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PLATON

République

LIVRE 1

texte grec

Oeuvres de Platon

Victor Cousin

Lois 12 tome VIII - tome IX République 2

 

 

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OEUVRES

DE PLATON

TRADUITES

PAR VICTOR COUSIN.

TOME NEUVIÈME.

PARIS,

REY ET GRAVIER, LIBRAIRES,

QUAI DES AUGUSTINS, N° 45.

1833.


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LA RÉPUBLIQUE.

La scène de ce dialogue, que Socrate raconte, est au Pirée, dans la maison de Céphale.

Sous-interlocuteurs: SOCRATE, GLAUCON, POLEMARQUE, THRASYMAQUE, ADIMANTE, CÉPHALE.

LIVRE PREMIER.

[327a] J'étais descendu hier au Pirée avec Glaucon (01), fils d'Ariston, pour Élire notre prière à la déesse et voir aussi comment se passerait la fête (02), car c'était la première fois qu'on la célébrait. La


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pompe (03), formée par nos compatriotes, me parut belle, et celle des Thraces ne l'était pas moins. [327b] Après avoir fait notre prière et vu la cérémonie, nous regagnâmes le chemin de la ville. Comme nous nous dirigions de ce côté, Polémarque, fils de Céphale (04), nous aperçut de loin, et dit à son esclave de courir après nous et de nous prier de l'attendre. Celui-ci m'arrêtant par derrière par mon manteau : Polémarque, dit-il, vous prie de l'attendre. Je me retourne et lui demande où est son maître: Le voilà qui me suit, attendez-le un moment. Eh bien, dit Glaucon, nous l'attendrons.

[327c] Bientôt arrivent Polémarque avec Adimante, frère de Glaucon, Nicérate, fils de Ni-


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bias (05), et quelques autres qui se trouvaient là s'en revenant de la pompe.

Socrate, me dit Polémarque, il paraît que vous retournez à la ville?

Tu ne te trompes pas, lui dis-je,

Vois-tu combien nous sommes?

Oui.

Vous serez les plus forts ou vous resterez ici.

Mais il y a un milieu; c'est de vous persuader de nous laisser aller.

Comment nous persuaderez-vous, si nous ne voulons pas vous entendre ?

En effet, dit Glaucon, cela n'est pas facile.

Hé bien! reprit Polémarque, soyez sûrs que nous ne vous écouterons pas.

[328a] Ne savez-vous pas, dit Adimante, que ce soir la course des flambeaux (06), en l'honneur de la déesse, se fera à cheval ?

A cheval! m'écriai-je; cela est nouveau. Comment, c'est à cheval qu'on se passera les flambeaux et qu'on disputera le prix !

Oui, dit Polémarque ; et de plus il y aura une veillée (07) qui vaudra la peine d'être vue. Nous


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sortirons après souper pour l'aller voir. Nous trouverons là plusieurs jeunes gens, et nous causerons ensemble. [328b] Ainsi restez, je vous prie.

Je vois bien qu'il faudra rester, dit Glaucon.

Si c'est ton avis, lui dis-je, nous resterons.

Nous nous rendîmes donc tous ensemble chez Polémarque, où nous trouvâmes ses deux frères Lysias (08) et Euthydème (09), avec Thrasymaquè de Chalcédoine (10), Charmantide (11) du bourg de Péanée, et Clitophon (12), fils d'Aristonyme. Céphale, père de Polémarque, y était aussi. Je ne l'avais pas vu [328c] depuis longtemps, et il me parut bien vieilli. Il était assis, la tête appuyée sur un coussin, et portait une couronne : car il avait fait ce jour-là un sacrifice domestique. Nous nous assîmes auprès de lui sur des sièges qui se trouvaient disposés en cercle.

Dès que Céphale m'aperçut, il me salua et me dit : O Socrate, tu


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ne viens guère souvent au Pirée; tu as tort. Si je pouvais encore aller sans fatigue à la ville, je t'épargnerais la peine [328d] de venir; nous irions te voir ; mais maintenant, c'est à toi de venir ici plus souvent. Car tu sauras que plus je perds le goût des autres plaisirs, plus ceux de la conversation ont pour moi de charme. Fais-moi donc la grâce, sans renoncera la compagnie de ces jeunes gens, de ne pas oublier non plus un ami qui t'est bien dévoué.

Et moi, Céphale, lui répondis-je, j'aime à converser [328e] avec les vieillards. Comme ils nous ont devancés dans une route que peut-être il nous faudra parcourir, je regarde comme un devoir de nous informer auprès d'eux si elle est rude et pénible ou d'un trajet agréable et facile. J'apprendrais avec plaisir ce que tu en penses, car tu ar rives à l'âge que les poètes appellent le seuil de la vieillesse  (13). Hé bien, est-ce une partie si pénible de la vie? comment la trouves-tu?

[329a] Socrate, me dit-il, je te dirai ce que j'en pense. Nous nous réunissons souvent un certain nombre de gens du même âge, selon l'ancien proverbe (14). La plupart, dans ces réunions, s'épui-


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sent en plaintes et en regrets amers au souvenir des, plaisirs de la jeunesse, de l'amour, des festins, «et de tous les autres agréments de ce genre : à tes entendre, ils ont perdu les plus grands biens ; ils jouissaient alors de la vie, maintenant ils ne vivent plus. [329b] Quelques uns se plaignent aussi que la vieillesse les expose à des outrages de la part de leurs proches; enfin, ils l'accusent d'être pour eux la cause de mille maux. Pour moi, Socrate, je crois qu'ils ne connaissent pas la vraie cause de ces maux; car si c'était la vieillesse, elle produirait les mêmes effets sur moi et sur tous ceux qui arrivent à mon âge; or j'ai trouvé des vieillards dans une disposition d'esprit bien différente. Je me souviens qu'étant un jour avec le poète Sophocle, quelqu'un lui dit en ma présence: [329c] Sophocle, l'âge te permet-il encore de te livrer aux plaisirs de l'amour? Tais-toi, mon cher, répondit-il; j'ai quitté l'amour avec joie comme on quitte un maître furieux et intraitable. Je jugeai dès lors qu'il avait raison de parler de la sorte, et le temps ne m'a pas fait changer de sentiment. En effet, la vieillesse est, à l'égard des sens, dans un état parfait de calme et de liberté. Dès que l'ardeur des passions s'est amortie, on se trouve, comme Sophocle, délivré d'une foule [329d] de tyrans insensés. Pour cela, comme pour les chagrins domestiques, ce


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n'est pas la vieillesse qu'il faut accuser, Socrate, mais seulement le caractère des vieillards : la modération et la douceur rendent la vieillesse supportable; les défauts contraires font le tourment du vieillard comme ils feraient celui du jeune homme (15).

Charmé de sa réponse et désirant le faire parler [329e] davantage : Céphale, lui dis-je, lorsque tu parles de la sorte, la plupart, j'imagine, ne goûtent pas tes raisons, et ils trouvent que tu dois moins à ton caractère qu'à ta grande fortune de porter si légèrement le poids de la vieillesse; car, disent-ils, la richesse a bien des consolations.

Oui, dit Céphale; ils ne m'écoutent pas, et s'ils n'ont pas tout-à-fait tort, ils ont beaucoup moins raison qu'ils ne pensent. Thémistocle, insulté par un homme de Sériphe (16), qui lui reprochait  [330a] de devoir sa réputation à sa patrie et nullement à son mérite, lui répondit: Il est vrai que si j'étais de Sériphe, je ne serais pas connu; mais toi, tu ne le serais pas davantage situ étais d'Athènes. On pourrait dire, avec autant de raison, aux vieil-


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lards peu riches et chagrins que la pauvreté peut rendre la vieillesse pénible au sage même, mais que sans la sagesse, jamais la fortune ne la rendrait plus douce.

Céphale, reprisse, as-tu hérité de tes ancêtres la plus grande partie de tes biens, ou l'as-tu amassée toi-même ?

[330b] Ce que j'ai amassé moi-même, Socrate? Je tiens en ceci le milieu entre mon aïeul et mon père : mon aïeul, dont je porte le nom, avait hérité d'un patrimoine à peu près égal à celui que je possède, et l'accrut considérablement, et mon père Lysanias m'a laissé moins de biens que tu ne m'en vois. Pour moi, il me suffit de transmettre à mes enfants que voici, la fortune de mon père, sans l'avoir diminuée ni sans l'avoir beaucoup augmentée,

Si je t'ai fait cette question, lui dis-je, c'est que tu m'as paru fort peu [330c] attaché à la richesse : ce qui est ordinaire à ceux qui ne sont pas les artisans de leur fortune ; au lieu que ceux qui la doivent à leur industrie y sont doublement attachés ; ils l'aiment d'abord, parce qu'elle est leur ouvrage, comme les poètes aiment leurs vers et les pères leurs enfants (17), et ils l'aiment encore, comme tous les autres hommes, pour l'utilité


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qu'ils en retirent; aussi sont-ils d'un commerce difficile, et n'ayant, d'estime que pour l'argent.

Cela est vrai, dit- il.

[330d] Très vrai, ajoutai-je; mais dis-nous encore ce qui donne, à ton avis, le plus de prix à la richesse.

Ce que j'ai à dire, répondit Céphale, ne persuaderait peut-être pas beaucoup de personnes. Tu sauras, Socrate, que lorsqu'un homme se croit aux approches de la mort, certaines choses sur lesquelles il était tranquille auparavant éveillent alors dans son esprit des soucis et des alarmes. Ce qu'on raconte des enfers et des châtiments qui y sont préparés [330e] à l'injustice, ces récits, autrefois l'objet de ses railleries, portent maintenant le trouble dans son âme: il craint qu'ils ne soient véritables. Affaibli par l'âge, ou plus près de ces lieux formidables, il semble les mieux apercevoir ; il est donc plein de défiance et de frayeur; il se demande compte de sa conduite passée ; il recherche le mal qu'il a pu faire. Celui qui, en examinant sa vie, la trouve pleine d'injustices, se réveille souvent, pendant la nuit, agité de terreurs subites comme les enfants; il tremble et vit dans une affreuse attente. [331a] Mais celui qui n'a rien à se reprocher a sans cesse auprès de lui une douce espérance qui sert de nourrice à sa vieillesse, comme dit Pindare. Car telle est, So-


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crate, l'image gracieuse sous laquelle ce poète nous représente, d'une manière on ne peut pas plus admirable, l'homme qui a mené une vie juste et sainte :

L'espérance l'accompagne, berçant doucement son cœur et allaitant sa vieillesse,
L'espérance, qui gouverne à son gré
L'esprit flottant des mortels (18).

C'est parce qu'elle prépare cet avenir, que la richesse est à mes yeux d'un si grand prix, non [331b] pour tout le monde, mais seulement pour le sage. C'est à la richesse qu'on doit en grande partie de n'être pas réduit à tromper ou à mentir, et de pouvoir, en payant ses dettes et en accomplissant les sacrifices, sortir sans crainte de ce monde, quitte envers les dieux et envers les hommes. La richesse a encore bien d'autres avantages; mais celui-là ne serait pas le dernier que je ferais valoir pour montrer combien elle est utile à l'homme sensé.

[331c] Céphale, lui dis-je, ce que tu viens de dire est très beau; mais est-ce bien définir la justice, que de la faire consister simplement à dire la vérité et à rendre à chacun ce qu'on en a reçu, ou bien cela n'est-il pas tantôt juste et tantôt injuste?


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Par exemple, si un homme atteint de folie redemandait à son ami les armes qu'il lui a confiées dans le plein exercice de sa raison, tout le monde convient qu'il ne faudrait pas les lui rendre, et qu'il y aurait de l'injustice à le faire, comme à vouloir lui dire toute la vérité dans l'état où il se trouve.

[331d] Cela est certain.

La justice ne consiste donc pas précisément à dire la vérité, et à rendre à chacun ce qui lui appartient.

C'est pourtant là sa définition, interrompit Polémarque, s'il faut en croire Simonide.

Bien, dit Céphale ; je vous laisse continuer entre vous l'entretien; il est temps que j'aille achever mon sacrifice.

C'est donc à Polémarque que tu laisses ta succession? lui dis-je.

Oui, répondit-il en souriant ; et en même temps il sortit pour se rendre au lieu du sacrifice.

[331e] Apprends-moi donc, Polémarque, puisque tu prends la place de ton père, ce que dit Simonide de la justice et en quoi tu l'approuves.

Il dit que le caractère propre de la justice est de rendre à chacun ce qu'on lui doit (19); et en cela je trouve qu'il dit vrai.


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L'autorité de Simonide est imposante (20) : c'était un sage, un homme divin. Mais peut-être, Polémarque, entends-tu ce qu'il dit; pour moi, je ne le comprends pas. Il est évident qu'il n'entend pas qu'on doive rendre, comme nous disions tout à l'heure, un dépôt quel qu'il soit, lorsque celui qui le réclame [332a] n'a plus sa raison. Cependant ce dépôt est une dette; n'est-ce pas?

Oui.

Et pourtant il faut bien se garder de le rendre à qui n'a plus sa raison.

Certainement.

Simonide a donc voulu dire autre chose, en disant qu'il est juste de rendre à chacun ce qu'on lui doit.

Sans doute, puisqu'il pense que la dette de l'amitié est de faire du bien à ses amis, et de ne jamais leur nuire.

J'entends. Ce n'est point rendre à son ami ce qu'on lui doit que de lui remettre l'or qu'il nous a confié, [332b] lorsqu'il ne peut le recevoir qu'à son préjudice. N'est-ce pas là le sens des paroles de Simonide?

Oui, dit Polémarque.

Mais, repris-je, faut-il rendre à ses ennemis ce qu'on se trouvera leur devoir ?


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Oui, ce qu'on leur doit; mais on ne doit à un ennemi que ce qui convient, c'est-à-dire du mal. Simonide, à ce qu'il semble, [322c] a déguisé sa pensée à la manière des poètes. Il a cru, apparemment, que la justice consiste à rendre à chacun ce qui convient; mais au lieu de cela, il a dit ce qu'on lui doit.

Pourquoi pas?

Si quelqu'un lui eut demandé : Simonide, à qui la médecine donne-t-elle ce qui convient, et que lui donne-t-elle ? quelle réponse penses-tu qu'il eût faite?

Qu'elle donne au corps la nourriture et les boissons convenables.

Et l'art du cuisinier, que donne-t-il et à qui donne-t-il ce qui convient ?

[332d] Il donne à chaque mets son assaisonnement.

Eh bien, cet art qu'on appelle la justice, que donne-t-il, et à qui donne-t-il ce qui convient?

D'après ce que nous avons dit tout à l'heure, Socrate, la justice fait du bien aux amis et du mal aux ennemis.

Simonide appelle donc justice, faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis? Il me semble.

Qui peut faire le plus de bien à ses amis et de mal à ses ennemis en cas de maladie ?

Le médecin.


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[332e] Et sur mer, en cas de danger?

Le pilote.

Et l'homme juste, en quelle occasion et en quoi peut-il faire le plus de bien à ses amis et de mal à ses ennemis?

A la guerre, ce me semble, en attaquant les uns et en défendant les autres.

Fort bien : mais, mon cher Polémarque, on n'a que faire de médecin quand on n'est pas malade.

Cela est vrai.

Ni de pilote lorsqu'on n'est pas sur mer.

Cela est encore vrai.

Pareillement l'homme juste est-il inutile lorsqu'on ne fait pas la guerre?

Il n'en est pas tout-à-fait de même, à mon avis.

La justice est donc utile aussi en temps de paix?

[333a] Oui.

Et l'agriculture de même ?

Oui.

Pour recueillir les fruits de la terre?

Oui.

Le métier de cordonnier est utile aussi?

Oui.

Tu me diras que c'est pour avoir, une chaussure.

Sans doute.


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Dis-moi de même en quoi la justice peut-elle être utile pendant la paix.

Dans le commerce.

Entends-tu par là des affaires pour lesquelles on s'associe, ou bien quelque autre chose?

C'est cela même que j'entends.

[333b] Eh bien, au jeu de dés, vaut-il mieux s'associer à l'homme juste ou au joueur de profession?

Au joueur de profession.

Et pour la construction d'une maison, l'homme juste est-il un compagnon plus utile que l'architecte?

Tout au contraire.

En fait de musique aussi, il vaut mieux avoir affaire au musicien qu'à l'homme juste; de même en quel cas vaut-il mieux avoir affaire à celui- ci qu'à celui-là?

En fait d'argent.

Encore ne sera-ce peut-être pas lorsqu'il faudra en faire usage ; car; si je veux vendre ou acheter un cheval en commun avec quelqu'un [333c] je m'associerai plutôt avec le maquignon.

Évidemment.

Et s'il s'agit d'un vaisseau, avec le constructeur ou le pilote.

Il semble.

Dans quel emploi en commande mon argent l'homme juste sera-t-il d'une utilité particulière?


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Lorsqu'il s'agira, Socrate, de le mettre en dépôt et de le conserver.

C'est-à-dire quand je ne voudrai faire aucun usage de mon argent et le laisser oisif.

Tu pourrais bien avoir raison.

Ainsi,dans ce cas, l'utilité de la justice commence précisément [333d] où finit celle de l'argent.

Apparemment.

Lors donc qu'il faudra conserver une serpette, la justice sera utile pour garantir au public comme aux particuliers la sûreté du dépôt : mais lorsqu'il faudra s'en servir, c'est l'art du vigneron qui sera utile.

Cela est évident.

De même si je veux garder un bouclier et une lyre sans en faire usage, la justice-me sera utile à cela ; mais si je veux m'en servir, j'aurai recours au musicien et au maître d'escrime.

Il le faut bien.

Et, en général, à l'égard de quelque chose que ce soit, la justice sera inutile quand on se servira de cette chose, et utile quand on ne s'en servira pas.

Peut-être.

[333e] Mais, mon cher, la justice n'est donc pas d'une grande importance, si elle n'est utile que par rapport aux choses dont on ne fait pas usage. Examinons encore ceci : celui qui est le plus


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adroit à porter des coups, soit à la lutte, soit à la guerre, n'est-il pas aussi le plus adroit à se garder de ceux qu'on lui porte?

Oui.

Et celui qui est le plus habile à se garder d'une maladie et à la prévenir, n'est-il pas en même temps le plus capable de la donner à un autre?

Je le crois.

[334a] Mais quel est le plus propre à garder (21) une armée? N'est-ce pas celui qui sait dérober les desseins et les projets de l'ennemi?

Sans doute.

Par conséquent le même homme qui est propre à garder une chose, est aussi propre à la dérober.

A ce qu'il semble.

Si donc le juste est propre à garder de l'argent, il sera propre aussi à le dérober?

Du moins, c'est une conséquence de ce que nous venons de dire.

A ce compte, l'homme juste est donc un fri-


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pon. Il paraît que tu dois cette idée à Homère [334b] qui vante beaucoup Autolycus, aïeul maternel d'Ulysse, et dit qu'il surpassa tous les hommes dans l'art dé dérober et de mentir (22). Par conséquent, selon Homère, Simonide et toi, la justice n'est autre chose que l'art de dérober pour le bien de ses amis et pour le mal de ses ennemis : n'est-ce pas ainsi que tu l'entends?

Non, par Jupiter, s'écria Polémarque; je ne sais plus alors ce que j'ai voulu dire. Cependant il me semble toujours que la justice consiste à obliger ses amis et à nuire à ses ennemis.

[334c] Mais, continuai-je, qu'entends-tu par amis? Ceux qui nous paraissent gens de bien, ou ceux qui le sont, quand même ils ne nous paraîtraient pas tels? Je te demande la même chose des ennemis.

Il me paraît naturel d'aimer ceux qu'on croit gens de bien et de haïr ceux qu'on croit méchants.

Mais n'arrive-t-il pas aux hommes de s'y méprendre, de juger que tel est honnête homme qui n'en a que l'apparence, ou que tel est un fripon qui est honnête homme?

J'en conviens.


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Ceux qui se trompent ainsi ont donc alors pour ennemis des gens de bien, et des méchants pour amis.

Oui.

Ainsi, pour eux, la justice consiste à faire du bien [334d] aux méchants, et du mal aux bons.

Il semble.

Mais les bons sont justes et incapables de faire du mal à personne.

Cela est vrai.

Il est donc juste, selon ce que tu dis, de faire du mal à ceux qui ne nous en font pas.

Point du tout, Socrate; c'est dire une chose criminelle.

Alors c'est aux méchants qu'il est juste de nuire, et aux bons qu'il est juste de faire du bien ?

Cela est plus raisonnable.

Mais il arrivera, Polémarque, que pour tous ceux qui se trompent dans leurs jugements [334e] sur les hommes, la justice sera de nuire à leurs amis, car ils les considéreront comme méchants, et de faire du bien à leurs ennemis, par la raison contraire : conclusion directement opposée à ce que nous faisions dire à Simonide.

Elle est pourtant rigoureuse ; mais changeons quelque chose à la définition de l'ami et de l'ennemi : elle ne me paraît pas exacte.
Comment disions-nous, Polémarque?


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Nous disions que l'ami est celui qui paraît homme de bien.

Quel changement veux-tu faire?

Je voudrais dire que l'ami doit tout à la fois paraître homme de bien et l'être en effet, [335a] et que celui qui le paraît sans l'être, n'est ami qu'en apparence. Il faut modifier de même la définition de l'ennemi.

A ce compte, l'ami véritable sera l'homme de bien, et le méchant le véritable ennemi.

Oui.

Tu veux donc que nous ajoutions aussi quelque chose à notre définition de la justice; nous avions dit d'abord qu'elle consiste à faire du bien à son ami, et du mal à son ennemi; maintenant il faudrait que nous ajoutions : si l'ami est honnête homme et si l'ennemi ne l'est pas ?

[335b] Oui; je trouve que cela serait bien dit.

Dis-moi, l'homme juste est-il capable de faire du mal à un homme quel qu'il soit?

Sans doute; il en doit faire à ses ennemis qui sont les méchants.

Les chevaux à qui on fait du mal en deviennent-ils meilleurs ou pires?

Ils en deviennent pires.

Dans la vertu qui est propre à leur espèce ou dans celle qui est propre aux chiens?

Dans la vertu qui est propre à leur espèce.


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Et les chiens auxquels on fait du mal deviennent pires dans la vertu qui est propre à leur espèce et non dans la vertu propre aux chevaux?

Nécessairement.

[335c] Ne dirons-nous pas aussi que les hommes à qui on fait du mal deviennent pires dans la vertu qui est propre à l'homme?

Sans doute.

La justice n'est-elle pas une vertu qui est propre à l'homme?

Assurément.

Ainsi, mon cher ami, c'est une nécessité que les hommes à qui on fait du mal en deviennent plus injustes  (23).

Il y a apparence.

Mais un musicien peut-il, au moyen de son art, rendre ignorant dans la musique?

Cela est impossible.

L'art de l'écuyer peut-il rendre inhabile à monter à chevai?

Non.

Eh bien, l'homme juste peut-il, par la justice qui est en lui, rendre un autre homme injuste? et, en général, [335d] les bons peuvent-ils,par la vertu


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qui leur est propre, rendre les autres méchants?

Cela ne se peut.

Car refroidir n'est pas l'effet du chaud, mais de son contraire.

Évidemment.

Humecter n'est pas l'effet du sec, mais de son contraire.

Sans doute.

L'effet du bon n'est pas non plus de mal faire; c'est l'effet de son contraire.

Oui.

Mais l'homme juste est bon.

Assurément.

Ce n'est donc pas le propre de l'homme juste de faire du mal ni à son ami, ni à qui que ce soit, mais de son contraire, c'est-à-dire de l'homme injuste.

Il me semble, Socrate, que tu as parfaitement raison.

[335e] Si donc quelqu'un dit que la justice consiste à rendre à chacun ce qu'on lui doit, et s'il entend par là que l'homme juste doit du mal à ses ennemis comme il doit du bien à ses amis, ce langage n'est pas celui d'un sage, car il n'est pas conforme à la vérité: nous venons de voir que jamais il n'est juste de faire du mal à personne.

J'en tombe d'accord.

Et nous résisterons d'un commun accord, toi et moi, si l'on avance qu'une semblable maxime


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est de Simonide, de Bias, de Pittacus ou de quelque autre sage et homme vénéré.

Je suis prêt à me joindre à toi,

[336a] Sais-tu à qui j'attribue cette maxime,qu'il est juste de faire du bien à ses amis et du mal à ses ennemis?

A qui?

Je crois qu'elle est de Périandre (24), de Perdiccas (25), de Xerxès,d'Isménias (26) le Théhain, ou de quelque autre riche personnage, enivré de sa puissance.

Très bien dit.

Soit; mais puisque la justice ne consiste pas en cela,qui nous dira en quoi elle consiste?

[336b] Plusieurs fois, pendant notre entretien, Thrasymaque s'était efforcé de prendre la parole pour nous contredire. Ceux qui étaient auprès de lui l'avaient retenu, voulant nous entendre jusqu'à la fin. Mais lorsque la discussion s'arrêta, et que j'eus prononcé ces dernières paroles, il ne put se contenir plus longtemps, et prenant son élan, comme une bête sauvage, il vint à nous comme pour nous mettre en pièces, La frayeur nous saisit, Polémarque et moi. Élevant


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ensuite une voix forte au milieu de la compagnie : [336c] Socrate, me dit-il, que signifie tout ce verbiage? et à quoi bon ce puéril échange de mutuelles concessions? Veux-tu sincèrement savoir ce que c'est que la justice? Ne te borne pas à interroger lès gens et à faire vanité de réfuter ensuite leurs réponses, quand tu sais bien qu'il est plus aisé d'interroger que de répondre; réponds à ton tour, et dis-nous ce que c'est que la justice. Et ne va pas me dire que c'est ce qui convient, [336d] ce qui est utile, ce qui est avantageux, ce qui est lucratif, ce qui est profitable ; fais une réponse nette et précise, parce que je ne suis pas homme à me payer de ces niaiseries. À ces mots, épouvanté, je le regardai en tremblant; et je crois que j'aurais perdu la parole s'il m'avait regardé le premier (27); mais j'avais déjà jeté les yeux sur lui, au moment où sa colère éclata par ce discours. [336e] Je fus donc en état de lui répondre, et lui dis avec un peu moins de frayeur : O Thrasymaque, ne t'emporte pas contre nous. Si nous nous sommes trompés, Polémarque et moi, c'est malgré nous, sois-en persuadé. Si nous cherchions


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de l'or, nous ne voudrions pas nous ôter les moyens de le découvrir par de vaines déférences; et maintenant que nos recherches ont un objet bien plus précieux que l'or, la justice, peux-tu nous croire assez insensés pour faire un pareil jeu au lieu de nous appliquer sérieusement à la découvrir? Garde-toi bien, mon cher, de le penser. Mais je le vois, notre entreprise est au-dessus de nos forces. Aussi vous autres gens habiles, devriez-vous [337a] avoir pour notre faiblesse plus de pitié que de courroux. Thrasymaque accueillit ces paroles avec les éclats d'un rire forcé : Par Hercule, dit-il, voilà l'ironie ordinaire de Socrate. Ne l'avais-je pas dit tout à l'heure que tu ne voudrais pas répondre, que tu plaisanterais à ta manière, et t'arrangerais pour ne faire aucune réponse à mes questions. Tu es fin, Thrasymaque, lui dis-je ; tu savais bien que si en demandant à quelqu'un de quoi est composé le nombre douze tu lui [337b] disais : ne réponds ni deux fois six ni trois fois quatre ni six fois deux ni quatre fois trois, parce que je ne me paie pas de ces niaiseries; tu savais bien qu'à cette condition il ne pourrait te répondre. Mais s'il te disait à son tour : Thrasymaque, que prétends-tu? que je ne fasse aucune des réponses que tu as faites d'avance? Mais si la vraie réponse se trouve être une de celles-là, veux-tu que je dise autre chose que


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[337c] la vérité? Dis, qu'aurais-tu à lui répondre?

Vraiment, dit Thrasymaque, voilà qui a bien du rapport avec ce que nous disons.

Pourquoi non, repris-je ? Mais quand en effet il n'y en aurait pas, si celui qu'on interroge juge qu'il y en a, crois-tu qu'il répondra moins selon sa pensée, que nous le lui défendions ou non ?

Est-ce la ce que tu prétends faire? vas-tu me donner pour réponse une de celles que je t'ai d'abord interdites ?

Je ne serais pas surpris si, après y avoir pensé, je prenais ce parti.

[337d] Hé bien ! si je te montre qu'on peut faire sur la justice une réponse meilleure que toutes les précédentes, à quelle peine te condamneras-tu ?

À la peine justement réservée à tout ignorant, celle d'être instruit par un plus habile. Je m'y soumets volontiers.

En vérité tu es plaisant. Outre la peine d'apprendre, tu me donneras encore de l'argent.

Oui, quand j'en aurai.

Nous en avons, dit Glaucon. S'il ne tient qu'à cela, parle, Thrasymaque; nous paierons tous pour Socrate.

[337e] Oui, je comprends, dit Thrasymaque; pour que Socrate, selon sa manœuvre accoutumée., se dispense de répondre, et quand on lui aura


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répondu, reprenne et réfute tout ce qu'on aura dit.

Mais, que pourrait-on répondre quand on ne sait rien, qu'on ne s'en cache pas, et qu'un personnage habile nous interdit encore toutes les réponses qu'on pourrait faire? [338a] C'est plutôt à toi de parler, puisque tu te vantes de savoir et d'avoir à dire quelque chose. Ne te fais donc pas prier. Réponds pour l'amour de moi, et n'envie pas à Glaucon et aux autres l'instruction qu'ils attendent de toi.

Aussitôt Glaucon et tous les assistants le conjurèrent de se rendre. Cependant Thrasymaque, tout en affectant d'insister pour que je me laissasse interroger, ne cachait pas l'envie qu'il avait de parler dans l'espoir de s'attirer des applaudissement; car il était persuadé qu'il avait à faire une admirable réponse. A la fin donc il se rendit : [338b] Voilà, dit-il, le grand secret de Socrate : Il ne veut rien enseigner, et il va de tous les côtés apprenant des autres, sans en savoir aucun gré à personne.

Tu as raison, Thrasymaque, de dire que j'apprends des autres ; mais tu as tort d'ajouter que je ne leur en sais aucun gré. Je leur témoigne ma reconnaissance autant qu'il est en moi; j'applaudis : c'est tout ce que je puis faire, n'ayant pas d'argent. Tu verras toi-même tout à l'heure com-


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bien j'applaudis volontiers à ce qui me paraît bien dit, aussitôt que tu auras répondu; car je suis convaincu que tu répondras on ne peut mieux.

[338c] Écoute donc. Je dis que la justice n'est autre chose que ce qui est avantageux au plus fort. Hé bien, pourquoi n'applaudis-tu pas? Tu te gardes bien de le faire.

Attends du moins que j'aie compris ta pensée, car je ne l'entends pas encore. La justice est, dis-tu, ce qui est avantageux au plus fort. Qu'entends-tu par là, Thrasymaque ? veux-tu dire que parce que l'athlète Polydamas (28) est plus fort que nous, et qu'il lui est avantageux pour soutenir ses forces de manger du bœuf,  [338d] il y a aussi de l'avantage pour nous à prendre la même nourriture ?

Tu es un effronté, Socrate, et tu ne cherches qu'à donner un mauvais tour à tout ce qu'on dit.

Point du tout: mais, de grâce, explique-toi plus clairement.

Ne sais-tu pas que les différents États sont ou monarchiques ou aristocratiques ou populaires?

Je le sais.

Dans tout État, celui qui gouverne n'est-il pas le plus fort?


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Assurément.

[338e] Quiconque gouverne ne fait-il pas des lois à son avantage : le peuple, des lois populaires; le monarque, des lois monarchiques, et ainsi des autres gouvernements ; et ces lois faites, ne déclarent-ils pas que la justice dans les subordonnés consiste à observer ces lois, dont l'objet est leur propre avantage, et ne punissent-ils pas celui qui les transgresse, comme coupable d'une action injuste? Voici donc mon opinion. [339a] Dans tout État la justice est l'intérêt de qui a l'autorité en main, et par conséquent du plus fort. D'où il suit pour tout homme qui sait raisonner, que partout la justice et ce qui est avantageux au plus fort, sont la même chose.

Je comprends à présent ce que tu veux dire. Gela est-il vrai ou non, c'est ce que je vais tâcher d'examiner. Tu définis la justice, ce qui est avantageux; cependant tu m'avais défendu de la définir ainsi. U est vrai que tu ajoutes, au plus fort.

[339b] Ce n'est rien peut-être.

Je ne sais pas encore si c'est grand'chose ou non : je sais seulement qu'il faut voir si ce que tu dis est vrai. Je conviens avec toi que la justice est quelque chose d'avantageux; ; mais tu ajoutes que c'est seulement au plus fort. Voilà ce que j'ignore, et ce qu'il fout examiner.


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Examine.

Tout à l'heure. Réponds-moi : Ne dis-tu pas que là justice consiste à obéir à ceux qui gouvernent?

Oui.

[339c] Mais ceux qui gouvernent dans les différents États sont-ils infaillibles ou peuvent-ils se tromper?

Ils peuvent se tromper.

Ainsi, lorsqu'ils feront des lois, les unes seront bien, les autres seront mal faites.

Je le pense.

C'est-à-dire que les unes seront conformes et les autres contraires à leur intérêt.

Oui.

Cependant, ces lois une fois établies, les sujets doivent les observer, et c'est en cela que consiste la justice, n'est-ce pas?

Sans doute.

[339d] Il est donc juste, selon toi, non seulement de faire ce qui est avantageux, mais encore ce qui est désavantageux au plus fort.

Que dis-tu là?

Ce que tu dis toi-même. Mais examinons mieux la chose. N'es-tu pas convenu que ceux qui gouvernent se trompent quelquefois sur leur intérêt dans les lois qu'ils imposent aux sujets, et qu'il est juste que les sujets fassent tout ce qui leur est commandé?


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J'en suis convenu.

[339e] Avoue donc aussi qu'en disant qu'il est juste que les sujets fassent tout ce qui leur est commandé, tu es convenu que la justice consiste à faire ce qui est désavantageux à ceux qui gouvernent, c'est-à-dire aux plus forts, dans le cas où, sans le vouloir, ils commandent quelque chose de contraire à leur intérêt. Et de là, très habile Thrasymaque, ne faut-il pas conclure qu'il est juste de Étire tout le contraire de ce que tu disais d'abord, puisqu'alors ce qui est ordonné au plus faible est désavantageux au plus fort ?

[340a] Voilà qui est évident, Socrate, interrompit Polémarque.

Sans doute, reprit Clitophon, puisqu'on a ton témoignage. — Et est-il besoin de témoignage, continua Polémarque? Thrasymaque lui-même convient que ceux qui gouvernent commandent quelquefois des choses contraires à leur intérêt, et qu'il est juste, même en ce cas, que les sujets obéissent. — Thrasymaque, dit Clitophon, a dit seulement qu'il est juste que les sujets fassent ce qui leur est commandé. — Mais il avait aussi avancé que la justice [340b] est ce qui est avantageux au plus fort ; et après avoir posé ces deux principes, il est ensuite demeuré d'accord que les plus forts font quelquefois des lois contraires à leur intérêt Or, de tout cela, il suit que la justice n'est


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pas plus ce qui est avantageux que ce qui est désavantageux au plus fort. — Mais, par l'intérêt du plus fort, Thrasymaque a entendu ce que le plus fort croit lui être avantageux : c'est là, selon lui, ce que le plus faible doit faire, et en quoi consiste la justice. — Thrasymaque ne l'a pas dit.

[340c] Polémarque,repris-je, cela n'y fait rien. Si Thrasymaque y consent, nous adopterons cette explication. Dis-moi donc, Thrasymaque : Entends-tu ainsi par la justice ce que le plus fort croit lui être avantageux, qu'il se trompe ou non?

Moi ! point du tout. Crois-tu que j'appelle plus fort (29), celui qui se trompe, en tant qu'il se trompe.

Je pensais que c'était là ce que tu disais, en convenant que ceux qui gouvernent ne sont pas infaillibles, et qu'ils se trompent quelquefois.

[340d] Tu calomnies mes paroles, Socrate ; c'est justement comme si tu appelais médecin celui qui se trompe dans le traitement des malades, en tant qu'il se trompe; ou calculateur, celui qui se


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trompe quelquefois dans un calcul, en tant qu'il se trompe. Il est vrai que l'on dit : le médecin, le calculateur, le grammairien s'est trompé; mais, à mon avis, aucun d'eux ne se trompe, [340e] en tant qu'il est ce qu'on le dit être. Et, à parler rigoureusement, puisque tu veux de la rigueur dans les termes, aucun artiste ne se trompe ; car il ne se trompe qu'autant que son art l'abandonne, et en cela il n'est plus artiste. Il en est ainsi de tout art, de toute science, de toute autorité; ce n'est pas en tant qu'autorité qu'elle se trompe. Cependant dans le langage ordinaire on dit : le médecin s'est trompé, l'autorité s'est trompée. Suppose donc que j'ai parlé comme le vulgaire. Mais maintenant je te dis, avec toute l'exactitude requise, que celui qui gouverne, [341a] en tant qu'il gouverne, ne peut se tromper. Ce qu'il ordonne est donc toujours ce qu'il y a de plus avantageux pour lui, et s'y conformer est le devoir de quiconque lui est soumis. Ainsi, comme je le disais d'abord, la justice est ce qui est avantageux au plus fort (30).

Soit; et tu crois que je suis un calomniateur?

Très certainement.

Tu crois que j'ai cherché à te tendre des pièges par des interrogations captieuses ?


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Je l'ai bien vu; mais tu n'y gagneras rien. [341b] J'apercevrai toutes tes ruses, et tes ruses éventées, tu n'espères pas l'emporter sur moi dans la dispute.

Je ne veux te tendre aucun piège; mais pour que rien de semblable ne puisse avoir lieu, dis-moi si cette expression, celui qui gouverne, le plus fort, dont l'intérêt, disais-tu, est pour le plus faible la règle du juste, tu la prends comme le vulgaire, ou dans son sens rigoureux.

Dans le sens le plus rigoureux. Mets en œuvre à présent tes artifices et tes calomnies, et fais voir ce que tu peux ; je ne m'y oppose pas, mais en vérité tu perdras ta peine.

[341c] Me crois-tu assez insensé pour essayer de tondre un lion (31) et calomnier Thrasymaque ?

Tu l'as essayé, et sans y parvenir.

Trêve à ces propos, et réponds-moi: le médecin, en le définissant avec rigueur comme tu disais, a-1-il pour objet de gagner de l'argent ou de guérir les malades?

De guérir les malades.

Et le pilote, j'entends le vrai pilote, est-il matelot ou chef de matelots?

Il est leur chef.


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[341d] Peu importe qu'il soit comme eux sur le vaisseau , il n'en est pas plus matelot pour cela; (32) car ce n'est pas parce qu'il Ta sur mer qu'il est pilote, mais à cause de son art et de l'autorité qu'il a sur les matelots.

Cela est vrai.

Les matelots n'ont-ils pas un intérêt qui leur est propre ?

Oui.

Et le but de leur art n'est-il pas de rechercher et de procurer à chacun d'eux ce qui lui est avantageux?

Sans doute.

Mais un art quelconque a-t-il un intérêt étranger, et ne lui suffît-il pas d'être en lui-même aussi parfait que possible?

[341e] Comment dis- tu ?

Si tu me demandais s'il suffit au corps d'être corps, ou s'il lui manque encore quelque chose, je te répondrais que oui, et que c'est pour cela qu'on a inventé la médecine, parce que le corps est quelquefois malade, et que cet état ne lui convient pas. C'est donc pour procurer au corps ce qui lui est avantageux, que la médecine a été inventée. Ai-je raison ou non ?


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Tu as raison.

[342a] Je te demande de même si la médecine, ou tout autre art, admet en soi quelque défaut, et s'il lui faut encore quelque vertu, comme aux yeux la faculté de voir, aux oreilles celle d'entendre, un autre art enfin qui remédie à cette imperfection? L'art en lui-même est-il aussi sujet à quelque défaut, en sorte que chaque art ait besoin d'un autre art qui veille à son intérêt, celui-ci d'un autre , et ainsi à l'infini ? [342b] ou bien chacun pourvoit-il par lui-même à ce qui lui manque? ou plutôt n'a-t-il besoin pour cela ni de lui-même ni du secours d'aucun autre art, étant de sa nature exempt de tout défaut et de toute imperfection ? de sorte qu'il ne doit avoir d'autre but que l'intérêt de la chose sur laquelle il s'exerce, et que sa perfection naturelle n'est point altérée, tant qu'il reste tout entier ce qu'il est par essence. Examine avec une attention scrupuleuse lequel de ces deux sentiments est le plus vrai.

C'est le dernier.

[342c] La médecine ne regarde donc pas son intérêt, mais celui du corps ?

Sans contredit.

Il en est de même de l'équitation par rapport au cheval,et en général des autres arts, qui, désintéressés en eux-mêmes, n'ont en vue que l'intérêt de la chose sur laquelle ils s'exercent.


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Cela est comme tu dis.

Mais, Thrasymaque, l'art gouverne ce sur quoi il s'exerce et leur rapport est celui du plus fort au plus faible.

Il eut de la peine à m'accorder cela.

Il n'est donc point d'art ni de science qui se propose ni qui ordonne ce qui est avantageux au plus fort qui l'exerce : tous ont pour but l'intérêt du plus faible [342d] sur qui ils s'exercent.

Il essaya de contester ce point, mais à la fin il l'accorda.

Ainsi, lui dis-je alors, le médecin, en tant que médecin, ne se propose ni n'ordonne ce qui lui est avantageux, mais ce qui est avantageux au malade : car nous sommes convenus que le médecin, en tant que médecin, gouverne le corps et n'est pas un mercenaire. N'est-il pas vrai ?

[342e] Il en convint.

Et que le vrai pilote n'est pas matelot, mais chef de matelots.

J'en suis convenu, dit Thrasymaque.

Un tel chef n'aura donc pas en vue et n'ordonnera pas ce qui lui est avantageux, mais ce qui est avantageux à ses subordonnés, c'est-à-dire aux matelots.

Il l'avoua quoique avec difficulté.

Par conséquent, Thrasymaque, tout homme qui gouverne, considéré comme tel et de quel-


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que nature que soit son autorité, ne se propose jamais son intérêt propre, mais celui des sujets : c'est à ce but qu'il vise, c'est pour leur procurer ce qui leur est avantageux et convenable, qu'il dit tout ce qu'il dit et fait tout ce qu'il fait.

[343a] Nous en étions là, et tous les assistants voyaient clairement que la définition de la justice était devenue précisément le contraire de celle de Thrasymaque, lorsqu'au lieu de répondre : Socrate, me dit-il, as-tu une nourrice? Qu'est ceci, répliquai-je, ne vaut-il pas mieux répondre que de faire de pareilles questions?

Elle a grand tort, reprit-il, de te laisser ainsi morveux et de ne pas te moucher. En vérité tu en as besoin ; car elle ne t'a seulement pas appris ce que c'est que des troupeaux et un berger.

Explique-toi, je te prie.

[343b] Tu crois que les bergers pensent au bien de leurs troupeaux, qu'ils les engraissent et les soignent dans une autre vue que leur intérêt et celui de leurs maîtres. De même tu t'imagines que dans les États, ceux qui gouvernent véritablement, sont dans d'autres sentiments, à l'égard de leurs sujets que les bergers à l'égard de leurs troupeaux : tu t'imagines que jour et nuit ils sont occupés d'autre chose [343c] que de leur propre intérêt; tu es si loin de connaître la. nature du juste et de l'injuste que tu ne sais pas même


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qu'en réalité la justice est un bien pour tout autre que pour l'homme juste, qu'elle est utile au plus fort qui commande, et nuisible au plus faible qui obéit; que l'injustice, au contraire, soumet à son joug l'homme simple par excellence, le juste qui, étant le sujet du plus fart, se dévoue à son intérêt, et travaille à son bonheur, [343d] sans penser au sien. Simple que tu es, vois donc que le juste a partout le dessous vis-à-vis l'injuste. Dans les transactions privées, tu trouveras toujours que le dernier résultat est un gain pour l'injuste, une perte pour le juste. Dans les affaires publiques, quand il faut donner, le juste, avec des biens égaux, donne davantage ; faut-il recevoir ? [343e] le profit est tout entier pour l'injuste. Que l'un ou l'autre exerce quelque charge : le premier, s'il ne lui arrive rien de pis, laisse dépérir ses affaires domestiques par le peu de soin qu'il y apporte, et la justice l'empêche de les rétablir au préjudice de l'État ; de plus, il est odieux à ses amis et à ses proches, parce qu'il ne veut rien faire pour eux au delà de ce qui est équitable. C'est tout le contraire pour l'injuste; comme j'ai déjà dit, [344a] ayant un grand pouvoir, il s'en sert pour gagner le plus possible. Voilà l'homme qu'il faut considérer, si tu veux comprendre combien l'injustice est plus avantageuse que la justice. Tu le comprendras encore mieux,


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si tu considères l'injustice parvenue à son dernier terme, mettant le comble au bonheur de l'homme injuste et au malheur de celui qui en est la victime, et qui ne veut pas repousser l'injustice par l'injustice : je parle de la tyrannie qui ne s'empare point en détail du bien d'autrui, mais l'envahit tout à la fois au moyen de la fraude ou de la violence, sans distinction de ce qui est sacré ou profane, de ce qui appartient aux particuliers ou à l'État. [344b] Qu'un homme soit pris sur le fait commettant quelqu'une de ces injustices, des supplices et les noms les plus odieux l'attendent ; selon la nature de l'injustice particulière qu'il aura commise, on l'appellera sacrilège, ravisseur, voleur, fripon, brigand. Mais un tyran qui s'est rendu maître des biens et de la personne de ses concitoyens, au lieu de ces noms détestés, est appelé [344c] homme heureux, non seulement par ses concitoyens, mais encore par tous ceux qui viendront à savoir qu'il n'y a pas une espèce d'injustice qu'il n'ait commise ; car si on donne à l'injustice des noms odieux, ce n'est pas qu'on craigne de la commettre, c'est qu'on craint de la souffrir. Ainsi, Socrate, l'injustice, quand elle est portée jusqu'à un certain point, est plus forte, plus libre, plus puissante que la justice, et comme je le disais en commençant, la justice est ce qui est avantageux au plus fort, et


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l'injustice est utile et profitable à elle-même.

[344d] À ces mots, Thrasymaque parut vouloir s'en aller, après nous avoir comme inondé les oreilles, à la manière d'un baigneur, de ce long et impétueux discours; mais on le retint et on l'obligea de rester pour rendre raison de ce qu'il venait d'avancer. Je l'en priai moi-même avec instance : Quoi! divin Thrasymaque, lui dis-je, c'est après nous avoir lancé un pareil discours que tu voudrais te retirer, avant de nous faire voir plus clairement ou de voir toi-même si la chose est en effet comme tu dis! [344e] Crois-tu avoir entrepris d'établir une chose de peu d'importance et non la règle de conduite que chacun de nous doit suivre pour tirer le meilleur parti de la vie?

Et qui vous dit que je pense autrement ? dit Thrasymaque.

Tu en as l'air, repris-je, ou du moins de ne prendre aucun intérêt à nous, et qu'il t'importe peu que nous vivions heureux ou non, faute d'être instruits de ce que tu prétends savoir. De grâce, daigne nous instruire. [345a] Sois sûr que tu n'auras pas mal placé le bien que tu nous feras à tous tant que nous sommes. Pour moi, je te déclare que je ne suis pas persuadé et que je ne puis croire que l'injustice soit plus avantageuse que la justice, même en supposant que rien ne l'arrête et qu'elle fasse tout ce qu'elle voudra.


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Oui, donne à l'injustice le pouvoir de faire le mal , soit à force ouverte soit par adresse, elle ne me persuadera pas encore qu'elle soit plus avantageuse que la justice. [345b] Comme je ne suis peut-être pas le seul ici à penser de la sorte, prouve-nous , d'une manière incontestable, que nous sommes dans l'erreur, en préférant la justice à l'injustice.

Et comment veux-tu que je le prouvé? si ce que j'ai dit ne t'a pas persuadé, que puis-je faire de plus pour toi? Faut-il que je fasse entrer de force mes raisons dans ton esprit ?

Non, de par Jupiter ; mais d'abord il faut t'en tenir à ce que tu auras dit une fois; ou si tu y fais quelques changements, que ce soit ouvertement et sans nous surprendre. [345c] Maintenant, pour revenir à notre discussion, tu vois, Thrasymaque, qu'après avoir donné la définition du vrai médecin, tu n'as pas cru devoir donner ensuite avec la même exactitude celle du vrai berger. Tu penses qu'en tant que berger, il ne prend pas soin de son troupeau pour le troupeau même, mais comme un ami de la bonne chère qui le destine à des festins, ou comme [345d] un mercenaire qui veut en tirer de l'argent. Or la profession de berger n'a d'autre but que de procurer le plus grand bien de la chose pour laquelle elle a été établie, puisqu'elle a pour cela tout ce


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qu'il lui faut, tant qu'elle reste ce qu'elle est. Par la même raison, je croyais que nous étions forcés de convenir que toute autorité, soit publique, soit particulière, en tant qu'autorité, [345e] s'occupe uniquement du bien de la chose dont elle est chargée. Penses-tu que ceux qui gouvernent dans les Etats, j'entends ceux qui gouvernent véritablement, soient bien aises de le faire?

Si je le crois? j'en suis sûr.

N'as-tu pas remarqué, Thrasymaque, à l'égard des charges publiques, que personne ne veut les exercer pour elles-mêmes; mais qu'on exige un salaire, parce qu'on est persuadé qu'elles ne sont utiles qu'à ceux [346a] pour qui on les exerce ? Et dis-moi, je te prie : les arts ne se distinguent-ils pas les uns des autres par leurs différents effets? Réponds selon ta pensée, afin que nous arrivions à quelque conclusion.

Oui, ils se distinguent par leurs effets.

Chacun d'eux procure aux hommes un avantage particulier; la médecine, la santé, le pilotage, la sûreté de la navigation, et ainsi des autre?

Sans doute.

[346b] Et l'avantage que procure l'art du mercenaire, n'est-ce pas le salaire? Car c'est là l'effet propre de cet art. Confonds-tu ensemble la médecine et le pilotage? Ou si tu veux continuer à définir les termes avec rigueur, diras-tu que le pilotage


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et la médecine sont la même chose, s'il arrive qu'un pilote recouvre la santé en exerçant son art, parce qu'il lui est salutaire d'aller sur mer ?

Non.

Tu ne diras pas non plus que Fart du mercenaire et celui du médecin sont la même chose, parce que le mercenaire se porte bien en exerçant le sien?

Non.

Ni que la profession du médecin soit la même que celle du mercenaire, parce que le médecin exigera quelque récompense pour la guérison des malades.

[346c] Non.

Ne sommes-nous pas convenus que chaque art procure un avantage particulier ?

Soit.

Si donc il est un avantage commun à tous les artistes , il est évident qu'il ne peut leur venir que d'un art qu'ils joignent tous à celui qu'ils exercent.

Cela peut être.

Nous disons donc que le salaire que reçoit chaque artiste, lui vient de ce qu'il est aussi mercenaire.

Thrasymaque en convint avec peine.

[346d] Ainsi ce n'est point de leur art que leur vient leur profit pris en lui-même, savoir, le gain


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de leur salaire; mais à parler rigoureusement, la médecine produit la santé, et le profit du médecin est le produit de l'industrie qui s'y joint; l'architecture produit la construction des maisons, et le salaire de l'architecte vient de l'art du mercenaire, qui marche à la suite de l'architecture. Il en est ainsi des autres arts. Chacun d'eux produit son effet propre, toujours à l'avantage de ce à quoi il s'applique. Quel profit l'artiste retirerait-il de son art s'il l'exerçait gratuitement ?

Aucun.

[346e] Son art cesserait-il pour cela d'être utile?

Je ne le crois pas.

Il est donc évident qu'aucun art, aucune autorité n'a pour fin son intérêt propre, mais comme nous l'avons déjà dit, l'intérêt de ce qui lui est subordonné, c'est-à-dire du plus faible et non pas du plus fort. C'est pour cela, Thrasymaque, que j'ai dit que personne ne veut accepter d'emploi public ni pratiquer la médecine [347a] sans un salaire, car celui qui veut exercer convenablement son art, ne travaille point pour lui-même, mais pour la chose sur laquelle il l'exerce. Il a donc fallu attirer les hommes au pouvoir par quelque récompense, comme l'argent ou les honneurs, ou, en cas de refus, par la crainte d'un châtiment.

Comment l'entends-tu? dit Glaucon. Je con-


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nais bien les deux premières espèces de récompenses , mais je ne conçois pas quel est ce châtiment dont l'exemption est, selon toi, comme une troisième sorte de récompense.

En ce cas, lui dis-je, tu ne connais pas la récompense des honnêtes gens, [347b] celle qui les détermine à prendre part aux affaires. Ne sais-tu pas que l'amour des richesses et des honneurs est et passe pour une passion honteuse ?

Je le sais.

Les honnêtes gens ne veulent donc entrer dans les affaires ni pour s'enrichir ni pour avoir des honneurs. En acceptant un salaire pour le pouvoir qu'ils exercent, ils craindraient d'être appelés mercenaires, ou voleurs en se payant eux-mêmes par des profits secrets. Ce ne sont pas non plus les honneurs qui les attirent, car ils ne sont pas ambitieux. Il faut donc [347c] qu'ils soient forcés de prendre part au gouvernement par la crainte d'un châtiment, et c'est pour cela apparemment qu'il y a quelque honte à se charger du pouvoir de son plein gré et sans y être contraint. Or, le plus grand châtiment pour l'homme de bien, s'il refuse de gouverner les autres, c'est d'être gouverné par un plus méchant que soi : c'est cette crainte qui oblige les honnêtes gens à entrer dans les affaires, non pour leur intérêt, ni pour leur plaisir, mais [347d] parce qu'ils y sont forcés, et


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parce qu'ils ne voient personne qui soit autant ou plus digne de gouverner qu'eux-mêmes. Supposez un État uniquement composé de gens de bien : on s'éloignerait du pouvoir avec autant d'empressément qu'on s'en approche maintenant; dans un pareil État, on reconnaîtrait clairement que le vrai magistrat n'a point en vue son intérêt, mais celui des sujets, et chaque citoyen, persuadé de cette vérité, aimerait mieux voir un autre veiller à ce qui lui est avantageux que de veiller lui-même à ce qui est avantageux aux autres. Je n'accorde donc pas [347e] à Thrasymaque que la justice soit l'intérêt du plus fort ; mais nous examinerons ce point une autre fois. J'attache beaucoup plus d'importance à ce qu'il a ajouté, que le sort de l'injuste est plus heureux que celui du juste. Quel parti as-tu pris, Glaucon, et que te semble-t-il plus vrai de dire ?

Que le sort de l'homme juste, dit Glaucon, réunit le plus d'avantages.

[348a] Tu viens d'entendre Thrasymaque énumérer ceux qui sont attachés au sort de l'homme injuste.

Oui, je lai entendu, mais il ne m'a pas persuadé.

Veux-tu que nous cherchions quelque moyen de lui prouver évidemment qu'il se trompe?

Très volontiers.


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Si, pour faire valoir les avantages de la justice, nous opposons au discours de Thrasymaque un autre discours, et lui encore un autre après nous, lequel sera suivi d'autant de répliques, il nous faudra compter [348b] et peser les avantages de part et d'autre; et il nous faudra encore des juges pour prononcer : au lieu qu'en convenant à l'amiable de ce qui nous paraîtra vrai ou faux, comme nous faisions tout à l'heure, nous serons à la fois avocats et juges.

Cela est vrai.

Laquelle de ces deux méthodes te plaît davantage?

La seconde.

Réponds-moi donc, Thrasymaque ; tu prétends que la parfaite injustice est plus avantageuse que la parfaite justice.

[348c] Oui, dit Thrasymaque, et j'en ai dit les raisons.

Fort bien : mais que penses-tu de ces deux choses? L'une est-elle une vertu, l'autre un vice?

Sans doute.

Et tu donnes le nom de vertu à la justice, celui de vice à l'injustice?

Apparemment, mon doux ami, moi qui pense que l'injustice est utile, et que la justice ne l'est pas.

Comment dis-tu donc?

Tout le contraire.


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Quoi ! la justice est un vice?

Non, c'est une folie généreuse.

[348d] Et n'appelles-tu pas l'injustice méchanceté ?

Non, c'est prudence.

Les hommes injustes te semblent-ils sages et habiles ?

Oui, ceux qui sont injustes parfaitement, et assez puissants pour mettre sous leur joug des états et des peuples. Tu crois peut-être que je voulais parler des coupeurs de bourse; ce n'est pas que ce métier n'ait aussi ses avantages, tant qu'on l'exerce avec impunité; mais ces avantages ne sont rien en comparaison des autres.

[348e] Je conçois très bien ta pensée; mais ce qui me confond, c'est que tu appelles l'injustice vertu et sagesse, et que tu mettes la justice dans les qualités contraires.

C'est néanmoins ce que je fais.

Cela est bien dur, et je ne sais plus comment m'y prendre pour te combattre. Si tu disais simplement, comme quelques uns, que l'injustice est utile, mais que c'est un vice et qu'elle est honteuse en soi, nous pourrions,pour te répondre , en appeler à l'opinion générale. Mais après avoir osé appeler l'injustice vertu et sagesse, tu ne balanceras pas sans doute [349a] à lui attribuer aussi la beauté, la force et tous les autres caractères- que nous donnons à la justice.


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On ne peut pas mieux deviner.

Il ne faut pas que je me rebute dans cet examen , tant que j'aurai lieu de croire que tu parles sérieusement ; car il me paraît, Thrasymaque, que ce n'est point une raillerie de ta part, et que tu penses comme tu dis.

Que je pense ou non comme je dis, que t'importe? réfute-moi seulement.

[349b] Peu m'importe sans doute; mais tâche de répondre encore à cette question : L'homme juste voudrait-il l'emporter en quelque chose sur l'homme juste ?

Jamais; autrement il ne serait ni si commode ni si fou que je le suppose.

Quoi ! pas même pour la justice?

Pas même pour cela.

Voudrait-il du moins l'emporter sur l'homme injuste, et croirait-il juste de le faire ?

Il le croirait juste; il le voudrait même, mais il ferait d'inutiles efforts.

Ce n'est pas là ce que je veux savoir; je te demande si [349c] le juste n'aurait ni la prétention ni la volonté de l'emporter sur le juste, mais seulement sur l'homme injuste.

Oui, le juste est ainsi disposé.

Et l'homme injuste voudrait-il l'emporter sur le juste, pour l'injustice?

Assurément, puisqu'il veut l'emporter sur tout le monde.


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Il voudra donc aussi l'emporter sur l'homme injuste, dans l'injustice, et il s'efforcera de l'emporter sur tous.

Sans contredit.

Ainsi le juste, disons-nous, ne veut pas l'emporter sur son semblable, mais sur son contraire; au lieu que l'homme injuste [349d] veut l'emporter sur l'un et sur l'autre.

Fort bien dit.

L'homme injuste est intelligent et habile, et le juste n'est ni l'un ni l'autre.

Fort bien encore.

L'homme injuste ressemble donc à l'homme intelligent et à l'homme habile, et le juste ne leur ressemble point?

Oui, celui qui est d'une façon ressemble à ceux qui sont tels qu'il est ; et celui qui n'est pas de cette façon ne leur ressemble pas.

A merveille: chacun d'eux est donc tel que ceux auxquels il ressemble?

Comment en serait-il autrement ?

Soit, Thrasymaque ; ne dis- tu pas d'un homme qu'il est musicien ; d'un autre [349e] qu'il ne l'est pas ?

Oui.

Lequel des deux est intelligent, lequel ne l'est pas?

Le musicien est intelligent, l'autre ne l'est pas.

L'un est habile, puisqu'il est intelligent; l'autre ne l'est pas par la raison contraire.


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Nécessairement.

N'est-ce pas la même chose à l'égard du médecin?

La même chose.

Crois-tu qu'un musicien, qui monte sa lyre, voulût ou prétendît, quand il s'agit de tendre ou de lâcher les cordes de son instrument, l'emporter sur un musicien?

Non.

Et sur un ignorant en musique?

Oui certes.

[350a] Et un médecin voudrait-il, dans la prescription du boire et du manger, l'emporter sur un médecin, ou sur son art même?

Non.

Et sur qui n'est pas médecin?

Oui.

Vois si, à l'égard de quelque science que ce soit, il te semble que celui qui la sait veuille l'emporter sur celui qui la sait aussi, dans ce qu'il dit et dans ce qu'il fait, ou s'il veut dire et faire la même chose que son semblable dans les mêmes rencontres.

Il pourrait bien en être comme tu viens de le dire.

L'ignorant ne veut-il pas au contraire l'emporter [350b] sur le savant et sur l'ignorant?

Probablement.


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Mais le savant est sage.

Oui.

Et l'homme sage est habile.

Oui.

Ainsi celui qui est habile et sage ne veut pas l'emporter sur son semblable, mais sur son contraire.

A ce qu'il paraît.

Au lieu que celui qui est inhabile et ignorant veut l'emporter sur l'un et sur l'autre.

Il est vrai.

Et n'es-tu pas convenu, Thrasymaque, que -l'homme injuste veut l'emporter sur son semblable et sur son contraire?

Je l'ai dit.

Et que le juste ne veut point l'emporter sur son semblable, mais sur son contraire?

Oui.

Mais le juste ressemble à l'homme sage et habile, et l'homme injuste à celui qui est inhabile et ignorant.

Cela peut être.

Mais nous sommes convenus qu'ils étaient l'un et l'autre tels que ceux à qui ils ressemblaient.

Nous en sommes convenus.

Il est donc évident que le juste est sage et (33) habile, et l'injuste ignorant et inhabile.


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Thrasymaque convint de tout cela, mais non pas aussi aisément que je le raconte; il me fallut lui arracher ces aveux. Il suait à grosses gouttes, d'autant plus qu'il faisait grand chaud ; et pour la première fois je vis rougir Thrasymaque. Après que nous fumes tombés d'accord que la justice était vertu et habileté, et l'injustice vice et ignorance : Allons, lui dis-je, voilà un point décidé ; mais nous avions dit que l'injustice a aussi la force en partage, Ne t'en souvient-il pas, Thrasymaque?

Je m'en souviens, dit-il; mais je ne suis pas content de ce que tu viens de dire, et j'ai de quoi y répondre. Je sais bien que si j'ouvre seulement la bouche, tu diras que je fais une harangue. Laisse-moi donc parler à ma guise, ou si tu veux absolument interroger, fais-le; je dirai oui à toutes tes questions, comme on fait aux contes de vieilles femmes, et il me suffira d'un signe de tête pour approuver ou pour rejeter.

Ne dis rien, je te prie, contre ta pensée.


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Puisque tu ne veux pas me laisser parler, je ferai ce qu'il te plaira: que veux-tu davantage?

Rien : si tu veux bien répondre, comme je viens de t'en prier, fais-le; je vais t'interroger.

Interroge.

Je te demande donc, pour reprendre la discussion où nous l'avions laissée, ce que c'est que la justice comparée à l'injustice. Il a été dit, ce me semble, que celle-ci est plus forte et plus puissante. Mais, maintenant si la justice est habileté et vertu,il sera facile de montrer qu'elle est plus forte que l'injustice ; et il n'est personne qui n'en convienne, puisque l'injustice est ignorance. Mais je ne veux pas trancher ainsi la question d'un seul coup. Considérons-la sous cet autre point de vue. N'y a-t-il pas des États qui soient injustes, qui tâchent d'asservir et qui aient même asservi d'autres États et en tiennent plusieurs en esclavage?

Sans doute, mais cela n'appartient qu'à un État très bien gouverné et qui sait être injuste en toute perfection.

C'est là ta pensée, je le sais. Ce que je voudrais savoir, c'est si un État qui se rend maître d'un autre État, peut venir à bout de cette entreprise sans employer la justice, ou s'il sera contraint d'y avoir recours.

Si la justice est habileté, comme tu disais


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tout à l'heure, il faudra que cet État y ait recours ; mais si elle est telle que je le disais, il emploiera l'injustice.

Je suis charmé, Thrasymaque, que tu répondes si bien, et autrement que par des signes de tête. µ

C'est pour t'obliger.

J'en suis reconnaissant. Fais-moi encore la grâce de me dire si un État, une armée, une troupe de brigands, de voleurs, ou toute autre société de ce genre, pourrait réussir dans ses entreprises injustes, si les membres qui la composent violaient, les uns à l'égard des autres, les règles de la justice.

Elle ne le pourrait pas.

Et s'ils les observaient ?

Elle le pourrait.

N'est-ce point parce que l'injustice ferait naître entre eux des séditions, des haines et des combats , au lieu que la justice y entretiendrait la paix et la concorde ?

Soit, pour ne pas avoir de démêlé avec toi.

On ne peut mieux, mon cher. Mais si c'est le. propre de Fin justice d'engendrer des haines et des dissensions partout où elle se trouve, elle produira sans doute le même effet parmi les hommes libres ou esclaves, et les mettra dans l'impuissance de rien entreprendre en commun?


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Oui.

Et si elle se trouve en deux hommes, ne seront-ils pas toujours en dissension et en guerre, et ne se haïront-ils pas mutuellement, comme ils haïssent les justes ?

Ils le feront.

Mais quoi ! Pour ne se trouver que dans un seul homme, l'injustice perdra-t-elle sa propriété ou bien la conservera-t-elle?

Qu'elle la conserve, à la bonne heure.

Telle est donc !a nature de l'injustice, qu'elle se rencontre dans un État ou dans une armée ou dans quelque autre société, de la mettre d'abord dans une impuissance absolue de rien entreprendre , par les querelles et les séditions qu'elle y excite : et ensuite, de la rendre ennemie et d'elle-même et de tous ceux qui lui sont contraires, c'est-à-dire des hommes justes; n'est-il pas vrai?

Oui.

Ne se trouvât-elle que dans un seul homme, elle produira les mêmes effets : elle le mettra d'abord dans l'impossibilité de rien faire par les séditions qu'elle excitera dans son âme, et par l'opposition continuelle où il sera avec lui-même; ensuite elle le rendra son propre ennemi et celui de tous les justes : n'est-ce pas ?

Soit.

Mais les dieux ne sont-ils pas justes aussi ?


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Supposons-le.

L'homme injuste sera donc l'ennemi des dieux, et le juste en sera l'ami.

Courage, Socrate, régale-toi de tes discours! je ne te contredirai pas, pour ne pas me brouiller avec ceux qui nous écoutent.

Hé bien, prolonge pour moi la joie du festin, en continuant à répondre. Nous venons de voir que les hommes justes sont meilleurs, plus habiles et plus forts que les hommes injustes ; que ceux-ci ne peuvent rien faire de concert ; et c'était une supposition gratuite que de supposer que des gens injustes aient jamais rien fait de considérable de concert et en commun,. car s'ils eussent été tout-à-fait injustes, ils ne se seraient pas épargnés les uns les autres ; évidemment il faut qu'il y ait eu en eux un reste de justice qui les ait empêchés d'être injustes entre eux, dans le temps qu'ils l'étaient envers les autres, et qui les a fait venir à bout de leurs desseins. A la vérité, c'est l'injustice qui leur avait fait former des entreprises criminelles; mais elle ne les avait rendus méchants qu'à demi, car ceux qui sont entièrement méchants et injustes, sont par cela même dans une impuissance absolue de rien faire. C'est ainsi que la chose est réellement, et non pas comme tu le disais d'abord. Il nous reste à examiner si le sort du juste est meilleur et plus


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heureux que celui de l'injuste. Ce que nous venons de dire me le ferait croire. Mais examinons la chose plus à fond ; aussi bien il n'est pas ici question d'une bagatelle, mais de ce qui doit faire la règle de notre vie.

Examine donc.

C'est ce que je vais faire. Réponds-moi. Le cheval n'a-t-il pas une fonction qui lui est propre?

Oui.

N'appelles-tu pas fonction du cheval ou de quelque autre animal, ce qu'on ne peut foire ou du moins bien faire que par son moyen ?

Je n'entends pas.

Je présenterai ma pensée d'une autre manière. Peux-tu voir autrement que par les yeux?

Non.

Entendre autrement que par les oreilles?

Non.

Nous pouvons dire avec raison que c'est là leur fonction?

Oui.

Ne pourrait-on pas tailler la vigne avec un rasoir, des ciseaux ou quelque autre instrument ?

Pourquoi pas?

Mais on ne saurait mieux le faire qu'avec une serpette qui est faite exprès.

C'est vrai.


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C'est aussi là sa fonction.

Oui.

Tu comprends à présent que la fonction d'une chose est ce que cette chose seule peut faire, ou ce qu'elle fait mieux qu'aucune autre.

Je comprends, c'est bien là la fonction d'une chose.

Fort bien. Tout ce qui a une fonction particulière n'a-t-il pas aussi une vertu qui lui est propre ? Et pour revenir aux exemples dont je me suis déjà servi, les yeux ont leur fonction, disons-nous.

Oui.

Ils ont donc aussi une vertu qui leur est propre?

Oui.

N'en est-il pas de même des oreilles et de toute autre chose?

Oui.

Arrête un moment. Les jeux pourraient-ils s'acquitter de leur fonction s'ils n'avaient pas la vertu qui leur est propre, ou si au lieu de cette vertu ils avaient un vice contraire ?

Comment le pourraient-ils ? tu entends peut-être la cécité au lieu de la vue.

Quelle que soit la vertu qui leur est propre ; car je ne demande pas encore quelle est cette vertu, je demande seulement s'ils s'acquittent


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bien de leur fonction par la vertu qui leur est propre, et. mal par un vice contraire.

Certainement.

Ainsi les oreilles, privées de leur vertu propre, s'acquitteront mal de leur fonction?

Oui.

Ne peut-on pas en dire autant de toute autre chose ?

Je le pense.

Voyons ceci maintenant. L'âme n'a-t-elle pas ses fonctions dont nul autre qu'elle ne pourrait s'acquitter, comme penser, agir, vouloir, et le reste? Peut-on attribuer ces fonctions à quelque autre chose qu'à l'âme, et n'avons-nous pas droit de dire qu'elles lui sont propres ?

Cela est vrai.

Vivre, n'est-ce pas encore Une des fonctions de l'âme?

Sans doute.

L'âme n'a-t-elle pas aussi sa vertu particulière?

Oui.

L'âme, privée de cette vertu, pourra-t-elle jamais s'acquitter bien dé ses fonctions?

Cela est impossible.

C'est donc une nécessité que l'âme qui est mauvaise pense et agisse mal : au contraire, celle qui est bonne fera bien tout cela.

C'est une nécessité.


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Mais ne sommes-nous pas demeurés d'accord que la justice est une vertu et l'injustice un vice de l'âme?

Nous en sommes demeurés d'accord.

Par conséquent l'âme juste et l'homme juste vivront bien, et l'homme injuste vivra mal.

Cela doit être, d'après ce que tu as dit.

Mais celui qui vit bien est heureux (34) : celui qui vit mal est malheureux.

Assurément.

Donc le juste est heureux, et l'injuste malheureux.

Soit.

Mais il n'est point avantageux d'être malheureux; il l'est au contraire d'être heureux.

Qui en doute?

Il est donc faux, divin Thrasymaque, que l'injustice soit plus avantageuse que la justice.

A merveille, Socrate, voilà ton festin des Bendidées (35).

C'est toi, repris-je, qui as été mon hôte par ta douceur et ta bonté pour moi. Cependant je ne suis pas rassasié ; mais c'est ma faute et non la tienne.

J'ai été comme les gourmands qui se jettent avidement sur tous les mets à mesure qu'ils arrivent,


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sans en savourer aucun (36). Avant d'avoir résolu la première question que nous nous étions proposée sur la nature de la justice, je me suis mis à rechercher aussitôt si elle était vice ou vertu, habileté ou ignorance. Est survenue une autre question, si l'injustice est plus avantageuse que la justice, et je n'ai pu m'empêcher de quitter l'autre pour m'attacher à celle-ci ; de sorte que je n'ai rien appris de tout cet entretien ; car ne sachant pas ce que c'est que la justice, comment pourrais-je savoir si c'est une vertu ou non, et si celui qui la possède est heureux ou malheureux ?


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NOTES SUR LA RÉPUBLIQUE.

J'ai pris comme à l'ordinaire, pour base de ma traduction, celle de Grou, qui m'a paru, comme je l'ai déjà dit de sa traduction des Lois, fort au-dessus de sa réputation. Elle à été faite sur le texte de Henri Etienne et sur les deux traductions latines de Ficin et de de Serres.

J'ai eu sous les yeux tous lés travaux de quelque importance qui ont été entrepris dans ces derniers temps sur cet ouvrage de Platon. Le premier en date est celui de Ast (Jenae, 1804; Lipsiœ, 1814), lequel a servi de fondement à la partie de son édition complète de Platon; qui renferme la République (Platonis quœ exstant opera, tome IV et V, Lipsiœ, i8?a). Ici, comme ailleurs, les corrections de ce savant ingénieux, tout en attestant une rare sagacité, pèchent par une témérité excessive. La critique qui a présidé à l'édition de Bekker et à la traduction de Schleiermacher, est d'un tout autre caractère. Éclairée par la connaissance d'un


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grand nombre de manuscrits, une étude approfondie du texte la ramène presque toujours aux plus anciennes leçons. L'édition de Stallbaum ( Gothœ et Erfordiœ, 1829 et 1830 ), destinée aux Écoles, remplit parfaitement son but; elle contient en outre les levons de quelque» manuscrits de Florence que Bekker n'avait point données. Le dernier éditeur, M. Christophe Schneider de Breslau (Lipsiae, vol. I, 1830; vol. II, 1831 ; vol. III, 1833) a pu consulter quelques manuscrits de Vienne et un de Raudnitz, petite ville de Bohême, dans la bibliothèque des ducs de Lobkowitz. On ne peut nier que ce nouveau travail ne soit fort recommandable, surtout sous le rapport grammatical, et ce devait être une raison de plus pour M. Schneider de ne pas être aussi sévère et même injuste envers ses devanciers. Le reproche fondamental que Schneider fait à Bekker est d'avoir choisi lui-même, au milieu de tous les manuscrits dont il disposait, et que selon Schneider il na pas collationnés avec assez de soin, les leçons qui lui paraissaient les meilleures, au lieu de reconnaître d'abord et d'adopter, pour ne plus l'abandonner, la famille de manuscrits la pins ancienne et la plus sûre. « Quemadmodum Zeuxis fertur deam picturus quinque inspexisse virgines et quod in quaque laudatissimum esset in illam unam contulisse, ita Bekkerus,  ut Platonem quam formosissimum exhiberet, multis in-


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spectis codicibus quod quisque maxime placens obtulisset, recepit in hoc tamen dissimilis, quod, cum ille nudas spectasset, hic adsciticio nonnumquam ornatu imponi sibi passus est. Praefat., t. I, p. iv. » Selon Schneider, la vraie leçon est un fait, et à ce titre die doit se trouver dans un manuscrit qui fasse autorité. « Genuina lectio res est in facto posita, eodemque modo, quo aliœ res factœ, erui ex monumentis fide dignis debet. Ibid. » Cette théorie ne pourrait être vraie que si on avait le manuscrit même de Platon; et elle ne va pas à moins qu'à interdire absolument à la critique toute correction même évidente, et à la condamner aux leçons des copistes, alors même que le seps et la langue ne pourraient admettre aucune de ces leçons. Cette théorie n'est pas soutenable, mais elle est l'exagération d'un principe vrai, savoir, que l'autorité des manuscrits ne doit être abandonnée que dans des cas extrêmement rares, et quand la raison, qui nous rend un manuscrit respectable, nous oblige elle-même à nous en écarter; car en dernière analyse, là comme ailleurs, c'est toujours la raison qui doit décider. Le défaut de Schneider est le défaut opposé à celui de Ast. Entre ces deux manières, il y a un juste milieu à prendre; et selon moi, Schleiermacher et Bekker ont su le trouver et le suivre. Parmi les manuscrits, tous les critiques conviennent que le plus ancien et le plus respectable est


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celui de Paris, côté A par Bekker, et 1807 dans le Catalogue (Bibl. Reg. Catal., tom.II, pag. 405 ).Il est du Xe ou du IXe siècle.

Les manuscrits et les éditions diffèrent sur le titre. Les uns donnent πολιτεῖαι, d'autres πολιτεῶν α, β,, etc., d autres enfin πολιτεία. Cette dernière leçon, adoptée par les derniers éditeurs, paraît la vraie. Sans parler des passages mêmes de Platon, cités par Ast, édit. de 1814, p. 3i1, où peut-être il est plus question du sujet que du titre même de l'ouvrage en question, Morgenstern (Commentat, de Plat. Repub., p. 26 ) énumère un grand nombre d'auteurs anciens qui désignent cet ouvrage sous le titre de πολιτεία. Je n'en veux citer que deux, Aristote et Cicéron. Aristote, dans le second livre de ses Politiques, donne plusieurs fois Πολιτεία et Νόμοι, comme les deux écrits politiques de Platon, dont il examine avec soin les ressemblances et les différences. Voyez l'Aristote de Bekker, tome Il, page 1261, ligne 6: ἐν τῇ Πολιτείᾳ τῇ Πλάτωνος; et plus bas, ligne 9 : τὸν ἐν τῇ Πολιτείᾳ γεγραμμένον νόμον et passim. Cicéron, de Divinat., I,29 : In Platonis Politeia; II, 27: Platonis Politiam. L'expression Politia, tout-à-fait nouvelle en latin et contre toutes les analogies de cette langue, est évidemment la reproduction scrupuleuse du titre même de l'ouvrage de Platon.

Le mot de République, par lequel Grou a traduit


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Πολιτεία, donne une idée tout-à-fait fausse du but et du caractère de cet ouvrage. Il n'est ici question ni d'un État républicain ni d'un État monarchique, mais de l'État en lui-même, de la cité, du gouvernement, de la société; et non seulement de la grande société, mais de la petite, que chacun porte en soi-même, et qui se compose des divers éléments de la nature humaine. Schleiermacher traduit avec raison : der Staat, l'État J'aurais dû l'imiter; mais la République de Platon est une expression tellement consacrée, que tout en la blâmant je l'ai respectée. Au reste je n'ai mis la République que dans le titre ; dans le texte, j'ai mis partout ou l'État, ou la cité, ou la société.


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NOTES

LIVRE PREMIER.

PAGE I. — J'étais descendu hier au Pirée  BfeKKER, Part. III, vol. I, p. 3 : κατέβην χθὲς..

Euphorion et Panaetius, dans Diogène de Laerte, III, 37, rapportent que ce morceau fut trouvé dans les tablettes de Platon après sa mort, remanié plusieurs fois pour l'ordre dans lequel les premiers mots se succédaient les uns aux autres. Voyez aussi Denys d'Halicarnasse sur la composition des mots, chap. 25, et Quintilien, liv. VIII, chap. dernier. Nous devons avoir ici le dernier mot de Platon ; car il paraît impossible de rien ajouter à la belle simplicité et à la perfection de ce début.

lbid. — Pour faire notre prière à la déesse et voir aussi comment se passerait la fête, car c'était la première fois qu'on la célébrait  BEKKER , ibid : προσευξόμενός τε τῇ θεῷ καὶ ἅμα τὴν


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ἑορτὴν βουλόμενος θεάσασθαι τίνα τρόπον ποιήσουσιν ἅτε νῦν πρῶτον ἄγοντες.

Il me semble évident que τῇ θεῷ  et τὴν ἑορτὴν sont inséparables, et se rapportent l'un à l'autre. Or, quoi qu'en dise le Scholiaste, ἑορτὴν ne peut signifier les Panathénées, ni grandes ni petites, puisque Platon ajoute que cette fête se célébrait alors pour la première fois. Il s agit donc ici des Bendidées, comme le dit Platon à la fin de ce livre, ταῦτα... εἰστιάσθω ἐν τοῖς Βενδιδείοις, et j'admets, avec Schneider, l'explication d'Origène {contra Celsum, VI, p. 277, édit. Spenc.) προσευξόμενοι ὡς θεῷ τῇ Ἀρτέμιδι. Les Bendidées se célébraient deux jours avant les petites Panathénées. Cette fête était une importation du culte des Thraces ; voilà pourquoi dans ce passage les Thraces font partie de la pompe.

PAGE 3. — Ne savez-vous pas, dit Adimapte, que ce soir la course des flambeaux en l'honneur de la déesse se fera à cheval ?— A cheval, m'écriai-je, cela est nouveau! Comment, c'est à cheval qu'on se passera les flambeaux et qu'on disputera le prix ! BEKKER , p. 4 : οὐδ' ἴστε ὅτι λαμπὰς ἔσται πρὸς ἑσπέραν τῇ θεῷ ἀφ' ἵππων ; Ἀφ


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ἵππων; ἦν δ' ἐγώ· καινόν γε τοῦτο. Λαμπάδια ἔχοντες διαδώσουσιν ἀλλήλοις ἁμιλλώμενοι τοῖς ἵπποις;

D'après ce passage, il est évident que c'était alors la première fois que la course des flambeaux, à cheval était célébrée à Athènes. Je laisse aux archéologues à rechercher où ce mode de Lampadédromie se clébrait avant l'époque dont il s'agit? si venu à Athènes avec une fête de Thrace, il était particulier à ce pays renommé pour ses chevaux ainsi que la Thessalie, ou si, se rapportant au culte de Diane, il représente, comme le conjecture Muret avec plus d'esprit que de vraisemblance, la lune portée dans l'espace sur un char attelé de chevaux.̆ C'est aux archéologues aussi qu'il appartient de déterminer avec précision comment avait lieu cette course, soit à pied soit à cheval; car il y a une contradiction manifeste entre le texte de notre auteur et les autres passages de l'antiquité relatifs aux Lampadédromies. Le Scholiaste d'Aristophane, sur les Grenouilles, vers 131, dit positivement qu'il y avait à Athènes trois courses aux flambeaux, l'une en l'honneur de Prométhée, l'autre en l'honneur de Vulcain, l'autre en l'honneur de Minerve, et que ces courses avaient lieu dans le Céramique. Pausanias, Attique, chap. 30, décrit avec précision, l'une d'elles, celle en l'honneur de Prométhée. Elle consistait à courir depuis l'autel de Prométhée,


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qui était dans l'Académie, jusqu'à la ville, en tenant des flambeaux allumés; et il s'agissait, τὸ δὲ ἀγώνισμα ἐστί, de conserver son flambeau allumé en courant. Si le premier coureur le laissait éteindre, il perdait ses prétentions à la victoire, et elles passaient au second. Si le second ne conservait pas son flambeau allumé, c'est le troisième qui était vainqueur ; et si tous les flambeaux s'éteignaient, le prix n'était donné à personne. Rien n'est plus précis que ce passage de Pausanias; mais Platon ajoute ici une circonstance particulière qui change entièrement la condition du combat ; λαμπάδια ἔχοντες διαδώσουσιν ἀλλήλοις. Il fallait donc que les concurrents se transmissent l'un à l'autre les flambeaux qu'ils portaient à la main, ce qui ne pouvait avoir lieu dans l'hypothèse de Pausanias; car, selon Pausanias, celui dont le flambeau, s'éteignait se retirait de la lutte et ne pouvait transmettre à l'autre que ses prétentions. Ainsi, selon Platon, comme l'a fort bien remarqué Schleiermacher, il semble qu'il ne s'agissait pas d'arriver le premier au but avec un flambeau allumé, mais de se le passer l'un à l'autre sans l'éteindre. C'est aux monuments eux-mêmes à décider cette question; mais le texte de Platon est formel : ἀλλήλοις se rapporte à διαδώσουσιν, et non pas à ἀμιλλώμενοι. Et il ne faut pas croire que Platon n'attribue cette circonstance qu'aux courses de flambeaux à cheval; dans les Lois, liv. VI, est un pas-


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sage analogue, où il n'est question que des courses aux flambeaux en général : καθάπερ λαμπάδα τὸν βίον παραδιδόντας ἄλλοις ἐξ ἄλλων, d'où le vert célébré de Lucrèce, et quasi cursores vitai lampada tradunt, et tant d'autres imitations, comme : defagitatus cursor dat integro facem, Cicéron, ad Herennium 4; et le vers 61 de la satire sixième de Perse : Qui prior es cur me fn decursus lampàda poscis imitations qui toutes supposent que les coureurs se transmettaient l'un à l'autre le flambeau encore abîmé, sans quoi la comparaison avec la vie que les hommes en mourant se transmettent les uns autres, manque de fondement.

PAGE 5. — Fais-moi donc la grâce, sans renoncer à la compagnie de ces jeunes gens, de ne pas oublier non plus un ami qui t'est bien dévoué. BEKKER,  p. 6 : Μὴ οὖν ἄλλως ποίει, ἀλλὰ τοῖσδέ τε τοῖς νεανίσκοις ξύνισθι καὶ δεῦρο παρ' ἡμᾶς φοίτα ὡς παρὰ φίλους τε καὶ πάνυ οἰκείους.

Ficin : Una cum istis juvenibus huc ad nos veni tanquam ad amicos apprime familiares. Cette traduction suppose ξύνισθι, que donnent en efffet plusieurs manuscrits de Bekker et de Schneider, ainsi que Thomas Magister, p. 478. Mais la leçon du plus grand nombre, et


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entre autres du manuscrit A, est ξύνισθι, qwe tous les critiques ont admis. Grou, d'après Henri Étienne a bien lu  ξύνισθι ; mais sa traduction, beaucoup trop légère, ne reproduit pas le vrai sent de la phrase de Platon. Céphale n'invite pas Socrate à venir faire la conversation avec les jeunes gens et à fréquenter leur compagnie. Il n'y avait pas besoin d'exhorter Socrate à cela ; mais Céphale l'invite à le venir voir, lui vieillard, qui naturellement devait l'attirer moins que les jeunes gens. C'est donc à Céphale que je rapporte ἡμᾶς de παρ' ἡμᾶς φοίτα... ; comme plus haut, ἡμεῖς se rapporte évidemment au seul Céphale. Cela posé, je crois qu'ici, comme en beaucoup, d'autres cas, le τε... καὶ a une force particulière. Fréquente bien ces jeunes gens, si tu veux, mais aussi ne néglige pas un vieillard qui t'aime. Le dernier membre καὶ δεῦρο παρ, ἡμᾶς φοίτα est le vrai but de fa phrasé entière, car Céphale parle ici pour lui et non pas pour ses enfants et leurs jeunes amis, que Socrate voyait de reste. Ast a manqué ce passage : Sed cum hisce juvenibus consuesce et huc ad nos ventita ut adamicos et per familiares. Stallbaum et Schneider ne s'y sont pas arrêtés. Schleiermacher : Und halte nicht nur mit diesen jungen Leuten hier zusammen, sondern besuche auch uns.... Fort bien, pour  τε... καὶ ;
mais il n'aurait pas dû mettre hier dans le premier membre, mais seulement dans le second, comme il est


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dans le texte : καὶ δεῦρο παρ' ἡμᾶς. Cette transposition modifie tout le sens de la phrase.

Ihid. — Eh bien, est-ce une partie si pénible de la vie; comment la trouves-tu ? BEKKER : πότερον χαλεπὸν τοῦ βίου, ἢ πῶς σὺ αὐτὸ ἐξαγγέλλεις.

Le voisinage de γήραος οὐδῷ fait soupçonner à Schleiermacher que χαλεπὸν τοῦ βίου est aussi un fragment de poète. C'est une pure hypothèse inadmissible et inutile. Si l'on veut exprimer tous les sous-entendus, la phrase entière serait : πότερον ἐξαγγέλλεις αὐτὸ (τὸ γῆρας) (εἶναι τὸ ou τι μέρος) χαλεπὸν τοῦ βίου. Stallbaum lit χαλεπὸν τοῦτο τοῦ βίου pour τοῦτο μέρος τοῦ βίου. Mais outre que τοῦτο n'est dans aucun manuscrit, τοῦτο serait fort peu élégant avec αὐτό, qui suit presque immédiatement. Quelques manuscrits ont : τὸ τοῦ βίου, et cette leçon est fort convenable, elle reviendrait à la locution française: le bon, le difficile, le fâcheux de l'affaire, de la chose, etc. Schneider entend τοῦ βίου, comme une sorte d'enclitique, ainsi que dans cette locution : τοῦτο θαυμάσιον ἡγοῦμαι τοῦ βίου pour τοῦτο θαυμάζω.

PAGE 7. — Il trouvent que tu dois moins à ton caractère qu'à ta grande fortune de porter si


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légèrement le poids de la vieillesse. Car, disent-ils, la richesse a bien des consolations. — Oui, dit Céphale, ils ne m'écoutent pas. BEKKER, p. 8 :

τοὺς πολλούς, ...  οὐκ ἀποδέχεσθαι ἀλλ' ἡγεῖσθαί σε... τοῖς γὰρ πλουσίοις πολλὰ παραμύθιά φασιν εἶναι. Ἀληθῆ, ἔφη, λέγεις· οὐ γὰρ ἀποδέχονται. Καὶ λέγουσι μέν....

Muret fait un proverbe de la phrase : τοῖς γὰρ πλουσίοις...; il y reconnaît même un proverbe en vers : πόλλ' ἔστι τὰ παραμύθια. Si ce proverbe, en vers ou non, était positivement connu, on pourrait entendre φασὶν, dans son sens ordinaire et absolu, on dit, dit-on, comme le fait Grou; mais faute de trouver quelque partee proverbe, j'ai rapporté φασὶν au sujet qui précède et domine toute la phrase, savoir τοὺς πολλοὺς, auquel sujet se rapporte évidemment ἀποδέχονται καὶ λέγουσι de la phrase suivante.

PAGE 8. — Ceux qui la doivent (leur fortune ) à. leur industrie, y sont doublement attachés; ils l'aiment d'abord parce qu'elle est leur ouvrage , comme les poètes aiment leurs vers et les pères leurs enfants ; et ils l'aiment encore comtne tous les autres hommes pour l'utilité


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qu'ils en retirent. BEKKER , p. 9 : οἱ δὲ κτησάμενοι διπλῇ ἢ οἱ ἄλλοι ἀσπάζονται αὐτά. Ὥσπερ γὰρ οἱ ποιηταὶ τὰ αὑτῶν ποιήματα καὶ οἱ πατέρες τοὺς παῖδας ἀγαπῶσιν, ταύτῃ τε δὴ καὶ οἱ χρηματισάμενοι περὶ τὰ χρήματα σπουδάζουσιν ὡς ἔργον ἑαυτῶν, καὶ κατὰ τὴν χρείαν ᾗπερ οἱ ἄλλοι.

Plusieurs manuscrits, Ficin, Comarius et Ast lisent καὶ ο)υ κατὰ τὴν χρείαν, aiment la fortune qu'ils ont acquise comme les poètes leurs vers, parce qu'elle est leur ouvrage, et non pas à cause du profit qu'ils en retirent. Mais d'abord οὐ ne se trouve pas dans les meilleurs manuscrits; ensuite, pour le justifier, on est réduit à prendre διπλῇ dans un sens purement emphatique ; multo vehementius quam. En laissant à διπλῇ sa signification naturelle, et sans avoir besoin d'οὐ, on obtient un sens très satisfaisant : On aime doublement la fortune qu'on a faite, et parce qu'on l'a faite et parce qu'on en jouit. Pour mieux marquer ce sens qui est le vrai, Stallbaum propose αὖ au lieu de οὐ, mais cette leçon est une pure conjecture, et formerait un parallélisme tout-à-fait opposé à la manière de Platon et à l'abandon de la conversation. Schneider, qui relève aigrement les fautes de tout le monde, en prête une ici à Stallbsujn, que celui-ci n'a paa faite. Il affirme qu'il adopte la leçon οὐ avec Ast (Paulo post οὐ


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inserens cum eodem inter καὶ et  κατά; loin de là Stallbaum est tombé dans la faute contraire.

PAGE 17. — Et celui qui est le plus habile à se garder d'une maladie et à la prévenir, n'est-il pas en même temps le plus capable de la donner à un autre ? BEKKER, p. 16 : Ἆρ' οὖν καὶ νόσον ὅστις δεινὸς φυλάξασθαι καὶ μὴ παθεῖν, οὗτος δεινότατος καὶ ἐμποιῆσαι;

Toutes les éditions et tous les manuscrits, deux seuls exceptés, donnaient avant Bekker; φυλάξασθαι λαὶ λαθεῖν, ce qui ne fait aucun sens ; car quoi qu'en dise Stallbaum, il est impossible de prendre au sérieux l'interprétation de Ast.et avecSchleiermacher, je n'ai point hésité à adopter la nouvelle leçon καὶ μὴ παθεῖν, trouvée par Bekker dans l'excellent manuscrit de Munich, et par Stallbaum dans un manuscrit de Florence. Stallbaum se rend aussi à cette leçon en omettant καί, omission qui » est dans aucun manuscrit et détruit l'analogie de ce passage avec les autres passages où φυλάξασθαι est pris absolument, en opposition avec πατάξαι et κλέπτειν. Παθεῖν avec ἐμποιῆσαι forme l'opposition si fréquente dans Platon et en grec de παυεῖν et ποεῖν. Pour le καὶ qui précède ἐμποιῆσαι, la plupart des manuscrits l'o-


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mettent, mais il est dans quelques-uns; quoique plus élégant, à la rigueur on peut s'en passer. Je regarde donc la longue controverse établie sur ce passage comme terminée. Ce n'est pas l'avis de Schneider, qui pour ne pas s'écarter des manuscrits, propose de mettre la virgule après φυλάξασθαι, et de rejeter καὶ λαθεῖν au second membre de phrase : καὶ λαθεῖν οὗτος δεινότατος ἐμποιήσαι, ce qui donne une pensée très alambiquée, et introduit l'idée de en cachette, qui est ici bien inutile. Socrate, comme les sophistes, joue sur les mots et passe du sens d'un mot à un autre sens, et par là du contraire au contraire; il conclut de φυλάξαι, se garder, à φυλάξαι, garder, puis de μὴ παθεῖν à ἐμποιήσαι, enfin de φυλάξαι à κλέψαι. L'idée de λαθεῖν n'a donc rien à voir ici. De plus, il faudrait ἐμποιῆσας et non pas ἐμποιῆσαι,qui pourtant est la seule leçon des manuscrits que Schneider, dans son système exclusif, n'a pas le droit de changer, même le plus légèrement.

PAGE 20. — Ta veux donc que nous ajoutions aussi quelque chose à notre définition de la justice. Nous avions dit d'abord.... Maintenant il faudrait que nous ajoutions BEKKER, p. 18..

Il avait été reconnu que προσθεῖναι peut très bien


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être pris dans un sens absolu, et n'a aucun besoin de τι ou de ἄλλο, qui se trouve dans un seul et mauvais manuscrit, encore moins de ἄλλως ἢ de Henri Etienne. C'est pourtant cette correction que Schleiermacher a suivie : eine andreBestimmung als wie zuerst sagten, et cela contre Bekker, qui met une virgule avant ἤ. Stallbaum propose ou d'ajouter ἄλλο pour expliquer , ou de changer ἢ en καί. Schneider défend ici avec raison la leçon des manuscrits; il montre que ἢ s'emploie aussi pour exprimer une simple modification. Bekker paraît bien avoir été de cet avis, mais il aurait dû mettre une virgule avant νῦν , et réserver le point d'interrogation pour la fin de la phrase entière après

PAGE 34. — J'apercevrai toutes tes ruses, et tes ruses éventées, tu n'espères pas remporter sur moi dans la dispute? BEKKER, p. 31 :  οὔτε γὰρ ἄν με λάθοις κακουργῶν, οὔτε μὴ λαθὼν βιάσασθαι τῷ λόγῳ δύναιο.

Tous les manuscrits donnent μὴ λαθὼν. Il est étonnant que Ficin, Grou, Etienne et Ast rejettent μὴ, et que Stallbaum lui-même, qui connaissait l'unanimité des manuscrits, s'obstine aussi à le rejeter. Le sens est pourtant bien simple : « J'apercevrai tes ruses, et,


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comme je les apercevrai, tu seras réduit à employer la force ouverte, qui ne peut te réussir contre moi. » Ce n'est pas là tout-à-fait l'interprétation de Bremi et de Dœderlein, qui rapportent trop étroitement μὴ λαθὼν à βιάσασθαι, pour φανερῶς βιάσασθαι. Schleiermacber défend la leçon de Bekker et des manuscrits, et Schneider se garde bien de s'en écarter.

PAGE 35. — Mais un art quelconque a-t-il un intérêt étranger, et ne lui suffit-il pas d'être en lui-même aussi parfait que possible? BEKKER, p. 32 : Ἆρ' οὖν καὶ ἑκάστῃ τῶν τεχνῶν ἔστιν τι ξυμφέρον ἄλλο οὗ προσδεῖται, ἢ ἐξαρκεῖ ἑκάστη αὑτὴ ἑαυτῇ ὥστε ὅτι μάλιστα τελέαν εἶναι.

Toutes les éditions avant Bekker, et tous les Manuscrits, un seul excepté, donnent seulement ξυμφέρον ἄλλο ἢ ὅτι μάλιστα τελέαν εἶναι. Scbleiermacber, et après lui Schneider, ont montré que la nouvelle leçon n'est pas seulement préférable, mais nécessaire. Cependant Schneider, dans son système outré d'exactitude, est embarrassé, et il doit l'être, ayant contre lui la grande majorité des manuscrits. Pour nous, nous remarquerons que si un seul manuscrit de Bekker donne la vraie leçon, ce manuscrit est un des meilleurs, celui de Munich, et qu'ensuite un de Florence collationné par Stall-


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baum, la donne aussi. Cette conformité de deux manuscrits élève cette leçon bien au-dessus des simples conjectures, et la rend un fait tout comme l'ancienne leçon, tout comme la leçon καὶ μὴ παθεῖν ; et si ce fait n'a pas en sa faveur un aussi grand nombre de témoignages, c'est seulement pour nous un motif de l'examiner avec d'autant plus d'attention ; mais quand l'examen et la raison le confirment, il n'y a plus rien à lui demander.

PAGE 49. — Quoi ! la justice est un vice ! — Non, c'est une folie généreuse. — Et n'appelles-tu pas l'injustice méchanceté ! — Non, c'est prudence. BEKKER, p. 45 : Ἦ τὴν δικαιοσύνην κακίαν; Οὔκ, ἀλλὰ πάνυ . Τὴν ἀδικίαν ἄρα κακοήθειαν καλεῖς; Οὔκ, ἀλλ' εὐβουλίαν, ἔφη.

Thrasymaque définit la justice, γενναία εὐήθεια. Mais εὐήθεια veut dire à la fois bonté et sottise; d'où il suit que son contraire est à la fois κοκοήθεια, et εὐβουλία, prudence, sagesse. Socrate, «'attachant au premier sens d'εὐήθεια, bonté, en conclut qu'à ce compte le contraire de la justice, l'injustice est κακοήθεια, une perversité réelle; mais Thrasymaque, qui ne veut pas de cette conclusion, définit l'injustice par le second


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 contraire de εὐήθεια, savoir, εὐβουλια, habileté, esprit de conduite. Ces rapports et.ces contrastes dans les idées, marqués en grec avec netteté et même avec une certaine grâce, par le rapport et le contraste des mots, n'ont plus rien de frappant ni même de clair dans la traduction française.

PAGE 50. — Quoi! pas même pour la justice. BEKKER, p. 46 :  τί δέ· τῆς δικαίας πράξεως;

Grou paraît avoir pensé que δικαίας πράξεως n'est pas gouverné par πλέον, mais par περὶ sous-entendu. La parfaite justice veut la parfaite égalité des choses égales, et on ne conçoit pas un homme vraiment juste qui veuille avoir plus de puissance ni d'avantage quelconque qu'un autre juste. La seule tentation pour vouloir cette supériorité d'avantages, est la conscience qu'on en usera justement ; mais ce prétexte manque vis-à-vis d'un aussi juste que soi. Ainsi le vrai juste ne veut pas pouvoir plus qu'un autre juste, même pour la justice et pour le bien. Mais par la même raison, il doit vouloir plus de puissance que l'homme injuste. Il en est de même du médecin vis-à-vis le vrai médecin, car ce serait vouloir l'emporter sur son propre art. Il faudrait donc sous-entendre περὶ avant τῆς δικαίας πράξεως, dans le premier endroit


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et dans le second, comme aussi avant πράξεως, dans le dernier endroit ἀδίκου ἀνθρώπου τε καὶ πράξεως. J'ai conservé cette interprétation de Grou. Mais à la réflexion, elle présente des difficultés graves. Dans le dernier endroit, ἀδίκου ἀνθρώπου τε καὶ πράξεως est nécessairement régi par πλεονεκτήσει, d'où il suit qu'il en doit être de même dans le passage précédent, où καὶ τῆς δικαίας πράξεως est intimement lié à τοῦ δικαίου, que régit πλεονεκτεῖν. Enfin, πλεονεκτεῖν veut plutôt dire dans tout ce. morceau l'emporter qu'avoir plus de puissance. Sur le fond, voyez Proclus, Comment. sur l'Alcibiade dans l'édition de Paris, t. III, p. 208.

PAGE 55. — Mais maintenant, si la justice est habileté et vertu. BEKKER, p. 5. : νῦν δέ γε, ἔφην....

Ἔφην est évidemment la bonne leçon. C'est le signe d'une pause que fait le même personnage, savoir, So-crate. Mais je n'ai pas jugé nécessaire de l'exprimer dans la traduction.

PAGES 60— 61. — S'ils s'acquittent bien de leurs fonctions par la vertu qui leur est propre, et mal par un vice contraire. BEKKER, p. 54 :


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εἰ τῇ οἰκείᾳ μὲν ἀρετῇ τὸ αὑτῶν ἔργον εὖ ἐργάσεται τὰ ἐργαζόμενα

Au premier coup d'œil il paraît tout simple d'entendre τὰ ἐργαζόμενα par tout agent; mais cette généralisation serait ici déplacée. On n'en est encore qu'aux yeux, tout à l'heure viendront les oreilles, et plus tard lame. Cette marche est tout-à-fait socratique. Il faut donc ne pas sortir ici de l'exemple particulier, savoir, les yeux. Grou, Schleiermacher, Stallbaum et Schneider généralisent. Ast fait de τὰ ἐργαζόμενα le nominatif de la phrase, comme s'il y/avait τὰ ὄμματα τὰ ἐργαζόμενα. J'aimerais encore mieux omettre, avec Ficin, τὰ ἐργαζόμενα, que de l'entendre dans un sens général.


(01) Glaucon et Adimante, fils d'Ariston et de Perictione, étaient frères de Platon.

(02) En l'honneur de la déesse, la Diane de Thrace, appelée Bendis, et qui avait un autel au Pirée. Introduite pour la première fois à Athènes, à l'époque où cet entretien est supposé avoir eu lieu, cette fête se célébrait le vingtième jour du mois Thargélion, et deux jours avant les petites Panathénées. Voyez la fin de ce premier livre, p. 62, où la fête est appelée les Bendidées ; Proclus, Comment, sur la République, p. 353, et aussi Comment, sur le Timée, p. 9; Ruhnken, ad Tim. Glossar., p. 62; Hesychius, au mot Βενδίδεια; Meursius, Feriat. Graec, p. 57, et Creuzer, Symbolik, t. II, p. 129, seconde édition.

(03) La pompe était une cérémonie où Ton portait en procession les statues des dieux. Voyez Spanheim, sur Calli-aque, Hymn. in Del, v. 279.

(04) Céphale, rhéteur de Syracuse, d'autres disent de Thorium, avait pour fils Polémarque, Euthydème, Brachylle et le célèbre orateur Lysias. Il était venu à Athènes sous le gouvernement et à la sollicitation de Périclès. Polémarque fut condamné à mort par les trente tyrans. Voyez Plutarque, Vie de Lysias dans les Vies des dix Orateurs édit de Reiske, t. II, p. 835.

(05) Général athénien qui périt au siège de Syracuse. Voyez Thucydide et Plutarque. Il est question du père, et du fils à la fia du Lachès. Ce Nicérate fut aussi mis à mort par les Trente.

(06) Voyez la note à la fin du volume.

(07) Le pervigilium des Latins.

(08)  Le célèbre orateur de ce nom.

(09) Celui qui a donné son nom à un dialogue de Platon.

(10) Ville de Bithynie. Sur Thrasymaquè, voyez le Phèdre, ainsi que Cicéron, Orat, 52, de Orat. III, 13, 16, 32; Quintilien, III, 1,10; Philostrate, Vies des Sophistes, I, 14.

(11) Personnage inconnu.

(12) Disciple de Thrasymaque, qui a donné aussi son nom à un dialogue attribué faussement à Platon. L'Aristonyme ici mentionné est-il celui que Platon envoya aux Arcadiens pour leur donner des lois en son nom, au rapport de Plutarque, contre Colotès, édit de Reiske, t. X, p. 629?

(13) Homère, Iliade, chant XXIV, v. 486 et passim ; Hésiode, Les œuvres et les jours, v. 326.

(14) Les gens du même âge se plaisent ensemble. Voyez Apostolius, Adag, IX, 78; Erasme, Adag. I, 2, 20.

(15) Cicéron a presque traduit ce discours dans le Cato, 3; voyez aussi l'imitation de Juncus, dans Stobée, Sermones, CXII; et le passage de Musonius sur la vieillesse, Stobée, Serm. CXVI.

(16) Une des Cyclades, si petite qu'elle en était passée en proverbe.

(17) Aristote a imité cette pensée, Morale à Nicomaque, IV, I, et liv. IX, 4

(18)  Fragments, tom. III, i, p. 80, édit. de Heyne. C'est le fragment CCXLIII dans Boeck, t. II, p. 682.

(19) Simonidis fragmenta, CLXI ; dans les Poetae Grœci minores de Gaisford, t.1, p. 401.

(20) C'est une ironie; car Simonide était le poète favori des Sophistes. Voyez le Protagoras.

(21) Premier sophisme sur le double sens de φυλάξαι se garder et garder. Socrate conclut d'abord d'un sens à l'autre. Ensuite, sur cette supposition que, qui peut se garder d'un coup peut aussi le porter, il en conclut que qui peut garder une chose peut aussi la dérober. Ces jeux de mots étaient les armes ordinaires des Sophistes, et Socrate les emploie ici contre eux par ironie.

(22Odyssée, XIX, v. 395,

(23) L'ironie est ici visible; et cette conséquence forcée avertit assez que le but de Socrate est d'abord seulement d'embarrasser l'écolier des Sophistes.

(24)  Tyran de Corinthe.

(25) Roi de Macédoine et père du roi Archélaüs

(26) Citoyen puissant de Thèbes. Xénophon en parle Hist Gr. III ,5, 1. Voyez le Ménon.

(27) Allusion à l'opinion populaire que le regard du loup, jeté sur quelqu'un, le rendait muet : on évitait ce malheur en regardant le loup le premier. Voyez le Schoiiaste de Théocrite, Idylle XIV, 22;, Virgile, Églogue IX, 53.

(28) Célèbre athlète de Thessalie. Pausanias, VI, 5; VII, 27.

(29) Κρείττων a deux sens : il se dit de celui qui est plus fort physiquement et de celui qui est plus fort moralement, c'est-à-dire meilleur. Thrasymaque, pour se tirer d'embarras, l'emploie maintenant dans le second sens, après l'avoir pris et laissé prendre dans le premier. Ce sophisme verbal est impossible à rendre en français.

(30) Pris ici dans le sens de meilleur.

(31) Proverbe pour dire : Entreprendre quelque chose au dessus de ses forces. Voyez le Scholiaste et Apostolius, IX, 32.

(32) Il y a en Grec tant d'analogie entre vaisseau (ναῦς) et matelot (ναύτης), qu'il serait assez naturel d'appeler matelot quiconque est sur le vaisseau, et le pilote lui-même.

(33)  Pour habile et inhabile le grec dit ἀγαθὸς et κακός, ce qui donne à la conclusion plus d'étendue que les deux mots français qu'il nous a fallu adopter, pour ne pas donner à ce passage un caractère faux. C'est bien assez d'avoir traduit σοφὸς et σοφία par sage et sagesse, et quelquefois même ἀρετή par vertu. Les mots à deux nuances sont très bien placés dans cette discussion préliminaire, dont la forme est à dessein sophistique.

(34) Conclusion fondée sur le double sens de l'expression bien vivre, εὖ ζῆν.

(35) Voyez la note au commencement de ce livre, p. 1.

(36) Julien a imité cette comparaison, Orat. II, p. 69.