Platon : Cratyle

PLATON

LE SOPHISTE- Σοφιστής NOTES

 

Traduction française · Victor COUSIN.

VOLUME XI

(256c - 268d) - LE POLITIQUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PLATON

 

LE SOPHISTE- Σοφιστής

 

 

 

 

 

 

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505 NOTES SUR LE SOPHISTE.

Ici, comme pour le Cmtyle, nous avons eu l'édition d'Heindorf, les éditions générales de Beltker et de Aet,et la traduction allemande de Sçhlefermαcher.

506 Ce dialogue, si important pour l'histoire de la philosophie ancienne, antérieure à Platon, et si peu exploité par les historiens, paraît en français pour la preqaière fois.

PAGE 165. — J'accepte avec grand plaisir Théétète pour interlocuteur, d'après l'entretien que j'ai eu tout à l'heure avec lui....

Il semble qu'il s'agit ici du Théétète, qui se termine en effet par un engagement de reprendre la conversation le lendemain ; et comme dans cette conversation de la veille on avait déjà cherché le philosophe, et que la définition du philosophe peut sembler le but de Théétète, ce dialogue a l'air de .servir d'introduction au Sophiste et au Politique, avec lesquels il formerait une trilogie; et toutes ces raisons paraissent avoir entraîné Ast {Platon's Leb. u. Schr., p. 212). Mais elles tombent devant ce fait que l'étranger d'Élée ne joue aucun rôle dans le Théétète. Il faut donc supposer ou un autre dialogue de Platon, qui ne serait pas venu jusqu'à nous, et dont Diogène nι personne dans l'antiquité n'aurait entendu parler, ce qui est inadmissible; ou regarder la phrase, dont nous nous occupons, comme une simple donnée dramatique et tout-à-fait imaginaire. ,

PAGE 175. — Dans cette dernière espèce de 507  chasse, nous avons pris la division inférieure.... BEKKER , p. 135 : ἐνυγροθηρικοῦ δὲ τὸ κάτωθεν τμῆμα ὅλον ἁλιευτικόν....

J'ai cru devoir suivre dans la traduction le sens que Heindorf, Schleiermacher et Ast s'accordent à donner à τὸ κάτωθεν τμῆμα. Cependant cette expression est étrange, appliquée à l'un des deux membres d'une division par opposition à l'autre. Heindorf lui-même en a fait fe remarque ; mais l'explication qu'il propose, à savoir, que Platon ne représenta pas ici les deux membres de chaque division comme à côté l'un de l'autre sur une même ligne, mais comme placés l'un sous l'autre, n'explique rien; car la difficulté est précisément d'admettre l'hypothèse sur laquelle elle est fondée, puisque Platon lui-même, quelques lignes plus haut, représente chaque division comme partageant un tout en deux moitiés : τὸ ἥμισυ μέρος. Peut-être donc faut-il entendre par τὸ κάτωθεν τμῆμα la division de la chasse qui s'exerce dans le fluide d'en bas, c'est-à-dire dans l'eau, comme il est dit dans les lignes qui suivent : τὴν κάτωθεν ἄνω πλήγην.

PAGE 182. — Ainsi, Théétète, il résulte de tout ce que nous venons de dire, que par la sophistique, il faut entendre l'art de s'approprier, d'acquérir avec violence, à la chasse aux  508 animaux marcheurs, terrestre» et apprivoisés , à la chasse de l'espèce humaine, chasse privée qui poursuit un salaire, un salaire payable en argent comptant, et qui prend par l'appât trompeur de la science, des jeunes gens riches et de distinction. BEKKER , p. 140 : Κατὰ δὴ τὸν νῦν, ὦ Θεαίτητε, λόγον, ὡς ἔοικεν, ἡ τέχνης οἰκειωτικῆς, χειρωτικῆς, [κτητικῆς,] θηρευτικῆς, ζῳοθηρίας, [πεζοθηρίας,] χερσαίας, [ἡμεροθηρικῆς,] ἀνθρωποθηρίας, , ἰδιοθηρίας, [μισθαρνικῆς,] νομισματοπωλικῆς, δοξοπαιδευτικῆς, νέων πλουσίων καὶ ἐνδόξων γιγνομένη θήρα προσρητέον, ὡς ὁ νῦν λόγος ἡμῖν συμβαίνει, σοφιστική.

Malgré l'autorité de Schleiermacher et de Beiter, et malgré le tour plus aisé que les retranchemens proposés donneraient à la traduction, je n'ai pu considérer ce passage comme corrompu et interpolé. 1° Les manuscrits ne contiennent aucune variante essentielle. 2° Les mots prétendus interpolés, κτητικῆς, πεζοθηρίας, ἡμεροθηρικῆς, μισθαρνικῆς, ne sont pas des commentaires arbitraires; ce sont des termes déjà employés dans la division qui sert de fondement à la définition. Ils sont ici dans l'ordre où Platon les à d'abord placés, et ils marquent des degrés dans l'énumération qu'il est impossible d'omettre dans le résumé : plusieurs même se trouvent déjà dans un premier résumé, placé plus 509 haut, comme une première halte sur la route assez pénible de cette définition par énumération. Les critiques proposent de retrancher κτητικῆς; mais c'est avec οἰκειωτικῆς, le mot général qui soutient tout ce morceau, et qui exprime le but dernier de la sophistique: ce but, c'est de s'approprier, οἰκειωτικῆς ; c'est d'acquérir, κτητικῆς. Ce mot est déjà employé à l'entrée même de la définition, Bekker. P. 132. Puis il est modifié par celui de χειρωτικῆς, l'art d'acquérir violemment. Χειρωτικης tout seul, sans κτητικῆς, présenterait le genre inférieur sans le genre supérieur, la modification sans la chose à modifier; et en grec rien n'empêche que la modification ne précède, comme en français elle suit; ou plutôt χειρωτικῆς κτητικῆς sont inséparables : c'est le développement de οἰκειωτικῆς. Pour πεζοθηρίας, il est déjà, p. 133, et il devait être reproduit, car il exprime un pnogrès nécessaire de la définition. Nous voilà à la chasse aux animaux marcheurs; nous nous approchons de l'homme ; nous y arrivons par ἡμεροθηρικῆς, la chasse aux animaux marcheurs apprivoisés. Supposez que dans ce résumé ἀνθωποθηρίας ne soit pas précédé, comme dans l'énuraération, par ἡμεροθηρικῆς, la transition serait trop brusque et le résumé sans lumière. Le résumé ne doit reprendre que les points essentiels, mais il doit les reprendre tous et dans leur ordre. Je défendrais même μισθαρ- 510 νίκῆς, qui est expliqué par ce qui suit, νομισματοπολικῆς. Le salaire cherché n'est pas seulement la nourriture, ce qui est l'objet du parasite, c'est de l'argent comptant.

En avançant on rencontre une nouvelle discussion sur la sophistique, dont κτητικῆς est encore le point de départ, p. 140-143 : ἴθι δὴ, et cette discussion a aussi son résumé. Dans ce résumé il ne faut exclure aucun mot du texte connu, car tous ces mots résument les progrès de la discussion. Schleiermacher et Bekker ont ici été fidèles au texte. Par le même principe, ils auraient du l'être aussi dans le premier passage, qui est analogue à celui-ci.

Enfin, p. 146, nouvelle discussion, nouveau résumé, où reparaît encore κτητική, comme le pivot de toutes ces discussions, τῆς κτητικῆς, ὡς ὁ λόγος αὖ μεμήνυκε νῦν.

Par ces motifs, je maintiens toutes les anciennes leçons de ce passage.

PAGE 192. — Par exemple, des mots clarifier, cribler, vanner, trier. BEKKER, p. 146: τὰ τοίαδε, οἷον διηθεῖν τε λέγομεν καὶ διαττᾶν καὶ. βράττειν καὶ διακρίνειν.

Les critiques ont remarqué que le mot ίιακρίνειν n'est pas un terme technique, désignant une opération particulière, comme les mots précédents, διηθεῖν 511 διαττᾶν, βράτττειν, et comme les suivants, ξαίνειν, κατάγειν, κερκίζειν; et qu'en outre il est étrange que Platon fasse d'un même mot, διακρίνειν, le nom du genre et le nom de l'une des espèces. Il est donc permis de conjecturer que διακρίνειν cache ici un mot analogue, désignant une opération particulière de démêlement. Mais quel peut être ce mot? C'est ce qu'il est impossible de déterminer avec certitude. J'ai donc cru devoir me servir dans la traduction du mot indéterminé et vague de trier, qui s'éloigne le moins possible de διακρίνειν. Toutefois, dans l'unanimité des manuscrits, je ne regarde pas comme absolument impossible que Platon ait employé deux fois le même mot, en le prenant d'abord dans le sens le plus matériel et le plus étroit, puis dans un sens plus général. Διακρίiνειν, denteler, est d'abord un des quatre exemples qu'il cite; puis il les résume tous sous le nom de celui d'entre eux qui est le plus compréhensif.

PAGE 211. —Tu veux parler sans doute des écrits de Protagoras, sur la palestre et les autres arts.

Schleiermacher soupçonne que c'est de ce passage que Diogène a tiré la mention de l'écrit de Protagoras sur la palestre; il prétend qu'il n'est pas vraisemblable que Protagoras ait jamais composé un tel 512 écrit, et que c'est ici une variante, en style figure, du titre des fameuses ἀνπλογίαι de Protagoras. Je repousse toutes ces conjectures. Platon s'exprime ici trop positivement, et il est bien plus raisonnable d'expliquer Platon et Diogène l'un par l'autre, que de les accuser tous deux sans aucun fondement. Les sophistes enseignaient tous les arts. Par exemple, dans l'Enthydème, on voit qu'Euthydème et Dionysodore savaient fort bien se battre, armés de toutes pièces, et qu'ils l'enseignaient à qui les payait, p. 362 de notre traduction, t. III, et surtout p. 365 : « Ils ont une parfaite connaissance de l'art militaire,, de tout ce qu'il faut à un bon général pour bien commander une année, la ranger en bataille et lut faire faire l'exercice. »

PAGES 232-233. — Eh bien ! étranger, que dire d'un simulacre, sinon.... BEKKER, p. 176,

Ici je suis Bekker contre Schleiermacher et Heindorf. Le vice radical de la ponctuation de Schleiermacher, c'est de donner au jeune Théétète la reprise: ἀλλ' ἔστι γε μήν, reprise qui ouvre une autre voie au raisonnement et conduit à une conséquence opposée à la précédente. C'est l'auteur de cette remarque qui est le vrai chef de la conversation. Car elle contient d'avance la conséquente extiréme : donc l'apparence, ee qui paraît étre, n'est pas réellement un 513 non être. Il est évident que l'étranger seul peut faire cette réserve. Ce point établi, tout le reste.s'ensuit. Avec Bekker, je ne laisse à Théétète que πῶς, exclamation naturelle dans sa bouche à l'étrange énoncé de l'Éléate. Et celui-ci répond: «Oui, puisque tu as dit que réellement il n'est pas. » Et Théétète qui n'aperçoit pas la portée de cet aveu, le répète bravement.: « Non, il n'existe pas: ce n'est réellement qu'une apparence. » Et alors l'Éléate tire la conclusion : « Donc ce que nous appelons réellement une apparence n'est réellement pas un pur non-être. » Autant ce raisonnement est clair et simple dans sa subtilité même, autant celui de Schleiermacher est embrouillé : Théétète y est tout aussi délié que l'Éléate. .

Raisons de détail contre la leçon de Schleiermacher.

1. Si on veut lire avec Heindorf et Schleiermacher οὐκοῦν ἀληθῶς γε φής, sur la foi d'un grand nombre de manuscrits, alors il faudrait lire aussi οὐκοῦν ἄρα dans la reprise de l'Éléate; caries mêmes manuscrits qui donnent la première leçon donnent la seconde, et on ne peut les accueillir dans un cas et les repousser dans un autre. Or, les admettre tous renverse le sens entier de la phrase. Donc il faut lire : οὐκ ὃν ἀληθ.

2. Si on lit οὐκοῦν ἀληθῶς γε φής, il faut entendre : mais tu ne le dis pas véritablement (que ce qui pa- . 514 raît étre est). D'abord ce sous-entendu aurait dû être exprimé. Ensuite le γε après οὐκοῦν n'a plus sa force naturelle et devient superflu.

3. La réponse : πλήν γε εἰκὼν ὄντως voudrait dire en ce cas : mais l'apparence est réellement. Or, le grec résiste à ce sens. D'abord il n'y a pas ἡ εἰκών. Puis, γε, qui est toujours restrictif, serait ici employé dans une intention bien différente. Enfin, πλήν est inexplicable. Le sens naturel est: οὐ γὰρ οὖν, non; il n'est pas, ce n'est qu'une apparence réellement.

4. Enfin, ὄντος, que propose Heindorf, au lieu de ὄντως, dans la conclusion de l'Éléate, se trouve dans très peu de manuscrits, et exigerait toῦ.

6. Un dernier motif, c'est que plus bas l'Éléate dit : « Tu vois qu'au moyen de ce changement inattendu notre sophiste nous a forcés de reconnaître en dépit de nous-mêmes (οὐκ ἐκόντας ἠνάγκακε ὁμολογεῖν) que l'être est d'une certaine manière. » Or, si Théétète eût dit : Et pourtant l'apparence existe, et s'il fallait entendre dans sa bouche πλὴν γ' εἰκὼν ὄντως par : l'apparence existe réellement; il serait impossible de lui dire qu'il a été forcé d'avouer : ce serait lui bien plutôt qui aurait forcé l'Éléate, et qui aurait été l'introducteur et l'interprète du sophiste. Π semble donc que celui qui parle ici est l'auteur de ce changement inattendu qui commence à : ἀλλ' ἔστι γε μήν.


515 PAGE 236. — Après que nous ayons précédemment reconnu que ce qui n'est pas.... BEKKER, p. 178: δταν ἄφθ.... προδιωμολογημένα ᾗ τὰ πρὸ τούτων ὁμολογήθέντα.

J'admets avec Heindorf et Schleiermacher que τὰ πρὸ τ. ὁμολ. soit là pour τὰ μηδαμῶς ὄντα, dont il a été en effet parlé plus haut. Il serait même possible que cette formule τὰ π. τ. ὁμ., si peu élégante, après προδιωμολογημένα, fût, non la périphrase, mais la corruption de τὰ μηφαμῶς ὄντα. Je ne conçois pas que Bekker trouvant dans ses manuscrits λέγει, rapporté au sophiste, ait conservé la leçon λεγεῖν si évidemment vicieuse.

PAGE 247. — Il ne serait même pas raisonnable de reconnaître qu'il y eût aucun nom. BEKKER, p. 186 : καὶ τὸ παράπαν γε ἀποδέχεσθαι τοῦ λέγοντος ὡς ἔστιν ὄνομά τι, λόγον οὐκ ἂν ἔχον.

La leçon ἔχον, que contiennent un grand nombre de manuscrits, et que Schleiermacher et Bekker adoptent, donne un sens trop embarrassé. La correction si spécieuse d'H. Etienne, λόγον οὐκ ἂν ἔχοι, s'appuie aussi sur un manuscrit, et je n'ai pas hésité à l'adopter, à l'exemple d'Heindorf.

PAGE 250. — Parce que, ce qui arrive à l'exis- 516 tence, y arrive toujours formant un tout; en sorte qu'on ne doit reconnaître ni existence ni génération, si l'on ne met pas le tout au nombre des êtres. BEKKER, p. 189 : (τὸ ἓν ἢ) τὸ ὅλον ἐν τοῖς οὖσι μὴ τιθέντα.

Pour la facilité du raisonnement et de la traduction, j'ai, avec Heindorf, Schleiermacher et Bekker, retranché τὸ ἓν ἢ ; mais je n'entends pas rejeter ces mots du texte; et même, à la réflexion, je suis plutôt d'avis de les replacer dans la traduction. D'abord ils sont dans tous les manuscrits. Ensuite le tout venant de l'un, et s'y rapportant, l'attire ici dans la phrase comme dans la pensée. Tout ce qui est pu paraît est nécessairement un, soi et non pas un autre; doncr si on n'admet pas l'unité ou la totalité qui en dérive au nombre des êtres, on ne peut admettre ni être ni génération. Loin de retrancher το ev η devant τὸ ὅλον, pour bien comprendre la phrase, il faut le replacer en idée devant le premier ὅλον : tout ce qui arrive à l'existence y arrive un et formant un tout. Les ipots un tout marquent déjà le rapport exprimé plus bas positivement.

PAGE 252. -- Aussi leurs adversaires s'en vont-ils avec raison pour les combattre, chercher dans une région supérieure et invisible des formes intelligibles et incorporelles, qu'ils les 517 forcent cle reconnaître pour les véritables êtres. BAKKER , p. 190 : τοιγαροῦν οἱ πρὸς αὐτοὺς ἀμφισβητοῦντες μάλα εὐλαβώς ἄνωθεν ἐξ ἀοράτου πόθεν ἀμύνονται, νοητὰ ἅττα καὶ ἀσώματα εἴδη βιαζόμενοι τὴν ἀληθινὴν οὐσίαν εἶναι....

Par cette philosophie qui reconnaît εἴδη νοητὰ καὶ ἀσώματα, Platon ne peut entendre sa propre école; car on verra plus bas qu'il met cette philosophie, avec le matérialisme des physiciens de l'école d'Ionie et la doctrine des Éléates, au nombre des hypothèses incomplètes, qui ne peuvent rendre compte ni de l'être ni du non-être. P. 271 : « Aussi bien parmi ceux qui mettent l'univers en mouvement que parmi ceux qui le tiennent au repos, comme étant un, et ceux enfin qui, dans le système des idées, veulent que l'être demeure toujours invariable et dans le même état....» Bekker, p. 203 : ὅσοι κατ' εἴδη τὰ ὄντα κατὰ ταῦτα ὡσαύτως ἔχοντα εἶναί φασιν ἀεί. Ajoutez que dans ce dernier passage on ne peut mieux distinguer de l'école d'Élée, qui fait l'univers immobile dans l'unité, les partisans des idées qui le font toujours le même dans les idées qui le dominent. On ne peut done croire que Platon, dans le passage précédent, ait.parlé des Éléates; et il faut chercher une autre école à laquelle on puisse rapporter à la fois ces deux passages; et la seule école qui se présenta est celle 518 de Mégare, sortie à la fois de l'école de Parmédide et de l'école de Socrate, et contemporaine de Platon.

PAGE 260. — Évidemment ils diront que ce ne sont là ni des actions ni des passions; autrement ils diraient le contraire de ce qu'ils ont avancé tout à l'heure. — J'entends. — C'est à dire que.... BEKKER, p. 195.

Je me suis décidé, avec Schleiermacher, a maintenir l'ancien ordre d'interlocution.Van-Heusde, Heindorf et Bekker rapportent à Théétète la phrase évidemment, en réunissant j'entends et c'est-à-dire en une seule phrase, qu'ils attribuent à l'étranger. Schleiermacher avoue que la phrase affirmative, évidemment, n'est pas très naturelle dans la bouche de l'étranger, à la suite des phrases interrogatives qui précèdent, et que celle-là, comme le remarque Heindorf, devrait aussi être interrogative, et par conséquent que δῆλον devrait être précédé d'une particule interrogative, telle que ἦ, le personnage qui fait une demande dans les dialogues de Platon ne faisant pas lui-même immédiatement la réponse, sans la proposer encore comme une demande nouvelle, avec quelque -formule de doute. Il ajoute même qu'il est difficile de séparer μανθανῶ de τοτόδεγε ὡς, puisqu'il n'y a pas plus de raison pour faire  519 commencer l'autre personnage à ὡς qu'à τόδεγε. Mais il lui semble que si on rapporte à Théétète évidemment, on lui attribue une intelligence trop prompte de la relation- de la connaissance avec l'action, la passion et le mouvement, et qu'on fait jouer à l'étranger le rôle du jeune homme en lui faisant dire μανθανῶ qu'au contraire, si c'est Théétète qui dit μανθανώ le τόδεγε, dans la bouche de l'étranger, est une introduction naturelle à ce qui suit, et où l'on voit que si Théétète avait compris la première conséquence (τόδεγε), la seconde, dont l'exposition commence à Mais quoi : τί  daµi...., ne s'était pas présentée à son esprit.

PAGES 261-263. — Mais quoi, par Jupiter ! Nous persuadera-t-on si facilement que dans la réalité, le mouvement, la vie, l'âme, l'intelligence ne conviennent pas à l'être absolu; que cet êtçe ne vit ni ne pense, et qu'il demeure immobile, immuable, sans avoir part à l'auguste et sainte intelligence ? BEKKER , p. 196 sqq.

Tout ceci était présent à Aristote ou était profondément passé dans son esprit, lorsqu'il écrivait l'admirable chapitre du douzième livre de la Métaphysique, où il revendique pour l'être en soi la pensée et la vie. L'identité des idées amène des formules 520 analogues. Ainsi, le σεμνὸν καὶ ἄγων νοῦν de Platon rappelle la célèbre phrase du ch. IX : εἴτε γὰρ μηθὲν voιεῖ, τί ἂν εἴη τὸ σεμνόν.. διὰ γὰρ τοῦ νοειῖν τὸ τίμιον αὐτῷ ὑπάρχει. Ici, comme en bien d'autres choses, l'invention et la substance de la pensée appartient à Platon , une forme plus concise à Aristote. Il en faut dire autant des argumens de Platon contre l'immobilité de l'être absolu des Éléates et des Mégariques, argumens qu'Aristote a repris et dirigés contre les Idées platoniciennes.

PAGE 271. — Et ceux encore qui font l'univers tantôt un et tantôt multiple, soit qu'ils dis-ti η gisent l'unité et l'infini sorti de l'unité, ou bien des élémens finis avec lesquels ils construisent un tout, qu'ils supposent que cette combinaison se renouvelle ou qu'ils la fassent éternelle. BEKKER , p. 203.

Il s'agit ici évidemment d'Heraclite et surtout d'Empédocle, et ce passage se rapporte à celui de la p. 241, où il est parlé des muses d'Ionie et de Sicile.

PAGE 275. — Rechercher si les genres se tiennent en toutes choses de manière à pouvoir se mêler indistinctement les uns avec les autres.... BEKKER , p. 206 : καὶ δὴ καὶ διὰ πάντων εἰ συνέχοντα ταῦτα ἐστίν, ὥστε συμμίγνυσθαι δυνατὰ εἶναι.

521 Je conserve, avec Bekker et Ast, la leçon ταῦτα, donnée par tous les manuscrits, contre Heindorf et Schleiermacher, qui la changent en τοιαῦτα; et je rapporte συνέχοντα et ταῦτα à γένη qui précède. Ὥστε n'exige pas un corrélatif aussi prononcé que τοιαῦτα. Schleiermacher prétend qu'il ne peut être question ici de savoir si les γενή sont eux-mêmes συνέχοντα, mais bien s'il y a des συνέχοντα qui servent au mélange, des γένη , comme il a été dit plus haut que les voyelles servent à lier les consonnes. Cela est vrai, si on prend συνέχοντα à l'actif; mais on peut le prendre au neutre , comme je l'ai fait et comme l'a fait avant moi Ficin, qui traduit ainsi : Si ista conveniunt adeo ut commisceri possint. J'ajoute que si on change ταῦτα en τοιαῦτα, γένη se trouve être à la fois le régime de συνέχοντα et le sujet de δυνατὰ εἶναι, ce qui rend la construction obscure et vicieuse.

PAGE 276. — Ainsi, celui qui est capable de faire ce travail, etc. BEKKER, p; 207 : οὐκοῦν ὅγε τοῦτο δυνατὸς δρᾷν....

J'ai entièrement adopté l'explication que Heindorf a proposée de ce passage. Schleiermacher l'entend tout autrement; il pense qu'il est toujours question de la distinction différentes classes d'idées, selon qu'elles peuvent se mêler à tout, ou qu'elles ne se mêlent à rien, ou qu'elles se mêlent à certaines 522 choses, et ne se mêlent pas à certaines autres. Ces différentes sortes d'idées seraient, suivant lui, celles dont il est question un peu plus bas, l'être, lé repos et le mouvement, le même et l'autre. Par μίαν ἰδέαν διὰ πολλών, ἑνὸς ἑκάστου κειμένου χωρὶς, πάντῃ διατεταμένην, il faudrait entendre l'être, en prenant διὰ πολλών pour l'équivalent de δια πάντων. Πολλὰς ἑτέρας ἀλλήλων ὑπὸ μιᾶς ἔξωθεν περιεχομένας se rapporterait à l'idée du même, qui embrasse plusieurs idées différentes d'une manière toute extérieure, ἔξωθεν, comme par exemple le mouvement et le repos dont on peut dire qu'ils sont le même, en tant qu'ils sont l'un et l'autre, quoique absolument différents entre eux. Μίαν αὖ δι' ὅλων πολλῶν ἐν ἑνὶ ξυνημμένην se rapporterait à l'idée de l'autre, qui réunit plusieurs choses par leur rapport commun à une seule, ἐν ἑνί, autre qu'elles toutes. Enfin, πολλὰς χωρὶς πάντῃ διωρισμένας désignerait les idées opposées telles que le mouvement et le repos, etc., qui n'ont rien de commun l'un avec l'autre. Heindorf remarque fort bien que μία ἰδέα διὰ πολλῶν, etc., ne s'applique pas moins bien aux idées du même et de l'autre, qu'à l'idée de l'être. On peut ajouter que πολλὰς ἑτέρας ἀλλήλων, etc., s'appliquerait aussi bien à l'idée de l'autre qu'à celle du même, même en donnant à l'expression ἔξωθεν περιεχομένας la force que lui attribue Schleiermacher ; car la différence des choses en tant qu'elles diffèrent 523 toutes d'une même chose à laquelle on les compare, n'est pas un caractère moins extérieur que l'identité attribuée à des choses différentes par cela seul qu'elles sont. En outre, Schleiermacher avoue lui-même que l'explication qu'il propose ne tient pas suffisamment compte de l'opposition établie par Platon, d'abord entre μία διὰ πολλῶν et πολλαὶ ὑπὸ μίας, puis entre μία διὰ πολλῶν et πολλαὶ πάντῃ χωρὶς διωρισισμέναι. Enfin, j'ajoute que διαιρεῖσθαι κατὰ γένος qui précède tout ce passage, et διακρίνειν κατὰ γένος qui le résume, prouvent suffisamment qu'il y est question de la subordination des genres, des espèces et des individus. Μία ἰδέα διὰ πολλῶν, etc., c'est l'idée de l'espèce qui réunit les individus; πολλὰς ἑτέρας ἀλλήλων, etc., ce sont les espèces comprises dans l'extension d'un même genre ; ὅλα πολλά, etc., sont les genres contenus dans des genres plus élevés; πολλαὶ χωρὶς πάντῃρ διωρισμέναι sont les espèces ou idées qui ne peuvent se ramener à un genre supérieur.

PAGE 287. — Ca la nature de l'autre, répandue en tout.... BEKKER, p. 214: κατὰ πάντα γὰρ ἡ θατέρου φύσις....

La nature de l'autre, ἡ φόσις, c'est l'idée, c'est le genre de l'autre; comme il a été dit plus haut, Bekker, p. 212 : μετέχων τῆς ἰδέας τῆς θατέρου, et plus bas : 524 ἡ θατέρου φύσις, Bekker, 516, 1. θ, et encore plus bas; ibid., 1. 17 sqq. Φύσις est employé constamment pour l'idée; c'est l'antécédent du sens si fréquent de φύσις dans Aristote, où φύσις se prend perpétuellement pour μορφή , εἶδος, τά τι, τότι ἦν εἶναι.

PAGE 293. — Et comme nous avons vu que le grand est grand, que le beau est beau, que le non grand est non grand, et que le non beau est non beau, de même avons-nous dit et devons-nous encore dire que le non-être existe à l'état de non-être.... BEKKER , p. 218.

Boeckh, Heindorf, Schleiermacher et Bekker, retranchent les mots καὶ τὸ μὴ μέγα μὴ μέγα καὶ τὸ μὴ κάλον μὴ καλόν. Mais d'abord tous les manuscrits les donnent; ensuite ils servent à amener τὸ μὴ ὃν ἔστι μὴ ὄν, et je les crois nécessaires logiquement.

PAGE 296. — Eh effet, mon cher, cette manie de séparer toutes choses les unes des autres, absurde en elle-même, annonce un esprit étranger aux muses et à la philosophie. BEKKER, p. 221.

Schleiermacher soupçonne que toute cette polémique est dirigée contre Antisthènes, Aristote, Métaph. V, 29 ; et, en effet, la fin du Sophiste a bien l'air de renfermer une foule d'allusion,, dont la trace précise nous échappe.

525 PAGE 308, — C'est-à-dire ce qui est autre que ce qui est sur ton compte. BEKKER, p. 229.

Il m'a été impossible de ne pas adopter, avec tous les critiques, la correction de Gornarius, όντων pour ὄντων, malgré l'unanimité des manuscrits.

PAGE 310. — Et quand cela se fait en silence dans l'âme par la pensée, n'est-ce pas opinion qu'il faut l'appeler? BEKKER, p. 231.

Ast reproche à Schleiermacher d'avoir traduit ici δόξα par Vorstellung, représentation, qui traduirait mieux φαντασία, et il propose de rendre δόξα par Urtheil, jugement. Dans le Théétète, j'ai traduit δόξα par jugement, parce qu'il importait d'y distinguer sévèrement la δόξα de l'αἰσθήσις. Mais il m'a paru qu'ici, et dans la plupart des cas, le mot opinion qui implique un acte de l'esprit, sans dire si c'est un jugement proprement dit ou une aperception immédiate, tenait le juste milieu entre la prétention de Ast et la traduction de Schleiermacher, entre une intuition de la pure imagination et une opération toute logique.

 

(01) Théodore de Cyrène, musicien, astronome, et surtout géomètre distingué, dont Platon, au rapport de Diogène de Laërte, avait suivi les leçons à Cyrène. Théodore figure aussi dans le Politique et dans le Théitète, où il défend les opinions de Protagoras.

(02) Homère, Od„ VII, 485; IX, 270.

(03) Sophiste, dans le sens primitif du mot, signifiait sage, savant, habile.

(04) Θύμος, cette partie de l'âme qui est susceptible des émotions généreuses, et qui, bien qu'elle se rapporte au fond passionné de notre nature, est capable de résister aux passions vulgaires et aux plaisirs de la sensibilité. Voyez la Rèpublique, t. X, notes, p. 350.

(05) Diog., IX, 55.

(06) S'agit-il ici de la coutume de Lacédémone, où pour obtenir justice on s'adressait au roi, qui renvoyait les parties devant les juges compétents (Xen. de Lac. rep. c. XIII), ou plutôt n'est-ce pas une allusion à ces grandes chasses qu'on exécutait en Asie par l'ordre du grand roi, et où ce prince commandait en personne comme à la guerre? (Xenop. Cyrop., l. I.).

(07) Fulleborn, Fragm. d. Parm. p. 98.

(08) Schleiermacher (Einl, p. 142) pense que ceci se rapporte à quelque philosophe de l'école ionienne.

(09) Probablement Àrchelaüs, disciple d'Anaxagoras. Diog, II, 16. Plut, de plac. philos., II, 25.

(10) Heraclite et Empédocle. Simplic., in Aristot. phys., I, p. ii.

(11) Parmen, v. 97-100;  ed. Fulleborn.

(12) Les physiciens de l'école ionienne, et surtout l'école aitomistique.

(13) L'école de Mégare.

(14) Les enfants désirent tout, et au lieu de choisir e»tre deux choses qui leur plaisent, ils les demandent toutes deux.

(15) Euryclès, devin, qui croyait loger dans son ventre un démon qui lui révélait l'avenir. Aristophane, Guêpes, ν. 1014, Schol. ad Ptat.

(16) Voyez p. 223.

(17)Traduction littérale de ce passage, fort obscur, et qu'aucun des critiques n'a pu encore expliquer. Tout ce que Heindorf déclare en comprendre, c'est qu'il s'agit du renversement des objets de droite à gauche dans un miroir. On verra dans le Tîmée un passage non moins obscur sur le même sujet.

(18) Homère, Iliade, VI, 211.