I
EN
L'HONNEUR DE JUPITER
Tandis
qu'on offre des libations à Jupiter, quel plus digne objet de nos chants que ce
dieu même, toujours grand, toujours roi, qui dompta les Titans et qui donne des
lois à l'Olympe ?
Mais sous quel nom l'invoquerai-je ? Est-il le dieu de Dicté ? est-il le dieu
du Lycée ? J'hésite, puisque enfin le lieu de sa naissance est contesté. O
Jupiter ! l'un veut que la Crète, l'autre que l'Arcadie ait été ton berceau :
grand dieu, qui des deux en impose ? ... Mais toujours le Crétois fut menteur ;
le Crétois osa bien, dieu puissant, t'élever un tombeau, à toi qui n'as pu
mourir, à toi qui es éternel. Oui, ce fut sur le mont Parrhasius, dans le plus
épais de ses bois, que Rhée te donna la naissance ; bois devenu sacré dès
cet instant ; bois dont jamais femme, dont jamais animal sujet aux travaux de
Lucine n'ose approcher et que les Apidans appellent la couche antique de Rhée.
Oui, ce fut là que ta mère, soulagée de son divin fardeau, chercha le canal
d'une onde pure pour se purifier et laver ton corps. Mais le majestueux Ladon,
mais le limpide Érymanthe ne coulaient point encore et l'Arcadie était encore
aride. Un jour elle devait être célèbre par ses fleuves ; mais au moment où
Rhée détacha sa ceinture, des chênes sans nombre s'élevaient sur le terrain
où coule aujourd'hui l'Iaon ; des chars pesants roulaient sur le lit du Mélas
; le Carnion, en dépit de ses eaux, entendait les animaux féroces creuser leur
tanière sur sa tête, et le voyageur altéré, marchant sans le savoir
au-dessus du Crathis ou du sablonneux Métope, brûlait de soif, tandis que des
sources abondantes étaient sous ses pieds.
Dans son cruel embarras la déesse s'écria : "Terre, enfante à ton tour ;
tendre mère, tes enfantements sont faciles." Elle dit, et, levant son bras
puissant, frappa le mont de son sceptre. Le roc s'ouvre et vomit l'onde à
grands flots. Aussitôt ta mère, roi des dieux, lava ton corps, t'enveloppa de
langes et chargea Néda de le porter dans les antres de Crète pour l'y faire élever
secrètement : Néda, de toutes les Nymphes qui l'assistaient alors, la plus âgée
après Styx et Philyre, la plus chère à son cœur ; Néda, de qui le zèle ne
fut point sans récompense, puisque la déesse donna le nom de sa Nymphe à ce
fleuve, le plus antique des fleuves où se désaltèrent les neveux de Lycaon et
qui va près du séjour des Caucons se réunir à Nérée.
A peine, ô Jupiter ! Néda sortait de Thène et s'approchait de Gnossus, que
ton cordon ombilical tomba. C'est de là que les Cydoniens ont nommé cet
endroit la plaine Ombilicale. Les sœurs des Corybantes, les Nymphes de Dicté
te reçurent dans leurs bras et te mirent dans un berceau d'or, où Adrastée te
provoquait au sommeil. Là tu le nourris du lait abondant de la chèvre Amalthée
et des rayons du miel le plus doux, que l'abeille Panacris travailla soudain sur
ces rochers de l'Ida, qu'on appelle de son nom. Les Curètes figurèrent autour
de toi les pas compliqués de la pyrrhique, en frappant sur leurs armes ; et le
son de leurs boucliers étouffant le bruit de tes cris, parvint seul aux
oreilles de Saturne.
Ainsi, dieu du ciel, vit-on croître, ainsi vit-on s'élever ton enfance. Bientôt
vinrent les jours de la jeunesse et le duvet ombragea ton menton ; mais dès
l'enfance, ton esprit était déjà mûr. Aussi tes frères, quoique tes aînés,
t'ont-ils cédé l'Olympe sans oser te l'envier.
Poètes mensongers, en vain avez-vous dit jadis que le sort distribua les
empires aux trois fils de Saturne. Quel est donc l'insensé qui dans la même
balance mettrait l'Olympe et les Enfers ? Quand les partages sont égaux, le
sort en peut être l'arbitre ; mais, entre ces deux empires il y a trop d'inégalité.
Lorsqu'on ment, au moins faut-il être croyable. Non, grand dieu, non, ce ne fut
point le sort qui te fit roi des dieux : ce furent tes exploits, ta valeur
et la Force (01) que tu plaças au pied de ton trône.
Tu chargeas aussi le prince des oiseaux d'annoncer tes augures ; puisses-tu n'en
envoyer que d'heureux à mes amis !
O Jupiter ! tu t'es réservé l'élite des mortels. Ce ne sont ni les nochers,
ni les guerriers, ni les poètes. Tu laisses à des dieux inférieurs le soin de
protéger ; mais ce sont les rois eux-mêmes, les rois qui tiennent sous leur
main le laboureur, le guerrier, le matelot, tout enfin ; car est-il rien qui
n'obéisse à son roi ! Qu'à Vulcain donc soit consacré le forgeron, à Diane
le chasseur, à Mars le soldat, â Phébus le chanteur ; à Jupiter
appartiennent les rois. Rien n'est plus saint que les rois, aussi toi-même en
as fait ton partage. Tu leur as confié la garde des villes ; mais du haut des
citadelles, tu veilles sur ceux d'entre eux qui dirigent ou détournent les
voies de la justice. Tu leur accordes à tous les richesses et l'opulence, mais
avec inégalité ; témoin mon roi, qui l'emporte de si loin sur les autres. Il
accomplit le soir ses projets du matin ; le soir, les plus vastes, les moindres
aussitôt qu'il les forme ; tandis que pour remplir les leurs, il faut au reste
des rois une année, souvent plus, et combien de fois encore n'as-tu pas
confondu leurs desseins et rompu leur effort !
Salut, puissant fils de Saturne, dispensateur des biens et du bonheur ! Où
est-il celui qui pourra chanter tes ouvrages ? il ne fut, il ne sera jamais. Eh
! qui pourrait chanter les ouvrages de Jupiter ?
Salut, ô père des dieux, salut ! Donne-nous la richesse et la vertu.
L'opulence ne peut rien sans la vertu, ni la vertu sans l'opulence ; donne-nous
donc, ô grand dieu ! et richesses et vertu.
II
SUR
LES BAINS DE PALLAS
Ministres
des bains de Pallas, sortez toutes, sortez ; j'entends hennir les cavales sacrées
et la déesse paraît. Accourez blondes filles des Pélasges, accourez. Jamais
l'auguste Pallas, avant d'essuyer les flancs poudreux de ses coursiers, n'est
entrée dans le bain ; pas même au jour où revenant de combattre les fils
insolents de la Terre, elle rapporta ses armes souillées de leur sang ; mais
son premier soin en dételant les chevaux de son char, fut d'essuyer l'écume épaissie
sur leur bouche mutine et de laver leur sueur dans les flots.
Venez, jeunes Achéennes, j'entends crier les essieux, venez ; mais n'apportez
point d'odeurs ni d'essences. Ministres des bains de Pallas, Minerve ne veut
point de parfums composés. Ne lui présentez donc point d'odeurs, ni
d'essences, ni de miroirs. La grâce est toujours dans ses yeux ; et même sur
l'Ida lorsque Pâris y jugea les déesses, elle ne consulta ni le métal
resplendissant que recèle le sein des montagnes ni les eaux transparentes du
Simoïs. Junon l'imita ; Cypris seule, les yeux fixés sur l'airain réfléchissant,
changea et rechangea souvent sa coiffure ; mais Pallas qui, telle que les
Jumeaux divins au bord de l'Eurotas, venait de parcourir cent fois le stade,
n'employa d'autre parfum que le simple jus de ses olives chéries, et, pareille
à la rose du matin ou plutôt aux grains éclatants de la grenade, une vive
rougeur colora son visage. Jeunes filles, ne lui présentez donc que le jus de
l'olive : c'est le parfum de Castor, ainsi que d'Hercule. Offrez-lui des peignes
d'or pour démêler ses beaux cheveux, pour en séparer les tresses luisantes.
Sors de ton temple, ô Minerve ! des vierges, troupe chère à ton cœur, des
vierges descendues du grand Acestor (02)
s'empressent autour de toi. O Minerve ! on porte aussi devant toi le bouclier de
Diomède ; ainsi le veut l'antique usage établi par Eumède, ce pontife chéri
de toi, qui, pour se dérober aux transports d'un peuple furieux, s'enfuit jadis
sur le mont Créius avec ton image et l'y cacha sous des roches escarpées qu'on
a depuis ce temps honorées de ton nom.
Sors de ton temple, ô Pallas ! déesse au casque doré, déesse qui renverses
les murailles, qui te plais au fracas des armes et des chars.
Argiens, gardez-vous en ce jour de plonger vos urnes dans le fleuve ; c'est aux
fontaines seules à vous désaltérer. Esclaves, ne puisez aujourd'hui qu'aux
sources de Physadée ou dans les eaux d'Amymone (03).
Si, du haut de ces coteaux fertiles, Inachus roule son onde argentée sur un lit
d'or et de fleurs, c'est pour les bains de Pallas que ce dieu la réserve. Mais
crains, ô Pélasge ! crains de jeter un regard même involontaire sur ta reine.
Malheur à celui qui portera la vue sur les appas secrets de notre déesse tutélaire
; jamais ses yeux ne reverront Argos.
O puissante Minerve ! sors de ton temple. Vous cependant, jeunes filles, écoutez
un récit que bien d'autres poètes ont déjà consacré.
Il fut jadis à Thèbes une Nymphe, mère de Tirésias, que Minerve préférait
à toutes ses compagnes et dont jamais elle ne se séparait. Lors même qu'au
travers des champs béotiens, la déesse guidait ses coursiers vers l'antique
Thespie, vers Haliarte ou vers ces bocages odorants que le Coronéen lui a
consacrés sur les bords du Curalion, toujours on voyait Chariclo assise à ses
côtés sur son char. Jamais danses ou concerts ordonnés par d'autres ne
plaisaient à Minerve. Préférence inutile ! A des pleurs éternels la Nymphe
était réservée.
Un jour, sur le sommet de l'Hélicon, au bord fleuri de l'Hippocrène, la déesse
et sa Nymphe détachant leur ceinture entraient dans le bain. Le silence du midi
régnait dans les bois. Tirésias seul, Tirésias à peine encore à l'âge où
un léger duvet vient ombrager le menton, errait avec ses chiens dans cet asile
redoutable. Par une soif brillante amené vers la fontaine, l'infortuné jeune
homme y vit, sans le chercher, un spectacle interdit aux mortels. Minerve en fut
irritée ; toutefois plaignant son destin : "O toi, lui dit-elle, qui désormais
ne jouiras plus de la vue, fils d'Euérée, quel funeste démon t'a conduit en
ces lieux ?"
Elle dit : soudain une nuit épaisse couvrit les yeux de l'enfant ; il resta
sans voix ; la douleur enchaîna ses mouvements, et l'étonnement lui coupa la
parole. "Terrible Pallas, s'écria Chariclo, qu'avez-vous fait à mon fils
!... Déesses, voilà donc votre amitié !... Vous avez privé mon fils de la
lumière... Enfant déplorable, tu as vu les appas de Minerve, mais tu ne verras
plus le soleil... Mère infortunée ! ... Mont que j'abandonne à jamais, fatal
Hélicon, que tu vends cher à mon fils ses plaisirs ! Pour quelques faons,
quelques daims qu'il a percés de ses traits, il lui en coûte les yeux."
Ainsi Chariclo, semblable à la plaintive Philomèle, déplorait le destin de
son fils, qu'elle embrassait et baignait de ses larmes. Minerve eut pitié de sa
compagne et lui dit : "Nymphe, désavouez un discours que vous dicte la colère.
Ce n'est point moi qui viens d'aveugler votre fils. Quelle douceur aurait pour
Minerve le supplice d'un enfant innocent ! N'en accusez que la loi de l'antique
Saturne, qui met au plus haut prix la vue d'un Immortel, quand on le voit sans
que lui-même y consente. Nymphe, l'arrêt est irrévocable, et tel est le sort
que le fuseau des Parques réservait à votre fils dès l'instant qu'il est né.
C'est à lui de supporter son destin. Ah ! combien d'holocaustes la fille de
Cadmus et son Aristée voudront-ils un jour offrir aux dieux pour obtenir que
leur fils, le jeune Actéon, ne perde que la vue ! En vain aura-t-il été le
compagnon de l'auguste Artémis ; en vain aura-t-il cent fois avec elle
poursuivi les hôtes des bois : rien ne garantira ses jours lorsque ses regards
auront, quoique involontairement, surpris la déesse dans son bain. Mais soudain
ses propres chiens dévoreront leur ancien maître, et sa mère parcourant les
forêts n'y retrouvera que les os dispersés de son fils. Combien de fois alors
appellera-t-elle heureuse et fortunée celle dont le fils sur ces montagnes
n'aura laissé que les yeux ! Sèche donc tes pleurs, ô ma compagne ! puisqu'en
ta faveur je réserve encore à ton fils un don consolateur. Je veux que les Thébains
révèrent en lui le plus grand et le plus renommé des prophètes. Il saura
distinguer dans le vol des oiseaux les augures prospères indifférents et
sinistres. C'est de lui que les Béotiens, que Cadmus et les fameux Labdacides
recevront mille oracles. Je lui donnerai un sceptre (04)
dont la vertu divine guidera ses pas. Je reculerai dans les siècles les bornes
de sa vie, et seul après sa mort, honoré du terrible dieu des Enfers, il
conservera chez les ombres son esprit fatidique."
Elle dit et fit un signe de tête, infaillible garant de ses promesses, car à
Minerve, seule d'entre ses filles, Jupiter a communiqué les attributs qui
distinguent son pouvoir. Ministres des bains de Pallas, ce n'est point aux
flancs d'une mère que Pallas fut conçue, c'est dans la tête de Jupiter.
Jamais un signe de la tête de Jupiter ne fut démenti ; jamais un signe de la tête
de Minerve ne sera sans effet.
Minerve revient à son temple. Volez au-devant d'elle, jeunes filles ; et, si la
patrie vous est chère, offrez à la déesse vos prières, vos vœux et vos
chants.
Salut, ô déesse ! protège les remparts d'Inachus, soit que tes coursiers t'éloignent
ou te rapprochent de son temple, et conserve à jamais l'héritage de Danaüs.
III
EN
L'HONNEUR DE CÉRÈS
Le
calathus (05) revient ; femmes, chantez :
"Salut, ô Cérès ! salut, ô déesse nourricière, déesse des moissons
!"
Le calathus revient ; à terre, profanes, à terre ! Femmes, filles, enfants,
craignons tous, en ce jour de jeûne, de le regarder du haut des toits ou d'un
lieu trop élevé. Hespérus nous annonce son retour ; Hespérus qui seul sut
persuader à Cérès d'étancher sa soif lorsqu'elle cherchait les traces
de Proserpine ravie à sa tendresse.
O déesse ! comment tes forces suffirent-elles alors à courir jusqu'aux portes
du couchant et jusqu'aux climats brûlants où croissent les pommes d'or, sans
manger, sans boire, sans entrer dans le bain ? Trois fois tu traversas le lit
argenté de l'Achéloüs ; trois fois tu passas tous les fleuves de la terre ;
trois fois tu revins au centre de la plus charmante des îles ; trois fois enfin
tu retournas t'asseoir au bord du puits de Callichorus, couverte de poussière,
sans avoir mangé, sans avoir bu, sans être entrée dans le bain...
Mais pourquoi rappeler ce qui coûta des larmes à Cérès ? Parlons des lois
aimables qu'elle a données à nos villes ; parlons des jours où enseignant à
Triptolème le plus beau des arts, elle montra la première à moissonner les épis,
à en former des gerbes, à les faire broyer sous les pieds des taureaux. Ou
plutôt encore, pour effrayer à jamais les impies, disons comme elle livra
jadis le déplorable fils de Triopas aux tourments de la faim.
Les Pélasges (06) habitaient encore à Dotium. Ils
y avaient consacré à Cérès un bois délicieux, planté d'arbres touffus, impénétrables
au jour, lieu charmant, que la déesse aima toujours à l'égal d'Éleusis, de
Triopion et d'Enna. Là, parmi les pins et les ormes altiers, les poiriers
s'enlaçaient aux pommiers, et du sein des rocailles jaillissait une onde
pareille au cristal le plus pur.
Mais quand le ciel voulut retirer ses faveurs aux enfants de Triopas, un funeste
projet séduisit Érésichton. Il prend vingt esclaves, tous à la fleur de l'âge,
tous semblables aux Géants et capables d'emporter une ville. II les arme de
haches et de cognées, et court insolemment avec eux au bois de Cérès.
Au milieu s'élevait un immense peuplier qui touchait jusqu'aux astres et dont
l'ombre, à midi, favorisait les Dryades. Frappé le premier, il donne en gémissant
un triste signal aux autres arbres. Cérès connut à l'instant le danger de son
bois sacré : "Qui donc, s'écria-t-elle en courroux, brise les arbres que
j'aime ?" Aussitôt, sous les traits de Nicippe (c'était sa prêtresse),
les bandelettes et le pavot dans les mains, la clé du temple sur l'épaule,
elle s'approche, et ménageant encore un insolent et coupable mortel : "O
toi, lui dit-elle, qui brises des arbres consacrés aux dieux, ô mon fils, arrête
; retiens les esclaves ; mon fils, cher espoir de ta famille, n'arme point le
courroux de Cérès, dont tu profanes le bocage." Mais lui, plus furieux
qu'une lionne du Tomare à l'instant qu'elle accouche, "Retire-toi, répond-il,
ou bientôt cette hache... Ces arbres ne serviront plus qu'à bâtir le palais où
je passerai mes jours avec mes amis dans les festins et dans la joie."
Il dit, et Némésis écrivit le blasphème. Soudain Cérès en fureur se montra
tout entière : ses pieds touchent à la terre et sa tête à l'Olympe. Tout
fuit, et les esclaves demi-morts abandonnent leurs cognées dans les arbres. Cérès
les épargna ; ils n'avaient fait qu'obéir à leur maître. Mais à ce maître
impérieux : "Va, dit-elle, insolent, va bâtir le palais où tu feras des
festins : certes il t'en faudra souvent célébrer désormais."
Elle n'en dit pas plus : le supplice était prêt. Aussitôt s'allume au
sein de l'impie une faim cruelle, insatiable, ardente, insupportable ;
effroyable tourment dont il fut bientôt consumé. Plus il mange, plus il veut
manger ; vingt esclaves sont occupés à lui préparer des mets, douze autres à
lui verser à boire : car l'injure de Cérès est l'injure de Bacchus, et
toujours Bacchus partagea le courroux de Cérès.
C'en est fait, ses parents honteux n'osent plus l'envoyer aux banquets. Tous les
prétextes sont tour à tour employés. Les filles d'Orménus, l'invitaient aux
jeux de Minerve-Itoniade : "Érésichton n'est point ici, répondait sa mère
; il est allé redemander aux bergers de Cranon (07)
les troupeaux nombreux qu'il leur avait confiés." Polyxo préparait
l'hymen d'Actorion (08) ; elle conviait à la fête
Triopas et son fils : "Triopas ira, lui disait-on avec larmes ; mais Érésichton,
atteint il y a neuf jours, dans les vallées du Pinde, par un fier sanglier, ne
peut encore se soutenir." Mère infortunée, mère trop tendre, quels détours
n'avez-vous pas inventés. L'appelait-on aux festins : "Érésichton est
loin de ces lieux." Célébrait-on quelque hymen : tantôt "un disque
l'a frappé", tantôt "un cheval fougueux l'a terrassé", tantôt
"il compte ses troupeaux sur l'Othrys."
Cependant au fond de son palais, Érésichton passant les jours à table, y dévore
mille mets. Plus il mange, plus s'irritent ses entrailles. Tous les aliments y
sont engloutis sans effet, comme au fond d'un abîme.
Tel qu'on voit la neige du Mimas (09) ou la cire
fondre aux rayons du soleil, tel et plus promptement encore on le vit dépérir.
Bientôt les fibres et les os seuls lui restèrent. Sa mère et ses sœurs en
pleurèrent, le sein qui l'avait allaité en soupira, et ses esclaves en gémirent.
Triopas lui-même en arracha ses cheveux blancs, et s'adressant à Neptune, qui
ne l'entendait pas : "Non s'écriait-il, tu n'es point mon père ; ou, s'il
est vrai, que je sois né de toi et de la fille d'Aéole, regarde l'infortuné
qui doit te nommer son aïeul, puisque c'est moi qui lui donnai le jour. Que
n'est-il tombé sous les traits d'Apollon ! Que ne l'ai-je enseveli de mes mains
! Faut-il que je le voie dévoré par la faim ! Eloigne donc de lui ce mal
funeste ou toi-même prends soin de le nourrir. Pour moi, j'ai tout épuisé.
Mes bergeries sont vides, mes étables sans troupeaux, et mes esclaves ne
suffisent plus à le servir. Il a tout consumé, jusqu'aux cavales qui traînaient
son char, jusqu'aux coursiers qui lui avaient valu tant de gloire dans les jeux
et dans les combats, jusqu'au taureau que sa mère engraissait pour Vesta."
Tant qu'à Triopas il resta quelque ressource, son foyer fut seul témoin de sa
peine. Mais quand Érésichton eut absorbé tout son bien, on vit le fils d'un
roi, assis dans les places publiques, mendier les aliments les plus vils.
O Cérès ! que celui que tu hais ne soit jamais mon ami ! que jamais il
n'habite avec moi ! Loin de moi des voisins si funestes ?
Chantez, jeunes vierges, et vous mères, répétez : "Salut, ô Cérès !
salut, ô déesse nourricière, déesse des moissons !" Quatre coursiers,
aux crins argentés, traînent le Calathus ; ainsi, puissante Cérès, tu nous
apporteras, d'année en année, quatre saisons favorables. Nous te suivons, les
pieds sans chaussure, et la tête sans bandelettes ; ainsi tu préserveras des
maux nos pieds et nos têtes. Des vierges portent en ton honneur des paniers
tissus d'or ; ainsi l'or ne manquera jamais à nos besoins.
Femmes qui n'êtes point initiées, ne suivez cette pompe mystérieuse que
jusqu'au Prytanée. Femmes qui ne comptez pas encore soixante hivers, venez
jusqu'au temple. Vous que l'âge appesantit ou vous qui tendez les mains à
Lucine, et que les douleurs ont surprises, venez jusqu'où vos forces pourront
vous conduire ; la déesse versera sur vous ses faveurs autant que sur celles
qui l'accompagneront à son temple.
Salut, ô déesse ! conserve cette ville dans la concorde et dans l'abondance.
Fais tout mûrir dans nos champs. Engraisse nos troupeaux, fertilise nos
vergers, grossis nos épis, féconde nos moissons. Fais surtout régner la paix,
afin que la main qui sème puisse aussi recueillir.
Sois-moi propice, ô divinité trois fois adorable, puissante reine des déesses
!
CALLIMAQUE.
Autre traduction d'une partie de cet hymne
Texte numérisé par Marc Szwajcer
Erésichthon affamé.
Au milieu du bois s’élevait un grand peuplier qui touchait aux
astres, et à l’ombre duquel les nymphes folâtraient à l’heure de midi. Frappé le
premier, il donna en gémissant un triste signal aux autres arbres. Cérès sentit
le coup douloureux porté à son bois sacré: « Qui donc, s’écria-t-elle
courroucée, coupe mes beaux arbres? » Aussitôt elle prit la figure de Nicippe
(c’était la prêtresse chargée de veiller à son culte), et, portent les
bandelettes et le pavot dans ses mains, la clef du temple sur son épaule, elle
parla avec douceur à l’insolent et coupable mortel : « O toi, dit-elle, qui
brises des arbres consacrés aux dieux, ô mon fils, arrête-toi ! retiens tes
esclaves, mon fils, cher espoir de ta famille, ou crains le courroux de
l’auguste Cérès dont tu profanes le bois. » Mais lui, la regardant d’un air plus
furieux qu’une lionne du Tmarus surprise par un chasseur, alors qu’elle mettait
bas (jamais elle n’a, dit-on, l’œil plus terrible) : « Retire-toi, dit-il, de
peur que je n’enfonce dans ta chair cette grande hache ! Ces arbres me serviront
à bâtir un solide palais, où je veux célébrer à jamais avec mes amis de joyeux
festins ! Ainsi parla le jeune homme, et Némésis écrivit le blasphème. Cérès
(car Nicippe avait fait place à la déesse) ressentit une colère effroyable; ses
pieds touchaient à la terre et sa tête à l’Olympe. A sa vue, les serviteurs, à
demi morts, s’enfuirent soudain, laissant leurs cognées dans les chênes. Cérès
les épargna, parce qu’ils avaient cédé à la nécessité en obéissant à
Erésichthon; mais elle interpella leur maître impérieux: « Oui, oui, bâtis un
palais, chien que tu es, pour y donner des festins: car il te faudra désormais
t’asseoir souvent à table. Elle n’en dit pas davantage, et infligea un terrible
supplice à Erésichthon: elle alluma aussitôt dans son sein une faim cruelle,
sauvage, ardente, irrésistible; un mal incurable consumait l’infortuné: plus il
mangeait, plus il était tourmenté du désir de manger; vingt esclaves apprêtaient
son repas, douze autres lui versaient à boire : car Bacchus s’associa à la
colère de Cérès : faire injure à Cérès, c’est insulter Bacchus.
Plus de banquet, plus de festin auquel ses parents, honteux,
osent l’envoyer: on imagine toutes sortes de prétextes. Les fils d’Orménus
l’invitaient aux jeux de Minerve Itoniade
: « Erésichthon n’est point ici, répond sa mère : il est parti hier pour Cranon
réclamer cent bœufs qui lui sont dus. » Polixo préparait l’hymen de son fils
Actorion; elle conviait à la fête Triopas et son fils: Triopas s’y rendra, lui
répond toute en larmes la mère d’Erésichthon; mais mon fils, blessé par un
sanglier dans les vallées du Pinde, garde le lit depuis neuf jours. Mère
infortunée, mère trop tendre, quel détour n’as-tu pas inventé! Donne-t-on un
festin? Erésichthon est absent du logis. Célèbre-t-on un hymen? Erésichthon a
été frappé d’un disque, ou il est tombé de cheval, ou bien encore il compte ses
troupeaux sur l’Othrys.
Cependant, au fond de son palais, Erésichthon passant les jours à
table, dévorait mile mets; son appétit croissait à mesure qu’il mangeait; tous
les aliments disparaissaient inutilement dans ses entrailles, comme au fond d’un
abîme.
Tel qu’on voit la neige sur le Mimas, ou la cire fondre aux
rayons du soleil, tel, et plus vite encore, dépérissait le malheureux, jusqu’à
ce qu’enfin les fibres et les os seuls lui restèrent. Sa mère pleurait, ses deux
soeurs gémissaient, et le sein qui l’avait allaité, et ses dix esclaves ne
cessaient de soupirer. Triopas lui-même arrachait ses cheveux blancs, et
invoquant Neptune qui ne l’entendait pas: « O toi qui te dis faussement mon
père, regarde ton petit-fils ! Car, si je suis né de toi et de la fille d’Eole,
Canacé, ce malheureux enfant est mon sang, à moi. Que n’est-il tombé sous les
traits d’Apollon! que ne l’ai-je enseveli de mes mains! Faut-il donc que je le
voie aujourd’hui consumé par une faim cruelle! Eloigne de lui cette horrible
maladie, ou charge-toi de le nourrir, car ma table n’y peut suffire : mes
bergeries sont vides, mes étables dégarnies de troupeaux; mes esclaves out
renoncé à le servir. Que dis-je ! Il a dévoré les mules qui traînaient son char,
et le taureau que sa mère engraissait pour Vesta, et les coursiers qui avaient
remporte le prix dans les jeux et ceux qui avaient traîné son char de guerre,
jusqu’au chat, la terreur de la gent souriquoise. »
Tant qu’il resta quelque ressource à Triopas, seuls, les gens de
sa maison connurent son malheur; mais, quand Erésichthon eut broyé sous sa dent
tout l’avoir de son père, on vit le fils d’un roi, assis dans les carrefours,
mendier les restes et le rebut de la table d’autrui,
O Cérès ! que celui que tu hais ne soit jamais mon ami et
n’habite pas sous mon toit : je ne veux point d’un si mauvais voisinage.
IV
EN
L'HONNEUR D'APOLLON.
Ciel
! comme le laurier d'Apollon est agité ! comme le temple entier est ébranlé !
Loin, loin d'ici, profanes ! Déjà Phébus de son pied divin a touché le seuil
de la porte. Ne le voyez-vous pas ! Déjà le palmier de Délos l'a salué par
un doux frémissement ; déjà le cygne a rempli l'air de ses chants. Tombez
verrous, tombez barreaux, le dieu approche : et vous, jeunes hommes, préparez
vos concerts et vos danses.
Ce n'est point à tous indifféremment, mais au juste seul, qu'Apollon se
manifeste. Qui le voit est grand ; qui ne le voit point est petit. Je te verrai,
dieu terrible, et serai toujours grand.
Enfants, voulez-vous parvenir aux jours de l'hymen, voulez-vous atteindre l'âge
où les cheveux blanchissent, et bâtir sur des fondements durables ;
aujourd'hui que Phébus visite ces lieux, faites entendre le son de vos lyres et
le bruit de vos pas cadencés...
Honneur à ces enfants ! puisque leurs lyres ne sont plus oisives.
Silence. Ecoutez les louanges d'Apollon. La mer même se tait, lorsqu'on chante
les armes du dieu de Lycorée, les flèches et la lyre. Io
Paean, Io Paean
! A
ce cri, Thétis cesse de pleurer son Achille ; et ce roc humide, inébranlablement
fixé dans la Phrygie, ce marbre qui fut femme, et qui semble jeter encore le
cri de la douleur, suspend le cours de ses larmes.
Io Paean ! Chantez tous, Io
Paean ! Malheur à qui lutte contre les dieux ! Que celui qui brave les
dieux, brave donc aussi mon roi ! Que celui qui brave mon roi, brave donc aussi
les dieux.
Si vos chants plaisent à Phébus, il vous comblera de gloire ; il le peut, car
il s'assied à la droite de Jupiter. Mais un jour est trop peu pour chanter
Apollon ; la carrière est vaste. Eh ! qui peut cesser de chanter Apollon !
La tunique d'Apollon est d'or ; son agrafe, sa lyre, son arc, son carquois et
ses brodequins sont d'or. L'or et les richesses brillent autour de lui ; j'en
atteste Pytho (10).
Toujours jeune, toujours beau, jamais le moindre duvet n'ombragea les tendres
joues d'Apollon. De sa chevelure découle une essence parfumée : mais non, ce
ne sont point des parfums, c'est la panacée
(11) même qui distille des cheveux d'Apollon.
Heureux le sol que ce baume humectera ! il n'y croîtra que des germes
salutaires.
Nul ne réunit autant d'arts qu'Apollon : il est le dieu des archers et des poètes
; car le Destin lui a donné les flèches et la lyre. Il est le dieu des sorts
et des augures : de lui les médecins ont appris à retarder la mort.
Nous l'appelons aussi Nomius (12),
depuis que sur les bords de l'Amphryse (13),
l'Amour lui fit prendre soin des cavales d'Admète. Qu'aisément sous les yeux
d'Apollon un troupeau se féconde ! Les taureaux s'y multiplient, les chèvres
n'y sont jamais sans chevreaux, ni les brebis sans lait et sans agneaux ; et
celle qui n'en eût porté qu'un, en porte toujours deux.
O Phébus ! sous tes auspices s'élèvent les villes ; car tu te plais à les
voir se former, et toi-même en poses les fondements. Dès l'âge de quatre ans
tu construisis sur les bords du lac charmant d'Ortygie, le premier édifice
qu'aient vu les mortels. Diane te rapportait les cornes des chèvres qu'elle perçait
de ses flèches sur le mont Cynthius ; et tu t'en servais pour dresser un autel,
en former la base, le corps et les cotés ; ainsi tu nous appris à bâtir.
Depuis tu désignas l'endroit où Battus devait fonder ma patrie ; et sous la
forme d'un corbeau d'heureux augure, tu guidas son peuple en Libye. Tu juras de
donner Cyrène à mes rois, et toujours ta parole est fidèle.
Dieu puissant, que d'autres t'appellent Boedromius, d'autres Clarius ; cent noms
divers te sont donnés à l'envi. Pour moi, c'est sous le nom de Carnéen que je
veux te chanter ; tel est l'usage de ma patrie.
Dieu de Carnus, Sparte fut première à t'adorer sous ce nom : Théra suivit cet
exemple, que Cyrène a depuis imité. De Sparte, le sixième descendant d'Œdipe
apporta ton culte à Théra, d'où le fils de Polymneste (14)
le transmit aux Asbytes (15). Etabli dans leur
contrée, il t'éleva ce temple, superbe, institua ces fêtes annuelles où
mille et mille taureaux tombent sous la hache de tes prêtres.
O dieu de Carnus ! tes autels, dans la saison des frimas, sont couverts de
safran parfumé ; au printemps, ils sont parés de ces fleurs variées que Zéphyr
fait éclore en séchant la rosée ; et dans ton sanctuaire brille une flamme éternelle,
que jamais la cendre n'a couverte.
Ce fut proche des bois épais d'Azillis, et loin encore des sources de Cyré,
que les guerriers doriens célébrèrent, pour la première fois, avec les
blondes habitantes de la Libye, les jours consacrés au dieu de Carnus. Tu vis
leurs danses, ton oeil en fut réjoui ; et tu les fis remarquer à ton épouse,
du haut de ce mont fameux où elle avait terrassé le lion qui désolait les
troupeaux d'Eurypyle (16)... Jamais danses ne te
plurent davantage ; jamais ville n'éprouva tes bienfaits autant que Cyrène :
ils sont le prix des faveurs que tu ravis jadis à ta Nymphe ; aussi, nul des
Immortels n'est plus honoré que toi par les enfants de Battus.
Io ! que tout chante, Io
Paean ! Tel fut le premier cri du peuple de Delphes, lorsqu'en sa faveur tu
montras la force de tes flèches. Python, monstre épouvantable, Python, serpent
terrible, s'élançait contre toi ; mais bientôt tes coups redoublés et
rapides l'étendirent à tes pieds. Le peuple s'écria : "Io
, Io Paean ! frappe ! Latone en toi nous donne un sauveur !" Depuis ce
temps, c'est ainsi que tu fus célébré.
L'Envie s'est approchée de l'oreille d'Apollon, et lui a dit : "Que vaut
un poète, si ses vers n'égalent le nombre des flots de la mer !" Mais
Apollon, d'un pied dédaigneux (17) a repoussé
l'Envie et lui a répondu : "Vois le fleuve d'Assyrie, son cours est
immense ; mais son lit est souillé de limon et de fange. Non ; toutes les eaux,
indifféremment, ne plaisent point à Cérès ; et le faible ruisseau, qui,
sortant d'une source sacrée, roule une onde argentée toujours pure, servira
seul aux bains de la déesse."
Gloire à Phébus, et que l'Envie reste au fond du Tartare !
V
EN
L'HONNEUR DE DIANE
Chantons
Diane ! (malheur aux poètes qui l'oublient ! ) chantons la déesse qui se plaît
à lancer des traits, à poursuivre les daims, à former des danses et des jeux
sur la cime des montagnes. Rappelons ce jour où Diane, encore dans l'enfance,
assise sur les genoux de Jupiter, lui adressa ces prières : "Accorde, ô
mon père ! accorde à ta fille de rester toujours vierge, et de porter assez de
noms divers pour que Phébus ne puisse le lui disputer. Donne-moi, comme à Phébus,
un arc et des flèches. Que dis-je ?... non, mon père, ce n'est point à toi
d'armer ta fille ; les Cyclopes s'empresseront bientôt de me fabriquer des
traits, de me forger un carquois. Alors donne-moi l'attribut distinctif de
porter des flambeaux et de revêtir une tunique à frange qui ne me descendra
que jusqu'aux genoux, pour ne point, m'embarrasser à la cuirasse. Attache à ma
suite soixante filles de l'Océan, qui soient toutes à l'âge où l'on ne porte
point encore de ceinture (18). Que vingt autres
Nymphes, filles de l'Amnisus, destinées à me servir aux heures où je cesserai
de percer les lynx et les cerfs, prennent soin de mes brodequins et de mes
chiens fidèles. Cède-moi les montagnes. Je ne demande qu'une ville à ton
choix. Diane rarement descendra dans les villes. J'habiterai les monts, et
n'approcherai des cités qu'aux moments où les femmes, travaillées des
douleurs aiguës de l'enfantement, m'appelleront à leur aide. Tu sais qu'au
jour de ma naissance les Parques m'ont imposé la loi de les secourir, parce que
le sein qui m'a porté n'a point connu la douleur, et, sans travail, a déposé
son fardeau."
En parlant ainsi, l'enfant divin voulut toucher le menton de son père ; mais
elle étendit en vain ses petits bras pour l'atteindre. Jupiter en sourit, et
lui rendant une tendre caresse : "Déesses, s'écria-t-il, donnez-moi
toujours de semblables enfants, et je brave la fureur jalouse de Junon. Va, ma
fille, tes désirs seront satisfaits, et ton père veut te faire encore d'autres
dons bien plus magnifiques. Une ville est trop peu : je t'en donnerai trente ;
trente qui n'auront d'autre dieu que toi seule, ne porteront d'autre nom que le
tien ; tandis que tu partageras avec les autres Immortels des cités sans nombre
dans le continent et dans les îles. Partout Diane aura des bois sacrés et des
autels ; c'est elle qui sera la protectrice des chemins et des ports." Il
dit, et d'un signe de tête, il confirma ses promesses. Aussitôt l'enfant vole
en Crète sur la cime ombragée du Leucus, descend ensuite vers l'Océan, et se
choisit une troupe nombreuse de Nymphes, toutes à l'âge de neuf ans, à cet âge
où l'on ne porte point encore de ceinture. Caeratus et Thétis (19)
s'applaudirent, envoyant l'un et l'autre leurs filles préférées par l'enfant
de Latone.
Ce choix fait, Diane alla chercher les Cyclopes. Ils étaient dans Lipare,
(aujourd'hui c'est ainsi qu'on la nomme, alors c'était Méligounis (20))
occupés à forger une masse ardente sur l'enclume de Vulcain. L'ouvrage
pressait : c'était un abreuvoir pour les coursiers de Neptune. Les Nymphes pâlirent
à la vue de ces énormes géants, pareils à des montagnes (21),
et dont l'œil unique (22), sous leur épais
sourcil, étincelait de regards menaçants. Les uns faisaient mugir de vastes
soufflets ; les autres, levant tour à tour avec effort leurs lourds marteaux,
frappaient à grands coups le fer ou l'airain qu'ils tiraient tout en feu de la
fournaise. L'enclume en gémit, l'Etna et la Sicile (23)
en sont ébranlés, l'Italie en retentit, et la Corse même en résonne. A ce
terrible aspect, à ce bruit effroyable, les filles de l'Océan s'épouvantent...
frayeur pardonnable : les filles même des dieux, dans leur enfance,
n'envisagent ces fiers géants qu'avec crainte, et, lorsqu'elles refusent d'obéir,
leurs mères feignent d'appeler Argès ou Stéropès : Mercure accourt sous les
traits de l'un de ces Cyclopes, le visage couvert de cendre et de fumée ;
soudain l'enfant effrayé couvre ses yeux de ses mains et se jette en tremblant
dans le sein maternel. Pour toi, fille de Jupiter, plus jeune encore, et dès l'âge
de trois ans, lorsque Latone t'avait portée dans ses bras à Vulcain, pour
recevoir ses premiers présents (24), et que Bromès
t'avait mise sur ses genoux, tu avais arraché les poils hérissés de sa large
poitrine, et depuis ils n'ont point été reproduits : ainsi les cheveux
moissonnés une fois par l'alopécie ne reviennent jamais couvrir le front
qu'elle a rendu chauve.
Aussi, d'une voix ferme, adressas-tu ce discours aux Cyclopes : "Cyclopes,
hâtez-vous, il faut à Diane un arc, des flèches, un carquois.
Diane, ainsi que Phébus, est fille de Latone et si quelque sanglier ou quelque
monstre des bois vient à tomber sous mes coups, c'est à votre table qu'il sera
destiné."
Tu dis ; ils t'obéirent, et tu fus armée.
Il te manquait des chiens, tu voles en Arcadie et tu vas trouver Pan. Le dieu
barbu était dans son antre, où il distribuait aux lices de sa meute les chairs
d'un lynx du Ménale. Il le choisit aussitôt six chiens courageux, dont trois
aux oreilles pendantes, deux noirs et blancs, un de diverses couleurs, tous
capables de renverser des lions, de les saisir à la crinière et de les entraîner
vivants. Il y joignit aussi sept cynosurides plus légers que le vent (25),
plus vites que le lièvre (26) ou le faon, habiles
surtout a découvrir le gîte du cerf, la tanière du porc-épic et les traces
du daim.
Tu quittais ces lieux, suivie de la meute, lorsqu'au pied du Parrhasius tu vis
s'abattre cinq biches, troupeau superbe, nourri sur les bords du sablonneux (27)
Anaurus : elles étaient plus grandes que des taureaux et l'or brillait sur
leurs cornes (28). Ton œil en fut surpris, et tu
dis en toi-même : "Sans doute elles sont dignes d'être la première proie
de Diane." Seule, et sans le secours de tes chiens, tu en pris quatre à la
course et les destinas à traîner ton char ; mais la cinquième (ainsi que le
voulut Junon, qui la réservait pour servir un jour au dernier des travaux
d'Hercule) passa le fleuve de Céladon (29) et se réfugia
sur le mont Cérynien (30).
O Diane ! ô déesse toujours vierge ! déesse qui tuas Tityus, ton armure, ta
ceinture et ton char étaient d'or ; tu donnas aussi des freins d'or à ces
biches. Mais en quels lieux menas-tu d'abord ce char triomphant (31)
? en Thrace, sur le mont Aémus, d'où l'orageux Borée nous envoie les tristes
frimas. Où coupas-tu des branches de pin ? sur l'Olympe de Mysie. A quels feux
allumas-tu ces nouveaux flambeaux ? aux feux inextinguibles dont la foudre de
ton père étincelle. Combien de fois éprouvas-tu tes flèches ? tu les essayas
d'abord sur un orme, ensuite sur un chêne, puis sur un monstre des forêts,
enfin, non plus sur un arbre, mais sur une ville coupable, où l'on avait cent
fois outragé la nature et l'hospitalité.
Malheur à ceux que poursuit ton courroux ! leurs troupeaux sont dévorés par
la peste et leurs champs dévastés par la grêle. Au déclin de leur âge, ils
pleurent sur leurs fils morts avant eux ; et les femmes, frappées de mort aux
jours de l'enfantement ou n'accouchant que dans les horreurs de la guerre, n'élèvent
jamais leurs enfants (32). Heureux au contraire le
mortel à qui tu souris ! ses sillons engraissés se couvrent d'épis, ses
taureaux se multiplient, sa richesse augmente et la tombe ne s'ouvre sous ses
pas qu'au bout d'une longue et paisible carrière. La Discorde, qui renverse les
plus solides maisons, ne déchire point sa famille, et chez lui la belle-mère
et la bru s'assoient toujours à la même table.
Puisse, ô déesse redoutable ! puisse l'homme que j'aime ressentir ainsi tes
faveurs ! Que je les éprouve aussi moi-même ! que l'art des vers me soit
toujours cher ! je chanterai Latone et son hymen, je chanterai Phébus, je
chanterai mille fois tes louanges, tes nombreux travaux, tes chiens, tes flèches
et le char rapide qui te ramène pompeusement au palais de Jupiter. Là Mercure
et Phébus accourent au-devant de toi, Mercure pour prendre tes armes, Phébus
pour recevoir les monstres que tes traits ont terrassés : tel était du moins
son emploi avant que le valeureux Alcide fût admis dans les cieux. Car
aujourd'hui ton frère est déchargé de ce soin, puisque l'infatigable dieu de
Tirynthe, toujours aux portes de l'Olympe, attend avec impatience l'instant où
tu lui rapportes quelques nouveaux mets. Tous les dieux, et surtout sa marâtre,
en éclatent de rire chaque fois, qu'enlevant de ton char et tirant par les
pieds quelque énorme taureau ou quelque sanglier encore palpitant, il cherche
à t'encourager par ce discours adroit : "Courage, ô déesse ! fais tomber
sous tes coups les animaux féroces. Mérite que les mortels t'appellent, ainsi
que moi, leur divinité protectrice. Permets aux lièvres, aux daims d'errer sur
les montagnes. Quel mal font aux hommes et les daims et les lièvres ? Ce sont
les sangliers qui dévastent leurs vergers et leurs champs ; ce sont les
taureaux sauvages dont ils craignent la rage. Frappe les sangliers et les
taureaux." Il dit, et se jette aussitôt sur le monstre que tu lui
rapportes ; car la flamme qui consuma sa dépouille mortelle sur les monts de
Trachine ne l'a point délivré de sa faim dévorante ; il en ressent encore les
ardeurs comme au jour qu'il rencontra le roi des Dryopes. Cependant les filles
de l'Amnisus détellent et lavent tes biches, leur apportent de l'eau dans des
vases d'or pour se désaltérer à leur gré, et répandent abondamment devant
elles cette herbe céleste prompte à se reproduire, qu'on moissonne dans les
prairies de Junon et qui nourrit aussi les coursiers de Jupiter (33).
Tu entres ensuite au palais de ton père où, quoique chaque dieu t'invite à
t'asseoir auprès de lui, tu te places toujours à côté d'Apollon.
Mais quand les Nymphes formeront autour de toi leurs danses, soit aux sources de
l'Inopus (34), soit dans les plaines de Limnée et
de Pitane (car Pitane aussi t'est consacrée) ; ou lorsque, rejetant le
sanguinaire hommage du Taurien et quittant la Scythie, tu viendras visiter les
Araphéniens, puissé-je alors n'avoir point engagé le travail mercenaire de
mes bœufs pour défricher le champ d'autrui pendant la journée ! Fussent-ils
de la race de ces taureaux de Tymphée, si renommés pour tracer les plus pénibles
sillons ; fussent-ils dans la vigueur de leur âge et dans la force de leurs
cornes, avec trop de peine et de fatigue ils reviendront à l'étable, puisque
le Soleil, ravi du spectacle charmant de tes fêtes, arrête son char pour les
voir plus longtemps et prolonge le jour.
Mais quelle île, quelle montagne, quelle cité, quel port te plaît davantage ?
Quelle Nymphe te fut la plus chère ? Quelles héroïnes ont été tes compagnes
? Déesse, instruis ton poète, il instruira les autres à son tour.
Parmi les îles, Doliché ; parmi les cités, Pergé (35)
; parmi les montagnes, le Taygète (36) ; parmi les
ports, ceux de l'Euripe (37) ; voilà les lieux qui
t'ont plu davantage. La Nymphe qui te fut la plus chère, ce fut la Nymphe de
Gortys, cette Nymphe redoutée des faons, Britomartis au coup d'oeil assuré.
Minos, brillant pour ses charmes, la poursuivit longtemps sur les montagnes de
Crète, mais elle se cachait tantôt sous des chênes touffus, tantôt au fond
des marais. Neuf mois entiers il erra parmi les précipices et les monts. Enfin
il était près de l'atteindre lorsqu'elle s'élança du haut d'un rocher dans
les flots. Les filets d'un pêcheur la sauvèrent, et c'est de là que la Nymphe
et le roc d'où elle s'était précipitée, reçurent des Cydoniens l'une le nom
de Dictynne, l'autre celui de Dicté.
Ils lui ont aussi dressé des autels et consacré des fêtes. Les couronnes
qu'ils y portent sont de jonc ou de pin ; le myrte en est banni ; le myrte est
haï de la Nymphe, parce qu'une branche de cet arbre, s'embarrassant dans sa
robe, l'avait arrêtée dans sa fuite. O Diane ! à tous les noms sous lesquels
tu es honorée, les Crétois ont encore ajouté celui de cette Nymphe.
Cyrène fut aussi ta compagne : tu lui donnas deux chiens qui jadis, au tombeau
de Pélias, lui valurent la victoire (38). Tu
permis aussi de te suivre, à la blonde épouse du fils de Dioné (39).
La belle Anticlée (40), dit-on, fut également
l'objet de ta tendresse. Ces Nymphes furent les premières à s'armer d'arcs
flexibles et de carquois pleins de flèches, en se découvrant toujours l'épaule
droite (41) et le sein. Mais tu distinguas sur
toutes la fille de l'Arcadien Iasius, la légère Atalante, que toi-même
instruisis à conduire une meute, à lancer des traits ; Atalante, que ne purent
mépriser les célèbres chasseurs de sanglier de Calydon, puisqu'elle remporta
le prix de la valeur, et que l'Arcadie posséda encore les dents de ce monstre ;
Atalante, dont au fond des Enfers, Hylaüs et l'insensé Rhoecus (42)
voudraient en vain, malgré leur haine, calomnier l'adresse ; car leur sang, qui
teignit les rochers du Ménale, déposerait contre eux.
Salut, ô déesse vénérable (43) ! déesse de
mille cités, déesse du Chésius, de l'Imbrasus (44),
déesse de Chitoné (45), véritable citoyenne de
Milet, car ce fut toi que Nélée prit pour guide en quittant les
rivages de Cécrops. C'est à toi qu'Agamemnon consacra le gouvernail de son
navire, pour apaiser ton courroux, lorsqu'enchaînant les vents tu retenais les
Grecs impatients de saccager Ilion et de venger leur Hélène. C'est à toi que
Proetus éleva deux temples, l'un sous le nom de Déesse
favorable aux filles, parce que tu lui ramenas ses filles errantes sur le
mont Azénien ; l'autre dans la ville de Lussa, sous le nom de la
douce Déesse, parce que tu sus adoucir la rage féroce qui les possédait.
C'est à toi que jadis, aux rivages d'Éphèse, les Amazones érigèrent une
statue sur le tronc d'un hêtre. Là tandis qu'Hippo t'offrait un sacrifice, ces
femmes, amies de la guerre, dansèrent d'abord, avec leurs boucliers, la danse
des armes, puis se réunirent en choeur autour de ton autel. Leurs mouvements
agiles faisaient résonner leurs carquois et retentir la terre sous leurs pieds.
La flûte, cet ouvrage de Minerve, si funeste aux faons, n'était pas encore
inventée (46), mais le son des chalumeaux leur
marquait la cadence, et l'écho le répétait jusque dans Sardes et dans Bérécynthe.
Dans les âges suivants, on construisit autour de cette statue un vaste temple :
le soleil n'en verra jamais de plus beau ni de plus riche ; il l'emporte sur le
temple même de Pytho. Jadis l'insolent Lygdamis (47)
menaça d'en piller les trésors. Du fond des climats hyperboréens, que la
fille d'Inachus a rendus si célèbres, il traînait à sa suite ces fiers
Hippimolges, qui égalaient en nombre les grains de sable de la mer. O le plus
malheureux des rois ! quel était son espoir ? ni lui ni aucun de ces barbares
dont les chars avaient foulé les rives du Caystre ne devaient revoir leur
patrie, car tes flèches ont toujours défendu ton Éphèse.
Gloire à la déesse de Munychie, à la déesse des forts et de Phérès.
Mortels, craignez de ne pas honorer Diane. Si jadis Oinée négligea de parer
ses autels, vous savez quels assauts il eut à soutenir. N'allez point la défier
dans l'art de prendre un cerf, de lancer un javelot ; cet orgueil coûta cher
aux Atrides. N'aspirez point aux faveurs d'une déesse toujours vierge ; Orion,
Otus en ont trop éprouvé le danger. Ne refusez point de danser dans ses fêtes
; Hippo ne l'a point refusé sans avoir eu bien des larmes à verser.
Salut, ô puissante déesse ! sois propice à ton poète.
VI
EN
L'HONNEUR DE DÉLOS
Dans
quel temps, ô ma Muse ! en quel jour chanteras-tu la nourrice d'Apollon, l'île
sacrée de Délos ? Sans doute les Cyclades méritent toutes d'être chantées,
elles sont les plus saintes des îles ; mais Délos veut ton premier hommage.
C'est elle qui reçut le dieu des poètes au sortir du sein de sa mère ; c'est
elle qui l'enveloppa de langes et l'adora la première. Ainsi que les Muses dédaignent
le poète qui ne chante pas les eaux de Pimplée, ainsi Phébus dédaigne celui
qui peut oublier Délos. Délos recevra donc aujourd'hui le tribut de mes vers ;
et toi, dieu du Cinthius, applaudis au poète qui n'aura point négligé ta
nourrice.
Délos, terre ingrate il est vrai, battue des vents et des flots, voit sur ses
rives moins de coursiers que de plongeons. Inébranlablement fixée dans la mer
Icarienne, dont les vagues amoncelées rejettent leur blanchissante écume sur
ses bords, elle semble n'être faite que pour servir de retraite à ces hommes
errants qui s'arment contre les habitants de l'onde (48).
Toutefois, quand les filles de l'Océan et de Thétis (49)
se rassemblent chez leur père, toutes, sans envie, cèdent le pas à Délos. La
Corse, bien qu'elle-même ne soit pas sans honneur, la Corse ne marche qu'après
elle, ainsi que l'aimable Sardaigne, ainsi que l'île aux rivages prolongés
qu'ont peuplée les Abantes, et celle qui, pour avoir accueilli Vénus au sortir
de l'onde, a toujours ressenti ses bienfaits. La force de ces îles est dans
leurs tours : celle de Délos est dans Apollon ; quel rempart est plus ferme ?
Souvent le souffle impétueux de Borée renversa les murs et les pierres ; mais
un dieu n'est jamais ébranlé. Heureuse île, tel est, à toi, ton gardien !
Mais au milieu de la vaste carrière que ta gloire ouvre à mes chants, quelle
route suivrai-je pour te plaire ? Dirai-je comment un dieu terrible, d'un coup
du trident que lui avaient fabriqué les Telchines sapa les montagnes, les
arracha de leurs fondements, et les faisant rouler dans la mer en forma les
premières îles ? Dirai-je qu'il les fixa toutes dans l'abîme par de profondes
racines pour leur taire oublier le continent, tandis que toi, libre et sans
contrainte, tu nageais sur les eaux ? Tu t'appelais d'abord Astérie, parce que
jadis, telle qu'un astre rapide, tu t'étais élancée du ciel au fond de la mer
pour échapper aux poursuites du dieu de l'Olympe ; et jusqu'au temps où
l'aimable Latone se réfugia dans ton sein, tu n'avais point porté d'autre nom.
Souvent le nocher qui, du port de Trézène (50)
faisait voile pour Ephyre (51), t'apercevait dans
le golfe saronique (52) ; et souvent il te
cherchait vainement au retour : une course légère t'avait portée vers le détroit
où mugissent les flots resserrés de l'Euripe ; d'où quelquefois, dans le même
jour, dédaignant la mer de Chalcis, tu avais nagé soit jusqu'aux rochers de
Sunium, soit jusqu'aux bords de Chio, soit enfin jusqu'aux bords de l'humide
Parthénie, dans cette plage où les Nymphes de Mycale, du royaume d'Ancée,
t'ont cent fois donné l'hospitalité. Mais après que toi seule eus reçu Phébus
à sa naissance, les nautoniers te donnèrent le nom de Délos, parce que tu
cessas de disparaître à leurs yeux et que tu fixas tes racines au milieu des
flots égéens.
Tu ne craignis donc point la colère de Junon ? Son terrible courroux éclatait
contre toutes les maîtresses qui donnaient des enfants à Jupiter, mais surtout
contre Latone, à qui le Destin promettait un fils que son père devait préférer
à Mars même. Furieuse et transportée de rage, elle-même repoussait du ciel
cette Nymphe en travail, tandis que par ses ordres deux gardiens attentifs
l'observaient sur la terre. Du sommet de l'Émus, l'impitoyable Mars, tout armé,
veillait sur le continent, et ses coursiers paissaient dans l'antre aux sept
bouches qui sert de retraite à Borée, pendant qu'Iris du haut du Mimas
veillait sur les îles.
De là ces deux divinités menaçaient toutes les villes dont Latone approchait
et leur défendaient de la recevoir. Ainsi vit-elle fuir devant elle l'Arcadie
et le mont sacré d'Auge (53) ; ainsi vit-elle fuir
l'antique Phénée (54) et toutes les villes du Péloponnèse
voisines de l'Isthme : Égialée resta seule avec Argos ; Latone n'osait point
approcher de ces lieux arrosés par un fleuve trop aimé de (55)
Junon. Ainsi vit-elle fuir l'Aonie (56) avec Dircé
et Strophie (57) que leur père, le sablonneux Ismène,
entraînait avec lui. Asope les suivit, mais de loin, d'un pas tardif et tout
fumant encore des coups de la foudre ; et l'indigène
Mélie, épouvantée de voir l'Hélicon secouer sa verte chevelure, quitta ses
danses, pâlit et trembla pour son chêne. O Muse ! O ma déesse ! les Nymphes
en effet sont donc nées avec les chênes ? Les Nymphes du moins se réjouissent
quand la rosée ranime les chênes, et les Nymphes pleurent quand les chênes dépouillent
leur feuillage.
Phébus indigné, quoique encore au sein de sa famille, adresse à Thèbes ces
menaces qui n'ont point été vaines : "Pourquoi, malheureuse Thèbes,
m'obliger à dévoiler déjà ton destin ? Ne me force point à prophétiser ton
sort. Pytho ne m'a point encore vu m'asseoir sur le trépied, et son terrible
serpent n'est point mort : ce monstre barbu rampe encore sur les rives de
Plistus (58), et de ses replis tortueux embrasse
neuf fois le Parnasse que couvrent les neiges. Toutefois je te le prédis ici
plus clairement que du pied de mon laurier : fuis ; mais bientôt je
t'atteindrai ; bientôt je laverai mes traits dans ton sang ; garde, garde les
enfants d'une femme orgueilleuse (59) : ni toi ni
le Cithéron ne nourriront point mon enfance. Phébus est saint ; c'est aux
saints à lui donner un asile."
Il dit, et Latone retourna sur ses pas ; mais les villes d'Achaïe, mais Hélice,
l'amie de Neptune, et Bure (60), retraite des
troupeaux de Dexamène, le fils d'Oïcée,
l'avaient déjà repoussée : elle s'avança vers la Thessalie. Vain espoir ! le
fleuve Anaurus, la ville de Larisse, les antres du Pélion, tout s'enfuit, et le
Pénée précipita son cours au travers des vallons de Tempé.
Cependant ton cœur, ô Junon ! était encore inflexible. Déesse inexorable, tu
la vis sans pitié étendre ses bras et former vainement ces prières :
"Nymphes de Thessalie, filles du Pénée, dites à votre père de ralentir
son cours impétueux ; embrassez ses genoux, conjurez-le de recevoir dans ses
eaux les enfants de Jupiter. O Pénée ! pourquoi veux-tu l'emporter sur les
vents ? O mon père ! tu ne disputes point le prix de la course ! Es-tu donc
toujours aussi rapide ou ne le deviens-tu que pour moi ? Et n'est-ce
qu'aujourd'hui que tu trouves des ailes ? ... Hélas ! il est sourd...
Fardeau que je ne puis plus soutenir, où pourrai-je vous déposer ? Et toi, lit
nuptial de Philyre, ô Pélion ! attends-moi donc, attends ; les lionnes mêmes
n'ont-elles pas cent fois enfanté leurs cruels lionceaux dans tes antres
?"
Le Pénée, l'œil humide de pleurs lui répond : "La Nécessité, Latone,
est une grande déesse. Je ne refuse point, vénérable immortelle, de recevoir
vos enfants : bien d'autres mères avant tous se sont purifiées dans mes eaux.
Mais Junon m'a fait de terribles menaces. Voyez quel surveillant m'observe du
haut de ces monts ; son bras, d'un seul coup me peut accabler. Que ferai-je ?
Faut-il me perdre à vos yeux ? Allons, tel soit mon destin ; je le supporterai
pour vous, dussé-je me voir à jamais desséché dans mon cours, et seul de
tous les fleuves rester sans honneur et sans gloire ; je suis prêt, c'en est
fait, appelez seulement Ilithye."
Il dit et ralentit son cours impétueux. Bientôt Mars, déracinant les monts
allait les lancer sur lui et l'ensevelir sous les rocs du Pangée (61)
; défié du haut de l'Émus il pousse un cri terrible et frappe son bouclier de
sa lance : l'armure rend le son de la guerre, et l'Ossa en frémit ; les vallées
de Cranon et les cavernes glaciales du Pinde en tremblent, et l'Émonie entière
en tressaille. Ainsi, quand le géant terrassé jadis par la foudre, se retourne
sur sa couche, les antres fumants de l'Etna sont tous ébranlés ; les tenailles
de Vulcain, le fer qu'il travaille, tout se renverse dans la fournaise, et la
forge retentit du choc épouvantable des trépieds et des vases. Tel fut le
bruit horrible que rendit le divin bouclier. Pénée, toujours intrépide,
demeurait fixe et retenait ses ondes fugitives ; Latone lui cria : "Fuis,
ô Pénée ! songe à te garantir : que ta pitié pour moi ne fasse point ton
malheur ; fuis et compte à jamais sur ma reconnaissance."
A ces mots, quoique accablée, défié de fatigue, elle marcha vers les îles
mais aucune ne voulut la recevoir ; ni les Échinades dont le port est si
favorable aux navires, ni Corcyre la plus hospitalière des îles. Iris menaçante,
au sommet du Mimas, leur défendait d'y consentir, et les îles épouvantées
fuyaient toutes à l'approche de Latone.
Elle voulait aborder à Cos, séjour antique des sujets de Mérops, retraite
sacrée de Chalciope ; mais Phébus lui-même l'en détourna. "O ma mère !
lui dit-il, ce n'est point là que tu dois m'enfanter, non que je dédaigne ou méprise
cette île ; je sais qu'elle est plus qu'aucune autre fertile en pâturages et féconde
en moissons. Mais les Parques lui réservent un autre dieu, fils glorieux des
Sauveurs (62), qui aura les vertus de son père et
verra l'un et l'autre continent, avec les îles que la mer baigne du couchant à
l'aurore, se ranger sans peine sous le sceptre macédonien (63).
Un jour viendra qu'il aura, comme moi, de terribles assauts à soutenir, lorsque
empruntant le fer des Celtes et le cimeterre des Barbares, de nouveaux Titans (64),
aussi nombreux que les flocons de la neige ou que les astres qui peuplent un
ciel serein, fondront des extrémités de l'occident sur la Grèce. Ah ! combien
gémiront les cités et les forts des Locriens, les roches de Delphes, les
vallons de Crissa et les villes d'alentour, quand chacun apprendra l'arrivée de
ces fiers ennemis non par les cris de ses voisins, mais en voyant ses propres
moissons dévastées par le feu ; quand, du haut de mon temple, on apercevra
leurs phalanges et qu'ils déposeront auprès de mon trépied leurs épées
sacrilèges, leurs larges baudriers et leurs boucliers épouvantables, qui
toutefois serviront mal cette race insensée de Gaulois, puisqu'une partie de
ces armes me sera consacrée et que le reste, sur les bords du Nil, après avoir
vu ceux qui les portaient expirer dans les flammes, sera le prix des travaux
d'un prince infatigable ! Tel est mon oracle ; ô Ptolémée ! et quelque jour
tu rendras gloire au dieu qui, dès le ventre de sa mère, aura prophétisé ta
victoire. Pour toi, ma mère, écoute mes paroles : il est au milieu des eaux,
une petite île remarquable, qui erre sur les mers ; elle n'est point fixe en un
lieu, mais, comme une fleur, elle surnage et flotte au gré des vents et des
ondes : porte-moi dans cette île, elle te recevra volontiers."
Ainsi parla Phébus, et les îles fuyaient toujours. Mais toi, tendre et
sensible Astérie, quittant naguère les rivages de l'Eubée, tu venais visiter
les Cyclades et tu traînais encore après toi la mousse du Géreste (65).
Saisie de pitié à la vue d'une infortunée qui succombait sous le poids de ses
peines, tu t'arrêtes et t'écries : "Junon menace en vain ; je me livre à
ses coups. Viens, Latone, viens sur mes bords."
Tu dis, et Latone, après tant de fatigues, trouve enfin le repos : elle
s'assied sur les rives de l'Inopus, qui chaque année grossit son cours dans le
même temps où le Nil tombe à grands flots des rochers d'Ethiopie. Là, détachant
sa ceinture, le dos appuyé contre le tronc d'un palmier ; déchirée par la
douleur la plus aiguë, inondée de sueur et respirant à peine, elle s'écrie :
"Pourquoi donc, cher enfant, tourmenter ta mère ? ne suis-je pas dans
cette île errante que tu m'as désignée ? Mais, ô mon fils ! nais, et sors
avec moins de cruauté de mon sein."
Cependant, inflexible épouse de Jupiter, tu ne devais pas longtemps ignorer
cette nouvelle ; bientôt la prompte messagère accourt hors d'haleine et tient
ce discours entrecoupé par la crainte : "O toi, la plus puissante des déesses,
vénérable Junon ! Iris est à toi, l'univers t'appartient, tu marches égale
au roi de l'Olympe : nous ne craignons ici d'autre déesse que toi. Toutefois,
ô reine, apprends ce qui doit exciter ta colère. Latone est reçue dans une île,
elle y détache sa ceinture. Toutes les autres l'ont repoussée ; mais Astérie,
l'a d'elle-même invitée : Astérie, vil fardeau de la mer... Déesse, tu la
connais... mais venge-nous, tu
le peux, venge tes ministres qui, pour t'obéir, étaient descendus sur la
terre."
Elle dit, et s'assit au bas du trône d'or de la déesse ; ainsi le chien de
Diane, après une course rapide se repose à ses pieds, les oreilles droites et
toujours attentives à la voix de sa maîtresse : telle la fille de Thaumas est
aux genoux de Junon ; jamais elle ne quitte cette place, pas même dans les
instants où le dieu de l'oubli lui couvre les yeux de ses ailes ; mais sur les
marches même du trône, la tête penchée, elle dort d'un somme léger, sans ôter
sa ceinture ni ses brodequins, crainte d'un ordre subit de la reine. Junon
indignée frémit et s'écrie : "Ainsi du moins, infâmes objets des amours
de Jupiter, puissiez-vous cacher toujours vos plaisirs adultères et en déposer
les fruits non dans l'asile ouvert aux dernières des esclaves, mais dans les
antres déserts où les vaches marines enfantent leurs petits ! Toutefois,
j'oublie l'injure que me fait Astérie ; elle ne ressentira point un courroux
qu'elle a bien mérité par sa pitié pour Latone. Je lui dois trop, puisqu'elle
n'a point souillé mon lit et qu'elle a préféré la mer à mon époux."
Ainsi parla Junon. Cependant les chantres harmonieux de Phébus, les cygnes de Méonie,
quittant le Pactole, vinrent tourner sept fois autour de Délos et chantèrent
autant de fois l'accouchement de Latone. Ce fut en mémoire de ces chants sept
fois répétés que, dans la suite, le dieu monta sa lyre de sept cordes. Ils
chantaient encore pour la septième fois et Phébus naquit. Les Nymphes déliennes,
les filles de l'antique Inopus, entonnèrent l'hymne sacré d'Ilithye ; ta voûte
céleste répéta leurs concerts éclatants, et Junon n'en fut point courroucée
: Jupiter l'avait apaisée.
Délos, en cet instant, tout chez toi devint or ; ton lac en ce jour ne roula
que de l'or, le palmier au pied duquel Phébus était né s'ombragea de feuilles
d'or et l'or grossit les flots du profond Inopus. Toi-même, élevant de ton sol
parsemé d'or l'enfant divin et l'approchant de ton sein, tu t'écrias :
"Vaste univers qui renfermez tant de villes et tant de temples, continents
fertiles et vous îles qui les entourez, je ne suis qu'une île aride ;
toutefois c'est mon nom qu'Apollon portera, et jamais terre ne sera chérie de
son dieu autant que moi. Oui, Cerchnis (66) sera
moins aimée de Neptune, la Crète de Jupiter et le mont de Cyllène (67)
de Mercure :
je vais cesser d'être errante."
Tu dis, et l'enfant suça tes mamelles. Dés lors tu fus nommée la plus sainte
des îles, la nourrice d'Apollon. Jamais Bellone, jamais la mort, ni les
coursiers de Mars (68) n'ont approché de tes bords
; mais chaque année les nations t'envoient les prémices et la dîme de leurs
fruits. Du couchant à l'aurore, du nord au midi, tous les peuples, jusqu'à
ceux qui, les plus antiques de tous, habitent les climats hyperboréens, célèbrent
des fêtes en ton honneur. Ceux-ci même sont les plus empressés à t'apporter
leurs épis et leurs gerbes sacrées, présents nés dans un climat lointain et
que les gardiens austères de l'urne fatidique reçoivent d'abord à Dodone pour
les porter ensuite au séjour montueux et sacré des Méliens, qui, franchissant
la mer, les transmettent aux Abantes (69), dans les
plaines charmantes de Lélas, d'où le trajet est court jusqu'à toi, puisque
les ports de l'Eubée sont voisins de tes côtes. Les filles de Borée,
l'heureuse Hécaërge, Oupis et Loxo, suivies de jeunes hommes choisis sur toute
leur nation, t'ont les premières (70) apporté ces
offrandes de la part des blonds Arimaspes (71). Ni
les unes ni les autres n'ont revu leur patrie ; mais leur destin fut heureux,
mais leur gloire ne meurt point, puisque les jeunes Déliennes (dans ces jours où
l'hymen et ses chants effarouchent les vierges) consacrent à ces hôtes du Nord
les prémices de leurs chevelures, et que les jeunes Déliens leur offrent le
premier duvet que le rasoir moissonne sur leurs joues.
Astérie, île parfumée d'encens ! les Cyclades semblent former un chœur
autour de toi. Jamais Hespérus aux longs cheveux n'a vu la solitude ni le
silence régner sur tes bords ; mais toujours il y entend résonner des
concerts. Les jeunes hommes y chantent l'hymne fameux que le vieillard de Lycie,
le divin Olen, t'apporta des rives du Xanthus, et les jeunes filles y font
retentir la terre sous leurs pas cadencés. On y voit, chargée de couronnes, la
statue célèbre que Thésée et les enfants d'Athènes consacrèrent jadis à Vénus.
Echappés à la rage du monstre mugissant que la fille de Minos avait enfanté,
dégagés du tortueux labyrinthe, ils dansèrent au son des cithares, autour de
tes autels, et Thésée lui-même ordonnait leur danse. Depuis ce temps, c'est
son navire soigneusement conservé que les neveux de Cécrops envoient tous les
ans porter leur hommage à Phébus.
Astérie, île sainte, île où l'on a dressé mille autels ! quel nocher, dans
sa course rapide, traversa jamais la mer Egée sans s'arrêter sur tes côtes ?
quelque favorisé qu'il soit des vents, quelque soin qui le presse, soudain il
abaisse ses voiles, descend sur tes rivages et ne remonte sur son bord qu'après
avoir mordu le tronc de ton olivier et fait le tour de ton autel, les mains liées
derrière le dos, s'offrant de lui-même au fouet de tes prêtres, en mémoire
de ce jeu qu'une Nymphe de Délos inventa jadis pour amuser l'enfance d'Apollon.
Salut, ô Délos ! divin foyer des îles, salut à toi, salut ô Phébus, salut
à la fille de Latone.
FIN
DES OEUVRES DE CALLIMAQUE
(01) On sait que les poètes avaient personnifié la Force
et la Violence.
(02) Acestor est un personnage inconnu dans la fable comme dans
l'histoire, mais qui sans doute avait joué un rôle considérable dans sa
patrie, puisqu'il y avait une tribu dans Argos qui portait son nom.
(03) Physadée et Amymone étaient filles de Danaüs et avaient
laissé leur nom à deux fontaines de l'Argolide.
(04) On sait que la fable avait donné â Tirésias un bâton
mystérieux avec lequel il conduisait ses pas aussi sûrement que s'il avait été
doué de la vue.
(05) Espèce de corbeille mystérieuse et sacrée qu'à certain
jour marqué l'on rapportait en pompe du temple d'Éleusis à celui de Cérès-Thesmophore
dans Athènes.
(06) Ancien peuple répandu dans la Grèce, mais dont la
principale habitation était en Thessalie où ils avaient bâti, entre autres,
la ville de Dotium. II se fit dans la suite une émigration de ce peuple sous la
conduite de Triopas, père d'Eresichton qui alla fonder la ville de Cnide en
Carie : voilà pourquoi le poète ajoute : "N'habitaient point encore
Cnide."
(07) Ville de Thessalie.
(08) Vraisemblablement le même que celui qui est mis par
Orphée au nombre des Argonautes. Comme ce poète ne dit point le nom de la mère
de ce héros, il est vraisemblable que c'était cette Polyxo dont parle ici
Callimaque et qui ne peut rien avoir de commun avec les autres héroïnes de ce
nom, dont il est parlé dans les anciens mythologues qui nous restent.
(09) Promontoire de l'Ionie fort élevé.
(10) C'est-à-dire le temple de Pytho ou de Delphes.
(11) Mot grec qui signifie littéralement remède à tout.
(12) Autre mot grec qui signifie littéralement pasteur.
(13) Fleuve de Thessalie.
(14)
Battus, autrement nommé Aristotèles. Le poète lui donne l'épithète d'oulos,
entier, sain, parce qu'il
avait été longtemps muet et qu'il recouvra la parole avant d'aller en Libye
fonder la ville de Cyrène.
(15) Petit peuple de la Libye, voisin du canton où Battus établit
sa colonie.
(16) Prince qui, selon la fable, régnait en Libye au temps de
l'enlèvement de Cyrène.
(17) Le texte dit seulement : "Du pied."
(18) Littéralement : "Toutes âgées de neuf ans, toutes
enfants encore sans ceinture." Les jeunes filles ne commençaient à porter
des ceintures qu'après avoir atteint l'âge nubile.
(19) Epouse de l'Océan.
(20) Nom qui en grec signifie fertile en miel.
(21) Le grec dit : Aux rochers de l'Ossa.
(22) Le grec ajoute : Egal à un bouclier de quatre peaux.
(23) Littéralement : La Trinacrie séjour des Sicaniens, et la
voisine de l'Italie.
(24) Littéralement : "Ses présents de vue, opteria."
La coutume chez les Anciens, quand une femme accouchait, était que les parents
du nouveau-né envoyassent à la mère des présents comme pour obtenir la
permission de voir son enfant.
(25) Cynosure était un lieu de la Laconie. Les chiens de ce pays
étaient renommés par leur vitesse, surtout ceux qu'on croyait nés d'une
chienne et d'un renard, espèce dont Aristote attestait l'existence, mais qui n'était
autre que celle de race lévriers.
(26) Le grec ajoute : "Qui ne ferme jamais les yeux."
(27) Littéralement : "Qui roule un sable noir."
L'Anaurus était un fleuve de la Thessalie : il est assez singulier que
Callimaque amène ces biches de Thessalie en Arcadie.
(28) Il ne faut pas s'étonner de ce que Callimaque donne ici des
cornes aux biches : c'était une erreur commune à tous les poètes grecs et qui
leur a même été reprochée par Aristote.
(29) Fleuve d'Arcadie.
(30) Montagne d'Arcadie.
(31) Littéralement : "Attelé d'animaux à cornes."
(32) L'expression grecque est bien plus poétique :
"Aucun de leurs enfants ne se dresse sur ses jambes."
(33) Callimaque est, je crois, le seul des poètes et des
mythologues qui fasse mention de ces prairies de Junon, qu'il place dans le
ciel.
(34) Petit fleuve de l'île de Délos ; le poète lui donne l'épithète
d'Egyptien, parce que ce fleuve passait pour avoir les mêmes accroissements et
décroissements que le Nil ; c'était même une croyance assez généralement répandue
parmi le vulgaire, que l'Inopus n'était autre que le Nil lui-même qui, après
avoir traversé la mer, reparaissait dans l'île de Délos.
(35) Ville de Pamphylie, où Diane avait un temple auquel était
attaché le droit d'asile.
(36) Montagne de la Laconie, où l'on trouvait beaucoup de chèvres,
de sangliers, d'ours et de cerfs.
(37) Le culte de Diane était singulièrement en honneur dans
toutes les villes qui bordaient le détroit de l'Euripe, tant sur la côte de Béotie
que sur celle de l'Eubée, telles qu'Aulis, Délium, Amarynthe, etc.
(38) Prés d'lolchos : c'était là que Cyrène, selon la fable,
avait combattu contre un lion et l'avait terrassé.
(39) Procris, épouse de Céphale.
(40) Anticlée n'est point connue dans la fable : la mère
d'Ulysse s'appelait Anticlée, mais ce ne peut être de cette héroïne que le
poète ait voulu parler.
(41) L'expression grecque, est remarquable. Littéralement :
"Leurs épaules droites étaient indépouillables", c'est-à-dire n'étaient
point vêtues.
(42) Deux Centaures qui avaient voulu attenter à la pudeur
d'Atalante, et que cette héroïne tua à coups de flèche sur le mont Ménale.
(43) Le texte ajoute : "Déesse assise au premier trône,"
protothroné, autre surnom de Diane
dont je n'ai pu trouver l'étymologie.
(44) Le Chésius et l'Imbrasus étaient l'un un promontoire,
l'autre un fleuve de l'île de Samos, où Diane était spécialement honorée.
(45) Chitoné était un bourg de l'Attique.
(46) Littéralement : "On n'avait pas encore percé les os
des faons." Les Anciens, dans les premiers temps, faisaient leurs flûtes
avec les os des faons. La plupart des mythologues attribuaient l'honneur de
cette invention à Minerve, quoique les monuments historiques l'attribuent au
Phrygien Hyagnis.
(47) Callimaque veut parler ici de cette invasion que les Scythes
firent en Asie vers la XXXVIe olympiade, environ cinq cent trente ans
avant l'ère chrétienne. Selon Strabon (lib. I,
p. 106, B.), Lygdamis,
l'un de leurs chefs, périt effectivement, mais loin d'Éphèse et dans la
Cilicie. Hésychius (voce Lugdamis)
dit non seulement qu'il menaça de piller le temple de Diane, mais qu'il le brûla.
(48) J'aurais pu rendre cet endroit d'une manière plus
concise, mais la version n'aurait point répondu aux expressions poétiques du
texte.
(49) C'est-à-dire les îles que les mythologues disaient allégoriquement
être filles de l'Océan et de Thétis, donnant alors le nom de Thétis à la
Terre même, quoique ordinairement Thétis passât pour être fille de la Terre.
(Schol.
Homer. ad Iliad. V,
v. 201.)
(50) J'ai cru devoir adopter la correction proposée par M.
Runhckenius, qui pense qu'il faudrait lire alixanthoio
au lieu de apo Xanthoio, l'histoire ni
la fable ne faisant mention d'aucun prince ou héros du nom de Xanthus parmi
ceux qui ont illustré la ville de Trézène.
(51) Ancien nom de la ville de Corinthe.
(52) Ainsi nommé, dit la fable, parce qu'un roi de Trézène,
appelé Saron, s'y était précipité dans un accès de fureur.
(53) Le poète désigne ainsi le Parthénius, montagne d'Arcadie,
célèbre dans la fable par les amours d'Hercule et d'Augé, dont la naissance
de Télèphe fut le fruit.
(54) Ville de l'Arcadie.
(55) L'Inachus.
(56) Ancien nom de la Béotie.
(57) Deux fontaines de Béotie.
(58) Fleuve de la Phocide qui coulait au bas du mont Parnasse.
(59) Il désigne ainsi la fameuse Niobé et ses enfants.
(60) Hélice et Bure étaient deux villes de l'Achaïe qui furent
englouties par la mer vers la CIIe olympiade, environ trois cent
soixante-dix ans avant l'ère chrétienne.
(61) Montagne située sur les confins de la Thrace et de la
Macédoine et qui faisait partie du mont Émus.
(62) Le poète désigne ainsi Ptolémée Philadelphe, fils de
Ptolémée Soter et de Bérénice, que les Egyptiens avaient mis l'un et l'autre
au rang des dieux sous le nom de dieux sauveurs. Ce prince était né dans l'île
de Cos.
(63) Ptolémée Philadelphe, étant petit-fils de Lagus, était
Macédonien d'origine.
(64) Il parle des Gaulois et de leur invasion en Grèce.
(65) Promontoire de l'Eubée.
(66) Cerchnis ou Cenchris ou, comme on l'appelle plus communément,
Cenchrée, était l'un des ports de Corinthe ; l'autre s'appelait le Léchée.
(67) Montagne d'Arcadie.
(68) Tous les peuples de l'Antiquité conservaient un si grand
respect pour Délos que les Perses, même au temps de leur invasion dans la Grèce,
où ils se firent un devoir de religion de renverser les temples et de briser
les statues des dieux des Grecs, parce qu'ils ne les reconnaissaient point,
engagèrent néanmoins les Déliens, que la crainte avait fait sortir de leur île,
à y revenir, et qu'ils les laissèrent jouir de tous les avantages de la
neutralité.
(69) Ancien nom des premiers habitants de l'île d'Eubée. Ils
habitaient la plaine de Lélas, lieu renommé dans cette île pour une source
d'eau salutaire qu'on y trouvait.
(70) Tous les auteurs se réunissent pour rapporter comme un fait
constant qu'anciennement, de jeunes filles, suivies de quelques jeunes gens du même
pays qu'elles, étaient venues du fond des climats septentrionaux porter des
offrandes à Délos, et à l'exception de quelque différence dans les noms
qu'il donne à ces jeunes filles, Hérodote s'accorde avec Callimaque au sujet
des honneurs que les Déliens rendirent à ces étrangères après leur mort,
ainsi qu'aux jeunes gens qui les avaient accompagnées.
(71) Nation qui faisait partie des peuples septentrionaux compris
sous la dénomination générale d'Hyperboréens.
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