MAXIME DE TYR

 

DISSERTATIONS

 

 

 

 

 

DISSERTATION X.

Quels sont ceux qui ont eu les idées les plus saines touchant les dieux, des poètes ou des philosophes.

Il est étonnant qu'il y ait conflit d'opinion entre les hommes, non seulement en matière de principes politiques, non seulement en matière de formes de gouvernement, et des inconvénients attachés aux uns et aux autres (1), mais encore sur les choses qui en. devaient être les plus éloignées du monde, la poésie et la. philosophie. Ces deux choses, diverses quant à la dénomination, n'en forment qu'une seule quant à l'essence, et n'ont entre elles aucune différence réelle. C'est tout comme si l'on disait que le jour est autre chose que la lumière du soleil qui éclaire la terre, ou que la lumière du soleil qui éclaire la terre est autre chose que le jour. Il en est ainsi de la poésie et de la philosophie. Car qu'est-ce que la poésie, sinon la philosophie, antique sous le rapport de l'origine, harmonique sous le rapport de la mesure, allégorique sous le rapport du fond des choses ? Qu'est-ce aussi que la philosophie, sinon la poésie plus récente sous le rapport de l'origine, plus régulière (2) sous le rapport de la mesure, et plus à découvert pour le fond des choses? La poésie et la philosophie n'étant donc différentes que par rapport à l'époque de leur origine, et à leur forme respective, quelle autre différence y chercherait-on, car d'ailleurs les uns et les autres parlent des dieux, les poètes et les philosophes.

II. Se livrer à l'examen d'une pareille question, ce serait comme si, comparant la médecine de l'antiquité à celle qui se pratique aujourd'hui dans le traitement des maladies, on recherchait ce qu'elles ont l'une et l'autre de pis et de mieux. Esculape nous répondrait (3) : « Le temps ne change rien dans les autres arts. Leur emploi est perpétuellement identique. Ils produisent des ouvrages toujours à peu près de même nature. Mais la médecine doit s'adapter à la constitution des corps, chose qui n'a ni assiette fixe ni uniformité, mais qui varie, qui se diversifie, selon la nature des aliments, et le genre de vie, et par conséquent approprier ses médicaments et ses régimes aux diverses données qui se présentent. Ne pensez donc pas que mes successeurs (4), l'illustre Machaon et le célèbre Podalyre, fussent moins habiles dans l'art de guérir, que ceux qui se sont adonnés dans les temps modernes à la même profession, et qui ont introduit avec succès la variété des remèdes. Seulement, alors, la médecine n'ayant affaire qu'à des corps, uniformément, identiquement constitués et qui ne s'abandonnaient point à toute sorte de dissolution, leur administrait ses secours avec plus de facilité. Tout se bornait pour elle à une opération fort simple, à arracher le fer des blessures, et à appliquer les plus doux topiques (5). Mais aujourd'hui que les corps out dégénéré, qu'on a mis beaucoup de variété dans la manière de vivre, et produit une mauvaise complexité dans les humeurs, la médecine a dû varier elle-même, et passer de son antique simplicité à la diversité des modifications qui en ont pris la place ».

III. Voyons que le poète et le philosophe nous répondent, chacun de son côté, sur l'objet de son travail, dans le même sens qu'Esculape (6). Le premier souffrira d'abord très impatiemment que l'on regarde Homère, ou Hésiode, ou Orphée, ou tout autre poète de ce temps-là, comme moins éclairé des lumières de la sagesse, qu'Aristote de Stagyre, que Chrysippe de la Cilicie, que Clitomaque de la Libye, ou tout autre de ceux qui ont les premiers dit ou écrit de si belles choses sur la philosophie; et il trouvera mauvais qu'on ne pense pas que les premiers étaient au moins aussi habiles sous ce rapport, s'ils ne l'étaient davantage. De même qu'en ce qui concerne le corps humain, la manière dont il était constitué anciennement, à l'aide d'un régime sainement ordonné, le rendait très facile à être traité par les gens de l'art, au lieu qu'aujourd'hui les méthodes compliquées sont devenues nécessaires; de même dans les temps antiques, l'âme encore en possession de sa simplicité native, et de ce qu'on appelle son goût inné pour les bonnes mœurs (7), avait besoin d'une philosophie en quelque façon musicale, pleine de douceur, qui la gouvernât, qui la dirigeât à la faveur des fictions, de la même manière que les nourrices forment l'esprit de leurs nourrissons avec les fables qu'elles leur content. Mais à mesure que l'âme a fait des progrès, qu'elle a acquis de la vigueur, que l'incrédulité et les vices se sont emparés d'elle, qu'elle a cherché à pénétrer les fictions, qu'elle n'a plus voulu se payer d'énigmes, elle a mis la philosophie à découvert, elle l'a dépouillée de toutes ses brillantes enveloppes, elle a mis de la nudité dans son langage. Ce dernier ne diffère de celui d'autrefois que par les formes harmoniques; mais les opinions touchant les dieux, dont l'origine remonte à l'antiquité la plus reculée, sont communes à rune et l'antre philosophie.

IV. À l'exception d'Épicure, que je ne range ni parmi les poètes, ni parmi les philosophes, les autres avaient le même objet et tendaient au même but. Si ce n'est qu'on ne croira pas peut-être qu'Homère ait vu les dieux lancer des flèches, dialoguer entre eux, se livrer aux plaisirs de la table (8), ou faire toutes autres choses de cette nature, dont il parle dans ses poèmes. On ne pensera pas davantage que Platon ait vu Jupiter tenir les rênes d'un char ailé (9) sur lequel il était porté, ni l'armée des dieux distribuée en onze phalanges, ni les dieux célébrant par de splendides festins les noces (10) de Vénus dans le palais de Jupiter, lorsque le dieu qui fait venir l’Argent (11) s'approcha clandestinement de la Pauvreté, et lui fit engendrer l'Amour. On n'admettra pas non plus, qu'il ait contemplé de ses propres yeux, ni le Pyriphlégéthon (12), ni l'Achéron, ni le Cocyte, ni les fleuves qui roulent sens dessous dessus des torrents d'eau et de feu. On ne s'imaginera pas, enfin, qu'il ait vu Clotho et Atropos, ni le fuseau roulant, ni les sept révolutions en sens inverse du Peson (13). Qu'on jette les yeux, d'un autre côté, sur la Théogonie de Phérécyde (14), poète Syrien, et qu'on voie ce qu'il dit de son Jupiter, de sa Chthonie, de son Amour, qu'il place entre l'un et l'autre, de sa naissance d'Ophionée, de sa guerre des dieux, de son arbre, de son voile de femme. Héraclite n'a-t-il pas aussi ses dieux mortels, et ses hommes immortels ?

V. Tout est plein d'énigmes et d'allégories chez les poètes, et chez les philosophes; et j'aime bien mieux le respect qu'ils ont montré pour la vérité en l'enveloppant, que l'état de nudité dans lequel elle a été présentée par les modernes. Car la faiblesse humaine ne permet point de contempler les choses sous l'évidence de la réalité; et alors les mythes (15) en sont les emblèmes les plus décents. Si d'ailleurs les modernes ont étendu les lumières de leurs prédécesseurs, c'est un bonheur dont il faut les féliciter. Mais, si sans rien ajouter sous ce rapport, ils n'ont fait qu'écarter les voiles, et donner le mot des énigmes, je crains qu'on n'ait le droit de leur reprocher d'avoir indiscrètement révélé le secret des choses (16). Car à quoi d'ailleurs seraient bons les mythes, s'ils n'étaient des discours destinés à cacher une vérité sous des ornements étrangers, semblables aux représentations, aux images des dieux, que les prêtres entourent d'incrustations d'or, d'argent, qu'ils couvrent de vêtements magnifiques, pour en accroître la majesté ? L'âme de l'homme est constituée de manière qu'elle contemple avec une sorte d'arrogance les choses qui sont à sa portée, et qu'elle en fait peu de cas ; tandis qu'elle attache du merveilleux à tout ce qu'elle ne peut atteindre. Guidée par la conjecture vers ce qu'elle ne voit point, elle cherche, à l'aide du raisonnement, d'en acquérir la connaissance. Si elle éprouve des difficultés, elle fait des efforts pour les vaincre; et lorsqu'elle est parvenue à apprendre ce qu'elle voulait savoir, elle n'y attache pas plus d'intérêt qu'aux choses qui sont l'objet de ses fonctions les plus naturelles.

VI. Les poètes, qui connaissaient cette manière d'être de l'âme, inventèrent ce moyen de l'entretenir des choses qui appartiennent aux dieux, le langage des mythes, moins clair que celui du discours ordinaire, moins obscur que celui des énigmes, et tenant le milieu entre la science et l'ignorance; déterminant la crédulité par les charmes de sa contexture, et la repoussant par ses paradoxes ; inspirant à l'âme l'amour de la recherche de la vérité, et le désir de faire constamment vers elle de nouveaux progrès. On fut longtemps à s'apercevoir (17), que ces hommes, en s'emparant de nos oreilles par les agréments de leurs ouvrages, philosophes en réalité, et poètes de nom, avaient mis à la place d'une chose qui aurait été mal accueillie, une invention agréable à la multitude. Car le nom de philosophe est lourd et mal sonnant aux oreilles du vulgaire; c'est ainsi que le pauvre ne voit point avec plaisir le spectacle de l'opulence, ni le libertin le tableau de la tempérance, ni le lâche le modèle du courage. Les vices n'aiment pas davantage de voir les vertus se complaire dans leur propre mérite, et s'enorgueillir d'amour-propre. Au lieu que le nom de poète est doux à entendre. Le peuple aime ce nom-là. Il l'aime par l'idée du plaisir qu'il en attend, sans se douter de sa puissance. Semblable à ces médecins, qui, voyant des malades avoir un grand dégoût pour les remèdes, administrent les drogues amères enveloppées dans des choses d'une saveur agréable, et dissimulent ainsi ce qui rebuterait dans le médicament destiné à produire un effet salutaire; l'ancienne philosophie déposa la substance de sa doctrine dans des mythes, dans des vers, dans des hymnes, et l'on ne se douta point de la tournure qu'elle avait prise pour s'insinuer dans l'esprit des hommes et les diriger, en masquant ce qui aurait repoussé sous un appareil didactique.

VII. Qu'on ne demande donc pas quels sont ceux qui ont le mieux pensé des dieux, des poètes ou des philosophes. Qu'on laisse plutôt la concorde et la bonne intelligence régner entre les ouvrages des uns. et des autres ; et qu'on les considère comme n'ayant qu'une fin unique et un même objet. Nommer un poète, c'est parler d'un philosophe; nommer un philosophe, c'est parler d'un poète. On donne également le nom d'intrépide guerrier, et à Achille armé d'un bouclier d'or, chef-d'œuvre de l'art, et à Ajax qui ne portait qu'un bouclier de cuir. Le courage donne aux exploits de l'un et de l'autre le même caractère de grandeur et d'éclat, sans nul égard à ce qui fait la matière des armures. Que dans la question qui nous occupe (18), on assimile donc les formes métriques et musicales à l'or du bouclier d'Achille, et le discours simple et naturel au cuir du bouclier d'Ajax. Mais, laissant de côté l'or et le cuir, qu'on ne considère que le mérite de celui qui est dans l'arène. Qu'il s'agisse de la vérité, et alors que ce soit un poète qui parle, qu'il emploie le langage des mythes, qu'il l'embellisse des agréments de la musique, je m'attacherai à ses énigmes, je m'efforcerai d'en pénétrer le sens, et le charme des formes ne m'en imposera point. Qu'il soit question de la vérité, et alors que ce soit un philosophe qui nous la présente tout bonnement et sans enveloppe, je ne me plaindrai point de la facilité qu'il me donne de l'entendre. Mais si ni l'un ni l'autre, ni le poète ni le philosophe, ne m'offrent la vérité, les vers du premier ne sont à mes yeux que de grossières rapsodies; et les beaux discours du second, que des mythes. Car, si l'on ôte la vérité, on n'aura pas plus de confiance dans les mythes du poète que dans les dissertations du philosophe.

VIII. En effet, Épicure traite à la vérité les matières de la philosophie; mais c'est dans un langage encore plus inconcevable que celui des mythes. Si bien que j'aime mieux en croire Homère, lorsqu'il nous dit de Jupiter, qu'il pesait dans une balance d'or les âmes de deux vaillants guerriers (19), « celle d'Achille, et celle d'Hector, dont le bras faisait tant de carnage (20) » : et qu'il tenait le fléau de la balance de la main droite. Car la main de Jupiter est à mes yeux l'emblème du signe de tète, du Dieu qui règle la destinée des mortels : « Ce signe de tête irrévocable, qui ne trompe jamais, qui ne reste jamais sans être accompli, lorsqu'il a été une fois donné (21) ». Je sens qu'il s'agit là de la volonté de Jupiter, de cette volonté suprême, qui maintient la terre dans son immobilité (22), qui retient la mer dans ses limites, qui fait circuler l'air, monter le feu, rouler le firmament, produire les animaux, végéter les plantes. La vertu même des hommes et leur félicité sont l'ouvrage de la volonté de Jupiter (23). J'entends aussi ce que c'est que Minerve, qui, tantôt vient auprès d'Achille, calme sa colère et se tient derrière lui; tantôt est à côté d'Ulysse, « au milieu de tous ses dangers (24) ». J'entends aussi ce que c'est qu'Apollon, ce Dieu qui lance des flèches, et qui préside à la musique. Je l'aime sous ce dernier rapport, je le redoute sous le premier. D'un autre côté, Neptune ébranle la terre de son trident, Mars range ses escadrons en bataille, Vulcain fait retentir les enclumes. Mais ce n'est point pour Achille seul qu'il met tout en mouvement dans son ardent atelier. Tel est le langage des poètes, tel est le langage des philosophes. Transposez les noms, et vous verrez qu'ils vous disent les uns et les autres la même chose, et vous trouverez que leur doctrine est semblable. Entendez par Jupiter, cette intelligence qui est la plus ancienne de toutes, à laquelle toutes les autres doivent leur origine, à l'empire de laquelle tout ce qui existe est soumis ; par Minerve, entendez la prudence ; par Apollon, le soleil ; par Neptune, les vents qui se promènent sur mer et sur terre, et qui les maintiennent l'une et l'autre dans une mutuelle harmonie, dans un réciproque équilibre.

IX. Si l'on dirige son attention sur d'autres objets, on trouvera que tout est affaire de noms chez les poètes, et que tout consiste en discours chez les philosophes. Mais, ce que débite Épicure, à quel genre de mythe le comparerons-nous ? Où est le poète dont le langage soit aussi futile, aussi décousu, et aussi étranger aux idées relatives à la connaissance des dieux? L'Être immortel n'a rien et faire de son chef, pas plus qu'il ne donne affaire ci un autre (25). Que veut dire un semblable mythe ? Quelle idée nous ferons-nous de Jupiter ? Quelles imaginerons-nous que sont ses actions, ses volontés, ses jouissances ? Sans doute chez Homère il boit, mais il fait aussi des harangues; il tient des conseils pour régler les choses humaines, comme en tient le grand Roi (26) pour administrer les affaires de l'Asie, comme les Athéniens tiennent leurs comices pour la conduite des affaires de la Grèce. Car les délibérations du grand Roi régissent l'Asie, celles du Peuple d'Athènes régissent la Grèce, celles du pilote régissent le vaisseau, celles du général régissent l'armée, celles du législateur régissent la Cité, celles de l'agriculteur régissent ses propriétés, celles du chef de famille régissent sa maison; et pour le salut du vaisseau, de l'armée, de la Cité, des propriétés, de la maison, le pilote, le général, le législateur, l'agriculteur, le père de famille, ont des soins à prendre. Et du ciel, de la terre, de la mer, et des autres parties du monde, dites-nous donc, Épicure, qui s'en occupe ? Où sont le pilote, le général, le législateur, l'agriculteur, le père de famille ? Mais Sardanapale lui-même n'était pas sans avoir quelque chose à faire. Quoique les portes de son palais fussent constamment fermées, quoiqu'il fût toujours étendu sur des lits magnifiques, et entouré d'un sérail, il s'occupait néanmoins des moyens de sauver Ninive, et de faire le bonheur des Assyriens. Et, à vous en croire, Jupiter sera plus inertement enfoncé dans les voluptés que le fameux Sardanapale ! Ô l'incroyable conte que vous nous faites là, et auquel ne se prêteront jamais les charmes de l'harmonie poétique !

DISSERTATION XI.

S'il faut adresser des prières aux dieux (27).

UN Phrygien qui vivait dans l'oisiveté (28), et qui aimait beaucoup l'or, prit un jour, suivant ce que la fable raconte, un Satyre (29), espèce de dieu, qui aime beaucoup le vin. Pour le prendre, il avait jeté une quantité de cette liqueur dans la fontaine où ce dieu venait boire quand il avait soif. L'insensé Phrygien pria le dieu son prisonnier, et lui adressa un vœu tel qu'il était probable qu'il le formerait; un vœu, qui était d'ailleurs de nature à être accompli par le dieu, savoir, que toutes les campagnes de ses États fussent convertis en or, que les arbres, que les guérets, que les prés et les fleurs dont ils étaient émaillés, que tout devînt or. Le Satyre lui accorda ce qu'il demandait. Mais le territoire de la Phrygie n'eut pas été plutôt changé en or, que les peuples furent en proie à la famine. Midas alors pleura sur ses richesses. Il chanta la palinodie de son vœu.

Il supplia, non plus le Satyre, mais les dieux et les déesses du premier ordre, de lui rendre son ancienne médiocrité, de rétablir la fécondité de ses campagnes, et d'envoyer son or à ses ennemis. C'est là ce qu'il demandait aux dieux en les implorant. Mais il n'en était pas plus exaucé (30). Je loue cette fable sous le rapport de son agrément, et sous celui de la vérité morale où elle conduit. Car quel autre emblème nous présente-t-elle, sinon celui de la démence d'un homme qui demande aux dieux une chose qui ne peut lui être bonne à rien, et qui croyant demander ce qui doit faire son bonheur, se repent de l'avoir demandé, aussitôt qu'il l'a obtenu. Quand la fable parle de la prise du Satyre, des liens dont il fui chargé, du vin qui servit à le prendre, elle fait allusion aux stratagèmes, aux moyens violents que mettent en oeuvre, pour satisfaire leurs désirs, pour remplir leurs vœux, ceux qui n'y sont pas plutôt parvenus, qu'ils se hâtent de vouloir rendre aux dieux les dons qu'ils ne veulent point garder. Car les dieux ne nous dispensent rien de ce qui ne nous est pas bon. Les dons de cette nature nous viennent de la fortune. Ce sont des dons que la clémence adresse à la folie, comme les caresses que distribuent en passant les gens pris de vin.

II. Et ce Roi de Lydie, qui ne fut pas moins insensé que le Phrygien, ne demanda-t-il point à Apollon qu'il lui accordât de renverser l'Empire des Perses : ne fit-il pas tout son possible pour se concilier ce dieu à force d'or, comme un potentat capable de se laisser corrompre par des présents (31). II savait que l'oracle de Delphes avait dit plusieurs fois, «Que Crésus en passant le fleuve Halis, renverserait un grand empire (32) ». Il prit cet oracle à son profit : il passa le fleuve, et son empire en Lydie fut renversé. J'entends dans Homère un Grec qui s'adresse à Jupiter en ces mots : « Ô Jupiter ! fais tomber le sort ou sur Ajax ou sur le fils de Tydée ou même sur le roi de l'opulente Mycènes (33). Et Jupiter accomplit son vœu : le nom que le sort fait tirer du casques est celui d'Ajax qu'ils désiraient (34) ». Tandis que Priam, qui implore aussi Jupiter pour sa patrie, qui lui sacrifie tous les jours des bœufs et des moutons, ne fait que des vœux inutiles. Le même dieu promet à Agamemnon, et lui assure par un signe de sa tête, au moment où ce prince s'embarque pour une région étrangère, « qu'après avoir renversé les fortes murailles de Troie, il retournera chez lui (35) ». D'un autre côté, Apollon ne venge pas d'abord Chrysès de l'injure qu'il a reçue dans le camp des Grecs; mais aussitôt que Chrysès lui a librement raconté ce qui vient de se passer (36), et qu'il lui a rappelé les holocaustes qu'il fait fumer sur ses autels, le dieu lance, pendant neuf jours, ses flèches contre les Grecs, exterminant leurs mulets, leurs moutons, et leurs chiens.

III. Incomparable poète, que voulez-vous dire ? Quoi ! les dieux sont cupides, ils sont susceptibles de se laisser gagner par des présents; et à cet égard, ils ne diffèrent point du commun des hommes ! Devons-nous vous en croire, lorsque vous nous dites que « les dieux eux-mêmes ne sont point inflexibles » : ou bien croirons-nous, au contraire, qu'ils ne se laissent ni toucher, ni attendrir, ni émouvoir ? Changer de volonté, passer d'une affection à une autre, ne convient pas plus aux dieux qu'à l'homme de bien. Car l'homme versatile dans ses volontés ne peut passer du mal au bien, que parce que sa première intention était mauvaise; et, si c'est du bien au mal qu'il passe, le vice est dans son changement de volonté. Or, rien de mauvais, rien de vicieux n'entre dans la notion de la divinité. Ou bien, celui qui lui demande quelque chose mérite de l'obtenir, ou bien il ne le mérite pas. S'il le mérite, il l'obtiendra, quoiqu'il ne l'ait pas demandé. S'il ne le mérite pas, il ne l'obtiendra pas, quoiqu'il le demande. Car celui qui mérite d'obtenir, et qui néglige de s'adresser aux dieux, n'en devient point indigne, parce qu'il ne s'adresse point à eux. De même que celui qui ne mérite point d'obtenir, et qui invoque les dieux, ne devient point digne de leurs bienfaits parce qu'il les invoque. C'est tout le contraire. Celui qui mérite la bienfaisance des dieux, s'en rend encore plus digne en s'abstenant de les fatiguer. Celui qui ne la mérite pas, s'en rend d'autant plus indigne qu'il les fatigue davantage. Ajoutons que le premier a de la vénération pour les dieux, et qu'il place en eux sa confiance. Ce dernier sentiment fait qu'il se repose en leur bonté, comme s'il en avait déjà éprouvé les effets; et le premier ferme sa bouche au murmure, lors même que les Dieux ne font rien pour lui. Celui, au contraire, qui est indigne de leurs bienfaits, réunit la méchanceté au défaut de lumières. Ce défaut l'empêche de voir qu'il n'est pas nécessaire de prier les Dieux, sa méchanceté empêche que ses vœux ne soient exaucés. Quoi donc ! si dieu était un général d'armée, et qu'un des goujats demandât à ce général de l'envoyer dans les rangs au milieu du champ de bataille, tandis qu'un des combattants se tiendrait à l'écart et en repos, le général, fidèle aux lois de la discipline militaire, ne ferait-il point retourner le goujat à ses fonctions serviles, et ne laisserait-il pas le combattant à son poste ? Or, un général d'armée peut ne pas tout savoir. Il peut se laisser gagner par des largesses. Il peut être trompé. Auprès de la divinité rien de semblable ne peut avoir lieu. Autant elle s'abstiendra de verser ses bienfaits sur ceux qui le lui demandent, lorsqu'ils ne le mériteront pas, autant elle les répandra sur ceux qui ne le lui demandent pas, lorsqu'ils le mériteront.

IV. Mais parmi les choses que les hommes demandent aux dieux, les unes émanent de leur providence, les autres sont nécessairement produites par le sort ; celles-ci dépendent des vicissitudes de la fortune ; celles-là sont l'effet de l'industrie des humains. Or la providence est l'œuvre des dieux; le sort est l'œuvre de la nécessité; l'industrie est l'œuvre de l'homme; et la fortune l'œuvre du hasard. Les parties intégrantes de la vie de l'homme sont, par l'effet du destin, pour chacune de ces choses, l'objet de leur activité, de leurs résultats respectifs (37). Tout ce que nous demandons se rapporte donc ou à la providence des dieux, ou à la nécessité du sort, ou à l'industrie de l'homme, ou au cours de la fortune. Si ce que nous demandons regarde la providence, qu'avons-nous besoin de le demander ? Car si dieu agit par sa providence, ou bien il l'étend sur l'univers entier, sans s'occuper de ses différentes parties, (ainsi que les Rois de la terre régissent les peuples par les lois et par la justice, sans entrer dans les détails relatifs aux individus) ou bien sa providence en surveille jusqu'aux plus petites parties. Que dirons-nous donc ? Veut-on que DIEU n'embrasse que le tout ? Il est donc inutile de l'importuner par des vœux. Il ne les écoutera point, si l'on demande quelque chose de contraire à la conservation du tout. Quoi donc ! si les membres du corps recevaient le don de la parole, lorsque, dans une maladie, le médecin. veut faire amputer l'un d'entre eux, pour la conservation du malade, ce membre-là demanderait-il au médecin de ne point le faire amputer ? Le disciple d'Esculape ne lui répondrait-il point : « Malheureux, ce n'est point sur ton intérêt que celui du corps doit être réglé. Il faut qu'il se sauve, même à tes dépens ». Il en est de même de cet univers. Les Athéniens éprouvent la famine; les Lacédémoniens sont ébranlés par un tremblement de terre; la Thessalie est submergée par des inondations ; l'Etna vomit ses torrents de flamme. On crie à la destruction, à l'anéantissement. Mais le médecin sait bien pourquoi tout cela. II ne s'arrête point aux vœux particuliers, aux supplications individuelles. Il ne voit que la conservation du tout. Il ne songe qu'à l'opérer. Dira-t-on, au contraire, que DIEU étend sa providence, jusque dans les détails ? Il est donc inutile encore ici de rien demander. Il en est comme d'un médecin à qui un malade demanderait, ou un médicament, ou quelque chose à manger. Selon que l'un ou l'autre conviendra, ou ne conviendra pas au malade, il l'ordonnera sans qu'on le demande, ou ne l'ordonnera pas, quand même on le demanderait. En ce qui concerne la providence de DIEU, on n'a donc rien à lui demander, ni aucune prière à lui adresser.

V. Que dirons-nous des choses qui dépendent du sort ? Faire des vœux à cet égard, serait la chose du monde la plus ridicule. On obtiendrait plutôt ce qu'on demanderait à un roi, ou à un tyran. Le sort est une puissance tyrannique, qui n'est subordonnée à aucune autre, et dont les décrets sont immuables. C'est comme s'il attachait la bride et le frein à l'espèce humaine, s'il l'entraînait avec violence, s'il la forçait de suivre, de toute nécessité, le chemin qu'il voudrait lui faire prendre. C'est Denis qui commande, à Syracuse. C'est Pisistrate qui commande à Athènes. C'est Périandre qui commande à. Corinthe. C'est Trasibule qui commande à Milet. Car chez les peuples où le gouvernement est démocratique, les discours éloquents, les prières, l'intrigue (38), les supplications, peuvent quelque chose. Mais chez les tyrans, c'est comme à la guerre, le pouvoir n'appartient qu'à la force. « Prenez-moi vivant, fils d'Atride, et recevez le juste prix de ma rançon (39) ». Mais, quelle rançon donnerons-nous au sort pour nous soustraire au joug de la nécessité, pour échapper à ses chaînes ? Quelle somme en or lui offrirons-nous ? Par quels bons offices nous concilierons-nous sa bienveillance ? Quelles oblations lui présenterons-nous ? Quels vœux lui adresserons-nous ? Mais Jupiter lui-même est sans moyens pour faire révoquer ses décrets. Il pousse des cris de douleur : « Malheureux que je suis », s'écrie-t-il, « que le Destin ait réglé que Sarpédon, celui des mortels qui m'est le plus cher, périrait de la main de Patrocle (40) fils de Mendetide ! » Lequel des Dieux Jupiter implore-t-il pour son fils ? Thétis aussi s'écrie, « Que je suis malheureuse, d'avoir mis un héros au monde, et de le voir périr ainsi ! (41) » Tel est le sort. Telles sont Atropos, Clotho, Lachésis, à qui l'empire de la vie des hommes est échu. Elles sont inflexibles, inexorables. Qui donc leur adressera des vœux ?
VI. Il n'y a pas non plus de vœux à former, en ce qui concerne les choses qui dépendent de la fortune. Bien moins encore pour celles-ci que pour les autres. Quel langage parler à un souverain insensé, dans l'empire duquel il n'existe ni conseil, ni délibération, ni mesures modérées, où l'on ne voit que de la fougue, de l'emportement, des passions désordonnées, des impulsions folles, des volontés qui se succèdent sans cesse ? Telle est la fortune, dénuée de raison, de sens, de prévoyance, n'écoutant rien, ne consultant jamais les augures, allant et venant comme l'Euripe, étant dans une rotation perpétuelle, et incapable de souffrir la direction d'aucun guide. Que demander donc à une puissance aussi instable (42), aussi insensée, aussi versatile, aussi inabordable ? Il ne nous reste plus que l'industrie humaine. Mais où est le charron qui lui adressera des vœux pour avoir une belle charrue, lorsqu'il a tout le talent qu'il faut pour la faire ? Où est le tisserand qui lui adressera des vœux pour avoir une belle étoffe, lorsqu'il a tout le talent nécessaire pour la fabriquer ? Où est le faiseur de boucliers qui se mettra en frais de prières vis-à-vis d'elle, pour avoir un beau bouclier, lorsqu'il est assez habile pour le forger lui-même ? Où est l'homme vaillant qui lui demandera de la confiance, lorsqu'il a du courage ? Où est l'homme de bien qui viendra lui demander le bonheur, lorsqu'il possède la vertu ?

VII. Que demander donc aux dieux qui ne dépende, ou de leur providence, ou du sort, ou de la fortune, ou de l'industrie humaine ? Demandera-t-on de l'argent ? Mais qu'on n'importune point les Dieux. Ce n'est rien demander de ce qui nous est bon. Qu'on n'importune point le sort. Ce n'est rien demander de ce qui nous est nécessaire. Qu'on ne fatigue point la fortune. Elle n'en donne point à ceux qui lui en de-mandent. Qu'on ne fatigue point l'industrie humaine: Qu'on écoute Ménandre, qui dit : « Quand on vit de sa profession, on n'a pas une belle vieillesse, si l'on n'a pas aimé l'argent (43). N'est-ce pas le cours des choses humaines? Êtes-vous homme de bien? changez de mœurs; commencez à devenir un méchant homme; mettez-y tous vos soins, et amassez de l'argent à faire l'un de ces métiers, à servir de courtier d'amour, à donner du vin frelaté, à détrousser sur les grands chemins, à commettre toute sorte de mauvaises actions, à vendre un faux témoignage, à jouer le rôle de sycophante, à laisser acheter votre conscience (44). Demandez-vous de vaincre vos adversaires ? vous le pouvez, en achetant, pour faire la guerre, des mercenaires, pour parler devant les tribunaux, des sycophantes. Demandez-vous quelque espèce de denrée ? Les vaisseaux, la mer, les vents vous la fourniront. Les marchés vous sont ouverts. On en vend partout. Pourquoi donc harceler les Dieux ? Bravez toute espèce d'infamie, et vous vous enrichirez, fussiez-vous un Hipponicus; et la victoire sera pour vous, fussiez-vous un Cléon; et vous gagnerez votre procès, fussiez-vous un Mélitus. Mais si vous vous amusez à vous adresser aux dieux, c'est tout comme si vous vous adressiez à un tribunal sévère et inexorable. Aucun des immortels ne supportera que vous veniez lui demander des choses qui ne peuvent être demandées ; aucun ne vous accordera ce qui ne peut vous être accordé. Toutes les demandes seront examinées, contrôlées à la rigueur, et elles seront ramenées à la mesure de l'intérêt particulier. On ne parviendra point à se concilier les dieux. On aura beau s'ouvrir un accès auprès d'eux, comme ou le pratique dans nos tribunaux, on aura beau prendre le ton suppliant, faire entendre les accents de la pitié, de la commisération, se couvrir la tête de beaucoup de cendre (45), leur rappeler même, s'il en est besoin, « qu'on a prodigué à leurs autels des sacrifices qui ont dû leur être » agréables (46) » . Les Dieux répondront ; « Si vous demandez de bonnes choses à bonne fin, et que vous méritiez de les obtenir, les voilà ». Dès lors, vous n'avez pas besoin de les demander. Vous les obtiendrez, quoique tous gardiez le silence.

VIII. Et cependant Socrate allait au Pirée, pour y faire ses prières à la Déesse (47) ; il y invitait ses concitoyens. Il paraît d'ailleurs que, durant le cours de sa vie, il ne fit que prier. Et Pythagore aussi pria; et Platon aussi; et tous les, philosophes qui rendaient hommage à l'existence des Dieux. Mais pensez-vous que la prière du philosophe ait pour objet de demander aux dieux les choses qu'il n'a point ? Je pense, au contraire, qu'elle consiste à s'entretenir, à causer avec eux, sur les choses qu'il possède, et à leur présenter ainsi le tableau de sa vertu. Certes, pensez-vous que Socrate ait demandé aux dieux de lui envoyer une grande fortune, ou de lui donner le pouvoir suprême, à Athènes ? Bien loin de là. Sans doute Socrate honorait les dieux ; mais c'était en lui-même qu'il cherchait, sous leurs auspices, les moyens de se rendre vertueux, de mener une vie tranquille, d'avoir des mœurs irréprochables, d'attendre la mort avec confiance ; dons admirables, dont les dieux devraient être les dispensateurs (48). Si quelqu'un s'avisait de demander au continent une heureuse navigation, à la mer une abondante récolte, à un tisserand une charrue, à un charron une pièce de toile, il demanderait en vain : il serait éconduit sans rien obtenir. Ô Jupiter! ô Minerve ! ô Apollon ! ô vous, qui surveillez la conduite de tous les mortels, vous avez besoin d'avoir pour disciples des philosophes, dont les âmes vigoureuses et énergiques se plaisent à devenir vos émules, et recueillent de leur zèle, à cet égard, les fruits d'une vie heureuse et prospère. Mais les résultats de ce genre de culture sont une chose assez rare : à peine sont-ils sensibles, au déclin des ans. Quoi qu'il en soit, les hommes ont besoin de voir paraître de temps en temps chez quelques-uns de leurs semblables des étincelles de ce feu divin, quelque rares, quelque faibles qu'elles puissent être, ainsi qu'au milieu d'une profonde nuit, on a besoin d'un peu de lumière. Le beau dans le moral de l'homme n'est qu'en très petite mesure; mais, toute petite qu'elle est, elle suit pour la conservation de l'espèce humaine entière. Ôtez à l'homme la philosophie, vous lui ôtez le feu qui l'anime, qui le sou-tient, qui lui donne la vie. Vous lui ôtez la seule chose qui lui enseigne à (49) honorer les dieux. Il en est, comme du corps humain, lorsqu'on lui ôte l'âme; c'est en faire un cadavre : comme d'une contrée à qui l'on ôte sa fécondité; c'est la changer en désert : comme du soleil à qui l'on ôte sa lumière; c'est anéantir le jour.

 

NOTES.
(1)  Formey a traduit, « Et sur d'autres matières prises en quelque sorte du sein des maux ». Des matières prises du sein des maux ! Je doute que cela soit intelligible, et que Formey se soit entendu lui-même. C'est peut-être la faute d'Heinsius qui a rendu le texte par reliquisque quae in medio versantur malorum. Cette version n'est pas correcte. Pacci a mieux fait, aut ad ea mala quae jacent in medio contentionem attulerint.
(2) Pour être littéral, j'aurais dû traduire, plus leste sous le rapport de la mesure.
(3) Notre auteur emprunte ici un passage de Platon au troisième livre de la République.
(4) Le grec porte littéralement, mes enfants, τοὺς ὑιέας τοὺς ἐμούς.
(5) Maxime de Tyr a emprunté ici le 515 vers du onzième chant de l'Iliade. Heinsius a étranglé ce vers d'Homère, en s'efforçant de le rendre en un seul vers latin.
Tollere corporibus jaculum, vulnusque fovere
.
Ces derniers mots vulnusque fovere ne disent pas tout. Pacci aurait été plus heureux, quoique moins laconique, s'il n'avait pas pris les javelots pour la gangrène,
Virus ab infectis abscindere partibus aegri ;
Mitiave affectis imponere pharmaca membris.

(6) Pacci n'a pas correctement rendu le début de cette phrase. Il s'est laissé induire en erreur par le participe dieinopayÇn. Formey a traduit, « Le premier dira que c'est faire une grande injure aux poètes que de ne pas les décorer du titre de Sages, etc. et les croire pour le moins aussi sages, etc. » Pour être correct en français, il fallait, et ne pas les croire.
(7) Ni Pacci, ni Heinsius n'ont correctement rendu le substantif grec εὐήθειαν. Le premier a traduit, crassus animus, le second, ruditas animi. Ce n'est point cela. D'abord le mot grec signifie proprement et étymologiquement, ainsi que le rendent les Lexiques, bonitas seu probitas morum, innocentia. Il est d'ailleurs assez évident que notre Auteur porte ici sa pensée sur ce bel âge de l'espèce humaine, où l'âme non encore corrompue ne connaissait ni le crime, ni l'injustice; de ce bel âge, dont Ovide a dit :
 ......... Quæ vindice nullo
Sponte sua, sine lege, fidem rectumque colebat.
Poena, metusque aberant; nec vincula minacia collo
Aere ligabantur; nec supplex turba timebat
Judicis ora sui; sed erant sine judice tuti.
Metamorph
. lib. I
(8)  Les critiques ont regardé le mot θύουσιν du texte comme suspect, et y ont substitué le mot μεθυούσιν, correction heureuse. Les imprimeurs de la traduction de Formey ont fait une faute énorme dans la note qu'il a mise ici. Ils out imprimé πτύουσιν, ils crachent, au lieu de πίνουσιν, ils boivent.
(9) Notre Auteur fait allusion ici à un passage du Phèdre de Platon. Philostrate, dans la Vie d'Apollonius de Thyane, liv. II, pag. 74, édition d'Oléarius, rappelle le même passage.
(10) Davies remarque avec raison, que Platon, dans le passage de son Symposiaque, auquel notre Auteur fait allusion ici, n'a point parlé des noces de Vénus, mais de sa naissance. « Lorsque Vénus vint au monde, dit-il, les Dieux du premier ordre firent des festins, ainsi que les autres Dieux, entre autres le fils de la Prudence, le Dieu qui fait venir l'argent, etc. ». Origène, dans son quatrième livre contre Celse, p. 189, et Eusèbe, dans sa Préparation évangélique, liv. XII, chap. II, donnent des éloges à cette allégorie de Platon. Thérnistius en fait autant dans la treizième de ses Oraisons, p. 162.
(11) Plutus était proprement le Dieu des richesses. Celui dont il s'agit ici sous une autre dénomination, πόρος, avait des attributions moins étendues que le premier. Il était, selon toutes les apparences, un de ses subordonnés; et s'il faut en juger par son étymologie, sa fonction spéciale était de présider aux perceptions pécuniaires, et à toutes les opérations industrielles qui produisaient de l'argent.
(12) Maxime de Tyr fait allusion ici à ce que dit Platon dans son Phédon. Voy. la traduction de cet ouvrage de Platon par Dacier, vers la fin.
(13) Pour entendre ce passage, il faut lire dans le dixième livre de la République de Platon, vers la fin, ce que dit ce philosophe du fuseau de la nécessité, et du peson qui y était attaché. On peut consulter l'estimable traduction que Grou nous a donnée de cet ouvrage.
(14) La Théogonie de Phérécyde était un ouvrage en prose. Diogène-Laërte, dans son premier livre, sous le mot Phérécyde, parle de cette Théogonie. Il en a même copié le début. Cet ouvrage n'est point venu jusqu'à nous. Peut-être n'en doit-on pas beaucoup regretter la perte. Car s'il en faut croire ce qu'en disant l'Auteur lui-même, dans une lettre qu'il adressa à Thalès, en lui envoyant son travail, lettre que Diogène-Laërte nous a conservée, qu'aurait pu nous apprendre un livre où tout était enveloppé d'énigmes. Il est probable que Thalès n'en fit pas grand cas. Le peu de mérite de cet Ouvrage est cause sans doute qu'il s'est perdu. Il y a lieu de s'étonner que les Auteurs du Dictionnaire historique n'aient fait aucune mention de cette Théogonie, dans le long article dont ils ont honoré ce philosophe.
(15) Ce mot qui n'est que le μύθος grec, a été assez récemment introduit dans notre langue. Le Citoyen Millin, entre autres, en fait un fréquent usage dans les articles aussi curieux que savants, dont il enrichit le Journal Encyclopédique. Au surplus, Maxime de Tyr donne un peu, plus bas la définition la plus exacte de ce mot d'origine grecque, en disant que c'est « un Discours destiné à cacher une vérité sous des ornements étrangers ».
(16) La 105 des Épîtres de Synèse offre un passage qui renfermé la même idée. ῇ τοῖς ὀφθαλμιῶσι τὸ σκότος ὠφελιμώτερον, ταύτῃ καὶ τὸ ψεῦδος ὄφελον εἶναι τίθεμαι δήμῳ, καὶ βραβερὸν τὴν ἀλήθειαν τοῖς οὐκ ἰσχύουσιν ἔνα τενίσαι πρὸς τὴν τῶν ὄντων ἐνάργειαν « De même que les ténèbres sont plus avantageuses à ceux qui ont une ophtalmie, de même je pense que le mensonge n’est utile au peuple, et que la vérité est nuisible à ceux qui ne peuvent point élever leur esprit jusqu'à la vraie nature des choses. »
Dans le système politique de l'antiquité, à partir des Égyptiens, l'ignorance de la multitude fut un des premiers ressorts de la science du Gouvernement. Les prêtres avaient senti que leur empire ne pouvait avoir d'autre base; et les Princes, soit exemple, soit intérêt, s'étaient mis de moitié dans ce calcul. Il ne fut pas malaisé de régner sur ce pied-là, jusqu'au quinzième siècle de notre ère. Mais la découverte de l'imprimerie produisit une révolution, dont les dominateurs des peuples n'aperçurent pas toutes les conséquences. Ils protégèrent, ils encouragèrent cet art naissant. Tels, les Troyens introduisirent dans l'enceinte de leurs murailles, le cheval des Grecs. « Lorsque les Souverains, dit quelque part J. J . Rousseau, a ouvriront les yeux sur leurs véritables intérêts, ils mettront à restreindre l'Imprimerie autant de zèle, qu'ils en ont mis à la propager ». Que gagneraient-ils à cela, en supposant que cette étrange coalition fût praticable ? N'est-il pas plus simple et plus digne d'eux, sous tous les rapports, de remplacer l'ancien Traité avec les Prêtres et la superstition par une sainte alliance, avec les sages lumières et les vrais philosophes. Qui sait même, n'en déplaise à l'Auteur du Contrat Social, si, en calculant les progrès et le perfectionnement de l'esprit humain depuis trois ou quatre siècles, ou ne trouverait pas que c'est aujourd'hui pour eux le cas de faire de nécessité vertu.
(17) J'ai suivi Davies, qui, sur la foi des manuscrits, a substitué ἔλαθον à ἔτυχον.
(18) Les éditions de Maxime de Tyr qui ont précédé celle de Davies, ont ici une lacune considérable. Les deux précieux manuscrits qui ont fourni à cette dernière de si utiles et si importantes corrections, ont également rendu ici au texte grec, ce que l'inadvertance d'un copiste lui avait enlevé. Markland explique bien naturellement cette inadvertance. Henri Étienne s'était aperçu de cette lacune. Car Pacci ne l'avait point trouvée dans le manuscrit sur lequel il fit sa version; et en imprimant cette dernière avec le texte en 1557, Henri Étienne avait bien vu qu'autant le sens paraissait plein et entier dans le latin de l'Archevêque de Florence, autant il paraissait incomplet et tronqué dans le manuscrit sur lequel il imprimait le grec. Ante ἀλλὰ, dit-il, desunt quaedam quae in suo exemplari reperit interpres. Nam in ejus interpretatione sententia est integra.
(19)   Plutarque nous apprend, au Traité, comme il faut lire les poètes, qu'Eschyle prit dans cette fiction d'Homère, le sujet d'une tragédie, qu'il intitula : le Poids et la Balance des Âmes. Il ajoute que le poète faisait assister aux bassins de la balance de Jupiter, d'un côté Thétis, et de l'autre l'Aurore, qui priaient respectivement pour leurs fils qui combattaient.
(20) Ce passage est emprunté du 22e chant de l'Iliade, au 211e vers. Il y a lieu de s'étonner, nous le remarquons en passant, que Markland, toujours si soigneux de relever les inexactitudes qui échappent à Maxime de Tyr, lorsqu'il cite les vers d'Homère, n'ait pas vu qu'il y en avait une dans celui-ci; savoir, ἀνδροφόνοιο au lieu de ἱπποδάμοιο.
(21) Iliade, chant premier, vers 526 et 527.
(22) Il est assez connu que dans le système astronomique des Anciens, la terre était immobile. Nous avons déjà eu occasion de faire cette remarque. Maxime de Tyr se sert ici d'un verbe grec qui exprime l'immobilité, μένει. Pacci ne s'y est pas trompé. Il a traduit, quo videlicet stat tellus. Par quelle inadvertance est-il donc arrivé à Heinsius de traduire, cujus beneficio terra movetur.
(23)   Dans le Discours qu'Énée adresse à Achille au 20e chant de l'Iliade, vers 242, il dit spécialement de la vertu militaire, du courage, ce que Maxime de Tyr dit ici de la vertu en général.
(24Odyssée, chant 13, vers 299. Euripide, dans sa tragédie de Rhésus, vers 609. Plutarque, dans son Traité De l'Esprit familier de Socrate, n°11, compare Minerve assistant Ulysse dans tous ses travaux, à l'esprit familier de Socrate, qui l'inspirait dans toutes les actions de sa vie.
(25)  La mémoire de notre Auteur ne l'a pas fidèlement servi, lorsqu'il a cité ce dogme de la philosophie d'Épicure. Du moins Cicéron l'a énoncé en d'autres termes, dans le premier livre de son Traité sur la Nature des Dieux, n° 17. « L'Être heureux et éternel » a-t-il dit, au lieu de « l'Être immortel ». D'ailleurs, ces légères différences d'énonciation ne valent peut-être pas trop la peine d'être relevées Ausone, dans sa 116e Épigramme, a renfermé l'axiome d'Épicure dans deux vers ïambes :
Quod est beatum, morte et aeternum carens,
Nec sibi parit negotium nec alteri.

Voyez touchant ce principe de la doctrine d'Épicure, Lactance, De ira Dei, chap. 4; et Diogène-Laërte, liv. X, §. 139.
(26) C'est par cette antonomase que les Rois de Perse étaient communément désignés dans le style grec. Arrien, au septième livre de l'Expédition d'Alexandre, chap. I, nous apprend qu'ils s'étaient eue-mêmes donné cette imposante dénomination, et il leur reproche de ne pas la justifier.

Paris; le 4 floréal en IX. (24 avril 1801.)

N O T E S.

(27)  Platon, dans son second Alcibiade, autrement intitulé, de la Prière, nous a transmis l'ancien formulaire d'une prière très courte, que Socrate dit qu'il emprunte d'un poète, sans le nommer. La voici. « Roi de l'univers, accorde-nous ce qui nous est bon, soit que nous te le demandions, soit que nous ne te le demandions pas, et éloigne de nous les maux, quand même nous te les demanderions ». Dans les diverses liturgies qui ont paru, ou qui paraîtront sur la terre, ou trouvera bien, je crois, des prières plus longues que celle-là. Je doute qu'on en trouve de plus majestueuse, de plus auguste, de plus digne du Grand Être qui est prié, et de l'homme qui le prie. D'ailleurs, les philosophes en général n'ont guère été les partisans de la prière. Les Péripatéticiens, les Cyrénaïques, et tous ceux qui niaient la providence de DIEU, lorsqu'ils admettaient son existence, ou qui attribuaient tout à un destin aveugle, ont regardé la prière comme absolument inutile. On peut consulter là-dessus, Origène contre Celse; liv. II, pag. 68, et son Traité sur la Prière, § 11 ; Lucien, in Jove confut. tom. II, pag. 120; St. Jérôme sur St. Mathieu, chap. 6 ; Proclus sur le Timée de Platon, liv. II, pag. 64; et Hiéroclès, sur les vers dorés de Pythagore, ch. 49.
Au reste, dans l'édition de Henri Étienne, cette Dissertation est intitulée : de Mydas le Phrygien.
(28)  Marklard a regardé comme suspects les mots ἀργὸς τὸν βίον; or, sous prétexte qu'il est question plus bas d'une médiocrité aisée, et de fécondes campagnes. Cette considération ne parait pas suffisante. Il propose d'y substituer ἄγροικος τὸν βίον, parce que, dans le vœu de Midas, il s'agit de champs, d'arbres, de guérets, de prés, de fleurs. Mais ce n'est peut-être pas encore une raison pour métamorphoser un Roi de Phrygie en paysan.
(29) Xénophon, dans le premier livre de l'Expédition de Cyrus, ch. I, parle d'un chemin, « dans le voisinage duquel était la fontaine qu'on appelait de Midas, roi de Phrygie, où l'on disait que ce prince avait pris un Satyre, après y avoir jeté du vin ». Philostrate, dans la Vie d'Apollonius de Thyane, liv. VI, chap. 27, et dans ses Images, liv. I, chap. 22, parle aussi de ce Satyre. D'autres auteurs lui donnent le nom de Silène. Tels sont, Hérodote, liv. VIII, n° 138; Cicéron, dans ses Tusculanes, liv. I, n° 48; Athénée, liv. II, p. 45; Élien, dans ses Histoires diverses, liv. III, n° 18; et Pausanias, dans ses Attiques, pag. 12. S'il faut en croire ce qu'en disent Pausanias dans son premier livre, pag. 54, et le célèbre Scholiaste de Virgile, Servius, sur le 14e vers de la sixième Eclogue, il n'y avait de différence entre les Satyres et les Silènes, qu'en ce que les uns étaient jeunes, et que les autres étaient vieux. Sur ce pied-là, il n'est pas étonnant que les auteurs de l'antiquité les aient alternativement pris les uns pour les autres.
(30)  Ovide parle de ce même trait de la mythologie dans le onzième livre de ses Métamorphoses. Il y change, à la vérité, quelques circonstances; et au lieu que Maxime de Tyr laisse ici son Midas dans une situation très critique, Ovide fait venir Bacchus au secours de son étourdi:
Bacchus pecavisse fatentem
Restituit, factique fide data munera solvit.
Il lui indique d'aller se plonger tout entier dans la source du fleuve qui passe auprès de Sardes, d'où il résulte que le fleuve acquiert la propriété dont Midas est trop heureux d'être délivré.
Vis aurea tinxit .
Flumen, et humano de corpore cessit in amnem.
 
(31) Heinsius avait, sans doute, si bonne opinion des princes, qu'il ne les croyait pas capables de se laisser engager pour de l'argent dans des coalitions hostiles. En conséquence, il a pensé que le mot δυνάστην du texte, qui se rend littéralement par le mot français Potentat, était une bévue de copiste, et il a lu δικαστήν, un Juge. C'est-à-dire, qu'il a fait sa cour aux souverains, aux dépens des officiers de justice. Davies a été moins habile ou moins servile courtisan qu'Heinsius. Il est allé déterrer dans le 3e livre de la République de Platon, un vers dont le sens est, « Que les rois et les dieux se laissent toucher aux présents qu'on leur fait »; et il a rappelé qu'Hésiode, au 39e. vers du premier livre de son poème des Oeuvres et des Jours, a donné aux rois l'épithète de διωροφάγους, donivoros, « mangeurs de présents ».
(32)  Dans ses démêlés avec Cyrus, roi de Perse, Crésus fit consulter, à plusieurs reprises, Apollon, qui répondit constamment de la même manière, par le vers amphibologique du texte.
(33)  Il s'agit ici de l'exclamation d'un soldat de l'armée des Grecs, qu'Homère ne nomme point, et qui, voyant tirer le sort entre les principaux chefs, pour savoir quel sera celui d'entre eux qui ira se mesurer contre Hector, élève ses mains vers le ciel, et demande que le sort tombe, ou sur Ajax, ou sur Diomède, ou sur Agamemnon. Iliade, chant septième, vers 179 et suivants.
(34) Voyez la note qui précède.
(35)  C'est Agamemnon lui-même qui dit, au 113e vers du chant second de l'Iliade, que Jupiter lui a fait cette promesse. 
(36) Pacci, Heinsius et Formey se sont ici réciproquement induits en erreur. Ils ont parlé de reproches adressés à Apollon par Chrysés, et il n'y a rien qui ait pu donner lieu à ce mot, ni dans le texte de Maxime de Tyr, ni dans la narration du premier chant de l'Iliade, où il est question de l'injure faite au Grand-Prêtre, et de la vengeance du dieu. Voyez l'Iliade, chant premier vers 37 et suivants.
(37) Le texte porte
αἷδλαι τοῦ βίου. J'ai dû paraphraser ici, pour rendre de mon mieux le sens de l'original.
(38)  Le mot grec θεραπεία a un point de vue sous lequel il peut être rendu par le mot intrigue
(39)    C'est dans le sixième chant de l'Iliade, vers 46, le cri d'Adraste, un des chefs des Troyens, qui a été renversé de son char, et vers lequel Ménélas se précipite fumant de carnage.
(40)  Voyez l'Iliade, chant seizième, vers 433.
(41)  Voyez l'Iliade, chant dix-huitième, vers 54.
(42) Le grec porte littéralement, que demander donc ci une chose aussi instable, etc.
(43)   Ménandre a raison. Lorsque l'on n'a d'autre moyen de subsistance, que le produit de sa profession, si l'on ne met pas en réserve pour la vieillesse, on la passe mal. Car un âge arrive où les infirmités annulent la profession. Remarquons que selon son usage, Formey a voulu renfermer dans des vers français, les deux vers latins, par lesquels il a trouvé la pensée de Ménandre rendue dans la version d'Heinsius. Mais autant la pensée du comique Grec est juste, autant celle dans laquelle Formey l'a travestie, est fausse : « Dans les Arts le succès dépend le plus souvent, du désir d'amasser moins d'honneur que d'argent ». Je crois au contraire que les artistes qui se sont le plus illustrés par leur art, sont ceux qui, sans songer à la fortune, n'ont connu que l'émulation de la gloire.
(44)  Les copistes ont un peu brouillé le texte en cet endroit. Il est évident, par exemple, que Maxime de Tyr n'a point écrit εὔξαι μοχθηρίας. Markland a mis à la place, ἄρξαι μοχθηρίας. Reiske a proposé τευξη μοχθηρίαις. Cette dernière leçon m'a paru la plus heureuse, et je l'ai suivie. Pecci s'est contenté de la leçon vulgaire, et il a traduit, funde sceleribus preces. Heinsius a adopté la conjecture de Markland, et il a traduit fraudes strue. Au surplus, notre auteur imite ici ce que dit Hésiode, dans le premier livre de son poème des Oeuvres et des Jours, qui revient à peu près au conseil que donne Juvénal, avec sa verve ordinaire, au 73e vers de sa première satyre :
Aude aliquid brevibus Gyaris et carcere dignum,
Si vis esse aliquid : probitas laudatur et alget.
Il est malheureux que, dans tous les siècles, le train de la société conduise à cette épouvantable doctrine.
(45) C'était chez les anciens une des pratiques caractéristiques du deuil et de la douleur. Ovide, dans ses Métamorphoses, liv. VIII, vers 528, dans le tableau qu'il fait de la douleur d'Oenée, roi de Calydon, père de Méléagre, s'exprime ainsi :
Pulvere canitiem genitor vultusque seniles
Foedat, humi fusus, spaciosumque increpat aevum.
Voyez également Sénèque le tragique, dans sa Troade, vers 84 et 101. Cet usage était répandu chez les peuples de l'Orient, comme chez les Grecs et chez les Romains.
(46) C'est ce que Chrysès rappelle à Apollon, au commencement de l'lliade, pour l'exciter à le venger de l'outrage qu'il vient de recevoir d'Agamemnon. Maxime de Tyr se sert ici du mot ὀνειδιζούσας, qui peut avoir déterminé le sens que les deux interprètes Latins ont donné plus haut à un de ses passages, analogue à celui-ci (sect. Il, note 6.)
Il a donc pensé que c'était sur le ton du reproche que Chrysès rappelait à Apollon les principaux détails de ses fonctions sacerdotales, pour mieux le pousser à la vengeance. Sur quoi je prends la liberté d'observer, d'abord, que dans les six vers de la première page de l'Iliade, qui renferment tout ce que Chrysès adresse à Apollon à ce sujet, on ne trouve ni le mot ὀνειδιζείν, ni aucun de ses synonymes prochains ou éloignés; et ensuite que c'eût été, de la part du prêtre, pécher contre les convenances, que de prendre un ton pareil, vis-à-vis du dieu dont il implorait les secours.
(47) Notre auteur fait allusion ici à ce que dit Platon, dans les pre­mières lignes de sa République. « J'allai hier, dit Socrate, au Pirée avec Glaucon, fils d'Ariston, pour faire ma prière à la Déesse. » Markland pense que la Déesse dont il s'agit ici, est Minerve; et il reproche à St. Athanase de s'être trompé, lorsqu'il dit dans son Oraison contre les Gentils, que « Socrate vint au Pirée avec Platon, offrir ses hommages à Diane ». L'estimable traducteur de la République de Platon, pense avec Origène, comme St. Athanase, et il croit que c'est réellement de Diane qu'il est question dans ce passage. Son opinion paraît fondée. Voy. sa note, à la première page de sa traduction. 
(48)  Heinsius a traduit, bona praeclara et quae libenter donare solent. Cette version, donare solent, ne m'a point paru correcte. Car, si dans la théologie des Platoniciens, toute vertu eût été un don de DIEU, comme dans le système évangélique, pourquoi Maxime de Tyr aurait-il dit aussi expressément qu'il le fait, que Socrate ne demanda point aux dieux la vertu, mais qu'il en chercha la source en lui-même ? Il ne faut pas non plus entendre ce passage de notre auteur en ce sens, que dans les efforts que fait l'homme pour acquérir la vertu, DIEU n'y entre pour rien, et que seulement il les permet. Diis annuentibus συνεπινεύοντων ἐκείνων Ce n’était pas là l'opinion de Platon. Il n'admettait pas que la vertu vint de dieu, comme par voie d'infusion. Il pensait que l'homme devait se diriger vers elle, par son intention, sa volonté, faire des efforts pour l'atteindre; mais il pensait aussi que DIEU secondait l'homme dans ses efforts, lui aidait à parvenir à son but, et que ce secours lui était, pour cet effet absolument nécessaire. D'ailleurs, les manuscrits ne sont pas d'accord sur la véritable leçon du mot qui doit terminer cette phrase. Peut-être notre auteur a-t-il écrit, δώρα ἀθεοσδοτά, avec l'a privatif, dona quae a deo non dantur, ce qui aura paru une hérésie à des copistes chrétiens, qui, en conséquence, auront fait disparaître l'a privatif. Pour revenir à la question, si la vertu vient de dieu, Cicéron l'a fait nier par Cotta dans son troisième livre de la Nature des Dieux, n° 36. Après lui avoir fait dire que les hommes regardent unanimement les dieux, comme les dispensateurs de tous les biens, de toutes les commodités de la vie, il ajoute : Virtutem autem nemo unquam acceptam Deo retulit. Nimirum recte. Propter virtutem enim jure laudamur, et in virtute recte gloriamur: quod non contingeret, si id donum a Deo, non a nobis haberemus. N'en déplaise à Cotta, on avait reconnu avant lui que les dieux étaient pour quelque chose dans la vertu des hommes. Pythagore et Platon avaient dit τὴν μὲν οὖν ἀρετὴν ἔχει διὰ τὴν θείαν μοῖραν. Les poètes eux-mêmes avaient rendu hommage à ce principe, car Pindare, dans la neuvième de ses Olympiques, dit en propres termes
Καὶ σοφοὶ χατὰ διαίμον' ἄνδρες
᾿Εγένοντο. 

À la vérité, Horace était du même sentiment de Cotta ; car, dans le dernier vers de sa 18e Épître, il s'exprime, au sujet de Jupiter, en ces termes : « Qu'il me conserve la vie, qu'il me donne des richesses; quant à ma vertu, j'en fais mon affaire »
Det vitam, det opes; aequum me animum ipse parabo.

(49)   Le texte porte littéralement, la seule chose qui sache prier.

Paris, le 8 floréal an IX. (28 avril 1801.)