Nonnos

NONNOS

LES DIONYSIAQUES ou BACCHUS.

Chant septième.

Traduction française : LE COMTE DE MARCELLUS.

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

chant VI - chant VIII

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NONNOS

 

DIONYSIAQUES.

 

CHANT SEPTIÈME.


Le septième livre chante les supplications du Temps à la blanche chevelure, Sémélé, l'amour de Jupiter, et leur union furtive.


Déjà cependant le tendre cultivateur Éros avait confié le grain générateur de la vie aux sillons maternels, renouvelé, éternisé l'existence, et rendu au monde infertile la fécondité. La nourrice du genre humain, la nature, s'enracinait de nouveau, et, mêlant le feu à la terre, l'air à l'eau, elle perpétuait derechef à l'aide des quatre éléments la race des mortels.

Et pourtant la douleur, si variée dans ses effets, présidait encore à leurs jours commencés dans la fatigue et continués dans l'inquiétude; lorsque le Temps (01), contemporain de Jupiter, signala à sa prudence les maux qui envahissaient l'humanité privée de toute joie.

Jupiter n'avait pas encore délié les chaînes de sa maternité; Bacchus, pour soulager nos soucis, n'avait point encore surgi du giron de la cuisse immortelle. Les libations du vin n'enivraient pas les routes de l'air de leurs vapeurs embaumées ; et les herbes de la prairie composaient seules les couronnes que les Heures, filles de l'année (02), tressaient sans plaisir pour les dieux. Le vin manquait au monde; sans Bacchus, la danse n'avait qu'une grâce insignifiante et imparfaite; et quand le mime, n'ayant d'autre bouche que sa main, d'autre voix que ses doigts, d'autre parole que ses gestes, multipliait les évolutions bondissantes et les rondes de ses pieds agiles, il ne plaisait encore qu'à de rustiques spectateurs.

C'est alors que le Temps aux formes changeantes, pilote des générations, vint étendre sa blanche chevelure sur les genoux de Jupiter, laissa traîner les flots de sa barbe suppliante, et demanda merci. Il baissa la tête jusqu'au sol ; prosterné tout de son long, il toucha la poussière de ses épaules voûtées; puis, un genou en terre, tendant sa main infinie, le vieillard, régulateur éternel de l'existence, s'exprima ainsi :

« Roi des dieux, considérez vous-même les maux qui affligent le monde. Ne voyez-vous pas que Bellone a communiqué ses fureurs à la terre tout entière et qu'elle ravage la jeunesse en moissonnant ses épis à peine mûrs? partout encore s'aperçoivent les traces de ces pluies aériennes dont vous avez inondé l'univers, quand les vagues, envahissant les airs, ont bouillonné jusqu'auprès de la Lune. Je dis adieu à ces hommes dont je réglais la destinée, puisqu'ils doivent mourir si vite. Je renonce à mes fonctions divines, et ne veux plus tenir en mes mains le gouvernail du monde. Donnez à un dieu plus puissant le timon de la vie renouvelée; qu'il dirige, à ma place, le cours des ans. J'ai trop souffert dans ma commisération pour la race des humaine si cruellement éprouvée.

« Non ! ce n'est pas le prix suffisant d'une jeunesse si tôt flétrie, qu'une vieillesse qui fait de si bonne heure vaciller la tète des mortels, qui ralentit leur marche sous des pas tremblants, et les force, pour soutenir leurs pesantes années, à se courber sur le fidèle appui d'un bâton ! Suffit-il d'une destinée qui trop souvent engloutit dans les ondes du Léthé l'époux arraché aux danses de ses noces, l'enlève à la compagne de son âge et brise les liens féconds d'une union indissoluble? Je sais qu'il est encore de joyeux mariages quand la flûte de Minerve s'unit aux chalumeaux de Pan. Je sais que l'écho (quel triste auxiliaire! ) répète le matin auprès de la chambre nuptiale les accords de la lyre aux sept tons. Mais que peut la musette sur le chagrin? Éros lui-même éteint son flambeau quand il voit l'hymen dépourvu de danses et de plaisirs.

« Faites germer quelque remède bienfaisant pour chasser les soucis des humains qui ont tant souffert : ou certes Pandore n'eût jamais dû ouvrir le couvercle de ce vase céleste qui fut pour les hommes un doux fléau. Que dis-je? Prométhée (03) lui-même, qui a tant médité leur bonheur, n'en est pas moins coupable de leur infortune. Pourquoi, au lieu du feu, cause de sa ruine, n'a-t-il pas dérobé le délicieux nectar qui réjouit les dieux? C'est là ce qu'il fallait donner au monde pour dissiper, par le charme de votre propre breuvage, ses sollicitudes. Mais laissons les chagrins et le tumulte de la vie : ne considérez que les cérémonies attristées de votre culte. Pouvez-vous trouver quelque douceur à ces fades vapeurs que le vent vous apporte, exhalées de vos sacrifices imparfaits? »

Ainsi dit le vieillard. Le prudent Jupiter pesa longtemps dans un silence méditatif ses déterminations, et donna carrière à sa pensée infinie : ses volontés s'agitaient et se succédaient dans sa tête créatrice; enfin il fit entendre au Temps sa voix divine, et les suprêmes arrêts de ses prophétiques oracles :

« Ô père, né de toi-même, directeur des années éternelles, calme-toi. La nature humaine croît et décroît suivant l'ordre des saisons, comme la Lune ; mais, comme elle aussi, elle ne cesse pas d'exister. Laisse leur nectar aux dieux. Je vais donner aux hommes, pour apaiser leurs maux, le vin délicieux, semblable au nectar immortel, nouveau breuvage approprié à leur nature. Le monde primitif en deuil attend encore la naissance de l'un de mes fils. Je l'enfanterai, moi, son père, et je supporterai dans ma cuisse masculine toutes les douleurs des femmes pour conserver mon fruit. C'était hier à peine que, par les ordres de ma Cérès, la terre aux vastes guérets, effleurée du fer qui tranche les épis, a mis au jour un grain inconnu, père de la gerbe : et déjà mon fils, noble bienfaiteur, va créer pour elle le raisin parfumé de l'automne qui guérit le chagrin. Déjà Bacchus, l'ennemi des soucis, gonfle le joyeux raisin pour rivaliser avec Cérès. Tu m'approuveras quand tu auras vu la grappe, messagère de la gaieté, rougir sous les couleurs du vin, puis les cultivateurs au pressoir écraser sous le poids de leurs pieds la vendange, enfin la troupe enivrée des Bassarides livrer aux vents leurs chevelures follement éparses et retombant en désordre sur leurs épaules : tous, l'esprit égaré par les coupes alternatives et redoublées, célébreront autour des tables bruyantes Bacchus, le bienfaiteur de l'humanité; ce dieu aura pour couronne de ses cheveux un reptile couché sur les feuilles de la vigne et du lierre ; et ce bandeau de serpent témoignera de sa jeunesse renouvelée. C'est ce même Bacchus qui, après avoir combattu sur la terre dans la guerre des Indes, et dans le ciel contre les Géants, doit briller un jour, dans la voûte étincelante parmi les astres, à côté de Jupiter. Partageant les honneurs des immortels, il s'appellera chez les hommes Bacchus, le dieu de la la vigne, comme Mercure se nomme le dieu du caducée d'or, Mars le dieu d'airain, et Apollon le dieu qui lance au loin les traits. »

Jupiter dit ; les Parques donnèrent leur assentiment; et les Heures rapides éternuèrent (04) en heureux présage de l'avenir. Après ces paroles, les dieux se séparent aussitôt, l'un se rend chez Harmonie, l'autre retourne dans le brillant palais de Junon.

Cependant le savant Éros, dont tout l'art vient de lui seul, Éros, le régulateur des siècles, a secoué les portes ténébreuses du chaos originel ; il en retire le divin et unique carquois où sont réservées pour le seul Jupiter les douze flèches qui doivent allumer, l'un après l'autre, ses terrestres hyménées. Au centre de la surface de l'amoureux carquois, Éros aval gravé pour chacun un vers en lettres d'or.

Le premier trait conduit Jupiter dans la couche d'Io (05) aux yeux de génisse. - Le second livre Europe (06) au taureau ravisseur. - Le troisième conclut l'hymen de Plouto (07) avec le maître de l'Olympe. - Le quatrième amène la pluie d'or auprès de Danaé (08). - Le cinquième allume pour Sémélé (09) l'hymen qui va la consumer. - Le sixième montre à Égine (10) un aigle roi des airs. - Le septième unit Antiope (11) à un satyre simulé. - Le huitième guide le cygne intelligent vers les bains de Léda (12). - Le neuvième présente un noble coursier à Dia de Perrhébie (13). - Le dixième crée les plaisirs des trois nuits d'Alcmène (14). - Le onzième est le médiateur de l'union de Laodamie (15). - Le douzième attire auprès d'Olympias les triples anneaux de son époux (16).

Après avoir manié successivement toutes ces flèches aux pointes de feu, Éros néglige les autres, prend en ses mains la cinquième, l'ajuste à la corde brûlante, place sur sa pointe le lierre, pour qu'il devienne la digne couronne du Génie du vin, et trempe la flèche ailée tout entière dans la liqueur d'une coupe de nectar, afin que Bacchus fasse croître aussi le nectar de l'automne.

Pendant qu'Éros s'élance vers la demeure de Jupiter, Sémélé, à l'heure où nuit la vermeille aurore, conduit ses mules au milieu de la ville qui résonne sous son fouet argenté. Le sillon direct tracé par son char aux roues rapides rase à peine la superficie de la poussière. La nymphe a chassé loin de sa paupière les ailes d'un sommeil qui vient du Léthé, et son esprit s'inquiète encore d'un songe et de ses oracles confits.

Elle a cru voir dans un jardin un arbre aux rameaux jeunes et verdoyants chargé du poids d'un fruit peu mûr encore, qui croissait sous les rosées bienfaisantes de Jupiter. Tout à coup une flamme céleste tombant des airs a consumé l'arbre tout entier sans toucher à ce fruit, et ce même fruit, un oiseau errant aux ailes étendues l'a ravi dans son incomplète maturité, et l'a porté tout imparfait à Jupiter. Le dieu le recueille dans son sein bienveillant, le coud dans sa cuisse : mais, au lieu d'un fruit, un homme sous la forme, la nature et les cornes d'un taureau, sort, tout acheva, de cette tumeur générative.

Sémélé était l'arbre. Épouvantée, elle s'est élancée hors de sa couche ; et elle a effrayé son père du récit de ce songe, de ce beau feuillage et de cette flamme étincelante. Le roi Cadmus inquiet de cette tige de Sémélé consumée, a dès l'aurore appelé auprès de lui le devin, fils de Chariclo, et lui a raconté le rêve embrasé de son enfant. Par les conseils fatidiques de Tirésias, le père envoie sa fille dans le temple accoutumé de Minerve pour y sacrifier à Jupiter foudroyant, un taureau, emblème de la forme à venir de Bacchus, et un bouc rongeur de la vigne future.

C'est ainsi que Sémélé sortait de la ville pour allumer l'autel de Jupiter tonnant. Elle assiste aux cérémonies, et reçoit sur sa poitrine l'aspersion sanglante. Le sang de la victime l'inonde, coule abondamment sur ses cheveux, et ses vêtements se teignent des libations du sacrifice (17). Alors, dirigeant ses pas vers les bords voisins de l'Asope couvert de joncs, elle se plonge dans les eaux du fleuve paternel pour effacer les taches que les gouttes multipliées du sang ont laissées sur ses voiles.

C'est là que se purifie la nymphe. Bientôt, avec ses suivantes, elle nage nue au sein du fleuve, et, à l'aide d'un art savant, elle tient sa tète élevée au-dessus des flots qui mouillent à peine sa chevelure : puis, pressant le courant de sa poitrine, elle frappe les ondes en arrière de ses pieds alternatifs. Ensuite elle prend d'autres vêtements, et sur cette rive rapprochée, dans cette plaine qui doit voir revenir des Indes Bacchus le vainqueur du mal, elle livre aux ondes et aux vents les souvenirs et la terreur de ses songes. Et ce ne fut pas sans une inspiration divine qu'elle choisit les courants du fleuve Asope : les Heures prophétesses l'y avaient conduite dans un dessein prémédité. Car, dès que la cruelle Érynnis (18) aperçut Sémélé dans les courants de l'Asope, elle sourit du haut des airs, en pensant que Jupiter devait un jour, dans leur commune destinée, anéantir à la fois sous les éclats de sa foudre et l'Asope et Sémélé.

La nymphe n'échappe point à l'oeil universel de Jupiter. Du haut des cieux, il dirige vers elle son regard que rien n'arrête ; et c'est en ce moment qu'Éros, archer invisible, se place en face de son père, spectateur si attentif, et brandit dans les airs son arc auxiliaire de l'humanité. La corde étincelle sous le trait orné de fleurs; et la flèche prophétique, en s'échappant de l'arc tendu en arrière, fait entendre un bachique sifflement. Jupiter était le but; tout grand qu'il est, il dut courber la tète sous le joug de l'amour. Telle que le rayon d'une étoile, la flèche, bruissant sous un souffle conjugal, pénétra jusqu'à son coeur : mais, lancée par une main intelligente, elle avait effleuré du bout de ses ailes les replis de la cuisse du dieu, présage de ses couches futures. Le fils de Saturne désormais n'a plus qu'un regard inquiet, avant-coureur d'un violent amour, et se sent entraîné vers la nymphe par tout l'attrait du désir. A l'aspect de Sémélé, il doute s'il ne voit pas une seconde fois Europe auprès du rivage, et il éprouve de nouveau toute l'ardeur de sa passion phénicienne. Sémélé avait en effet la même blancheur; et le teint de son visage reproduisait tout l'éclat de la soeur de son père (19).

Le roi des dieux a recours alors à une forme trompeuse : pour l'amour de Sémélé, il plane une première fois sous les traits d'un aigle au-dessus de l'Asope, père de filles si nombreuses (20) ; comme si, empruntant la forme du noble oiseau au regard perçant, il avait présagé son hymen avec Égine sous le même plumage. Bientôt il quitte les airs, se rapproche des rives, et parcourt les charmes de la nymphe qu'aucun voile ne lui dérobait : il ne se contente pas d'un regard lointain : c'est de près qu'il veut contempler son éclatante blancheur. Et cet oeil qui embrasse l'univers entier, cet oeil qui pénètre l'infini, ne lui suffit plus pour admirer une seule vierge.

La profondeur des ondes rougit sous les roses de Sémélé ; le courant du fleuve devient une délicieuse prairie illuminée par les grâces (21) ; et en apercevant la nymphe, une naïade sans voile fait éclater ainsi son étonnement :

« Quoi donc ? serait-ce qu'après une première Vénus, l'astucieux Saturne aurait encore mutilé son père, et qu'à l'aide de sa faux sanglante, il aurait une seconde fois formé de l'écume des eaux un produit spontané, en créant une plus jeune Vénus maritime (22) ? Ou bien le fleuve a-t-il voulu rivaliser avec les mers, rouler aussi des flots générateurs, et enfanter une Cypris nouvelle, pour ne céder en rien à l'Océan ? Ne serait-ce pas une des Muses de l'Hélicon voisin qui vient de plonger dans mes ondes paternelles ? Pourquoi donc aurait-elle abandonné les eaux si douces de la fontaine de Pégase, ou les flots de l'Olmée (23) ? J'aperçois au-dessus des courants du fleuve les pieds argentés d'une jeune fille ; mais je sais que la Lune, quand elle se rend dans la grotte du Latmos auprès d'Endymion, se baigne dans lamer Égée. Ah ! quand elle cherche à s'embellir pour son berger chéri qui toujours veille, qu'a-t-elle besoin de l'Asope, après les flots de l'Océan ? Cette nymphe, il est vrai, possède toute la blancheur neigeuse de la reine des airs, mais quel autre attribut en a-t-elle? Ses mules dégagées de leurs freins et son char aux roues d'argent sont bien là sur le rivage : mais la Lune n'a jamais attelé des mules, et ne guide que des taureaux ; si c'est une déesse descendue de l'Olympe ( car je vois rayonner, sous leur paisible paupière, l'azur des yeux d'une vierge), ne serait-ce pas Minerve aux yeux bleus, laquelle après son ancienne victoire sur Tirésias, aurait une fois encore quitté pour se baigner ses vêtements? En effet, cette jeune fille aux bras de rose a bien l'apparence d'une déesse; ou si une telle beauté est sortie du sein d'une mortelle, elle n'en est pas moins digne d'avoir pour époux l'immortel Jupiter. »

Ainsi disait la voix qui s'échappait des flots. Cependant Jupiter, pénétré des feux cuisants et des fureurs de l'amour, admire les bras de rose de la nymphe à la nage; les yeux constamment fixés sur les rondeurs de son visage, il considère tour à tour l'éclat de ses joues vermeilles et ses yeux longs et brillants; tantôt ses cheveux agités par les brises vagabondes; tantôt, quand leurs boucles se rejettent en arrière, son cou libre et dégagé, surtout son sein, dont la nudité s'arme contre lui et provoque l'amour. Il la considère tout entière ; mais il ne jette que des regards timides vers les beautés qu'on ne doit pas voir. L'âme du divin Jupiter se glisse hors de lui-même pour nager avec Sémélé. Il reçoit dans un coeur accoutumé à ces épreuves la douce et charmante étincelle. Le père se soumet à son fils. Et l'enfant Éros brûle du moindre de ses traits le maître de la foudre, que ne garantissent ni les déluges, ni les brûlants éclairs. Devant une légère flamme de vénus désarmée, le plus grand flambeau du ciel succombe. Le ceste amolli l'emporte sur l'égide à l'effrayante crinière : le tonnerre, avec ses roulements qui font gronder l'écho, devient l'esclave du carquois amoureux ; et Jupiter, en faveur de Sémélé, mêle au charmant aiguillon du désir l'admiration, cette tendre admiration si voisine de l'amour.

Cependant le dieu, après avoir repris sa forme divine, était à peine revenu dans les cieux, que, médi¬tant son stratagème, il soupirait après la nuit qui devait le rapprocher de Sémélé, tendait son regard vers le couchant pour voir venir l'étoile favorable du soir, et reprochait à Phaéton de prolonger les heures de la fin du jour; ces paroles inquiètes s'échappèrent alors de sa bouche passionnée :

« Nuit si lente à venir, dis-moi quand donc se couchera l'envieuse Aurore? Dresse ton flambeau, messager des amours de Jupiter, et augure des flambeaux nocturnes de Bacchus. Quoi donc? la jalousie de Phaéton me poursuivrait-elle? Aimerait-il aussi Sémélé, et serait-il envieux de mon ardeur ? Soleil, tu m'importunes : si tu as subi toi-même le charme de l'amour, d'où vient que tu épargnes tes lanières à tes coursiers tardifs? Je pourrais me créer une obscurité immédiate. Si je le veux, je n'ai qu'à couvrir l'Aurore et toi de mes nuages; alors, quand tu seras caché, la nuit viendra pendant le jour donner le signal de mon union, et ramener les étoiles à l'heure de midi. Oui, je puis faire qu'Hespéros, guide habituel des amours, se lève au lieu de se coucher. De grâce, précipite la marche de a ton avant-coureur Héosphore; ce sera une faveur pour ta passion et la mienne. Tu passeras ainsi une longue nuit près de ta Clymène, et je serai plus tôt auprès de ma Sémélé. Hâte donc ton char, dieu de la lumière. Et vous, ô Lune, répandez au loin cette lueur qui donne la vie aux plantes : mon union ne présage-t-elle pas la naissance de Bacchus qui fait croître les plantes aussi? Portez vos rayons jusque dans le charmant palais de Sémélé. Brillez-y pour mon bonheur avec l'étoile de Vénus, et prolongez l'heure qui va présider à mes plaisirs. »

Telles étaient les paroles que lui inspirait l'amour. Mais, dès que, selon ses voeux, une ténébreuse enveloppe, étendant ses réseaux du haut des cieux jusqu'à la terre, se répandit alentour, et atteignit de son ombre humide les bords où l'Aurore se couche, Jupiter abandonne pour Sémélé le palais des astres. D'abord, il parcourt d'un seul bond et sans laisser de trace toute la route des airs; puis il gagne Thèbes, rapide comme la flèche ou la pensée. Les portes du palais s'ouvrent d'elles-mêmes devant lui ; et Sémélé est dans ses bras.

Là, tantôt posant une tète de taureau sur des membres humains, Jupiter imite d'avance d'une voix mugissante les mugissements de Bacchus Taureau; tantôt il devient lion à l'épaisse crinière ou léopard, puisque le valeureux fils qu'il va produire doit atteler des léopards et des lions. Parfois, comme un jeune époux, il attache avec des pampres son bandeau formé des noeuds d'un serpent, et tresse à sa chevelure les guirlandes d'un lierre au fruit noir, attributs destinés à Bacchus. Puis, dragon recourbé et rampant, il effleure de ses lèvres familières le cou vermeil de la nymphe intrépide, se glisse autour du sein dont ses anneaux pressent les fermes contours, et, sifflant l'hyménée, il lance, au lieu du terrible venin de la vipère, le miel délicieux de l'abeille. Enfin, appuyant un bras appesanti sur la férule qui porte le feu du sacrifice, il secoue le thyrse entrelacé de lierre, montre d'avance à la postérité la grappe consolatrice ; et, revêtu de la peau d'un cerf, il agite amoureusement la nébride tachetée sur son épaule gauche. Jupiter, dans ses longues métamorphoses, a fait entendre le cri d'Évohé. L'Évohé si cher â son fils, que doit redire l'écho du pressoir. Puis, collant ses lèvres délirantes sur les lèvres de Sémélé, il exprime le délicieux nectar, et l'enivre afin qu'elle donne le jour au roi du nectar de la vendange.

La terre entière a souri : un rang de vignes touffues fait courir ses pampres, nés d'eux-mêmes autour de la couche de la nuit. Les murs se couvrent de fleurs, comme une prairie sous la rosée. En l'honneur de Bromios (24), le Jupiter Intérieur fait gronder au-dessus de son lit sans nuage son tonnerre, symbole des cymbales du Bacchus Nocturne (25). Bientôt le dieu adresse à Sémélé un langage bienveillant, console son épouse, et lui dévoile ainsi l'avenir:

« Femme, votre époux est Jupiter : levez fièrement votre tête enorgueillie de cette union céleste; et ne comparez aucune alliance mortelle avec la vôtre. Danaé ne peut vous égaler ; vous effacez même l'hymen du Taureau avec la soeur de votre père. Car, pour prix de l'amour de Jupiter, Europe aborda en Crète, et Sémélé montera dans l'Olympe. Que pourriez-vous souhaiter au delà du ciel et de la sphère éthérée ? Dira-t-on jamais que Jupiter a honoré d'une faveur égale Minos et Bacchus en plaçant l'un dans les enfers et l'autre dans leu cieux? Quand le fils mortel d'Autonoé succombe sous la rage de ses chiens, quand le fils d'Ino doit périr sous la flèche d'un père meurtrier, quand le fils de la furieuse Agavé n'aura qu'une si courte existence, vous, au contraire, vous allez mettre au jour un fils éternel, et je vous donnerai l'immortalité. Heureuse femme ! pour charmer les dieux et les hommes, vous portez dans vos flancs un fils qui fera oublier à l'humanité toutes ses douleurs. »


NOTES DU SEPTIÈME CHANT.

(01) Aéon. — Le Temps, Aéon, qui reparaîtra fréquemment dans le cours du poème, tenait son rang parmi les divinités orphiques et dans la théogonie d'Épiménide : il est déjà chez Nonnos, sous diverses épithètes, le personnage allégorique à qui nous avons conservé de nos jours ses redoutables fonctions ; et il commençait alors sa carrière moderne, puisque le poète de Panopolis n'a pas craint de le faire figurer aussi diverses fois dans sa paraphrase de l'Évangile. — Les platoniciens reconnaissaient, en effet, sous le nom d'Aéones, une série d'êtres divins qui concouraient au but commun, l'ordre du grand tout, τὸ πᾶν. Éros,  tel qu'on va le voir au vers 110, σοφὸς αὐτοδίδακτος Ἔρος αἰῶνα νομεύων « le sage Amour, qui n'a rien appris que de lui-même, et qui gouverne le Temps, » appartient aussi à la tradition orphique, et le temps ne représente plus ici, sous la désignation αἰῶνα, que l'humanité. Tel que Nonnos le figure, Aéon semble se rapprocher bien plutôt du christianisme que du polythéisme; et c'est aussi une indication de l'unité, où tendaient les systèmes philosophiques. C'est ce que M. Ouvaroff a dit, avec tant de justesse : Dans l'antiquité, tout était Dieu pour le peuple, et pour le philosophe Dieu était tout. - « Il est un Dieu, » dit la Sibylle, « monarque, ineffable, qui habite les airs, né à lui-méme, invisible et le seul qui voie tout.

Εἷς θεὸς μόναρχος, ἀθέσφατος, αἰθέρα ναίων
Αὐτοφυὴς, ἀόρταος, ὁρῶν μόνος αὐτὸς ἅπαντα.
(Oracles sibyl., l. II,  v. 12.)

(02) Les Heures, filles de l'Année. — Les Heures sont ici les filles de l'Année, soit d'une révolution du soleil. Λυκάβας, piuttosto anno che sole, a dit Zoéga, au sujet de ce passage de Nonnos. (T. II, p. 486.) C'est Homère qui a légué ce nom (marche de la lumière) à l'Année, que notre poète appelle aussi « la fille du Temps, et la mère inconstante et rapide des Heures. »

(03) Prométhée et Pandore. — L'injure que le Temps jette en passant à Prométhée et au souvenir de Pandore, nous rappelle Hésiode en même temps qu'Eschyle. Ceci ne serait plus de mise aujourd'hui, car notre siècle a pris à tâche de réhabiliter la victime de l'éternel vautour; comme s'il ne voyait dans le contempteur des dieux qu'un philanthrope primitif et le premier martyr de l'humanité.

(04) L'éternuement. — L'éternuement est une observation ou un augure de la sage Pénélope :

Οὐχ ὁράας, ὅ μοι υἱὸς ἐπέπταρε πᾶσιν ἔπεσσιν;
(Homère, Odyss., XVII, 545.)

Va tost, fay moy venir en présence cet homme,
Vois-tu pas que mon fils, ainsi que je le nomme.
Esternue aussitost? Tiens donc pour tout certain
Que tous ces poursuivans sont près de leur destin.

Ainsi parlait, en 1604, Salomon Certon, conseiller et secrétaire des finances de Sa Majesté en sa maison et couronne de Navarre ; et cette traduction, dans son langage naïf et suranné, s'applique parfois assez heureusement aux expressions primitives d'Homère. L'éternuement, signe de bonheur dans l'Odyssée, l'est encore dans Aristote (liv 1 de Animal.). En France, on y répond par A vos souhaits ; en Italie, dans les couvents, par le terme latin, prosit; chez le peuple, par Evvive, Felicità, Salute. Et ce dernier mot est le même qu'on prononçait du temps d'Apulée, solito sermone salutem ei fuerat imprecatus.

(05) Io. - Les douze unions de Jupiter que Nonnos a chiffrées ici, en nombre égal aux travaux d'Hercule, n'ont produit que des héros; et le choix habile que le poète en a fait dans la foule des rivales de Junon, est un hommage à Alexandre le Grand, qu'il établit ainsi le dernier rejeton du souverain des dieux.

lo, dont nous avons écouté l'histoire racontée par son cinquième descendant Cadmus (liv. III), a fait naître Épaphos.

(06) Europe. -  Europe (liv. I), Minos et Rhadamanthe.

(07) Plouto. — Plouto (liv. I, v. 146), Tantale.

(08) Danaé. - Danaé, dont l'aventure se reproduit si fréquemment dans les Dionysiaques, Persée.

(09) Sémélé. - Sémélé, Bacchus.

(10) Égine. - Égine, fille du fleuve Asope, donne à Jupiter Éaque, l'Ajax de la guerre des Indes.

(11) Antiope. - Antiope, fille de Nyetée, roi de Thèbes, mais qu'Homère a érigée en fille de l'Asope, comme la précédente, est mère de Zéthus et d'Amphion.

(12) Léda. - Léda met au monde Castor et Pollux.

(13) Dia. - Dia la Perrhébienne, Pirithôus; et ici on peut remarquer qu'Homère, pour faire honneur à ses héros, renverse de temps en temps leur généalogie mythologique. A ses yeux, Antiope ne gagnait rien à être la fille de Nyctée, roi incestueux que Minerve changea en hibou, et il la fait naître d'un fleuve divin, l'Asope. (Od., XI, 260.)

La fille d'Asopus s'avance solitaire;
Autrefois dans les bras du maître de la terre,
Antiope dormit, et de leur union
Vinrent le fier Zéthus et le noble Amphion.
(Bignan.)

De même, dans l'Iliade, Pirithoüs échappe à la triste filiation d'Ixion que lui assigne la Fable, et devient ce héros à qui le vieux Nestor n'a pas connu d'égal. «  Non, jamais je n'ai vu, et je ne verrai sans doute jamais des guerriers tels que Pirithoüs. (Iliad., I, 262.)

(14) Alcmène. - Alcmène est la mère du grand Hercule.

(15) Laodamie. - Laodamie, de Sarpédon,

(16) Olympias. - Et Olympias, d'Alexandre.

Ce douzième amour de Jupiter, le seul qui, en dehors des fables antiques, appartienne à l'histoire comparativement moderne, est donc un tribut rétrospectif payé par Nonnos à la mémoire d'Alexandre le Grand.

Plutarque nous raconte quelques-unes des singulières légendes qui se rattachent à l'union d'Olympias et du serpent divin. Bien que la reine n'ait fait qu'en rire, s'il faut en croire Aulu-Gelle, Plutarque répète très sérieusement, après Ératosthène, qu'avant d'envoyer Alexandre à l'armée, sa mère, pour l'engager à se rendre digne du dieu dont il était issu, lui confia le secret de sa naissance, qu'il n'a pas bien gardé.

(17) Corrections du texte. — Au lieu de φόβον, la crainte, qui n'a que faire ici, car Sémelé (et elle ne l'a que trop prouvé) n'est pas peureuse, lisons φόρον, mot dérivé de φόρημα, qui signifie vêtement dans la langue antique, comme dans la langue moderne des Grecs, et ce texte si obscur s'éclaircira.
Je ne puis admettre non plus (vers 48) le grain sec, ξηρόν, que la terre enfante ; il ne devient sec que quand il l'a quittée. Jupiter veut dire ici que Cérès vient d'inventer tout récemment le blé, étranger jusque-là à l'agriculture. Il faut donc lire ξενόν. Et puisque nous sommes en verve d'explications grammaticales, je demande que l'on ne s'étonne pas si, malgré mon goût pour les noms grecs, les habitudes latines prises au collège l'ont emporté chez moi ; je me suis déterminé, après quelque hésitation, à traduire Ényo par Bellone, afin d'être compris en France. On n'y connaît pas d'autre déesse de la guerre ; et nous l'avons tant célébrée sous ce nom, qu'elle me parait y porter un caractère plus noble et plus glorieux qu'Enyo.

(18) Erinnys. - Égine, l'une des nombreuses filles du fleuve Asope, fut aimée de Jupiter, qui parut à ses yeux d'abord sous les traits d'un aigle, comme on le voit au sixième numéro du catalogue amoureux de ce don Juan olympien; puis, sous la forme d'une flamme qui la consuma. Et c'est cette dernière métamorphose qui explique la malice d'Érinnys, l'esprit vengeur personnifié, que sans doute avait suscité la jalousie de Junon contre deux de ses rivales.

(19) Le teint d'Europe. - Le teint de Sémélé devient ici une allusion à la blancheur renommée d'Europe. Angélo, fille assez peu connue de Jupiter et de Junon, déroba à sa mère un merveilleux cosmétique, et le donna à Europe, son amie : celle-ci, avec ce secours, obtint bientôt un éclat pareil à celui de la reine des dieux. Cette blancheur surnaturelle pourrait bien n'être qu'un prétexte galant de l'adultère Jupiter pour pallier l'une de ses nombreuses infidélités. Quant aux taches de sang qui rejaillissent sur Sémélé, elles me rappellent une observation de M. de Chateaubriand, dont ce passage de Nonnos confirme la justesse :

« Peu de temps après le règne de Julien, le christianisme avait forcé l'hellénisme à l'imitation pour maintenir sa puissance. La cérémonie du taurobole ou du criobole, qui se rattachait dans son principe à la plus haute antiquité, était devenue une simple parodie du baptême. Au bord d'une fosse couverte d'une pierre percée, le sacrificateur égorgeait un taureau ou un bélier; le sang de la victime coulait, au travers des trous, sur le prosélyte placé au fond de la fosse.» (Chat., Et. hist., II, 2e part.)

(20) Lacunes. - Pour dissiper toutes les obscurités que les premiers commentateurs ont versées sur ce passage de Nonnos, bien assez compliqué par lui-même, il ne faut que se pénétrer des façons de son esprit et de son style, si l'on juge qu la chose en vaut la peine. Il devient évident, alors que la lacune laissée par Graëfe entre le 183e et le 184e vers, et qu'il essaye de remplir par celui-ci

Καί Σεμέλην, καὶ παῖδα φίλης ἐνὶ νηδύι μητρός,

ne résout pas le problème. Cette version, qui ferai frapper à la fois de la foudre Sémélé et Bacchus dans les flancs de sa mère, n'est aucunement admissible. Je donnerais, il me semble, un texte beaucoup plus plausible, bien qu'il soit de ma façon, parce qu'il serait d'accord avec la manie habituelle du poète, et avec Homère (Od. XI, 259)

Καὶ Σεμέλην, Αἴγινάν τε ποτάμοιο θύγατρην,

et l'on pourrait croire qu'il a voulu faire contraster Sémélé et l'Asope, comme dans le vers 180 or ce rapprochement d'Égine et de Sémélé se reproduit encore, en s'éclaircissant, dans les vers 210 et 215 qui suivent.

J'ajoute à ces longues explications un mot qui va les rendre superflues, et je soutiens que si l'on transporte à la page précédente, après le vers 174e, les six vers qui suivent la lacune, cette lacune disparaît comme l'amphibologie ; et le vers supplétif de Graëfe, ainsi que le mien, tout ingénieux qu'ils puissent être, demeurent sans motif.

(21) La prairie de roses. - La prairie de roses ou de fleurs, car la rose, reine des fleurs, est souvent prise pour ses subordonnées toutes ensemble, est une image que Nonnos affectionne, puisque nous la retrouverons plus tard dans les portraits de Nicée et de Chalcomède. Or, si le poète de Panopolis l'a prêtée à Musée pour en faire le soixantième vers de son poème, c'est qu'il l'a probablement reçue d'Aristénèle. « Son visage, dit celui-ci, a rougissait au point qu'on aurait dit une prairie de roses cachée sous ses joues. » Τῶν παρειῶν ἔνδον εἶχέ τινα ῥόδων λειμῶνα. - Il me semble que Bion s'est exprimé avec autant de grâce et un peu moins d'affectation, quand il a dit, en parlant de Déidamie :

Καὶ τόσον ἄνθος
Χιονέαις πόρφυρα παρειαῖς.
(idyl. IV, v. 20.)

Tant de fleurs rougissaient la neige de ses joues.

(22) Les crimes de Saturne. - Ces souvenirs mythologiques des crimes de Saturne, quelque peu déplacés dans la bouche d'une pudique naïade, sont bien difficiles à expliquer dans la langue française. Voici ce qu'en dit en latin l'auteur anonyme du Pervigilium Veneris :

Tunc cruore de superno, spumeo Pontus globo,
Caerulas inter catervas, inter et bipedes equos
Fecit undantem Dionen de maritis imbribus.

(23) Le fleuve Olmée. - Le fleuve Olmée, comme le Permesse, descendait de l'Hélicon, et se perdait dans le lac Copaïs. Près de son cours était situé le marais qui fournissait les roseaux dont on fabriqua les flûtes primitives :

Canoris
Et felix, Olmie, vadls.
(Stace, Théb., l. VII. v. 283.)

(24) Bacchus Bromios. - J'aurai fort rarement recours à cette appellation de Bacchus, inusitée en français, mais très commune chez les auteurs grecs. Parmi les diverses significations que lui ont donnée les archéologues, Nonnos a choisi l'étymologie qui remonte au verbe βρεμῶ, bruire : • Venez à ce Dieu paré de lierre, ce Dieu retentissant, que, parmi les hommes, nous nommons Bromios. »

Δεῦτ'
ἐπὶ κισσοδέταν θεὸν
ὃν Βρόμιον οἵτ' ἐριβόαν βροτοὶ καλέομεν.

Ainsi le veut ce fragment d'un dithyrambe attribué à Pindare.

(25) Bacchus Nyctélios. - Jupiter l'Intérieur (ἐνδόμυχος), qui tonne sous les voûtes de Sémélé, sans l'accompagnement obligé des nuages, figure, en cette qualification par opposition, ou, pour mieux dire, pour faire pendant à Bacchus le Nocturne (νυκτελίος). C'est donc un des titres du vainqueur des Indes, qui voulait qu'on célébrât ses fêtes pendant la nuit.

Nycteliumque patrem nocturnaque sacra precare.
(Ovide, Art. am, l. I, v. 267.)

Inter sacra deum, nocturnique orgia Bacchi.
(Virg., géorg..l. IV, v. 231.)

Comme on le voit ici, et bien souvent ailleurs, ce qui manque surtout à Nonnos, c'est la sobriété de l'expression : et ce défaut dénote la décadence du style poétique, plus encore que le goût de l'antithèse. Il ne sait ni s'arrêter, ni se taire à propos. Il retourne la même image sous toutes les faces, jusqu'à ce qu'il l'ait étouffée sous le poids et le nombre des détails qui se suivent et s'enchaînent invariablement. Il y a néanmoins un sentiment naturel, bien souvent relevé par nos romanciers modernes, dans ce changement de ton de Jupiter, quand il n'a plus rien à souhaiter de Sémélé. Ce n'est pas l'amant, c'est l'époux qui parle à sa femme γύναι, ou plutôt c'est déjà le dieu qui reprend sa dignité et s'exprime en termes d'oracle.