LES MYTHES DE PLATON |
Le mythe des Enfers
Gorgias.
(523a) ΣΩΚΡΑΤΗΣ
Ἄκουε δή, φασί, μάλα καλοῦ λόγου, ὃν σὺ μὲν ἡγήσῃ μῦθον, ὡς ἐγὼ οἶμαι, ἐγὼ δὲ λόγον· ὡς ἀληθῆ γὰρ ὄντα σοι λέξω ἃ μέλλω λέγειν. Ὥσπερ γὰρ Ὅμηρος λέγει, διενείμαντο τὴν ἀρχὴν ὁ Ζεὺς καὶ ὁ Ποσειδῶν καὶ ὁ Πλούτων, ἐπειδὴ παρὰ τοῦ πατρὸς παρέλαβον. Ἦν οὖν νόμος ὅδε περὶ ἀνθρώπων ἐπὶ Κρόνου, καὶ ἀεὶ καὶ νῦν ἔτι ἔστιν ἐν θεοῖς, τῶν ἀνθρώπων τὸν μὲν δικαίως τὸν βίον διελθόντα καὶ (523b) ὁσίως, ἐπειδὰν τελευτήσῃ, εἰς μακάρων νήσους ἀπιόντα οἰκεῖν ἐν πάσῃ εὐδαιμονίᾳ ἐκτὸς κακῶν, τὸν δὲ ἀδίκως καὶ ἀθέως εἰς τὸ τῆς τίσεώς τε καὶ δίκης δεσμωτήριον, ὃ δὴ Τάρταρον καλοῦσιν, ἰέναι. Τούτων δὲ δικασταὶ ἐπὶ Κρόνου καὶ ἔτι νεωστὶ τοῦ Διὸς τὴν ἀρχὴν ἔχοντος ζῶντες ἦσαν ζώντων, ἐκείνῃ τῇ ἡμέρᾳ δικάζοντες ᾗ μέλλοιεν τελευτᾶν· κακῶς οὖν αἱ δίκαι ἐκρίνοντο. Ὅ τε οὖν Πλούτων καὶ οἱ ἐπιμεληταὶ οἱ ἐκ μακάρων νήσων ἰόντες ἔλεγον πρὸς τὸν Δία ὅτι φοιτῷέν (523c) σφιν ἄνθρωποι ἑκατέρωσε ἀνάξιοι. Εἶπεν οὖν ὁ Ζεύς· « Ἀλλ' ἐγώ, » ἔφη, « παύσω τοῦτο γιγνόμενον. Νῦν μὲν γὰρ κακῶς αἱ δίκαι δικάζονται. Ἀμπεχόμενοι γάρ, » ἔφη, « οἱ κρινόμενοι κρίνονται· ζῶντες γὰρ κρίνονται. Πολλοὶ οὖν, » ἦ δ' ὅς, « ψυχὰς πονηρὰς ἔχοντες ἠμφιεσμένοι εἰσὶ σώματά τε καλὰ καὶ γένη καὶ πλούτους, καί, ἐπειδὰν ἡ κρίσις ᾖ, ἔρχονται αὐτοῖς πολλοὶ μάρτυρες, μαρτυρήσοντες ὡς δικαίως βεβιώκασιν· (523d) οἱ οὖν δικασταὶ ὑπό τε τούτων ἐκπλήττονται, καὶ ἅμα καὶ αὐτοὶ ἀμπεχόμενοι δικάζουσι, πρὸ τῆς ψυχῆς τῆς αὑτῶν ὀφθαλμοὺς καὶ ὦτα καὶ ὅλον τὸ σῶμα προκεκαλυμμένοι. Ταῦτα δὴ αὐτοῖς πάντα ἐπίπροσθεν γίγνεται, καὶ τὰ αὑτῶν ἀμφιέσματα καὶ τὰ τῶν κρινομένων. Πρῶτον μὲν οὖν, » ἔφη, « παυστέον ἐστὶν προειδότας αὐτοὺς τὸν θάνατον· νῦν γὰρ προί̈σασι. Τοῦτο μὲν οὖν καὶ δὴ εἴρηται τῷ Προμηθεῖ (523e) ὅπως ἂν παύσῃ αὐτῶν. Ἔπειτα γυμνοὺς κριτέον ἁπάντων τούτων· τεθνεῶτας γὰρ δεῖ κρίνεσθαι. Καὶ τὸν κριτὴν δεῖ γυμνὸν εἶναι, τεθνεῶτα, αὐτῇ τῇ ψυχῇ αὐτὴν τὴν ψυχὴν θεωροῦντα ἐξαίφνης ἀποθανόντος ἑκάστου, ἔρημον πάντων τῶν συγγενῶν καὶ καταλιπόντα ἐπὶ τῆς γῆς πάντα ἐκεῖνον τὸν κόσμον, ἵνα δικαία ἡ κρίσις ᾖ. Ἔγὼ μὲν οὖν ταῦτα ἐγνωκὼς πρότερος ἢ ὑμεῖς ἐποιησάμην δικαστὰς ὑεῖς ἐμαυτοῦ, δύο μὲν ἐκ τῆς Ἀσίας, Μίνω τε καὶ Ῥαδάμανθυν, (524a) ἕνα δὲ ἐκ τῆς Εὐρώπης, Αἰακόν· οὗτοι οὖν ἐπειδὰν τελευτήσωσι, δικάσουσιν ἐν τῷ λειμῶνι, ἐν τῇ τριόδῳ ἐξ ἧς φέρετον τὼ ὁδώ, ἡ μὲν εἰς μακάρων νήσους, ἡ δ' εἰς Τάρταρον. Καὶ τοὺς μὲν ἐκ τῆς Ἀσίας Ῥαδάμανθυς κρινεῖ, τοὺς δὲ ἐκ τῆς Εὐρώπης Αἰακός· Μίνῳ δὲ πρεσβεῖα δώσω ἐπιδιακρίνειν, ἐὰν ἀπορῆτόν τι τὼ ἑτέρω, ἵνα ὡς δικαιοτάτη ἡ κρίσις ᾖ περὶ τῆς πορείας τοῖς ἀνθρώποις. »
[523a] SOCRATE.
Écoute donc, comme on dit, un beau récit, que tu prendras, à ce que j'imagine, pour une fable et que je crois être un récit très véritable ; je te donne pour certain ce que je vais dire. Jupiter, Neptune et Pluton partagèrent ensemble, comme Homère le rapporte, l'empire qu'ils tenaient des mains de leur père. Or, du temps de Saturne, il y avait sur les hommes une loi, qui a toujours subsisté et subsiste encore parmi les dieux, que celui des mortels qui avait mené une vie juste et [523b] sainte allait après sa mort dans les îles fortunées, où il jouissait d'un bonheur parfait, à l'abri de tous les maux ; qu'au contraire celui allait dans un séjour de punition et de supplice, appelé Tartare. Sous le règne de Saturne, et dans les premières années de celui de Jupiter, ces hommes étaient jugés vivants par des juges vivants, qui prononçaient sur leur sort le jour même qu'ils devaient mourir. Aussi ces jugements se rendaient-ils mal. C'est pourquoi Pluton et les gardiens des îles fortunées étant allés trouver Jupiter lui dirent qu'on lui envoyait [523c] des hommes qui ne méritaient ni les récompenses, ni les châtiments qu'on leur avait assignés. Je ferai cesser cette injustice, répondit Jupiter. Ce qui fait que les jugements se rendent mal aujourd'hui, c'est qu'on juge les hommes tout vêtus; car on les juge lorsqu'ils sont encore en vie. Plusieurs, poursuivit-il, dont l'âme est corrompue, sont revêtus de beaux corps, de noblesse et de richesses ; et lorsqu'il est question de prononcer la sentence, il se présente une foule de témoins en leur faveur, prêts à attester qu'ils ont bien vécu. [523d] Les juges se laissent éblouir par tout cela; et de plus eux-mêmes jugent vêtus, ayant devant leur âme des yeux, des oreilles, et toute la masse du corps qui les enveloppe. Cet appareil, qui les couvre eux et ceux qu'ils ont à juger, est pour eux un obstacle. Il faut commencer par ôter aux hommes la prescience de leur dernière heure ; car maintenant ils la connaissent d'avance. Aussi déjà l'ordre est donné à Prométhée [523e] qu'il change cela. En outre, je veux qu'on les juge entièrement dépouillés de ce qui les environne, et qu'à cet effet ils ne soient jugés qu'après leur mort ; il faut aussi que le juge lui-même soit nu, qu'il soit mort, et qu'il examine immédiatement avec son âme l'âme de chacun, dès qu'il sera mort, séparée de tous ses proches, et ayant laissé sur la terre l'attirail qui l'environnait, de sorte que le jugement soit équitable. J'étais instruit de ce désordre avant vous : en conséquence j'ai établi pour juges trois de mes fils, deux d'Asie, Minos et Rhadamanthe, [524a] et un d'Europe, savoir, Éaque. Lorsqu'ils seront morts, ils rendront leurs jugemens dans la prairie, à un endroit d'où partent deux chemins, dont un conduit aux îles fortunées, et un autre au Tartare. Rhadamanthe jugera les hommes de l'Asie, Éaque ceux de l'Europe : je donnerai à Minos l'autorité suprême pour décider en dernier ressort dans les cas où ils se trouveraient embarrassés l'un ou l'autre ; ainsi une justice parfaite dictera la sentence qui sera portée sur la route que les hommes doivent prendre.