CALLIMAQUE
EPIGRAMMES
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[1] « Timon, puisque tu n’es plus, dis-moi, de l’ombre ou de la lumière, que
détestes-tu davan-tage ? — L’ombre, car vous autres hommes vous êtes plus
nombreux chez Hadès. »
[2] Ne me souhaite pas joie et bonheur, méchant que tu es : passe ton chemin! Ma
joie et mon bonheur, moi, c’est que tu n’approches pas.
[3] « Du fils de Battos tu longes le tombeau: habile dans l’art de la poésie, il
savait aussi accommoder sa verve aux rires du banquet. »
[4] Qui que tu sois qui longes ce tombeau, sache que je suis le fils et le père
de Callimaque de Cyrène. Tu vas les connaître tous les deux : l’un, jadis, a
commandé les hoplites de sa patrie; l’autre a fait entendre des chants qui
triomphent de l’envie. Ne t’en étonne pas : celui que les Muses ont regardé,
enfant, d’un œil propice, celui-là, blanchi par l'âge, demeure toujours leur
ami.
[5] En disant : « Soleil, adieu! » Cléombrotos d’Ambracie s’est précipité du
haut d’un toit chez Hadès: il n’avait eu aucun mal qui put lui faire souhaiter
la mort; mais il avait lu de Platon le dialogue sur l’âme.
[6] « Est-ce bien ici que repose Charidas? » — Si tu veux dire le fils d’Arimmas
de Cyrène, c’est bien ici. —O Charidas, qu’y a-t il sous la terre? — Beaucoup de
ténèbres. — Et en revient-on? — Mensonge. — Et Pluton? — Une fable. — C’en est
fait de nous. — Je t’ai dit la vérité; mais si tu veux entendre ce qui flatte
l’oreille, sache qu’un gros bœuf ne coûte chez Hadès qu’une petite monnaie de
Pella!
[7] « Si tu cherches Timarchos dans la demeure d’Hadès, pour qu’il te renseigne
sur l’âme et sur la destinée future, demande, parmi les morts de la tribu
Ptolémaïs, le fils de Pausanias : tu le trouveras dans le séjour des hommes
pieux. »
[8) Le profond buveur Erasixénos, voit qu’une coupe de vin pur, deux fois de
suite vidée à la santé d’un ami, l’a emporté chez Hadès.
[9] « Eh bien! Ménécrate d’Aenos, tu n’as pas été longtemps de ce monde;
qu’est-ce donc qui a causé ta mort, ô le meilleur des hôtes? Ne serait-ce pas ce
qui a perdu aussi le Centaure? — L’heure fatale du repos était venue pour moi,
et c’est bien à tort qu’on accuse le malheureux vin! »
[10] L’étranger était de petite taille; aussi le vers, réduit à la plus simple
expression ; « Théris, fils d’Aristos, » Crétois n’est-il encore trop long pour
moi.
[11] « Timonoé! Mais qui es-tu? Par les dieux, je ne t’aurais pas reconnue, si
la stèle ne portait pas le nom de Timothéos ton père et de Méthymne ta patrie.
Ah je puis dire qu’il éprouve de son veuvage une cruelle douleur, ton époux
Euthyménès. »
[12] Le matin nous enterrions Melanippos; au coucher du soleil, la jeune Basilo
s’est tuée de ses propres mains : vivre, après avoir déposé son frère sur le
bûcher, elle n’en eut pas le courage. Ainsi la maison d’Aristippos a vu un
double malheur, et Cyrène toute entière a été consternée, au spectacle de cette
demeure vide, autrefois si florissante.
[13] Astacidès de Crète, le chevrier, a été ravi par une Nymphe sur la montagne,
et maintenant c’est un dieu qu’Astacidès. Plus jamais sous les chênes du mont
Dicté, plus jamais, bergers, nous ne chanterons Daphnis : nous chanterons
toujours Astacidès.
[14] Avec mes faibles ressources, j’ai vécu petitement, sans commettre aucune
injustice, sans nuire à personne. O terre amie, si moi Micylos, j’ai jamais
approuvé quelque chose de mal, ne me sois pas légère, et vous, ne me soyez pas
propices, dieux infernaux qui me tenez.
[15] Qui es-tu étranger qui as fait naufrage ? Léontichos t’a trouvé mort sur la
plage et t’a creusé cette tombe en pleurant sur sa propre vie, pleine de périls
: lui non plus n’a pas une vie calme, et comme la mouette il court les mers.
[16] Lycos de Naxos n’est pas mort sur terre; il a vu dans les flots périr à la
fois son navire et sa vie, lorsqu’il revenait d’Egine pour son commerce. Son
cadavre repose au fond des eaux, et moi, tombeau qui n’ai que son nom, je
proclame ce mot d’une vérité universelle : « Garde-toi de tout contact avec la
mer, ô matelot, lorsque se couchent les Chevreaux! »
[17] Plût au ciel que n’eussent pas existé les navires rapides. Nous ne
pleurerions pas le fils de Diocleidès, Sopolis. Au lieu de cela, son cadavre est
quelque part le jouet des flots, et nous, ce n’est pas devant lui, c’est devant
un nom et un tombeau vide que nous passons.
[18] La Phrygienne Aeschra, excellente nourrice, Miccos, tant qu’elle a vécu,
l’a entourée de tendresse et de soins; morte, il lui a consacré ce monument,
afin de montrer à la postérité quelle reconnaissance a valu à la vieille
nourrice le lait qu’elle a donné de ses mamelles.
[19] Si tu vas à Cyzique, il te sera facile de trouver Hippacos et Didymé; ils
sont d’une famille bien connue. Tu leur porteras une triste nouvelle, tu leur
diras que je retiens ici leur fils Critias.
[20] Qui donc est sûr de connaître ce dieu puissant, Demain? Hier, Charmis, tu
étais parmi nous; aujourd’hui, dans les larmes, nous t’avons mis au tombeau :
jamais Diophon ton père n’a connu de malheur plus affreux.
[21] Vous qui passez le long du tombeau de Cimon l’Eléen, sachez que vous avez
près de vous le fils d’Hippeos.
[22] Un enfant de douze ans! Son père Philippos a déposé ici l’objet de toutes
ses espérances, Nicotélès.
[23] Ici Saon d’Acanthe, fils de Dicon, dort d’un sommeil sacré : ne dis pas que
les gens de bien meurent.
[24] Je fus autrefois prêtresse de Déméter, puis des dieux Cabires, ensuite de
la déesse du mont Dindymon, et maintenant je ne suis que poussière, moi, N...,
qui présidais aux chœurs de nombreuses jeunes femmes. Deux enfants me sont nés,
deux garçons, et c’est dans leurs bras que j’ai fermé les yeux, au terme d’une
longue vieillesse : passe et sois heureux.
[25] Créthis, l’intarissable conteuse, qui s’entendait si bien à tous les jeux,
que de fois les jeunes Samiennes la réclament, elle, leur compagne si douce, et
qui avait toujours quelque chose à dire! Mais maintenant, sous cette pierre,
elle dort, Créthis, de ce profond sommeil qui attend tous les hommes
[26] Il y a quatre Charites: une nouvelle vient d’être ajoutée aux trois autres,
et elle est encore toute humide de parfums. C’est l’heureuse Bérénice, la reine
admirée de tous, sans laquelle les Charites même ne seraient pas les Charites.
[27] Simos, fils de Miccos, en me consacrant aux Muses, leur demandait de
réussir dans ses études; et elles, comme Glaucos, lui ont donné, en échange d’un
petit présent, un présent immense. Pour moi, masque tragique de Dionysos, je
suis ici consacré, La bouche deux fois plus largement ouverte que le fameux
Dionysos de Samos, et j’entends les enfants qui récitent : « Ma chevelure est
sacrée! », ce qui fait ma joie.
[28] De la victoire d’Agoranax le Rhodien, je suis ici, ô étranger, témoin
vraiment comique, moi, masque de Pamphile, d’un côté nullement brûlé des feux de
l’amour, de l’autre, tout semblable à une figue cuite ou à une lampe d’Isis.
[29] Cette salière, où il puisait un peu de sel pour toute nourriture, a tiré
Eudémos d’un abîme de dettes; aussi l’a-t-il consacrée aux dieux de Samothrace,
en disant: Cette salière, ô dieux puissants, Eudémos, suivant le vœu qu’il avait
fait, l’a consacrée ici, en souvenir du naufrage d’où il a été sauvé.
[30] Une autre fois encore, ô Hithya, viens à l’appel de Lycaenis, apporter
comme aujourd’hui une heureuse délivrance à ses douleurs maternelles ; car cette
fois, c’est pour une fille, ô déesse que t’est consacrée cette offrande ; puisse
un jour, pour un fils, ce temple parfumé en recevoir une autre !
[31] Acéson t’a payé sa dette, Asclépios, à la suite du vœu qu’il avait fait
pour sa femme Démodiké ; tu le sais bien ; mais si tu viens à l’oublier et si
tu réclames une seconde fois le prix, ce tableau déclare qu’il fournira un
témoignage.
[32] Bêtes du Cynthe, rassurez-vous : le Crétois Echemmas a consacré à Artémis,
dans Ortygie, l’arc dont il vous poursuivait sans pitié à travers la grande
montagne : aujourd’hui il a cessé la lutte, ô chevreuils, et c’est la déesse
qui vous a valu cette trêve.
[33] Evaenétos, qui m’a placé ici, déclare (car moi-même je n’en sais rien) que
j’atteste devant les Tyndarides la victoire qu’il a lui-même remportée : je veux
bien croire Evaenétos, fils de Phaedros, petit-fils de Philoxénos.
[34] Callistion, la fille de Critias, m’a dédiée au dieu de Canope, moi, lampe
somptueuse à vingt mèches, d’après un vœu en faveur de son enfant Apellis.
Passant, en voyant ma lumière, tu diras: « Etoile du soir, combien tu as pâli !
»
[35] Artémis, à toi Philératis a consacré cette statue : reçois son hommage, ô
déesse, et conserve-lui la vie.
[36] Dans le temple d’Isis Inachia se dresse la statue d’Aeschylis, la fille de
Thalès, d’après le vœu de sa mère Eiréné.
[37] « A toi, dieu étrangleur de lions, tueur de sangliers, cette massue de
chêne. — Qui me la consacre? — Archinos. — De quel pays? — De Crète. — Je
l’accepte. »
[38] A Déméter Pylaea, pour qui le Pélasge Acrisios a bâti ce temple, et à sa
fille qui règne sur les morts, Timodémos de Naucratis a consacré ces présents,
dîme de ses bénéfices; car tel était son vœu.
[39] Ménitas de Lyctos a consacré cet arc en disant : « Prends Sérapis, je te
donne l’arc et le carquois : quant aux flèches, les Hespéritains les ont. »
[40] Ces dons à Aphrodite, c’est Simon, la courtisane qui les a offerts, sa
propre image, sa ceinture, …
[41] Le coquillage que je suis, ô déesse de Zéphyrion, était naguère un être
merveilleux; aujourd’hui tu possèdes en moi, ô Cypris, la première offrande de
Séléna nautile, je naviguais sur la mer; si le vent soufflait, je suspendais ma
voile à mes propres cordages; si régnait l’accalmie, la riante déesse, alors, me
repliant sur moi-même, je ramais avec mes pieds, justifiant mon nom par mes
actes, jusqu’au jour où j’échouai sur le rivage d’Ioulis, pour devenir dans ton
temple, ô Arsinoé, le bel objet que voici, en sorte que, dans les demeures
humides de la mer, l’alcyon ne fait plus éclore pour moi ses œufs comme jadis,
quand j’étais en vie. O déesse, à la fille de Clinias accorde tes bienfaits; car
elle a de la vertu, et elle est de Smyrne en Eolide.
[42] A la porte d’Aeétion l’Amphipolitain, je suis placée, petite statue de
héros, sous un petit vestibule, ayant à la main un serpent oblique, et pour
toute arme, une épée : irrité contre un cavalier, le sculpteur m’a représenté,
quoique héros, à pied.
[43] Callignotos a juré à Ionis que jamais il n’aurait un ami, une amie
meilleure qu’elle; il l’a juré; mais, on l’a dit, et c’est la vérité, les
serments d’amour n’entrent pas dans l’oreille des dieux. Lui, maintenant, brûle
d’amour pour un bel enfant; et d’elle, de la malheureuse jeune fille, il n’est
pas plus question que des Mégariens.
[44] Notre hôte a une blessure qu’il nous cachait: as-tu remarqué les soupirs de
tristesse qu’il a poussés, quand il a levé sa coupe pour la troisième fois? Les
roses de sa couronne, effeuillées, se sont toutes répandues à terre. Ah! c’est
quelque grande passion qui le brûle! Par les dieux, ce n’est pas une conjecture
que je fais: voleur moi-même, je connais la trace du voleur.
[45] Malheureux Cléonicos de Thessalie, malheureux! Par les traits perçants du
Soleil, je ne te reconnaissais pas. Infortuné, que t’est-il arrivé? Tu n’as plus
que les os et la peau. Le dieu qui me possède est-il aussi ton maître? As-tu
rencontré la même infortune que moi? Ah! je vois : c’est Euxithéos qui t’a ravi;
car, en entrant, malheureux, c’est lui, le bel éphèbe, que tu as dévoré du
regard.
[46] Puisses-tu dormir, ô Conopion, comme tu me fais dormir sous ce portique
glacé ! Puisses-tu dormir, cruelle, comme tu fais dormir ton amant, sans
éprouver pour lui, même en songe, la moindre pitié ! Les voisins me plaignent;
mais toi, pas même en songe ! Ah! bientôt les cheveux blancs te rappelleront
toutes ces rigueurs.
[47] Si c’est volontairement, ô Archinos, que j’ai dans mon orgie porté mes pas
jusqu’à toi, accable-moi de reproches ; si c’est involontairement, garde-toi
d’un jugement téméraire. Le vin et l’amour ont été les plus forts : l’un
m’entraînait, l’autre ne me permettait de résister à un téméraire emportement.
Mais, arrivé là, je n’ai poussé aucun cri, je n’ai appelé personne, j’ai
seulement baisé le seuil de ta porte : si c’est là mon crime, oui je suis
criminel.
[48] Je hais le poème banal qui est dans toutes les mains; je n’aime pas le
chemin par où tout le monde passe; je déteste aussi l’amant qui s’offre à tous;
je ne bois pas à la source commune; je repousse tout ce qui est public.
Lysanias, oui, tu es beau, beau.... Mais, à peine ai-je dit clairement ces
mots, un écho me fait entendre : un autre te possède !
[49] O Zeus, ce Théocrite aux beaux cheveux noirs, s’il me hait, puisses-tu
quatre fois le haïr! S’il m’aime, aime-le ! Oui, par Ganymède à la belle
chevelure, Zeus, roi du ciel ! Et toi aussi tu as aimé ....Je n’en dis pas plus
long.
[50] La moitié de mon âme est encore en vie; l’autre moitié, je ne sais si Eros
ou Arès l’a ravie, mais je sais qu’elle a disparu. Ah! sans doute, elle est
encore retournée auprès de quelque bel enfant. Et certes, je ne cessais de
redire : N’accueillez pas la fugitive, ô jeunes gens! Est-elle auprès de
Képhissos? Car c’est de ce côté, je le sais, qu’elle tourne, la misérable, la
malheureuse!
[51] Par le dieu Pan, il y a de ce côté quelque feu caché ! Oui, par Dionysos,
un feu couve sous la cendre. J’ai peur ! Enfant, ne m’entoure pas ainsi de tes
bras ! Souvent une muraille est sourdement minée par une eau paisible. Voilà
pourquoi je crains maintenant, ô Ménexénos, qu’un ennemi perfide, s’insinuant
dans mon cœur, ne me jette encore dans l’amour.
[52] Verse encore, et redis : A Dioclès ! Et laissons Achéloos, puisque aussi
bien ces coupes ne le touchent pas, que nous vidons en l’honneur de Dioclès ! Ah
! le bel enfant, Achéloos, le bel enfant que Dioclès. Et si quelqu’un dit le
contraire … eh bien ! pourquoi me fâcher ? tant mieux si je suis seul à
connaître ce qui est beau.
[53] Le chasseur, ô Epicydès, se plaît, dans la montagne, à découvrir et à
suivre toutes les pistes de lièvres et de chevreuils, heureux d’affronter la
glace et la neige. Mais si on me dit : « Tiens, voici une bête qui a été
frappée! », il ne la prend pas. Tel est aussi mon amour : il se plaît à
poursuivre ce qui le fuit, il passe à côté de ce qui est sous sa main.
[54] Tu seras pris, tu as beau fuir, Ménécrate, lui ai-je dit le 20 du mois
Panémos, et, au mois de Lôos, le combien? le 10, le bœuf est venu de lui-même à
la charrue! Bravo, Hermès! Voilà pour moi une bonne fortune, et je ne chicanerai
pas pour vingt jours.
[55] Mes mains, je le sais, sont vides de richesses ; mais, ô Ménippos, au nom
des Charites, ne me dis pas ce que je sais trop bien. Je souffre d’entendre
toujours ce mot amer : venant de toi, ô mon ami, rien ne saurait m’être plus
cruel.
[56] Quel bon remède Polyphème a trouvé pour les amoureux ! Par la Terre, c’est
un habile homme que le Cyclope. Les Muses, ô Philippe, voilà ce qui fait dépérir
l’amour. Oui c’est une panacée universelle que le culte des Muses. Mais
crois-moi, la faim, elle-aussi, a cet effet bienfaisant, parmi tant de maux
dont elle est cause : elle coupe court à la maladie qui nous attache aux pas
d’un bel enfant. Et voilà pourquoi que nous-mêmes, chaque fois que l’Amour tente
de nous entraîner à de coûteuses folies, nous pouvons lui répondre : « Coupe tes
ailes, enfant : nous ne te craignons pas plus qu’une miette de pain ! » C’est
que, chez nous, ces remèdes magiques contre le mal cuisant de l’amour sont tous
les deux réunis sous notre toit.
[57] Ils sont d’Archiloque, ces vers, ces iambes où résonne la colère, où
s’épanche le fiel d’une implacable invective. Il a pris au chien sa bave fétide,
à la guêpe son aiguillon perçant : de l’un et de l’autre est composé le poison
qu’il distille de ses lèvres.
[58] [Non, je ne trouve aucun plaisir] au prélude qu’Archiloque entonne sous le
coup de l’ivresse.
[59] Momos lui-même écrivait sur les murs: Kronos est sage! Et voici que les
corbeaux, du haut des toits, répètent, de leur voix croassante, queues sont les
règles d’un enchaînement logique et comment nous revivrons un jour.
[60] Je suis l’œuvre du Samien qui reçut jadis dans sa maison le divin aède, et
je chante Eurytos, ses malheurs, et la blonde Ioleia. Je passe pour un poème
d’Homère: par Zeus, pour Créophylos, ce n’est pas un mince éloge!
[61] D’Hésiode c’est le rythme et la manière : le poète de Soles n’a pas pris
pour guide le moindre des aèdes, et j’ose dire qu’il a su se modeler sur le plus
charmant des poèmes. Salut, délicates poésies, fruit des veilles laborieuses
d’Aratos.
[62] Théaelétos est entré dans une voie nouvelle. Si cette voie, ô Bacchos, ne
conduit pas à la couronne de lierre qui est le prix que tu donnes aux
vainqueurs, qu’importe : d’autres entendront le héraut proclamer un instant
leur nom ; lui, c’est toute la Grèce qui proclamera à jamais son génie.
[63] Quelqu’un m’a dit, ô Héracleitos, que tu avais accompli ta destinée, et
cette nouvelle m’a plonge dans les larmes. Que de fois, je m’en souviens, tons
les deux, dans la lesché, nous avons prolonge nos entretiens jusqu’après le
coucher du soleil! Ainsi donc, O mon cher hôte d’Halicarnasse, depuis longtemps
peut-être tu n’es plus que cendre; mais du moins tes chants pure comme la voix
du rossignol vivent, et sur eux le ravisseur de toutes choses, Hadès, ne portera
pas la main.
[64] Un petit mot, Dionysos, suffit au poète heureux : « Victoire! » c’est tout
ce qu’il ait à dire. Mais le poète qui n’a pas reçu de toi l’inspiration
favorable, et on lui demande: Quel est ton sort?, il répond : Affreux est ce qui
m’arrive! Puisse tine telle parole être celle de quiconque médite l’injustice A
moi, dieu puissant, le petit mot Victoire!
[65] Un étranger d’Atarnée vint consulter le fils d’Hyrras, Pittacos de
Mitylène. « Bon vieillard, on me propose un double mariage, une jeune fille dont
la fortune ainsi que la naissance est proportionnée à la mienne, une autre qui
est fort au-dessus de moi. Quel est le meilleur parti ? Allons, conseille-moi,
laquelle des deux dois-je épouser ? » Il dit, et le philosophe ayant levé son
bâton, l’appui de sa vieillesse : « Vois là-bas ces enfants, répondit-il, ils te
diront tout ce que tu as à faire. » Or les enfants poussaient devant eux et
faisaient tourner de rapides toupies sous les coups de leur lanière, dans un
vaste carrefour. « Va derrière eux, dit-il, et suis les. » Il s’approcha d’eux.
Ces enfants, dans leur jeu, disaient : « pousse la toupie qui est à ta portée, à
ta hauteur ». Entendant ces paroles, l’étranger s’abstint de prétendre à une
alliance trop haute : il avait compris le sens que prenait pour lui le mot des
enfants. De même que cet étranger emmena dans sa maison la femme de condition
modeste, toi aussi Dion, prends celle qui est à ta hauteur, à ton rang.
[66] Heureux le vieil Oreste ! Fou de tant de manières, il n’a pas eu du moins,
ô Leucaros, la folie qui a été la mienne, il n’a pas demandé au Phocéen une
autre preuve d’attachement … S’il avait exigé davantage, il aurait perdu son ami
; et moi, mes nombreux Pylades, je ne les ai plus.
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