Plotin, Ennéades, traduit par Bouillet

PLOTIN

 

SIMPLICIUS.

COMMENTAIRE DES CATÉGORIES D'ARISTOTE.

Tome troizième

Traduction française : M.-N. BOUILLET.

PORPHYRE - OLYMPIODORE

 

 

 

 

 

LES ENNÉADES

 

SIMPLICIUS.

 

COMMENTAIRE DES CATÉGORIES D'ARISTOTE.

 

Des Commentaires composés sur les Catégories d'Arisote (1).

Comme le Livre des Catégories d'Aristote non-seulement forme une introduction à l'étude de la Philosophie entière (car ce livre est le commencement de la Logique, et l'on étudie avec raison la Logique avant la Philosophie entière), mais encore traite sous un certain rapport des premiers principes (comme nous le démontrerons en expliquant l'objet des Catégories), beaucoup de philosophes se sont occupés de ce livre. Mais les traités qu'ils ont composés sur ce sujet offrent entre eux une grande différence. Quelques-uns, connue Thémistius [surnommé] Euphradès (2), et d'autres encore, se sont bornés à éclaircir le texte d'Aristote par une paraphrase. D'autres se sont proposé pour but unique d'expliquer brièvement les idées seules d'Aristole, comme l'a fait Porphyre dans son Livre des Demandés et des Réponses (3). Il en est qui sont allés plus loin que les précédents : les uns ont effleuré les questions qui se rattachent au livre d'Aristote, comme Alexandre d'Aphrodisie, comme [son maître] Ilerminus et quelques autres encore, parmi lesquels je place Maxime même, qui fut disciple de l'illustre Jamblique, et qui, dans son Commentaire des Catégories, a presque partout suivi Alexandre ; les autres, au contraire, comme Boéthus [de Sidon], cet homme si digue d'admiration, ont composé des Commentaires où il y a beaucoup de profondeur. Il en est qui se sont bornés à poser des objections contre les idées d'Aristote; c'est ce qu'a fait Lucius, et après lui Nicostrate, qui a exposé les critiques de Lucius ; ils se sont appliqués à combattre presque toutes les idées d'Aristote et à lui adres- 681 ser des objections inspirées moins par l'amour de la Vérité que par le désir d'attaquer ce philosophe à tort et à travers (4) ; leur travail cependant n'a pas été inutile en ce qu'ils ont indiqué à leurs successeurs les questions les plus importantes à étudier, qu'ils leur ont donné occasion de répondre aux objections et de discuter une foule de points très-intéressants. En outre, le grand Plotin, dans ses trois livres Des Genres de l'être, a fait des recherches fort importants sur les matières traitées daiis les Catégories. Ensuite, Porphyre, à qui nous sommes redevables de tout ce que nous avons de bon, a, pour l'usage de son disciple Gédallus, composé sept livres où il a donné un commentaire très-complet des Catégories, répondu à toutes les objections, et rapporté tout ce que les Stoïciens enseignent à cet égard de conforme à la doctrine péripatéticienne (5). Après lui, le divin Jamblique a écrit aussi sur les Catégories un long traité où la plupart du temps il suit Porphyre et le reproduit même mot pour mot dans un grand nombre de passages; il a cependant expliqué certains points avec plus d'exactitude et de précision ; en outre, il a, comme on le fait dans les écoles, resserré la discussion des objections; enfin, il a mis presque partout en tête de chaque chapitre la théorie métaphysique du sujet qu'il embrasse, et il a ajouté tout ce qui pouvait être de quelque utilité pour l'étude des Catégories (6). En effet, comme Archytas le pythagoricien a le premier, dans son ouvrage Sur l'universel (περὶ τοῦ παντός) (7), établi la division en dix genres premiers, éclairci par des exemples leur nature, leur ordre relatif, leurs différences propres et leurs caractères 632 communs, le divin Jamblique a lui-même, dans les lieux convenables, cité des passages d'Archytas, ramené à un corps de doctrine les principes qui s'y trouvent dispersés, et montré la concordance de cette doctrine avec celle d'Aristote ; quant au petit nombre de points à l'égard desquels il existe entre ces deux philosophes une dissidence, bien légère d'ailleurs, Jamblique les a signalés aux lecteurs que cela peut intéresser; il a en outre expliqué la cause de cette dissidence, et avec raison, parce qu'Aristote semble suivre en tout Archytas. Dexippe, disciple de Jamblique, a également commenté les Catégories, mais d'une manière abrégée : au reste, son principal but était de répondre aux objections de Plotin, qu'il a exposées en forme de dialogue, et il n'a presque rien ajouté à Porphyre et à Jamblique (8).

Comme des philosophes aussi illustres ont commenté avec tant de soin les Catégories, je paraîtrai ridicule d'entreprendre moi-même d'écrire aussi sur ce sujet si je n'explique pour quelle raison j'ai pris la plume : car j'ai beaucoup emprunté aux écrits que je viens de nommer ; j'ai particulièrement suivi Jamblique autant que je l'ai pu, et je l'ai souvent reproduit mot pour mot. Or, voici quel a été mon but en composant ce Commentaire : d'abord, je me suis appliqué à donner une intelligence plus exacte du texte ; en même temps j'ai voulu éclaircir et rendre plus accessible la pensée d'Aristote qui, par sa profondeur, n'est pas à la portée de la plupart des lecteurs ; enfin, j'ai résumé tous les traités si divers qui ont été écrits sur les Catégories ; je n'ai pas eu d'ailleurs l'intention d'être aussi bref que possible, comme l'a fait le savant Syrianus (9), mais seulement de composer un résumé où rien d'essentiel ne se trouvât omis. Si j'ai pu ajouter quelque chose aux recherches de mes prédécesseurs, j'en suis redevable, après Dieu, à ces grands hommes par lesquels conduit comme par la main j'ai indiqué quelques objections intéressantes, ou bien des explications et des distinctions importantes. Enfin, mon dessein n'est pas de faire négliger à mes lecteurs les travaux de Porphyre et de Jamblique pour mon court commentaire, mais de leur offrir plutôt une introduction et une étude qui leur facilite l'intelligence de leurs écrits.

(1) Édition de Bâle, folio 1. Cet extrait peut servir de commentaire au début du livre i de l'Ennéade VI.

(2) Thémistius avait paraphrasé également les Premiers Analytiques d'Aristote, ainsi que les Derniers Analytiques. Il ne nous reste que ce dernier ouvrage.

(3)  Cet ouvrage a été publié en grec (Paris, 1543), et traduit en latin sous le litre d'Exegesis in Categorias (Venise, 1546, 1566). On a aussi de Porphyre une Introduction aux Catégories, que M. bai-ihélemy Saint-Hilaire a traduite en français.

(4) Les Commentaires des Catégories composés par Alexandre d'Aphrodisie, Herdiinus, Maxime, Boéthus de Sidon; Ludus, Ncostrate, sont aujourd'hui perdus.

(5) L'ouvrage de Porphyre nous est connu seulement par les citations que Simplicius et que Boëce en font dans leurs Commentaires.

(6)  Simplicius, par les citations qu'il fait de Jamblique, nous a conservé de nombieux fragments du Commentaire de ce philosophe. INous avons traduit un de ces fragments dans le tome II, p. 637, note 2.

(7) Ce livre est cité aussi sous le titre de καθόλου λόγοι. Il ne faut pas le confondre avec un opuscule apocryphe intitulé : Ἀρχύτου καθολικοὶ λόγοι, et publié par Orelli (Opuscula Grœcorum veterum sententiosa et moralia, Lips., 1821 ; t. Il, p 273). Thémislius a contesté l'authenticile de l'ouvrage d'Archytas, sans doute pour conserver à Aristote la gloire de l'invention des Catégories. Cependant, l'idée de diviser toutes choses en dix genres semble tout à fait arbitraire dans le système d'Aristote (comme le remarque fort bien Plotin}, tandis qu'elle s'explique naturellement dans la doctrine des Pythagoriciens par l'importance qu'ils aliénaient à la décade, puisque, selon eux, la décade comprenait toutes choses (Voy. ci-dessus, p. 629;. Simplicius cite assez souvent Archytas.

(8) L'ouvrage de Dexippe se trouve dans plusieurs bibliothèques, mais il n'a pas encore été publié en grec. Il n'est connu jusqu'à présent que par la traduction latine de Bernard Félicien (Paris, 1549, in 8°).

(9) L'ouvrage de Syrianus, aujourd'hui perdu, est cité par David l' Arménien, qui appelle l'auteur ὁ κριτιοκώτατος.