai auprès d'Ophion. Mais non, tu auras égard aux prières de l'épouse de lJupiter, la mère universelle ; tu m'accorderas le secours de ton écharpe, afin que je persuade au terrible Mars, qui m'échappe, de revenir séjourner dans les cieux. »

A ces paroles, la divinité répond d'une voix obéissante : « Mère de Mars, première et sublime compagne de Jupiter, je vais vous donner ma ceinture et tout ce que vous pouvez souhaiter de moi. Je sais qu'après le fils de Saturne, c'est vous qui régnez sur les dieux. Recevez donc cette écharpe : en la passant autour de Mars, vous le ramènerez dans l'Olympe; elle vous servira, si vous le voulez, à charmer le fils de Saturne, et même, s'il le faut, à apaiser l'Océan. Par elle et par ses attraits séducteurs, le souverain des airs, arraché à ses amours de la terre, reviendra de lui-même dans le ciel. Mon ceste l'emporte même sur le ceste de Vénus. »

Ainsi disant, la fourbe divinité s'échappe dans les airs, qu'elle traverse d'un vol agile. Junon quitte alors les précipices de Dicté où s'agitent les boucliers des
Corybantes, et l'antre où réside la déesse de l'enfan¬tement. Gonflée de jalousie, elle gagne d'un pied furtif les appartements de Sémélé : là, elle revit la forme d'une vieille femme à la voix persuasive, la vigilante nourrice qu'Agénor avait élevée lui-même pour ses enfants chéris. Comme un père véritable, il lui avait fixé un apanage, choisi un époux; et, en échange de ces bienfaits, elle avait elle-même donné son sein à Cadmus enfant, et bercé sur ses bras complaisants Europe à sa naissance. Sous cette apparence, Junon pénètre dans le palais, irritée contre Sémélé, contre Cypris, même contre Bacchus qui n'a pas encore vu le jour ; et, à son entrée dans cet appartement témoin d'une union récente, elle a soin de tourner son visage vers le mur opposé, afin que ses regards ne rencontrent pas la couche qui a reçu Jupiter.

Pithianasse (11), rejeton d'une race tyrienne, suivante de Sémélé, la conduit vers un siége brillant que Thelxinoé (12) vient de recouvrir d'un tapis. La rusée déesse s'y est à peine assise, qu'elle a reconnu la grossesse de Sémélé s'avançant vers sa maturité; et, bien que sa taille n'en présente aucun indice, elle devine, à la pâleur de ses joues, que la Lune n'en a pas encore amené le terme. Cette pâleur s'étend sur la nymphe tout entière. De son côté, l'artificieuse Junon imprime à son corps le tremblement d'une vieillesse simulée, courbe sa tète branlante sur ses épaules appesanties, et s'incline vers la terre. Puis, comme elle vient d'en trouver le prétexte, elle gémit, essuie sur son visage une larme adroite, et, d'une voix caressante, tient ce perfide discours :

« Reine, dites-moi donc d'où vient la pâleur de vos joues? qu'est devenue votre beauté? quelle jalouse influence a éteint les vermeilles couleurs de votre visage et changé les roses en anémones éphémères  ? Pourquoi donc êtes-vous languissante et flétrie ? Auriez-vous appris les méchants bruits que font « courir nos concitoyens ? Ah ! périsse la langue pernicieuse des femmes, cause de tous les maux ! Dites-moi tout, et ne me cachez pas votre complice. Quel est le Dieu qui vous a séduite, et qui donc a ravi votre virginité?

« Si c'est Mars qui, s'unissant en secret à mon élève, a préféré Sémélé à Vénus, qu'il vienne à vous, brandissant sa lance en signe d'hyménée : votre mère aura bientôt reconnu son père, le terrible guerrier.

« Si c'est le véloce Mercure, et que votre beauté lui ait fait oublier sa Pitho, il aura pour avant-coureur de ses amours son caducée ; il vous parera de ses talonnières d'or, et par ce digne gage de son affection, vous aurez une chaussure dorée, comme Junon, la compagne de Jupiter.

« Si c'est le bel Apollon qui descend du ciel et néglige Daphné en votre faveur, il doit venir à vous magnifique, en plein jour, par le chemin des airs, au chant perpétuel des cygnes qui traînent son char, et vous donner en présent sa lyre céleste, témoin irrécusable de sa tendresse. Cadmus la reconnaîtra sans peine : ne l'a-t-il pas vue à son festin nuptial retentir de sons variés, et célébrer les noces terrestres d'Harmonie?

« Si l'amoureux Neptune monte vers vous, et vous recherche au mépris de la savante et célèbre Ménalippe (13), qu'il paraisse aux yeux de tous; qu'il enfonce la pointe de son trident auprès des portiques de Cadmus ; qu'il étende à la source de Dircé, qu'ont aussi habitée les monstres, le privilège dont, près d'Argos et dans les marais, séjour de l'hydre de Lerne, il fit jouir Amymone, puisque la contrée garde encore le nom du Trident. Lorsqu'il a jeté ses bras humides autour de Tyro, il a roulé des flots empruntés, et il est devenu pour elle le fleuve Énipée (14). Mais comment seriez-vous l'épouse de Neptune ? et quelle preuve vous a-t-il laissée de sa passion ? Si, comme vous le prétendez, Jupiter est votre époux, qu'il vienne donc près de vous, armé d'éclairs nuptiaux et de sa foudre amoureuse, et l'on publiera que la foudre pare Sémélé pour ses noces aussi bien que Junon. Après tout, l'épouse de Jupiter, dans sa jalousie, ne saurait vous nuire; Mars, votre aïeul maternel, ne le souffrirait pas.

« Certes Europe fut plus heureuse que Sémélé :Jupiter la porta sur ses épaules; taureau passionné, il se fit, tout grand qu'il est, la nef de ses amonts, et ses pieds, sans y pénétrer, coururent sur la surface des ondes. Ô prodige ! une jeune fille guida le guide du ciel ! Danaé elle-même me parait bien supérieure à vous, puisqu'elle reçut dans son sein la pluie dorée de Jupiter, et s'enrichit de ce déluge amoureux qui tombait des voûtes de son palais. Trop heureuse fiancée ! Elle n'eut à demander ni présent, ni or, car elle eut pour dot de son union son époux lui-même ! Quant à nous, gardons le silence, de peur que notre père Cadmus ne vienne à nous entendre (15). »

Après ces mots, la déesse a quitté le palais où elle laisse la nymphe inquiète, envieuse de l'hymen inimitable de Junon, et se plaignant de Jupiter; puis elle reprend, au sein des airs, le chemin qu'elle venait de traverser ; alors elle aperçoit près du trône céleste les armes du fils de Saturne gisant loin de leur maître ; et, comme si elles pouvaient l'entendre, elle leur dit :

« Ô tonnerre ! mon Jupiter, l'assembleur de nuages, t'a donc aussi délaissé ! Qui donc t'a dérobé une seconde fois et t'a ravi à ton maître ? Ah ! si tu n'es plus en ses mains, la faute n'en est pas à Typhée. Console-toi des maux que tu partages avec Junon. Pour l'amour d'une nymphe, le pluvieux Jupiter nous abandonne tous les deux. La terre n'est plus arrosée des eaux du ciel : le sillon, privé de l'humidité des pluies, dessèche l'épi qui ne porte plus qu'un grain inutile. Loin d'être pour les cultivateurs le dieu des sombres nuées, Jupiter sera désormais le dieu sans nuages. Éclairs, faites-lui entendre votre voix de feu. Foudres chéris, reprochez-lui ses parjures. Mais surtout, vengeurs des maux de la jalouse Junon, allez préparer les noces de Sémélé; et, lorsqu'elle implore une dot pour son hyménée, qu'elle reçoive ses brûlants meurtriers. »

C'est ainsi que, dans sa douleur, Junon parlait aux armes muettes de son époux ; et son coeur s'enflait d'envie et de colère.

Cependant Sémélé, dans sa grossesse et dans ces nouvelles anxiétés, veut que l'éclair soit le brûlait avant-coureur des amours, et, invoquant les ardeurs privilégiées de la couche de Junon, elle adresse à son amant ces supplications et ces reproches :

« Je vous en conjure par l'opulent hymen de Danaé, accordez-moi du moins une grâce, ô vous, Taureau, l'époux d'Europe, vous que je n'ose nommer le mien, tant que je ne vous aurai vu que comme un songe. Certes Acrisios (16) fut mieux traité que Cadmus. J'aurais aimé moi-même à voir mes noces honorées de votre pluie d'or, si vous n'aviez réservé ce privilège à la mère de Persée ! J'aurais désiré voyager au milieu des ondes sur vos épaules de taureau! Mon frère Polydore, à son tour, aurait erré à la poursuite de la nymphe égarée, cherchant, comme Cadmus, mon ravisseur Jupiter. Que dis-je? Non, je ne puis envier ces unions sous les formes d'un boeuf ou de la pluie. Je ne veux pas de ces faveurs dispensées à de simples mortelles. Laissons à Europe son taureau, sa pluie à Danaé. Ce que j'envie uniquement, c'est l'hymen de Junon. Si vous voulez me plaire, allumez pour moi, dans le sein des nuages, un signe enflammé, et venez orner ma couche de vos feux célestes. Montrez, pour gage de notre amour, un éclair à l'incrédule Agavé. Qu'Autonoé, dans ses appartements voisins des miens, tremble au bruit du tonnerre qui fait la gloire de votre épouse : elle avouera que votre amour, caché jusqu'ici, se manifeste enfin de lui-même. Accordez-moi de presser avec délices dans mes bras cette flamme chérie, de toucher l'éclair, de manier la foudre. Donnez-moi tout l'éclat de votre asile nuptial. Il n'est pas de fiancée qui ne voie briller pour elle un flambeau. Serais-je donc indigne des foudres de votre hymen ? Le sang de Mars et de votre Vénus ne coule-t-il pas dans mes veines ? Malheureuse que je suis! je n'ai pour mon hyménée qu'un feu passager et des torches terrestres; tandis que votre Junon jouit de vos foudres et de vos éclairs.

« Époux, maître du tonnerre, quand revêtu, d'une splendeur divine vous vous rendez dans le palais étincelant (17) de Junon, dieu du feu, vous faites reluire d'éclairs nuptiaux votre compagne ; et pour Sémélé, vous n'êtes plus qu'un taureau ou un dragon. Junon entend gronder dans tout l'Olympe l'écho de ses amours, quand Sémélé n'écoute que le sourd mugissement d'un taureau déguisé sous une forme imaginaire. Un Jupiter dépourvu de nuées arrive sans bruit auprès de moi, et il n'assemble ses nuages que pour plaire à la superbe Junon. Ah ! Cadmus, mon père, fuit le déshonneur de sa fille, si obscurément mariée; il évite, au fond de son palais, la rencontre des hommes, et craint de paraître aux yeux de ses concitoyens qui insulteraient à notre furtif hyménée, et reprocheraient à Sémélé son époux clandestin. Le digne présent que vous m'avez apporté pour ma dot ! les injures des femmes et le blâme de mes nombreuses suivantes ? Ah! plus que tout le reste, je redoute les insolentes paroles de mon indiscrète nourrice. N'oubliez pas quelle main artificieuse a ourdi le trépas de Typhée, et vous a rendu la foudre qu'il venait de vous ravir; faites pour mon père ce qu'il a fait pour vous. Le vieux Cadmus me demande sans cesse un signe de notre union. Hélas ! je n'ai jamais vu la figure du véritable Jupiter ; je ne connais ni les rayons ardents de ses yeux, ni les étincelles de son visage, ni sa barbe flamboyante. Je n'ai jamais vu votre forme olympienne. Vous êtes pour moi un léopard, un lion, mais point un dieu. Enfin, je ne vous vois que sous des traits mortels, moi qui dois enfanter une divinité. Et pourtant je sais une autre union qui fut entourée de flammes. N'est-ce pas au sein des plus vives clartés que le soleil reçut dans ses bras Clymène son épouse (18)?

C'est ainsi que Sémélé appelle de ses voeux sa destinée, et se flatte que, comme Junon, elle n'apercevra qu'un moment une innocente étincelle de la foudre adoucie. Jupiter, en l'écoutant, maudit les envieuses parques, gémit de la fin prématurée de Sémélé, et reconnaît l'implacable courroux qui anime contre Bacchus l'astucieuse Junon. Aussitôt il ordonne à Mercure de se tenir prêt à enlever son enfant à Thyone (19) dès que la foudre l'atteindra ; puis il parle ainsi à la nymphe orgueilleuse :

« Ô femme, l'esprit jaloux de Junon et ses ruses ont-ils donc égaré votre esprit? Vous figurez-vous vraiment que la foudre soit inoffensive? Attendez au moins que vous ayez déposé le fardeau de votre sein ; attendez que vous ayez mis au monde mon fils, et ne me demandez pas avant vos couches vos brûlants bourreaux. Ce n'est pas en compagnie de l'éclair que j'ai obtenu les premières faveurs de Danaé. Ce m'est pas le roulement du tonnerre qui a célébré mon union avec votre nymphe de Tyr, Europe. La génisse d'Inachus n'a point vu la foudre; vous seule, bien que mortelle, vous exigez ce que n'a pas même sollicité l'immortelle Latone. »

Il dit, mais il ne songe point à lutter contre les arrêts du destin. Il traverse les airs dans son éclatant cortége, et l'assembleur des éclairs, l'époux cède à regret à la prière de l'épouse. Il vient près de Sémélé, brandissant d'une main timide ces étincelles nuptiales qui vont devenir si funestes. L'appartement en resplendit, les flots de l'Ismène les reflètent, et Thèbes tout entière s'en illumine.

Sémélé, à la vue des flammes qui vont l'anéantir, lève fièrement la tète, et dit d'une voix altière :

« Je n'ai besoin ni de la musette sonore, ni des pipeaux. Le tonnerre de Jupiter est le chalumeau de mes amours; et ce grondement olympien est ma flûte. J'ai l'éclair éthéré pour lustre de ma couche. Que me font de viles torches? Les foudres sont mes flambeaux. Je suis l'épouse de Jupiter. Agaté n'est que la femme d' Echion ; qu'Autonoé se vante d'avoir épousé Aristée : Ino a pour rivale Néplélé : ma rivale à moi, c'est Junon. Je n'ai pas un Athamas pour époux ; je n'ai pas donné le jour à Actéon, nourri dans les forêts, et mort si jeune sous la dent de ses chiens. Non, je n'ai pas besoin d'une lyre vulgaire, quand la lyre céleste fait résonner l'hymen de Sémélé dans les cieux. »

Elle disait ainsi dans son triomphe; alors elle veut toucher de ses mains l'éclair exterminateur. Elle défie la Parque, et ose saisir la foudre meurtrière. Mais la mort arrive aussitôt aux noces de Sémélé, et Erinnys lui fait trouver à la fois dans son réduit nuptial son bûcher et sa tombe. Le souffle dévorant de la foudre conjugale met en cendres la nymphe tout entière sous ses rayons générateurs aussi, puisqu'il aide à son enfantement, et que l'éclair prend la place d'Ilithyie (20). La flamme céleste ménage Bacchus dans le sein brûlant de sa mère, et le délivre par la même étincelle qui consuma Sémélé en terminant son hyménée. Produit prématuré, mais intact de cet enfantement, les foudres le purifièrent de leurs vapeurs tempérées ; Sémélé envisage sans regret cette mort par la foudre, et se vante de la destinée qui donne l'existence à son fils. On vit alors réunis auprès d'un seul lit nuptial, l'Amour, Ilithyie et la Vengeance. Mercure porta aussitôt l'enfant tout baigné des feux divins à son père, qui devait achever sa maturité.

Bientôt cependant Jupiter parvint à détourner la colère de la jalouse Junon, et allégea le terrible poids de ses ressentiments. Il rappela dans le ciel Sémélé l'incendiée, et il donna à la mère de Bacchus une place au sein des constellations, comme parmi les habitants de l'Olympe (21); elle appartenait au sang de Junon, puisqu'elle avait pour mère Harmonie, fille de Vénus et de Mars. Sémélé, régénérée par les flammes de la foudre qui la purifient, obtient la vie immortelle de l'Olympe. Au lieu de Cadmus et de la Terre, au lieu d'Autonoé et d'Agavé, elle a pour compagnes Diane et Minerve, reçoit pour présent d'hyménée le séjour des astres, et s'assoit à la table de Jupiter, de Mercure, de Mars et de Vénus.


NOTES DU HUITIÈME CHANT.

(01) La couronne d'Ariadne. — Le goût de Bacchus pour les guirlandes et les fleurs est longuement expliqué par Athénée. Bacchus amat flores dit Ovide

Baccho placuisse coronam 345
ex Ariadnaeo sidere nosse potes. (Fastes, I. V, v. 348.)


Et le preuve qu'il en donne ici n'est pas très probante, car la couronne d'Ariadne ne se composait pas de fleurs, mais de pierreries et d'or, comme il le dit lui- même dans les Métamorphoses. (l. VIII, v. 177).

(02) La terre des Thyades. — Ici le zoïle des Dionysiaques, Cunaeus, et Moser, commentateur allemand, qui a soumis seulement un fragment de ce poème à sa glose, semblent en avoir à l'envi brouillé le texte. Oubliant que, dans le style de la décadence, l'épithète de fabrique égyptienne ἀγχιτόκος peut signifier, près de naître, aussi bien que près d'accoucher, ils ont accumulé au sujet des Bassarides des citations d'Aristote et du scoliaste d'Aristophane. Ils ont même fait intervenir la pie, oiseau dont la comparaison ne laisse pas que d'être injurieuse aux femmes, pour déterminer une explication de ce vers obscur et détourné.  Le lierre, en grec, κισσὸς ou θύας, ornement des sacrifices de Bacchus, placé sur la tête de Sémélé, présageait ainsi l'avènement des Thyades, suivantes du dieu, qui devaient porter ce feuillage odorant dans les cérémonies mystiques et prendre le nom.  C'est là le sens ; et s'il n'est pas très naturel, il est du moins tout à fait conforme aux tournures familières de notre poète.

 (03) La clameur de neuf mille hommes. — Homère compare le terrible cri de Mars blessé par Diomède avec les clameurs de neuf mille guerriers; et ce chiffre  appliqué aux hommes, Nonnos le transporte assez heureusement au cri lui-même. Les neuf ou dix mille combattants, ἀνέρες ἐννεάχιλιοι, c'est l'image simple et sublimé, les neuf mille bruits, κτύπον ἐννεάχιλον, c'est l'hyperbole excessive et affectée

D'un cri pareil au bruite d'une armée invincible,
Qui s'avance au signal d'un combat furieux,

a dit J. B. Rousseau ; et en français on ne peut mieux dire.

(04) La nymphe Bistonis. — La nymphe Bistonis  eut de Mars, Térée, le sanglant persécuteur de Philomène ; et elle donna son nom à un lac de Thrace qu'Hérodote dit fameux, et que Xerxès traversa avec son armée.  Ce lac et la ville, à peu de distance de la mer, dont j'ai aperçu les collines désertes, quand l'allais visiter l'embouchure de l'Hèbre, s'appelle aujourd'hui, en turc et même en grec, Bouroun.

(05) L'Ister - L'Ister, le Danube, était consacré à Mars, et je ne crois pas en effet que jamais fleuve des quatre parties du monde, depuis les Scythes belliqueux, pour lesquels il était yne divinité, jusqu'à nos jours, ai vu plus de batailles sur ses rives.

(06) Apaté. - La déesse Fourberie. Nonnos introduit ici la Fourberie, divinité qu'il emprunte à Hésiode. Dans la Théogonie, elle est « fille de la Nuit et soeur de la Débauche, de la pernicieuse Vieillesse et de la Dispute entêtée. » (Théog., v. 224.) Ici elle a pour séjour les rives du fleuve Amnise, patrie d'Ilithyie, et les rochers de Dicté : fréquentée par les Corybantes, la montagne vit naître aussi Jupiter, et en porta le nom (Διὸς), suivant quelques mythographes. J'aime mieux, je l'avoue, l'explication étymologique du poète Callimaque :

« Minos, pendant neuf mois, poursuivit la nymphe Dicté au milieu des rochers et des précipices, et il ne s'arrêta qu'au moment où, prêt à la saisir, il la vit s'élancer dans la mer du haut d'un promontoire. Elle tomba dans des filets de pêche, qui la sauvèrent. Dès lors, les Cydoniens la nommèrent Dictyenne, et le promontoire d'où elle s'était précipitée, Dicté » (Hym. à Diane, v. 195),

sans doute en raison des filets préservateurs, en grec dictya. Et si je m'étends avec trop de complaisance sur ces bords du fleuve Amnise et sur ces montagnes de Dicté, c'est que je les vois encore dans ma pensée, tels qu'ils m'apparurent quand je passai près d'eux en 1820, et que j'admirai leurs riches ombrages, leurs pics surplombant au-dessus des ondes, enfin ce beau rivage de Crète, qu'illuminait un soleil resplendissant de tous les feux de l'été.

(07) Vertu des eaux du fleuve Amnise. - Je n'ai pas trouvé d'autre manière de rendre ici l'épithète λεχώιον, aussi embarrassante que commune chez Nonnos. Dans cette circonstance, elle fait allusion aux eaux du fleuve Amnise, qu'on disait favorables à l'accouchement, et à une grotte consacrée à Lucine, qui se trouvait sur ses bords.

Στῆσε δ' ἐν Ἀμνισῷ, ὅθι τε σπέος Εἰλειθυίης.
(Homère, Od., XIX, 187.)

Il faut être grand amateur d'étymologies pour voir dans le nom de ce ruisseau crétois une indication de ses vertus. Ἀμενισσὸς (de α privatif, et de μανεῖν, rester ), parce qu'il ne permet pas au fruit des entrailles qu'il pénètre d'y demeurer. Que de choses dans un seul mot !

(08) Le faux tombeau de Jupiter.— Ceci est un emprunt fait tout entier à Callimaque :

Κρῆτοι ἀεὶ ψεῦσται. (Hym. à Jup., v. 8.) « Les Crétois sont toujours menteurs. Ce sont les Crétois, roi du monde, qui t'ont dressé un tombeau, quand tu ne peux mourir, puisque tu es éternellement. »

« Pour trouver votre dieu, » dit ironiquement aux païens saint Clément d'Alexandrie, « ne vous préoccupez pas du ciel, cherchez à terre. Les Crétois, chez qui il est enterré, vous le diront. » Ὁ Κρής σοι διηγήσεταιτ, παρ' ᾧ καὶ τέθακται, (Saint Clém., Protrept.)

(09) L'olivier de Délos. - Je ne m'explique pas comment Nonnos, si enclin à copier exactement Homère, a pu substituer au fameux palmier de Délos, adopté depuis par tant d'autres anciens poètes, l'olivier, protégé seulement par Callimaque dans son hymne comparativement moderne, à moins que ce ne soit en raison du penchant qu'il témoigne dans ce huitième livre, d'une façon toute spéciale, pour son prédécesseur égyptien. Et je dirai, en passant, qu'à l'exemple de Spanheim, le célèbre commentateur de Callimaque, Ruhnkénius, a fait plus récemment usage des vers de Nonnos, et s'est appuyé de ses leçons pour rétablir en bien des points le texte des hymnes. Quoi qu'il en soit, ils ne feront pas l'un et l'autre autorité contre Homère; et le palmier de Délos, mort dans sa patrie, vivra autant dans la mémoire des hommes que la belle Nausicaa, semblable à son élégante tige :

Ἔνθα πρωτόγονός τε φοίνιξ κ. τ. λ.
(Euripide, Héc., v. 440.)

« Là, le palmier sortit pour la première fois du sein de la terre, et s'unit aux rameaux sacrés du laurier pour favoriser Latone, et pour aider à ce divin enfantement. »

(10) Eurynome. - Eurynome, qui domine au loin, Océanide, Titanide d'origine, mais Océanide par alliance comme l'antique Téthys ; elle est l'épouse d'Ophion, l'un des dieux primitifs dont elle partage l'empire sur les Géants. (Dionys., liv. XII, v. 44.) Les annales mythologiques comptent plusieurs nymphes de ce nom, entre autres la mère de Leucotliée, Eurynome, la plus belle des femmes du pays où naît l'encens :

Gentis odoriferae quam formosissima partu
Edidit Eurynome.
(Ovide, Métam., l. IV, v. 209.)

et la surintendante du palais d'Ulysse,

(11) Pithianasse. - Pithianasse, signifie conseillère des rois,

(12) Et Thelxinoé, - charme de l'esprit. Cicéron fait figurer ce dernier nom parmi les quatre Muses primitives. (De Nat. Deor., liv. III, c. 4. )

(13) Mélanippe. — Mélanippe, ou, pour mieux dire, Ménalippe, eut de Neptune deux fils. Pour ce fait, son père, Chiron le Centaure, ou Éole, le roi des vents, lui fit crever les yeux dans une prison. Le dieu la délivra, et lui rendit la vue. Elle épousa ensuite le roi Métaponte; en tout ce qui regarde Mélanippe, il règne dans les chroniques de la Fable une véritable confusion.

(14) L'Énipée et le trident. - Un habitant d'Argos m'a montré, du haut de sa citadelle, les bords lointains où sont des marais qui ne portent plus le nom de Lerne, et où fut la ville de Triène qu'Euripide dans les Phéniciennes a citée. C'est la contrée homonyme du trident de Neptune dont il est question ici. Le profond savoir de Nonnos s'épanche en récits et en conversations fortement élaborées, où il épuise et ressasse tous les souvenirs de la mythologie. Chez lui, l'érudition recherchée tient la place des images et des comparaisons que multiplient le génie et la verve d'Homère; et. malgré son adoration pour le grand poète primitif, c'est presque toujours Stace ou Claudien, chantres héroïques plus rapprochés de son siècle, que son style semble prendre pour modèles.

(15) Gardons le silence. - Ce vers, qui termine un peu tard l'allocution prolongée de la fausse Junon, est imité d'Apollonius de Rhodes :

Τὰ δὲ σῖγα νόῳ ἔχετ' εἰσαίουσαι
Ἐξ ἐμέθεν, μὴ πατρὸς ἐς οὔκτα μῦθος ἵκηται.
(Argon., ch III, v .903).

Et les deux poètes de l'école épique d'Alexandrie n'ont fait l'un et l'autre que copier le vers d'Homère :

Σιγῇ ἐφ' ὑμείων, ἵνα μὴ Τρῶες γε πύθωνται
(Hom., Il., VII, 196.)


(16) Acrisios. - Acrisios, qui eut pour fille Danaé, régna à Argos après Abas, et fut tué par Persée, son petit-fils, par mégarde ; père inhumain, dont Vénus et Jupiter devaient déjoua les ruses :

Si non Acrisium, virginis abditae
Custodem pavidum, Juppiter et Venus
Risissent.
(Horace, od. XVI, l. III.)

(17) L'épithète πολυφεγγὴς. — L'épithète πολυφεγγὴς (vers 319), resplendissant, que Manéthon a empruntée à Nonnos pour l'appliquer à Jupiter (ἢ καὶ Ζηνὸς πολυφεγγοῦς), liv. Il, v. 460), est aussi le nom d'une montagne de la Grèce, dont j'ai côtoyé les penchants. Elle est le rempart septentrional de la Morée, comme Corinthe, vers laquelle elle dirige ses contreforts, en est l'entrée; et toutes les deux me rappellent cette boutade du rhéteur Alciphron, qui nous a révélé tant de mystères des moeurs helléniques.

« Tel est le vestibule du Péloponèse. Corinthe, placée au milieu des deux mers, charmante à voir et pleine de délices et d'abondance, est certainement habitée par des gens disgracieux et fort peu aimables. Ils ont beau prétendre que Vénus quitta Cythère pour chérir l'Acrorinthe et y séjourner; il se peut que Vénus y soit la protectrice des femmes, mais certes les hommes n'y ont d'autre déesse que la faim. » Εἰ μὲν ἄεα τοῖς μὲν γυναίοις Ἀφροδίτη πολιοῦχος, τοῖς δὲ ἀνδράσιν ὁ λιμὸς καθίδρυται. (Alc., liv. III, lett. 60.)

J'avais été fort tenté, pour mon compte, de répéter ces injures d'Alciphron, lorsque dans le kan de Corinthe je ne trouvai, en 1820, que du pain aigre et rance, des oeufs vieillis, et pour tout lit, un peu de paille, que je partageai avec tari voyageur écossais.

(18) Le mot nymphe. — On aura déjà remarqué sans doute que le mot nymphe, employé pour signifier épouse, est beaucoup plus commun chez Nonnos que son autre acception. Νεογένων νύμφης δίκην, a dit Sophocle pour désigner une nouvelle mariée, et plus tard on retrancha l'épithète. Phornutus donne une singulière étymologie de ce terme. Il prétend que les sources d'eau douce se renouvelant sans cesse se nomment nymphes, parce qu'elles paraissent toujours nouvelles, ἀπὸ τοῦ ἀεὶ νέαι φαίνεσθαι, et que les jeunes épouses portent ce nom, parce que, cachées jusqu'alors, elles se montrent pour la première fois : ἀπὸ τοῦ νῦν πρῶτον φαίνεσθαι κρυπτομένας τέως. (Phorn., de Nat. deor.) Le mot a gardé cette dernière acception dans la langue moderne; et c'est ainsi qu'on répond à la politesse des confitures hospitalières (γλύκο), que les jeunes filles offrent elles-mêmes dans l'intimité de leurs maisons à l'étranger. Quand celui-ci se hasarde à leur adresser quelques souhaits bienveillants, Καὶ νύφη, leur dit-il, au risque d'amener la rougeur sur leurs joues ; et ce voeu d'heureux augure leur présage un mariage prochain.

(19) Thyone. - Thyone est synonyme de Sémélé. La fille de Cadmus reçut ce nom après avoir été consumée par la foudre, d'où le surnom de Bacchus, Thyoneus.

- Nec Semeleius
Cum Marte confundet Thyoneus
Proelia.
(Horace, l. I, od. XVII.)

(20) L'éclair, sage-femme, et la foudre Ilithyle.  - Tous ces détails de mauvais goût, comme plusieurs traits des discours de Sémélé et de Jupiter, ne sont que la paraphrase d'un hémistiche d'Ovide : « Donis jugalibus arsit. » (Métam., l. III,  v. 309.) Et cette fois le poète latin s'est arrêté sur la limite du bel esprit, que Nonnos a franchie pour aller se noyer dans toutes ces images forcées et ces expressions redondantes. Or, comme je ne veux pas laisser au lecteur, vers la fin de ce chant, une mauvaise impression, j'aime mieux ramener son esprit sur la présence de Jupiter porteur de l'éclair, στεροπηγερέτα, comme disent à la fois Homère (Il., XVI, 298) et Nonnos. Thèbes s'illumine aussitôt. Sosie, chez Plaute, en dit autant à Amphitryon ·

Aedes tota confulgebant tuae, quasi essent aureae.

mais cette observation d'un valet de comédie, le Panopolitain l'étend et lui donne toute l'ampleur de l'épopée. Ces deux vers pittoresques, en faisant resplendir la cité et son fleuve, éclatent eux-mêmes d'une merveilleuse harmonie. De tels effets, dit un grand critique, sont familiers à Nonnos dans l'ouvre divine des Dionysiaques. « Nonno talia familiaria in divino Dionysiacôn opere. (Casp. Barthius.)

(21) Apothéose de Sémélé. - Sémélé vit après sa mort, ἀποθανοῦσα ζωεῖ (Pyth., II), admirable expression de Pindare, que Nonnos a paraphrasée, comme cette parole si sacerdotale et si énergique du prêtre de Delphes pour exprimer la Providence, la parque de Dieu, μοῖρα Θεοῦ. Les fonctions de cette parque avaient pris la place de la destinée dans la langue hellénique : εἰμαρμένη; elle mêle les fils entre eux, et Lycophron prétend qu'elle usait de trois sortes de fils pour ce mélange : πεπρωμένη, elle les file; μοῖρα, les partage; νέμεσις, les distribue, et αἰσα ou αἶα, les prolonge : terrible divinité, qui a inspiré à Mimnerme ces beaux vers ! et le poëte Sarrasin semble les avoir traduits pour moi :

Ἀλλ' ὀλιγοχρόνιον, κ. τ. λ.

Les jours, comme les flots, coulent rapidement :
L'inutile vieillesse au tombeau nous appelle.
Et quand notre nuit vient, elle vient éternelle.