MAXIME DE TYR

 

DISSERTATIONS

 

Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer

 

 

 

 

 

MAXIME DE TYR

 

MAXIME DE TYR

 

DISSERTATION XXXII.

Homère admet-il un système de principes fixes et déterminés (01)?

 

I. A l'instar d'Homère, je veux invoquer dans ce discours quelqu'un des Dieux, ou cette Calliope qu'il invoque lui-même : « Muse, parle-moi de cet homme plein de sagesse qui parcourut beaucoup de régions (02)». Non pas d'un homme qui ait abordé à une terre inhospitalière, qui ait navigué sur une mer orageuse, qui ait été jeté chez des peuples barbares, (car telles sont les fables que l'on trouve dans ses poèmes); mais de cet homme dont l'âme, substance agile, et qui voyage bien plus facilement que le corps, se soit portée de toutes parts, ait tout contemplé, les mouvements du ciel, les événements de la terre, les résolutions des Dieux, les affections naturelles des hommes, la lumière du soleil, le concert des astres, les générations des animaux, le reflux de la mer, les fleuves à leur embouchure, les vicissitudes de l'atmosphère, la politique, l'économie domestique, la guerre, la paix, le mariage, l'agriculture, l'équitation, la marine, les arts divers, les divers langages, les formes de tout genre, les hommes dans leurs situations variées, de douleur, de volupté, de deuil, d'allégresse, de querelle, décolère, de festins, et de navigation. Empruntons ici les propres termes d'Homère, faute d'avoir des expressions de mon chef, pour le louer comme il le mérite ; ayons recours à quelqu'un de ses vers, afin de ne point dégrader son éloge : « O Homère, j'ai pour toi plus de vénération que pour nul autre des mortels ! Certes, c'est, ou une Muse, fille de Jupiter, ou Apollon lui-même, qui t'ont formé à leur école (03) » ! Or, les leçons des Muses et d'Apollon, il n'est pas le moins du monde permis de penser qu'elles consistent dans des choses autres que celles qui sont l'ornement de l'âme. Eh! que seraient ces choses-là, sinon la philosophie? Eh ! la philosophie elle-même, que penserons-nous qu'elle soit, sinon la pleine science des choses divines et humaines (04), laquelle nous conduit à la vertu, à là justesse du raisonnement, à une vie bien réglée, et aux bonnes mœurs?

II. L'objet principal de cette science, pendant tout le temps qu'il fut enveloppé sous divers emblèmes, nourrissait l'âme de ceux qui s'en occupaient d'une doctrine dont toute difficulté était écartée. Les uns la rendirent recommandable, en la présentant sous un appareil religieux et sacerdotal (05) ; les autres, en la présentant sous les allégories de la fable (06) ; ceux-ci, en la présentant sous le voile de la musique (07), et ceux-là, en la présentant sous celui de la divination (08). Tous avaient, sans doute, un objet utile, mais chacun (09) avait son emblème particulier. A la longue, les hommes s'émancipèrent (10) à l'école de la sagesse. Ils dépouillèrent la philosophie des voiles sous lesquels la fiction l'avait enveloppée. Ils la montrèrent à nu, étrangère à toute pudeur, s'abandonnant à tout le monde, et se prostituant, en quelque sorte, au premier venu. Son nom seul conserva quelque dignité, encore devint-il le jouet de misérables sophismes. Les poèmes d'Homère et d'Hésiode, les ouvrages des anciens poètes, tout divins qu'ils étaient, ne furent regardés que comme des fables. On ne les estima que sous le rapport de la narration des faits, de la douceur de la versification, des fleurs et de l'harmonie du style ; il en fut comme des sons de la flûte ou de la cithare. Ce qu'ils renfermaient de beau fut dédaigné, et dépouillé du caractère de la vertu. Homère lui-même, le premier des philosophes, ne fut plus regardé comme tel. Depuis que les sophismes nés dans la Thrace et dans la Cilicie (11), eurent paru dans la Grèce, ainsi que les atomes d'Epicure, le feu d'Héraclite, l'eau de Thalès, l'air d'Anaximène (12), le conflit d'Empédocle, le tonneau de Diogène, au milieu de ces légions de philosophes, qui s'attaquaient et se combattaient réciproquement, on n'entendit plus de toutes parts que les bruyantes déclamations, que le vain fracas des sophistes, qui se persiflaient à l'envi. L'objet fondamental de la philosophie fut tristement relégué, comme dans un désert ; et ce souverain bien, dont on avait fait tant de bruit, pour lequel toute la Grèce s'était passionnée, et qui avait produit tant de sectes, ne fixa plus l'attention de personne.

III. Et cependant ces antiques principes, à l'égard desquels les ouvrages d'Homère tiennent encore le-premier rang, ont formé et développé les nourrissons de la philosophie, les plus distingués, les plus vrais, et dont elle doit le plus s'honorer. Platon est de ce nombre. Il aurait beau refuser de reconnaître Homère pour maître. Je vois des indices qui en font foi. Je reconnais moi-même les impressions qu'il en a reçues (13). Ce sont ses pieds, ses mains, les traits de ses yeux, sa tête, sa chevelure (14). J'oserais même dire que Platon tient plus d'Homère que de Socrate ; quoiqu'il ait l'air de s'éloigner du premier, et de suivre l'autre. Non que je veuille dire que Platon se sert du même langage qu'Homère, des mêmes noms, des mêmes verbes (15), quoique ceux qu'il emploie ne soient qu'une dérivation, une émanation de l'harmonieuse diction du poète, ainsi que les Palus-Méotides émanent de l'Océan (16), ainsi que le Pont-Euxin émane des Palus-Méotides, l'Hellespont du Pont-Euxin, et la mer qui nous environne de l'Hellespont. Je ne mets en parallèle que les opinions, et je n'envisage que leur ayngénésie (17). Ailleurs, je parlerai de Platon et d'Homère sous l'autre rapport. Bornons-nous, ici, à la doctrine de ce poète qui fait le sujet de ce discours, et considérons-la sous le point de vue qui lui convient.

IV. Je regarde Homère comme un homme d'un génie divin, d'une profonde sagesse, d'une expérience consommée, qui entreprit de mettre la philosophie à la portée du vulgaire, parmi les Grecs, à l'aide de la passion qu'ils avoient, alors, pour le plaisir musical de la poésie. Il n'adopta précisément, ni le genre ionique, ni le genre dorique, ni le genre attique (18). Il prit le genre commun à toute la Grèce. Comme il devait s'adresser à tous les peuples qui la composaient, il amalgama leurs langages divers, et les entremêla, en forme de poème, dans ses ouvrages. Il donna à ces derniers les charmes du style; il les rendit intelligibles à tout le monde, et conformes au goût de chacun. Considérant, d'ailleurs, que, parmi les hommes, le cercle des gens éclairés est circonscrit, et que le vulgaire aimé qu'on excite ses passions, il ne voulut point paraître, dans ses poèmes, avoir exclusivement travaillé, ni pour l'un, ni pour l'autre. Il ne fit point comme Hésiode, qui, dans des ouvrages séparés, traite tantôt de l'origine des héros (19), de leur généalogie, en commençant par les femmes dont chacun d'eux tire son extraction ; tantôt de la religion, et en même temps de la théogonie (20) ; tantôt de ce qui intéresse la vie privée (21), des travaux que l'on doit faire, des jours où l'on doit y vaquer. Tel ne fut point le plan d'Homère. Les matières ne sont ni traitées séparément, ni confondues pêle-mêle dans ses ouvrages. Mais il paraît avoir eu pour but de s'envelopper du voile de la Mythologie. Autre est le sujet de l'Iliade, autre est le sujet de l'Odyssée (22). Mais, dans l'une et dans l'autre, sont entremêlées les notions de la théologie, la morale politique (23), les vertus, les vices, les passions, le malheur et le bonheur des hommes ; et quoique chacune de ces choses ait son cadre particulier, on dirait d'un instrument qui réunit tous les genres d'harmonie, qui produit tous les sons, mais avec un ensemble et un accord réciproque. Ou plutôt, qu'on se représente une réunion de plusieurs instruments, la flûte, la lyre, la trompette, le chalumeau, et tous les autres instruments de musique, en concert avec le chant d'un chœur. Chacun de ces instruments a bien son caractère musical à soi; mais il a aussi ses points de contact, à l'aide desquels il entre en accord commun avec les autres.

V. Pour abréger, il en est de la poésie d'Homère, comme des tableaux d'un peintre, tel que Polygnotte, ou Zeuxis, que nous supposerons philosophe. Il ne travaillera point au hasard. Il aura un double objet en vue; l'un, sous le rapport de son art; l'autre, sous le rapport de la vertu. Sous le premier rapport, il s'efforcera de donner aux formes et aux costumes de ses personnages la ressemblance de la vérité : sous le second, il tâchera de saisir le caractère (24) de décence et de dignité propre à exprimer la beauté morale. Envisagez donc Homère sous le rapport de ce double point de vue. Sous le rapport politique, il s'embellit des fictions de la Mythologie : sous le rapport de la philosophie, il se montre zélateur de la vertu, et profond dans la connaissance de la vérité. En effet, il introduit, dans un de ses poèmes, un jeune homme de Thessalie, et un homme revêtu d'une autorité suprême (25), Achille et Agamemnon : l'un, Agamemnon, poussé par la colère à l'insulte; l'autre, Achille, poussé par l'insulte à la colère ; emblèmes des passions de la jeunesse, et de l'orgueil du pouvoir. Opposez à l'un et à l'autre Nestor, recommandable par son grand âge, par la sagesse de ses conseils, par les charmes de son éloquence. D'un autre côté, il a introduit Thersite, horrible à voir, vilipendant tout le monde, et dénué de jugement, pour être l'emblème d'une populace effrénée. Mais opposez-lui un homme de mérite, qui arrive, et « qui accueille avec des manières affables et un ton poli, le premier Prince, ou le premier personnage de considération qu'il rencontre, et qui écarte avec son sceptre l'homme obscur qu'il aperçoit et qui vocifère (26) ». Ne diriez-vous point que c'est Socrate, honorant d'un accueil distingué des hommes du premier mérite, et de la plus hante recommandation, tels que Timon, Parménide, ou tout autre auditeur de cette importance; et repoussant les hommes obscurs qu'il voit venir à lui, et lui adresser la parole, tels que Thrasymaque, Polus, Calliclès (27), ou tout autre mauvais sujet, ou tout autre détracteur de ce genre.

VI. Retournons à Homère; et voyons chez les Barbares dont il fait mention dans ses ouvrages, le même contraste, la même correspondance de vices et de vertus : Paris impudique, Hector modèle des bonnes mœurs : Pâris plein de lâcheté, Hector rempli de courage. Considérez-les dans leurs amours (28). L'un inspire la pitié, l'autre l'émulation. L'un mérite l'exécration, l'autre est digne d'éloges. L'un est adultère, et l'autre respecte les lois de l'hymen. Voyez comme les autres vertus sont individuellement distribuées ; le courage à Ajax, la présence d'esprit à Ulysse, l'audace à Diomède, la sagesse dans les conseils à Nestor. Ailleurs, il nous a présenté, dans la personne (29) d'Ulysse, un modèle de la vie d'un homme de bien et d'une vertu parfaite. Il a consacré à ce tableau la moitié de ses ouvrages. Tel est l'abrégé succinct de deux longs poèmes.

VII. Faut-il d'ailleurs apporter quelques courts exemples de l'opinion d'Homère touchant les Dieux? Nous nous contenterons d'un seul, dans lequel nous le comparerons à Platon, comme à un modèle, en rapprochant, ainsi que de raison (30), les plus anciennes notions des plus récentes. Car c'est de cette manière que nous devons diriger notre jugement. Platon dit quelque part : « Le grand Jupiter qui est dans le ciel ». Il le fait voyager dans un char ailé, et il le reconnaît pour le chef des Dieux (31). Chez Homère, le chef des Dieux, Jupiter, s'exprime ainsi : « Et qu'aucun des Dieux, qu'aucune des Déesses, ne tente de me contrarier dans ce que je vais dire; mais montrez-moi tous, à l'envi, le plus profond respect, afin que je puisse exécuter mon projet au plus vite (32) ». Bientôt après il attèle son char ; il fait marcher ses coursiers « rapides, brillants de leurs crinières dorées (33) ». Il donne aussi un char à Neptune, sur les flots de la mer, « Il se hâte de s'élancer sur les ondes : les baleines, au-dessus desquelles il passe, tressaillent de joie (34) ». Il assigne à Pluton le troisième empire : car, selon Homère, l'univers est partagé en trois parties. Neptune a obtenu « l'empire des mers blanchissantes ; Pluton a obtenu l'empire des enfers ténébreux, et Jupiter celui du ciel (35) ». O l'admirable, la philosophique distribution !

VII. On peut trouver dans Homère l'origine et l'empire de beaucoup d'autres puissances (36) que l'homme vulgaire regarde comme des fictions de la Mythologie, et le philosophe comme des réalités. On y trouve, par exemple, celui de la Vertu. Mais c'est sous le nom de Minerve, « assistant l'homme de bien dans toutes ses entreprises (37) ». On y trouve celui de l'Amour, mais le sceptre est entre les mains de Vénus. C'est elle qui tient la ceinture, et qui allume le désir. On y trouve celui des Arts ; et c'est Vulcain qui le possède. Il est le Dieu du feu, et par conséquent le père de tous les arts. Apollon y a l'empire du chant; les Muses y ont l'empire delà poésie; Mars y a l'empire de la guerre; Eole celui des vents; l'Océan celui des fleuves ; Cérès celui des fruits de la terre. Chez Homère, il n'est rien qui n'ait son Dieu, rien qui n'appartienne à quelque puissance, qui ne soit subordonné à quelque empire. Tout y est plein de discours de Dieux, de noms de Dieux, d'ouvrages de Dieux; et si vous remontez jusqu'aux éléments, et à la guerre qu'ils se firent, vous verrez des batailles dans les champs Troyens, non celles des Troyens et des Grecs, qui s'égorgent les uns les autres, et couvrent la terre de torrents de sang; mais le combat du feu et d'un fleuve (38): celui-ci grossi, enflé, et roulant avec toute l'impétuosité de ses ondes ; l'autre se jetant arec une non moindre impétuosité dans le torrent de son ennemi, brûlant tout ce qui orne et embellît ses rivages, les ormeaux, les saules, les bruyères, les loto, les joncs, brûlant même les êtres animés qui naissent et se nourrissent dans son sein : « Le feu dévorait les anguilles et les autres poissons qui plongeaient, à tort et à travers, dans les ondes tourbillonnantes, et dans le limpide courant (39) ». Ce combat n'aurait point cessé, si Junon n'avait point négocié avec le fleuve, et fait la paix entre les deux athlètes (40). Mais laissons ces énigmes, et considérons ce qui nous intéresse, ce qui touche l'homme.

IX. Je veux dire cette forme de corps politique, qui n'a point été conçue dans le Pirée (41), qui n'est point l'œuvre d'un Législateur Crétois, mais dont un génie philosophe a voulu nous présenter le modèle, sous une allégorie de personnages et d'événements héroïques. Ce sont des Magistrats qui gouvernent par eux-mêmes, qui délibèrent avant que d'agir. Ce sont des chefs intrépides qui combattent dans les premières lignes. C'est une femme pleine de chasteté mise en contraste avec déjeunes libertins. C’est un Roi juste qui donne l'hospitalité à un étranger sans asile. C'est un homme plein de prudence qui échappe à des malheurs de tout genre. Vous y verrez d'autres polities en regard l'une de l'autre. Homère les a décrites dans son poème : Vulcain les a empreintes sur de l'or (42). Dans l'une, sont des mariages, des chants, des danses, des Rois qui rendent la justice, des Citoyens qui accourent en foule. Autour de l'autre (43) Cité, campent deux armées : si vous n'attachez pas une grande importance à ces fictions (44), vous ne manquerez point de détails plus voisins de la vérité. Telles sont les Cités des îles des Phéaciens et d'Ithaque. Dans les unes vous trouverez du respect pour les mœurs, dans les autres, de la licence. Dans les unes, des Rois amis des lois et de la justice ; dans les autres, les galants d'une femme qui se livrent à tous les excès. Les uns qui accueillent comme un Dieu leur Roi qui arrive (45), les autres qui méditent de souiller le lit conjugal de leur Roi. Aussi, chez les uns, voit-on une allégresse continuelle, une vie exempte de maux, l'hospitalité en honneur, des flottes sur mer, des campagnes fécondes ; et chez les autres, la ruine et la destruction, au milieu même des voluptés. Telle est la fin de la perversité et de la dépravation. Tel est le résultat d'une licence effrénée. Ne voyez-vous point comment Ulysse, assailli par des malheurs de tout genre, se sauve, à l'aide de la vertu et de la confiance qu'elle inspire? Elle est pour lui le moly (46) dans le palais de Circé. Elle est le ruban de tête de Leucothoë qui l'amène au rivage. C'est elle qui le dérobe des mains de Polyphème (47), qui le ramène des Enfers (48) : c'est elle qui lui construit un vaisseau : c'est elle qui persuade Alcinoüs : c'est elle qui lui fait supporter les agressions des libertins attachés à séduire sa femme ; c'est elle qui lui fait vaincre Irus, repousser les outrages de Melanthius: c'est elle qui chasse de son palais les séducteurs de Pénélope : c'est elle qui venge son honneur conjugal : c'est elle qui en fait un enfant des Dieux, qui le rend semblable aux Dieux, ou à l'homme heureux dont Platon a tracé l'image.


 

NOTES.

(01) Suidas, en faisant allusion à cette Dissertation, la désigne comme si elle avait pour titre, « En quoi consiste, chez Homère, l'ancienne philosophie. » Notre Auteur n'est pas le seul qui ait agité cette question. Porphyre fit un traité, sur la philosophie d'Homère. Longin composa un ouvrage, où il rechercha, si Homère pouvait être considéré comme philosophe. Si nous en croyons Suidas, deux autres écrivains de l'antiquité, Favorin et Œnomaüs, ont travaillé sur le même sujet. Voyez Lucœ Holstenii, de vita et scriptis Porphyrii, cap. 8, ainsi que la 88e épitre de Sénèque. Ajoutons que Strabon, dans son premier livre, dit que les poésies d'Homère étaient universellement regardées comme des ouvrages philosophiques, τὴν Ὁμήρου ποίησιν φιλοσόφημα πάντας νομίζειν.

(02) C'est le premier vers du premier chant de l’Odyssée que Maxime de Tyr emprunte ici.

(03) Des paroles sont la parodie de celles, que dans le huitième chant de l’Odyssée, Homère met dans la bouche d'Ulysse, au sujet de Démodocus, vers 487.

(04) Telle est la définition que les anciens philosophes donnaient de la philosophie. Témoin, Cicéron, au second livre de ses Offices ; Quintilien, dans ses Institutions oratoires, liv. I, chap. 10. Il paraît néanmoins que cette définition avait ses variantes. Sénèque nous dit, en effet, dans la 89e de ses épîtres, Quidam sapientiam ita finierunt, ut dicerent eam divinorum et humanorum scientiam. Quidam ita, sapientia est nosse divina et humana et horum caussas. Supervacua mihi videtur hœc adjectio, quia caussœ divinorum et humanorum partes sunt. Philosophiam quoque fuerunt qui aliter atque aliter definirent, alii studium illam virtutis esse dixerunt : alii studium corrigendœ mentis; a quibusdam dicta est appetitio rectae rationis.

(05) Notre auteur fait allusion, ici, aux anciennes initiations, et Davies place en cet endroit un passage analogue, du Protagoras de Platon, « Quant à moi, je pense que l'art des Sophistes remonte assez haut, et que les Anciens qui s'en sont occupés, craignant de le présenter sous son austérité naturelle, imaginèrent de le couvrir, de l'envelopper, les uns, du voile de la poésie : tels furent Homère, Hésiode, et Simonide; les autres, d'emblèmes mystiques et religieux : tels furent Orphée et Musée. Notre Agathocle la présenta sous les formes extérieures de la musique, etc.»

(06) Les poètes de l'antiquité passent pour avoir été les créateurs de la Mythologie.

(07) Allusion au système de Pythagore.

(08) On sait le grand rôle que joua dans l'antiquité la science de la divination.

(09) Reiske a pensé que le mot ἑκάστοις devait être regardé comme essentiel à la pureté du texte, et j'ai adopté cette conjecture.

(10) S'émancipèrent n'est peut-être pas la traduction littérale du participe νεανιενόμενοι mais ce dernier est employé, ici, figurément et peut-être les Hellénistes le jugeront-ils assez heureusement rendu.

(11) Allusion à Démocrite l'Abdéritain, et à Chrysippe de Soles. Voyez Diogène-Laërce, liv. VII et IX, ainsi que Suidas.

(12) Voyez les Académiques de Cicéron, liv. II, § 37 ; son Traité de la Nature des Dieux, liv. I, § 10 ; et Minucius Félix, chap. 9.

(13) Le grec porte littéralement, les semences.

(14) C'est en ces termes que, dans le 4«. Chant de l'0<^«««, s'exprime Ménélas, sur le compte de Télémaque, qu'Hélène, sa femme, reconnaît.

(15) Maxime de Tyr ne mentionne, ici, ces deux parties du Discours, à l'exclusion de toutes les autres, que par allusion à ce que dit Platon, dans son Cratylus, et plus au long dans son Sophiste, que le Discours se réduit à ces deux éléments, le nom et le verbe. Voyez la note d'Heinsius sur ce passage.

(16) J'avoue que je ne conçois pas dans quel sens de l'analogie qu'il emploie, notre Auteur a pu dire que les Palus-Méotides sont une émanation de l'Océan, à moins qu'il ne prenne ici l'Océan, comme un peu plus bas, sect. VIII, pour le Dieu et le Père des fleuves. Au surplus, ce passage attestera passablement le peu d'étendue des lumières cosmologiques des philosophes contemporains de Maxime de Tyr.

(17) Ce mot grec signifie, identité d'origine, soit sous le rapport du temps, soit sous le rapport de la cause génératrice. On sentira pourquoi j'ai mieux aimé le répéter, ici, que périphraser. Voyez ci-dessus Dissert. XVII, note 31.

(18) Témoin le langage de Dion Chrysostôme, dans sa douzième Oraison, « Homère, dit-il, ne se borna pas à un seul genre de diction ; mais il entremêla tous les idiomes de la langue grecque, qui avaient été séparés jusqu'alors, le Dorien, l'Ionien, l'Attique ; il en fit une amalgame dans ses ouvrages, avec plus d'art que les peintres ne marient les couleurs dans leurs tableaux ».

(19) Pour ce qui concerne les ouvrages d'Hésiode, qui ne sont point venus jusqu'à nous, consultez la savante Bibliothèque grecque de Fabricius, liv. II, chap. 8. Je soupçonne de la corruption dans ce passage.

(20) Ce mot grec signifie, Origine des Dieux. C'est le titre d'un des ouvrages d'Hésiode, que nous avons conservé.

(21) Heinsius a traduit, ici, Ut omittam quœ ad vitam moresque formandos conscripsit. Pacci a traduit, Separatim iterum composuit quœ ad vitam hominum conducibilia putavit. Cette dernière version me paraît plus correcte que la première ; car je ne vois rien dans le texte grec à quoi l’ut omittam d'Heinsius puisse correspondre, à moins que l'adverbe χωρὶς qui est employé trois fois de suite, ici, ne l'ait induit en erreur. Vid. Vigeri idiotism. cap. IX, sect. IX, n° 9.

(22) Ce texte a des variantes. La leçon la plus correcte, de l'avis des annotateurs Anglais, est celle d'Henri Etienne, καὶ ἄλλα μὲν ἔχουσιν οἱ τρωικοὶ λόγοι, ἄλλα δὲ τὰ τοῦ Ὀδυσσέως παθήματα .

(23) πολιτέιας ἦθος, dit le texte grec.

(24) Scaliger et Heinsius avoient imaginé qu'il fallait lire, dans ce passage, γραμμῶν, au lieu de γραμμάτων. Ils auraient eu quelque raison de supposer cette altération dans le texte, si le mot γράμμα ne pouvoir, point signifier tableau. Maïs le docte Markland démontre, par des passages de Théocrite, d'Euripide, d'Élien, et par l'autorité du célèbre grammairien d'Alexandrie, Hésychius, ainsi que par celle de l'Étymologiste, que le mot γράμμα a cette acception. Nous saisirons cette occasion pour faire remarquer, que souvent, faute de connaître ou de scruter avec l'attention nécessaire les sens divers des mots grecs, on suppose dans le texte des altérations qui n'existent point.

(25) Καὶ ἀνὴρ βασιλικός. On sentira pourquoi Maxime de Tyr n'a pas dit, ici, βασιλεύς tout court.

(26) C'est ainsi que, dans les 188e, 189e, 198e et 199e vers du second chant de l’Iliade, s'exprime Homère sur le compte d'Ulysse. Xénophon, dans le premier livre de ses Mémoires, rapporte que Socrate se faisait un plaisir de répéter l'éloge de ces quatre vers.

(27) Les éditions vulgaires de Maxime de Tyr ne parlent ni de Polus, ni de Calliclès. Pacci avait néanmoins lu ces deux noms dans son manuscrit, et Davies les a également lus dans les deux manuscrits, à l'aide desquels il a si considérablement amélioré le texte de notre Auteur. Voyez les notes de Gataker, sur le chap. 66 du septième livre de Marc-Antonin.

(28) Quin et conjugium eorum si consideres dit Heinsius. J'aurais dû, peut-être, employer le mot de mariage, car, à la fin du dernier chant de l’Iliade, Hélène donne à Hector mourant, le titre de beau-frère, parce qu'elle est, depuis vingt ans, femme de Pâris.

(29) Les interprètes et les annotateurs ne sont pas d'accord sur la correction du texte, évidemment altéré en cet endroit. Cette phrase ne peut s'entendre que d'Ulysse, et sa construction semble décider que le mot Ὀδισσέα doit terminer la phrase précédente, comme il le fait dans quelques manuscrits. Mais ce même mot Ὀδισσέα, qui se trouve dans le milieu de cette phrase antérieure, peut-on penser que Maxime de Tyr l'ait employé deux fois, tandis que le tour de sa pansée ne l'appelé qu'une? J'ai suivi la correction de Markland, qui commence cette phrase, par Ὀδισσέα αὐτὸν οὖντος ἄρα etc.

(30) J'ai rendu κατὰ τὸ ἦθος τοῦ λόγου, par ainsi que de raison. Heinsius Pacci et Formey, ont donné un autre sens à ces paroles. C'est aux critiques à juger.

(31) Allusion à un passage du Phèdre de Platon, en ces termes : « Jupiter est dans le ciel le chef suprême ; il conduit un char ailé ; il marche à la tête, ordonnant tout, et disposant tout avec soin. Il a pour cortège l'armée des Dieux et des Demi-Dieux distribuée en onze phalanges. » Pourquoi onze, plutôt que tout autre nombre? Platon aurait-il donné la préférence à ce nombre-là, par la raison que les Athéniens étaient distribués en onze tribus, de même que Saint-Jean, dans le chapitre 7 de l’Apocalypse, a distribué ses cent quarante-quatre mille serviteurs de Dieu en douze phalanges, parce que les Hébreux étaient aussi distribués en douze tribus? Au reste, Maxime de Tyr n'a presque fait que copier ce passage du Phèdre, dans la Dissertation X, sect. 4 ci-dessus.

(32) Ces paroles de Jupiter sont au commencement du chant huitième de l’Iliade.

(33) Iliade, 8e chant, vers 42.

(34) Iliade, 13 e chant, depuis le 23e jusqu'au 27e vers.

(35) Voyez le discours de Neptune au 184e vers et suivants du 15e chant de l'Iliade. Voyez aussi ce que dit là-dessus, Héraclide le Pontique, dans son traité des Allégories d'Homère.

(36) Le grec porte littéralement, de toute espèce de noms.

(37) Odyssée, 13e chant, vers 301.

(38) Markland pense, ici, que Maxime de Tyr aurait dû dire ὕδατος, au lieu de ποταμοῦ. Je ne suis pas de son avis. Notre Auteur fait allusion au combat de Vulcain et du Scamandre, dont Homère fait une si brillante description au 21e chant de l'Iliade; et le second de ces deux mots, du fleuve, est bien plus propre à mettre son lecteur sur la Voie que le premier, de l'eau.

(39) Ce sont les derniers traits du combat mentionné dans la précédente note.

(40) Le grec porte littéralement, les deux éléments.

(41) Il est évident que Maxime de Tyr, en parlant, ici, du Pirée fait allusion à la République de Platon. Mais il ne paraît pas, que par ces mots οὐδὲ ἐν Κρήτῃ νομοθετούμενος, il ait supposé, comme le pense Davies, que le Traité des Lois du même philosophe ait été écrit dans la Crête. Je pense qu'il a tout bonnement voulu mettre à coté de Platon, Minos, Roi de Crète, un des Législateurs les plus renommés de l'antiquité.

(42) Allusion au bouclier d'Achille fait par Vulcain. La description de ce bouclier termine le 18e chant de l’Iliade.

(43) Tous ces détails sont empruntés de la description du Bouclier d'Achille.

(44) J'ai lu πλάσματι, avec Markland, au lien de xp âr/um. Le sens de l'original justifie assez la justesse de cette correction.

(45) Odyssée, huitième chant, vers 173.

(46) En arrivant chez Circé, les compagnons d'Ulysse avoient été métamorphosés en cochons. De peur qu'il n'éprouvât lui-même un semblable sort, Mercure lui apporta un préservatif contre les ingrédients magiques de l'Enchanteresse ; et Moly est le nom qu'Homère donne à cette espèce d'antidote. Voyez l'Odyssée, 8e chant, vers 282 et suivants.

(47) Odyssée, chant neuvième, à la fin.

(48) Odyssée, douzième chant, au commencement.

 

Paris, le 10 brumaire an IX. (1 novembre 1801.)