ENNÉADE I, LIVRE VIII - ENNÉADE II, LIVRE I
´Οἱ Οὐκ ἐξάξεις, ἵνα μὴ ἐξίῃ· ἐξελεύσεται γὰρ ἔχουσά τι, ἵνα καὶ ἐξέλθῃ, τό τε ἐξελθεῖν ἐστι μεταβῆναι εἰς ἄλλον τόπον. Ἀλλὰ μένει τὸ σῶμα ἀποστῆναι πᾶν αὐτῆς, ὅτε μὴ δεῖται μετελθεῖν, ἀλλ´ ἔστι πάντη ἔξω. Πῶς οὖν ἀφίσταται τὸ σῶμα; Ὅταν μηδὲν ἔτι δεδεμένον ᾖ τῆς ψυχῆς, ἀδυνατοῦντος ἔτι τοῦ σώματος συνδεῖν, τῆς ἁρμονίας αὐτοῦ οὐκέτ´ οὔσης, ἣν ἔχον εἶχε τὴν ψυχήν. Τί οὖν, εἰ μηχανήσαιτό τις λυθῆναι τὸ σῶμα; Ἢ ἐβιάσατο καὶ ἀπέστη αὐτός, οὐκ ἐκεῖνο ἀφῆκε· καὶ ὅτε λύει, οὐκ ἀπαθής, ἀλλ´ ἢ δυσχέρανσις ἢ λύπη ἢ θυμός· δεῖ δὲ μηδὲν πράττειν. Εἰ οὖν ἀρχὴν αἴσθοιτο τοῦ ληρεῖν; Ἢ τάχα μὲν οὐ περὶ σπουδαῖον· εἰ δὲ καὶ γένοιτο, τάττοιτ´ ἂν ἐν τοῖς ἀναγκαίοις τοῦτο καὶ ἐκ περιστάσεως αἱρετοῖς, οὐχ ἁπλῶς αἱρετοῖς. Καὶ γὰρ ἡ τῶν φαρμάκων προσαγωγὴ πρὸς ἔξοδον ψυχῆς τάχα ἂν ψυχῇ οὐ πρόσφορος. Καὶ εἰ εἱμαρμένος χρόνος ὁ δοθεὶς ἑκάστῳ, πρὸ τούτου οὐκ εὐτυχές, εἰ μή, ὥσπερ φαμέν, ἀναγκαῖον. Εἰ δέ, οἷος ἕκαστος ἔξεισι, ταύτην ἴσχει ἐκεῖ τάξιν, εἰς τὸ προκόπτειν οὔσης ἐπιδόσεως οὐκ ἐξακτέον. |
Il ne faut pas faire sortir par violence l'âme du corps, de peur qu'elle ne sorte [en emportant quelque chose d'étranger, c'est-à-dire de corporel] (02) : car, dans ce cas, elle emportera cet élément étranger en quelque endroit qu'elle émigre (par émigrer j'entends passer dans un autre séjour). Il faut au contraire attendre que le corps tout entier se détache naturellement de l'âme: alors celle-ci n'a plus besoin de passer dans un autre séjour; elle est complètement délivrée du corps. Comment donc le corps se détache-t-il naturellement de l'âme? Par la rupture complète des liens qui tiennent l'âme attachée au corps, par l'impuissance où se trouve le corps d'enchaîner l'âme, l'harmonie en vertu de laquelle il en avait la puissance étant complètement détruite (03). Quoi donc? ne peut-on se dégager volontairement des liens du corps? Non : quand on emploie la violence, ce n'est pas le corps qui se détache de l'âme, c'est l'âme qui tait effort pour s'arracher au corps, et cela par un acte qui s'accomplit, non dans l'état d'impassibilité [qui convient au sage], mais par l'effet du chagrin, de la souffrance ou de la colère. Or un tel acte est illicite. Mais si l'on sent approcher le délire ou la folie, ne peut–on les prévenir? D'abord, la folie n'arrive guère au sage ; ensuite, si elle lui arrive, il faut mettre cet accident au nombre des choses inévitables, qui dépendent de la fatalité, et relativement auxquelles il faut se décider moins d'après leur bonté intrinsèque que d'après les circonstances : car peut-être le poison auquel on aurait recours pour faire sortir l'âme du corps ne ferait–il que nuire à l'âme. S'il y a un temps marqué pour la vie de chacun de nous, il n'est pas bon de prévenir l'arrêt du destin, à moins qu'il n'y ait nécessité absolue, comme nous l'avons dit (04). Enfin, si le rang que l'on obtient là haut dépend de l'état dans lequel on est en sortant du corps, il ne faut pas s'en séparer quand on peut encore faire des progrès (05). |
439 LIVRE NEUVIÈME. DU SUICIDE.
Ce livre est le seizième dans l'ordre
chronologique. Dans la Vie de Plotin (§ 24, p. 29), il est intitulé:
Du Suicide raisonnable. Il doit être rapproché dit livre IX de l'Ennéade I
(§ 7, 8; p. 81-82) et du livre IX de l'Ennéade II (§ 18, p. 309). Il
parait n'être qu'un fragment d'un traité plus étendu. « Hic ipse liber, quem nunc tractamus, pro fragmento potius, utpote paucis tantummodo sententiis absolutus, quam pro justo libro haberi debet. Atque hoc ipsum forfasse sit unum ex vestigiis quae plura exstant (Vid. Fabricii Bibl. gr., V, p. 696, éd. Harles) duplicis recensionis Plotinianorum operum, Eustochianae et Porphyrianae. Illud addam, non credibile esse Porphyrimn sua in recensione tam nudum tamque contractum libellum emisisse, qualis hic ipse est quem nunc habemus, sed potius justum librum, certe omnibus iis argumentis instructum quibus ipse a praeceptore suo Plotino a morte sibi inferenda aversus fuerat. Hic vero libellus speciem habet sciagraphiae, unde demum secundis curis liber suis numeris absolutus effici possit. Haec, si probabiliter ponuntur, simul indicio sunt nos hodie in nostris Codicibus mixtam possidere recensionem, videlicet compositam ex Porphyriana atque Eustochiana. » § I. RAPPROCHEMENT ENTRE LA DOCTRINE DE PLOTIN ET CELLE DE PLATON. Beaucoup de philosophes ont traité la question du suicide. Nous ne citerons ici que Platon, parce que Plotin a évidemment pris pour texte de sa dissertation le passage suivant du Phédon (p. 62; t. I, p. 194 de la trad. de M. Cousin): « Sur quoi se fonde-t-on, Socrate, quand on prétend qu'il n'est pas permis de se donner la mort ? J'ai bien ouï dire à Philolaüs, quand il était parmi nous, et à plusieurs autres encore, que cela n'était pas permis; mais je n'ai jamais rien entendu qui me satisfît 440 à cet égard. - Il ne faut pas te décourager, reprit Socrate; peut-être seras-tu plus heureux aujourd'hui... Si l'on admet que la mort est quelquefois préférable à la vie, il pourra te sembler étonnant qu'alors même on ne puisse, sans impiété, se rendre heureux soi-même, et qu'il faille attendre un bienfaiteur étranger... Cette opinion a bien l'air déraisonnable et cependant elle n'est peut-étre pas sans raison. Je n'ose alléguer ici cette maxime enseignée dans les mystères, que nous sommes ici-bas comme dans un poste, et qu'il nous est défendu de le quitter sans permission. Elle est trop relevée et il n'est pas aisé de pénétrer tout ce qu'elle renferme. Mais voici du moins une maxime qui me semble incontestable, c'est que les dieux prennent soin de nous et que les hommes appartiennent aux dieux. » Cicéron résume ainsi la doctrine de Platon dans le Songe de Scipion : « Quare et tibi, Publi, et piis omnibus retinendus est animus in custodia corporis; nec injussu ejus a quo ille est vobis datus, ex hominum vita migrandum est, ne munus assignatum a Deo defugisse videamini. » § II. MENTIONS ET CITATIONS QUI ONT ÉTÉ FAITES DE CE LIVRE. Dans son Commentaire sur le Songe de Scipion (I, 13), Macrobe, pour développer la pensée de Cicéron que nous venons de citer, résume la doctrine du Phédon et reproduit en le commentant le livre de Plotin. Voici ce morceau, que nous donnons en entier parce qu'il montre l'analogie qu'il y a entre les idées de Platon et celles de Plotin:
«
Quare et tibi, Publi, et piis omnibus retinendus animus est in custodia corporis
nec iniussu eius, a quo ille est uobis datus, ex hominum vita migrandum est, ne
munus humanum assignatum a deo defugisse videamini .» ... Explebo numerum reddarque tenebris. (Virg. Aen. lib. VI, vers 545.)
Haec est igitur naturalis vere mors, quum finem
corporis solus numerorum suorum defectus apportat, non quum extorquetur uita
corpori adhuc idoneo ad continuationem ferendi. Nec levis est differentia vitam
vel natura vel sponte solvendi. Anima enim quum a corpore deseritur, potest in
se nihil retinere corporeum, si se pure, quum in hac nita esset, instituit: quum
vero ipsa de corpore violenter extruditur, quia exit rupto vinculo, non soluto
fit ei ipsa necessitas occasio passionis, et malis, vinculum dum rumpit
inficitur. Hanc quoque superioribus adicit rationem non sponte pereundi. Quum
constet, inquit, remunerationem animis illic esse tribuendam pro modo
perfectionis ad quam in hac vita una quaeque pervenit, non est praecipitandus
vitae finis quum adhuc proficiendi esse possit accessio. Nec frustra hoc dictum
est. Nam in arcanis de animae reditu disputationibus fertur in hac vita
delinquentes similes esse super aequale solum cadentibus, quibus denuo sine
difficultate praesto sit surgere; animas vero ex hac vita cum delictorum
sordibus recedentes, aequandas his qui in abruptum ex alto praecipitique delapsi
sint, unde numquam facultas fit resurgendi. Ideo ergo utendum concessis vitae
spatiis ut sit perfectae purgationis maior facultas.
Dans ce morceau, Macrobe ne se borne pas à
traduire Plotin : il développe ses pensées par des emprunts qu'il fait soit au
Phédon de Platon (12),
soit à d'autres livres de Plotin lui-même, comme nous l'avons indiqué dans les
notes des pages 410, 441. Ὁ μέντοι Πλωτῖνος περὶ εὐλόγου ἐξαγωγῆς γράφων... μὴ ἀμελεῖν λ'εγων πάντη τοῦ σώματος δι' ἐπιμελείαν ψυχῆς, ἀλλά τὴν προσήκουσαν αὐτοῦ ποιεῖσθαι πρόνοιαν, ἕως οὗ ἑκεῖνο ἀνεπιτήδειον γενόμενον διαστήσοι ἑαυτὸ τῆς πρὸς ψυχὴν κοινωνίας· ἄτοπον γὰρ τὸ πρὸ καιροῦ ἐξάγειν ἑαυτόν. Enfin Jean de Salisbury fait allusion à l'opinion de Plotin dans les termes suivants : « ... Licet et in eo [Cato] erraverit, quod auctoritate propria vitae munus abjecit. Quod non modo fidelium institutis, sed constitutionibus gentium et sapientissimorum edictis constat esse prohibitum. Veteres quidem philosophicae principes, Pythagoras et Plotinus, prohibitionis hujus non tam auctores sunt quam precones, omnino illicitum esse clientes, quempiam militate servientem a praesidio et commissa sibi statione discedere contra ducis vel principes jussionem. Plane eleganti exemplo usi sunt, eo quod militia est vita honiinis super terram. » (Policraticus, Il, 27.)
Nous ne mentionnons pas des écrivains plus récents
qui ont pris le suicide pour texte d'éloquentes dissertations et dont les
paroles sont présentes à toutes les mémoires. (01) Ce livre, qui n'est sans doute qu'un fragment d'un livre plus étendu, se rattache aux § 8 et 16 du livre IV de cette même Ennéade. Plotin ne fait que résumer la doctrine exposée par Platon, dans le Phédon. Macrobe a cité et presque traduit ce morceau de Plotin. Voy. le texte du passage de Macrobe, à la fin de ce volume, dans la Note sur ce livre.
(02) Cette
pensée n'est que la citation abrégée d'une maxime attribuée à Zoroastre dans les
Oracles magiques: Μὴ ἐξάξῃς ἵνα μὴ ἐξίῃ ἔχουσά τι
: nous avons suppléé les deux derniers mots, qui
manquaient au texte. « Lorsque l'âme d'un animal est séparée de son corps par violence, elle ne s'en éloigne pas et se lient auprès de lui. Il en est de même des âmes des hommes qu'une mort violente a fait périr; elles restent près de leur corps : c'est une raison qui doit empêcher de se donner la mort. (Traduction de Lévesque de Aurigny.) (04) Plotin fait sans doute allusion ici à ce qu'il a dit en plusieurs endroits du livre Du Bonheur. Voy. ci-dessus, liv. II, § 8 et 16. (05) Voy. Enn. II, liv. IX, §18. (10) Voy. plus haut, p. 384 - 385. (11) Voy. Enn. I, liv. IX, p. 141. (12) Voy. les citations du Phédon qui se trouvent plus haut, p. 381-383, et p. 439-440. « Lorsque tous les dieux, ceux qui exécutent à nos yeux leurs révolutions, comme ceux qui ne se manifestent que quand il leur plaît, eurent reçu naissance, Celui qui a produit lotit cet univers leur parla eu ces mots: « Dieux, fils de Dieux, oeuvres dont je suis l'auteur et le père, produits par moi, vous êtes indestructibles, parce que je le veux. En effet, tout ce qui est composé peut être dissous; mais pour vouloir détruire ce qui est parfaitement ordonné et ce qui est bien, il faut être méchant. Ainsi, puisque vous êtes nés, vous n'êtes point immortels ni indissolubles absolument, et pourtant vous ne serez jamais dissous, et vous ne subirez point la mort, parce que ma volonté est pour vous un lien plus fort et plus puissant que ceux qui, à l'instant de votre formation, ont uni vos parties ensemble. » (Trad. de M. H. Martin, t. I, p. 111.)
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